Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2009-930(IT)I

ENTRE :

KERRY SUFFOLK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 1er avril 2010 à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Brent Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gavin Laird

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Majawa

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2010.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.

 


 

 

Référence : 2010 CCI 295

Date : 20100603

Dossier : 2009-930(IT)I

ENTRE :

KERRY SUFFOLK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le Juge Paris

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2003, par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus dans son revenu un montant de 6 415 $ à titre d’avantage relatif à l’emploi. La nouvelle cotisation a trait à un montant que l’appelante avait reçu de son employeur à ce moment là, Placer Dome Inc., pour le remboursement de certains articles ménagers qu’elle avait achetés lors de son transfert par Placer Dome de Sydney, en Australie, à Vancouver.

 

[2]     L’appelante invoque deux moyens pour contester la nouvelle cotisation. Premièrement, elle conteste le caractère suffisant de l’avis de nouvelle cotisation. Deuxièmement, elle soutient que le remboursement en cause ne lui a procuré aucun avantage imposable.

 

Contexte factuel

 

[3]     L’appelante, citoyenne australienne, est une comptable agréée. En 2002, la société minière australienne pour laquelle elle travaillait à Sydney a été acquise cette même année par Placer Dome. L’appelante a accepté un travail au bureau principal de Placer Dome et elle a déménagé avec son époux à Vancouver au mois d’avril 2003.

 

[4]     En 2006, Placer Dome a été acquise par Barrick Gold Corporation (la société « Barrick »). Barrick a offert un poste à l’appelante à Toronto mais l’appelante a décidé de ne pas rester après la prise de contrôle. Par conséquent, son emploi auprès de Placer Dome a cessé au printemps 2006.

 

Première question en litige : caractère suffisant de l’avis de nouvelle cotisation

 

[5]     L’avis de nouvelle cotisation en cause était daté du 27 avril 2007. L’appelante l’avait reçu quelques jours plus tard. Il était mentionnait dans l’avis une augmentation de 6 415 $ de son revenu de 2003 et un accroissement correspondant de l’impôt fédéral à payer. L’avis faisait état de l’explication suivante concernant le changement :

 

                   [traduction]

 

            Nous avons rajusté votre déclaration pour qu’elle corresponde au montant        que Barrick Gold Corporation a déclaré d’après le feuillet de        renseignement T4 modifié.

 

[6]     D’après le témoignage de l’appelante, elle n’a pas compris, en lisant l’avis, le fondement de la nouvelle cotisation et elle n’a pas saisi qu’elle était imposée pour un avantage relatif à l’emploi. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais travaillé pour Barrick et qu’elle n’avait jamais reçu de feuillet T4 modifié pour son année d’imposition 2003.

 

[7]     Aussitôt après réception de l’avis, l’appelante a communiqué avec l’Agence du revenu du Canada (l’ « ARC »). Le 14 mai 2007, l’ARC lui a envoyé une copie du feuillet T4 modifié établi en son nom et fourni par Barrick, ce qui entrainé encore plus de confusion dans son esprit.

 

[8]     À la fin du mois de mai 2007, elle a appelé l’ARC et a dit à l’agent qui lui a répondu qu’elle n’était pas au courant de la raison pour laquelle un feuillet T4 modifié avait été établi pour elle. L’agent lui a dit qu’il ferait des recherches à ce sujet. L’appelante a aussi déclaré à l’agent qu’elle essaierait de [traduction] « communiquer avec Placer pour obtenir des réponses supplémentaires »[1].

 

[9]     Au début du mois d’août, un agent de l’ARC a laissé un message à l’appelante. L’époux de l’appelante a appelé l’ARC le 29 août 2007 pour assurer le suivi et on lui a demandé de produire une autorisation de l’appelante permettant à l’ARC de discuter avec lui des affaires fiscales de l’appelante, ce qui fût fait.

 

[10]    Le 6 septembre 2007, l’ARC a fourni des détails au sujet de la nouvelle cotisation à l’époux de l’appelante. L’appelante a déclaré que c’était seulement à ce moment là qu’elle avait compris qu’une nouvelle cotisation avait été établie à son égard pour inclure dans son revenu à titre d’avantage relatif à l’emploi le remboursement qu’elle avait obtenu de Placer Dome en 2003.

