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Citation : 2010 CCI 364

Date : 20100702

Dossier : 2002-3842(IT)G

ENTRE :

JAMES GRENON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Miller

  • [1] L’appelant, M. Grenon, présente une requête en vue d’obtenir une ordonnance :

(i)  obligeant la Couronne à fournir des réponses à des questions ayant fait l’objet d’une objection;

(ii)  obligeant la Couronne à faire comparaître un représentant bien informé en vue d’interrogatoires préalables complémentaires;

(iii)  donnant des conseils et des directives quant à la portée de la communication préalable dans le cadre du présent appel.

  • [2] L’appel de M. Grenon concerne le refus, par le ministre du Revenu national (le « ministre »), de la déduction de frais juridiques élevés que M. Grenon a supportés dans le cadre d’un litige concernant une pension alimentaire pour enfants. Le ministre est d’avis que ces frais sont des dépenses personnelles de l’appelant et qu’ils n’ont pas été engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») fait donc en sorte que la déduction est refusée. Le principal argument de M. Grenon est le suivant : si les frais juridiques ne peuvent pas être déduits en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, il s’ensuit que cet alinéa viole son droit à la même protection de la loi et au même traitement par la loi, aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

  • [3] À l’appui de son argument fondé sur la Charte, M. Grenon se fonde dans une large mesure sur les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (les « Lignes directrices »). Dans son troisième avis d’appel modifié, à la section des observations, M. Grenon indique [1]  :

[traduction
[…]

25.  Les Lignes directrices sont un facteur contextuel de premier plan dans la discrimination systémique que l’on exerce contre les hommes dans le domaine du droit familial. Les Lignes directrices ont créé une inégalité inhérente entre les femmes, à titre de bénéficiaires de pensions alimentaires, et les hommes, à titre de parents payeurs de pensions alimentaires, ce qui soumet les hommes à un effet discriminatoire inconstitutionnel. Cet effet inconstitutionnel découle d’une violation du droit de l’appelant (et de tous les parents payeurs d’une pension alimentaire, dont la très grande majorité sont des hommes) à la même protection et au même bénéfice de la loi, ainsi que l’exigent le paragraphe 15(1) et l’article 28 de la Charte. Les lacunes des Lignes directrices de la Loi sur le divorce qui sont la cause de ce traitement inégal ainsi que de cette discrimination inconstitutionnelle comprennent les suivantes :

a)  l’omission de mettre en œuvre le principe énoncé à l’article 26.1 de la Loi sur le divorce selon lequel les époux ont l’obligation financière conjointe de subvenir aux besoins de leurs enfants, en mettant uniquement l’accent sur le revenu du parent payeur et en ne tenant pas compte de manière adéquate, voire en faisant abstraction, des circonstances financières du parent bénéficiaire;

b)  le fait de mettre arbitrairement l’accent sur le revenu du parent payeur lors de l’évaluation de la pension alimentaire pour enfants sans évaluer de manière réelle ou raisonnable les besoins ou le coût véritable des enfants et, de ce fait, l’omission d’établir pour l’application des Lignes directrices un fondement économique véritable;

c)  l’omission de tenir compte adéquatement, voire le fait de faire abstraction, des coûts liés au fait d’avoir la garde d’enfants moins de 40 % du temps, ce qui a pour effet que le conjoint bénéficiaire n’est pas tenu de supporter une part quelconque de ces coûts. Le fait d’appliquer uniquement aux parents payeurs des présomptions factuelles contraignantes ainsi que des exigences en matière de divulgation d’informations financières représente une inégalité de traitement additionnelle;

d)  l’application d’une formule linéaire injustement simpliste, rattachée au revenu après impôt des parents payeurs, et le fait de ne pas reconnaître que le coût réel de l’éducation des enfants n’augmente pas proportionnellement à mesure qu’augmente le revenu;

e)  le fait de causer, entre le parent payeur et le parent bénéficiaire, un transfert injustifié de richesse destiné à égaliser le revenu du ménage, par opposition aux objectifs déclarés et légitimes qui se rattachent au soutien financier conjoint des enfants;

f)  le fait de prescrire arbitrairement que le parent qui n’a pas la garde des enfants (dans les cas où la garde équivaut à moins de 40 % du temps) soit le parent payeur, alors que les circonstances financières peuvent indiquer que c’est le contraire qu’il faudrait ordonner;

g)  tout détail supplémentaire ou d’autre nature susceptible d’être prouvé à l’audition du présent appel.

