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Dossier : 2008-1212(IT)G

ENTRE :

Christiane Gagnon,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 15 et 16 juin 2010, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Robert Marcotte

Avocate de l'intimée :

Me Marielle Thériault

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation établie en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l’avis porte le numéro 30495 et est daté du 12 avril 2007, est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 24e jour de septembre 2010.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 482

Date : 20100924

Dossier : 2008-1212(IT)G

 

 

ENTRE :

Christiane Gagnon,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Archambault

 

[1]              Mme Christiane Gagnon interjette appel d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). Le ministre a tenu Mme Gagnon pour redevable d’un montant de 22 113,72 $ représentant une dette fiscale de son conjoint de fait, M. Robert Desrosiers, à l’égard de l’année d’imposition 2001. À la date de la cotisation, soit le 12 avril 2007, cette dette fiscale se ventilait de la façon suivante : 14 855,99 $ au titre de l’impôt et 7 257,73 $ à l’égard des intérêts courus[1]. Cette cotisation résultait du transfert par acte notarié (acte de vente), effectué le 4 mars 2001 par M. Desrosiers de sa moitié indivise de la résidence familiale située rue Delisle à Saint-Augustin-de-Desmaures (résidence). L’acte de vente a été publié le 6 mars 2001.

 

 

 

 

Contexte factuel

 

[2]              Mme Gagnon et M. Desrosiers ont acquis la résidence le 21 juillet 1997. Le prix convenu était de 215 000 $. (Voir pièce A-1, onglet 4.) Lors de son témoignage, M. Desrosiers a indiqué qu’avant d’en faire l’acquisition il avait disposé, en 1997, d’une autre résidence qu’il possédait seul, même s’il l’occupait avec Mme Gagnon. M. Desrosiers avait jugé approprié que Mme Gagnon devienne copropriétaire de la nouvelle résidence.

 

[3]              Un prêt hypothécaire de 130 000 $ a été consenti le 11 juillet 1997 à Mme Gagnon et à M. Desrosiers par la Caisse populaire Laurier pour financer l’acquisition de la résidence. M. Desrosiers a obtenu, le 22 août 1997, un deuxième prêt de 25 000 $, dont le remboursement était garanti par une hypothèque grevant la résidence. Toutefois, Mme Gagnon n’était pas personnellement responsable de ce prêt, uniquement hypothécairement. (Voir pièce A-1, onglet 6.) Il semble que le premier prêt fut refinancé par un nouveau prêt hypothécaire, de 175 000 $, consenti par la Caisse populaire Laurier de façon à dégager une somme de 45 000 $ au bénéfice de M. Desrosiers pour qu’il l’utilise dans son entreprise. L’acte n’a pas été produit en preuve; seule l’a été une offre de financement en date du 29 avril 1999 adressée à M. Desrosiers ainsi qu’à Mme Gagnon. (Voir pièce A-1, onglet 7.)

 

[4]              Le 4 mars 2001, M. Desrosiers a cédé à Mme Gagnon tous ses droits indivis sur la résidence, à l’exception d’un droit d’usage de la résidence[2]. Mme Gagnon a également accordé à M. Desrosiers un droit d’usage, tel qu’il est décrit à l’article 13 de l’acte de vente :

 

13.              DROIT D’USAGE

 

Le cessionnaire accorde, sa vie durant, la jouissance, à titre de droit d’usage, au cédant, acceptant, de la propriété faisant l’objet de la présente cession et décrite ci-avant sans être tenu de l’obligation de souscrire une assurance ou fournir au propriétaire une autre sûreté garantissant l’exécution de ses obligations.

 

Ce droit d’usage est ainsi consenti à seulement charge par le cédant de payer la moitié des taxes foncières.

 

Ce droit est incessible et insaisissable.

 

[5]              Voici comment la clause traitant du prix est libellée dans l’acte de vente[3] :

 

10.              PRIX

 

La présente cession est consentie en considération de l’assumation, par le cessionnaire, à la complète exonération du cédant, des charges suivantes, savoir :

 

-           la somme de QUATRE-VINGT-QUATRE MILLE TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX-NEUF DOLLARS ET QUARANTE CENTS (84 399,40 $), représentant la part due par le cédant à la Caisse Desjardins de Sainte-Foy, aux termes de l’acte publié à Portneuf, sous le numéro 495 611, dont le solde total en date du vingt [sic] CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUIT [sic] DOLLARS ET SOIXANTE-DIX-NEUF CENTS (168 798,79 $);[4]

 

-                     la somme de DOUZE MILLE CINQ CENTS DOLLARS (12 500 $), représentant la part due par le cédant à Caisse Desjardins de Sainte-Foy, aux termes de l’acte publié à Portneuf, sous le numéro 485 834, dont le solde total en date du vingt février deux mille un (2001‑02‑20) est de VINGT-CINQ MILLE DOLLARS (25 000,00 $), dont le cédant s’engage à effectuer seul le remboursement à la complète exonération du cessionnaire. [sic]

 

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

[6]              Même s’il existe une contradiction entre le libellé introductif du paragraphe 10 et la fin du sous-paragraphe traitant de l’hypothèque de 12 500 $, qui dit que c’est « le cédant [qui] s’engage à effectuer seul le remboursement à la complète exonération du cessionnaire », le ministre a tenu pour acquis que Mme Gagnon s’était engagée à prendre en charge cette somme de 12 500 $. Il a donc tenu pour acquis que Mme Gagnon avait versé une contrepartie de 96 900 $ (84 399 $ + 12 500 $). (Voir alinéa 17(e) de la réponse à l’avis d’appel modifiée). Selon Mme Gagnon et M. Desrosiers, Mme Gagnon aurait dans les faits pris en charge l’entièreté de l’hypothèque de 25 000 $ et non pas juste les 12 500 $ mentionnés dans l’acte de vente. Toutefois, tel qu’il a été mentionné précédemment, Mme Gagnon n’était qu’hypothécairement responsable de l’hypothèque de 25 000 $ et non pas personnellement responsable. De plus, aucun acte n’est venu modifier l’acte de vente du 4 mars 2001.

 

[7]              M. Desrosiers a indiqué qu’il avait fait le transfert de sa moitié indivise (sauf le droit d’usage) de la résidence pour protéger la situation financière de Mme Gagnon en raison de ses propres difficultés financières. Toutefois, il n’aurait eu alors aucune connaissance qu’il était endetté envers le ministre. Quoique M. Desrosiers n’ait pas contesté la cotisation du ministre pour l’année d’imposition 2001, qui a augmenté son revenu tiré d’une entreprise, il semble que cet ajout a trait à des revenus provenant de la vente de biens qu’il aurait effectuée pour le compte de tiers.

 

[8]              Dans sa cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi, le ministre a tenu pour acquis que la juste valeur marchande (JVM) du bien transféré, à savoir la moitié indivise de la résidence, s’élevait à 137 000 $ au moment du transfert. À l’appui de cette hypothèse de fait, le ministre a produit un rapport d’évaluation de la résidence dressé par M. Patrice Gagnon, un évaluateur agréé au service de l’Agence du revenu du Canada. (Voir pièce I-4.) Cet évaluateur a établi la JVM de la résidence à 274 000 $ en date du 6 mars 2001. Il a procédé selon la méthode de parité. (Voir pièces I-4 et I-5.) Il n’a pas tenu compte du fait qu’il ne s’agissait que d’une moitié indivise de la résidence ni du fait qu’il y avait démembrement du droit de propriété étant donné, en particulier, le droit d’usage que conservait M. Desrosiers, et il n’a pas non plus déterminé la JVM du droit d’usage consenti par Mme Gagnon à M. Desrosiers.

