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Dossier : 2009-871(IT)G

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 2, 3 et 4 juin 2010, à Calgary (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Robert D. McCue

Avocats de l’intimée :

Mes Marta E. Burns et Chang Du

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est accueilli avec dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur le fondement que le montant de 140 824 476 $ doit être attribué à l’achalandage dans le cadre de la vente conclue avec la société de personnes en commandite AltaLink, avec prise d’effet le 29 avril 2002.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’août 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

Référence : 2010 CCI 375

Date : 20100713

Dossier : 2009-871(IT)G

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

 

[1]              Il s’agit d’une affaire d’achalandage, et plus précisément, de répartition du prix d’achat entre les actifs corporels nets et l’achalandage, dans le cadre de la vente, en 2002, des actifs et de l’entreprise de Transalta Energy Corporation (« Transalta »), au montant de 800 000 000 $, en faveur de la société de personnes en commandite AltaLink (« AltaLink »). Dans la convention d’achat‑vente, Transalta et AltaLink ont attribué un montant d’environ 190 000 000 $ à l’achalandage et un montant d’environ 602 000 000 $ aux actifs corporels nets. En se fondant sur l’article 68 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), l’intimée n’a attribué aucun montant à l’achalandage et elle a attribué la totalité du montant aux actifs corporels nets, en se fondant principalement sur le fait qu’il n’existe aucun achalandage dans une industrie réglementée, de sorte qu’il était déraisonnable pour Transalta d’attribuer un montant de 190 000 000 $ à l’achalandage. Selon la position prise par l’appelante, Transalta et AltaLink ont mené des négociations serrées en vue d’établir la répartition, et cette répartition ne peut donc pas être considérée comme déraisonnable. Transalta soutient en outre que le gouvernement n’a pas pu démontrer que la répartition était clairement déraisonnable.

 

Les faits

 

[2]              Les parties ont déposé un recueil conjoint de documents et un exposé conjoint des faits, auxquels sont venus s’ajouter le témoignage de M. Woo, dirigeant de Transalta et directeur de projet chargé de l’opération en question, ainsi que la preuve d’un expert cité par chaque partie : Mme Glass, de KPMG, pour l’appelante, et M. Lawritsen, de Meyers Norris Penny LLP, pour l’intimée.

 

[traduction]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Les parties aux présentes, par l’entremise de leurs avocats respectifs, s’entendent sur les faits ci‑après énoncés, à condition que le présent exposé ne serve qu’au présent appel et qu’il ne soit pas utilisé contre l’une ou l’autre partie à quelque autre fin, et que les parties puissent ajouter toute autre preuve pertinente non incompatible avec le présent exposé. Il est également convenu que, bien que ces faits soient admis, les parties ne reconnaissent pas pour autant le poids ou le degré de pertinence à attribuer à ces faits.

1          APERÇU

1.1              Tout au long des années 2001 et 2002, parmi les filiales à cent pour cent de l’appelante, il y avait Transalta Utilities Corporation (« TAU ») et Transalta Energy Corporation (« TEC »).

1.2              L’appelante a décidé de faire en sorte que TAU vende son entreprise de transmission d’électricité (l’« entreprise de transmission ») dans le cadre d’une vente aux enchères sous pli scellé s’adressant à un nombre restreint de soumissionnaires éventuels (la « vente aux enchères sous pli scellé »), organisée par Marchés mondiaux CIBC Inc. (« CIBC »).

1.3              Par suite de la vente aux enchères sous pli scellé, AltaLink, L.P. (« AltaLink ») a acquis l’entreprise de transmission.

1.4              Les représentants des associés d’AltaLink et l’appelante ont négocié les conditions de la vente, et notamment la répartition du prix d’achat entre les biens amortissables, l’achalandage et certains autres éléments, à la suite de quoi un montant de 190 824 476 $ a été attribué à l’achalandage.

1.5              Le montant de 190 824 476 $ représentait également à peu près le montant par lequel le prix d’achat excédait la valeur comptable nette réglementée (« VCNR ») et le fonds de roulement des actifs de l’entreprise de transmission, que Transalta et les autres parties à l’opération ont appelé la « prime ».

1.6              Le ministre a établi une nouvelle cotisation en vertu de l’article 68 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), chapitre 63, dans sa forme modifiée, (la « Loi ») en se fondant sur le fait que la partie du prix d’achat attribuée à l’achalandage était déraisonnable et aurait dû être attribuée aux biens amortissables.

1.7              L’appelante a interjeté appel de cette nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt.

2          LES PARTIES

2.1              L’appelante est une société régie par la Loi canadienne sur les sociétés par actions; pendant toute la période pertinente, elle était une « société canadienne imposable » selon la définition figurant au paragraphe 89(1) de la Loi.

2.2              TEC et TAU étaient, pendant toute la période pertinente, des filiales à cent pour cent de l’appelante.

2.3              L’appelante est une société cotée en bourse.

2.4              AltaLink est une société de personnes en commandite constituée en vertu des lois de l’Alberta par les membres du consortium, tel qu’il est défini ci‑dessous, aux fins de l’acquisition de l’entreprise de transmission.

2.5              Pendant toute la période pertinente, AltaLink appartenait directement ou indirectement comme suit (par l’entremise d’une autre société en commandite appelée AltaLink Investments, L.P. (« Investments »)) à quatre commanditaires :

a)         dans une proportion de 50 p. 100, à SNC Lavalin Transmission Ltd., une filiale à cent pour cent de SNC Lavalin Inc. (« SNC »);

            b)         dans une proportion de 25 p. 100, à OTPPB TEP Inc., une filiale à cent pour cent du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (le « Régime »);

            c)         dans une proportion de 15 p. 100, à Macquarie Transmission Alberta Ltd., une filiale à cent pour cent de Macquarie North America Ltd. (« Macquarie »);

            d)         dans une proportion de 10 p. 100, à 3057246 Nova Scotia Company, une filiale à cent pour cent de Trans Elect Inc. (« Trans Elect »).

2.6              Pendant toute la période pertinente, il n’existait aucun lien de dépendance entre AltaLink, le consortium et chacun des associés du consortium, d’une part, et l’appelante, TAU et TEC, d’autre part.

2.7              Pendant toute la période pertinente, le commandité d’Investments était AltaLink Investments Management Ltd., qui détenait un pourcentage nominal d’Investments.

2.8              Pendant toute la période pertinente, le commandité d’AltaLink était AltaLink Management Ltd., qui détenait un pourcentage minime d’AltaLink.

2.9              Pendant toute la période pertinente, AltaLink Management Ltd. et AltaLink Investments Management Ltd. étaient contrôlées indirectement par SNC, le Régime, Macquarie et Trans Elect, les pourcentages étant les mêmes que ceux qui assuraient à ceux‑ci un contrôle indirect d’AltaLink.

2.10          Pendant toute la période pertinente, AltaLink était indirectement contrôlée dans une proportion de 75 p. 100 par des « sociétés canadiennes imposables », telle que cette expression est définie dans la Loi, compte tenu du fait que chacune des filiales de SNC, de Macquarie et de Trans Elect qui étaient associées à Investments étaient des « sociétés canadiennes imposables », alors que la filiale du Régime ne l’était pas.

2.11          Le revenu et les déductions d’AltaLink à des fins fiscales étaient transmis à ses associés pendant toute la période pertinente.

2.12          Dans la mesure où le revenu et les déductions d’AltaLink à des fins fiscales étaient transmis à Investments, ce revenu et ces déductions étaient transmis aux associés d’Investments.

2.13          Les commanditaires d’Investments sont les propriétaires réputés de l’entreprise de transmission pour l’application de la Public Utilities Board Act (Alberta).

3          L’ENTREPRISE DE TRANSMISSION

3.1              L’entreprise de transmission était composée d’environ 11 600 km de lignes de transmission et de 260 sous‑stations qui fournissent de l’électricité à près de 60 p. 100 de la population de l’Alberta.

3.2              Le coût initial des actifs de l’entreprise de transmission était d’environ 1,4 milliard de dollars. L’amortissement aux fins comptables en ce qui concerne ces actifs pendant qu’ils appartenaient à Transalta était d’environ 780 millions de dollars, de sorte que la valeur des actifs, aux fins comptables, était d’environ 640 millions de dollars.

3.3              La VCNR de l’entreprise de transmission au moment de la vente en faveur d’AltaLink était d’environ 590 millions de dollars à l’égard des biens amortissables, et de 617 millions de dollars en tout. C’est le montant à l’égard duquel le propriétaire de l’entreprise de transmission a le droit de gagner un taux de rendement réglementé, sur la base décrite ci‑dessous.

3.4              L’entreprise de transmission était une entreprise en activité qui avait toujours été rentable avant d’être vendue à AltaLink.

3.5              L’entreprise de transmission comprenait des droits, des licences et des permis transférables (les « permis »).

4          LA VENTE AUX ENCHÈRES

4.1              L’appelante a mis en vente l’entreprise de transmission au début de l’année 2001, et elle a retenu à cet égard les services de la CIBC, une partie sans lien de dépendance, afin de communiquer avec des intéressés éventuels et de procéder à une vente aux enchères sous pli scellé dans le but de vendre l’entreprise de transmission.

4.2              La vente aux enchères sous pli scellé a débuté au printemps 2001 et a pris fin au mois de juin 2001.

4.3              Au cours de la vente aux enchères sous pli scellé, l’appelante a reçu, pour l’entreprise de transmission, des offres qui variaient de 655 à 855 millions de dollars.

4.4              Divers soumissionnaires ont mentionné, dans leurs offres, qu’ils avaient l’intention de verser une prime en sus de la VCNR pour l’entreprise de transmission.

4.5              La VCNR est le montant à l’égard duquel le propriétaire d’un service public réglementé par la Commission a le droit de recevoir un taux de rendement réglementé.

4.6              Un consortium connu sous le nom de AlbertaLink Consortium (le « consortium ») a été formé par les représentants de SNC Lavalin Inc. (« SNC »), du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (le « Régime »), de Macquarie North America Ltd. (« Macquarie ») et de Trans‑Elect Inc. (« Trans-Elect ») en vue de faire une offre pour l’entreprise de transmission.

4.7              Au cours du processus d’appel d’offres, le consortium a indiqué que, si son offre était retenue, il avait l’intention de créer une société de personnes en commandite en vue de procéder à l’acquisition de l’entreprise de transmission.

4.8              Le consortium a offert 855 millions de dollars pour l’entreprise de transmission; il s’agissait de l’offre la plus élevée.

5          LA VENTE DE L’ENTREPRISE DE TRANSMISSION

5.1              L’appelante a négocié les conditions des conventions de vente définitives et des documents connexes (les « conventions ») avec les représentants du consortium à l’égard de la vente de l’entreprise de transmission (l’« opération »).

5.2              Au cours de ces négociations :

            a)         certains actifs ont été exclus de l’opération et divers autres rajustements ont été effectués, de sorte que le prix d’achat a été ramené à 818 millions de dollars, soit 37 millions de dollars de moins que l’offre initiale du consortium, de 855 millions de dollars;

            b)         le consortium a demandé à TEC d’augmenter la partie du prix d’achat attribuée aux actifs amortissables et, à la clôture, un montant de 36 millions de dollars de plus sur le prix d’achat a été attribué aux actifs amortissables que Transalta avait initialement offert au consortium;

5.3              La négociation des conditions de l’opération a débuté peu de temps après que Transalta a reçu l’offre du consortium, le 15 juin 2001, et s’est poursuivie jusqu’au 2 juillet 2001, toutes les conditions des conventions ayant alors été réglées.

5.4              Le consortium a fait en sorte qu’AltaLink soit constituée le 3 juillet 2001.

5.5              Du 2 au 4 juillet 2001, les avocats ont produit des copies des conventions à signer, et les conventions ont été signées le 4 juillet 2001 (la « date de la signature »).

5.6              Le consortium a fait en sorte qu’AltaLink signe les conventions à la date de la signature.

5.7              Les conventions prévoyaient un prix d’achat de 818 150 705 $ et renfermaient une clause de répartition du prix d’achat, selon laquelle le prix d’achat devait être réparti comme suit :

            a)         590 582 039 $ pour les actifs amortissables;

            b)         11 897 581 $ pour les biens-fonds;

            c)         14 583 208 $ pour les droits  fonciers;

            d)         10 263 401 $ pour le fonds de roulement;

            e)         190 824 476 $ pour l’achalandage.

5.8              Les montants attribués aux actifs amortissables et aux biens‑fonds étaient égaux à la VCNR de l’appelante à cet égard à la date de prise d’effet de l’opération, soit un montant global de 602 479 620 $.

5.9              Les conventions prévoyaient que l’entreprise de transmission serait initialement transférée à TEC par TAU en vertu de l’article 85 de la Loi, et qu’elle serait ensuite transférée à AltaLink par TEC.

6          L’APPROBATION RÉGLEMENTAIRE

6.1              Le 22 août 2001, TAU a demandé à la Commission d’approuver le transfert de l’entreprise de transmission à TEC, TEC devant ensuite disposer de l’entreprise de transmission en faveur d’AltaLink, conformément aux conventions.

6.2              Une fois achevé le processus d’examen et d’approbation réglementaire de l’opération par la Commission, l’approbation de l’opération a été reçue le 28 mars 2002.

6.3              Par conséquent, la vente de l’entreprise de transmission à AltaLink a été conclue le 29 avril 2002 conformément aux conventions.