[…]

  • [4] M. Grenon laisse ensuite entendre que le gouvernement du Canada exerce une discrimination systémique :

[traduction

26.  L’appelant soutient que la discrimination ici décrite que crée la Loi découle d’autres mesures de traitement inégales et discriminatoires à l’endroit des hommes et des pères dans le domaine du droit du divorce, et les renforce, y compris le fait que :

a.  le gouvernement fédéral a expressément adopté une politique consistant à promouvoir les intérêts juridiques, sociaux, économiques et politiques des femmes, ce qui inclut des consultations informelles et formelles entre le ministère fédéral de la Justice et l’agence fédérale Condition féminine Canada, mais sans adopter une politique semblable à l’égard des hommes;

b.  le gouvernement fédéral contribue, par du financement et par sa participation, à des séances d’information ex parte privées à l’intention des juges, dont ceux qui instruisent les affaires de divorce, des séances qui font la promotion des intérêts juridiques, sociaux, économiques et politiques des femmes, mais qui ne traitent pas de manière égale des intérêts des hommes;

c.  le gouvernement fédéral comporte un poste de cabinet de secrétaire d’État, de pair avec une bureaucratie et un budget concomitants ayant pour mandat de promouvoir les intérêts juridiques, sociaux, économiques et politiques des femmes; pourtant, aucun membre du cabinet n’est investi du même mandat pour les hommes;

c.1  le gouvernement fédéral finance des organismes non gouvernementaux qui font la promotion des intérêts juridiques, sociaux, économiques et politiques des femmes, mais il ne finance toutefois pas, ou du moins pas à un niveau équivalent, des groupes faisant la promotion de ces mêmes intérêts pour les hommes;

d.  selon une publication du ministère fédéral de la Justice, à la suite d’une action en divorce, les femmes obtiennent la garde exclusive des enfants dans 78,5 % des cas. Les pères n’obtiennent la garde exclusive que dans 8,8 % des cas, et la garde partagée (dans le cadre de laquelle un enfant passe au moins 40 % du temps avec chacun des parents) dans 6,7 % des cas seulement;

e.  selon une publication du ministère fédéral de la Justice, les hommes paient une pension alimentaire pour enfants dans 92,8 % des affaires soumises à un tribunal;

e.1  le ministre a également considéré que les bénéficiaires d’une pension alimentaire pour conjoint ont le droit de déduire les frais juridiques engagés relativement à cette pension alimentaire, mais que ceux qui la paient n’y ont pas droit. Selon une publication du ministère fédéral de la Justice, les hommes sont les payeurs d’une pension alimentaire pour conjoint dans 98,7 % des cas où l’on ordonne une telle mesure à l’égard des couples ayant des enfants, et, dans le cas des couples sans enfants, les hommes sont les payeurs dans la grande majorité des cas où une pension alimentaire pour conjoint doit être payée;

h.  le gouvernement fédéral a participé à l’élaboration de nombreuses lois et de nombreux programmes d’application de la loi concernant l’exécution des paiements de pension alimentaire pour enfants, mais non l’exécution de l’accès aux enfants qu’un tribunal accorde, par voie d’ordonnance, à un parent qui n’en a pas la garde.

  • [5] Dans sa réponse au troisième avis d’appel modifié, l’intimée indique [2]  :

[traduction

13  Il soutient par ailleurs que les articles 3, 6, 9 et 18 et le paragraphe 248(1) ne font pas de distinction formelle entre l’appelant et d’autres personnes en fonction d’une ou plusieurs caractéristiques personnelles et n’omettent pas de prendre en compte la prétendue situation défavorisée de l’appelant au sein de la société canadienne, situation qui donnerait lieu à un traitement nettement différent entre l’appelant et d’autres personnes en fonction d’une ou plusieurs caractéristiques personnelles. Subsidiairement, il est par ailleurs allégué que l’appelant ne subit aucune différence de traitement pour l’application du paragraphe 15(1) de la Charte.

  • [6] L’intimée a fait comparaître un agent des appels, M. Peturson, en vue d’un interrogatoire préalable. L’agente des appels qui avait examiné l’objection de M. Grenon, ainsi que son chef d’équipe, n’étaient plus au service de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »). M. Peturson a passé en revue les actes de procédure, les dossiers de l’ARC, de même que les documents produits par chacune des parties. Dans un affidavit étayant la réponse de l’intimée à la requête de l’appelant, M. Peturson indique que le ministre ne s’est pas fondé sur les Lignes directrices pour refuser à M. Grenon la déduction de frais juridiques.