 

[9]              Mme Gagnon n’a pas produit de témoin expert ni de rapport d’expertise pour contredire l’évaluation préparée par M. Gagnon. Toutefois elle a introduit des données sur la vente de propriétés dans le même secteur que celui de la résidence, lesquelles provenaient de la banque de données des courtiers en immeubles (connue sous le sigle MLS (SIA en français)). La courtière qui a colligé ces données a témoigné à l’audience. Mme Jocelyne Savard est une connaissance de M. Desrosiers. Elle a parlé de plusieurs ventes immobilières effectuées dans le secteur de Saint-Augustin-de-Desmaures, pour lesquelles elle a fourni le prix de vente et la valeur inscrite au rôle de l’évaluation municipale. Elle a établi un ratio entre le prix de vente et cette valeur (ratio prix de vente/valeur municipale). (Voir pièce A-1, onglet 10).

 

[10]         Par exemple, à l’égard de la première propriété figurant à la page 52 de l’onglet 10 de la pièce A‑1, on indique qu’elle s’est vendue pour la somme de 175 000 $ alors que la valeur municipale était de 142 000 $. Elle a donc déterminé que cette propriété s’était vendue à un ratio prix de vente/valeur municipale de 1,23 (175 000/142 000). Mme Savard a indiqué qu’elle avait déterminé un ratio moyen de 1,104 à partir des données concernant 14 propriétés[5]. Si on applique ce ratio à la valeur municipale de la résidence, soit 214 000 $[6], on obtiendrait une valeur marchande de la résidence de 236 256 $. Lors de son contre-interrogatoire, Mme Savard a reconnu que les ratios prix de vente/valeur municipale qu’elle avait déterminé pour calculer son taux moyen variaient entre 0,93 et 1,92. De plus l’âge des propriétés visées variait entre 13 et 18 ans, et peut-être entre de 9 et 21 ans.

 

[11]         Mme Gagnon a également fait l’objet d’une cotisation établie le 1er septembre 2006 en vertu de l’article 14.5 de la Loi sur le ministère du Revenu (LMR) du Québec vu que M. Desrosiers se trouvait en défaut à l’égard de certaines dispositions législatives québécoises applicables (Voir pièce A-1, onglet 11). Cette cotisation a résulté du transfert de la moitié indivise de la résidence effectué le 6 mars 2001 par M. Desrosiers en faveur de Mme Gagnon. Le montant de la cotisation s’élevait à 12 810,16 $. Une cotisation semblable à l’égard du même transfert a aussi été établie le même jour pour le compte du ministre en vertu du paragraphe 325(2) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). Le montant de cette cotisation s’élevait à 17 815,44 $. (Voir pièce A-1, onglet 13.) En vertu du mémoire sur opposition préparé par l’agent des oppositions du ministère du Revenu du Québec (Revenu Québec), le prix de vente de la résidence avait été établi à 199 424,40 $ et sa JVM à la valeur arrondie de 230 000 $[7]. Par conséquent, l’avantage reçu par Mme Gagnon s’élevait à 30 575,60 $. On semble avoir attribué ainsi à la moitié indivise la valeur totale de la résidence.

 

[12]         Il faut noter que cette JVM avait été déterminée par M. Gilles Vézina, évaluateur agréé de Revenu Québec, le 20 décembre 2005. La date d’évaluation est également le 6 mars 2001 (pièce I-2). M. Vézina a estimé la valeur de la résidence en appliquant le taux d’augmentation du prix des maisons dans l’agglomération de Québec, tel qu’il avait été déterminé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Selon les données de cet organisme, le prix moyen des maisons était passé de 85 000 $ à 91 600 $ entre 1997 et 2001, soit une augmentation d’environ 7%. En multipliant le coût d’achat de 215 000 $ en 1997 par 1,07, l’évaluateur a estimé la valeur à 230 000 $.

 

[13]         M. Desrosiers a fait la cession de ses biens le 30 janvier 2007. (Voir pièce A-1, onglet 16.) Revenu Québec a déposé un préavis d’opposition à la libération du débiteur failli en date du 27 juillet 2007. Dans un acte de transaction signé non seulement par Revenu Québec, mais également par M. Desrosiers et Mme Gagnon, on indique que M. Desrosiers avait cédé à sa conjointe la moitié indivise de la résidence le « 6 mars 2001 ». Dans ce document, on mentionne la dette existant en vertu de la LMR et celle existant en vertu de la LTA. La transaction indique que Mme Christiane Gagnon paiera à Revenu Québec une somme globale de 13 000 $ afin de régler le litige découlant des deux avis de cotisation. Toutefois, dans les faits, une somme de 10 900 $ a été versée par l’entreprise de M. Desrosiers. (Voir pièce A-1, onglet 17). Seulement 2 100 $ aurait été versé par Mme Gagnon. (Voir pièce A-1, onglet 16, page 117.)

 

 

Litige

 

[14]         L’appel de Mme Gagnon soulève plusieurs questions, dont les suivantes :

 

1)                 Est-ce que la cotisation doit être annulée parce que le ministre a tenu pour acquis que la date du transfert était le 6 mars 2001 alors que la date réelle était le 4 mars 2001?

2)                 Doit-on exclure du montant de la dette fiscale le montant des intérêts de 7 257, 73 $?

3)                 Quelle était la JVM du droit de propriété transféré par M. Desrosiers en faveur de Mme Gagnon? Doit-on tenir compte du droit d’usage que s’était réservé M. Desrosiers?

4)                 Quelle était la JVM de la contrepartie fournie par Mme Gagnon? Doit-on ajouter l’autre moitié de l’hypothèque de 25 000 $ même si cette obligation hypothécaire n’est pas mentionnée dans l’acte de vente? Doit-on tenir compte du droit d’usage consenti par Mme Gagnon en faveur de M. Desrosiers lors du transfert[8]? Doit‑on également tenir compte des montants de TPS, de TVQ et d’impôt provincial sur le revenu dont Mme Gagnon a été tenue pour redevable en vertu de disposions semblables à celles de l’article 160 de la Loi que l’on trouve dans la LTA et la LMR?

 

 

 

Analyse

 

 

·        Cotisation non valide

 

[15]         Selon la prétention de l’avocat de Mme Gagnon, le ministre se devait d’établir sa cotisation avec une très grande rigueur puisque que l’article 160 était une disposition exorbitante du droit commun, qui permettait essentiellement d’exproprier une partie des biens de Mme Gagnon. Il s’agit d’un pouvoir exceptionnel. Étant donné que la cotisation indiquait que la propriété avait été transférée le 6 mars 2001, alors qu’elle l’avait été en réalité le 4 de mars 2001 cette erreur invalidait la cotisation[9]. L’avocat de Mme Gagnon n’a pu citer à l’appui de sa prétention aucune jurisprudence traitant de faits semblables. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. Il s’agit d’une erreur qui ne porte pas à conséquence. Mme Gagnon n’en subit aucun préjudice. En effet, que la vente ait eu lieu le 4 ou bien le 6 mars 2001, cela n’a pas d’impact sur la détermination de la JVM. Cela ne change pas de façon importante le processus d’évaluation de la résidence. Évidemment, si la vente avait eu lieu le 4 mars 2002, la situation aurait pu être différente. En outre, il y a lieu de rappeler ce que l’article 166 et le paragraphe 152 (3) de la Loi édictent :

 

166. Irrégularités   Une cotisation ne peut être annulée ni modifiée lors d'un appel uniquement par suite d'irrégularité, de vice de forme, d'omission ou d'erreur de la part de qui que ce soit dans l'observation d'une disposition simplement directrice de la présente loi.