6.4              L’approbation de l’opération par la Commission comportait les exigences suivantes :

            a)         la fraction non amortie du coût en capital de l’appelante à la clôture (FNACC) aux fins réglementaires devait être égale à la FNACC d’ouverture d’AltaLink aux fins réglementaires;

            b)         la VCNR de clôture de l’appelante à l’égard de l’entreprise de transmission devait être égale à la VCNR d’ouverture d’AltaLink, et la prime ne pouvait pas être recouvrée au moyen d’augmentations futures des taux.

6.5              L’approbation de la Commission n’exigeait pas que la FNACC de clôture de l’appelante pour l’application des impôts réels soit égale à la FNACC d’ouverture d’AltaLink pour l’application des impôts réels.

7          LE RÉGIME RÉGLEMENTAIRE APPLICABLE

7.1              Pendant toute la période pertinente, la Commission a fixé les taux que l’entreprise de transmission pouvait exiger pour ses services, de façon que l’entreprise de transmission puisse gagner un taux de rendement raisonnable sur la VCNR du capital qu’elle employait tel qu’il était prévu au moyen du processus réglementaire.

7.2              En particulier, pendant toute la période pertinente, la Commission fixait généralement les taux en fonction des prévisions soumises par l’entreprise de transmission, de façon que l’entreprise de transmission puisse :

            a)         recouvrer la VCNR de ses actifs au fur et à mesure qu’ils étaient amortis aux fins réglementaires;

            b)         recouvrer les montants estimatifs ou approximatifs des dépenses que l’entreprise de transmission envisageait d’engager, y compris les intérêts afférents à sa dette dans la mesure approuvée par la Commission, les impôts et d’autres montants;

            c)         gagner un rendement raisonnable sur la partie de la VCNR qui, selon la Commission, constituait les capitaux propres à cette fin.

8          LES MOTIFS JUSTIFIANT LE PAIEMENT DE LA PRIME

8.1              AltaLink a versé la prime au moins en partie pour les motifs suivants :

            a)         AltaLink s’attendait à recevoir en tant que partie intégrante des revenus annuels autorisés par la Energy and Utilities Board de l’Alberta (la « Commission ») une déduction pour impôts sur le revenu (la « déduction fiscale ») qui excéderait l’impôt sur le revenu réellement payé par ses associés;

            b)         AltaLink croyait que le rendement des capitaux propres offert par la Commission serait attrayant par rapport à d’autres placements qui étaient mis à sa disposition compte tenu des risques qu’elle était tenue d’assumer en vue de gagner ce rendement;

            c)         AltaLink s’attendait à être en mesure d’organiser ses affaires de façon à utiliser un niveau d’endettement supérieur à ce qu’avait supposé la Commission aux fins de la fixation des taux;

8.2              Dans le cadre du processus d’approbation réglementaire se rapportant à l’opération, les contribuables ont exprimé certaines préoccupations au sujet de la prime; ils craignaient notamment qu’AltaLink essaie de recouvrer la prime en augmentant les taux.

8.3              Par conséquent, AltaLink a déclaré à la Commission qu’elle pouvait justifier la prime compte tenu du fait :

            a)         qu’un plan de réglementation basée sur le rendement (« RBR ») pourrait donner lieu à un partage des avantages avec les clients, permettant d’accroître les bénéfices;

            b)         que la possibilité d’une croissance soutenue dans la base tarifaire réglementée pourrait diluer l’importance de la prime;

            c)         que l’existence de projets concurrentiels de lignes de transmission marchandes pourrait offrir des possibilités d’accroître les bénéfices et d’assurer la croissance.

AltaLink a conclu les observations qu’elle soumettait à la Commission en indiquant que ses clients étaient protégés par l’engagement qu’elle avait pris d’exclure de la base tarifaire toute partie de la prime et que sa capacité d’obtenir des rendements justifiant le paiement du prix d’achat, y compris la prime, représente un risque commercial pour ses associés.

8.4              La RBR est un type de réglementation qui, si elle est mise en œuvre, permettrait aux exploitants d’entreprises telles que l’entreprise de transmission d’obtenir des rendements additionnels par suite de la création d’efficiences permettant des économies de coûts qui seraient avantageuses pour leurs clients.

8.5              L’appelante a déclaré au consortium, au cours du processus de vente aux enchères ainsi qu’au cours de la négociation des conditions des conventions, que chacune des possibilités suivantes avait une valeur élevée :

            a)         la RBR, de l’ordre de 6 à 8 millions de dollars par année en revenus supplémentaires;

            b)         la croissance possible de la composante réglementée de l’entreprise de transmission, des dépenses en capital globales de l’ordre de 655 à 955 millions de dollars étant prévues sur une période de cinq ans;

            c)         la croissance de la composante non réglementée de l’entreprise de transmission, y compris les télécommunications (sans fil et fibres optiques), les installations de transmission non réglementées ou marchandes, les services d’ingénierie, d’approvisionnement, de gestion de la construction ainsi que les services d’exploitation et d’entretien.

9          LA DÉDUCTION FISCALE ACCORDÉE À ALTALINK

9.1              La déduction fiscale n’est généralement pas égale aux impôts sur le revenu réellement payés.

9.2              AltaLink s’attendait à obtenir une déduction fiscale supérieure aux impôts sur le revenu que ses associés paieraient par suite du report d’impôt dont bénéficiait le Régime.

9.3              La Commission a finalement refusé à AltaLink le droit de percevoir la partie de la déduction fiscale attribuable au Régime.

10        LA NOUVELLE COTISATION ET L’APPEL

10.1          Le ministre a établi une nouvelle cotisation au moyen d’un avis de nouvelle cotisation (la « nouvelle cotisation ») à l’égard de l’année d’imposition de TEC se terminant le 31 décembre 2002 en partant du principe que l’article 68 de la Loi s’appliquait en vue de réattribuer à AltaLink le produit de disposition de TEC à l’égard de la vente de son entreprise de transmission, de façon à réduire le montant que TEC attribuait à l’achalandage et aux droits fonciers, et par conséquent, à accroître le montant attribué aux biens amortissables et aux biens‑fonds.

10.2          L’appelante a fusionné avec TEC et TAU le 1er janvier 2009.

10.3          Le 17 décembre 2008, l’appelante a déposé un avis d’opposition à l’égard de la nouvelle cotisation.

[3]              L’appelante a en outre interjeté appel de la nouvelle cotisation au moyen d’un avis d’appel déposé le 18 mars 2009.

 

[4]              Il vaut la peine de reproduire plusieurs dispositions de la convention d’achat‑vente du 4 juillet 2001[1] :

 

[traduction]

 

[…]

 

2.1              Achat‑vente

 

En contrepartie du paiement au vendeur par l’acquéreur du prix d’achat et de la prise en charge par l’acquéreur des obligations prises en charge, et sous réserve des dispositions des présentes, à la date de la clôture, le vendeur cédera, transférera et remettra à l’acquéreur, et l’acquéreur acquerra du vendeur en tant qu’entreprise en activité, les actifs et l’entreprise.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

2.2              Le prix d’achat

 

(1)        Le prix d’achat à verser au vendeur par l’acquéreur (le « prix d’achat ») sera la somme des montants énoncés ci‑dessous aux alinéas 2.2(1)a) et b) :

 

a)         la valeur comptable nette réglementaire des actifs au 31 décembre 2000 (qui s’élève, comme les parties en conviennent, à 613 200 000 $) multipliée par 1,31, soit un montant de 803 300 000 $ en tout (le « prix d’achat de base »);

 

b)         un montant résultant de certains changements apportés aux actifs le 31 décembre 2000 et par la suite, lequel sera déterminé au moyen des rajustements prévus à l’article 2.3 des présentes.

 

[…]

 

            (2)        Le vendeur et l’acquéreur répartiront le prix d’achat entre les actifs conformément à l’annexe 2.2(2) des présentes; en produisant leurs déclarations de revenus respectives, l’acquéreur et le vendeur utiliseront pareille répartition du prix d’achat.

 

            […]

 

            Annexe 2.2(2)              Répartition du prix d’achat

 

Le prix d’achat déterminé en vertu de l’article 2.2 sera réparti comme suit entre les actifs :

 

a)         les actifs qui constituent les actifs à court terme se verront attribuer le montant déterminé dans le calcul du fonds de roulement prévu à l’article 2.3 à la date de la clôture;

 

b)         les actifs qui constituent des « immobilisations non amortissables » (au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu) se verront attribuer un montant de 11,3 millions de dollars;

 

c)         les actifs qui constituent des « biens amortissables » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et qui sont décrits dans la catégorie 8, annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, se verront attribuer le montant global de 15 millions de dollars et le coût pour le vendeur des ajouts à cette catégorie entre le 31 décembre 2000 et la date de la clôture;

 

d)         les actifs qui constituent des « biens amortissables » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et qui sont décrits dans la catégorie 10, à l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, se verront attribuer le montant global de 5 millions de dollars et le coût pour le vendeur des ajouts à cette catégorie entre le 31 décembre 2000 et la date de la clôture;

 

e)         les actifs qui constituent des « biens amortissables » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu et qui sont décrits dans la catégorie 1 et dans la catégorie 2, annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, se verront attribuer un montant global égal à la « valeur comptable nette réglementaire » de ces actifs à la date de la clôture, ce montant devant en outre être réparti entre les actifs de la catégorie 1 et les actifs de la catégorie 2 comme suit :

 

(i)         quant à la catégorie 1, le montant global de 304 millions de dollars plus le coût des ajouts à cette catégorie entre le 31 décembre 2000 et la date de la clôture :

 

(ii)        quant à la catégorie 2, le solde résiduel;

 

f)          le solde résiduel non réparti du prix d’achat sera attribué aux actifs qui constituent des « immobilisations admissibles » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[…]

 

ANNEXE A                GLOSSAIRE

 

[…]

 

« Actifs » L’entreprise et tous les biens corporels et incorporels (biens immeubles, biens meubles ou biens mixtes, virtuels ou non), droits, avantages, privilèges ou actifs appartenant au vendeur, à Transalta Utilities Corporation ou à l’une de leurs filiales, ou auxquels le vendeur, Transalta Utilities Corporation ou l’une de leurs filiales ont droit et utilisés exclusivement ou principalement dans l’entreprise, de quelque genre que ce soit, quelle que soit leur description, et où qu’ils soient situés, et notamment les actifs suivants :

 

            (i)         les sites et les bâtiments;

 

            (ii)        le matériel;

 

            (iii)       les droits fonciers;

 

            (iv)       les actifs à court terme;

 

(v)        le plein avantage des contrats et tous les autres contrats ou engagements auxquels le vendeur, Transalta Utilities Corporation ou l’une de leurs filiales ont droit à l’égard de l’entreprise, y compris tous les engagements à terme du vendeur, de Transalta Utilities Corporation ou de l’une de leurs filiales pour les fournitures ou le matériel, pris dans le cours usuel et ordinaire du commerce, et ce, peu importe qu’il existe des contrats écrits à cet égard; toutefois, sont exclus les contrats ou engagements d’une nature générale qui ne se rapportent pas principalement à l’entreprise;

 

(vi)       les garanties, le cas échéant;

 

(vii)      les permis;

 

(viii)      les logiciels énumérés à l’annexe 1.1a);

 

(ix)       l’achalandage de l’entreprise, et notamment :

 

A.        le droit exclusif de l’acquéreur de se présenter comme exploitant l’entreprise à titre de remplaçant du vendeur et de Transalta Utilities Corporation et le droit non exclusif d’utiliser tout terme indiquant que l’entreprise est ainsi exploitée, et

 

B.         dans la mesure où elles sont transférables, toutes les listes de clients et toutes les listes de fournisseurs de l’entreprise;

 

(x)        tous les plans et devis qui sont en la possession du vendeur, de Transalta Utilities Corporation ou de l’une de leurs filiales se rapportant principalement aux sites, aux bâtiments et au matériel, et notamment tous les dessins de construction électrique, de mécanique et de charpente structurelle y afférents qui sont en la possession du vendeur ou de Transalta Utilities Corporation;

 

(xi)       tous les documents;

 

Toutefois, sont exclus les actifs exclus.

 

[…]

 

« Entreprise » Entreprise de transmission d’électricité existante exploitée par le vendeur, par Transalta Utilities Corporation ou par une filiale pour leur compte, y compris les installations de transmission et les systèmes et services associés, en Alberta, et les services d’exploitation, d’entretien et de construction d’installations, les initiatives en matière de télécommunications, les services d’ingénierie, d’approvisionnement et de gestion et les services de transmission marchande, toutes les composantes susmentionnées devant être transférées à l’acquéreur à titre d’entreprise en activité, mais n’incluant toutefois pas les installations de génération d’énergie ou les actifs exclus;

 

[…]

 

[5]              M. Woo a expliqué le facteur 1,31 en sus de la VCNR mentionnée à l’alinéa 2.2(1)a) de la convention de la façon suivante. Il a indiqué plusieurs facteurs justifiant la prime en signalant que l’offre qu’AltaLink avait faite pour l’entreprise de Transalta comportait une section intitulée [traduction] « Plan d’entreprise », identifiant les stratégies fondamentales comme suit[2] :

 

[traduction]

 

[…]

 

Croissance

 

Le consortium envisage de continuer à encourager l’investissement de capitaux additionnels dans le développement du réseau de transmission de l’Alberta. Selon ses prévisions actuelles, le consortium envisage d’effecteur des dépenses en capital élevées au cours des cinq prochaines années en vue d’assurer l’expansion et le maintien de l’entreprise.

