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Dossier : 2009-3225(EI)

ENTRE :

WELLBUILT GENERAL CONTRACTING LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

TIMOTHY J. BAKLINSKI,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Wellbuilt General Contracting Ltd. (2009-3226(CPP)), le 17 mai 2010, à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Andrew Haden‑Pawlowski

 

Avocate de l’intimé :

 

Me Sara Chaudhary

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui‑même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision que le ministre a rendue le 6 juillet 2009 est annulée conformément aux motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

Dossier : 2009-3226(CPP)

ENTRE :

WELLBUILT GENERAL CONTRACTING LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

TIMOTHY J. BAKLINSKI,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Wellbuilt General Contracting Ltd. (2009-3225(EI)), le 17 mai 2010, à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Andrew Haden‑Pawlowski

 

Avocate de l’intimé :

 

Me Sara Chaudhary

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en vertu du Régime de pensions du Canada est accueilli et la décision que le ministre a rendue le 6 juillet 2009 est annulée conformément aux motifs de jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

Référence : 2010 CCI 541

Date : 20101022

Dossiers : 2009-3225(EI)

2009-3226(CPP)

ENTRE :

WELLBUILT GENERAL CONTRACTING LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

TIMOTHY J. BAKLINSKI,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

I. Introduction

 

[1]              Les présents appels ont été entendus à Ottawa, au mois de mai. La société appelante, Wellbuilt General Contracting Ltd., (« Wellbuilt ») exploite une petite entreprise de travaux de construction à forfait dans la région de Barry’s Bay, dans la vallée de l’Outaouais. Elle a interjeté appel de décisions prises par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») selon lesquelles, pendant toute l’année 2007, trois de ses travailleurs exerçaient un emploi assurable pour l’application de la législation sur l’assurance‑emploi (l’« A‑E ») et un emploi ouvrant droit à pension pour l’application du Régime de pensions du Canada (le « RPC »).

 

[2]              Le propriétaire‑exploitant de Wellbuilt est Andrew Haden-Pawlowski. Wellbuilt compte un certain nombre d’employés et, de plus, a recours aux services d’un certain nombre de gens de métier ou de sous‑traitants. Au cours de la période en question, Wellbuilt avait à son service un certain nombre d’employés et a eu recours aux services d’au moins 30 sous‑traitants. Wellbuilt s’occupe principalement de construction de nouvelles habitations ainsi que d’ajouts et d’améliorations apportés à des habitations; elle réalise également certains projets de construction relatifs à des établissements institutionnels et d’autres projets de construction. Les trois travailleurs en cause sont Tim Baklinski, Joseph Baklinski et Edward Thompson. Chacun de ces travailleurs exécutait ce qui peut être mieux décrit comme des travaux de construction générale et de charpenterie. Tim et Joseph Baklinski sont frères. Joseph Baklinski et Edward Thompson ont conjointement établi une nouvelle entreprise après avoir cessé de travailler pour Wellbuilt. Leur nouvelle entreprise s’appelle Stone View Masonry and Landscaping (« Stone View »), qui exécute également de petits travaux de construction et d’autres travaux. Tim Baklinski est également allé travailler pour Stone View après avoir quitté Wellbuilt.

 

[3]              Chacun des travailleurs a quitté Wellbuilt de son propre chef. (Il n’est pas contesté que les travaux exécutés par chaque travailleur pour Wellbuilt devaient constituer un emploi assurable aux fins de l’admissibilité aux prestations d’A-E.) Joseph Baklinski a quitté Wellbuilt et il a été pleinement rémunéré en 2006; en 2007, il n’a pas du tout travaillé pour Wellbuilt. La chose laisse donc immédiatement planer un doute sur la décision de l’ARC portant qu’en 2007, Joseph Baklinski était un employé de Wellbuilt ainsi qu’au sujet de la qualité de l’examen de cette décision par la Division des appels de l’ARC. Le résultat final de la décision et du processus d’appel est surprenant : l’ARC a établi un feuillet T4 indiquant que Joseph Baklinski avait gagné 1 734 $ chez Wellbuilt en 2007. L’appel concernant Joseph Baklinski est accueilli.

 

[4]              L’ARC a établi des feuillets T4 similaires à l’égard du revenu que les deux autres travailleurs avaient gagné en 2007.

 

[5]              Le feuillet T4 de Tim Baklinski, tel qu’il a finalement été établi par l’ARC, indique que celui‑ci a gagné près de 20 000 $ chez Wellbuilt, soit un montant qui est de beaucoup supérieur au montant que Tim Baklinski affirme avoir touché. Tim Baklinski croit que le feuillet T4 de l’ARC inclut le revenu tiré d’un travail indépendant qu’il avait effectué à deux autres endroits, en 2007.