 

[11]    Au moment où l’appelante a reçu l’explication au sujet de la nouvelle cotisation, le délai de 90 jours prévu pour produire un avis d’opposition avait expiré et elle a demandé au ministre une prorogation du délai pour produire l’avis d’opposition. La prorogation du délai lui fut accordée. Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation au mois de décembre 2008 et l’appelante a interjeté appel auprès de la Cour.

 

[12]    L’intimée a produit une déclaration sous serment souscrite par Ken Lum, un vérificateur de l’ARC. Au début de 2007, après l’acquisition de Placer Dome par Barrick, M. Lum avait procédé à une vérification de l’année d’imposition 2003 de Placer Dome. Au terme de la vérification, il a établi des feuillets T4 modifiés pour un certain nombre d’employés (y compris l’appelante) pour inclure dans leurs revenus des avantages relatifs à l’emploi qui n’avaient pas été précédemment déclarés. M. Lum a remis les feuillets modifiés au directeur des ressources humaines de Barrick et lui a donné instruction par écrit de les envoyer aux employés visés accompagnés d’une explication du rajustement apporté à leurs revenus. Sur le feuillet T4 modifié de l’appelante établi par le vérificateur, il était indiqué que l’employeur était [traduction] « Barrick Gold Corporation, anciennement Placer Dome Inc. ».

 

[13]    Aucun élément de preuve n’a été fourni pour démontrer si Barrick avait en fait envoyé à l’appelante le feuillet T4 modifié.

 

Thèse de l’appelante

 

[14]    L’avocat de l’appelante soutient que l’avis de nouvelle cotisation ne constituait pas un avis suffisant pour l’appelante étant donné qu’il ne donnait aucune indication selon laquelle les avantages relatifs à l’emploi étaient en cause. En outre, puisque Barrick Gold Corporation n’était pas l’employeur de l’appelante en 2003, la mention d’un feuillet de renseignement T4 modifié fourni par Barrick était propre à induire en erreur. Par conséquent, déclare-t-il, cet avis était entaché d’un vice et en l’absence d’un avis de nouvelle cotisation approprié, on ne peut pas dire qu’une nouvelle cotisation a été établie.

 

[15]    L’avocat de l’appelante fait valoir que l’avis n’a été « achevé » que le 7 septembre 2007, date située en dehors de la période normale de nouvelle cotisation prévue par le paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et que la nouvelle cotisation était par conséquent prescrite. L’appelante se fonde sur la décision de la Cour de l’Échiquier dans Scott v. The Minister of National Revenue[2] dans laquelle le juge Thorson s’exprimait en ces termes :

 

[traduction]

 

Donc, j’estime que le fait de donner un avis d’une cotisation fait partie de l’opération de fixation appelée cotisation dans la loi et qu’une cotisation n’est achevée que lorsque le ministre s’est entièrement acquitté de ses fonctions de répartiteur, prévues par la loi, en donnant l’avis prescrit. Voir Y.M.C.A. v. Halifax, [1993] 1 D.L.R. 713.  

                                                                           [Non souligné dans l’original.]

 

[16]    L’avocat de l’appelante estime que la notion d’« avis prescrit » comporte une exigence selon laquelle il faut fournir le fondement de la nouvelle cotisation. Il précise que, par conséquent, en l’espèce, le défaut de l’avis de faire état des avantages relatifs à l’emploi n’était pas une erreur mineure ni un vice de forme mais [traduction] « porte sur l’avis même ». Il soutient que, s’agissant de l’équité procédurale, un contribuable a le droit de connaître les raisons pour lesquelles une nouvelle cotisation a été établie dans l’avis même envoyé par le ministre.