 

IAGC

 

Le consortium reconnaît l’expertise interne du groupe chargé des projets de transmission IAGC de Transalta. Dans le cadre de la présente opération, SNC‑Lavalin envisage d’offrir des emplois aux employés du groupe chargé des projets de transmission pour ses opérations d’ingénierie établies en Alberta.

 

[…]

 

Réglementation

 

Le consortium, poursuivant le processus que Transalta a entamé, envisage d’avoir un rôle actif dans l’établissement d’un régime de réglementation qui encourage le développement du réseau de transmission de l’Alberta. La mise en œuvre d’un régime de tarification basé sur le rendement fournira les incitations nécessaires pour attirer des capitaux additionnels en Alberta.

 

Le consortium reconnaît la contribution importante que les employés affectés à la transmission ont faite au développement de l’entreprise, qui s’est classée dans le premier quartile en Amérique du Nord sur le plan de l’efficience. La société n’a pas à restructurer l’entreprise de transmission et envisage d’offrir d’autres avantages sociaux similaires afin de conserver le personnel clé.

 

[…]

 

[6]              Cette opinion a été confirmée lors de la première audience relative aux taux d’AltaLink qui a eu lieu devant la Commission, après l’acquisition au mois de janvier 2002, au cours de laquelle AltaLink a fait valoir les points suivants[3] :

 

[traduction]

 

[…]

 

5.0       Les préoccupations liées à la prime sont un faux-fuyant

 

            Bien qu’AltaLink se soit engagée à ce qu’aucune partie de la prime ne soit incluse dans la base tarifaire, le groupe des services aux clients continue à remâcher les raisons pour lesquelles AltaLink paierait 1,3 fois la valeur comptable pour les actifs se rattachant à la transmission. AltaLink soutient que, dans la mesure où la prime n’est pas incluse dans la base tarifaire et où elle n’est pas recouvrée des clients, toute la discussion relative à la prime est un faux‑fuyant et ne suffit certes pas à susciter des préoccupations au sujet du « préjudice subi ».

 

[…]

 

Bien que la question de savoir pourquoi ou si les associés d’AltaLink estimeront qu’il convient de payer plus que la valeur comptable pour les actifs se rattachant à la transmission ne soit pas pertinente, il existe au moins trois raisons justifiant le paiement d’une telle prime :

 

·        un programme de RBR pourrait entraîner le partage d’avantages avec les clients, entraînant une augmentation des bénéfices;

 

·        la possibilité d’une croissance soutenue dans la base tarifaire réglementée « diluera » l’importance de la prime;

 

·        l’existence de projets concurrentiels de transmission marchande peut offrir des possibilités d’accroître les bénéfices et d’assurer la croissance.

 

Selon AltaLink, il n’y a rien d’odieux à payer une prime en sus de la valeur comptable des actifs se rattachant au service public. Comme la Commission le sait bien, les titulaires d’actions de services publics ont toujours payé de telles primes en achetant des actions sur les marchés de valeurs mobilières.

 

[…]

 

[7]              M. Woo a également soutenu qu’étant donné l’environnement efficient de Transalta, l’adoption d’une réglementation basée sur le rendement (« RBR ») pourrait offrir une possibilité de réaliser de 6 000 000 à 8 000 000 $. Il a également renvoyé au bulletin d’information de Transalta (qui est fondamentalement l’outil de commercialisation de la société) en vue de quantifier les possibilités de croissance de l’entreprise dans le secteur réglementé et dans le secteur non réglementé. Selon les estimations, les possibilités de croissance sur le plan de la transmission donneraient lieu à un coût en capital additionnel de 600 000 000 à 900 000 000 $. Les possibilités dans le secteur non réglementé ont été identifiées comme étant les télécommunications, la transmission marchande, les IAGC (ingénierie, approvisionnement et gestion de la construction) ainsi que le service d’exploitation et d’entretien.

 

[8]              M. Woo a expliqué certaines de ces possibilités d’une façon plus détaillée. La transmission marchande est l’entreprise non réglementée de lignes de transmission traversant des territoires, la capacité étant vendue aux taux du marché, plutôt qu’aux taux réglementés. Selon les estimations de Transalta, les dépenses en capital éventuelles seraient de plus de 3 milliards de dollars.

 

[9]              La composante IAGC comporte la construction et la gestion de lignes, préférablement dans le secteur non réglementé. L’intérêt manifesté par AltaLink dans cet élément du marché était tel que SNC, l’un des associés, a offert des emplois à 76 membres du groupe IAGC, et a de nouveau sous‑traité ces services à AltaLink aux termes d’un contrat de dix ans. Plusieurs années plus tard, lorsque le cabinet de comptables agréés Grant Thornton a soumis un rapport d’expert à l’appui de la demande d’AltaLink relative aux taux, il a été déclaré ce qui suit[4] :

 

[traduction]

 

[…]

 

Lorsque les 76 employés ont été mutés à SNC‑ATP, AML a indiqué que le transfert du risque était avantageux pour AltaLink et aucune indemnité n’a été versée. Une autre interprétation est que la mutation des employés constituait pour SNC‑ATP un actif de valeur.

 

Lorsqu’une entreprise est achetée, une valeur est habituellement attribuée à la main‑d’œuvre assemblée. La méthode d’évaluation diffère en fonction des compétences et de l’expérience de la main-d’œuvre et de la difficulté à assembler une main-d’œuvre similaire.

 

[…]

 

[10]         Le communiqué de presse d’AltaLink du mois de juillet 2001 montre jusqu’à quel point la société voyait d’un œil favorable la qualité de la main-d’œuvre qu’elle acquérait[5] :

 

[traduction]

 

[…]

 

« L’acquisition est un événement marquant pour SNC‑Lavalin, étant donné qu’il s’agit d’un investissement important en Alberta et que l’on mise sur notre expertise en matière d’ingénierie et de financement », a déclaré Pierre Anctil, vice‑président directeur, Bureau du Président, responsable de SNC‑Lavalin Investissement. « En combinant les forces de l’équipe de Transalta et notre expertise financière et technique considérable, nous sommes bien placés pour fournir des services de transmission de première qualité aux Albertains et pour satisfaire aux besoins actuels et futurs ».

 

[…]

 

« Il s’agit de notre première acquisition, et puisque nous mettons l’accent sur l’Amérique du Nord, cela placera Trans‑Elect au premier rang en tant que propriétaire indépendant d’une entreprise de transmission », a déclaré Frederick Buckman, président et PDG de Trans‑Elect. « Dans toute acquisition, ce sont les gens qui font la différence; or, les capacités et le dévouement du personnel de Transalta affecté à la transmission sont exceptionnels. C’est avec enthousiasme que nous nous joignons à l’économie et à la collectivité en Alberta. »

 

[…]

 

AltaLink intégrera les employés du secteur de la transmission de Transalta. En tant qu’élément clé de l’opération, SNC‑Lavalin intégrera l’équipe chargée des projets de transmission s’occupant de l’ingénierie, de l’approvisionnement et de la gestion de la construction (IAGC) au groupe Génie en matière d’énergie.

 

« Les avantages de cette nouvelle mise en commun de l’expertise sont doubles », a déclaré Klaus Triendl, vice‑président directeur, bureau du président responsable du groupe Énergie de SNC‑Lavalin. « Cela est avantageux pour nos nouveaux employés parce qu’ils sont associés à une affaire de classe mondiale leur permettant de mettre à profit leur expertise considérable dans les systèmes de transport d’énergie. Cette force combinée sera un chef de file mondial quant à l’expertise en matière de transport d’énergie, tout en permettant à AltaLink de continuer à fournir des services de premier ordre. Selon SNC‑Lavalin, cette nouvelle source d’énergie est la clé qui nous permettra de mieux satisfaire à une demande cruciale qui va en augmentant à l’échelle mondiale pour le genre de services que nous sommes en mesure de fournir – ingénierie, systèmes de contrôle de l’énergie, approvisionnement, construction, exploitation et formation. Il s’agit clairement d’une situation gagnant‑gagnant. »

 

[…]

 

[11]         M. Woo a également expliqué brièvement la notion de déduction fiscale présumée, selon laquelle un service public est autorisé à recouvrer les impôts prévus. L’intimée avait supposé qu’AltaLink payait la prime de 190 000 000 $ parce qu’elle s’attendait à obtenir une déduction fiscale annuelle d’environ 30 000 000 $. M. Woo a indiqué que la déduction ne s’élèvera pas au même montant que les impôts réellement payés parce que des montants différents sont en cause quant au coût en capital non amorti aux fins de la réglementation des taux, par opposition aux fins fiscales. Il n’a pas donné d’indications au sujet de la valeur de tout avantage possible pour AltaLink, mais comme nous le verrons plus clairement lorsqu’il sera question de la preuve de l’expert, la déduction fiscale n’était peut‑être pas aussi importante que ce que supposait l’intimée.

 

[12]         Enfin, M. Woo a signalé que les états financiers d’AltaLink pour les années 2002 et 2003 tels qu’ils avaient été préparés par Ernst & Young indiquaient un achalandage de 200 000 000 $ comme l’indiquaient également les états financiers de 2007 et de 2008 préparés par Deloitte & Touche.

 

[13]         En ce qui concerne les deux experts, je résumerai brièvement leurs conclusions et opinions, en commençant par Mme Glass, l’expert de KPMG citée par Transalta. Mme Glass possède une expertise en évaluation car elle a effectué énormément de travail dans l’industrie des services publics. Elle a tout d’abord parlé de la question de savoir ce qu’est l’achalandage dans l’opération Transalta‑AltaLink, et ensuite, elle a présenté une évaluation des actifs corporels nets de Transalta.

 

[14]         Avant d’examiner les conclusions que Mme Glass a tirées dans son rapport de 85 pages, il est intéressant de noter qu’elle convenait, tout comme M. Lawritsen, l’expert cité par l’intimée, que l’approche qu’un évaluateur adopte pour définir l’achalandage est ce que j’appellerai une méthode résiduelle, c’est‑à‑dire qu’il s’agit du montant par lequel le prix d’achat excède la juste valeur marchande (« JVM ») des actifs corporels : en fait, il s’agit d’un chiffre trouvé par différence. Je reviendrai plus loin sur la question.

 

[15]         En ce qui concerne l’identification de l’achalandage, Mme Glass a noté que, pour qu’il y ait achalandage, au moins l’un des facteurs suivants doit être présent : bénéfices excédentaires, rendement excédentaire ou facteurs stratégiques. Si aucun de ces facteurs n’est présent, il ne peut pas y avoir d’achalandage.

 

[16]         Mme Glass a ensuite mentionné sept facteurs qui ont probablement permis de déterminer l’achalandage dans ce cas‑ci :

 

          I.       Les bénéfices excédentaires

                   i.        la RBR;

                   ii.       la déduction fiscale.

          II.      Les rendements excédentaires

                   i.        l’effet de levier.

 

III.             Les facteurs stratégiques

i.                    les IAGC;

ii.                  la transmission marchande;

iii.                les nouveaux marchés/la croissance;

iv.               un effectif qualifié.

 

[17]         Les passages suivants sont tirés du rapport de Mme Glass :

 

[traduction]

 

Réglementation basée sur le rendement

 

[…]

 

197      Pendant la période pertinente, l’entreprise de transmission était exploitée selon un modèle traditionnel fondé sur le coût du service; l’EUB et le gouvernement de l’Alberta étudiaient toutefois activement la possibilité de mettre en œuvre un modèle de RBR. Selon ce modèle, les efficiences sont partagées entre le service public et le client, de sorte que le service public est en mesure de recouvrer un certain montant en sus de celui que le modèle fondé sur le coût du service permet de recouvrer si les coûts sont réduits sous un niveau minimal donné. Par conséquent, la RBR donnera lieu à des bénéfices excédentaires.

 

198      Le 6 octobre 2000, Transalta et un certain nombre d’intervenants ont négocié une augmentation par rapport aux conditions d’un règlement négocié pour la DTG de 2001 du service public, les parties convenant d’entamer des discussions visant à leur permettre de s’entendre sur un modèle de RBR. Les conditions du règlement négocié ont été approuvées par l’EUB dans la décision 2001‑4. À la clôture, un modèle de RBR devait être mis en œuvre dans un proche avenir.

 

199      L’offre reçue du consortium indiquait qu’un élément du plan d’entreprise d’AltaLink prévoyait qu’AltaLink aurait un rôle actif lorsqu’il s’agirait d’établir un régime de RBR. En outre, dans les observations soumises par écrit au sujet de la décision 2002‑038 de l’EUB (par laquelle l’opération était approuvée), AltaLink a indiqué que les avantages possibles associés à la RBR constituaient l’un des facteurs qui l’avaient amenée à verser une prime pour l’entreprise de transmission.

 

[…]

 

201      La possibilité de l’adoption d’un modèle de RBR offrait une occasion pour le service public de générer dans l’avenir des bénéfices excédentaires. Cela étant, toute partie de la prime se rapportant à la possibilité d’un modèle futur de RBR serait à juste titre attribuée à l’achalandage.