 

152 (3) Responsabilité indépendante de l’avis Le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été faite n’a pas d’effet sur les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt prévu par la présente partie.

 

 

·        Si la dette fiscale comporte des intérêts

 

[16]         L’avocat de Mme Gagnon a soutenu que la cotisation ne pouvait viser qu’un montant de 14 855 $, à savoir uniquement le montant de l’impôt, et que les intérêts de 7 257 $ devaient être exclus puisqu’ils ne faisaient pas partie de la dette fiscale existant au cours de l’année du transfert. En effet, au 31 décembre 2001, aucune obligation n’existait à cet égard. Les intérêts ne couraient qu’à compter du 30 avril 2002. À l’appui de sa prétention, il a cité la décision du juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) dans l’affaire Currie c. Canada, 2008 CCI 338, [2008] A.C.I. no 266 (QL), en particulier les paragraphes 22 et 27, que je reproduis ici[10] :

 

22     De toute évidence, le sous-alinéa 160(1)e)(i) ne peut s'appliquer. Selon le sous-alinéa 160(1)e)(ii), l'appelant est responsable de toutes les sommes que l'auteur du transfert, c'est-à-dire la succession, doit payer sous le régime de la Loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années -- ce qui signifie les sommes dues au titre du transfert de la succession jusqu'au 31 décembre de l'année du transfert inclusivement. L'appelant est donc uniquement responsable des sommes pour lesquelles la succession était elle-même responsable aux termes du sous-alinéa 160(1)e)(ii). Le transfert a très certainement eu lieu avant l'établissement de la cotisation no 1. Par conséquent, la cotisation no 1 doit être renvoyée au ministre pour nouveaux calculs et nouvel examen compte tenu du fait que l'appelant est uniquement responsable des sommes dues par l'auteur du transfert, c'est-à-dire la succession, jusqu'au 31 décembre de l'année du transfert inclusivement, et que sa responsabilité s'arrête là. Cela est certainement compatible avec la décision Algoa Trust, précitée. En outre, l'appelant demandait précisément le remboursement de la somme de 75 000 $ qu'il a payée à titre d'intérêts courus après la cotisation no 1. Cette somme sera supprimée de la cotisation en conformité avec mes observations précédentes, et cette mesure est très certainement nécessaire pour respecter la décision Algoa Trust, précitée. Dans cette décision, M. le juge Dussault précise aux pages 2 et 3 que le ministre du Revenu national ne peut imposer des intérêts au bénéficiaire du transfert :

[...]

[3] Le principe énoncé à l'article 160 de la Loi n'a pas pour effet de créer une dette fiscale. La disposition n'a pas pour effet de créer une deuxième dette, il n'y a qu'une seule dette fiscale. Le libellé de la Loi est très clair : le but de l'article 160 est essentiellement d'ajouter un autre débiteur qui est solidaire avec l'auteur du transfert. Ce nouveau débiteur est désigné comme étant le bénéficiaire d'un transfert. Il n'y a donc pas de nouvelle dette créée en vertu de la Loi, et ce n'est pas la cotisation qui fait naître l'obligation, c'est la Loi elle-même. Ainsi, fondamentalement il n'y a qu'une seule dette et c'est cette seule dette qui peut porter intérêt.

[4] D'abord, le premier paragraphe de l'article 160 établit effectivement une responsabilité solidaire du bénéficiaire d'un transfert et sa responsabilité est limitée au moins élevé des deux montants que l'on retrouve aux deux sous-alinéas 160(1)e)(i) et (ii), soit (i) la valeur du bien transféré moins la contrepartie et (ii), le total des montants que l'auteur doit payer au cours de l'année du transfert ou d'une année antérieure ou pour ces années-là, c'est-à-dire pour l'année du transfert et pour toutes les années antérieures.

[5] Deuxièmement, le paragraphe 160(2) stipule que le ministre du Revenu national (le "Ministre") peut établir une cotisation à tout moment. Cela est aussi très clair. Toutefois à l'égard de chaque cotisation émise la limite fixée à l'alinéa 160(1)e) doit être respectée.

[6] Troisièmement, je dirais qu'il n'y a aucune disposition de la Loi concernant les intérêts qui peut être applicable concernant une cotisation émise en vertu de l'article 160 de la Loi. Cela est logique puisqu'il n'y a pas de nouvelle dette fiscale et que la cotisation en vertu de l'article 160 reflète déjà les intérêts que l'auteur du transfert devait en plus de l'impôt. La cotisation peut refléter aussi des pénalités et des intérêts sur les pénalités. [...]

27     L'appel est accueilli, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur le fondement que l'appelant n'a pas à payer les intérêts courus sur la dette de la succession après le 31 décembre de l'année du transfert.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[17]         Comme toujours, il est important de citer les dispositions pertinentes de la Loi comme point de départ de toute analyse pour régler une question litigieuse d’interprétation :

 

160. (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

[...]

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)      l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

160. (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

 

[...]

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

 

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

 

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[18]         À l’encontre de la décision rendue dans l’affaire Currie, l’avocate de l’intimée a invoqué la décision rendue en 1994 par le regretté juge Dussault dans l’affaire Montreuil c. R., 1994 CarswellNat 2034, [1994] A.C.I. no 418 (QL), [1996] 1 C.T.C. 2182. Dans cette décision, qui n’est pas mentionnée dans l’affaire Currie, le juge Dussault adopte une interprétation du sous-alinéa 160(1)e)(ii) qui est à l’opposé de celle adoptée dans l’affaire Currie. En effet, il conclut que cet alinéa vise « tous les intérêts qui s’accumulent sur une dette fiscale impayée pour une année d’imposition donnée antérieure au transfert ou pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a lieu que ceux-ci s’accumulent avant ou après l’année du transfert. » [Je souligne.] Voici l’analyse qu’a faite le juge Dussault pour justifier cette conclusion, aux paragraphes 43 à 46 CarswellNat (39 à 42 QL) :

 

43     Sur la deuxième question, il importe au départ de rappeler qu'à la date du décès qui me paraît également être celle du transfert comme je l'ai indiqué plus haut, l'alinéa 160(1)e) de la Loi prescrivait qu'il y avait responsabilité conjointe et solidaire de l'auteur et du bénéficiaire d'un transfert jusqu'à concurrence du moins élevé des montants mentionnés aux sous-alinéas 160(1)e)(i) et (ii) soit:

 

(i)   la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et

 

(ii)  le total de tous les montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi à l'égard de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou de toute autre année d'imposition antérieure.

 

44     Compte tenu des faits admis, la seule difficulté concerne ici l'interprétation du sous-alinéa 160(1)e)(ii) aux fins d'établir la dette fiscale de l'auteur du transfert en vertu de cette disposition puisque celle-ci est utilisée comme l'un des paramètres pour déterminer le quantum de responsabilité du bénéficiaire. Le problème tient ici au fait que quatre bénéficiaires différents avaient droit chacun à une somme de 70 000,00 $ en vertu du testament de telle sorte que même si la responsabilité solidaire de chacun avec l'auteur du transfert ou avec sa succession se limite à la valeur du bien reçu, le paiement d'une somme équivalente par un seul de ces bénéficiaires n'éteindrait pas nécessairement la dette totale de telle sorte que chacun des autres bénéficiaires serait également tenu dans les limites fixées par l'alinéa 160(1)e) de la Loi. Cette question est également pertinente pour établir l'effet du paiement de la somme de 117 239,94 $ par la succession en février 1991 en regard du paragraphe 160(3) de la Loi.