  • [7] À l’interrogatoire préalable, plusieurs questions ont été posées à M. Peturson relativement aux Lignes directrices. Il s’agit là des questions auxquelles M. Grenon souhaite obliger l’intimée à répondre. Elles sont jointes ci-après en tant qu’annexe A.

  • [8] Dans l’affidavit qu’il a produit à l’appui de la requête, M. Grenon a désigné Mme Giliberti et Mme Brazeau comme étant les principales auteures du rapport et des recommandations de 1995 sur les pensions alimentaires pour enfants du Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille, lesquels, selon M. Grenon, constituent le fondement des Lignes directrices. M. Grenon a également nommé Mme McRae, à titre de coprésidente du Comité fédéral sur le droit de la famille en 2001. Ces trois personnes sont au service du gouvernement du Canada, et M. Grenon souhaite que l’une d’elles comparaisse à un interrogatoire préalable en vue de répondre aux questions portant sur les Lignes directrices

La requête visant à obliger à répondre aux questions

  • [9] Il ressort clairement d’un examen des questions soumises que ces dernières sont toutes liées à l’élaboration, à l’exhaustivité et au caractère adéquat des Lignes directrices. S’agit-il de questions pertinentes aux termes de l’article 95 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), qui prescrit qu’une personne « répond, soit au mieux de sa connaissance directe, soit des renseignements qu’elle tient pour véridiques, aux questions pertinentes à une question en litige »? L’appelant interprète de manière large et libérale la portée de l’interrogatoire et répond par l’affirmative à cette question. L’intimée se concentre sur l’obligation selon laquelle la question doit être pertinente à une question en litige au vu des actes de procédure et elle soutient que ce n’est pas le cas des questions posées.

  • [10] L’intimée établit une distinction entre les faits pertinents qui sont allégués dans les actes de procédure et les arguments qui y sont avancés ou les observations qui y sont faites, concluant que l’appelant ne peut pas alléguer des faits dans sa propre argumentation pour ensuite interroger l’intimée sur de tels faits. À cet égard, l’appelant a fait référence à la décision Xu c. La Reine [3] , où le juge Mogan a déclaré :

13.  Je radierai l’alinéa 17 de la réponse parce que, sous le titre [traduction] « Dispositions législatives et moyens invoqués », l’intimée ne devrait pas alléguer un fait nouveau ou avancer un nouvel argument fondé sur un fait qui n’a pas été allégué antérieurement.

  • [11] L’intimée fait valoir que cela est particulièrement le cas lorsque les questions sont sans rapport avec la question en litige, soit la constitutionnalité de l’alinéa 18(1)a) de la Loi. Dans sa décision du 9 juin 2006 portant sur une requête de M. Grenon, le juge Beaubier a déclaré :

[traduction

1.  Les avis et les directives concernant la compétence de la Cour à l’égard de la constitutionnalité des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. On répond à cela en disant que, dans le présent appel, qui porte sur une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), la Cour peut se prononcer sur les questions que touche cette cotisation en vertu de la Loi. Mais , en soi, les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (les « Lignes directrices ») excèdent la compétence de la Cour, telle qu’elle est énoncée dans la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

  • [12] L’intimée, aux paragraphes 18 et 19 de ses observations écrites, résume sa position :

[traduction

18.  C’est dans ce contexte que doit être examiné le troisième  avis d’appel modifié de l’appelant. Les paragraphes 16 à 26 de la partie « Observations de l’appelant » du troisième avis d’appel modifié ne donnent pas lieu à des allégations de faits pertinents susceptibles de faire l’objet d’un interrogatoire. La teneur de ces paragraphes n’a pas été plaidée en tant que faits pertinents, et on n’y a donc pas répondu en tant que faits dans la réponse au troisième avis d’appel modifié. Ces paragraphes ne représentent que les arguments que le demandeur a l’intention d’invoquer à l’audition de l’appel, et ils ne sont pas de la nature d’allégations de fait.