 

[…]

 

Déduction fiscale

 

[…]

 

133      Un modèle fondé sur le coût du service permet à un service public de recouvrer une déduction fiscale présumée. En sa qualité de société de personnes en commandite (« SPEC »), AltaLink n’était pas elle‑même assujettie à l’impôt. Par conséquent, AltaLink aurait obtenu une déduction fiscale annuelle présumée, mais elle n’aurait pas été obligée de payer les impôts correspondants. Par contre, les personnes morales qui étaient les commanditaires ultimes dans la structure d’AltaLink étaient des entités imposables, et elles étaient tenues de déclarer la part leur revenant du revenu d’AltaLink dans leurs déclarations de revenus de société. Les associés contrôlaient AltaLink et pouvaient donc bénéficier de la déduction fiscale, qui visait à compenser la dette fiscale des associés.

 

[…]

 

141      En 2003, AltaLink a déposé sa première DTG; l’une des questions soulevées dans la demande était de savoir si AltaLink avait droit à une déduction fiscale, compte tenu de son statut de SPEC. Dans la décision 2003‑061, la Commission dit ce qui suit :

 

Compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, la Commission reconnaît que les associés sont des entités imposables au Canada et elle supposera qu’il existe une attente raisonnable selon laquelle des impôts sur le revenu de l’ordre que la Commission a approuvé seront dus et payés par les associés, à l’exception de OTPPB TEP Inc.

 

142      La Commission a ensuite refusé dans une proportion de 25 p. 100 la déduction fiscale présumée, soit la part attribuable à OTPPB TEP Inc., l’entité représentant le Régime. [...]

 

a)         Cela nous amène à conclure que le Régime n’était probablement pas tenu de payer d’impôt et, par conséquent, le consortium aurait pu s’attendre à un avantage fiscal dans le cas du Régime, mais il en a été privé. […]

 

[…]

 

149      La preuve indique qu’à l’exception possible du Régime, les associés étaient des sociétés canadiennes qui payaient l’impôt sur le revenu canadien de la façon habituelle. Étant donné qu’au moins trois associés étaient assujettis au paiement de l’impôt sur le revenu gagné par le service public, la déduction fiscale présumée ne peut pas expliquer la prime dans son ensemble.

 

[…]

 

175      En résumé, à l’exception possible du Régime, les associés étaient probablement tenus de payer l’impôt sur la part leur revenant des bénéfices d’AltaLink. Par conséquent, la déduction fiscale n’expliquerait pas la prime dans son ensemble.

 

176      Dans le cas du Régime, la déduction fiscale aurait peut‑être expliqué en partie la prime. […]

 

[…]

 


L’effet de levier

 

211      L’effet de levier s’entend de la façon dont un investissement est financé, et en particulier, du pourcentage du financement par actions par rapport au financement par emprunt.

 

212      Lorsqu’il examine la structure en capital autorisée par l’organisme de réglementation, l’acquéreur préférerait un degré plus élevé de capitaux propres, étant donné que les rendements autorisés sont plus élevés pour les capitaux propres que dans le cas des emprunts. Par contre, en finançant l’acquisition, l’acquéreur préférerait avoir recours à un degré plus élevé d’endettement, étant donné le coût inférieur y afférent, en particulier s’il est tenu compte des impôts sur le revenu.

 

213      En 2002, la Commission a autorisé un financement par actions dans une proportion de 35 p. 100 et un financement par emprunt dans une proportion de 65 p. 100 aux fins de la tarification. Toutefois, le consortium aurait probablement financé l’acquisition en ayant recours à un financement par emprunt de plus de 65 p. 100. Compte tenu de la façon dont les investissements dans l’infrastructure étaient financés par les principaux acteurs à ce moment‑là, il serait raisonnable de supposer que le ratio global d’endettement aurait été d’au moins 75 p. 100, et peut‑être même de 90 p. 100.

 

214      L’examen des états financiers d’AltaLink que nous avons effectué a révélé qu’AltaLink elle‑même était financée dans une proportion de 60 p. 100 par endettement et dans une proportion de 40 p. 100 par actions. Cela étant, l’apport de capitaux propres effectué par les associés en faveur d’AltaLink aurait probablement été un emprunt additionnel financé par les associés.

 

[…]

 

220      En résumé, compte tenu de la façon dont les investissements dans l’infrastructure étaient financés en 2002, la prime payée par AltaLink se rapportait fort probablement en partie à la capacité du consortium de financer l’investissement en sus des niveaux d’endettement autorisés par l’EUB. Tout financement additionnel de ce genre aurait été effectué par d’autres qu’AltaLink – c’est‑à‑dire que les associés auraient contracté des emprunts en vue d’investir dans le capital‑actions d’AltaLink. Par conséquent, le financement additionnel n’aurait pas pu se rapporter aux actifs corporels.

 

[…]

 


IAGC

 

[…]

 

268      […] Dans la décision 2003‑061 de l’EUB [liste de documents de Transalta, no 67], la Commission a décrit ce contrat comme suit :

 

AltaLink a demandé à la Commission d’approuver un contrat exclusif d’une durée de dix ans conclu avec SNC‑ATP, une filiale de SNC‑Lavalin Inc., un associé à 50 p. 100 de la société de personnes AltaLink, en vue de la prestation de services d’ingénierie, d’approvisionnement et de gestion de la construction (IAGC) pour tous les projets d’immobilisations réalisés par AltaLink. Il s’agirait principalement des contrats d’attribution directe qu’AltaLink obtient de l’AESO, pouvant représenter des centaines de millions de dollars sur les sept prochaines années.

 

269      […] SNC aurait néanmoins été prête à payer une prime pour AltaLink étant donné que l’opération donnait lieu :

 

a)         à la possibilité de réaliser des centaines de millions de dollars au titre de revenus additionnels sur les sept années à venir, réduisant ainsi les risques futurs associés au revenu et permettant d’éviter les coûts élevés (offres, frais de commercialisation et ainsi de suite) nécessaires pour l’impartition des projets. De plus, on se serait attendu à ce que cet arriéré de revenu éventuel influe d’une façon favorable sur le prix public des actions de SNC;

 

b)         à la mutation de 76 experts hautement qualifiés auxquels SNC pourrait avoir recours afin de fournir les services prévus dans les contrats d’AltaLink ainsi qu’à d’autres fins, de sorte que SNC bénéficierait d’une expertise accrue et qu’elle éviterait les coûts et risques associés au recrutement, à l’embauchage et à la formation de nouveaux membres du personnel.

 

[...]

 

271      Bref, nous sommes d’avis que la capacité d’intégrer l’équipe chargée des projets IAGC du service public, ainsi que la possibilité de conclure un contrat exclusif de dix ans avec AltaLink, auraient représenté un avantage stratégique pour SNC.

 


La transmission marchande

 

[…]

 

273      Au cours de la période pertinente, un certain nombre de projets de transmission marchande avaient été proposés et on s’attendait à ce que ces projets acquièrent de plus en plus d’importance. La possibilité d’être en mesure de soumettre des offres pour ces projets et de les exécuter à l’aide de la main-d’œuvre qualifiée du service public aurait représenté une possibilité stratégique pour SNC et pour Trans‑Elect.

 

[…]

 

276      Il est raisonnable de conclure que SNC avait axé sa stratégie sur la transmission marchande étant donné qu’elle était partenaire d’Hydro‑Québec et qu’elle participait à la construction et à l’exploitation de la ligne de transmission marchande MurrayLink. Par conséquent, nous sommes amenés à conclure que la possibilité d’accroître son expertise par suite de l’accès à la main-d’œuvre qualifiée du service public, ainsi que l’accès accru aux possibilités offertes par le marché de l’Alberta, auraient représenté un avantage stratégique pour SNC.

 

277      SNC n’est pas l’unique associé qui avait des chances de bénéficier des projets de transmission marchande. Trans‑Elect était alors en train de mettre au point deux projets interétatiques : le Wyoming‑Colorado Intertie, une ligne de transmission TOT3 entre le Wyoming et le Colorado, et le High Plains Express, qui traversera sur une distance de 1 100 milles le Colorado et le Nouveau‑Mexique, jusqu’en Arizona. Sur son site Web, Trans‑Elect signale l’expérience et la réputation qu’elle a acquises grâce à ses projets passés et à ses partenariats avec les services publics et les gouvernements, y compris l’acquisition d’AltaLink.

 

[…]

 

283      […] nous sommes d’avis que le consortium aurait considéré le potentiel qu’offrent les projets futurs de transmission marchande comme un facteur favorable dans son analyse de l’entreprise de transmission.

 

Nouveaux marchés/Croissance

 

[…]

 

248      […] La valeur du service public comprendrait la valeur des bénéfices tirés des actifs corporels vendus par Transalta, plus la valeur des bénéfices tirés d’actifs devant être acquis. Dans un cas, cela constituerait la JVM des actifs corporels vendus par Transalta, alors que dans l’autre, cela constituerait un achalandage.

 

[…]

 

253      Comme il en a déjà fait mention dans la section intitulée : « Aperçu de l’industrie » du présent rapport, l’industrie albertaine de la transmission offrait des possibilités de croissance fort intéressantes – et nous sommes d’avis que le potentiel de croissance future, auquel vient s’ajouter la capacité de financer encore plus l’investissement par endettement, expliquaient probablement en bonne partie la prime. Les documents produits dans la présente affaire renferment maintes mentions du potentiel de croissance. Ainsi, l’offre reçue du consortium [liste des documents de Transalta, no 19, page 8] indiquait ce qui suit :

 

Le consortium envisage de continuer à encourager l’investissement de capitaux additionnels dans le développement du réseau de transmission de l’Alberta. Selon ses prévisions actuelles, le consortium envisage d’effectuer des dépenses en capital élevées au cours des cinq prochaines années en vue d’assurer l’expansion et le maintien de l’entreprise.

 

[…]

 

255      L’édition du Globe and Mail du 5 juillet 2001 renfermait un article dans lequel on citait M. Leo de Bever, vice‑président principal du Régime :

 

M. de Bever a déclaré que l’équipe d’AltaLink a rencontré hier le premier ministre Ralph Klein et Murray Smith, ministre de l’Énergie, afin d’expliquer pourquoi l’achat assurera l’expansion du système de transmission de la province [...] « Nous envisageons d’interconnecter notre réseau à l’est et à l’ouest ainsi qu’au sud, sur le marché américain », a déclaré M. de Bever. M. de Bever prévoyait qu’afin d’atteindre cet objectif, AltaLink effectuerait des dépenses en capital de 300 à 500 millions de dollars au cours des quelques années à venir.

 

Effectif qualifié

 

[…]

 

291      Toutefois, il aurait été possible d’avoir recours aux employés non seulement aux fins de l’exploitation de l’entreprise réglementée, mais aussi de l’entreprise non réglementée, et ce, de l’une de deux façons :

 

a)         directement – en mutant les employés du service public et en les intégrant à l’entreprise non réglementée d’un associé, comme c’était le cas pour l’équipe IAGC du service public;

 

b)         indirectement – au moyen du partage des connaissances entre les employés du service public et les employés des associés; en ayant accès à l’expertise des employés au moyen de rotations informelles du personnel entre le service public et les entreprises des associés, au moyen de conférences et de réunions et ainsi de suite. Nous reconnaissons que ces avantages ne peuvent pas être numériquement quantifiés et certains les jugeront peut‑être nébuleux. Toutefois, l’accès aux connaissances et à l’innovation est un actif incorporel précieux pour lequel les acquéreurs sont prêts à verser un certain montant. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, le service public se classait dans le premier quartile sur le plan du rendement quant aux coûts, à la fiabilité et à l’efficience. Dans la mesure où ce partage informel de connaissances du type décrit dans les présentes permettait aux associés d’avoir accès à de nouvelles idées ou à de nouveaux processus leur permettant de réaliser des économies de coûts, d’améliorer l’efficience ou d’améliorer les mesures de sécurité dans leurs propres entreprises, cela comporterait pour eux un avantage.

 

 

[18]         Mme Glass a conclu cette partie de son opinion en soumettant une liste d’acquisitions de services publics au cours des quelques dernières années, indiquant que des montants de l’ordre de 1 000 000 $ à près de 2 milliards de dollars étaient attribués à l’achalandage.

 

[19]         Quant à la seconde partie du rapport de Mme Glass, l’évaluation des actifs corporels nets, Mme Glass se fondait clairement sur la prémisse selon laquelle, dans un milieu réglementé, la valeur des actifs corporels devait être fixée à leur VCNR :

 

[traduction]

 

378      Dans un milieu non réglementé, la valeur comptable nette d’actifs corporels ne sera pas nécessairement égale à la JVM. Toutefois, dans un milieu réglementé tel qu’un service public, on s’attendrait à ce que la VCNR des actifs corporels soit égale à la JVM, et ce, pour deux raisons :

 

a)         les bénéfices de l’entreprise dont les taux sont réglementés sont inextricablement liés à la VCNR de ses actifs corporels. Cette situation ne ressemble pas à celle à laquelle fait face une entreprise non réglementée, où les liens qui existent entre les bénéfices et la valeur comptable nette des actifs corporels sont souvent ténus;

 

b)         dans une industrie dont les taux sont réglementés, ce sont en fait les clients qui bénéficient des avantages ou qui assument les risques économiques associés aux actifs corporels, en sus de la VCNR. Par contre, dans un milieu non réglementé, c’est l’entreprise elle‑même qui assume ces risques et qui bénéficie de ces avantages économiques.

