Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2007-3557(GST)G

 

 

ENTRE :

9116-0762 QUÉBEC INC. (BELLE-OR),

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 31 mars, 1er avril et 29 juin 2009,

à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Daniel Bourgeois

Avocat de l'intimée :

Me Benoît Denis

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis portant le numéro 03110101003 est daté du 7 octobre 2005, est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 116

Date : 20100311

Dossier : 2007-3557(GST)G

ENTRE :

9116-0762 QUÉBEC INC. (BELLE-OR),

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation de 949 548,21 $ établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») pour la période du 13 mai 2002 au 31 octobre 2004 (la « période visée »).

 

 

[2]              Le montant de 949 548,21 $ en question est ventilé comme suit :

 

Rajustement au calcul de la taxe nette

679 904,57 $

Pénalités

240 239,00 $

Intérêts

29 404,64 $

Total

949 548,21 $

 

 

[3]              Le rajustement au calcul de la taxe nette de l’appelante de 679 904,57 $, auquel il est fait référence au paragraphe précédent, est ventilé comme suit :

 

Taxe sur les produits et services (« TPS ») perçue et non versée

5 001,79 $

Crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») non demandés et après vérification accordés

(5 165,88 $)

CTI demandés en trop (Bijouterie Massis)

8 175,09 $

Erreur de calcul (Celi Kar)

(8,06 $)

CTI refusés pour absence de fourniture

671 901,62 $

Total

679 904,57 $

 

 

[4]              Il convient immédiatement de souligner que le présent appel ne porte que sur le refus des CTI de 671 901,62 $. Le ministre du Revenu du Québec (le « ministre ») a essentiellement refusé les CTI demandés par l’appelante au motif que la taxe à l’égard de laquelle elle a demandé des CTI a été versée à des sous‑traitants qui produisaient des factures dites de complaisance et au motif que les pièces justificatives fournies par l’appelante ne répondent pas aux exigences documentaires prescrites par la Loi et le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (le « Règlement »).

 

 

Contexte

 

[5]              Au cours de la période visée, l’appelante exploitait une entreprise de vente de bijoux en gros sous la raison sociale Bel Or. Je souligne immédiatement à cet égard que monsieur Viken Gebenlian, le président de l’appelante, a témoigné que cette dernière avait exploité une autre entreprise au cours de cette même période en ce qu’elle avait été un négociant d’or. Je note que l’appelante n’avait pas dévoilé cette activité dans son avis d’opposition, dans son avis d’appel ou encore lors de ses négociations avec les autorités fiscales, et ce, bien que cette autre activité représentait 52 % (voir pièce I-1, volume 2, page 124) du chiffre d’affaires de l’appelante en 2003 et 44 % (voir pièce I-1, volume 2, page 125) du chiffre d’affaires de l’appelante en 2004. Au cours de la période visée, l’appelante a fait affaires avec plusieurs fournisseurs. Le ministre conteste les factures établies par sept de ces fournisseurs (les « fournisseurs problématiques »). Ces sept fournisseurs problématiques sont :

 

i)                   9111-6566 Québec Inc. L’appelante demande un CTI de 39 386,17 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

ii)                 Créations Ziza Inc. (« Ziza »). L’appelante demande un CTI de 3 139,64 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

iii)               Bijouterie A.S.N. (« ASN »). L’appelante demande un CTI de 40 001,71 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

iv)               Bijouterie Massis (1988) Inc. (« Massis »). L’appelante demande un CTI de 89 937,15 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

v)                 9106‑4816 Québec Inc. exploitant une entreprise sous la raison sociale Créations Molto‑Bella (« Molto‑Bella »). L’appelante demande un CTI de 202 547,28 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

vi)               9140‑1133 Québec Inc. exploitant une entreprise sous la raison sociale Khristor Inc. (« Khristor »). L’appelante demande un CTI de 291 262,57 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur;

 

vii)             9114‑4733 Québec Inc. exploitant une entreprise sous la raison sociale Bijouterie Trésor (« Trésor »). L’appelante demande un CTI de 5 627,09 $ à l’égard des biens qu’elle aurait acquis de ce fournisseur.

