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Dossier : 2009-3652(EI)

ENTRE :

ALAIN BERNIER,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MICHAEL GOUGEON,

intervenant.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 10 mai 2010, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Marjolaine Breton

Pour l'intervenant :

L'intervenant lui-même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2010.

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2010 CCI 280

Date : 20100614

Dossier : 2009-3652(EI)

ENTRE :

ALAIN BERNIER,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MICHAEL GOUGEON,

intervenant.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») datée du 10 septembre 2009 voulant que les emplois de Michel Bokwala-Ngilima et de Michael Gougeon auprès d'Alain Bernier (Entretien Ménager ADM enr.) au cours de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 soient des emplois assurables au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi »). Michael Gougeon est le seul intervenant dans le présent appel.

 

[2]              Il incombe donc à l'appelant, selon la prépondérance de la preuve, de démontrer que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit.

 

[3]              L'appelant est l'unique propriétaire d'une entreprise qu'il exploite sous la raison sociale d'Entretien Ménager ADM enr. (ci-après le payeur). Cette entreprise est en affaires depuis 1999. Elle fournit un service d'entretien ménager dans des restaurants et des bars situés dans la région de Québec. Selon le payeur, le tarif négocié était établi avec ses clients selon sa propre appréciation du travail à exécuter. Il ne s'agissait pas de négocier le tarif selon la superficie de l'établissement ou le volume des travaux à exécuter mais plutôt d'effectuer une estimation « à l'œil » pour utiliser l'expression du payeur.

 

[4]              Le payeur était payé à raison d'une fois par mois par ses clients et il fournissait les vadrouilles, les aspirateurs, les escabeaux et tous les produits de nettoyage.

 

[5]              Pour effectuer le travail, le payeur a retenu les services de travailleurs, notamment les deux travailleurs visés par le présent litige. Le travailleur Bokwala‑Ngilima travaillait à plein temps pour l'appelant depuis 5 ou 6 ans et était assigné principalement à trois établissements. Il avait pour tâche de faire le nettoyage de ces trois établissements, incluant les salles de bain, et de passer l'aspirateur. Il travaillait du mardi au dimanche de minuit à 7 ou 8 heures et pendant la période des fêtes. Il lui arrivait durant un quart de travail de se déplacer d'un établissement à l'autre. Il était rémunéré à un taux horaire variant entre 11 et 12 $.

 

[6]              Les mêmes conditions de travail s'appliquent au travailleur Michael Gougeon qui est l'intervenant dans le présent litige. Il était au service de l'appelant à temps partiel depuis 3 ou 4 ans et il travaillait de minuit à 7 ou 8 heures le samedi et le dimanche. Il était rémunéré au taux horaire de 13,50 $.

 

[7]              Tous les travailleurs devaient noter sur des feuilles de temps fournies à cet effet par le payeur, leur heure d'arrivée et de départ dans le cas de chacun des établissements où ils se rendaient. Ils étaient rémunérés à toutes les deux semaines par chèque émis par le payeur. Il est admis que chacun d'eux utilisait les outils et les produits fournis par le payeur pour l'exécution de ses tâches, et qu'aucun d'eux n'engageait de dépenses dans l'accomplissement de ses tâches au service du payeur. Les plaintes des clients pouvaient être adressées aux travailleurs mais le payeur en assumait la responsabilité.

 

[8]              Dans son témoignage, le payeur dit avoir conclu plus de contrats de nettoyage que ce qu'il était en mesure de respecter. Il affirme donc avoir donné le surplus de travail en sous-traitance aux deux travailleurs. Selon le payeur, les deux travailleurs étaient maîtres de leur horaire et pouvaient faire exécuter leur travail par d'autres. Ils étaient aussi libres de travailler aux heures qui leur convenaient pourvu que le travail se fasse avant l'ouverture des établissements en question. Il soutient qu'il n'exerçait aucun contrôle sur la façon dont ils exécutaient leur travail et qu'il n'y avait pas de conséquences ni de représailles s'ils ne se présentaient pas.

