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Dossier : 2008-1251(IT)G

ENTRE :

STEPHEN STOW,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 2 décembre 2009, à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Douglas H. Mathew

Me Terry Gill

Avocates de l’intimée :

Me Lynn M. Burch

Me Lisa McDonald

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

Conformément aux motifs du jugement modifié ci-joints, l’appel interjeté de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est accueilli avec dépens, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en partant du principe que :

 

1. l’appelant a droit à la perte de société de personnes qu’il a déduite pour l’année d’imposition 2003, parce qu’il était membre d’une société de personnes valide qui a été créée le 18 décembre 2003 et que l’attribution de ladite perte effectuée par le ministre du Revenu national au titre de l’article 103 n’était pas justifiée;

 

2. l’appelant a droit à une déduction de 16 000 $ au titre des frais de garde d’enfants;

 

3. en ce qui concerne l’année d’imposition 2003, l’appelant n’a pas tiré un revenu d’entreprise de 754 787 $ de la disposition des actions de 360networks.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifié remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 3 août 2010.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’octobre 2010.

 

 

 

 

« G.A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2011.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 406

Date : 20101006

Dossier : 2008-1251(IT)G

ENTRE :

STEPHEN STOW,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉ

 

Le juge Sheridan

 

[1]     Le présent appel portait à l’origine sur plusieurs questions visant les années d’imposition 1999 à 2006 de l’appelant. Cependant, à l’audience, l’avocat a fait savoir à la Cour que les seules questions encore en litige étaient le droit de l’appelant à une déduction d’environ 6 millions de dollars au titre de sa part d’une perte de la société de personnes Seaview Trading Partnership ainsi qu’à la déduction de certains frais de garde d’enfants pour 2003. Les parties ont convenu que la question du droit de l’appelant à une déduction de frais de garde d’enfants serait décidée en fonction de celle de la société de personnes. En conséquence, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits et certains extraits des interrogatoires préalables concernant uniquement la question de la société de personnes.

 


[2]     Voici le texte de l’exposé conjoint des faits (partiel) :

 

[traduction]

 

Les parties admettent les faits suivants uniquement aux fins des présents appels et de tout autre appel les concernant. Elles conviennent également de l’authenticité des documents mentionnés à l’annexe « A » ci-jointe et consentent à leur admission en preuve uniquement aux fins des présents appels et de tout autre appel les concernant. Les parties peuvent toutes les deux produire d’autres éléments de preuve qui concernent les présents appels et qui ne sont pas incompatibles avec les faits énoncés dans le présent exposé et dans les documents qui y sont joints.

 

1.         Seaview Venture Sdn. BHD (« Venture ») et Ethical Equity Sdn. Bhd. (« Ethical ») sont des sociétés malaises appartenant à l’épouse de l’appelant (« l’épouse »).

 

2.         Sur les conseils d’un résident de la Malaisie, David Crichton-Watt (« M. Watt »), ami de l’appelant et d’elle-même, l’épouse a décidé en 2003 que Venture et Ethical formeraient une société en nom collectif sous le nom de Seaview Trading Partnership (Bermudes) (la « société de personnes ») [NOTE 1 : L’expression « société de personnes » est utilisée dans le présent exposé conjoint des faits (partiel) uniquement par souci de commodité à titre d’abréviation du nom Seaview Trading Partnership (Bermudes) et l’intimée n’admet pas pour autant que l’entité respecte ou respectait la définition juridique de la société de personnes, laquelle question sera décidée par ailleurs en fonction des actes de procédure et de la preuve] pour exploiter une entreprise spécialisée dans les opérations d’achat et de vente de marchandises, d’options, de contrats à terme et d’autres produits dérivés.

 

3.         L’épouse ne prenait pas part aux opérations commerciales et n’avait aucune expérience ou compétence spécialisée dans ce domaine.

 

4.         À l’époque pertinente, M. Watt était directeur et administrateur de Venture.

 

5.         À l’époque pertinente, Hue See Leng, un associé de M. Watt, était directeur et administrateur d’Ethical.

 

6.         Un contrat de société n’a été signé et enregistré aux Bermudes que le 3 octobre 2003 (le « contrat de société ») (voir l’onglet 1 du recueil conjoint de documents).

 

7.         Avant le 18 décembre 2003, Venture et Ethical avaient fourni un apport en capital total d’environ 8,5 millions de dollars canadiens à la société de personnes. Voir les onglets 4 et 5 du recueil conjoint de documents.

 

8.         Venture et Ethical détenaient respectivement une participation de 80 p. 100 et de 20 p. 100 dans la société de personnes.

 

9.         L’exercice financier de la société de personnes prenait fin le 31 décembre.

 

10.       Le contrat de société stipulait que les profits et les pertes devaient être attribués aux personnes qui étaient associées à la fin de chaque exercice financier de la société de personnes en fonction de la proportion de leurs comptes de capital.

 

11.       Le 18 décembre 2003, environ deux semaines avant la fin de l’exercice financier de la société de personnes, l’appelant a acheté la participation de 80 p. 100 que Venture détenait dans la société de personnes au coût de 1 063 664 $CAN. Voir les onglets 13 et 14 du recueil conjoint de documents.

 

12.       Lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation de Venture dans la société de personnes, la valeur comptable nette de celle-ci s’élevait à environ 957 714 $, de sorte que la valeur comptable nette de la participation que l’appelant a acquise de Venture s’établissait à environ 766 171 $. Voir l’onglet 3 du recueil conjoint de documents.

 

13.       L’appelant a signé les documents suivants dans le cadre de l’acquisition de la participation que détenait Venture dans la société de personnes : Partnership Interest Transfer Agreement (contrat de transfert de la participation dans la société de personnes), Assignment of Partnership Interest (cession de la participation dans la société de personnes) et Agreement to be Bound (acceptation). Voir les onglets 7, 8 et 9 du recueil conjoint de documents.

 

14.       Lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation que Venture détenait dans la société de personnes, il savait que celle-ci avait des pertes non réalisées de 7 547 810 $ (la « perte ») pour l’exercice financier 2003. Voir les onglets 4 et 5 du recueil conjoint de documents.

 

15.       La perte découlait d’opérations sur change qui avaient été conclues entre le 10 octobre 2003 et le 8 décembre 2003 et dont la date de règlement avait été fixée au 19 décembre 2003. Voir la copie des fiches d’ordre à l’onglet 2 du recueil conjoint de documents.

 

16.       La société de personnes n’a conclu aucune nouvelle opération entre le 8 décembre 2003 et le 31 décembre 2003.

 

17.       Le 31 décembre 2003, la perte a été attribuée à l’appelant et à Ethical selon des proportions respectives de 80 p. 100 et de 20 p. 100.

 

18.       En 2003, l’appelant a déclaré un montant de 6 038 248 $ au titre de perte de la société de personnes.

 

19.       À l’époque pertinente, Alistair MacDonald, de Triathlon Ltd., qui résidait aux Bermudes, était directeur de la société de personnes.

 

20.       La société de personnes a retenu les services de Victor Adair, un courtier de Vancouver, qui travaillait chez Refco Futures (Canada) Ltd., pour exécuter des opérations pour son compte.

 

21.       Le 26 mars 2004, Zen Capital & Mergers Ltd. (« Zen »), une société qui résidait au Canada et qui était liée à l’appelant, a acheté la participation de 20 p. 100 qu’Ethical détenait dans la société de personnes, de sorte que celle-ci est alors devenue une « société de personnes canadienne » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

22.       Zen appartient en propriété exclusive à l’appelant.

 

23.       L’épouse a signé l’acceptation et la cession de la participation dans la société de personnes à titre d’administratrice de celle-ci afin de permettre l’acquisition de Zen. Voir les onglets 10 et 11 du recueil conjoint de documents.

 

24.       L’appelant a signé le contrat de transfert de la participation dans la société de personnes pour le compte de Zen. Voir l’onglet 12 du recueil conjoint de documents.

 

25.       Au cours des années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007, la société de personnes a subi des pertes nettes sur opérations boursières s’élevant respectivement à 131 996 $, à 28 659 $, à 2 070,31 $ et à 1 740 $. Voir les onglets 29, 30, 31 et 32 du recueil conjoint de documents.

 

[3]     Les hypothèses du ministre au sujet de la question de la société de personnes sont énoncées au paragraphe 1.9 de la réponse à l’avis d’appel. Bien que la plupart d’entre elles aient été intégrées de façon expresse ou tacite dans l’exposé conjoint des faits (partiel), les hypothèses de fait suivantes demeurent matière à controverse :

 

[traduction]

 

1.9.128   Venture et Ethical ont consenti à l’attribution des pertes dans le but principal de réduire la dette d’impôt de l’appelant au Canada ou d’en différer le paiement en imputant les pertes de la Seaview Trading Partnership au revenu déclaré de l’appelant au Canada;

 

[…]

 

1.9.133   l’acquisition par l’appelant de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership ne visait aucun objet commercial viable et ne reposait sur aucune motivation commerciale crédible, si ce n’est l’utilisation des pertes;

 

1.9.134   la Seaview Trading Partnership initiale a cessé d’exister immédiatement avant le 18 décembre 2003 et une nouvelle société de personnes est née à cette date;

 

1.9.135   les pertes de la Seaview Trading Partnership sont imputables à Venture et à Ethical et non à l’appelant ou à Zen;

 

[…]

 

1.9.142   l’appelant n’a subi aucune perte de société de personnes au cours de son année d’imposition 2003 et n’a pas essuyé la perte de 6 038 248 $ qu’il a déduite;

 

[…]

 

1.9.146   l’appelant a versé une prime de 301 912 $ de plus que la valeur comptable nette de la participation de 80 p. 100 dans la Seaview Trading Partnership;

 

1.9.147   étant donné qu’elle n’a été créée qu’en 2003 et qu’elle n’a gagné aucun revenu, la Seaview Trading Partnership ne valait pas plus que la valeur comptable nette.

 

[4]     L’appelant soutient que la seule question en litige concerne le [traduction] « maintien de la société de personnes »[1], soit la question de savoir si, lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation de 80 p. 100 de Venture, la Seaview Trading Partnership est demeurée la [traduction] « même société de personnes »[2]. Sans faire abstraction des réserves soulevées sous la rubrique « Question préliminaire », ci-dessous, l’appelant maintient que le ministre a eu tort de réattribuer sa part de la perte de la société de personnes en application de l’article 103.