 

[6]              Le ministre a reconnu l’existence juridique des fournisseurs problématiques. Le ministre a admis que ces fournisseurs avaient un numéro d’inscription aux fins du versement de la TPS et des retenues à la source. Enfin, le ministre a reconnu que les factures problématiques existaient et que l’appelante avait émis des chèques en paiement de ces factures. Toutefois, sur la base du profil de ces fournisseurs, le ministre a présumé que les pièces justificatives soumises par l’appelante étaient des factures dites de complaisance où, en apparence, une fourniture régulière avait eu lieu alors qu’en réalité aucune fourniture de biens n’avait été effectuée par les fournisseurs nommés dans ces pièces justificatives. À l’égard des fournisseurs problématiques, le ministre a présumé que :

 

i)                   ceux‑ci n’avaient pas le personnel, l’équipement, les locaux ou la capacité requis pour effectuer les fournitures que l’appelante prétend avoir acquises;

 

ii)                 l’adresse de la place d’affaires de ces fournisseurs correspond généralement à un immeuble résidentiel ou à un local commercial sans aucun lien avec la fabrication ou la distribution de bijoux;

 

iii)               ces fournisseurs ne tenaient généralement aucune comptabilité et ne faisaient pas de déclarations de taxe nette;

 

iv)               ces fournisseurs font partie d’un réseau de production de factures de complaisance qui a pour but de permettre à des inscrits, comme l’appelante, d’obtenir des CTI auxquels ils n’ont pas droit.

 

[7]              Il convient aussi de souligner que le ministre a allégué, dans la Réponse à l’avis d’appel, avoir constaté, dans le calcul de sa vérification, que :

 

i)                    les déclarations de taxe nette de l’appelante sont généralement créditrices, ce qui est incompatible avec le type d’entreprise qu’exploite l’appelante dont les fournitures ne sont effectuées qu’au Canada;

 

ii)                   l’appelante procède à un nombre anormalement élevé de transactions qui ne génèrent que des bénéfices minimes ou des pertes;

 

iii)                 l’appelante prétend effectuer le paiement de certaines factures en or alors que ses inventaires ne lui permettent pas d’effectuer de tels paiements;

 

iv)                 l’appelante prétend effectuer un nombre anormalement élevé de fournitures de rebus d’or;

 

 

Points en litige

 

[8]              La première question à trancher est de savoir si l’appelante a le droit d’obtenir un CTI de 671 901,61 $ dans le calcul de sa taxe nette pour la période visée. À titre de question sous-jacente, la Cour devra déterminer :

 

i)                   si l’appelante a véritablement acquis les fournitures pour lesquelles elle a demandé un CTI de 671 901,61 $ dans le calcul de sa taxe nette;

 

ii)                 si les factures prétendument établies par les fournisseurs de l’appelante répondent aux exigences prescrites par le Règlement.

 

La seconde question à trancher est de savoir si le ministre était fondé d’imposer à l’appelante la pénalité prévue à l’article 285 de la Loi.

 

Analyse et conclusion

 

[9]              L’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, nous enseigne que le ministre se fonde sur des présomptions pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les présomptions formulées par ce dernier est imposée au contribuable. Ce dernier s’acquitte du fardeau initial s’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées par le ministre. Enfin, lorsque le contribuable s’est acquitté de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par le contribuable et prouver les présomptions. Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire. Dans Stewart c. M.N.R., [2000] A.C.I. no 53, le juge Cain enseigne qu’« [u]ne preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. » Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale est venu préciser à cet égard, dans l’arrêt Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, au paragraphe 20, que « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable ». La Cour d’appel fédérale a aussi précisé dans ce même arrêt que c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comment elle le fait et pas autrement. [. . .] Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle ». Par conséquent, l’appelante en l’espèce devait démontrer au moyen d’une preuve prima facie qu’elle avait réellement acheté des fournitures d’or des fournisseurs problématiques. À cet égard, l’appelante soutient avoir démoli les présomptions du ministre, à l’effet qu’elle n'avait acquis aucune fourniture d’or de fournisseurs problématiques, en produisant en preuve les témoignages crédibles et non contredits de son président et des dirigeants des fournisseurs en question.