 

[9]              En contre-interrogatoire, le payeur a reconnu qu'il décidait de la rémunération et que c'est lui qui donnait les directives concernant le travail à accomplir. Il était aussi présent sur les lieux de travail avec les travailleurs pour faire sa part de travail.

 

[10]         Le seul autre témoin a été l'intervenant Michael Gougeon. Ce dernier soutient qu'il a négocié son salaire à 13,50 $ l'heure, qu'il travaillait le nombre d'heures qu'il voulait et que c'était pour arrondir ses fins de mois. Il ne considère pas qu'il était sous contrat avec le payeur étant donné qu'il ne payait pas de cotisations d'assurance-emploi.

 

[11]         Madame Sylvie Munger est agente des cas complexes et de la revue technique au ministère du Revenu. C'est à elle que le dossier fut confié pour fins d'analyse. Elle a interviewé le payeur et les deux travailleurs et les questionnaires utilisés ont été déposés en preuve. Parmi les réponses, elle a retenu le fait que le payeur a fourni la formation aux travailleurs et qu'ils étaient rémunérés pour le temps qui y a été consacré. C'est le payeur qui assignait les tâches et c'était lui qui fixait les normes à respecter en ce qui concerne la qualité, le volume et les échéanciers. Les travailleurs ont également répondu que monsieur Bernier supervisait le travail et qu'il prenait les décisions importantes. Les travailleurs ne pouvaient pas décider de s'absenter du travail sans en aviser le payeur au préalable et c'est ce dernier qui s'occupait de trouver un remplaçant. À la question de savoir si le payeur pouvait congédier un travailleur, les deux travailleurs et le payeur ont répondu oui.

 

[12]         Les dispositions législatives pertinentes à la résolution du présent litige sont les suivantes :

 

Loi d'interprétation

 

8.1  Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux source de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

 

Code civil du Québec

 

1425.  Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2086.   Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

 

2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[13]         Dans un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale, NCJ Educational Services Ltd. c. Canada, [2009] A.C.F. no 507, la juge Desjardins a repris l'historique du concept de subordination que l'on trouve dans le Code civil du Québec en renvoyant à l'auteur Robert Gagnon (Le droit du travail du Québec, 6e édition) et au fait que, dans la dernière édition de son ouvrage, on trouve l'ajout de certains indices permettant de mener une analyse qui ressemble à celle applicable en common law. Le passage pertinent se lit comme suit :

 

92 – Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C. ; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

 

[14]         Le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Grimard c. Canada, [2009] A.C.F. no 167, a repris le même passage qu'avait cité le juge Décary dans la décision Wolfe c. La Reine, [2002] 4 C.F. 396 et a ajouté ceci aux paragraphes 37 à 43 que je reproduis :

 

On retrouve dans cet extrait la notion de contrôle sur l'exécution du travail aussi présente dans les critères de la common law, à cette différence que la notion de contrôle est, en vertu du droit civil québécois, plus qu'un simple critère comme en common law. Elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail : voir D&J Driveway, précité, au paragraphe 16 de cette décision; et 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), [2005] A.C.F. no 1720, 2005 CAF 334.

 

Mais on peut également noter dans l'extrait de Me Gagnon que le concept juridique de subordination ou contrôle, pour que l'on puisse conclure à sa présence dans une relation de travail, fait aussi appel en pratique à ce que l'auteur appelle des indices d'encadrement, que notre Cour a qualifié de points de repère dans Le Livreur Plus Inc. c. MRN, no 267, [2004] A.C.F. 2004 CAF 68 au paragraphe 18; et Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national — M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, au paragraphe 3.

 

Par exemple, l'intégration du travailleur dans l'entreprise apparaît en droit civil québécois comme un indice d'encadrement qu'il importe ou qu'il est utile de rechercher en pratique pour déterminer l'existence d'un lien de subordination juridique. N'est-ce pas là également un critère ou un facteur recherché en common law pour définir la nature juridique de la relation de travail existante?