 

45     Le paragraphe 161(1) de la Loi prescrit que des intérêts sont payables sur tout excédent d'impôt impayé pour une année d'imposition et qu'ils sont "calculés au taux prescrit pour la période pendant laquelle cet excédent est impayé". En fait, les intérêts s'accumulent quotidiennement et, depuis 1987, sont composés quotidiennement en vertu du paragraphe 248(11) de la Loi. Le taux est prescrit par la Partie XLIII du Règlement de l'impôt sur le revenu. Les intérêts sont payables comme en dispose le paragraphe 161(1) tant que la dette pour une "année d'imposition" est impayée. Ainsi, la seule relation qui existe entre les intérêts sur une dette fiscale impayée et une "année d'imposition" donnée est justement celle qui est établie par le paragraphe 161(1) de la Loi en fonction du montant d'impôt impayé pour cette année d'imposition et "pour la période pendant laquelle" ce montant est impayé. L'impôt est le principal et les intérêts sont l'accessoire. En ce sens, les intérêts qui s'accumulent jusqu'au paiement complet sur un montant d'impôt impayé pour une "année d'imposition" donnée antérieure au transfert constituent, quelle que soit l'année au cours de laquelle ils s'accumulent, un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la Loi "à l'égard de" cette année d'imposition antérieure selon le libellé du sous-alinéa 160(1)e)(ii) tel qu'il était applicable avant le 17 décembre 1987 ou "pour" cette année antérieure selon le libellé qui est applicable depuis cette date. En effet, le dictionnaire Bordas définit l'expression "à l'égard de" dans son sens usuel et moderne comme signifiant "envers" et "en ce qui concerne". Par ailleurs, le Grand Robert de la langue française donne notamment au mot "pour" le sens de "en ce qui concerne" et de "par rapport à". L'expression anglaise utilisée au sous-alinéa 160(1)e)(ii) "in respect of" a le même sens et confirme à mon avis l'interprétation donnée à l'effet que ces expressions couvrent tous les intérêts qui s'accumulent sur une dette fiscale impayée pour une année d'imposition donnée antérieure au transfert ou pour l'année d'imposition au cours de laquelle le transfert a lieu que ceux-ci s'accumulent avant ou après l'année du transfert. D'ailleurs, on sait que les mots "in respect of" ont un sens très large tel que reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Norwegijick [sic]. Dans son jugement dans cette affaire, le juge Dickson, qui devait devenir plus tard juge en chef, analysait ces mots dans les termes suivants:

The words "in respect of" are, in my opinion, words of the widest possible scope. They import such meanings as "in relation to", "with reference to" or "in connection with". The phrase "in respect of" is probably the widest of any expression intended to convey some connection between two related subject matters.

 

46     À mon avis, ceci est suffisant pour disposer du deuxième point. La question de savoir si un montant cotisé en vertu de l'article 160 porte lui-même intérêt par application de l'article 161 n'a pas été soulevé comme tel et ne fait pas directement l'objet du litige de telle sorte que je n'ai pas à me prononcer sur cette question.[11]

 

                                                                                      [Je souligne.]

 

[19]         À mon avis cette interprétation du juge Dussault est tout à fait conforme au libellé du paragraphe 160(1) de la Loi. S’il est vrai, comme l’a conclu le juge Dussault, que l’expression « pour une de ces années » est assez large pour avoir le sens de « en ce qui concerne » ou  « par rapport à », la version anglaise du sous-alinéa 160(1)e)(ii) ne laisse planer à aucun doute lorsqu’il définit la dette fiscale aux fins de l’article 160 comme étant « an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year ». Si l’expression « in respect of » était absente, on pourrait avoir raison d’affirmer que la dette fiscale est celle qui existait à la fin de l’année au cours de laquelle le transfert a eu lieu. Mais le législateur a de toute évidence voulu, en ajoutant « or in respect of », qu’une telle limite ne s’applique pas.

 

[20]         Non seulement cette interprétation du juge Dussault est plus conforme au libellé de l’article, mais elle est à plus conforme aussi l’intention du législateur. En effet, lorsqu’un contribuable transfère à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance un bien pour une contrepartie inférieure à la valeur marchande du bien, il se trouve à appauvrir son patrimoine d’un montant qui aurait pu servir au paiement de sa dette fiscale. La dette fiscale d’un contribuable ne se limite pas à l’impôt payable, mais comprend également les intérêts et, le cas échéant, les pénalités. Pourquoi le législateur aurait-il voulu que les autorités fiscales ne puissent pas recouvrer les intérêts dus par le débiteur fiscal si l’avantage reçu par le cessionnaire est suffisant pour lui permettre d’assumer une telle obligation?

 

[21]         En outre, je ne crois pas que le juge Dussault ait abandonné cette interprétation lorsqu’il a écrit ses motifs dans Algoa Trust qui sont mentionnés dans l’affaire Currie. D’une part, il ne l’a pas fait explicitement puisqu’il ne cite pas sa décision dans Montreuil. D’autre part, rien dans le raisonnement exposé dans ses motifs dans l’affaire Algoa Trust ne permet de croire qu’il a changé son interprétation du sous-alinéa 160 (1)e)(ii) de la Loi.

 

[22]         Rappelons rapidement les faits de cette affaire. Algoa Trust était un actionnaire de la société Jaans. Cette dernière avait déclaré des dividendes totalisant 78 000 $ en mai et en septembre 1982 en faveur d’Algoa Trust. Au moment du transfert, Jaans avait une dette fiscale de 88 244,82 $ dont 21 952,37 $ au titre de l’impôt pour les années 1980 et 1981 et 66 292.45 $ au titre des intérêts (soit un montant plus de trois fois supérieur à l’impôt) à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982. (Voir les motifs du juge Rip rendus dans l’affaire Algoa Trust c. Canada,[1993] A-C.I. no 15 (QL), 93 DTC 405 à la page 406.) Une des questions importantes en litige devant le juge Rip était de savoir si les dividendes constituaient un transfert de biens au sens de l’article 160. Le juge Rip a conclu que tel était le cas et a confirmé la cotisation qu’aurait établie le ministre en vertu de l’article 160. Toutefois, des paiements avaient été effectués par ou pour le compte de Jaans en réduction de sa dette fiscale et ces paiements avaient été affectés à des années d’imposition différentes de celles indiquées lors du paiement. En accueillant l’appel, le juge Rip a renvoyé l’avis de cotisation au ministre pour qu’on recalcule les intérêts en tenant compte de l’affectation qui avait été faite par l’auteur du paiement.

 

[23]         Dans la nouvelle cotisation résultant de la décision du juge Rip, le ministre a calculé un solde de dette fiscale de 25 278,60 $, mais Algoa Trust a contesté cette cotisation. C’est le juge Dussault qui a entendu l’appel. Au paragraphe 8 de ses motifs, le juge Dussault écrit que la dette fiscale de Jaans pour 1982 et les années antérieures s’élevait à 88 244,82 $, soit le même montant que celui mentionné par le juge Rip. Selon le juge Dussault, Algoa Trust avait versé une somme de 57 387,14 $ le 14 février 1991. (Voir le paragraphe 13 de sa décision.) Ce paiement n’a été reconnu qu’en 1993 et a été appliqué, rétroactivement au 14 février 1991, en réduction de la dette de Jaans. Comme l’avantage total dont avait joui Algoa Trust, tel qu’il a été déterminé en vertu du sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi, était de 78 000 $, le montant de la dette fiscale relativement auquel Algoa Trust pouvait être tenue pour solidairement responsable ne pouvait dépasser 78 000 $, même si la dette s’élevait à 88 244,82 $ et que les intérêts continuaient à courir. Ayant versé 57 387 $, Algoa Trust ne pouvait être tenue pour responsable du paiement d’un montant supérieur à 20 612,86 $ (78 000 $ - 57 387,14 $).