 

[10]         Dans la présente affaire, monsieur Haroutian Dakessian (le dirigeant de Trésor), monsieur Yessai Kratchenian (le dirigeant de 9111‑6566 Québec inc.), monsieur Hrikor Tufenkjian (le dirigeant de Tiza), monsieur Avedis Karadjian (le dirigeant de ASN), monsieur Vatche Hititian (le dirigeant de Molto-Bella et de Khristor) et monsieur Viken Gebenlian ont témoigné à l’appui de la position de l’appelante.

 

[11]         Je souligne immédiatement que je n’ai accordé aucune valeur probante au témoignage de ces dirigeants notamment parce que les sociétés qu’ils dirigeaient étaient sans exception de grands délinquants fiscaux. La propension de ces sociétés à se soustraire à leurs obligations fiscales était pour le moins effroyable.

 

[12]         Ainsi, à l’égard de la société Molto-Bella, la preuve a notamment révélé :

 

i)                   que pour la période du 1er juin 2003 au 17 mai 2004 (date à laquelle elle a fait cession de ses biens), elle n’avait fait et produit aucune déclaration de taxe nette, et ce, bien qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 28 606 716 $ pendant cette même période;

 

ii)                 qu’elle n’avait tenu aucune comptabilité. Madame Marina Raposo, la vérificatrice qui a fait la vérification de la société Molto‑Bella pour la période concernée, a témoigné qu’elle avait dû reconstituer les ventes de la société Molto‑Bella à partir de factures qu’elle avait retrouvées chez les clients de cette dernière qui faisaient aussi l’objet d’une vérification. Par ailleurs, madame Raposo a expliqué qu’elle n'avait retracé que quelques factures d’achat;

 

iii)               que le montant de taxe nette cotisé et impayé pour cette période est de 17 741 026 $.

 

[13]         À l’égard de la société Khristor, la preuve a révélé :

 

i)                   qu’elle avait commencé ses activités le 23 mars 2004, soit quelques jours avant que la société Molto‑Bella (dont le dirigeant était aussi monsieur Hititian) ne fasse cession de ses biens;

 

ii)                 qu’elle avait fait cession de ses biens le 31 mai 2006;

 

iii)               qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 24 299 807 $ au cours de son exercice financier se terminant le 28 février 2005;

 

iv)               qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 24 034 408 $ au cours de son exercice financier se terminant le 28 février 2006;

 

v)                 qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 591 609 $ pour la période allant du 1er mars 2006 au 31 mai 2006;

 

vi)               qu’elle n’avait jamais fait et produit de déclarations de taxe nette;

 

vii)             qu’elle n’avait jamais versé la TPS perçue;

 

viii)           que plusieurs documents (factures d’achats, bordereaux de dépôt et talons de chèques) n’avaient pas été fournis à madame Raposo.

 

[14]         À l’égard de la société Trésor, la preuve a révélé :

 

i)                   que, pour la période du mois d’avril 2003 au 31 mars 2004, elle avait omis de verser des montants substantiels de TPS perçus. Ainsi, le ministre a établi à l’égard de la société Trésor une cotisation de 658 620,26 $ (montant de la taxe nette) qui n’a jamais été payée;

 

ii)                 que, depuis le 31 mars 2004, elle n’avait jamais produit de déclaration de taxe nette, et ce, bien qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 33 683 721 $, dont 21 335 328 $ à la société Khristor;

 

iii)               qu’elle n’avait tenu aucune comptabilité;

 

iv)               que ses factures d’achat étaient manquantes;

 

v)                 que la plupart des relevés bancaires étaient manquants;

 

vi)               que le montant de taxe nette cotisé et impayé pour la période du mois d’avril 2004 au 4 février 2005 est de 2 499 000 $;

 

vii)             que, d’avril 2004 au 17 mai 2004, la société Trésor avait acheté des fournitures d’or pour la somme de 4 753 705 $ auprès de la société Molto‑Bella dont le dirigeant était alors monsieur Hititian. Pendant cette même période, la société Trésor avait vendu des fournitures d’or pour la somme de 871 000 $ à la société Khristor dont le dirigeant était aussi monsieur Hititian.