 

Analyse

 

[17]    Contrairement à l’affirmation de l’appelante, dans Stephens v. The Queen[3], la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il n’y a pas de forme déterminée pour un avis de cotisation établi en vertu de la Loi. Le passage pertinent est ainsi libellé :

 

[traduction]

 

Le paragraphe 152(2) veut que le ministre « envoie un avis de cotisation » au contribuable. Nulle part la Loi ne fait état d’exigences relatives à la forme de cet avis. Il s’ensuit, à notre avis, que la forme de l’avis importe peu et que le paragraphe exige simplement que l’avis soit formulé en des termes qui permettent au contribuable d’être parfaitement conscient de la cotisation établie par le ministre. […]

 

[18]    La Cour de l’Échiquier est arrivée à la même conclusion dans Laurin v. The Minister of National Revenue[4]. Dans cette affaire, une des contestations soulevées par le contribuable tenait au fait que les avis ne faisaient pas état des éléments essentiels des cotisations, le privant ainsi des renseignements dont il avait besoin pour les contester. Pour les fins de l’espèce, la cour a cité les paragraphes 42(1), (2), (3) et (6) de la version de la Loi de 1948 et les paragraphes 46 (1), (2), (3) et (7) de la version de la Loi de 1952, lesquels paragraphes sont sensiblement les mêmes que les paragraphes 152(1), (2), (3) et (8) de la version actuelle de la Loi. Voici la teneur de ces dispositions :

 

42(1)    Le Ministre doit, avec toute la diligence possible, examiner chaque déclaration de revenu et répartir l’impôt pour l’année d’imposition et l’intérêt et les amendes exigibles, s’il en est.

46(2)    Après examen d’une déclaration, le Ministre envoie un avis de cotisation à la personne qui a produit la déclaration.

46(3)    Le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été faite n’atteint pas l’assujétissement [sic] à l’impôt établi par la présente Partie.

[…]

46(7)    Sous réserve de modifications qui peuvent y être apportées ou d’annulation qui peut être prononcée lors d’une opposition ou d’un appel sous le régime de la présente Partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est censée être valide et exécutoire nonobstant tout erreur, vice de forme ou omission dans ladite cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi. [46(6) dans la version de 1948]

 

152(1)  Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :

a)         le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133, pour l’année;

b)         le montant d’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année.

[...]

 

152(2) Après examen d’une déclaration, le ministre envoie un avis de cotisation à la personne qui a produit la déclaration.

 

152(3) Le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été faite n’a pas d’effet sur les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt prévu par la présente partie.

 

[...]

 

152(8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

 

Compte tenu de la clarté du langage de ces articles, la cour a jugé dans Laurin qu’il n’y avait dans la Loi aucune disposition de nature à astreindre le ministre à énoncer de façon détaillée la révision de l’impôt dans l’avis même, sous peine de nullité de la cotisation. À la page 1145, la cour a aussi jugé que [traduction] « seules des erreurs fondamentales et substantielles sont suffisantes pour que la cotisation soit entachée d’un vice ».

 

[19]    Dans Riendeau v. The Queen,[5] la Cour d’appel fédérale a confirmé que « c’est la Loi de l’impôt sur le revenu qui crée l’assujettissement à l’impôt, pas un avis de cotisation » et que « l’assujettissement d’un contribuable au paiement de l’impôt est le même, peu importe que l’avis de cotisation soit erroné ou ne soit jamais expédié ».

 

[20]    Dans Riendeau, en établissant une cotisation à l’égard du contribuable, le ministre s’était fondé sur un article abrogé de la Loi. Le ministre avait corrigé l’erreur dans les avis de ratification, en se fondant sur d’autres dispositions de la Loi pour justifier les cotisations établies. Le contribuable avait saisi la Cour fédérale, Section de première instance, afin qu’il soit statué sur une question de droit, et il avançait que le ministre ne pouvait pas ratifier les cotisations parce que ces dernières étaient invalides et frappées de nullité.

 

[21]    Après un examen minutieux de la jurisprudence pertinente, le juge Cullen a décidé que le ministre était en droit de ratifier les cotisations, et que le fait pour lui de s’être fondé au départ sur un article abrogé n’était pas fatal. Pour arriver à cette conclusion, la cour a renvoyé à l’arrêt Stephens (précité) et à l’affaire The Minister of National Revenue v. Minden[6] dans laquelle le juge Thorson s’exprimait en ces termes, à la page 1050 :

 

          [traduction]

 

[...] Dans l’examen d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu, la Cour s’intéresse à la validité de la cotisation et non à l’exactitude des raisons données par le ministre pour l’établissement de la cotisation. Une cotisation peut être valide, bien que la raison donnée par le ministre pour l’établissement de la cotisation puisse être erronée. Cela a été amplement établi.