 

[24]         Par contre, rien dans les motifs du juge Dussault ne laisse croire qu’Algoa Trust ne pouvait être tenue pour responsable des intérêts courus à l’égard de la dette fiscale due après l’année du transfert. Bien au contraire, la cotisation en vertu de l’article 160 avait été établie le 20 novembre 1989. À cette date, des intérêts de 66 292 $ avaient été calculés à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982. Comme le transfert avait été effectué en mai et en septembre 1982, il est fort probable que les intérêts de 66 292 $ à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982 avaient trait à une période allant au‑delà de l’année 1982. En fait, il est fort probable que les intérêts ont été calculés jusqu’à la date de la cotisation établie le 20 novembre 1989 en vertu de l’article 160. Le juge Dussault écrit au paragraphe 14 qu’entre le 20 novembre 1989 (date de la cotisation) et le 14 février 1991 (date du paiement), la dette a augmenté à cause des intérêts et, par la suite la dette - réduite par le paiement de 57 387,14 $ - a continué, elle, de s’accroitre pour atteindre 26 810,36 $ au 21 décembre 1995 selon les calculs de l’agent de recouvrement. Il s’agit là de la date de la deuxième cotisation dont se trouvait saisie le juge Dussault. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 14 :

 

Entre le 20 novembre 1989 (date de la cotisation) et le 14 février 1991, la dette totale augmente à cause des intérêts et par la suite, la dette réduite par le paiement de 57 387,14 $, continue, elle, de s’accroître pour devenir 26 810,36 $ au 21 décembre 1995 selon les calculs de monsieur Gélinas. Aujourd’hui, elle est peut-être de 32 000,00 $ ou 33 000,00 $, cela n’a, encore une fois, aucune importance. Si on cotisait aujourd’hui Algoa Trust pour la première fois et qu’on recevait le jour même un paiement de 57 387,14 $, il est évident qu’on ne pourrait tenir Algoa Trust responsable d’un montant supérieur à 20 612,86 $ en appliquant l’alinéa 160(1)e) et l’alinéa 160(3)a), c’est-à-dire la différence entre le montant établi sous l’alinéa 160(1)e), soit 78 000,00 $, et le montant déjà payé soit 57 387,14 $. Alors, même si on ne récupère pas, qu’on ne fait pas le recouvrement d’Algoa Trust avant 50 ans, on ne pourra jamais recouvrer, à mon avis, plus de 20 612,86 $.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[25]         Pour bien saisir la portée des propos du juge Dussault, il faut comprendre qu’il fait une distinction entre les intérêts qui pourraient courir sur le montant établi en vertu de l’article 160 et ceux qui courent à l’égard de la dette fiscale du cédant (l’auteur du transfert). Tout ce que dit le juge Dussault, c’est que les intérêts ne courent pas dans le premier cas, mais qu’ils courent dans le deuxième. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 6 :

 

6     Troisièmement, je dirais qu'il n'y a aucune disposition de la Loi concernant les intérêts qui peut être applicable concernant une cotisation émise en vertu de l'article 160 de la Loi. Cela est logique puisqu'il n'y a pas de nouvelle dette fiscale et que la cotisation en vertu de l'article 160 reflète déjà les intérêts que l'auteur du transfert devait en plus de l'impôt. La cotisation peut refléter aussi des pénalités et des intérêts sur les pénalités.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[26]         Son raisonnement est clairement exposé au paragraphe 3 lorsqu’il écrit :

3 Le principe énoncé à l’article 160 de la Loi n’a pas pour effet de créer une dette fiscale. La disposition n’a pas pour effet de créer une deuxième dette, il n’y a qu’une seule dette fiscale. Le libellé de la Loi est très clair : le but de l’article 160 est essentiellement d’ajouter un autre débiteur qui est solidaire avec l’auteur du transfert. Ce nouveau débiteur est désigné comme étant le bénéficiaire d’un transfert. Il n’y a donc pas de nouvelle dette créée en vertu de la Loi, et ce n’est pas la cotisation qui fait naître l'obligation, c’est la Loi elle-même. Ainsi, fondamentalement il n'y a qu'une seule dette et c’est cette seule dette qui peut porter intérêt.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[27]         Le raisonnement du juge Dussault m’apparaît bien fondé. Si le ministre pouvait exiger de l’intérêt à l’égard du  montant établi en vertu de l’article 160, il pourrait en quelque sorte percevoir plus d’une fois de l’intérêt à l’égard de la même dette, une fois auprès du débiteur principal et une autre fois auprès du cessionnaire (débiteur solidaire). S’il y avait plusieurs cessionnaires, le ministre pourrait multiplier d’autant les intérêts. En outre, si des intérêts pouvaient être calculés sur le montant cotisé établi en vertu de l’article 160, cela pourrait avoir comme résultat que le montant que le cessionnaire peut être tenu de payer dépasserait le montant de l’avantage dont il a joui, ce qui va à l’encontre de l’esprit de l’article 160. Il serait inéquitable d’agir ainsi.

 

[28]          Par contre, rien n’empêche le ministre de tenir le cessionnaire pour responsable des intérêts dus par le cédant en vertu de l’article 160. Ainsi, il peut établir à l’égard du  cessionnaire une cotisation exigeant de lui le paiement de l’intérêt dû par le cédant pour toute période subséquente à l’année du transfert, y compris, me semble-t-il, une période subséquente à la cotisation établie en vertu de l’article 160, dans la mesure où il s’agit d’intérêt dû par le cédant. Bien évidement, comme l’a décidé le juge Dussault dans Algoa Trust, ce montant d’intérêt ne pourra pas dépasser la limite prescrite par le sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi, à savoir celle de la valeur de l’avantage qu’il a reçu.

 

[29]         Par conséquent, il semble erroné d’affirmer que le juge Dussault a conclu qu’un cessionnaire ne peut être tenu pour responsable des intérêts qui courent après l’année du transfert relativement à la dette fiscale du cédant. Pour ces motifs, je conclu que Mme Gagnon est responsable du paiement des intérêts indiqués dans la cotisation établie par le ministre, à savoir les 7 257,73 $.