 

[6]              Aucun représentant de l’ARC n’a été appelé à témoigner dans ce cas‑ci afin d’expliquer l’état du dossier présenté à la Cour.

 

[7]              Edward Thompson a quitté Wellbuilt au mois de janvier 2007, après avoir gagné environ 1 000 $ pour environ 70 heures de travail en 2007. Tim Baklinski a quitté Wellbuilt au mois de juin 2007 après avoir gagné environ 11 000 $ pour environ 575 heures de travail en 2007. Les feuilles de temps, les factures et les chèques oblitérés confirment la chose et ils ont été mis à la disposition de l’ARC. Le payeur et le travailleur s’entendent sur le nombre d’heures travaillées et sur le salaire qui a été payé. Néanmoins, après que l’ARC eut rendu ses décisions et une fois terminé le processus d’appel, des feuillets T4 de Wellbuilt ont été remis à M. Thompson et à Tim Baklinski par l’ARC, lesquels faisaient état d’un revenu de 8 149 $ et de 19 868 $, respectivement.

 

[8]              Il semble tout à fait inapproprié que Wellbuilt et M. Haden-Pawlowski doivent engager des poursuites contre l’État afin de contester un travail, une analyse et un examen qui laissent à désirer. On ne saurait blâmer M. Haden‑Pawlowski pour avoir cru que les fonctionnaires qui s’étaient occupés du dossier de Wellbuilt avaient travaillé davantage au service de l’État qu’au service du public. Il est tout autant inéquitable de laisser Tim Baklinski essayer de réfuter la conclusion indéfendable tirée à la suite de l’examen effectué par l’ARC.

 

[9]              L’ARC devrait s’excuser auprès de tous les intéressés. Il est vrai que l’ARC est une grosse organisation et qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle s’acquitte à la perfection de toutes ses tâches. Certaines choses passent entre les mailles du filet. Toutefois, l’ARC devrait être en mesure de s’acquitter très bien de tâches extrêmement simples. Il est clairement justifié d’examiner ce qui a été fait et des erreurs qui ont été commises à la Division des appels de l’ARC, à défaut de quoi les particuliers et les entreprises du Canada seront également traînés devant les tribunaux et les Canadiens dans l’ensemble auront à subir les conséquences d’un tel gaspillage de ressources judiciaires rares et précieuses.

 

 

II. Les témoins

 

[10]         M. Haden‑Pawlowski et les trois travailleurs ont témoigné. M. Haden‑Pawlowski représentait Wellbuilt dans le présent appel et Tim Baklinski est intervenu dans l’appel. Je dois faire remarquer que, bien qu’il existe entre eux un différend de nature commerciale, chacun a témoigné d’une façon qui semblait sincère et honnête au sujet de ce dont il se souvenait et de son interprétation des événements se rapportant au travail exécuté pour Wellbuilt. Leurs témoignages renferment certaines incohérences, mais je crois qu’ils ont chacun relaté leur histoire avec exactitude, telle qu’ils se la rappelaient. En outre, ils ont toujours été polis et respectueux l’un envers l’autre dans leurs communications écrites et lorsqu’ils se sont mutuellement contre‑interrogés. Ils méritent d’être loués d’avoir agi ainsi.

 

 

III. Les dispositions législatives applicables

 

[11]         Les critères applicables à un contrat de louage de services ou à un contrat d’emploi, par opposition à un contrat d’entreprise ou à un contrat conclu avec un entrepreneur indépendant, sont bien établis. Afin d’établir si un particulier était employé ou entrepreneur indépendant pour l’application des définitions d’emploi assurable et d’emploi ouvrant droit à pension, il faut décider si le particulier exploitait vraiment une entreprise à son compte. Cette question a été établie par les tribunaux britanniques dans l’arrêt Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (B.R.), approuvé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, aux fins des définitions canadiennes d’emploi assurable et d’emploi ouvrant droit à pension, et adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983. Cette question doit être tranchée à la lumière de toutes les circonstances pertinentes et d’un certain nombre de critères ou de lignes directrices utiles, y compris : 1) l’intention des parties; 2) le contrôle sur les activités; 3) la propriété des instruments de travail; 4) la possibilité de profit et le risque de perte; 5) ce qui a été qualifié de critère de l’intégration dans l’entreprise, de l’association ou de l’entrepreneuriat. Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents; leur importance relative et leur pertinence dépendront des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[12]         La décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, [2007] 1 C.F. 35, indique l’importance particulière des critères relatifs à l’intention des parties et au contrôle dans ces déterminations. Cela est conforme aux décisions ultérieures rendues par la Cour d’appel fédérale, par exemple, dans les affaires Équipe de ski Capitale nationale Outaouais c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CAF 132, Combined Insurance Company of America c. Canada (Ministre du Revenu national), 2007 CAF 60, et City Water International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 350.