 

[5]     Pour sa part, l’intimée soutient principalement que l’appelant n’a droit à aucune déduction au titre d’une perte de la société de personnes, parce qu’aucune société de personnes valide n’a été créée lorsqu’il a fait l’acquisition, le 18 décembre 2003, de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership. Subsidiairement, le ministre fait valoir que, même si une société de personnes valide a été créée, vu l’article 103 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), il faut réduire du montant de 6 millions de dollars déduit à « zéro » la part attribuable à l’appelant des pertes de la société de personnes.

 

Question préliminaire – la thèse de l’appelant

 

[6]     Au début de l’audience, l’avocat de l’appelant a informé la Cour qu’elle ne devait examiner aucun argument de l’intimée, mis à part ceux qui concernent la question du [traduction] « maintien »[3] de la société de personnes, car ni la « validité » de celle‑ci, ni l’application de l’article 103 de la Loi n’avaient été plaidées en bonne et due forme. Il a soutenu que les arguments de l’intimée à ce sujet étaient incompatibles avec les admissions et les hypothèses du ministre ou avec les réponses données lors de l’interrogatoire préalable.

 

[7]     En ce qui a trait à la question de la validité de la société de personnes, l’avocat de l’appelant a cité d’abord certaines hypothèses de fait formulées par le ministre, notamment celle qui figure au paragraphe 1.9.134 de la réponse :

 

            [traduction]

 

1.9.134   la Seaview Trading Partnership initiale a cessé d’exister immédiatement avant le 18 décembre 2003 et une nouvelle société de personnes est née à cette date;

 

[8]     Cette hypothèse avait été exposée au représentant de l’intimée, M. Brian Ellis, le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada affecté au dossier de l’appelant, lors de l’interrogatoire préalable :

 

[traduction]

[…]

 

Q         […]

J’aimerais que vous vous rendiez au paragraphe 134 qui, si je comprends bien, résume l’essentiel de la thèse de l’intimée. Si je comprends bien ce paragraphe, la controverse concernant la société de personnes porte sur l’existence de celle-ci avant et après le 18 décembre. L’intimée soutient-elle que, par suite du transfert de la participation de Seaview Venture à M. Stow, la société de personnes a cessé d’exister? Est-ce exact?

 

R          Et une nouvelle société de personnes a été formée.

 

Q         D’accord. Alors, une nouvelle société de personnes est formée avec Stow et Ethical -

 

R          Une société de personnes canadienne.

 

Q         – et a exercé – cette deuxième société de personnes a exercé ses activités jusqu’à ce que Zen entre en scène?

 

R          Oui.

 

Q         Et là, nous avons une troisième société de personnes?

 

R          Nous n’avons pas tiré cette conclusion.

 

Q         D’accord. Merci. Je comprends maintenant[4].

 

[9]     L’avocat de l’appelant a également renvoyé la Cour au paragraphe 1.2 de la réponse, où l’intimée a admis les allégations suivantes dans l’avis d’appel :

 

[traduction]

 

41.       Au cours de l’année d’imposition 2003, l’appelant a acquis une participation de 80 p. 100 et est devenu associé de la Seaview Trading Partnership (Bermudes) (la « Seaview Partnership »), société de personnes enregistrée aux Bermudes et spécialisée dans l’achat et la vente de produits dérivés au Canada.

 

42.       Au cours de l’année d’imposition 2003, l’ensemble des produits dérivés que la Seaview Trading Partnership possédait au Canada, y compris les contrats de vente à terme de devises, étaient détenus auprès de grandes institutions financières comme la Banque Royale du Canada et la Banque de Montréal, qui agissaient comme des contreparties.

 

43.       Au cours de l’exercice financier terminé le 31 décembre 2003, la Seaview Partnership a essuyé une perte d’entreprise de 7 547 810 $ par suite de la disposition de stocks canadiens de produits dérivés.

 

44.       Une partie correspondant à 80 p. 100 de la perte de la Seaview Partnership (soit un montant de 6 038 248 $) a été attribuée à l’appelant conformément à l’article 96 de la Loi.

 

[10]    Il a été soutenu sue, lues de concert, les admissions, les hypothèses et les réponses à l’interrogatoire préalable de l’intimée signifient que le ministre a plaidé et admis qu’une société de personnes existait tant avant qu’après le 18 décembre 2003. En conséquence, la Cour est uniquement appelée à rechercher

 

[traduction]

 

[…] si la même société de personnes a continué d’exister. L’appelant soutient que les règles de droit énoncées plus haut au sujet du maintien des sociétés de personnes renferment une réponse complète à cette question sur le fondement de la cotisation établie par l’intimée et permettent de trancher la présente affaire[5].

 

[11]    Quant au moyen subsidiaire de l’intimée qui est tiré de l’article 103, l’avocat de l’appelant a soutenu que l’intimée ne devrait pas être autorisée à invoquer ce qui était, essentiellement, un argument subsidiaire non plaidé. À son avis, hormis un simple renvoi à l’article 103 sous la rubrique [traduction] « Dispositions législatives invoquées », la réponse portait exclusivement sur la question du [traduction] « maintien de la société de personnes ».

 

Question préliminaire – la thèse de l’intimée

 

[12]    Pour sa part, l’intimée fait valoir que la question de la validité de la société de personnes créée le 18 décembre 2003 est formulée nettement dans les écritures du ministre. Selon l’avocate de l’intimée, les arguments du ministre peuvent être rattachés directement à l’hypothèse de fait énoncée au paragraphe 1.9.133 de la réponse à l’avis d’appel :

 

          [traduction]

 

1.9.133 l’acquisition par l’appelant de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership ne visait aucun objet commercial viable et ne reposait sur aucune motivation commerciale crédible, si ce n’est l’utilisation des pertes;

 

[13]    Il a été soutenu que le droit est bien fixé : lorsqu’un nouvel associé se joint à une société de personnes déjà créée, il faut rechercher si les trois conditions préalables à l’existence d’une société de personnes sont toujours respectées[6], soit les conditions suivantes : 1) la société doit exploiter une entreprise; 2) l’entreprise doit être exploitée en commun; 3) l’entreprise doit être exploitée en vue de réaliser un bénéfice. L’avocate a fait valoir que [traduction] « le fait plaidé […] au paragraphe 1.9.133 de la réponse portait directement sur la question de l’intention de réaliser un bénéfice, qui constitue le troisième élément du critère relatif à une société de personnes »[7], le fait saillant étant l’absence [traduction] d’« intention secondaire de réaliser un bénéfice », de sorte qu’aucune intention de réaliser un bénéfice n’existait lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation de Venture le 18 décembre 2003.

 

[14]    En ce qui a trait à l’hypothèse formulée au paragraphe 1.9.134, l’avocate de l’intimée a fait valoir que les mots [traduction] « une nouvelle société de personnes est née »[8] ne pouvaient être assimilés à une admission de l’existence d’une société de personnes validement constituée en droit, parce que le ministre ne peut formuler des conclusions de droit dans les hypothèses de fait[9]. L’expression « société de personnes » utilisée dans la réponse se voulait simplement une désignation abrégée de la relation qui est née entre Ethical et l’appelant lorsque celui‑ci a acquis la participation de Venture le 18 décembre 2003.

 

[15]    Quant à l’article 103, l’avocate de l’intimée a fait valoir que vu l’inclusion de ce texte et du paragraphe 152(9) à titre de [traduction] « dispositions législatives invoquées » et l’hypothèse de fait formulée au paragraphe 1.9.128 avaient pour effet, de concert, de mettre en cause l’applicabilité de cette disposition. Voici le texte du paragraphe 1.9.128 :

 

[traduction]

 

1.9.128   Venture et Ethical ont consenti à l’attribution des pertes dans le but principal de réduire la dette d’impôt de l’appelant au Canada ou d’en différer le paiement en imputant les pertes de la Seaview Trading Partnership au revenu déclaré de l’appelant au Canada;

 

Analyse de la question préliminaire

 

[16]    N’eût été la façon dont l’appelant lui-même a formulé la question en litige, la thèse de son avocat, selon laquelle la réponse ne renferme guère d’éléments portant directement sur la validité de la société de personnes et encore moins sur l’intention de réaliser un bénéfice, m’aurait semblée séduisante. L’article 96, la principale des dispositions de la Loi concernant les sociétés de personnes, ne figure même pas parmi les dispositions législatives invoquées dans la réponse. La seule disposition mentionnée au sujet des sociétés de personnes est l’article 103, soit une disposition anti-évitement qui, dans certaines circonstances, permet au ministre d’attribuer au contribuable une part d’une perte différente de celle qui a été déduite. Fait intéressant à souligner, selon l’article 103, la validité de la société de personnes n’est pas en cause; cette disposition porte principalement sur le caractère raisonnable du montant que le membre d’une société de personnes a déduit à titre de part de la perte subie par celle-ci. En conséquence, étant donné que le ministre a formulé la question en litige de façon plutôt imprécise en la limitant à la question de savoir si l’appelant a le droit de déduire une perte de la Seaview Trading Partnership[10], l’on pouvait à bon droit conclure que l’article 103 avait constitué le fondement de la cotisation du ministre, étant donné, surtout, que cette disposition est évoquée ailleurs dans la réponse[11].

 

[17]    Eu égard à ce qui précède, la thèse de l’appelant selon laquelle l’intimée ne peut invoquer d’arguments fondés sur l’article 103 m’apparaît infondée.

 

[18]    Quant à la question de la validité de la société de personnes, je conviens avec l’avocat de l’appelant que les écritures et les réponses de l’intimée lors de l’interrogatoire préalable auraient pu être formulées plus clairement.

 

[19]    Apparemment, l’intimée était également de cet avis lors de l’audience : sinon, pourquoi aurait-elle soudainement étoffé la question en litige formulée dans la réponse dans son document [traduction] « Exposé des arguments de l’intimée »? Au paragraphe 2.1.5 de la réponse, la question est simplement formulée comme suit : [traduction] « L’appelant a-t-il le droit de déduire une perte de la Seaview Trading Partnership? », alors que des énonciations beaucoup plus détaillées figurent à la section 1 de l’Exposé des arguments :

 

            [traduction]

 

1. La cour est appelée à décider les questions suivantes :

a.         l’appelant était-il membre d’une société de personnes valide?

b.         dans la négative, il n’a pas droit à la perte de société de personnes de 6 038 248 $ qu’il a déduite en 2003;

c.         dans l’affirmative, il faut rechercher si les circonstances de la présente affaire justifient la réattribution que le ministre a faite en application de l’article 103.