 

[20]         En ce qui concerne l’évaluation elle‑même, parmi les trois méthodes normales d’évaluation, Mme Glass a exprimé l’avis selon lequel seule la méthode du résultat, ou dans ce cas‑ci, la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie, est sensée. Mme Glass a également reconnu que les résultats d’une analyse de l’actualisation des flux de trésorerie ne seront habituellement que légèrement différents de la VCNR. Comme on peut s’y attendre, Mme Glass a cherché à prouver son point au moyen d’une longue analyse technique de l’actualisation des flux de trésorerie qui a donné une valeur se rapprochant de la VCNR.

 

Le rapport de M. Lawritsen

 

[21]         On n’a pas demandé à M. Lawritsen, l’expert cité par l’intimée, de procéder à une évaluation des actifs corporels nets, son mandat consistant plutôt à déterminer si Transalta [traduction] « avait reçu un achalandage en tant que partie intégrante du paiement et, dans l’affirmative, combien ». Je suppose que l’on se demandait ainsi si Transalta avait reçu un montant quelconque pour l’achalandage. M. Lawritsen est un évaluateur qualifié, mais il n’a pas de longs antécédents dans l’industrie des services publics. Dans son rapport, il a conclu [traduction] « que si un montant avait été versé pour l’achalandage, il s’agissait tout au plus d’un montant modeste ». Il a mentionné à l’appui trois raisons :

 

[traduction]

 

I.          Le revenu dont dispose l’acquéreur de l’entreprise de transmission est réglementé et il est strictement lié à l’ensemble des actifs réglementés;

 

II.         La capacité de l’acquéreur de l’entreprise de transmission d’accroître la rentabilité est fort restreinte puisque, dans le processus de réglementation, les efficiences obtenues ne permettent pas des économies continues de coûts et que l’exploitant n’est pas non plus en mesure d’exiger du public des frais en sus des taux susmentionnés fixés par l’organisme de réglementation;

 

III.               À cause de la nature de l’entreprise de transmission, j’estime que les actifs se rattachant à la transmission constituent effectivement un bien productif de revenu assimilable à un bien locatif ou à une obligation.

 

[22]         En fait, M. Lawritsen était d’avis qu’AltaLink achetait simplement l’accès aux bénéfices annuels de 100 000 000 $, avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA), lesquels, dans une industrie réglementée, sont uniquement liés aux actifs corporels nets sur lesquels le taux de rendement des capitaux propres est calculé. M. Lawritsen estimait que la capacité d’améliorer la marge d’exploitation était restreinte.

 

[23]         M. Lawritsen a décrit trois types d’achalandage se rattachant aux opérations conclues sur un marché libre :

 

[traduction]

 

[…]

 

9.08     Synergies financières : Ce type de synergie se rapporte à un acquéreur ou à un type d’acquéreur particulier qui a un avantage concurrentiel quant au coût du capital. À mon avis, les synergies financières ne sont pas pertinentes dans ce cas‑ci. [...] Dans ce cas‑ci, même s’il est accepté que le coût en capital des intervenants du marché était inférieur à celui de Transalta, j’estime que les acquéreurs effectuaient un paiement pour le flux de rentrées se rattachant aux actifs corporels réglementés.

 

9.09     Synergies opérationnelles : Ces synergies se rapportent à la capacité de l’acquéreur de réaliser, après l’acquisition, des économies de coûts ou de bénéficier d’autres avantages particuliers à ses propres activités. J’estime encore une fois que les synergies opérationnelles ne sont pas pertinentes dans ce cas‑ci – la capacité de l’acquéreur d’obtenir un avantage économique en raison d’efficiences perçues est restreinte puisque l’organisme de réglementation prendra par la suite des mesures afin de réattribuer les frais d’exploitation, de façon que toute économie soit transmise au client. Cela étant, j’estime que l’achalandage attribuable aux synergies opérationnelles est minime, sinon nul.

 

9.010   Synergies stratégiques : Il peut y avoir des raisons pour lesquelles l’acquéreur considère une acquisition comme stratégique, en ce sens qu’elle assure : l’accès à de nouveaux marchés, produits, marques, expertises techniques et ainsi de suite. Comme dans le cas d’un bien productif de revenu, j’estime qu’une telle valeur se rattache aux actifs qui sont acquis. [...]

 

[24]         Contrairement à Mme Glass, M. Lawritsen n’a pas procédé à une évaluation des actifs corporels nets étant donné qu’on ne lui avait pas demandé de le faire.

 

Le point en litige

 

[25]         L’article 68 de la Loi est libellé comme suit :

 

68.       Dans le cas où il est raisonnable de considérer que le montant reçu ou à recevoir d’une personne est en partie la contrepartie de la disposition d’un bien d’un contribuable ou en partie la contrepartie de la prestation de services par un contribuable :

a)         la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de cette disposition est réputée être le produit de disposition du bien, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et la personne qui a acquis le bien à la suite de cette disposition est réputée l’acquérir pour un montant égal à cette partie;

 

[…]

 

[26]         L’énoncé de la question en litige est important dans un cas comme celui‑ci où l’article 68 de la Loi ne parle pas d’un montant représentant la JVM, ou en d’autres termes d’un montant exact, mais parle plutôt de la façon dont il est raisonnable de considérer un montant. Cela laisse nécessairement entendre qu’il vise une fourchette de montants plutôt qu’un seul montant défini. Ainsi, lorsque les évaluateurs s’entendent sur une JVM de 100 000 000 $ pour l’achalandage, cela veut‑il dire qu’il ne serait pas raisonnable de considérer un montant de 80 000 000 $ ou de 120 000 000 $ comme une contrepartie versée pour l’achalandage? Pas du tout. Mais qu’en est‑il si deux évaluateurs proposent une JVM de 60 000 000 $ et de 140 000 000 $ respectivement? S’agit‑il alors de la fourchette des montants dans laquelle il est raisonnable de considérer un montant comme une contrepartie versée pour l’achalandage? Si deux évaluateurs dignes de confiance ne sont pas du même avis, la Cour est‑elle tenue de définir une fourchette raisonnable en conséquence? Je n’en suis pas convaincu. Je soulève la question uniquement afin de confirmer mon point de vue, à savoir que, lorsque l’article 68 de la Loi parle de la façon dont il est raisonnable de considérer un montant, il ne peut pas s’agir d’arriver à un chiffre, tout autre chiffre étant ensuite jugé déraisonnable. Cela n’aurait aucun sens. Par conséquent, pourquoi cela est‑il important lorsqu’il s’agit d’énoncer la question? Supposons que je conclue que, dans ce cas‑ci, la fourchette des montants varie de zéro à 190 000 000 $. Si j’énonçais la question en me demandant s’il est raisonnable de considérer la réattribution d’une valeur nulle par le ministre comme une contrepartie versée pour l’achalandage, je devrais répondre par l’affirmative (étant donné la fourchette de montants) et l’appelante perdrait sa cause. Cependant, si j’énonce la question en me demandant s’il est raisonnable de considérer l’attribution d’un montant de 190 000 000 $ par des parties sans lien de dépendance comme une contrepartie versée pour l’achalandage, je devrais encore une fois répondre par l’affirmative (compte tenu de la fourchette de montants) et l’appelante aurait alors gain de cause.

 

[27]         L’appelante soutient que l’article 68 de la Loi se rapporte au caractère raisonnable de l’attribution effectuée par les parties, et non à la réattribution effectuée par le ministre. Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit du point de départ approprié aux fins de l’analyse. Par conséquent, la première question, dans une analyse fondée sur l’article 68, est la suivante : Est‑il raisonnable de considérer le montant que des parties sans lien de dépendance conviennent d’attribuer à un actif comme une contrepartie versée pour cet actif, et ce montant fait‑il partie de la fourchette des montants qui sont raisonnables? Dans l’affirmative, l’application de l’article 68 de la Loi n’est tout simplement pas déclenchée. Dans la négative, il convient de procéder à une réattribution.

 

[28]         Il importe de se rappeler qui décide de ce qu’il est raisonnable de considérer comme une contrepartie et du contexte dans lequel cette décision est prise. Si je demandais aux parties à la convention ou à KPMG ou aux personnes de l’industrie des services publics s’il est raisonnable de considérer le montant de 190 000 000 $ comme une contrepartie versée pour l’achalandage, elles répondraient toutes unanimement par l’affirmative. Si je posais la même question au cabinet de M. Lawritsen, Meyers Norris Penny LLP, ou à des représentants de l’Agence du revenu du Canada, ils répondraient tous unanimement par la négative. Si je posais la même question à une personne ordinaire, malgré tout le respect qui lui est dû, elle n’aurait pas la moindre idée de ce dont il s’agit. Si l’application de l’article 68 de la Loi est déclenchée, c’est au juge qu’il incombe de décider de ce qui est raisonnable. Cependant, le juge en décide en se fondant sur le fait que la détermination d’une attribution raisonnable vise à appliquer l’impôt qui convient à la vente du bien, c’est‑à‑dire qu’un actif quelconque doit être vendu à un prix donné qui sera assujetti à un certain niveau d’impôt.

 

[29]         Si nous revenons à l’énoncé de la question, s’il est conclu qu’il n’est pas raisonnable de considérer l’attribution par les parties d’un montant de 190 000 000 $ comme une contrepartie versée pour l’achalandage, que doit‑on ensuite se demander? Il ne s’agit pas de savoir s’il est raisonnable de considérer le montant que l’ARC a attribué (soit dans ce cas‑ci zéro) comme une contrepartie versée pour l’achalandage : il faut décider d’une fourchette raisonnable. Une fois cette fourchette établie, il faut accorder beaucoup de poids à la convention conclue par des parties sans lien de dépendance, et l’extrémité de la fourchette qui se rapproche le plus du montant prévu dans la convention doit l’emporter.

 

[30]          

 

[31]         Cette discussion, en ce qui concerne l’énoncé de la question dans une analyse fondée sur l’article 68, donne à entendre qu’il existe une entente au sujet des actifs qui sont vendus et que l’analyse porte sur la répartition entre ces actifs. Toutefois, en l’espèce, une partie nie l’existence même de l’actif : en effet, selon la position prise par l’intimée, l’achalandage ne faisait pas partie de l’opération étant donné qu’il n’existait tout simplement aucun achalandage que Transalta pouvait vendre. Avant qu’un montant puisse être attribué, il faut établir si, aux fins de l’impôt, l’achalandage était un actif de Transalta que celle‑ci a vendu à AltaLink.

 

[32]         Bref, les questions qui se posent dans le présent appel sont les suivantes :

 

i.        L’achalandage était‑il l’un des actifs que Transalta a vendus à AltaLink? Dans la négative, l’appel interjeté par Transalta doit être rejeté.

 

ii.       Dans l’affirmative, est‑il raisonnable de considérer le montant de 190 000 000 $ que les parties à la convention ont attribué à l’achalandage comme une contrepartie versée pour l’achalandage? Dans l’affirmative, l’appel interjeté par Transalta doit être accueilli.

 

iii.      Dans la négative, quel est le montant qu’il est raisonnable de considérer comme constituant une contrepartie versée pour l’achalandage?

 

Analyse

 

          (i)      Transalta a‑t‑elle vendu un achalandage à AltaLink?

 

[33]         J’entamerai la présente analyse en reprenant une merveilleuse description de l’achalandage, laquelle est souvent citée, tirée du jugement rendu par lord Macnaghten dans une affaire dont la Chambre des lords était saisie, The Commissioners of Inland Revenue v. Muller and Co.’s Margarine Limited[6] :

 

[traduction]

 

[…] Qu’est‑ce que l’achalandage? Il s’agit d’une chose très facile à décrire, mais très difficile à définir. Il s’agit de l’avantage que procurent la renommée, la réputation et les relations d’une entreprise. Il s’agit de la force d’attraction qui amène la clientèle. C’est une chose qui distingue une entreprise établie depuis longtemps d’une nouvelle d’entreprise qui vient d’être créée. L’achalandage d’une entreprise doit émaner d’un centre particulier ou d’une source particulière. Quelle que soit l’étendue de l’influence de l’entreprise, l’achalandage ne vaut rien à moins d’exercer un pouvoir d’attraction suffisant pour amener l’eau au moulin. L’achalandage est composé de divers éléments. Sa composition est différente d’un métier à l’autre et, dans un secteur, d’une entreprise à l’autre. Un élément peut être prépondérant dans un cas, alors qu’un autre élément l’emporte dans un autre cas. Analyser l’achalandage et le diviser dans ses parties constituantes, le réduire de la façon dont les commissaires veulent le faire jusqu’à ce qu’il ne reste que des cendres là où l’entreprise est exploitée, alors que tout le reste s’évapore, me semble aussi utile en pratique que de réduire le corps humain en diverses substances dont il serait composé. L’achalandage d’une entreprise forme un tout, et dans un cas comme celui‑ci, il faut le considérer comme un tout.