 

 

·        Évaluation de la JVM du bien cédé, au 4 mars 2001

 

[30]         Comme l’article 160 s’applique lorsqu’il y a transfert d’un bien, il faut déterminer quel est le bien qui a été transféré ici. M. Desrosiers n’était pas le seul propriétaire de la résidence. Le Code civil du Québec (C.c.Q. ou le Code civil) reconnaît différentes modalités de la propriété, dont celle de la copropriété. Il y a copropriété quand plusieurs personnes ont ensemble et concurremment sur un même bien, chacune d’elles étant investie, privativement, d’une quote-part du droit. (Voir l’article 1010 du C. c. Q.) Elle est appelée copropriété par indivision lorsque le droit de propriété ne s’accompagne pas d’une division matérielle du bien. Ici M. Desrosiers et Mme Gagnon étaient copropriétaires de la résidence. Ils possédaient tous les deux, ensemble et concurremment, un droit complet de propriété. M. Desrosiers n’a pu transférer que le droit qu’il détenait sur le bien, soit sa moitié indivise, et la valeur de cette moitié indivise ne peut correspondre à la JVM de la résidence elle-même. Il faut donc déterminer la valeur du droit qu’il détenait sur l’immeuble et qu’il a cédé. Le paragraphe 160(3.1) de la Loi édicte une règle expresse pour l’évaluation d’un droit indivis. Voici ce que dispose cet article[12] :

 

160 (3.1) Juste valeur marchande d'un droit indivis Pour l'application du présent article et de l'article 160.4, la juste valeur marchande, à un moment donné, d'un droit indivis sur un bien, exprimé sous forme d'un droit proportionnel sur ce bien, est réputée être égale, sous réserve du paragraphe (4), à la proportion correspondante de la juste valeur marchande du bien à ce moment.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[31]         Ainsi, la moitié indivise vaudrait la moitié de la valeur de la résidence si on s’en tenait à cette règle. Ici, toutefois, lorsqu’on analyse l’acte de vente, ce ne sont pas tous les droits qu’il détenait sur cette résidence que M. Desrosiers a cédés à Mme Gagnon. En effet, M. Desrosiers s’est réservé le droit d’usage de la résidence, l’usage étant un des attributs de la propriété. En droit civil québécois, un droit de propriété complet comporte tous les attributs de la propriété, soit l’usage, la jouissance et la libre disposition. On parle de démembrement lorsque deux ou plusieurs personnes possèdent chacune un ou plusieurs attributs du droit de propriété sur un même bien, mais non tous. (Voir l’article 947 du Code civil). Ici, M. Desrosiers n’a pas disposé de l’ensemble de ses droits; il n’a disposé que d’un droit de propriété démembré c’est-à-dire de ses droits de jouissance et de libre disposition. Il s’est réservé le droit d’usage. Dans ces circonstances, le droit démembré qu’il a transféré à Mme Gagnon ne peut valoir autant que le droit de propriété complet indivis que possédait M. Desrosiers sur la résidence et, à mon avis, la règle du paragraphe 160(3.1) de la Loi n’a pas d’application pour déterminer la JVM du droit démembré. Ce paragraphe  n’a d’application qu’en ce qui a trait à l’évaluation d’un droit indivis. Si M. Desrosiers ne s’était pas réservé le droit d’usage de la propriété et avait disposé du droit de propriété complet indivis qu’il possédait sur l’immeuble, cette règle s’appliquerait. Sa moitié indivise vaudrait alors la moitié de la valeur marchande de la résidence. Par contre, le droit de jouissance et de libre disposition dont il a disposé en faveur de Mme Gagnon vaut moins que 50 % de la valeur de la résidence.

 

[32]         Voilà pour les règles qui doivent guider la Cour. Pour déterminer la JVM du bien cédé par M. Desrosiers, il est tout de même utile de partir de la JVM de la résidence. Ici, on a proposé à la Cour deux approches, l’une desquelles étant celle suivie par Mme Gagnon, qui a produit en preuve des données révélant le prix de vente de nombreuses propriétés situées à Saint-Augustin-de-Desmaures et desquelles elle a tiré une formule pour déterminer la JVM de la résidence. Il s’agit du ratio prix de vente/valeur municipale. Aucun expert en évaluation n’est venu témoigner pour justifier cette approche ou son résultat. Par contre, le ministre a fait témoigner un expert, M. Gagnon, qui a produit son rapport d’évaluation. Dans ce rapport, M. Gagnon a adopté la méthode de parité. Sur les dix-sept propriétés qu’il a recensées, il en a retenu trois. Il s’agit de propriétés situées dans le même voisinage que la résidence. Il y a celles situées au 3015 et au 3063 rue Delisle et celle située au 257 rue Alfred Desrochers. Ces trois propriétés ont été vendues dans une période proche de la date d’évaluation, soit le 4 mars 2001. Il a consulté les contrats de vente relatifs à ces trois propriétés au Registre foncier du Québec.

 

[33]         Même s’il n’a pas visité l’intérieur de la résidence, M. Gagnon a pu obtenir des fiches techniques de la municipalité décrivant les aménagements intérieurs de la résidence et des trois propriétés comparables. La fiche technique relative à la résidence sur laquelle il s’est fondé datait du 27 avril 1998, soit la date de la dernière visite du technicien de la Ville de Québec. M. Gagnon a apporté des ajustements en fonction de la grandeur des terrains pour les trois propriétés comparables et de l’âge respectif des bâtiments qui y avaient été construits. En effet, il a tenu compte d’un facteur de dépréciation pour assurer une meilleure comparabilité. Il a été en mesure d’apporter des ajustements pour tenir compte des améliorations et des attributs distinctifs des propriétés. Notamment, en plus de la superficie du terrain, il a tenu compte de la superficie du bâtiment, de la finition de l’extérieur, de la finition du sous-sol, de l’existence d’un garage et de dépendances, ainsi que de l’équipement.

 

[34]         Lors de son témoignage, M. Desrosiers a indiqué des différences qui existaient entre l’état de la résidence  en 2007 lorsque la photo a été prise par l’évaluateur Gagnon et son état en 2001. Il a indiqué que l’encadrement sur les murs a été ajouté en 2004, qu’il n’existait pas de clôture et de haie de cèdres en 2001 et qu’une fenêtre en baie a été ajoutée à l’endroit où se trouvait un balcon au‑dessus de l’entrée du garage. De plus, il a précisé quelle était la superficie aménagée du sous-sol. Elle était de 945 pieds carrés (30 pieds sur 31.5 pieds) et non de 1300 pieds carrés, soit la superficie qu’avait estimée l’évaluateur Gagnon. Ce dernier a apporté, lors de l’audience, une modification à son rapport pour tenir compte d’une superficie moindre. La JVM de la résidence passe ainsi de 274 000 $ à 272 00 $. (Voir pièce I-5.)

 

[35]         À mon avis, l’évaluation de M. Gagnon a une valeur probante et convaincante plus grande que celle faite par Mme Savard à partir de l’analyse des données du système SIA. La méthode du ratio prix de vente/valeur municipale est une approche qui pourrait être utile lorsqu’on n’a pas de meilleure méthode. Toutefois, ici, l’évaluateur a pu trouver trois propriétés de la même rue que celle de la résidence ou situées dans le voisinage immédiat de celle-ci. Il a pu consulter les fiches techniques pour tenir compte des différences entre les propriétés et a pu tenir compte de l’aménagement intérieur de la résidence et des trois autres propriétés. Les données utilisées par Mme Savard pour justifier la valeur qu’elle a établie sont relatives à des propriétés dont l’âge peut être sensiblement différent de celui de la résidence, qui ne se trouvent pas dans le voisinage immédiat de la résidence ou dont les attributs ne sont pas semblables. Pour toutes ces raisons, je retiens la valeur déterminée par M. Gagnon, mais en tenant compte de l’ajustement concernant la superficie aménagée moins grande au sous-sol. La JVM de la résidence s’élève donc à 272 000 $. La valeur de la moitié indivise représenterait en conséquence 136 000 $ selon la règle édictée paragraphe 160(3.1) de la Loi.