 

2.      L’intimée soutient qu’en droit, une nouvelle entité a été formée le 18 décembre 2003. Cette entité ne satisfait pas aux conditions d’existence d’une société de personnes en droit, en raison de l’objet fiscal visé par l’appelant et de l’absence de toute motivation commerciale accessoire.

 

3.      Étant donné que la nouvelle entité n’est pas une société de personnes valide, l’appelant n’a pas droit à la perte de 6 038 248 $ qu’il a déduite à titre de perte de la société de personnes pour son année d’imposition 2003.

 

4.      Si cette thèse est infondée et que la Cour en arrive à la conclusion que la nouvelle entité était une société de personnes valide en droit, l’intimée soutient que, vu l’article 103, les pertes de l’appelant se réduisent à zéro[12].

 

[20]    Cela dit, je ne suis pas convaincue du bien-fondé de l’argument de l’appelant au sujet du [traduction] « maintien » de la société de personnes avant et après le 18 décembre 2003. Que la question soit posée en termes de [traduction] « maintien » ou de [traduction] « validité » de la société de personnes à cette date, il me semble que le même critère joue. Il ressort clairement de la jurisprudence que la question est de savoir non pas si la société de personnes qui existait à l’arrivée d’un nouvel associé est la [traduction] « même société de personnes » que celle qui avait été établie à l’origine, mais plutôt si, lors de l’acquisition d’une participation dans cette société par un nouveau membre, les trois conditions préalables à l’existence d’une société de personnes valide étaient réunies dans le cas de la nouvelle société de personnes. Ainsi qu’il a été observé dans Backman :

 

42        Une société de personnes validement constituée est donc une entité qui continue d’exister, tant et aussi longtemps que sa composition demeure la même et que ne survient pas un des faits qui, suivant la loi ou le contrat, entraînent sa dissolution. Un contrat de société peut prévoir le maintien de la société après l’admission ou le retrait de membres, mais cela n’écarte pas l’obligation qu’ont les personnes qui entendent devenir des associés de cette société de satisfaire aux critères essentiels de validité d’une société de personnes[13]. [Non souligné dans l’original.]

 

[21]    Par conséquent, même pour prouver le [traduction] « maintien » de la société de personnes, l’appelant doit encore établir que, lorsqu’il est devenu membre de la Seaview Trading Partnership, les conditions suivantes étaient réunies : 1) la société doit exploiter une entreprise; 2) l’entreprise doit être exploitée en commun; 3) l’entreprise doit être exploitée en vue de réaliser un bénéfice. L’intimée n’ayant élevé aucune contestation quant aux deux premiers critères, l’appelant doit uniquement prouver qu’est constitué le troisième élément, soit le fait qu’au 18 décembre 2003, la Seaview Trading Partnership visait à réaliser un bénéfice.

 

[22]    Avant de passer aux questions de fond, j’aimerais formuler une dernière remarque au sujet de l’état des actes de procédure et des réponses de l’intimée à l’interrogatoire préalable : même si le manque de précision dont le ministre a fait preuve ne permet pas de restreindre les arguments de l’intimée de la manière prônée par l’appelant, elle n’est pas sans conséquence par ailleurs. Je suis consciente que la question de la société de personnes dont la Cour a été saisie s’inscrivait dans le contexte d’une nouvelle cotisation portant sur de nombreux autres aspects des activités de l’appelant, lesquels aspects devaient tous faire l’objet d’observations dans la réponse. Cependant, la complexité ne dispense pas le ministre de son obligation d’exprimer clairement le fondement de chaque aspect de la cotisation[14]; comme la juge Sharlow l’a souligné dans R. c. Anchor Pointe Energy Ltd.[15] :

 

L’équité exige que les faits allégués comme hypothèses soient complets, précis, exacts et énoncés de façon honnête et franche afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il devra prouver[16].

 

En l’espèce, le manque de précision des écritures de l’intimée, notamment dans les hypothèses, a eu pour effet d’alléger le fardeau de preuve qui aurait pu autrement incomber à l’appelant. Je ne suis pas convaincue par l’argument de l’avocate de l’intimée selon lequel il y a lieu de tirer une conclusion négative du fait que l’appelant s’est fondé uniquement sur l’exposé conjoint des faits (partiel) et sur les extraits de l’interrogatoire préalable produits en preuve et qu’il n’a pas demandé à d’autres personnes, comme son épouse, ses conseillers juridiques, son comptable ou son courtier, de venir témoigner au sujet du plan d’affaires de la société de personnes. Bien que la preuve produite par les deux parties m’ait donné l’impression que je n’avais pas entendu toute l’histoire, je suis d’avis que, tout compte fait, la preuve de l’appelant était suffisante pour réfuter les présomptions du ministre et allait plutôt dans le sens de la thèse de l’appelant que les arguments invoqués par l’intimée.

 

Questions de fond

 

1.       Validité de la société de personnes – intention de réaliser un bénéfice

 

La thèse de l’appelant

 

[23]    L’appelant soutient que la Seaview Trading Partnership existait avant qu’il n’acquière la participation de Venture le 18 décembre 2003 et qu’elle a continué d’exister après cette acquisition. À titre de membre d’une société de personnes valide, l’appelant avait le droit, en vertu de l’article 96, de déduire le montant correspondant à 80 p. 100 des pertes de ladite société à la fin de l’exercice financier de celle-ci, soit le 31 décembre 2003.

 

La thèse de l’intimée

 

[24]    Pour sa part, l’intimée répond qu’aucune société de personnes valide n’est née lorsque l’appelant s’est joint à la Seaview Trading Partnership le 18 décembre 2003, parce qu’il n’y avait aucune intention de réaliser un bénéfice. La thèse de l’intimée repose sur l’hypothèse suivante : [traduction] « l’acquisition par l’appelant de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership ne visait aucun objet commercial viable et ne reposait sur aucune motivation commerciale crédible, si ce n’est l’utilisation des pertes » [17].

 

[25]    De l’avis de l’avocate de l’intimée, la seule intention qu’avait l’appelant lorsqu’il a fait l’acquisition de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership était d’utiliser les pertes de celle-ci dans les entreprises familiales liées. Tout en reconnaissant que l’intention de participer à une société de personnes à des fins de planification fiscale n’excluait pas, en soi, l’existence d’une société de personnes valide[18], il a été souligné que l’appelant devait néanmoins prouver l’existence d’un « objectif accessoire visant la réalisation d’un bénéfice »[19]. Selon l’intimée, aucun élément de preuve ne va dans le sens de cette conclusion.

 

Analyse sur le fond

 

[26]    Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus qu’une société de personnes valide est née lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation que Venture détenait dans la Seaview Trading Partnership le 18 décembre 2003.

 

[27]    La Seaview Trading Partnership a existé sous trois formes : la société de personnes initialement créée le 1er avril 2003 par Venture et Ethical (la « société de personnes initiale »); la société de personnes visée par le présent appel, qui a été créée le 18 décembre 2003 lorsque l’appelant a fait l’acquisition de la participation de 80 p. 100 de Venture (la « société de personnes visée par l’appel ») et la société de personnes subséquemment créée le 26 mars 2004 lorsque Zen a fait l’acquisition de la participation de 20 p. 100 d’Ethical (la « société de personnes subséquente »). Par souci de clarté, ces expressions définies seront utilisées ci-après dans les présents motifs.

 

[28]    Dans l’arrêt Backman et l’arrêt connexe, Spire Freezers, la Cour suprême du Canada a décidé que, « en cas d’admission d’un nouvel associé, l’existence des conditions de validité d’une société de personnes doit être confirmée de nouveau pour assurer le maintien de la société dans sa nouvelle forme »[20]. Pour décider si une société de personnes valide existe, les tribunaux doivent :

 

[…] se demander si la preuve documentaire objective et les circonstances de l’affaire, notamment les actes concrets des parties, sont compatibles avec l’existence d’une intention subjective d’exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice.

 

Les tribunaux doivent se montrer pragmatiques dans l’examen des trois éléments essentiels d’une société de personnes. Pour déterminer si une telle société a été établie dans une affaire donnée, il faut analyser et soupeser les facteurs pertinents eu égard à toutes les circonstances. Le fait que l’existence de la prétendue société de personnes doive être examinée au regard de l’ensemble des circonstances est incompatible avec l’application mécanique d’une liste de contrôle ou d’un critère comportant des paramètres définis de façon plus précise[21].

 

[29]    L’intimée ne conteste pas la validité de la société de personnes initiale formée entre Venture et Ethical. La Couronne ne conteste pas non plus la validité des documents de la société de personnes, soit le contrat de société initial conclu entre Venture et Ethical le 3 octobre 2003[22] (le « contrat de la société de personnes initiale ») et les contrats de la société de personnes visée par l’appel, c’est-à-dire le contrat de transfert de la participation dans la société de personnes[23], la cession de la participation dans la société de personnes[24] et l’acceptation[25], qui sont tous datés du 18 décembre 2003.

 

[30]    Chacun de ces documents renferme des clauses assez standards. Le paragraphe 2.1 du contrat de la société de personnes initiale représente la clause du [traduction] « maintien de la société » dont il est fait mention dans l’arrêt Backman :

 

[traduction]

 

La société de personnes naît à la date des présentes et continue d’exister jusqu’à ce qu’elle soit dissoute par les associés conformément au présent contrat. La société de personnes créée par les présentes est une société en nom collectif et les associés conviennent par les présentes d’exploiter l’entreprise ensemble et de se partager les bénéfices en découlant conformément aux présentes. L’arrivée d’un nouvel associé et le départ d’un associé n’auront pas pour effet de dissoudre la société de personnes.

 

[31]  Dans la même veine, le paragraphe 3 de l’acceptation intervenue entre l’appelant et Venture et Ethical prévoit expressément ce qui suit : [traduction] « Malgré le départ [de Venture] de la société de personnes et l’arrivée de l’appelant, la société de personnes demeure intacte pendant la transition »[26]. L’objet de l’entreprise de la société énoncé dans le contrat de la société de personnes initiale, soit l’exercice d’activités commerciales selon la description figurant au paragraphe 2 de l’exposé conjoint des faits (partiel), est également adopté dans ces documents.