 

[…]

 

[34]         Cette définition confirme que l’achalandage n’a aucune forme déterminée : il varie d’une industrie à l’autre, d’une entreprise à l’autre. C’est une cible mobile. C’est une chose que l’on reconnaît lorsqu’on la voit. C’est une chose qui doit rendre fous les gens qui exercent des professions exactes, comme la comptabilité. Il n’est donc pas surprenant que les experts qui exercent cette profession, profondément influencés par des principes axés sur l’évaluation et l’exactitude, définissent l’achalandage comme un simple chiffre, la différence entre le prix d’achat et le montant attribué aux actifs corporels. La méthode résiduelle, approuvée par les deux experts qui ont témoigné en l’espèce, n’est pas tant une définition qu’une simple formule, soit une chose à laquelle lord Macnaghten ne songeait pas vraiment. J’hésite à adopter la définition de la valeur résiduelle comme critère juridique pour l’application de l’article 68 de la Loi. Il se peut bien qu’aux fins comptables, l’achalandage ne soit même pas vraiment un actif, mais simplement un chiffre trouvé par différence. Cela peut être avantageux sur le plan de la certitude, mais cela ne nous apprend pas grand‑chose sur la nature réelle ou même sur l’existence de l’actif. Or, aux fins de l’impôt, c’est là ce qu’il faut puisque l’achalandage est considéré comme un actif, un actif ayant une certaine valeur.

 

[35]         Les parties voulaient sans aucun doute s’entendre, et elles se sont entendues, pour que l’achalandage fasse partie de l’opération. L’achalandage était défini dans la convention d’achat‑vente et, de toute évidence, un montant élevé, en dollars, y était rattaché. L’intimée affirme que ce montant élevé, la prime, était tout simplement une augmentation du prix des actifs corporels, étant donné qu’AltaLink ne pouvait réaliser un rendement que sur ces actifs durables, puisque le rendement était réglementé dans l’industrie en fonction de ces actifs durables. Transalta rétorque qu’il existait plusieurs facteurs, à part les raisons pour lesquelles un montant plus élevé était versé pour les actifs durables, lesquels se rapportaient directement à ce qui, dans le milieu des affaires, serait considéré comme un achalandage. Je suis d’accord avec l’appelante.

 

[36]         L’appelante a affirmé que l’achalandage était constitué des éléments suivants :

 

(i)      la composante IAGC;

 

(ii)      la transmission marchande;

 

(iii)     les nouveaux marchés/la croissance;

 

(iv)     un effectif qualifié;

 

(v)     la capacité de tirer parti du nouveau régime de réglementation basée sur le rendement (« RBR »);

 

(vi)     la déduction fiscale;

 

(vii)    l’effet de levier.

 

Je reviendrai sur la question de savoir si ces éléments constituent un achalandage en examinant le caractère raisonnable de l’attribution, mais pour l’instant, uniquement afin d’établir s’il existe un achalandage, je puis facilement identifier la transmission marchande, un effectif qualifié, ainsi que la composante IAGC, comme étant carrément visés par la définition que lord Macnaghten a énoncée. Selon moi, ces facteurs influent tous directement sur la rétention et sur l’expansion d’une clientèle générant des bénéfices, et ils ne peuvent pas et ne devraient pas être considérés comme faisant partie de la valeur des actifs corporels. En outre, un effectif qualifié travaillant d’une façon efficiente permet d’accroître les bénéfices tirés de la clientèle existante, et ce, même dans une industrie réglementée. Ces facteurs représentent fort bien cet élément incorporel que Transalta avait à offrir à un acquéreur. Je conclus qu’il s’agit d’un achalandage.

 

[37]         L’intimée rétorque que pareils facteurs n’amènent pas d’eau au moulin, ce qui, selon elle, est la clé de toute définition de l’achalandage. Je ne suis pas d’accord. L’intimée soutient que l’achalandage ne peut pas résulter de bénéfices accrus générés par une clientèle existante. Pourquoi pas? L’expert de l’intimée lui‑même a reconnu dans son rapport qu’il peut y avoir des synergies opérationnelles créant un avantage économique tiré des efficiences, mais il a soutenu que la capacité de le faire dans une industrie réglementée était restreinte. Cela se rapporte à l’attribution du montant se rattachant à l’achalandage et non à l’existence même de l’achalandage : de fait, cela reconnaît l’existence de l’achalandage. Et, en fait, Transalta a réalisé des bénéfices additionnels élevés grâce à sa culture efficiente, consciente des coûts. Il s’agit de quelque chose que l’on peut apporter à la banque et d’une chose pour laquelle un acquéreur serait prêt à verser de l’argent. Il s’agit d’un achalandage.

 

[38]         Même si je retenais la thèse de l’achalandage préconisée par l’intimée, à savoir qu’il faut amener plus d’eau au moulin, une clientèle plus étendue, je conclus que le fait que Transalta s’est positionnée en vue de tirer parti de la transmission marchande et d’étendre les marchés dans l’industrie réglementée elle‑même s’insère bien dans la définition de l’achalandage qu’elle propose.

 

[39]         Dans le Black’s Law Dictionary, l’achalandage est défini comme la différence entre le prix d’achat et la valeur des actifs acquis. Cela donne à entendre que l’achalandage n’est pas en soi un actif. Les tribunaux se sont fondés sur cette définition de l’achalandage basée sur le prix résiduel (voir, par exemple, Les Placements A & N Robitaille Inc. v. The Minister of National Revenue[7] et Teleglobe Canada Inc. v. R.[8]), mais comme le montre la présente affaire, il existe une légère distinction entre la valeur attribuable à l’achalandage et la valeur attribuable aux raisons pour lesquelles un acquéreur peut verser plus d’argent pour des actifs corporels. Je ne nie pas l’utilité de la définition basée sur le prix résiduel, mais je préfère dans ce cas‑ci me fonder sur la définition que lord Macnaghten a proposée puisqu’elle vise davantage à identifier ce qui est réellement vendu en tant qu’actif.

 

[40]         La méthode résiduelle facilite sans conteste la tâche de l’évaluateur puisqu’elle exige simplement une évaluation des actifs corporels. Je préfère aborder la question en tentant de définir ce qu’AltaLink achetait exactement de Transalta étant donné qu’en l’espèce, il s’agit d’établir le produit de disposition tiré de la vente de quelque chose aux fins fiscales.

 

[41]         À l’instruction, M. Lawritsen, l’expert de l’intimée, a clairement dit qu’à son avis, il n’y avait pas d’achalandage, mais dans son rapport il a reconnu qu’un montant nominal pouvait être attribué à l’achalandage – c’est‑à‑dire qu’il reconnaît dans une certaine mesure que l’achalandage était un actif que Transalta avait à vendre. Puisque j’ai conclu à l’existence d’un achalandage, je me fonderai donc, dans le reste de la présente analyse, sur le fait que l’intimée attribue un montant d’un dollar à l’achalandage.

 

(ii)      Est‑il raisonnable de considérer un montant de 190 000 000 $ comme une contrepartie versée pour l’achalandage?

 

[42]         Selon la position prise par l’appelante, une fois qu’il est établi que les parties ont mené des négociations serrées pour arriver à l’attribution, le caractère raisonnable de l’attribution a été établi et l’intimée peut uniquement réussir à le réfuter en établissant que l’attribution était clairement ou manifestement déraisonnable. L’appelante soutient que c’est l’approche qu’il convient pour la Cour de suivre compte tenu des décisions rendues à ce jour au sujet de l’application de l’article 68 de la Loi. Il convient ici d’examiner ces décisions qui, ce qui est plutôt surprenant, ne sont pas nombreuses.

 

[43]         La décision clé portant sur l’article 68 de la Loi a été rendue en 1986 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire The Queen v. Golden[9]. Il est intéressant de noter que quatre juges ont conclu que l’article 68 de la Loi ne s’appliquait pas, alors que trois juges ont conclu qu’il s’appliquait, les sept juges convenant toutefois que la répartition effectuée par les parties dans ce cas‑là était raisonnable, même si l’appelante était arrivée à une évaluation de beaucoup inférieure au montant que les intimés avaient attribué aux biens. De plus, il importe de noter que l’arrêt Golden portait avant tout sur l’interprétation de l’article 68 de la Loi quant à son applicabilité aux biens en question et à quelque chose d’autre que les biens plutôt que sur la méthode qu’il convient d’adopter pour déclencher l’application de l’article 68 de la Loi. Avec égards, cet arrêt n’aidait pas beaucoup à établir un cadre d’analyse. Il n’y était certes pas question de « négociations serrées », quoique la Cour suprême du Canada eût clairement été d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour accorder beaucoup de poids au fait que l’entente relative à la répartition avait été conclue entre des parties sans lien de dépendance. Comme le juge Heald, de la Cour d’appel fédérale, l’a dit dans l’arrêt George Golden v. The Queen[10] :

 

[…] J’estime que la bonne façon d’aborder la détermination prévue à l’article 68 serait, selon la jurisprudence citée ci-dessus, de prendre en considération la question tant du point de vue du vendeur que de l’acheteur et de tenir compte de toutes les circonstances entourant cette opération. Lorsque, comme en l’espèce et ainsi que l’a constaté le juge de première instance, il s’agit d’une opération sans lien de dépendance et non simplement d’une simulation ou d’un subterfuge, la répartition faite par les parties dans l’accord applicable est certainement un fait important dont il faut tenir compte. […]

 

[44]         De plus, le juge en chef Thurlow, de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit :

 

[…]

 

Étant donné que l’accord a été conclu entre les parties qui n’avaient entre elles aucun lien de dépendance, et qu’il ne s’agissait pas d’une simulation ni d’un subterfuge, il me semble que, malgré la preuve de valeurs respectives sur laquelle s’est appuyé le juge de première instance, le montant qui peut raisonnablement être considéré comme étant le produit de la disposition des biens amortissables indépendamment de la forme ou de l’effet juridique du contrat, qui détermine uniquement les droits des parties inter se, était la somme de 750 000 $ pour laquelle les vendeurs ont accepté de les vendre, et l’acheteur de les acquérir.

 

[…]

 

[45]         Peu de temps après que la décision Golden a été rendue, le juge Rip a tranché l’affaire R.L. Petersen v. The Minister of National Revenue[11], dans laquelle il était question de la vente d’une garderie. En appliquant l’article 68 de la Loi, le juge Rip a fait les remarques suivantes :

 

 

[…] Lorsqu’un contrat, qui ne présente toutefois aucun signe de subterfuge ou de simulation, stipule une somme manifestement déraisonnable dans les circonstances, il est encore parfaitement loisible à la Cour de conclure que l’article 68 devrait s’appliquer pour répartir de nouveau le produit de la vente d’une manière raisonnable.

 

En l’espèce, rien n’indique, et l’intimé ne l’a même pas laissé entendre, que le contrat en question était fictif ou constituait un subterfuge.  Cependant, la somme de 45 000 $ que l’appelant attribue à l’achalandage est douteuse. L’entreprise a fonctionné à perte pendant toute son existence et rien ne laissait présager que la situation changerait de quelque façon. Les preuves on aussi montré que l’exploitation de l’entreprise et la délivrance à cette dernière d’un permis d’exploitation posaient des difficultés.

 

[…]

 

L’absence de tout fondement permettant d’établir la valeur de l’achalandage de l’entreprise vendue, encore moins une valeur de 45 000 $, combinée à l’absence de négociations entre l’acheteur et le vendeur au sujet de la répartition du prix d’achat, m’amènerait normalement à conclure que la répartition en question, dans laquelle on considère que 30 % environ du prix d’achat sont attribués à l’achalandage, est déraisonnable.

 

[…]

 

[46]         Dans les décisions antérieures à la décision Golden, il est bien fait mention de la notion de négociations serrées pour l’application de l’article 68 de la Loi. Dans la décision Dr. Harold Robbins v. The Minister of National Revenue[12], le président Cardin a résumé son approche comme suit :

 


[…]

 

Bien que le problème ait été exprimé dans des termes différents dans les diverses décisions citées par les deux avocats, la manière d’interpréter et d’appliquer l’article 68 se résume à ceci, selon l’avocat de l’appelant: pour que l’attribution d’une valeur à différents biens dans un contrat soit acceptée par le fisc et qu’elle lie les parties, celle-ci doit résulter d’un accord réciproque entre le vendeur et l’acheteur. Toutefois, pour déterminer si cette attribution provient vraiment d’une décision réciproque, les tribunaux ont adopté le concept de «l’attribution véritablement négociée résultant d’un marchandage entre les parties à l’accord». Il incombe à l’appelant d’établir que l’attribution a résulté d’un accord réciproque à la suite de négociations véritables. S’il ne parvient pas à établir cette preuve, l’attribution figurant au contrat n’est pas déterminante et, à des fins fiscales le bien-fondé de l’attribution doit être décidé d’après d’autres motifs et «sans tenir compte de la forme ou des effets juridiques du contrat ou de l’accord».

 

[…]

 

[47]         Comme il en a déjà été fait mention, je conclus que ces décisions ne font pas vraiment autorité en ce qui concerne l’approche à adopter à l’égard de l’article 68 de la Loi, quoiqu’il existe certains éléments communs sur lesquels il est possible de se fonder. En répondant à la question de savoir s’il est raisonnable de considérer le montant que les parties à une entente ont attribué à un actif comme une contrepartie versée pour l’actif, je m’inspirerai des principes suivants :

 

(i)      L’existence d’un trompe-l’œil ou d’un subterfuge donne lieu à une analyse fondée sur l’article 68, et la Cour doit déterminer une fourchette de montants raisonnables compte tenu des facteurs ci‑après énoncés :

         

          -        la nature de l’industrie, y compris les normes de l’industrie;

 

-                     la nature de l’actif;

 

-        la juste valeur marchande de l’actif;

 

-                     le contexte dans lequel s’inscrit l’opération;

 

-                     le fondement du montant attribué par l’intimée;

 

-                     tout autre facteur pertinent.