 

De même, en règle générale, un employeur, et non l'employé, encaisse les profits et subit les pertes de l'entreprise. En outre, l'employeur est responsable des faits et gestes de son employé. Ne sont-ce pas là des indices pratiques d'encadrement, révélateurs d'une subordination juridique aussi bien en droit civil québécois qu'en common law?

 

Enfin, le critère de la propriété des instruments de travail, mis de l'avant par la common law, n'est-il pas aussi un indice d'encadrement qu'il convient d'examiner? Car, selon les circonstances, il peut révéler une intégration du travailleur à l'entreprise et son assujettissement ou sa dépendance à celle-ci. Il peut contribuer à établir l'existence d'un lien de subordination juridique. Plus souvent qu'autrement dans un contrat de travail, l'employeur fournit à l'employé les instruments nécessaires à l'exécution de son travail. Par contre, il m'apparaît beaucoup plus difficile de conclure à une intégration dans l'entreprise lorsque la personne qui exécute le travail possède son propre camion, par exemple, arborant de la publicité à son nom et quelque 200 000 $ d'outils pour accomplir les fonctions qu'il exerce et qu'il commercialise.

 

Il va de soi, aussi bien en droit civil québécois qu'en common law, que ces indices d'encadrement (critères ou points de repère), lorsque chacun est pris isolément, ne sont pas nécessairement déterminants. Ainsi, par exemple, dans Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national — M.R.N.), [1999] F.C.J. No. 749, (1999), 249 N.R. 1, le fait que l'entrepreneur devait se servir d'un coûteux appareil spécial de détection fourni par le donneur d'ouvrage pour vérifier et calibrer des détecteurs de substances toxiques ne fut pas jugé suffisant en soi pour transformer ce qui était un contrat d'entreprise en un contrat de travail.

 

En somme, il n'y a pas, à mon avis, d'antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d'un lien de subordination juridique, c'est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l'existence d'un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d'encadrement, les autres critères mis de l'avant par la common law, soit la propriété des outils, l'expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l'intégration dans l'entreprise.

 

[15]         Cela étant dit, il s'agit donc de déterminer si les faits de l'espèce me permettent de conclure que les deux travailleurs ont effectué un travail moyennant rémunération sous la direction ou le contrôle de l'appelant, exerçant ainsi un emploi assurable au sens de la Loi aux termes d'un contrat de travail.

 

[16]         Il y avait en l'espèce un travail exécuté par les deux travailleurs et pour lequel ils ont été rémunérés. En ce qui concerne l'allégation d'absence d'un lien de subordination, de direction ou de contrôle des deux travailleurs, ni la preuve entendue ni les réponses obtenues lors des rencontres n'appuient la thèse de l'appelant.

 

[17]         Les travailleurs ont tout d'abord subi une formation fournie et payée par le payeur; leur horaire de travail répond aux besoins du payeur et, dans la plupart des cas, ils travaillent ensemble au même endroit et en même temps chez le même client. À mon avis, nous sommes ainsi loin d'un contrat de sous-traitance. Les travailleurs doivent également tenir un registre de leur temps sur des formulaires fournis par le payeur à cet effet. Les heures de travail étaient établies et chacun des travailleurs devait être présent aux heures requises pour effectuer ses tâches. Selon les questionnaires, ils ont été engagés par le payeur et ce dernier leur assigne leurs tâches et les supervise. Les décisions importantes sont prises par le payeur.

 

[18]         La preuve nous révèle que le payeur est celui qui fournit aux deux travailleurs tous les outils et les produits nécessaires pour accomplir leur travail. Les deux travailleurs n'assument aucune responsabilité financière, donc n'ont aucune possibilité de gain et ne courent aucun risque de perte.

 

[19]         Tenant compte de l'ensemble de la preuve, je conclus qu'en l'espèce il existait des contrats de travail au sens de la Loi entre le payeur et messieurs Bokwala-Ngilima et Michael Gougeon durant la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008.

 

[20]         En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2010.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 280

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-3652(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Alain Bernier et M.R.N. et

                                                          Michael Gougeon

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 10 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 14 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Marjolaine Breton

Pour l'intervenant:

L'intervenant lui-même

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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