 

[32]    Étant donné qu’il existe de prime abord une « preuve documentaire objective » de l’intention de la société de personnes visée par l’appel de réaliser un bénéfice, il suffit pour l’appelant de démontrer que les faits sont compatibles avec l’existence d’une intention subjective de faire de même. Selon la jurisprudence Backman, la Cour doit se montrer pragmatique dans son analyse et examiner les « actes concrets des parties ».

 

[33]    Dans l’affaire Spire Freezers, la Cour suprême du Canada a conclu, vu les faits, en l’existence d’une société de personnes valide; la Cour a alors comparé ses constatations à celles de l’arrêt Backman, où elle en était arrivée à la conclusion contraire :

 

[…] Dans Backman, la présumée société ne disposait pas de pouvoir important relativement à la gestion de [l’élément d’actif secondaire, un intérêt de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz] et l’acquisition de celui-ci ne constituait pas non plus la poursuite d’une entreprise existante de l’un des associés présumés. Lorsque la production a été arrêtée peu de temps après l’achat du bien, aucun autre investissement n’a été fait dans le domaine du pétrole et du gaz. Par conséquent, [….] la présumée société était « une coquille vide qui n’exploit[ait] dans les faits aucune entreprise » […] Dans [Spire Freezers] l’élément d’actif secondaire détenu par la société de personnes était un immeuble à logements en pleine propriété. L’entreprise de gestion immobilière se rapportant à cet élément d’actif existait déjà et a été poursuivie par les [associés]. La gestion [de l’entreprise] a demandé des efforts importants que les [associés] ont déployés et dont ils ont profité en réalisant un bénéfice. Comme l’a souligné le juge Robertson, « la société de personnes a continué pendant au moins une dizaine d’années après la vente de l’immeuble en copropriété à être propriétaire d’un bien qui générait des bénéfices, en l’occurrence l’immeuble d’habitation »[27].

 

[34]    Les issues différentes des affaires Backman et Spire Freezers, malgré la similitude des faits, lesquels ont été examinés par le même juge de première instance, montrent de façon plus qu’éloquente à quel point l’existence d’une société de personnes valide dépend des faits très concrets de l’affaire. À mon avis, les faits de la présente espèce s’apparentent davantage à l’affaire Spire Freezers.

 

[35]    Le seul élément d’actif de la Seaview Trading Partnership était son entreprise spécialisée dans les opérations de change. Cette même entreprise a été exploitée avant et après le 18 décembre 2003 et a continué à l’être jusqu’en 2007. Dans l’affaire Water’s Edge[28], la Cour d’appel fédérale a infirmé les conclusions du juge de la Cour canadienne de l’impôt et décidé qu’une société de personnes valide existait même si les associés (nettement motivés par des raisons de planification fiscale) avaient payé un montant de 320 000 $ pour acquérir des participations dans une société de personnes qui avait pour seul bien un ordinateur désuet évalué à 7 000 $, dont le contrat de location devait prendre fin quelques jours après l’acquisition.

 

[36]    En l’espèce, aucun changement n’a été apporté à l’exploitation de ce qui était, selon la présomption du ministre, une entreprise commerciale valide avant que l’appelant ne fasse l’acquisition de la participation de Venture dans la société de personnes. En effet, dans ses hypothèses, le ministre a adopté à peu près intégralement la description des activités commerciales figurant dans le contrat de la société de personnes initiale[29] et dans la cession de la participation dans la société de personnes subséquente que l’appelant a signés dès qu’il s’est joint à la société de personnes visée par l’appel avec l’autre associé initial, Ethical[30].

 

[37]    En plus d’être avocat, l’appelant était un cambiste expérimenté qui travaillait à son compte; non seulement était-il membre de la société de personnes visée par l’appel, mais il exerçait des activités commerciales de cette nature à titre personnel[31]. Même s’il est vrai que l’appelant et Ethical ont délégué l’exploitation quotidienne de la société de personnes visée par l’appel à d’autres personnes compétentes, la Cour suprême du Canada a décidé, dans l’affaire Continental Bank, que « [l]e fait que la gestion de la Société ait été confiée à l’associé directeur général n’oblige pas à conclure que l’entreprise n’était pas exploitée en commun »[32] et, par analogie, n’exclut pas l’intention de réaliser un bénéfice. De plus, l’intimée a tort de se fonder sur la jurisprudence Spire Freezers pour soutenir que la preuve des efforts déployés par la direction est nécessaire pour établir l’existence d’une intention de réaliser un bénéfice; cet aspect de l’enseignement de cet arrêt portait sur la question de savoir s’il y avait une entreprise[33], question qui n’est pas en litige en l’espèce.

 

[38]    En l’espèce, la Seaview Trading Partnership, que ce soit sous la forme de la société de personnes initiale, de la société de personnes visée par l’appel ou de la société de personnes subséquente, a exercé les mêmes activités commerciales avec le même directeur et courtier jusqu’en 2007. Si l’on en juge par ce qui s’est passé assez récemment, les opérations relatives aux produits dérivés comportent un certain élément de risque. En tout état de cause, bien que les efforts de la société de personnes aient finalement donné lieu à une perte nette, ce n’est pas en raison de l’absence d’activités, comme l’a soutenu l’avocate de l’intimée dans ses observations[34]; effectivement, des opérations d’achat et de vente totalisant environ 40 millions de dollars ont été effectuées tout au long de l’existence de la Seaview Trading Partnership. C’est dans ce contexte plus général que la perte de 6 millions de dollars doit être examinée.

 

[39]    L’avocate de l’intimée était également troublée par le fait que l’appelant était au courant, avant d’acquérir la participation de Venture, des pertes sur opérations de change que la société de personnes initiale avait subies, que cette acquisition avait eu lieu à peine une journée avant la concrétisation desdites pertes et qu’il avait été membre de la société de personnes visée par l’appel pendant seulement deux semaines avant la fin de l’exercice financier de celle‑ci, soit le 31 décembre 2003.

 

[40]    Ces arguments ne m’apparaissent pas convaincants. Dans l’affaire OSFC Holdings Ltd. c. R.[35], la Cour d’appel fédérale a décidé que, selon les règles de l’article 96 concernant les sociétés de personnes, « indépendamment du moment où une personne devient un associé au cours d’une année d’imposition de la société de personnes, dès lors qu’elle est un associé à la fin de l’année d’imposition, elle peut se prévaloir de la perte de la société de personnes provenant de n’importe quelle source au cours de son année d’imposition »[36]. Ainsi, la validité de la société de personnes ne dépend pas de la durée de l’adhésion d’un associé à cette société. On trouve dans la jurisprudence plusieurs exemples de sociétés de personnes valides dont l’existence a été de courte durée; ainsi, dans l’affaire Spire Freezers, la société de personnes a été jugée valide, même si son existence n’a duré, littéralement, qu’« un bref instant »[37].

 

[41]    L’avocate de l’intimée a invoqué plusieurs autres arguments au sujet de la thèse du ministre selon laquelle l’appelant n’avait pas l’intention de réaliser un bénéfice et a acheté la participation de Venture dans la société de personnes initiale uniquement pour utiliser les pertes de celle-ci. Il a d’abord été mentionné le prix d’achat de cette participation. Au paragraphe 1.9.146 de la réponse, le ministre a présumé ce qui suit :

 

[traduction]

 

1.9.146   l’appelant a versé une prime de 301 912 $ de plus que la valeur comptable nette de la participation de 80 p. 100 dans la Seaview Trading Partnership.

 

[42]    Il a été soutenu qu’il n’y avait aucun élément de preuve tendant à établir l’existence d’un plan d’affaires ou que l’appelant avait négocié de façon serrée pour acquérir la participation de Venture. En payant un montant de 1 063 664 $[38] pour la participation de Venture dont la valeur comptable nette s’élevait à 766 171 $[39], l’appelant a versé une « prime » d’environ 300 000 $ pour pouvoir utiliser une perte valant sept fois le prix d’achat. Il a été soutenu qu’il ne peut pas y avoir [traduction] « [un] si grand écart entre la somme qu’il a versée pour devenir membre de la société de personnes et utiliser la perte de celle-ci et le montant de la perte déduite [...] »[40]. La situation de l’appelant a été comparée à celle des contribuables dans les affaires Makuz c. Canada[41] et Witkin c. Canada[42], où il a été décidé qu’il n’y avait aucune intention de réaliser un bénéfice.

 

[43]    La jurisprudence est bien fixée : elle n’est pas exigeante quant à la preuve d’un objectif accessoire visant la réalisation d’un bénéfice[43] - et c’est encore plus vrai en l’espèce, vu le manque de précision des hypothèses du ministre. Il faut également rappeler que l’intention d’exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice est subjective. L’avocate de l’intimée n’a pas réussi à me convaincre que les réponses données par l’appelant lors de l’interrogatoire préalable appelaient nécessairement la conclusion que sa seule intention était de se prévaloir des pertes fiscales. Tout en admettant qu’il comptait utiliser les pertes dans les entreprises familiales[44], l’appelant a également déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

118      Q         Sur quoi reposait votre décision de faire cette acquisition?

 

R          Je me suis fondé sur les conseils reçus de la famille, des avocats de la famille. Tout est venu de là, de la possibilité que j’utilise à mes propres fins une perte générée par un élément d’actif de la famille. Il y avait aussi une entreprise que je voulais continuer d’exploiter. Je pense que cela transparaît dans le prix que j’ai payé.