19.  Comme en témoignent la décision de la Cour canadienne de l’impôt et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants ne sont pas en litige devant la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre du présent appel. L’avis de l’appelant selon lequel ses arguments concernant ces Lignes directrices sont pertinents à l’égard d’une interprétation de l’alinéa 18(1)a) de la Loi et de l’article 15 de la Charte n’a pas pour effet de transformer ce qui ne sont par ailleurs que de simples arguments pour en faire des faits pertinents ou des points en litige devant la Cour canadienne de l’impôt, ces derniers n’ayant pas été invoqués par ailleurs.

  • [13] L’avocat de M. Grenon accorde peu d’importance à la place des faits dans les actes de procédure, et laisse entendre que, si j’arrive à la conclusion qu’il a causé un manquement technique quelconque en incluant les faits énoncés au paragraphe 26 du troisième avis d’appel modifié dans la mauvaise section des actes de procédure, il demandera simplement qu’on l’autorise à modifier ces derniers. Ceci étant dit avec égards, l’avocat fait peu de cas de la manière de structurer les actes de procédure. Et l’appelant, dans ses propres observations, a reconnu que, lorsqu’une partie s’oppose à une question pour cause de pertinence, la partie interrogée doit convaincre la Cour que les informations qu’elle cherche à obtenir peuvent être pertinentes à l’égard d’un fait en litige. Les lacunes des Lignes directrices, auxquelles l’appelant fait référence dans la partie « observations » du troisième avis d’appel modifié, ne sont tout simplement pas des faits en litige. Il s’agit de l’opinion de l’appelant sur les Lignes directrices qu’il soulève dans son argumentation. Les Lignes directrices elles-mêmes sont un fait. L’opinion qu’a l’appelant de ces dernières ne l’est pas, et elle n’est pas pertinente pour répondre à la question de savoir si l’alinéa 18(1)a) est discriminatoire à l’endroit des hommes.

  • [14] L’avocat de l’appelant a laissé entendre que, si je me prononce contre lui dans le cadre de la présente requête, je fais essentiellement obstacle à la contestation constitutionnelle de son client. J’ai été déçu de le voir adopter un tel point de vue. La question de la déductibilité des frais juridiques dans un litige en matière de paiement de pension alimentaire est importante. Il est certes facile de comprendre pourquoi une partie peut estimer qu’il est inégal ou injuste qu’elle, qui paie la pension alimentaire, ne puisse pas déduire des frais juridiques, alors que l’autre partie a le droit de le faire. On ne m’a toutefois pas persuadé que l’étendue de l’interrogatoire que souhaite obtenir l’appelant est le genre d’examen approfondi qu’envisagent les Règles ni, pour dire les choses franchement, qu’il est nécessaire de le faire pour étayer un argument complet, fondé sur la Charte, quant à la question de savoir si l’alinéa 18(1)a) de la Loi contrevient à l’article 15 de la Charte.

  • [15] Plusieurs affaires ont récemment fourni aux justiciables et à la Cour quelques indications sur la portée des interrogatoires. Certes, une grande latitude est acceptable, mais il y a des limites. Je reconnais que, dans le contexte d’un argument fondé sur la Charte, les tribunaux doivent examiner de manière large les facteurs contextuels : l’appelant sous-entend qu’en l’espèce ces facteurs comprennent le désavantage préexistant, les stéréotypes, les préjudices ou la vulnérabilité auxquels sont confrontés les hommes en tant que payeurs d’une pension alimentaire pour enfants. L’appelant tente d’établir un lien direct entre ces facteurs et le rôle que jouent les Lignes directrices dans les conflits juridiques entourant la pension alimentaire, ce qui dénote, selon lui, qu’il est nécessaire d’examiner en profondeur le fondement même des Lignes directrices. Je ne suis pas de cet avis. Cette démarche va plus loin que le fait de fournir un contexte aux litiges entourant l’alinéa 18(1)a) et, en fait, elle met en jeu la constitutionnalité des Lignes directrices, ce qui est exactement l’effet contre lequel le juge Beaubier s’est prononcé.

  • [16] Les Lignes directrices sont effectivement un facteur, mais pas leur création et leur élaboration. Autrement dit, il s’agit d’un contexte important dans la présente affaire, qui met en cause une contestation de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, pour comprendre si les Lignes directrices ont un effet discriminatoire dans l’application de cette disposition de la Loi. C ’est donc dire, par exemple, que la question no 16, qui demande si la Couronne accepte que, dans 92,8 % des cas, les hommes sont les payeurs d’une pension alimentaire pour enfants, est appropriée à cet égard. La Couronne a pris cette question en délibéré et elle n’est pas contestée.