 

[15]         À l’égard de la société Massis, la preuve a révélé :

 

i)                   que, du 1er janvier 2003 au 8 mai 2004, elle n’avait pas produit de déclaration de taxe nette et elle n’avait pas tenu de comptabilité, bien qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 25 603 078 $ pendant cette même période;

 

ii)                 que toutes les factures d’achats, tous les bordereaux de dépôt et tous les talons de chèques étaient manquants;

 

iii)               qu’elle avait fait cession de ses biens le 7 mai 2004;

 

iv)               que la taxe perçue et non déclarée pour la période du 1er janvier 2003 au 8 mai 2004 est de 1 792 742 $. Je souligne que ce montant demeure impayé;

 

v)                 que la société 9141 7220 Québec Inc. (dont le président est le même que celui de la société Massis), qui est aussi un grossiste en bijoux, avait débuté l’exploitation de son entreprise une semaine avant que la société Massis ne fasse faillite.

 

[16]         À l’égard de la société ASN, la preuve a notamment révélé que :

 

i)                   d’avril 2004 à mai 2005, elle n’avait pas produit de déclaration de taxe nette bien qu’elle avait effectué des fournitures taxables de 9 250 485 $ pendant cette même période. Il convient de souligner que le chiffre de vente avait été établi par madame Raposo à partir de factures retrouvées chez les clients de la société ASN (clients qui faisaient aussi l’objet d’une vérification) puisqu’elle n’avait pu obtenir de cette dernière ses factures de ventes de cette même période;

 

ii)                 le montant de taxe nette cotisé et impayé pour la période du 1er mai 2001 au 31 décembre 2005 est de 1 977 178 $;

 

iii)               la société 9141-2882 (dont le président est le même que celui de la société ASN) exploite une entreprise depuis le 1er juin 2004 et n’a jamais produit de déclaration de taxe nette.

 

[17]         À l’égard de la société Ziza, la preuve a révélé que :

 

i)                   monsieur Anthony Starnino (le vérificateur de l’Agence qui a procédé à la vérification de la société Ziza) n’avait pu obtenir de cette dernière aucun document lié à ses activités pour la période du 13 février 2002 au 31 mars 2003, et ce, nonobstant la signification d’une demande péremptoire de les produire;

 

ii)                 monsieur Starnino avait établi le chiffre des ventes à partir des factures retrouvées chez des clients de Ziza qui faisaient aussi l’objet de vérification de la part du ministre. Monsieur Starnino a établi que Ziza avait effectué des fournitures taxables pour la somme de 4 423 000 $ pendant cette période;

 

iii)               le montant de taxe nette cotisé (et toujours impayé par Ziza pour cette période) est de 823 239 $.

 

[18]         À l’égard de la société 9111‑6566 Québec Inc., la preuve a révélé :

 

i)                   que pendant la période du 1er janvier 2002 au 28 février 2003, elle n’avait produit qu’une déclaration trimestrielle;

 

ii)                 qu’elle n’avait jamais produit de déclaration de revenus;

 

iii)               qu’elle n’avait tenu aucune comptabilité;

 

iv)               que monsieur Starnino n’avait pu obtenir de la société 9111‑6566 Québec Inc. les factures d’achats et de ventes que pour la période allant du 1er février 2002 au 30 novembre 2002;

 

v)                 que le montant de taxe nette cotisé et toujours impayé pour cette période est de 166 545 $.