 

[44]    Même l’avocate de l’intimée a dû se borner à  souligner que la réponse précitée ne montrait pas clairement que l’appelant avait pour seule motivation la planification fiscale. L’appelant ne nie pas que, lorsqu’il a décidé de faire l’acquisition de la participation de Venture dans la société de personnes initiale, il s’est fondé sur l’avis des conseillers juridiques de la famille, plus précisément sur l’avis de M. Watt, qui était lui-même cambiste[45]. Il n’y a là rien de répréhensible. La réponse de l’appelant montre également que, lorsqu’il a retenu les conseils en question, l’appelant a tenu compte, du moins jusqu’à un certain point, de la viabilité commerciale de la société de personnes et de son prix d’achat. Il a déjà été décidé qu’une société de personnes peut exister même lorsque de nouveaux associés ont acquis des pertes dépassant largement le montant qu’ils ont versé pour leurs participations : voir les affaires Water’s Edge, susmentionnée, et Spire Freezers, où les nouveaux associés ont versé la somme de 1,2 millions de dollars américains pour acquérir des pertes d’environ 10,4 millions de dollars américains. Dans l’affaire OSFC, le juge Rothstein, alors juge de la Cour d’appel fédérale, a souligné, dans le contexte de l’article 245, que :

 

[…] l’objet principal d’une opération sera déterminé sur la base des faits de chaque espèce. En particulier, une comparaison du montant de l’avantage fiscal estimatif et du montant estimatif du revenu commercial peut ne pas être déterminante, surtout lorsque ces estimations sont proches. De plus, la nature de cet aspect commercial de l’opération doit être attentivement examinée. On ne peut tout simplement pas statuer que l’objet commercial n’est pas l’objet principal parce que l’avantage fiscal est important.[46]

 

[45]    Cet enseignement est tout aussi utile pour la détermination de l’existence d’une intention de réaliser un bénéfice. Je n’ai aucune raison de douter de la version que l’appelant a donnée au cours de son interrogatoire préalable[47] et selon laquelle son épouse et lui-même se sont fondés sur les avis de leurs conseillers respectifs quant à la « juste » valeur de la participation de Venture. Lorsqu’elle est examinée sous l’angle de l’analyse pragmatique préconisée par la jurisprudence Backman, l’explication que donne l’appelant, à savoir qu’il est plus difficile d’évaluer avec précision la valeur d’une participation dans un groupe d’entreprises familiales que d’actions négociées sur le marché, par exemple, n’est pas déraisonnable.

 

[46]    Quant aux affaires Makuz et Witkin que l’intimée a invoquées, on peut, à mon avis, aisément opérer en l’espèce une distinction. Ces deux affaires concernaient plutôt une série d’opérations complexes visant uniquement à produire un avantage fiscal pour une multitude d’associés présumés. Bien que les décisions aient été rendues par des juges différents, les mêmes faits étaient en jeu[48]. Afin d’avoir un aperçu de la nature du stratagème, on peut utilement lire le résumé qu’en a fait l’ancien juge en chef Bowman dans Makuz, aux paragraphes 27 à 29 :

 

J’ai suivi le fil de la complexe série d’opérations effectuées en l’espèce, à partir du début, lorsque CA a été constituée en société, en passant par la construction du Claridge, avec les pertes considérables y afférentes et les 79 unités non vendues, jusqu’aux opérations finales par lesquelles MSI a transféré 5,4 pour 100 des unités à un moment donné après le 31 mars 1988. Il importe de déterminer exactement ce que les appelants ont obtenu en contrepartie du paiement d’une somme totale d’environ 37 220 $US pour chaque participation de 1 pour 100 dans CH1.

 

Comme les opérations avaient toutes été préalablement organisées, les appelants obtenaient le 28 mars 1988 des participations dans une société de personnes qui, deux jours plus tard, allait être dépouillée de tout son actif et se retrouverait avec rien d’autre qu’une promesse de la part de MSI de transporter en sa faveur 5,4 pour 100 des unités du Claridge si jamais elle les acquérait.

 

Les appelants gagnaient donc, outre la perspective d’obtenir une déduction fiscale importante au titre d’une perte qui était sans aucun doute déjà survenue, la chance, la possibilité ou l’espoir d’obtenir un intérêt de 5,4 pour 100 dans les 79 unités condominiales non vendues. Nous savons ce que valaient les pertes si elles pouvaient être utilisées avec succès par les appelants : la valeur fiscale d’une déduction de plus de 40 000 000 $. Que pouvait valoir la simple possibilité d’obtenir 5,4 pour 100 des 79 unités condominiales non vendues? Selon le matériel publicitaire, ces 79 unités avaient une juste valeur marchande (« JVM ») d’environ 23 000 000 $US. Sans me prononcer sur l’exactitude de ce chiffre, 5,4 pour 100 de 23 000 000 $ correspond à 1 242 000 $.

 

[47]    C’est au regard de ces faits que la Cour a expressément rejeté le témoignage des contribuables « quant à leurs intentions subjectives » pour conclure qu’il n’y avait que des possibilités « illusoires »[49] de bénéfice. Dans l’affaire Witkin,  la Cour d’appel fédérale a adopté les conclusions du juge Beaubier selon lesquelles « l’appelant prévoyait que l’exploitation [de la société de personnes] continuerait à être déficitaire comme elle l’avait été antérieurement » et qu’il n’y avait « qu’une simple possibilité d’obtenir un rendement sur le capital, possibilité qui était lointaine »[50]. La Cour d’appel fédérale a également conclu que le contribuable, qui était un homme d’affaires avisé, avait décidé « de ne pas utiliser les prévisions qui lui ont été fournies ou de ne pas les examiner »[51].

 

[48]    Aucun élément de preuve de cette nature n’a été produit en l’espèce. L’acquisition de la participation de Venture par l’appelant n’était pas une opération complexe : tant avant qu’après cette acquisition, l’entreprise a utilisé le même élément d’actif géré par le même administrateur et courtier. Bien qu’aucun plan d’affaires officiel n’ait été produit en preuve, ce plan n’était pas une condition préalable à la détermination de l’existence d’une intention de réaliser un bénéfice, compte tenu, surtout, des actes de procédure ambigus de l’intimée. L’associé n’est nullement tenu de produire des éléments de preuve sur la façon précise dont les pertes de la société de personnes seront recouvrées ou sur le montant précis qui le sera.

 

[49]    L’avocate de l’intimée a également évoqué les documents de la société de personnes dans lesquels, à son avis, il avait été clairement [traduction] « prévu que des questions pourraient se poser au sujet du prix que l’appelant avait versé »[52]. À cet égard, elle a souligné les clauses 2.2 et 2.5 du contrat de transfert de la participation dans la société de personnes et précisé que les mêmes clauses figuraient dans le contrat de transfert de la participation dans la société de personnes qui a régi l’acquisition de la participation d’Ethical par Zen en mars 2004[53], ce qui connote un mode de comportement incompatible avec un objectif accessoire visant la réalisation d’un bénéfice.

 

[50]    À mon avis, cet argument est loin d’être convaincant. Ces clauses doivent être lues au regard du contexte. Elles constituent des conditions assez courantes visant à souligner que les parties veulent que le prix d’achat soit égal à la juste valeur marchande de la participation dans la société de personnes; de plus, elles énoncent une formule de rajustement du prix à la hausse ou à la baisse, s’il est décidé plus tard que celui-ci n’était pas égal à cette juste valeur marchande. L’inclusion d’une clause de cette nature dans un document de ce genre n’est pas inhabituelle.

 

[51]    Eu égard à l’ensemble des circonstances, je suis d’avis que l’appelant et Ethical avaient l’intention de réaliser un bénéfice lorsque celui-ci a fait l’acquisition de la participation de 80 p. 100 de Venture le 18 décembre 2003 et qu’une société de personnes valide est née à cette date.

 

2.       L’applicabilité de l’article 103

 

[52]    Puisque que la société de personnes visée par l’appel était valide, il faut maintenant rechercher si c’est à bon droit que le ministre a attribué à l’appelant une part de la perte de ladite société équivalant à zéro en application de l’article 103 de la Loi.

 

Les dispositions législatives

 

[53]    L’article 103 doit être lu de concert avec le paragraphe 96(1), la disposition générale qui préside au traitement des pertes de sociétés de personnes. Voici le texte du paragraphe 103(1) :

 

103(1)  Lorsque les associés d’une société de personnes sont convenus de partager en proportions déterminées tout revenu ou perte de la société de personnes provenant d’une source donnée ou de sources situées dans un endroit déterminé ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de tout associé de cette société de personnes et lorsqu’il est raisonnable de considérer que cette convention a pour objet principal de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la présente loi, la part du revenu ou de la perte, selon le cas, ou de l’autre montant, revenant à chaque associé de la société de personnes est le montant qui est raisonnable, compte tenu des circonstances, y compris les proportions dans lesquelles les associés sont convenus de partager les profits et les pertes de la société de personnes provenant d’autres sources ou de sources situées à d’autres endroits. [Non souligné dans l’original.]

 

[54]    Le texte du paragraphe 103 (1.1) est similaire, mais prévoit la réunion de conditions différentes et définit autrement ce qui est raisonnable :

 

103(1.1) Lorsque plusieurs associés d’une société de personnes qui ont, entre eux, un lien de dépendance, conviennent de partager tout revenu ou toute perte de la société de personnes, ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes, et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de ces associés et que la part du revenu, de la perte ou de cet autre montant revenant à l’un de ces associés n’est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital qu’il a investi dans la société de personnes ou du travail qu’il a accompli pour elle ou de tout autre facteur pertinent, cette part est réputée, indépendamment de toute convention, être le montant qui est raisonnable dans les circonstances. [Non souligné dans l’original.]

 

La thèse de l’intimée

 

[55]    Le ministre soutient que le paragraphe 103(1) ou le paragraphe 103(1.1) [traduction] « s’applique de manière à ramener à néant la perte de 6 millions de dollars déduite par [l’appelant] »[54]. L’avocate de l’intimée a ajouté que, qu’il s’agisse du paragraphe 103(1) ou du paragraphe 103(1.1), [traduction] « le critère à appliquer est vraiment le même. Il faut examiner l’ensemble des circonstances pour savoir si le montant attribué est raisonnable »[55].

 

[56]    Selon l’avocate de l’intimée, la cotisation établie par le ministre en vertu de l’article 103 reposait sur l’hypothèse de fait suivante :

 

[traduction]

 

1.9.128   Venture et Ethical ont consenti à l’attribution des pertes dans le but principal de réduire la dette d’impôt de l’appelant au Canada ou d’en différer le paiement en imputant les pertes de la Seaview Trading Partnership au revenu déclaré de l’appelant au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

[57]    Étant donné qu’elle renvoie à une entente entre Venture et Ethical, les membres de la société de personnes initiale (plutôt qu’entre l’appelant et Ethical, les membres de société de personnes visée par l’appel), l’hypothèse du ministre semblerait, à première vue, suivre une fausse piste. Cependant, si j’ai bien compris les arguments de l’avocate de l’intimée, il s’agit là d’une interprétation trop restrictive :

 

[traduction]

 

[…] Aucun élément du paragraphe 103(1) n’exige que l’analyse débute et se termine avec les contrats de société. Le renvoi à une entente de partage ne se limite pas aux clauses des contrats de société car, s’il en était autrement, il est probable que l’article 103 deviendrait lettre monte[56].