  • [17] L’appelant semble vouloir approfondir la question de savoir si les Lignes directrices ont été créées dans le but d’avoir un effet discriminatoire sur les hommes ou, à tout le moins, si elles ont été élaborées de façon inadéquate. Or, il ne s’agit pas là de la question qui est en litige. L’appelant, en fournissant un contexte, devra peut-être établir qu’il existait un désavantage préexistant pour les hommes par suite de l’application des Lignes directrices, et non à cause de leur élaboration inadéquate.

  • [18] Au paragraphe 26 des observations jointes à son troisième avis d’appel modifié, l’appelant soutient que la discrimination que crée l’alinéa 18(1)a) de la Loi découle du traitement discriminatoire que l’on fait subir aux hommes dans le domaine du droit du divorce en général, et il cite ensuite divers facteurs, tels que les politiques gouvernementales faisant la promotion des femmes et non des hommes, les activités de formation destinées aux juges qui font la promotion des droits des femmes et non de ceux des hommes, ainsi que les fonds qu’octroie le gouvernement à des organismes de promotion des femmes. Vu la manière dont l’appelant aborde les interrogatoires préalables concernant le paragraphe 25 du troisième avis d’appel modifié, je m’inquiète sérieusement de la direction qu’il pourrait prendre en ce qui concerne le paragraphe 26. Il s’agit là d’un exercice visant à prouver que le gouvernement du Canada fait preuve de discrimination systémique à l’endroit des hommes. Du strict point de vue du bon sens, je ne vois pas en quoi le fait d’ouvrir si grand la porte, même au stade des interrogatoires préalables, mènera au contexte nécessaire pour contester l’alinéa 18(1)a) de la Loi en se fondant sur la Charte, relativement à la déduction de frais juridiques.

  • [19] Il est important de garder à l’esprit que l’alinéa 18(1)a) de la Loi n’est pas une disposition qui se rapporte expressément aux frais juridiques, et encore moins aux frais que l’on supporte dans un litige en droit de la famille. Il s’agit d’une restriction prépondérante quant à la déduction de paiements qui ne sont pas effectués dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Il importe aussi de signaler que la Cour a interprété cette disposition (voir l’arrêt Nadeau c. Canada [4] de la Cour d’appel fédérale) de manière à refuser la déduction à un homme dont la situation était semblable à celle de l’appelant.

  • [20] Je considère que l’appelant souhaite faire valoir par sa théorie selon laquelle la manière dont la Cour a interprété jusqu’ici l’alinéa 18(1)a) de la Loi, c’est-à-dire refuser la déduction de frais juridiques aux hommes payeurs de pension alimentaire, renforce une politique gouvernementale de discrimination à l’endroit des hommes. Selon l’appelant, il est donc nécessaire, dans le cadre de la présente contestation fondée sur la Charte, de fournir le contexte dans lequel s’inscrit cette politique discriminatoire prépondérante de façon à pouvoir démontrer le désavantage préexistant. Je ne suis pas d’accord. Pour que ce soit pertinent à l’égard d’une contestation de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, il doit y avoir un lien quelconque entre cette présumée politique et cette disposition de la Loi. Il devrait s’agir d’une question de droit, et non de politique, et il devrait être question du contexte qui entoure l’application de cette loi particulière. Une attaque globale contre une politique gouvernementale dans le domaine du droit de la famille dépasse de loin le cadre de la présente contestation, et je suis d’avis qu’on se lancerait dans une recherche à l’aveuglette inutile si l’on permettait de poser des questions sur les politiques gouvernementales en matière de financement, de formation des juges, etc. J’espère que ces commentaires serviront de guide aux parties pour le reste des interrogatoires préalables.

La requête en vue de faire comparaître un représentant bien informé

  • [21] Je souscris à l’observation de l’intimée selon laquelle le désaccord entre les parties quant à la possibilité de poser des questions sur les Lignes directrices est en réalité le différend qui se situe au cœur même de la présente requête, et pas nécessairement la compétence de M. Peturson en tant que représentant de la Couronne approprié. Eu égard à ma conclusion selon laquelle il n’est pas pertinent de faire droit aux interrogatoires préalables que l’appelant souhaite obtenir concernant les Lignes directrices, il y a donc lieu de rejeter la demande de ce dernier pour faire comparaître des représentants de la Couronne qui seraient au fait de l’élaboration des Lignes directrices. Vu cette conclusion, il est inutile que j’examine les raisons indiquées dans la décision Simser  c. Canada [5] pour ordonner la comparution d’un différent représentant de la Couronne.