 

 

 

 

·        Valeur du droit démembré

 

[36]         Aucun expert n’a témoigné pour évaluer la JVM du droit démembré cédé par  M. Desrosiers. La Cour ne jouit ainsi d’aucune aide pour l’évaluer. Dans les circonstances, il m’apparaît approprié de tenir compte d’une valeur minimale attribuable au droit d’usage, valeur qu’il faudrait soustraire de la JVM de la moitié‑indivise. Une valeur minimale de 5 % de la valeur du droit indivis (136 000 $) de M. Desrosiers, soit 6 800 $, m’apparaît appropriée pour tenir compte du droit d’usage qu’il n’a pas cédé à Mme Gagnon.

 

[37]         Il faut mentionner que mon collègue le juge Tardif s’est trouvé aux prises avec un problème semblable dans l’affaire Bergeron c. La Reine, 2003 CCI 286, que l’avocate de l’intimée a invoquée. Dans cette affaire, le débiteur fiscal avait cédé à son épouse par acte de donation une propriété immobilière. Cette donation stipulait qu’elle était « consentie à titre gratuit mais à la charge pour le donateur un droit d’habitation de façon à lui permettre d’occuper l’immeuble sa vie durant». L’immeuble ne pouvait « être vendu ou autrement aliéné à titre onéreux ou gratuit sans le consentement écrit du donateur ». Le juge Tardif devait décider si de telles réserves avaient un impact sur la JVM du bien cédé. Pour conclure qu’elles n’en avaient aucun, le juge Tardif s’est fondé sur la décision rendue dans l’affaire Hewett c. Canada,[1997] A.C.F. no 1544 (QL), [1998] 1 CTC 106, 98 D.T.C. 6003. Cette décision de la Cour d’appel fédérale confirmait une décision du juge McArthur publiée à [1996] A.C.I. no 355 (QL) [1996] 2 C.T.C. 2560. La question en litige devant la Cour d’appel fédérale était de savoir si le juge McArthur avait eu raison d’attribuer une moins-value à la moitié indivise transférée à la conjointe du débiteur. Cette décision a été rendue avant l’adoption du paragraphe 160(3.1) de la Loi. Le juge McArthur avait conclu que la moitié indivise avait une valeur inférieure à la moitié de la valeur de la propriété, qui s’élevait à 160 000 $, que la JVM était donc inférieure à 80 000 $. Se fondant sur le témoignage d’un évaluateur immobilier, qui avait indiqué que la valeur marchande de la part de 50 % dans la maison devait être réduite de façon importante, il a conclu que la JVM était de 40 000 $. Selon cet évaluateur, un investisseur ou un acheteur de la moitié indivise du mari aurait tenu compte du fait qu’il n’acquérait qu’une moitié indivise d’une propriété où l’autre indivise vivait déjà. Le juge McArthur a conclu ainsi :

 

53     La personne qui aurait acquis la maison de M. Hewett devait tenir compte du fait qu'elle obtiendrait, à titre de tenant conjoint de l'appelante, dans une proportion de 50 p. 100, un intérêt sur la maison que cette dernière occupait avec deux enfants et une petite-fille à charge. L'achat serait en outre imparfait du fait que l'appelante avait peut-être un intérêt plus important sur la maison, étant donné la relation matrimoniale troublée et incertaine.

 

54     À mon avis, il n'est que sensé que le ministre ne se retrouve pas avec un intérêt financier plus important que celui qu'avait le conjoint de l'appelante au moment du transfert. Je retiens le témoignage de M. Lee, à savoir que le montant en cause était la somme réduite de 40 000 $, et non 80 000 $.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[38]         Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale : « En l’espèce, il s’agissait du droit de copropriété dans la résidence familiale que détenait le contribuable immédiatement avant la cession à son épouse » ([1997] A.C.F. bi 1541, par. 2, 98 DTC 6003) Le juge Tardif a utilisé cette approche pour conclure qu’il ne fallait pas tenir compte du droit d’usage parce qu’il fallait se situer à un moment immédiatement avant le transfert de la propriété. Voici comment il s’exprime au paragraphe 47 :

Je crois que la JVM doit être appréciée dans les secondes précédant le transfert du bien, c'est-à-dire avant que le bien ne fasse partie du patrimoine du cessionnaire. Telle interprétation m'apparaît d'ailleurs conforme à l'esprit de la disposition prévue par l'article 160 de la Loi.

 

                                                                            [Je souligne.]

 

[39]         Le résultat obtenu par le juge Tardif est peut-être celui qu’il faudrait obtenir. Toutefois, à mon avis, il aurait fallu une modification de la Loi pour y arriver, une modification semblable à celle que le législateur a faite en adoptant le paragraphe 160(3.1) de la Loi, applicable à partir du 4 juin 1999. Le moment prévu par le sous‑alinéa 160(1)e)(i) pour évaluer un bien est « au moment du transfert ». Il va de soi que le bien qui doit être évalué est le bien transféré, ici le droit indivis démembré.  Si on appliquait le raisonnement de la décision Bergeron aux cas où une personne qui possède seule un immeuble n’en aliène qu’une moitié indivise, on se trouverait à établir, dans ces cas, une JVM égale à 100 % de la valeur du bien et non pas à 50 %. En effet, avant le transfert, le cédant détenait 100 % de la propriété. Le résultat ne serait donc pas approprié.

 

[40]         Par conséquent, je conclus que la JVM des droits transférés par M. Desrosiers à Mme Gagnon s’élève à 129 200 $ (136 000 $ - 6 800 $).

 

 

 

 

 

·        La JVM de la contrepartie donnée par Mme Gagnon

 

[41]         Le ministre a tenu pour acquis que la JVM de la contrepartie versée par Mme Gagnon s’élevait à 96 900 $ en raison des hypothèques qu’elle a prises en charge, telles qu’elles sont décrites dans l’acte de vente. À cette somme, Mme Gagnon soutenait qu’on devait ajouter une somme de 12 500 $ pour tenir compte du fait qu’elle avait pris en charge la totalité de l’hypothèque de 25 000 $ et non pas seulement la moitié tel que le stipule l’acte de vente. La preuve présentée par Mme Gagnon ne m’a pas convaincu que tel était le cas. D’abord, l’acte notarié de vente n’a pas été modifié pour rendre Mme Gagnon responsable du plein montant de 25 000 $. L’acte de vente ne fait état que de 12 500 $. Aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel Mme Gagnon a versé une somme en sus du montant qu’elle avait assumé. On doit s’en tenir, à mon avis, aux termes de l’acte de vente[13].

 

[42]         Par contre, en plus des hypothèques qu’elle a prises en charge, Mme Gagnon, qui détenait une moitié indivise de la résidence, a consenti en faveur de M. Desrosiers un droit d’usage à l’égard de sa moitié indivise. Elle a donc appauvri son patrimoine en acceptant de diminuer le droit de propriété qu’elle détenait sur la résidence. Par conséquent, il faut ajouter à la contrepartie de 96 900 $ reconnue par le ministre la valeur du droit d’usage qu’elle a cédé. Aucune évaluation n’a été faite de son droit d’usage. Contrairement au droit d’usage que M. Desrosiers s’est réservé, celui conféré par Mme Gagnon a été déclaré incessible. Dans ces circonstances, ce droit n’avait pas, à mon avis, la même valeur que le droit d’usage que s’était réservé M. Desrosiers. Dans son cas, le droit d’usage n’est pas incessible. Par conséquent, il convient d’ajouter à la JVM de la contrepartie versée par Mme Gagnon une somme inférieure à la valeur retenue pour le droit d’usage réservé par M. Desrosiers. Faute d’une preuve d’expert, une valeur de 3 % de la JVM de sa moitié indivise m’apparaît appropriée. Par conséquent, une somme de 4 080 $ sera ajoutée à la contrepartie versée par Mme Gagnon, pour un total de 100 980 $ (96 900 $ + 4 080 $). La valeur de l’avantage conféré par M. Desrosiers à Mme Gagnon, calculée selon les dispositions du sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi, s’élève à 28 220 $ (129 200 $ - 100 980 $).