 

[19]         J’ajouterai que les réponses de ces cinq dirigeants étaient généralement vagues, imprécises et ambiguës et souvent incompréhensibles. Non seulement leurs réponses étaient généralement vagues et imprécises, mais elles étaient parfois contradictoires. Ainsi, la très grande majorité de ces dirigeants a témoigné que leurs sociétés avaient produit leurs déclarations de taxe nette, témoignages qui furent contredits par les témoignages très crédibles de madame Raposo et de monsieur Starnino. Plusieurs de ces dirigeants ont affirmé que leurs sociétés avaient fait faillite parce que le ministre avait refusé de leur accorder les CTI qu’ils avaient demandés. Ces explications ne tiennent tout simplement pas la route compte tenu que ces mêmes sociétés n’avaient même pas produit de déclarations de taxe nette. Certains de ces dirigeants ne se souvenaient même pas du nom des fournisseurs des sociétés qu’ils avaient dirigées et de leur chiffre d’affaires. Ainsi, monsieur Tufenkjian a affirmé que le chiffre d’affaires de la société Ziza se situait entre 500 000 $ et 600 000 $ en 2002 (voir les notes sténographiques du 1er avril 2009, pages 115 et suivantes). À cet égard, la preuve a révélé que le chiffre d’affaires de la société se situait plutôt entre 4 et 6 millions de dollars. Par ailleurs, monsieur Hititian (le dirigeant de Khristor et de Molto‑Bella) a affirmé que le chiffre d’affaires de la société Khristor pour son exercice se terminant le 28 juin 2005 se situait à environ 10 millions de dollars (voir les notes sténographiques du 1er avril 2009, pages 179 et 180). À cet égard, la preuve a révélé que ce chiffre d’affaires se situait plutôt aux alentours de 24 millions de dollars. Enfin, monsieur Dakessian a affirmé que le chiffre d’affaires de la société Trésor se situait entre 2 et 5 millions de dollars pour l’année 2004 (voir les notes sténographiques du 1er avril 2009, pages 52 à 54). La preuve a révélé que ce chiffre d’affaires se situait à environ 33 millions de dollars. Certes, le fait que ces événements soient survenus il y a plusieurs années peut expliquer certaines imprécisions ou certains trous de mémoire de ces dirigeants, mais de là à faire de telles erreurs quant aux chiffres d’affaires des sociétés qu’ils avaient dirigées, il y a une limite. Pour toutes ces raisons, j’ai accordé peu de valeur probante aux témoignages de ces dirigeants.

 

[20]         À mon avis, il est aussi très difficile d’accorder quelque valeur probante au témoignage de monsieur Gebenlian, notamment pour les raisons suivantes :

 

i)                   d’abord, lors de son témoignage, monsieur Gebenlian s’est évertué à nous expliquer qu’une grande partie des bijoux achetés avait été vendue sous forme de rebuts d’or. Autrement dit, monsieur Gebenlian nous a expliqué qu’une des principales activités de l’appelante avait consisté à spéculer sur le prix de l’or. À cet égard, la preuve (voir pièce I-1, volume 1, pages 124 et 125) a révélé que 48 % et 56 % des bijoux achetés par l’appelante avaient été vendus sous forme de bijoux sur mesure à des bijoutiers détaillants en 2003 et 2004, respectivement, le solde des bijoux achetés ayant été vendus sous forme de rebuts d’or à un prix habituellement égal au poids de ces bijoux exprimé en onces multiplié par le cours sur le marché d’une once d’or la journée de la vente. Pourtant, monsieur Gebenlian avait déclaré à madame Raposo dès le début de la vérification à l’égard des activités de l’appelante que « parfois les bijoux commandés n’étaient pas toujours vendus au complet, il les vendait alors sous forme de rebuts, même en étant à perte) » (voir pièce I-1, volume 1, page 7, du rapport de la vérification). D’ailleurs, l’appelante n’a-t-elle pas indiqué elle-même dans son avis d’appel qu’elle « opérait une bijouterie dont les activités étaient la distribution de bijoux en gros, à savoir la confection de bijoux sur mesure »?

 

ii)                 Monsieur Gebenlian a allégué à plusieurs reprises lors de son témoignage que tous les stocks de bijoux achetés par l’appelante pendant la période visée avaient été vendus la journée même ou au plus tard dans les deux jours de leur acquisition. Les propos suivants de monsieur Gebenlian méritent d’être cités :

 

[758]    Q.     Une facture comme celle-là, vous avez acheté pour quelque 30 000 $...