 

[…]

 

Et [l’avocat de l’appelant] a raison, Venture n’est plus membre de la société de personnes et, si j’ai bien compris, elle n’a conservé aucun droit résiduel. Les contrats conclus entre Venture et l’appelant ont eu pour objet ou pour effet de transporter à celui-ci tous les droits dont Venture était titulaire aux termes du contrat de société. Je ne crois pas que Venture a conservé quoi que ce soit. Ce n’est certainement pas notre position[57].

 

[…]

 

Le fait qu’une seule partie de l’entente de répartition soit motivée principalement par un avantage fiscal ne fait pas obstacle à l’application de l’article 103. La Couronne n’est donc pas tenue de démontrer quelque intention que ce soit en ce qui concerne Ethical. Ce qui importe, ce n’est pas l’intention visée lors de la rédaction du contrat de société, mais plutôt l’objet pour lequel le contrat est utilisé.

 

N’oublions pas qu’Ethical appartenait à l’épouse [de l’appelant], de même que Venture. Thorsteinssons représentait la société de personnes ainsi que la famille. Tout cela est fait sous le couvert d’un seul plan. Il y a là une intention commune et Venture doit avoir convenu que ces pertes seraient attribuées à [l’appelant] et non à [l’épouse de celui-ci]. Peut-être ne pouvait-elle pas utiliser les pertes. Nous savons combien elle gagnait, nous connaissons le revenu annuel total qu’elle a déclaré en 2003 et, pour votre gouverne, ce renseignement figure sur la première page de la déclaration de l’appelant pour l’année 2003, sous l’onglet 28 [du recueil conjoint de documents]. Elle a gagné un revenu net de 51 792 $. Bien entendu, nous ne savons pas comment ce montant a été déterminé. Il est cependant possible qu’elle n’ait pu utiliser les pertes, tandis que [l’appelant] le pouvait. Si tel n’était pas le cas, pourquoi les pertes auraient-elles été transférées à [l’appelant]?

 

Par conséquent, en ce qui concerne l’entente de partage des bénéfices et des pertes, c’est l’entente que vise l’article 103. Ce n’est pas le contrat de société. Ce n’est pas un document quelconque. Il s’agit-là de l’entente qui a été conclue entre les parties. Nous examinerons leur conduite et tirerons nos conclusions[58].

 

[58]    Par souci de clarté, je répète ci-dessous les différentes formes de la Seaview Trading Partnership entre 2003 et 2007 et les associés dont elle s’est composée pendant cette période :

 

Société de personnes initiale : Venture et Ethical

(du 1er avril au 17 décembre 2003);

 

Société de personnes visée par l’appel : l’appelant et Ethical

(du 18 décembre 2003 au 26 mars 2004);

 

Société de personnes subséquente : l’appelant et Zen

(du 26 mars 2004 à 2007).

 

[59]    Fondé sur l’entente de partage qui aurait été conclue entre Venture et Ethical, l’argument de l’intimée selon lequel entre dans les prévisions du paragraphe 103(1) la situation de l’appelant appelle la preuve du fait que l’épouse de celui-ci, en sa qualité d’âme dirigeante de Venture et d’Ethical, a incité les deux sociétés, peut‑être dès le 1er avril 2003, lorsque la société de personnes initiale a été créée, ou aussi tard que le 3 octobre 2003, lorsque le contrat de celle-ci a été signé et enregistré aux Bermudes[59], à convenir d’attribuer à Venture 80 p. 100 des profits et des pertes de ladite société de personnes afin de donner effet à une entente commune entre l’épouse, Venture, Ethical et l’appelant en vue de l’acquisition par celui-ci, le 18 décembre 2003, de la part de Venture de ce qui serait alors la perte de 6 millions de dollars de la société de personnes visée par l’appel (laquelle, même à la date postérieure du 3 octobre 2003, n’existait pas encore, puisque toutes les pertes découlant d’opérations sur des produits dérivés sont survenues entre le 10 octobre 2003 et le 8 décembre 2003[60]), le tout dans le but principal de réduire l’impôt que l’appelant serait par ailleurs tenu de payer ou d’en différer le paiement.

 

[60]    Tel qu’il est mentionné au début des présents motifs, la cotisation établie en vertu de l’article 103 ne constituait qu’une partie d’un examen beaucoup plus vaste de la situation de l’appelant, ce qui a peut-être influencé les conclusions générales du ministre. Cependant, la Cour doit statuer en l’espèce en fonction de la preuve que le ministre a produite pour justifier l’application de l’article 103. À cette fin, il ne suffit pas d’examiner le résultat final et de conclure que les mesures prises en vue d’obtenir ce résultat étaient empreintes de mauvaises intentions. Il faut rappeler que le ministre n’a pas invoqué l’existence d’un leurre ni l’application de l’article 245. Dans la seule hypothèse qu’il a formulée au sujet de la cotisation établie en vertu de l’article 103, soit le paragraphe 1.9.128, le ministre n’affirme nullement que l’appelant a été partie à l’entente présumée entre Venture et Ethical ou que leur accord a jeté les bases des proportions précises convenues. Il est indéniable qu’aucune hypothèse n’a été formulée au sujet de l’entente multipartite à laquelle l’avocate de l’intimée a fait allusion dans ses observations. Il n’y a aucune preuve concrète de l’existence de cette entente et, à mon avis, une déduction en ce sens n’est guère justifiée. À l’instar des sous-entendus de l’intimée quant à la possibilité ou à l’impossibilité pour l’épouse de l’appelant d’utiliser les pertes de Venture, cette déduction m’apparaît tenir surtout de la conjecture.

 

[61]    Ce que la preuve montre, c’est que les documents de société régissant la relation entre l’appelant et Ethical (et même Venture) stipulaient qu’ils avaient convenu de répartir entre eux les pertes, le cas échéant, de la société de personnes visée par l’appel selon des proportions respectives de 80 p. 100 et 20 p. 100. Des hypothèses allant dans le sens de cette conclusion sont formulées dans l’exposé conjoint des faits (partiel) et concernent le transfert valide de la participation de 80 p. 100 de Venture selon le contrat de la société de personnes initiale à l’appelant, à titre d’associé de ce qui est ensuite devenu la société de personnes visée par l’appel. Même si, dans certains cas, le type de contrat visé par l’article 103 peut comporter davantage que les documents officiels de la société de personnes, dans la présente affaire, je ne suis pas convaincue qu’il y a lieu d’aller au-delà de ces documents, dont le ministre a accepté la validité, et qui montrent clairement que les proportions qui avaient été initialement convenues en ce qui a trait à la répartition des profits et des pertes de la société de personnes sont demeurées les mêmes tout au long de l’existence de la Seaview Trading Partnership.

 

[62]    Dans l’arrêt XCO Investments Ltd. c. Canada[61], la Cour d’appel fédérale a décrit la procédure en deux étapes à suivre pour appliquer le paragraphe 103(1) :

 

Puisqu’on a conclu que le paragraphe 103(1) s’appliquait parce qu’il y avait partage des revenus et que le principal motif de l’entente [entre l’appelante et le nouvel associé] était la réduction de l’impôt qu’[il] aurait payé autrement, cela nous amène à la deuxième question à laquelle il faut répondre, c’est-à-dire celle de savoir si l’attribution du revenu aux associés était déraisonnable[62].

 

[63]    Étant donné qu’il y a eu entente de partage entre l’appelant et Ethical selon des proportions déterminées, vu le deuxième volet du premier critère, il faut rechercher « s’il est raisonnable de considérer » que cette convention a pour objet principal « de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts » qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs. Il convient de souligner que, contrairement au paragraphe 103(1.1), le paragraphe 103(1) n’énonce aucun facteur dont il faut tenir compte pour ce qui est de la question de savoir si le montant est raisonnable; selon le paragraphe 103(1), ce n’est qu’une fois réunis les facteurs prévus par la disposition qu’il y a lieu de tenir compte « des circonstances, y compris les proportions dans lesquelles les associés sont convenus de partager » les pertes de la société de personnes.

 

[64]    En l’espèce, l’appelant admet avoir été poussé à acquérir la participation de Venture en partie par la perspective de se prévaloir des pertes de la société de personnes. Cependant, il n’a pas pour autant admis que la principale raison pour laquelle il avait convenu avec Ethical d’un partage selon des proportions de 80 p. 100 et de 20 p. 100 était « de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la présente loi », comme l’exige le paragraphe 103(1). Quels sont les éléments de preuve à cet égard?

 

[65]    En l’espèce, les faits sont bien différents de ceux de l’affaire XCO Investments Ltd. et de ceux de l’affaire subséquente concernant le paragraphe 103(1), Penn West Petroleum Ltd. c. La Reine[63]. D’abord, dans ces deux affaires, il n’y avait nulle controverse quant à l’identification des parties à l’entente présumée. Dans ces deux affaires, étaient en cause des faits complexes; il s’agissait de faits typiques de stratagèmes astucieux visant à créer un avantage fiscal. Dans ces deux affaires, les ententes entre les associés existants et les nouveaux associés ont faussé considérablement les proportions initialement convenues; il s’agissait de procurer un avantage fiscal précis pour au moins une des parties à l’entente de partage. De plus, dans chaque cas, il était expressément prévu que le rôle du nouvel associé serait temporaire et ne durerait que quelques jours, ce qui a amené l’ancien juge en chef à qualifier d’« éphémère » la participation des nouveaux associés à leurs sociétés de personnes respectives.

 

[66]    Dans l’affaire XCO, le juge en chef Bowman a résumé l’entente comme suit :

 

29]    En espèces, Woodwards a payé 1 260 000 $ et reçu 8 827 $ plus 1 808 689,86 $. La différence de 548 689,98 $ entre 1 808 689,86 $ et 1 260 000 $ est très proche de 561 600 $, ce qui représente 80 % de 702 000 $, soit la réduction de 6,5 % de la juste valeur marchande présumée de 10 800 000 $ de Westhill Apartments. Ainsi, Woodwards a réalisé un profit de 548 689 $ et reçu 8 867 $ du bénéfice d’exploitation, soit au total 557 556 $.