 

[43]         En règlement partiel de la dette fiscale de M. Desrosiers résultant de d’autres lois fiscales, comme la LMR et la LTA (autres lois fiscales), Mme Gagnon a versé une somme de 2 100 $. Peut-on en tenir compte dans la JVM de la contrepartie qu’elle a versée à M. Desrosiers?

 

[44]         Il est clair que Mme Gagnon ne s’était pas engagée à assumer une telle responsabilité lorsqu’elle a signé l’acte de vente. Par contre, en vertu des autres lois fiscales, Mme Gagnon est devenue solidairement responsable avec M. Desrosiers de la dette fiscale de celui-ci en acceptant le transfert de la moitié indivise de la résidence. Peut-on considérer les sommes qu’elle a pu verser comme ayant été versées en contrepartie de la moitié indivise de la résidence? À mon avis le lien qui existe entre la responsabilité légale créée par les dispositions de ces autres lois fiscales et l’acquisition de la moitié indivise n’est pas suffisamment étroit pour qu’on puisse conclure qu’il s’agit d’une contrepartie. En plus, cette approche impliquerait une impossibilité dans l’application de l’article 160 puisque, si on considérait l’obligation légale créée par l’article 160 comme faisant partie de la contrepartie versée par Mme Gagnon, le résultat ferait partie du calcul du résultat et l’application de cette disposition serait circulaire.

 

[45]         Dans ces circonstances, il me semble qu’il existe une déficience importante dans l’application de l’article 160 de la Loi, lequel ne tient pas compte de ce qu’un cessionnaire qui a été avantagé par un cédant pourrait être tenu de payer un montant supérieur à la valeur de l’avantage conféré dont il a joui. Les différentes lois fiscales devraient prévoir un mécanisme permettant de répartir l’avantage conféré par un cédant à un cessionnaire entre les différentes obligations fiscales. À tout le moins, il faudrait prévoir qu’un contribuable ne pourrait être tenu, par la suite de la prise en compte de toute législation fiscale établissant une règle semblable à celle de l’article 160 de la Loi, de verser un montant supérieur à la valeur de l’avantage qu’il a reçu.

 

[46]         Ici, heureusement pour Mme Gagnon, il semble qu’elle ne subit pas de préjudice puisque l’avantage dont elle a joui à la suite du transfert des droits de M. Desrosiers sur la résidence s’élève à 28 220 $, montant duquel on soustrait la dette fiscale de 22 114 $ résultant de l’article 160. Il reste encore un avantage de 6 106 $. Comme le montant qu’elle a versé à Revenu Québec ne s’élève qu’à 2 100 $, il lui reste encore un avantage de 4 006 $. On n’a pas dépassé la limite du sous-alinéa 160(1) e)i) de la Loi.

 

[47]         Pour tous ces motifs, l’appel de Mme Gagnon est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 24e jour de septembre 2010.

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 


RÉFÉRENCE :                                 

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-1212(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Christiane Gagnon c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 les 15, et 16 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 24 septembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Robert Marcotte

Avocate de l'intimée :

Me Marielle Thériault

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Robert Marcotte

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Pièce A-1, onglet 1, p. 2 et onglet 3, p. 6

[2] Voir article 1 de l’acte de vente, pièce A-1, onglet 8 et pièce I-1. L’exception est décrite à l’article 10 de l’acte de vente, qui traite du prix :

Le vendeur se réserve, sa vie durant, la jouissance, à titre de droit d’usage, de la propriété faisant l’objet de la présente vente et décrite ci-avant sans être tenu de l’obligation de souscrire une assurance ou fournir au propriétaire une autre sûreté garantissant l’exécution de ses obligations.

[3] Pièce I-1, article 10.

[4] L’acte de vente est incomplet et entaché d’erreurs. En particulier, la description du solde de 84,399.40 $, pris en charge par Mme Gagnon ne fournit pas de détails précis quant au prêt initial. Le solde en chiffres ne correspond pas au solde indiqué en lettres. Il semble probable, toutefois, qu’il se rapporte au prêt de 175 000 $ décrit dans l’offre de financement du 29 avril 1999, qui comprenait le prêt additionnel de 45 000 $. Ainsi, seulement la moitié de ce prêt additionnel aurait été prise en charge par Mme Gagnon.

[5] Les données utilisées par Mme Savard proviennent des pages 57 à 87 de l’onglet 10 de la pièce A‑1, soit des documents consistant en des les fiches techniques complètes relatives à des propriétés vendues. Les données apparaissant aux pages 52 à 56 représentent des résumés sur lesquels Mme Savard avait fait des calculs de ratios individuels. Me fondant sur l’ensemble de ces données, j’ai calculé un ratio moyen de 1,127 à partir des ratios individuels de 31 propriétés pour lesquelles on avait le prix de vente ainsi que l’évaluation municipale. Si on applique ce nouveau ratio moyen à la valeur municipale de 214 000 $ de la résidence, on arrive à une valeur plus élevée de 241 178 $.

[6] Voir la pièce I-4, voir l’onglet 9 de la pièce A-1.

[7] Voir l’onglet 15 de la pièce A-1.

[8]               Toutefois, cette question n’a pas été soulevée par les parties. Comme la solution que j’adopte dans ces motifs ne porte pas à conséquence, je n’ai pas demandé la réouverture des plaidoiries.

[9]               Il faut noter que Mme Gagnon a elle-même signé un acte de transaction dans lequel on indique comme date de transfert le 6 mars 2001, plutôt que le 4 mars 2001.

[10] Selon ce que je comprends des faits de cette affaire, les transferts de biens s’étaient effectués en 1996 et en 1999. Le cessionnaire avait fait l’objet d’une cotisation établie en vertu de l’article 160 le 3 février 2004. Le montant de la dette fiscale dont on l’avait tenu pour responsable s’élevait à 544 146 $, dont 321 444 $ au titre d’intérêts. De juillet 2004 à mars 2006, le cessionnaire avait versé un total de 620 289 $ au ministre (paragraphe 16 des motifs). Le cessionnaire se reconnaissait solidairement responsable, avec le cédant, de la dette de la succession jusqu’au 3 février 2004, date de la cotisation, mais soutenait ne pas être responsable des intérêts accumulés sur la dette entre le 3 février 2004 et la date du paiement. Par conséquent, il réclamait les intérêts payés en trop, soit les montants accumulés et payés après le 3 février 2004. Il reconnaissait ainsi devoir les intérêts courus après l’année d’imposition au cours de laquelle avait eu lieu le transfert. Toutefois, la Cour a annulé les intérêts à compter du 31 décembre de l’année du transfert.

[11] Il répondra à cette question dans l’affaire Algoa Trust c. Canada, [1998] A-C.I no 292 (QL), 98 DTC 1614. Les notes infrapaginales du texte du juge Dussault ont été omises.

[12]          Il faut noter que la règle énoncée au paragraphe 160(3.1) est applicable à compter du 4 juin 1999.

[13]  Il en est de même à l’égard de la moitié du prêt de 45 000 $ que la Caisse populaire aurait consenti à M. Desrosiers pour financer son entreprise.

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