 

            R.      Oui.

 

[759]    Q.     ... un peu plus de 30 000 $ taxes incluses...

 

            R.      33 000 $.

 

[760]    Q.     ... tous ces bijoux-là ça vous prend combien de temps avant de les écouler, de tous les vendre?

 

            R.      Comme je vous ai mentionné ce matin, peut-être la même journée, peut-être deux jours, mais je ne peux pas vous dire ça. Ça se peut que des fois, demie de ces bijoux-là je peux vendre avec un autre cinq kilos, ça, ça peut rester pour un ou deux jours.

 

[761]    Q.     Est-ce que vous pouvez rester avec ça en stock pendant un mois?

 

            R.      C'est impossible, un mois, parce que je fais faillite, parce que je dois vendre. Ça c'est une des raisons aussi, je ne peux pas attendre, je n'ai pas la capacité d'attendre plus que deux, trois, quatre jours, n'importe quoi.

 

[762]    Q.     Donc, grosso modo, un bijou acheté un lundi, un lot de bijoux acheté...

 

            LA COUR :      En moyenne est vendu quatre jours après.

 

            R.      En moyenne, dans quelques jours qui suivent...

 

[763]    Q.     ... le vendredi il n'en reste plus?

 

            R.      Ça doit être vendu, oui.

 

[764]    Q.     Soit à d'autres bijoutiers, soit à d'autres grossistes ou en scrap gold?

 

            R.      Exactement.

 

 

Je souligne que la plupart des dirigeants des fournisseurs problématiques ont aussi confirmé lors de leur témoignage ce modus operandi en ce que, tout comme l’appelante, ils revendaient presqu’immédiatement les lots de bijoux qu’ils achetaient. Toutefois, il ressort des états financiers de l’appelante (voir pièce I-1, volume 1, pages 149 à 152) qu’elle n’avait pu disposer de ce stock de bijoux achetés dans un délai aussi court. En effet, il ressort de ces états financiers que le taux de rotation des stocks de l’appelante (le Dictionnaire  de la comptabilité et de la gestion financière, 2e édition, produit par monsieur Louis Ménard, FCA et ses collaborateurs, définit le taux de rotation des stocks comme étant : Ratio d’activité indiquant le nombre moyen de fois où les stocks se renouvellent au cours d’une période et permettant d’apprécier le niveau des stocks par rapport aux sorties, consommations ou ventes de stocks, ainsi que l’efficience avec laquelle la direction gère les stocks et leur écoulement. Le ratio de rotation des stocks correspond au quotient obtenu en divisant les sorties, consommations ou ventes d’un article, d’une famille d’articles ou de l’ensemble des articles, par le stock physique moyen correspondant. Les deux termes de ce ratio doivent être exprimés sur la même base soit en quantité, soit en valeur d’achat, cette dernière base étant généralement la plus employée. Il est fréquent que, faute de mieux, on substitue au stock physique moyen le stock à un moment donné (fin de mois, fin d’exercice, etc.); dans ce cas, il est préférable de parler de ratio ponctuel de rotation des stocks.) était de 28,83 pour son exercice financier 2003 (soit le quotient obtenu en divisant le coût des ventes, en l’espèce 1 926 976 $, par l’inventaire moyen, en l’espèce 77 606 $) et de 16,50 pour son exercice financier 2004 (soit le quotient obtenu en divisant le coût des ventes, en l’espèce 3 791 059 $, par l’inventaire moyen, en l’espèce 229 657 $). Compte tenu du fait que l’appelante exploitait probablement son entreprise environ 260 jours par exercice financier, on peut donc affirmer qu’il lui fallait en moyenne 9,01 jours ouvrables en 2003 pour écouler son stock (soit le quotient obtenu en divisant le nombre de jours ouvrables, en l’espèce 260, par le taux de rotation du stock pour la période concernée, en l’espèce 28,83) et 15,75 jours ouvrables en 2004. De plus, on peut aussi affirmer que, si le temps d’écoulement des stocks de l’appelante était de 1 à 3 jours comme l’allègue monsieur Gebenlian, l’inventaire moyen de cette dernière en 2003 aurait dû se situer entre 7 411 $ et 22 233 $ plutôt qu’à 77 606 $ selon les états financiers et l’inventaire moyen de cette dernière en 2004 aurait dû se situer autour de 43 742 $ plutôt qu’à 229 657 $ selon les états financiers. Je souligne que monsieur Gebenlian n’a pas été en mesure d’expliquer ces grandes distorsions à l’égard du temps d’écoulement des stocks entre ses allégations et les états financiers de l’appelante. Ce n’est certainement pas en fournissant une preuve aussi contradictoire sur un point aussi fondamental que l’appelante pouvait espérer me convaincre qu’elle avait présenté une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées par le ministre.