 

[30]    Tel a été le coût effectif en argent pour les appelantes pour obtenir la participation de Woodwards. Ainsi, elles ont économisé ou auraient économisé, si le plan avait marché, l’impôt sur 5 867 336 $ (118 405 $ + 5 748 931 $). Je n’ai pas calculé les économies d’impôt effectives pour les appelantes. Je suppose que je pourrais essayer, mais j’arriverais probablement à un résultat inexact. Qu’il suffise de dire que ce serait probablement un montant de plus de 2 000 000 $, soit plusieurs fois leur mise de fonds effective.

 

[31]    Quel était donc l’objet prédominant de cette opération? Du point de vue des appelantes, c’était évidemment de réaliser des économies d’impôt. Pour une mise de fonds d’un peu plus d’un demi-million de dollars, elles s’attendaient à réaliser des économies d’impôt de plus de 2 00 000 $. La motivation est évidente. J’ai été incapable de déterminer une fin commerciale ou non fiscale.

 

[32]    Du point de vue de Woodwards, il n’y avait absolument pas de motivation fiscale. C’était simplement une proposition d’affaires. Il n’y avait pas d’impôt à payer ou à économiser. Pour sa participation au projet, Woodwards a reçu un profit d’environ 550 000 $2.

 

[33]    La contribution de Woodwards a été éphémère et, à toutes fins pratiques, sans risque. Il est donc déraisonnable de lui attribuer 80 % du revenu provenant de Westhill Apartments. C’est exactement ce pour quoi le paragraphe 103(1) est là.

 

[67]    Après avoir analysé en détail les opérations sous-jacentes aux répartitions, la Cour a conclu que le ministre avait fait une juste application du paragraphe 103(1). La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision par laquelle le juge de première instance a attribué au partenaire existant la valeur de 557 656 $ du bénéfice que le nouvel associé, Woodwards, avait effectivement reçu.

 

[68]    Plus tard, dans l’affaire Penn West Petroleum, le juge en chef Bowman a confirmé l’attribution par le ministre, conformément au paragraphe 103(1), du produit de la disposition des biens de la société de personnes en fonction des participations respectives des associés pour les raisons suivantes :

 

[48]      […] la principale raison pour laquelle la convention entre l’appelante et Phillips a pris la forme qu’elle a prise [...] était que l’appelante voulait réduire l’impôt qu’elle aurait eu à payer autrement. La convention n’avait d’autre raison d’être que de rendre acceptable pour l’appelante le prix inférieur que Phillips était prête à payer. [...] La réattribution par le ministre du produit de la disposition des avoirs miniers aux associés selon leur participation dans la société est raisonnable, tandis qu’il est très déraisonnable de faire d’une personne une associée à hauteur de 5,27 % pendant 25 jours (du 30 janvier 1995 au 24 février 1995), de lui verser 5,27 % des autres revenus, mais d’attribuer à cette associée [...] (100 %) du produit réputé de la disposition d’actifs attribués à cette associée.

 

[69]    Je conviens avec l’avocat de l’appelant qu’aucun [traduction] « facteur répréhensible » de cette nature [64] n’existe en l’espèce. Ethical et l’appelant ont déduit une part de la perte subie à la fin de l’exercice 2003 de la société de personnes selon des proportions correspondant tout à fait à la participation prévue pour chacun dans les ententes de la société de personnes visée par l’appel, lesquelles proportions correspondaient également aux parts convenues dans le contrat de la société de personnes initiale. Aucune modification n’a été apportée et aucune autre entente n’a été conclue de manière à permettre à l’appelant de bénéficier d’un avantage fiscal ou à le placer dans une situation plus avantageuse que celle de l’autre associé, Ethical, ou que celle dont Venture avait bénéficié avant son départ. Enfin, contrairement aux nouveaux associés dans les affaires XCO et Penn West Petroleum, l’appelant est demeuré membre de la société de personnes visée par l’appel et de la société de personnes subséquente pendant quatre ans et a exercé activement les mêmes activités que celles qu’avait exercées la société de personnes initiale. Ce degré de participation ne saurait être qualifié « d’éphémère »; les contribuables visés par les décisions XCO et Penn West Petroleum ne pouvaient en dire autant.

 

[70]    Dans l’ensemble, il ne serait pas raisonnable de dire que l’objet principal de l’entente par laquelle l’appelant et Ethical ont convenu de partager les pertes de la société de personnes selon des proportions de 80 p. 100 et de 20 p. 100 était de réduire les impôts ou d’en différer le paiement. Étant donné que le deuxième volet du premier des facteurs prévis par le 103(1) n’a pas été établi, c’est à tort que le ministre s’est fondé sur cette disposition pour ramener à zéro la part de l’appelant des pertes de la société de personnes visée par l’appel. Subsidiairement, pour bon nombre des mêmes raisons, je ne suis pas convaincue, eu égard aux critères pertinents énoncés au paragraphe 103(1), que la part de 80 p. 100 de l’appelant n’était pas raisonnable; en conséquence, l’application du paragraphe 103(1) par le ministre n’était pas justifiée.

 

[71]    En ce qui a trait au paragraphe 103(1.1), cette disposition joue « lorsque plusieurs associés d’une société de personnes qui ont, entre eux, un lien de dépendance, conviennent de partager [...] toute perte de la société de personnes [...] qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de ces associés et que la part [...] de la perte [...] revenant à l’un de ces associés n’est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital qu’il a investi dans la société de personnes ou du travail qu’il a accompli pour elle ou de tout autre facteur pertinent ». Une fois ces conditions réunies, « cette part est réputée, indépendamment de toute convention, être le montant qui est raisonnable dans les circonstances ». Contrairement au paragraphe 103(1), le paragraphe 103(1.1) ne renvoie nullement à une entente de partage « en proportions déterminées ».

 

[72]    Étant donné qu’il est constant qu’Ethical et l’appelant avaient entre eux un lien de dépendance et que j’ai conclu que les documents de la société de personnes visée par l’appel constituent la seule entente intervenue entre eux au sujet du partage des pertes de celle-ci, les éléments donnant lieu à l’application du paragraphe 103(1.1) sont réunis. Il faut rechercher la prochaine question à trancher est de savoir si la part de 80 p. 100 de l’appelant était raisonnable, compte tenu du capital investi ou du travail accompli pour ladite société par Ethical et lui-même ou de tout autre facteur pertinent.

 

[73]    S’exprimant d’abord sur le critère du capital investi, l’avocate de l’intimée a soutenu que la différence de valeur entre l’apport en capital que Venture a versé à la société de personnes initiale (6,8 millions de dollars) et le prix d’achat que l’appelant a payé (1,1 million de dollars) pour acquérir la participation de Venture dans ce qui est alors devenu la société de personnes visée par l’appel était importante puisque, malgré cet écart entre les prix d’acquisition respectifs, Venture et l’appelant auraient tous les deux pu se prévaloir de la perte de 7,5 millions de dollars. Dans ces circonstances, l’avocate de l’intimée a fait valoir qu’il aurait peut-être été raisonnable pour Venture de réclamer une part de 80 p. 100 de cette perte comme membre de la société de personnes initiale, mais qu’il n’était pas raisonnable pour l’appelant de déduire le même montant à titre de membre de la société de personnes visée par l’appel.

 

[74]    Là encore, l’argument de l’intimée a tendance à brouiller la distinction entre les membres de la société de personnes initiale et ceux de la société de personnes visée par l’appel. Selon ma lecture du paragraphe 103(1.1), le fait le plus important à prendre en compte pour décider si la part de l’un des associés ayant un lien de dépendance qui a convenu de partager les profits et les pertes est raisonnable est la proportion de cette part par rapport au capital investi ou au travail accompli par « les membres » de cette société de personnes. Un exemple typique serait la situation où le contrat de société prévoit la répartition égale des profits et des pertes alors qu’un associé a versé la totalité de la mise de fonds ou accompli la majorité du travail. Selon les circonstances, il se pourrait que la part réclamée par l’associé dont l’apport est inférieur ne soit pas raisonnable et qu’un montant différent soit attribué au titre du paragraphe 103(1.1). À titre d’exemple, l’avocat de l’appelant a renvoyé la Cour à la décision Spencer c. La Reine[65], qui a été rendue sous le régime de la procédure informelle : des associés qui étaient mari et femme avaient convenu de partager les profits et les pertes en parts égales. Après avoir tiré des conclusions concernant certains faits quant à la participation réelle des associés à l’entreprise de la société de personnes, la Cour a appliqué le paragraphe 103(1.1) afin d’attribuer à ceux-ci des parts respectives de 75/25 plutôt que la répartition convenue de 50/50.

 

[75]    Selon cette approche, en quoi l’apport en capital de Venture à la société de personnes initiale est-il pertinent aux fins de l’analyse fondée sur le paragraphe 103(1.1)? Selon ma lecture de cette disposition, la seule personne avec laquelle il est possible de comparer la situation de l’appelant est l’autre membre de la société de personnes visée par l’appel, Ethical. Bien que l’appelant ait investi une somme inférieure à celle de Venture, l’associé précédent, lorsqu’il a acquis sa participation, la situation financière de la société de personnes avait changé; le montant qu’il a payé pour faire l’acquisition de la participation de Venture n’était pas disproportionné par rapport à la valeur nette de la part qu’Ethical détenait alors dans la société de personnes. La mise de fonds de l’appelant constituait un investissement risqué. L’appelant a versé une somme de 1,1 million de dollars pour une participation dans la société de personnes visée par l’appel, dont la valeur comptable nette acceptée s’établissait à 766 000 $[66], et cette mise de fonds n’a pas été jugée déraisonnable dans le contexte d’un groupe d’entreprises familiales. Dans ces circonstances, le simple fait que l’appelant a acquis une participation dans une société de personnes à un coût sensiblement inférieur aux pertes de ladite société dont il a pu se prévaloir ne justifie pas en soi une attribution présumée en application de l’article 103. Même si l’apport en capital de Venture à la société de personnes initiale est considéré comme un « autre facteur pertinent », cela ne suffit pas pour modifier la conclusion tirée selon la prépondérance de la preuve, à savoir que la part de 80 p. 100 de l’appelant n’était pas déraisonnable.