  • [22] La requête est rejetée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juillet 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 



Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mai 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE A

[traduction

ENGAGEMENT NO 22

S’enquérir auprès du ministère de la Justice et trouver dans tous les documents que l’on a conservés du Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille des informations concernant l’élaboration des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, la mesure dans laquelle ce concept a été pris en considération, relativement à la position de Martin Browning selon laquelle les frais relatifs à la pension alimentaire pour enfants n’étaient pas linéaires.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 23

Produire le ou les documents concernant expressément le fait de confier ce mandat au Comité sur le droit de la famille (CDF).
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 24

Indiquer pourquoi l’évaluation ou l’inclusion de la section « Situations familiales ultérieures » n’a pas été incluse dans les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants
(Objection).

ENGAGEMENT NO 25

Indiquer pourquoi cette prise en considération des conjoints ultérieurs n’a pas été incluse dans les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 26

Indiquer pourquoi cette question particulière des frais associés au parent n’ayant pas la garde des enfants n’a pas été traitée dans les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et, si c’est le cas, dans quelle mesure.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 27

Indiquer dans quelle mesure les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants tiennent compte des coûts non pécuniaires que supportent les parents ayant la garde des enfants.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 28

Indiquer pourquoi il n’a pas été question de l’âge des enfants, relativement aux ordonnances alimentaires au profit des enfants, dans les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 29

Indiquer pourquoi le gouvernement fédéral n’a pas entrepris une étude nationale visant à déterminer le coût des enfants, et produire tous documents entourant la décision de ne procéder à aucune forme d’étude sur le coût réel des enfants.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 30

Produire les procès-verbaux pouvant exister sur les délibérations du Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille, relativement à l’élaboration des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 31

Fournir les trois propositions mentionnées à la page 3 qu’ont reçues les économistes nommés dans la note de bas de page no 1.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 32

Indiquer quel est le document du ministère de la Justice auquel il est fait référence dans ce paragraphe 4 du document 38. De plus, fournir les documents qu’auraient pu recevoir les consultants auprès desquels le ministère de la Justice a demandé des avis, ainsi que toute analyse additionnelle de ces avis par le ministère de la Justice.
(Objection
)

ENGAGEMENT NO 33

Fournir tous les documents concernant le point auquel vous avez fait référence et qui se trouve en la possession de la Couronne, et préciser si le Comité du droit de la famille a réalisé une analyse connexe quelconque.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 34

Fournir les documents d’information de base concernant l’analyse de ce modèle et d’autres relativement à la question de la linéarité.
(Objection.
)

ENGAGEMENT NO 35

Indiquer de quelles informations la Couronne disposait pour élaborer les Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et qui donnaient à penser que les coûts des enfants demeurent constants durant toute leur vie ou durant leur enfance.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 36

Indiquer quelles informations ou analyses existent sur cette question et produire tous les documents écrits qui se rapportent à cette question.
(Objection.)

ENGAGEMENT NO 37

Indiquer si la Couronne a procédé à une analyse sur la proportionnalité des coûts des enfants par rapport aux revenus. Et, dans l’affirmative, produire en outre toutes les analyses ou tous les documents connexes, y compris les avis d’expert fournis à la Couronne sur cette question.
(Objection.)

************

 

 


RÉFÉRENCE :  2010 CCI 364

 

 

No DE DOSSIER DE LA COUR :  2002-3842(IT)G

 

 

INTITULÉ :  JAMES GRENON et

  SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :  Edmonton (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 18 juin 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :  Le 28 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Ronald J. Robinson

Avocate de l’intimée :

Me Belinda Schmid

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Pour l’appelant :

 

  Nom :  Me Ronald J. Robinson

 

  Cabinet :

 

  Pour l’intimée :  Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada

 



[1]   Onglet C, mémoire de l’appelant.

[2]   Onglet D, mémoire de l’appelant.

[3]   2006 CCI 695.

[4]   [2003] A.C.F. no 1611.

[5]   [2002] A.C.I. no 432.

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