 

[22]    La question relative à l’avis que le ministre doit donner lors de l’établissement d’une cotisation à l’égard d’un contribuable a aussi été soulevée dans Leung v. Canada[7]. Dans cette affaire, la cotisation avait été établie à l’égard du contribuable en sa qualité d’administrateur d’une personne morale pour des retenues à la source au titre d’impôt sur le revenu, de cotisations d’assurance‑emploi et de cotisations au Régime de pensions du Canada que la personne morale avait omis de verser. L’avis de cotisation indiquait le total de la dette fiscale due au titre des lois applicables, mais ne précisait pas les montants dus au titre de chaque loi, et le contribuable avait fait valoir que la cotisation était par conséquent incomplète.

 

[23]    La Cour canadienne de l’impôt a accepté l’argument ci-dessus mais la Section de première instance de la Cour fédérale l’a plus tard rejeté en appel. La Cour fédérale a jugé qu’il convient d’éviter une démarche trop formaliste en ce qui a trait à l’avis de cotisation et a déclaré ce qui suit :

 

          [traduction]

 

On peut tenir pour acquis que le législateur visait un objectif précis en adoptant les paragraphes 152(3) et 152(8). Selon moi, cet objectif était d’assurer que, dans le cadre des millions de cotisations émises chaque année, dont beaucoup mettant en jeu des dispositions législatives complexes et des calculs, eux aussi, complexes, il ne convenait pas d’imposer à celui qui établit la cotisation une parfaite exactitude technique ou des exigences péremptoires de divulgation, de citation et d’indication de source. L’avis de cotisation constitue une procédure administrative et il n’y a pas nécessairement lieu de lui appliquer les exigences techniques applicables aux autres procédures sous peine de nullité absolue.

 

 

[24]    J’estime qu’en l’espèce, l’avis était suffisant pour mettre l’appelante au courant de la nouvelle cotisation établie. Il indiquait le montant de l’augmentation portée à son revenu et à sa dette fiscale et faisait état d’un feuillet renseignements T4 modifié que l’appelante a semblé associer au revenu d’emploi. S’il a été avancé que la mention de Barrick Gold Corporation comme étant le fournisseur du feuillet T4 modifié a semé la confusion dans l’esprit de l’appelante, il me semble que cette dernière a probablement compris le lien qu’il y avait avec son emploi auprès de Placer Dome. D’après la preuve, elle a elle‑même pensé à communiquer avec Placer Dome pour savoir ce qu’il en était au juste, bien qu’elle n’ait pas poursuivi son idée jusqu’au bout. J’ai conclu que le fait que l’avis de nouvelle cotisation mentionne Barrick Gold Corporation comme employeur de l’appelante n’est pas une erreur substantielle ou fondamentale. Les dispositions énoncées aux paragraphes 152 (3) et (8) de la Loi ont remédié à cette erreur.

 

[25]    En l’espèce, l’appelante a reçu une explication complète de la nouvelle cotisation dans un délai raisonnable. Si elle avait communiqué avec Barrick comme elle l’avait prévu, elle aurait pu obtenir plus tôt les raisons sous‑jacente à la nouvelle cotisation. Dans tous les cas, il semble que l’ARC a pris toutes les mesures nécessaires pour que Barrick renseigne l’appelante au sujet du feuillet T4 modifié et, plus tard, pour lui communiquer ce renseignement après l’établissement de l’avis.

 

[26]    Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’avis de nouvelle cotisation répond aux exigences de la Loi et que l’appelante a reçu un avis suffisant de la nouvelle cotisation avant que son année d’imposition 2003 ne devienne frappée de prescription.

 

Deuxième question en litige : l’appelante a-t-elle reçu un avantage?