 

Si le montant attribué par l’intimée fait partie d’une fourchette raisonnable, ce montant l’emportera. Or, ce n’est pas ici le cas;

 

(ii)      Si l’appelante et l’autre partie à la convention de vente ne se sont pas entendues sur l’attribution préconisée par l’appelante, la Cour déterminera une fourchette de montants raisonnables compte tenu des facteurs énoncés ci‑dessus au sous‑alinéa (i) et elle tiendra également compte des facteurs suivants :

 

-                     l’attribution prévue par la convention, le cas échéant, et dans la négative, le fondement de l’attribution préconisée par l’appelante;

 

-                     si les parties s’étaient entendues sur l’attribution :

 

·        la question de savoir si les parties étaient des parties sans lien de dépendance;

 

·        l’égalité des positions respectives adoptées par les parties à la table des négociations.

 

Cette situation ne s’applique pas non plus à l’affaire dont je suis ici saisi, de sorte qu’il est inutile de déterminer le montant à attribuer dans la fourchette;

 

(iii)     Lorsque des parties à une convention de vente qui n’ont entre elles aucun lien de dépendance se sont entendues sur l’attribution proposée par l’appelante, la preuve de négociations réelles entre ces parties, dont les positions en matière de négociations sont relativement égales, constitue une preuve prima facie du caractère raisonnable de l’attribution;

 

(iv)     L’intimée peut uniquement contester la conclusion relative au caractère raisonnable en prouvant que le fondement de l’entente entre les parties comporte une erreur fondamentale : une divergence de vues sur la valeur ne serait pas suffisante;

 

(v)     Si l’appelante n’a pas satisfait aux exigences du principe énoncé au sous‑alinéa (iii), la Cour devra décider d’une fourchette raisonnable, et si les parties sans lien de dépendance se sont entendues sur l’attribution, le montant situé dans la fourchette se rapprochant le plus du montant dont les parties ont convenu sera le montant réattribué pour l’application de l’article 68 de la Loi. En décidant de la fourchette applicable, la Cour tiendra compte des facteurs ci‑après énoncés :

 

-                     la nature de l’actif;

 

-                     la nature de l’industrie, y compris les normes de l’industrie;

 

-                     le contexte dans lequel s’inscrit l’opération;

 

-                     la juste valeur marchande de l’actif;

 

-                     tout autre facteur pertinent.

 

Transalta et AltaLink étaient‑elles des parties sans lien de dépendance?

 

[48]         Les faits établissent clairement l’absence de lien de dépendance.

 

Les positions de Transalta et d’AltaLink en matière de négociations étaient‑elles relativement égales?

 

[49]         À coup sûr, en ce qui concerne la négociation de l’achat et de la vente dans son ensemble, Transalta et AltaLink étaient sur un pied d’égalité. Il s’agissait dans les deux cas de sociétés possédant énormément d’actifs, qui étaient en mesure de recruter des conseillers professionnels pour aider à la négociation et à la conclusion du marché. Il ne s’agissait aucunement d’un combat inégal.

 

[50]         Quant à leurs positions respectives en matière de négociations pour ce qui est de la question de l’attribution elle‑même, M. Woo a fourni certains éléments de preuve au sujet de la position de Transalta, et il a fait des conjectures au sujet de la position d’AltaLink. Les experts ont eux aussi fait des conjectures au sujet de la position d’AltaLink et, bien sûr, il y avait divergence de vues. Avant d’examiner les positions des parties, j’aimerais faire remarquer que, dans cette industrie réglementée, les ventes étaient souvent conclues à la VCNR des actifs durables, et c’est exactement ce à quoi les parties sont arrivées.

 

[51]         Il est convenu que la position de Transalta quant à l’attribution était qu’il était plus avantageux pour elle d’attribuer le montant le plus élevé possible à l’achalandage. J’ai entendu les opinions des experts au sujet de la valeur des actifs corporels, et je conclus que la position initiale de Transalta, selon laquelle un montant inférieur à la VCNR devrait être attribué aux actifs corporels, était probablement un vœu pieux. Selon AltaLink, le chiffre clé était quant à elle la VCNR, étant donné que c’était le chiffre sur lequel son rendement serait fondé. Comme on peut s’y attendre, AltaLink hésiterait à s’entendre sur tout montant inférieur à la VCNR aux fins de l’attribution d’un montant aux actifs corporels. Cependant, AltaLink se souciait‑elle de ce que tout montant en sus de la VCNR soit attribué aux actifs corporels ou à l’achalandage? Nous ne disposons d’aucune preuve directe d’un représentant d’AltaLink sur ce point et il existait une divergence de vues entre les experts. Étant donné qu’aux fins de la déduction pour amortissement les taux applicables aux actifs corporels et aux immobilisations admissibles en vertu des dispositions de la Loi étaient similaires, et puisque le montant pouvant être mis à l’abri de l’impôt était restreint, je conclus que la façon d’attribuer le montant, dans la mesure où il était supérieur à la VCNR, préoccupait peu AltaLink. Je conclus que, bien que les positions en matière de négociation eussent été égales eu égard au marché dans son ensemble, Transalta avait le gros bout du bâton quant au montant à attribuer étant donné l’indifférence manifestée par AltaLink, dans la mesure où ce montant était supérieur à la VCNR.

 

Les parties ont-elles mené des négociations « serrées »?

 

[52]         Il ressort des remarques qui précèdent que les négociations, quant à la question de l’attribution, n’ont abouti qu’à la détermination de la VCNR sans plus. D’après la description que M. Woo a faite des négociations, qui ont duré deux semaines, et compte tenu de l’examen des sommaires établis à ce moment‑là au sujet de ces négociations, il semble qu’il s’agissait d’un échange typique de vues, de marchandage, comme l’a dit M. Woo, dans le cadre d’une importante opération commerciale. L’appelante a accordé beaucoup d’importance à la notion de « négociations serrées », peu importe ce que cela veut dire. Je suppose que des « va‑et‑vient » considérables, avec des lettres rédigées en termes forts par les deux parties au sujet du point jusqu’auquel leur position particulière sur une question précise est cruciale constitueraient des négociations serrées, alors qu’une concession, à la suite d’une première demande, est peut‑être la marque de négociations floues, ou de fait d’absence de négociation, une acceptation passive pour ainsi dire. Au lieu d’essayer de définir les négociations en y ajoutant un adjectif aussi général que le mot « serrées », je préfère examiner les circonstances y afférentes (les positions des parties, l’importance du marché, la nature de la question, l’ampleur du différend, la nature des négociations, le temps consacré et ainsi de suite) et conclure si, cumulativement, ces circonstances démontrent que chaque partie s’est vue obligée avec réticence de renoncer à quelque chose afin d’arriver à un compromis.

 

[53]         J’ai procédé à un examen des négociations entre Transalta et AltaLink, et je conclus que la question du montant attribué a donné lieu à fort peu de négociations, que le montant n’était pas important dans le contexte général du marché, qu’une partie manifestait de l’indifférence et que les parties en sont venues là où la norme de l’industrie et la logique des affaires dans l’industrie réglementée les mèneraient naturellement. J’y vois peu de compromis.

 

[54]         Dans ces conditions (positions respectives en matière de négociations et négociations minimes quant au montant à attribuer), je ne suis pas convaincu que l’appelante ait présenté une preuve prima facie du caractère raisonnable. Je conclus que la Cour doit décider de la fourchette qui est raisonnable aux fins de la réattribution prévue à l’article 68.

 

[55]         Avant de traiter des facteurs qu’il faut prendre en considération pour décider d’une fourchette raisonnable, je tiens à dire clairement qu’il faut néanmoins accorder beaucoup de poids à l’entente conclue entre des parties sans lien de dépendance : eu égard aux circonstances portées à ma connaissance, l’entente à laquelle elles sont arrivées n’est tout simplement pas concluante. J’examinerai d’autres facteurs.

 

La nature de l’actif

 

[56]         J’ai conclu que l’achalandage était un actif vendu dans le cadre de l’opération. Je n’ai pas à revoir mes motifs à cet égard. Je me fonde sur une définition de l’achalandage autre que la définition basée sur le « prix résiduel », bien que cette définition soit acceptable dans les milieux comptables et, dans une certaine mesure, dans les milieux juridiques. La question que je me pose pour ce qui est de la définition basée sur le prix résiduel est qu’elle engloberait dans l’achalandage, par sa nature même, un montant qui représente en fait la raison pour laquelle l’acquéreur pourrait verser un montant plus élevé pour les actifs corporels au lieu de verser un montant pour un actif distinct, à savoir l’achalandage. Cela est important non seulement lorsqu’il s’agit de conclure s’il existe un achalandage à titre d’actif à vendre, mais aussi lorsque l’on tente d’attribuer un prix à l’achalandage. Comme il en a ci‑dessus été question, quelle que soit la définition donnée de l’achalandage, je suis prêt a conclure que l’achalandage faisait partie de l’opération ici en cause. Cependant, en tentant d’attribuer un prix à l’actif, je souscris à l’avis de l’intimée lorsqu’elle affirme qu’il faut faire une distinction entre ce qui constitue l’actif et les simples raisons pour lesquelles l’acquéreur verserait un montant plus élevé pour les actifs corporels.

 

[57]         L’intimée cite à titre d’exemple la décision R. v. Jessiman Brothers Cartage Ltd.[13]; il s’agissait d’une affaire dans laquelle une entreprise privée avait vendu un parc de camions à Postes Canada, à la suite de la décision du gouvernement de charger Postes Canada d’assurer le transport du courrier. En fait, le gouvernement avait besoin de ces camions et il était prêt à payer une « valeur d’exploitation » d’environ 91 000 $. Or, les camions avaient une valeur de reprise de 57 000 $ seulement. La cour a conclu ce qui suit :

 

13.       […] Ceci dit, j’estime non fondé l’argument selon lequel le montant en sus de la valeur d’échange a été payé pour quelque chose d’autre que les camions, pour le seul motif que le ministère des Postes avait un besoin immédiat des véhicules « tels quels » et était prêt à payer ce supplément pour satisfaire ledit besoin. […]

 

14.       Bien que son contexte soit très différent, le principal point est ici tout-à-fait analogue à celui que le président Jackett, maintenant juge en chef, a examiné dans Ottawa Valley Power Company c. M.R.N. [1969] C.T.C. 242, 69 DTC 5166. Dans cette affaire, le contribuable avait passé avec l’Hydro‑Ontario un contrat à long terme afférent à la vente d’électricité à 25 cycles. On a eu besoin d’électricité à 60 cycles. Elle a estimé qu’il lui en coûterait environ 2,5 millions de dollars pour transformer l’électricité dans ses installations alors que modifier les installations du contribuable coûterait moins de 2 millions de dollars. L’Hydro a donc effectué la modification et le contribuable a présenté une réclamation où il déclarait que les dépenses de l’Hydro afférentes à ces travaux représentaient aux fins fiscales son coût en capital et prétendu à l’appui de cette réclamation qu’il avait renoncé, en contrepartie, à sa « position de négociation ». Aux pages 5172 et suiv., le président Jackett fait remarquer:

 

                        [traduction]

 

En toute déférence, il me semble que cette prétention est basée sur une confusion. Je peux avoir une bonne « position de négociation » quand je négocie une vente ou un autre contrat, mais je ne vends pas ou ne me sers pas autrement de cette « position de négociation » comme contrepartie. Je m’en sers comme d’un moyen de persuader l’autre partie de me donner plus qu’elle ne l’aurait fait autrement pour le bien ou autre contrepartie dont je dois me départir.

 

[…]

 

16.       L’autre « élément incorporel » est le suivant : la défenderesse n’a pas seulement vendu 60 camions, elle a aussi fourni les chauffeurs, c’est-à-dire qu’en plus des camions en tant que pièces de métal, elle a vendu une entité d’exploitation pour laquelle le ministère des Postes a payé, car il lui fallait satisfaire son besoin impératif d’avoir un service ininterrompu. Cet « élément incorporel », exprimé de diverses façons, constitue la vraie position de négociation de la défenderesse, qui a amené le ministère des Postes à payer la valeur opérationnelle des camions au lieu de leur valeur marchande.

 

17.       J’en conclus donc qu’aucune partie des 91 675 $ ne peut être raisonnablement considérée comme quelque chose d’autre que les 60 camions. L’action de la demanderesse doit donc réussir.

 

[…]

 

[58]         J’interprète les remarques de la cour comme voulant dire que les motifs de l’acquéreur, en ce qui concerne l’achat, ou sa position en matière de négociations, ne constituent pas un achalandage. Postes Canada achetait simplement du vendeur des camions et rien d’autre. La situation dans ce cas‑ci n’est pas aussi simple que la vente de camions, mais je crois que ce que l’appelante qualifie d’achalandage, selon une définition basée sur la valeur résiduelle, représente en partie réellement les raisons pour lesquelles AltaLink a versé plus d’argent pour les actifs corporels.

 

[59]         Deux éléments qui, selon l’appelante, constituent de l’achalandage, représentent selon moi des motifs propres à AltaLink et n’ont rien à voir avec tout achalandage que Transalta a créé ou développé.