 

[76]    Le deuxième critère prévu au paragraphe 103(1.1) est le travail accompli par l’un ou l’autre des associés ayant entre eux un lien de dépendance par rapport à celui des membres de ladite société. À ce sujet, il est constant que la société de personnes (sous toutes ses formes) a employé un directeur et un courtier pour diriger ses activités. Ainsi, comme c’était le cas entre Ethical et l’appelant (ou même, selon la logique de l’argument de l’intimée, Venture), aucun associé ne l’a emporté sur l’autre en termes de travail accompli; l’un comme l’autre s’en remettaient entièrement aux employés de la société de personnes pour accomplir les activités de celle-ci. Tel qu’il est mentionné plus haut, l’arrêt Continental Bank  enseigne clairement qu’une société de personnes valide peut exister même lorsque sa direction est confiée à un associé directeur; par conséquent, le fait que l’exploitation quotidienne de l’entreprise de la société de personnes visée par l’appel a été confiée à des employés compétents ne permet pas en soi de conclure que l’appelant est visé par le paragraphe 103(1.1).

 

[77]    L’avocate de l’intimée a également fait valoir que l’appelant était au courant de la perte avant de faire l’acquisition de la participation de Venture et qu’il n’était pas membre de la société de personnes initiale qui avait subi la perte de 6 millions de dollars.

 

[78]    En supposant que ces autres facteurs soient pertinents, je ne suis pas convaincue qu’ils signifient que la part de 80 p. 100 de l’appelant n’est pas raisonnable. D’abord, si l’on peut se fier à la jurisprudence, il n’est pas rare qu’un nouvel associé ait été au courant des pertes accumulées par la société de personnes à laquelle il s’est joint; aucune jurisprudence n’enseigne que cette connaissance suffit en soi pour faire jouer le paragraphe 103(1.1). Dans la mesure où cette connaissance implique que l’appelant était motivé par un avantage fiscal éventuel, cette motivation ne figure pas parmi les critères énoncés au paragraphe 103(1.1) et, en tout état de cause, j’ai déjà conclu qu’il y avait un bon équilibre entre les motivations fiscales liées à l’acquisition de la participation de Venture et l’intention accessoire de réaliser un bénéfice et que lesdites motivations fiscales n’influençaient pas la répartition des parts des associés. En dernier lieu, comme je l’ai déjà souligné, la répartition des pertes d’une société de personnes dépend de la question de savoir qui est membre d’une société de personnes validement formée à la fin de l’exercice financier de la société en question et non de la date à laquelle ces pertes pourraient avoir été essuyées. Il est indéniable qu’à la fin de 2003, l’appelant et Ethical étaient membres de la société de personnes visée par l’appel, laquelle avait été validement constituée. Pour les motifs exposés plus haut, la preuve ne justifie pas que l’on oppose le paragraphe 103(1.1) à l’appelant.

 

[79]    Dans l’ensemble, je conviens avec l’avocat de l’appelant que l’article 103 ne joue pas en l’espèce et que l’interprétation que le ministre donne à cette disposition a pour effet [traduction] « de réattribuer la perte de la société de personnes d’Ethical et [de l’appelant], qui étaient associés au 31 décembre, aux associés d’avant le 18 décembre 2003, soit Ethical et Venture, même si Venture n’était plus associée à [cette date] »[67]. Aucun élément des paragraphes 103(1) et 103(1.1) ne permet d’attribuer la perte d’une société de personnes à un ancien associé. Une conclusion différente irait à l’encontre du paragraphe 96(1), à l’égard duquel, comme l’avocat de l’appelant l’a souligné, une modification qui permettrait le type d’attribution proposée par l’intimée en l’espèce est actuellement à l’étude.

 

[80]    Pour les motifs exposés ci-dessus, l’appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2003 est accueilli avec dépens et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en fonction des conclusions suivantes :

 

1. l’appelant a droit à la perte de société de personnes qu’il a déduite pour l’année d’imposition 2003, parce qu’il était membre d’une société de personnes valide qui a été créée le 18 décembre 2003 et que l’attribution de ladite perte effectuée par le ministre du Revenu national au titre de l’article 103 n’était pas justifiée;

 

2. l’appelant a droit à une déduction de 16 000 $ au titre des frais de garde d’enfants;

 

3. en ce qui concerne l’année d’imposition 2003, l’appelant n’a pas tiré un revenu d’entreprise de 754 787 $ de la disposition des actions de 360networks.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifié remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 3 août 2010.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2011.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 406

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2008-1251(IT)G

 

INTITULÉ :                                       STEPHEN STOW c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 2 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉ :                                       L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ : Le 6 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Douglas H. Mathew

Me Terry Gill

Avocates de l’intimée :

Me Lynn M. Burch

Me Lisa McDonald

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Noms :                    Douglas H. Mathew

                                                          Terry Gill

 

                            Cabinet :                Thorsteinssons

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Mémoire de l’appelant, au paragraphe 63.

[2] Ci-dessus, au paragraphe 33.

[3] Mémoire de l’appelant, au paragraphe 63.

[4] Extrait de la transcription, onglet A, page 8, lignes 6 à 25, et page 9, lignes 1 à 3 inclusivement.

 

[5] Mémoire de l’appelant, au paragraphe 61.

[6] R. C. I’Anson Banks. Lindley & Banks on Partnership, 17ed., Sweet & Maxwell, Londres, 1995; Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; Backman c. La Reine, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367; Spire Freezers Ltd. c. La Reine, 2001 CSC 11, [2001] 1 R.C.S. 391.

[7] Transcription, page 101, lignes 16 à 19 inclusivement.

[8] Paragraphe 1.9.134.

[9] R. c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, au paragraphe 25.

[10] Réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 2.1.5.

[11] Voir les hypothèses de fait formulées aux paragraphes 128, 133, 135, 136, 141 et 142, ainsi que dans les motifs devant constituer le fondement du rejet de l’appel, au paragraphe 4 de la réponse.

 

[12] Exposé des arguments de l’intimée, au paragraphe 1.

 

[13] Ci-dessus.

[14] Pour des exemples de réponses rédigées plus clairement, voir XCO Investments Ltd. c. La Reine, 2005 CCI 655, [2006] 1 C.T.C. 2220 (C.C.I.) et Penn West Petroleum Ltd. c. La Reine, 2007 CCI 190, [2007] 4 C.T.C. 2063 (C.C.I.).

[15] 2007 CAF 188.

 

[16] Ci-dessus, au paragraphe 29.

[17] Réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 1.9.133.

[18] Continental Bank, ci-dessus, au paragraphe 51; Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. La Reine, 2002 CAF 291, [2002] 4 C.T.C. 1, au paragraphe 17. (C.A.F).

[19] Backman, ci-dessus, au paragraphe 22; Water’s Edge, ci-dessus, au paragraphe 17.

[20] Backman, ci-dessus, au paragraphe 40.

[21] Ci-dessus, aux paragraphes 25 et 26.

[22] Recueil conjoint de documents, onglet 1.

[23] Recueil conjoint de documents, onglet 7.

[24] Recueil conjoint de documents, onglet 8.

[25] Recueil conjoint de documents, onglet 9.

[26] Recueil conjoint de documents, onglet 9, au paragraphe 3.

[27] Ci-dessus, au paragraphe 20.

 

[28] Ci-dessus, au paragraphe 6.

[29] Exposé des arguments de l’intimée, onglet 1, au paragraphe 2.3.

[30] Recueil conjoint de documents, onglet 8, au paragraphe A du préambule.

[31] Recueil conjoint de documents, onglets 28, 29 et 34.

[32] Ci-dessus, au paragraphe 34.

[33] Ci-dessus, aux paragraphes 20 et 22.

 

[34] Transcription, page 120, lignes 21 et 22.

[35] 2001 CAF 260, [2001] 4 C.T.C. 82, aux paragraphes 78 et 99. (C.A.F.).

[36] Ci-dessus, au paragraphe 99. (C.A.F.).

[37] Ci-dessus, au paragraphe 5.

 

[38] Exposé conjoint des faits, paragraphe 11.

[39] Exposé conjoint des faits, paragraphe 12.

[40] Transcription, page 133, lignes 14 à 16 inclusivement.

[41] [2006] A.C.I. no 329. (C.C.I.).

[42] [2002] A.C.F. no 703. (C.A.F.).

[43] Continental Bank, ci-dessus, au paragraphe 23; Witkin, ci-dessus, au paragraphe 15.

[44] Interrogatoire préalable de Stephen Stow, questions 134 et 191.

 

[45] Interrogatoire préalable, questions 132 et 135.

[46] Ci-dessus, au paragraphe 58.

[47] Interrogatoire préalable de Stephen Stow, questions 124 à 127, extrait de la transcription, pages 15 et 16.

 

[48] Makuz, au paragraphe 71.

[49] Ci-dessus, au paragraphe 70.

 

[50] Ci-dessus, au paragraphe 11.

[51] Ci-dessus, au paragraphe 11.

[52] Exposé des arguments de l’intimée, page 12.

[53] Exposé des arguments de l’intimée, au paragraphe 28.

[54] Transcription, page 143, lignes 3 et 4.

[55] Transcription, page 142, lignes 16 à 18.

[56] Transcription, page 138, lignes 23 à 25, jusqu’à la page 139, lignes 1 à 4.

 

[57] Transcription, page 139, lignes 13 à 21.

[58] Transcription, page 140, ligne 25, jusqu’à la page 142, lignes 1 à 3.

 

[59] Exposé conjoint des faits, au paragraphe 6.

[60] Exposé conjoint des faits, au paragraphe 15.

[61] 2007 CAF 53, [2007] 2 C.T.C. 243. (C.A.F).

[62] Ci-dessus, au paragraphe 16.

 

[63] 2007 CCI 190 (C.C.I.).

[64] Transcription, page 92, ligne 17.

 

[65] 2003 CCI 343, [2003] 4 C.T.C. 2679

[66] Exposé conjoint des faits, au paragraphe 12; recueil conjoint de documents, onglet 3.

[67] Transcription, page 82, lignes 13 à 16.

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