 

[27]    Placer Dome a payé certains montants à l’appelante lorsque cette dernière a été transférée à Vancouver en 2003, dont 6 415 $ de remboursement pour les articles ménagers suivants qu’elle avait achetés :

 

[traduction]

 

Magnétoscope haute‑fidélité à 4 têtes

264,97 $

 

Sèche-cheveux, rasoir, gril Deluxe, grille‑pain, gril Storeway

 

636,52 $

 

Microsystème Panasonic, microsystème Sony

374,88 $

 

Abonnement Costco

53,50 $

 

Mélangeur, bouilloire

196,80 $

 

Radio‑réveil

34,29 $

 

Lampadaire, édredon et oreiller

690,07 $

 

Télévision, cinéma maison, cafetière, micro‑onde, robot culinaire, wok, vidéo numérique, ventilateur Honeywell

 

3 295,53 $

 

Router D-link

80,10 $

 

Téléphone Panasonic 2.4 GHz

236,49 $

 

Fer à repasser

183,20 $

 

2 lampes de table, 1 lampadaire, ampoules électriques

395,35 $

 

 

Total

 

   6 415,70 $

 

[28]    Selon le témoignage de l’appelante, ces articles (à l’exception de l’édredon, des oreillers et du wok) remplaçaient ceux que l’appelante et son mari possédaient en Australie, mais qui ne pouvaient pas fonctionner sur la tension fournie par le système électrique canadien. Le système électrique domestique de l’Australie utilise 240 volt et 50 hertz alors que celui du Canada utilise 110 volt et 60 hertz.

 

[29]    Avant le déménagement, l’appelante et son mari vivaient dans une maison de trois chambres à coucher qu’ils avaient récemment achetée à Sydney. Lorsqu’ils ont déménagé, ils ont entreposé certains meubles et articles ménagers, y compris leurs articles électriques. L’appelante a déclaré qu’un collègue de travail lui avait dit que les articles électriques ne pouvaient pas fonctionner au Canada. Elle a remplacé ces articles à Vancouver et Placer Dome lui a remboursé leur coût.

 

[30]    L’appelante a déclaré qu’elle avait préféré entreposer ses articles ménagers d’Australie plutôt que de les vendre, parce qu’elle les avait achetés récemment et qu’elle ne voulait pas s’en départir. Il ressort aussi de la preuve que les articles avaient été entreposés et non vendus parce que l’appelante et son mari prévoyaient retourner en Australie à un certain moment. Au moment de l’audience, ces articles étaient encore en entreposage.

 

[31]    L’appelante a aussi obtenu le remboursement du coût de l’édredon qu’elle avait acheté, parce qu’elle trouvait qu’il faisait froid au Canada, d’un abonnement à Costco semblable à celui qu’elle avait en Australie ainsi que de deux oreillers. Le wok électrique qu’elle utilisait pour cuisiner en Australie avait été remplacé par un wok non électrique à Vancouver.

 

Thèse de l’appelante

 

[32]    L’avocat de l’appelante soutient que le remboursement effectué par Placer Dome en faveur de l’appelante ne constituait pas un avantage pour elle puisqu’il n’avait pas donné lieu à une amélioration de sa situation économique. L’avocat a déclaré que même si l’appelante ne s’est pas départie des biens qu’elle possédait en Australie, elle les a en pratique perdus puisqu’elle ne pouvait pas les utiliser au Canada. Le remboursement effectué par Placer Dome en sa faveur a simplement compensé la perte de l’usage des biens qu’elle avait en Australie et ne constituait pas un avantage qui devrait être ajouté à son revenu.

 

[33]    L’appelante a reconnu à l’audience que le remboursement du coût des deux oreillers constituait un avantage qui devrait être inclus dans son revenu.

 

Analyse

 

[34]    Le montant en cause a été inclus dans le revenu de l’appelante en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi qui est ainsi libellé :

 

6(1)      Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

a)         la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu’il a reçus ou dont il a joui au cours de l’année au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi, […]

[35]    Dans The Queen v. Savage,[8] la Cour suprême du Canada a fait siennes les observations faites par le juge Evans dans R. v. Poynton[9], relativement aux avantages que le contribuable avait reçus ou dont il avait joui au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi. Le passage pertinent est ainsi libellé :

 

[traduction]

 

Je ne crois pas que ces termes ne visent que les avantages liés à la charge ou à l’emploi en ce sens qu’ils représentent une forme de rémunération pour des services rendus. S’il s’agit d’une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l’objet d’une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l’article 3.