 

[21]         J’ajouterai que l’analyse et les conclusions de madame Raposo, (voir pièce I‑1, volume 1, page 10 de son rapport de vérification) à l’effet qu’il était plus que probable que, pendant la période de mai 2004 à octobre 2004, la société Khristor n’aurait pas pu vendre à l’appelante des stocks d’or à hauteur de 3 262 524 $, n’a fait qu’ajouter à mes doutes sur l’acquisition réelle par cette dernière de fournitures pour lesquelles elle avait demandé un CTI de 671 901,61 $ dans le calcul de sa taxe nette. Et que dire des deux factures établies par la société Trésor (voir pièce 1‑1, volume 3, pages 657 et 660) le 17 septembre 2004 et le 17 novembre 2004? Je note que ces deux factures sont tout à fait identiques (même description, mêmes modalités de paiement et même prix de vente) sauf qu’elles avaient été établies à un mois d’intervalle. Quelles sont les probabilités que le prix de l’or ait été le même le 17 septembre 2004 et le 17 novembre 2004? Le dépôt en preuve de ces deux factures ne pouvait qu’ajouter à mes doutes quant à la véritable acquisition par l’appelante de fournitures pour lesquelles elle a demandé un CTI de 671 901,61 $ dans le calcul de sa taxe nette. De plus, il m’apparaît invraisemblable que l’appelante ait eu réellement une activité liée à la spéculation sur le prix de l’or compte tenu qu’elle pouvait difficilement en tirer un profit en achetant des stocks de bijoux à un prix qui comprenait notamment des coûts de main-d’oeuvre pour les fabriquer et en les revendant presqu’immédiatement après les avoir achetés, et ce, à un prix établi uniquement à partir de la valeur de l’or sur le marché à la date de la vente.

 

[22]         À mon avis, l’appelante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial qui consistait à présenter au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées par le ministre. La preuve présentée par l’appelante reposait essentiellement sur les témoignages de monsieur Gebenlian et de cinq dirigeants de fournisseurs problématiques, témoignages qui ne m’ont tout simplement pas paru crédibles. Compte tenu de mes conclusions, il ne m’apparaît pas utile d’examiner le deuxième point en litige, à savoir si les factures établies par les fournisseurs problématiques répondent aux exigences prescrites par le Règlement.

 

[23]         Il convient maintenant de répondre à la question suivante : est-ce que le ministre s’est acquitté du fardeau qui repose sur lui en vertu de l’article 285 de la Loi? Puisque je suis persuadé que l’appelante n’a pas véritablement acquis les fournitures pour lesquelles elle a demandé 761 901,61 $ en CTI dans le calcul de sa taxe nette, le ministre s’est acquitté du fardeau de la preuve qui reposait sur lui aux termes de l’article 285 de la Loi.

 

[24]         Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 116

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3557(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              9116-0762 QUÉBEC INC. (BELLE-OR) ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 les 31 mars, 1er avril et 29 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 11 mars 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Daniel Bourgeois

Avocat de l'intimée :

Me Benoît Denis

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Daniel Bourgeois

                 Cabinet :                           De Grandpré Chait s.e.n.c.r.l.

                                                          Montréal, Québec

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.