 

[60]         Le premier élément se rapporte à l’effet de levier qu’AltaLink pouvait obtenir en organisant ses affaires par l’entremise d’une société de personnes aux fins de l’exploitation de l’entreprise de transmission électrique. Il est inutile de décrire la notion d’effet de levier d’une façon plus détaillée que la description donnée par Mme Glass (voir la section intitulée « Effet de levier », au paragraphe 19 des présents motifs). Il s’agit uniquement de la façon dont AltaLink finançait ses activités – cela n’a rien à voir avec ce que Transalta a fait ou a créé afin de conserver ou d’accroître sa clientèle. Quant à AltaLink, il s’agit d’une raison pour laquelle elle voulait se lancer dans l’industrie réglementée. C’était la façon dont AltaLink pouvait tirer un meilleur rendement de la VCNR et non de la façon dont Transalta pouvait obtenir un meilleur rendement. Transalta ne vendait pas à AltaLink un actif particulier qui pouvait être directement lié à la capacité d’AltaLink de financer son investissement. Transalta vendait son entreprise et AltaLink pouvait organiser ses affaires en vue de retirer un avantage additionnel du rendement sur la VCNR.

 

[61]         Même selon une définition de l’achalandage basée sur le prix résiduel, le montant de la prime qui se rapporte à l’effet de levier fait‑il partie de l’achalandage en tant que partie intégrante du montant résiduel trouvé par différence? Non. La lacune, en ce qui concerne l’approche du montant trouvé par différence, est qu’elle ne reconnaît pas qu’un motif, tel que l’effet de levier, justifiant le paiement d’un montant supérieur pour une entreprise, se rattache aux actifs productifs de revenu de l’entreprise et fait plutôt partie de leur valeur. Il s’agit d’une distinction subtile, mais il s’agit néanmoins d’une distinction.

 

[62]         Pour la même raison, j’arrive à une conclusion similaire à l’égard de l’élément « déduction fiscale », qui, selon l’appelante, fait partie de l’achalandage. Encore une fois, l’examen des explications que Mme Glass a données au sujet de la déduction fiscale montre que cela n’a rien à voir avec quoi que ce soit que Transalta vendait, à part les actifs durables. Cela est en partie attribuable à la façon dont AltaLink s’était structurée. Pourquoi appellerait‑on cela un actif de Transalta, si ce n’est en ayant à s’appuyer sur la définition basée sur le prix résiduel? Cependant, je conclurais malgré tout que l’avantage que comporte la déduction fiscale se rattache aux actifs corporels plutôt qu’à autre chose.

 

[63]         Je retiens tous les autres éléments qui, selon l’appelante, constituent un achalandage. Tous ces éléments (la RBR, l’IAGC, la transmission marchande, les nouveaux marchés/la croissance, et un effectif qualifié) ont une valeur étant donné qu’ils se rattachent à ce que Transalta a créé ou développé afin de conserver ou d’étendre sa clientèle et, par conséquent, Transalta possédait quelque chose – l’achalandage – à vendre. AltaLink continuerait à exploiter cette entreprise avec succès parce que Transalta avait créé une organisation efficiente, consciente des coûts, qui prendrait de l’expansion dans le cadre d’un régime de RBR : elle avait créé des services IAGC axés sur la rentabilité tant dans un milieu réglementé que dans un milieu non réglementé; elle s’était positionnée en vue de se lancer dans le régime de transmission marchande et, de la même façon, elle s’était positionnée grâce à sa réputation et à d’autres facteurs, de façon à prendre de l’essor et à entrer sur de nouveaux marchés; elle a fait tout cela en ayant recours à un effectif compétent hautement qualifié. Tout cela était important et c’était quelque chose que Transalta avait à vendre et sans aucun doute quelque chose qu’AltaLink voulait bien acheter. C’était une chose dont la valeur était considérable.

 

La nature de l’industrie

 

[64]         J’aimerais signaler un ou deux points au sujet de l’industrie. En premier lieu, l’intimée soutient qu’il ne peut pas y avoir d’achalandage dans une industrie réglementée et, par conséquent, qu’aucune valeur ne peut être attribuée à l’achalandage. Je ne suis tout simplement pas d’accord. Transalta a démontré qu’elle peut obtenir un bénéfice supérieur à celui qui est prévu dans une industrie réglementée. Elle a démontré qu’elle peut se positionner en vue de tirer parti de possibilités futures. Elle peut se tailler une réputation. Il s’agit d’une entreprise assujettie à certaines restrictions, mais il s’agit néanmoins d’une entreprise qui, selon ce que je conclus, peut avoir un achalandage à vendre.

 

[65]         En second lieu, la preuve montre que, dans cette industrie, la vente d’actifs durables à leur VCNR est la norme. L’intimée a répondu en disant que cela ne veut pas pour autant dire que cela est correct. C’est peut‑être bien le cas, aux yeux de l’intimée, mais comme j’ai essayé de le montrer clairement, l’article 68 de la Loi ne vise pas à ce qu’un seul chiffre soit considéré comme raisonnable. Il prévoit la prise en compte de plusieurs facteurs et la détermination d’une fourchette de montants qu’il est raisonnable de considérer comme une contrepartie versée pour l’achalandage. Comment est‑il simplement possible de ne faire aucun cas de la norme de l’industrie lorsque l’on cherche à déterminer ce qui est raisonnable? Cela est impossible. Pourtant, je reconnais que la norme de l’industrie n’est pas fondée sur la détermination d’une valeur à attribuer à l’achalandage aux fins de l’impôt. De plus, il ne serait pas au mieux des intérêts de l’industrie de ne rien attribuer à l’achalandage. Tout cela revient à dire que la norme de l’industrie et le fait que les cabinets comptables professionnels ont continué à tenir compte de l’achalandage dans les livres d’AltaLink indiquent la valeur, sans pour autant être concluants.

 

Le contexte dans lequel s’inscrit l’opération

 

[66]         Le contexte dans lequel s’inscrivait l’opération n’était pas la vente isolée d’actifs durables. L’entente prévoyait fort clairement qu’il s’agissait de la vente de l’entreprise de Transalta avec tout ce que cela comportait. Il ne s’agissait pas pour AltaLink d’un nouveau début avec certaines lignes de transmission de Transalta qu’elle devait acheter et transformer en quelque chose de différent. AltaLink achetait l’expertise, les efficiences et les autres caractéristiques nébuleuses d’une entreprise qui était vendue in toto. Cela étant, il est justifié selon moi d’attribuer une valeur considérable à l’achalandage.

 

La juste valeur marchande

 

[67]         On n’a pas demandé à M. Lawritsen de procéder à une évaluation; pourtant, M. Lawritsen a certes exprimé l’opinion selon laquelle peu de valeur était rattachée à l’achalandage. On a demandé à Mme Glass de procéder à une évaluation et, en se fondant sur la méthode de la valeur résiduelle, après avoir évalué les actifs corporels, Mme Glass a conclu que l’achalandage était le montant excédentaire, soit 190 000 000 $. Il serait beaucoup trop facile de soutenir que deux évaluateurs reconnus ont nécessairement établi la fourchette de montants qui est raisonnable. Cela ne tiendrait aucun compte des préoccupations de la Cour, lorsqu’une définition contestable de l’achalandage est préconisée, et cela priverait effectivement les parties d’une audience judiciaire appropriée.

 

[68]         Lorsque, comme c’est ici le cas, des parties sans lien de dépendance se sont entendues sur une attribution, je suis d’avis que l’extrémité de la fourchette des montants raisonnables qui se rapproche le plus de cette entente véritable est le juste prix aux fins de la réattribution visée à l’article 68. Cela étant, et puisque, selon moi, l’opinion de Mme Glass, qui estimait qu’une valeur considérable était attribuable à l’achalandage, était convaincante, l’approche que j’adopterai en l’espèce consistera à me fonder au départ sur l’attribution dont les parties ont convenu et à déterminer, le cas échéant, les montants qu’il faut déduire du montant attribué afin d’arriver à l’extrémité supérieure de la fourchette des montants raisonnables. Il n’est donc pas nécessaire d’essayer d’établir l’autre extrémité de la fourchette.

 

[69]         J’ai conclu que les montants attribuables à l’effet de levier ou à la déduction fiscale, que Mme Glass a inclus dans son évaluation de l’achalandage, ne font pas partie de l’actif que Transalta avait à vendre; par conséquent, il faut déduire quelque chose du montant convenu de 190 000 000 $ afin de prendre ces montants en compte.

 

[70]         En ce qui concerne la déduction fiscale, AltaLink a peut‑être prévu un avantage supérieur à celui qu’elle a finalement obtenu, mais elle a payé le prix plus élevé en s’attendant à avoir droit à un certain montant aux fins de la déduction fiscale. L’intimée a supposé que la déduction pouvait s’élever chaque année à 30 000 000 $, ce qui expliquerait en bonne partie la prime. Mme Glass a exprimé l’avis selon lequel seule une petite partie de la prime a peut‑être été versée à cause de la déduction fiscale. À son avis, dans son calcul de la déduction fiscale, l’intimée n’a pas tenu compte du fait qu’AltaLink, la société de personnes, devait financer l’obligation des associés de payer l’impôt. Le seul avantage réel possible se rapportait à un associé, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, qui n’avait peut‑être pas à payer d’impôt. En fin de compte, en 2003, la Commission a refusé dans une proportion de 25 p. 100 la déduction fiscale présumée, soit la partie se rapportant au Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Un autre fait à prendre en compte est que, selon Mme Glass, la déduction fiscale, en 2001, s’élevait en fait à un peu moins de 20 000 000 $. Si tout cela est pris en compte, je conclus que l’avis de Mme Glass, lorsqu’elle affirme que l’avantage qu’offrait la déduction fiscale était de beaucoup inférieur à ce qu’affirme l’intimée, est plus convaincant : il correspondait au mieux à 75 p. 100 du montant annuel de 20 000 000 $, soit 15 000 000 $, à supposer encore une fois, selon Mme Glass, que les taux d’imposition baissent. Puisque les associés seraient de toute façon obligés de payer l’impôt, je conclus que la partie de la prime qu’il est raisonnable d’attribuer à la déduction fiscale est de l’ordre de 25 000 000 $ à 50 000 000 $.

 

[71]         En ce qui concerne la partie de la prime qui est attribuable à l’effet de levier, Mme Glass a reconnu que [traduction] « le consortium aurait été en mesure d’obtenir, de façon constante, un rendement plus élevé en structurant l’opération à l’aide d’un ratio d’endettement plus élevé [...] ». Mme Glass prévoyait que ce rendement possible était d’environ 2 p. 100, ce qui, comme il est intéressant de le noter, se rapproche de ce que Transalta a obtenu en sus du taux réglementé grâce à la gestion efficiente de son exploitation; un tel pourcentage représente chaque année environ 5 000 000 à 6 000 000 $. Une valeur raisonnable pour un tel avantage présumé se rattachant à l’effet de levier serait d’environ 25 000 000 $.

 

[72]         Je conclus que les montants attribuables à la prime qui ne se rapportent pas à un achalandage que Transalta vendait se situent dans une fourchette de 50 000 000 à 75 000 000 $. Ils se rapportent davantage au taux des bénéfices basé sur la VCNR des actifs corporels, et plus précisément, à la capacité d’AltaLink de tirer un rendement supérieur de ces actifs, et non à quelque chose que Transalta a fait pour conserver ou pour étendre sa clientèle, et ils sont donc à juste titre attribués à ces actifs corporels. Il ne s’agit pas d’un rejet systématique de l’évaluation des actifs corporels que Mme Glass a effectuée. Cette évaluation complexe m’a donné l’impression que certaines modifications mineures des hypothèses (par exemple des taux d’imposition) pourraient entraîner une différence de plusieurs millions de dollars. Cette évaluation laissait une certaine marge de manœuvre, permettant d’arriver à une différence de 50 millions de dollars.

 

[73]         Je conclus que l’extrémité supérieure de la fourchette des montants qu’il est raisonnable de considérer comme une contrepartie versée pour l’achalandage que Transalta vendait à AltaLink est le montant dont Transalta et AltaLink ont convenu, moins 50 000 000 $. L’appel est donc accueilli, et l’affaire est déférée au ministre pour nouvelle cotisation sur le fondement qu’un montant de 140 824 476 $ doit être attribué à l’achalandage. Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juillet 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 375

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-871(IT)G

 

INTITULÉ :                                       TRANSALTA CORPORATION

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 2, 3 et 4 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 13 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Robert D. McCue

Avocats de l’intimée :

Mes Marta E. Burns et Chang Du

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Robert D. McCue

 

                   Cabinet :                         McCarthy Tétrault LLP

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           Pièce 13, Recueil conjoint de documents.

 

[2]           Pièce 7, Recueil conjoint de documents.

 

[3]           Pièce 26, Recueil conjoint de documents.

 

[4]           Pièce 38, Recueil conjoint de documents.

 

[5]           Pièce 21, Recueil conjoint de documents.

 

[6]           [1901] A.C. 217.

 

 

[7]           96 DTC 1062 (C.C.I.).

 

[8]           2000 DTC 2493 (C.C.I.).

 

[9]           86 DTC 6138 (C.S.C.).

 

[10]          83 DTC 5138 (C.A.F.).

 

[11]          88 DTC 1040 (C.C.I.).

 

[12]          78 DTC 1669 (Commission de révision de l’impôt).

 

[13]          78 DTC 6205.

 

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