 

[36]    En l’espèce, il n’est pas contesté que l’appelante a reçu un paiement de 6 415 $ en vertu de son emploi. La seule question est de savoir si ce paiement a donné lieu à un avantage économique pour elle. À mon sens, tel a été le cas.

 

[37]    D’un point de vue économique, l’appelante a été favorisée et a joui d’une augmentation de son avoir net parce qu’elle a obtenu des biens d’une valeur de 6 415 $ sans qu’il lui en coûte quoi que ce soit. Je déduis de la preuve que la propriété de ces biens n’était pas conditionnelle et que l’appelante n’était pas tenue de les transférer à son employeur en cas de cessation de son emploi. Je conclus aussi que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait subi une perte pécuniaire concernant les biens électriques laissés en entreposage en Australie. Elle est demeurée propriétaire des biens pendant tout le temps qu’elle a vécu au Canada et, du fait qu’elle ne les a pas vendus, elle a choisi de ne pas subir une perte liée à ces biens. De la sorte, l’appelante a vu son avoir net augmenter par l’acquisition de ces biens en plus de ceux qu’elle possédait avant son déménagement.

 

[38]    Je partage l’opinion de l’avocat de l’intimée selon laquelle l’espèce est analogue à la situation soumise à la cour dans l’affaire M.R.N. c. Phillips[10] où il était question de l’assujettissement à l’impôt d’un paiement que le contribuable avait reçu de son employeur relativement à un déménagement lié à l’emploi. Dans cette affaire, le contribuable avait déménagé de Moncton à Winnipeg dans le cadre de son emploi. Il avait vendu sa maison de Moncton sans subir aucune perte et il avait acheté à Winnipeg une maison plus chère que celle de Moncton. Son employeur lui avait versé 10 000 $ afin de compenser le coût du logement plus élevé à Winnipeg par rapport à Moncton. La Cour d’appel fédérale a jugé que le paiement de 10 000 $ constituait un avantage pour le contribuable parce qu’il avait augmenté de 10 000 $ son avoir net.

 

[39]    Dans Phillips, la cour a fait une distinction entre les paiement faits par un employeur à un employé concernant des dépenses liées au nouvel endroit et les paiements faits pour rembourser les pertes subies par l’employé et occasionnées par le déménagement. Les paiements ne sont pas imposables seulement dans le dernier cas[11]. Tout comme les paiements effectués dans Phillips, le remboursement reçu par l’appelante visait à compenser le coût d’acquisition de la propriété dans son nouveau lieu de travail pour remplacer les biens dont elle était propriétaire dans l’ancien lieu de travail.

 

[40]    À ce moment là, lorsque l’appelante a déménagé au Canada, les biens laissés en Australie avaient encore une valeur économique importante. L’époux de l’appelante a déclaré que tel était le cas, et cette conclusion est appuyée par le fait que les biens n’ont pas été jetés, mais ont été entreposés. Par conséquent, le remboursement effectué par Placer Dome pour l’achat d’articles similaires au Canada ne peut pas être considéré comme une indemnisation pour une perte subie par l’appelante à la suite de son déménagement.

 

[41]    Il importe de rappeler qu’à défaut de s’être départie des biens qu’elle possédait en Australie, l’appelante n’a pas subi de perte pécuniaire et le paiement de 6 415 $ ne constituait pas un remboursement d’une perte subie. L’appelante ne peut donc pas avoir gain de cause à cet égard.

 

[42]    Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2010.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juillet 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 295

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-930(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       KERRY SUFFOLK

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 1er avril 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Brent Paris

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gavin Laird

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Majawa

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Gavin Laird

 

                          Cabinet :                  Smetherman & Company

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Pièce A-1, onglet 4, à la page 2.

 

[2]           [1961] Ex. C.R. 120.

 

[3]           88 DTC 1170, à la page 1171.

 

[4]           60 DTC 1143.

 

[5]           91 DTC 5416, au paragraphe 2.

 

[6]           62 DTC 1044 (C. de l’É.).

 

[7]           [1994] 1 C.F. 482.

 

[8]           [1983] 2 R.C.S. 428.

 

[9]           [1972] 3 O.R. 727, page 738.

 

[10]          [1994] 2 C.F. 680.

 

[11]          Voir aussi Ransom v. M.N.R., 67 DTC 5235.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.