 

 

IV. L’intention

 

[13]         En l’espèce, l’intention des parties au moment où 1es travailleurs ont été embauchés et où ils travaillaient est importante. Il est clair que M. Haden-Pawlowski et Wellbuilt voulaient que ces trois travailleurs agissent à titre de sous-traitants plutôt qu’à titre d’employés. C’est ce que M. Haden-Pawlowski a expliqué à chacun d’eux lorsqu’il les a embauchés. À quelques exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons ci‑dessous, Wellbuilt s’est comportée d’une façon tout à fait conforme à cette intention et Wellbuilt consignait leur travail en conséquence. D’une part, les employés de Wellbuilt étaient les personnes envers lesquelles Wellbuilt s’engageait à fournir du travail sur une base quotidienne continue et qui, de leur côté, s’engageaient à travailler tous les jours pour Wellbuilt. D’autre part, les entrepreneurs de Wellbuilt étaient des personnes auxquelles Wellbuilt offrait du travail lorsqu’il y en avait, si elles étaient disponibles pour le faire, et qui décidaient de le faire. Telle était l’approche adoptée par Wellbuilt pour les deux catégories de travailleurs, mais cela n’est pas nécessairement déterminant étant donné que cela ne semble pas tenir compte des employés à temps partiel, des employés occasionnels et d’autres ententes similaires en matière d’emploi, Si l’on utilise la distinction que Wellbuilt faisait entre ses employés et ses entrepreneurs, les heures de travail effectuées par les deux travailleurs en 2007 indiqueraient que ceux‑ci étaient des entrepreneurs de Wellbuilt plutôt que des employés.

 

[14]         Tim Baklinski a mentionné à l’ARC, lors d’une entrevue qui a eu lieu après coup et dans ses réponses au questionnaire écrit à l’intention des travailleurs, qu’au moment où il avait été embauché, il voulait agir comme travailleur autonome. Il a déclaré le revenu gagné chez Wellbuilt à titre de revenu d’entreprise et, selon le rapport de l’ARC, il a déduit des dépenses d’entreprise. Tim Baklinski a témoigné qu’il ne comprenait peut‑être pas, à ce moment‑là, jusqu’à quel point la distinction entre un emploi et un travail autonome était importante.

 

[15]         Il ressort du témoignage de Tim Baklinski qu’il a uniquement réellement compris la différence après avoir déclaré un revenu d’entreprise supérieur au seuil applicable aux petits fournisseurs aux fins de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») et que l’ARC a établi une cotisation d’un montant élevé au titre de la TPS. Je crois qu’il est juste de conclure, compte tenu de son témoignage, qu’une fois qu’il s’est rendu compte du traitement fort différent réservé aux employés et aux entrepreneurs aux fins de la TPS, il a pu constater qu’il aurait au départ dû être considéré comme un employé. Si la décision est confirmée, je suppose que le problème de la TPS auquel il fait face sera résolu. Je tiens également à faire ici remarquer que l’ARC a décidé que Tim Baklinski était un employé et qu’elle a également établi une cotisation à son égard pour le motif qu’il n’avait pas perçu et versé la TPS pour le travail exécuté en sa qualité d’employé. La position prise par l’ARC est remarquablement incohérente. De plus, Tim Baklinski a envoyé à Wellbuilt une facture à l’égard de la TPS qu’il aurait dû percevoir, selon l’ARC, de sorte que Tim Baklinski a également pris envers Wellbuilt, aux fins de la TPS, une position incohérente par rapport à la position qu’il a prise, selon laquelle il était un employé de Wellbuilt.

 

[16]         Ces incohérences, combinées à la décision portant qu’en 2007, Joseph Baklinski était un employé, alors que, selon ses propres documents et son propre témoignage, il n’avait jamais travaillé pour Wellbuilt après le mois de novembre 2006 et qu’il avait dès le début fait part de la chose à l’ARC, incohérences également combinées aux montants outrageusement inexacts finalement déterminés au titre du revenu d’emploi gagné par chacun des trois travailleurs en 2007, démontrent que les dossiers de l’intimé étaient loin d’être prêts pour l’instruction. L’ARC et le ministère de la Justice auraient dû s’en rendre compte. Wellbuilt et M. Haden-Pawlowski auraient raison de croire qu’on ne les avait pas écoutés ni compris puisque l’intimé ne tenait même pas compte de leurs renseignements ou n’examinait même pas les documents fournis par les travailleurs eux-mêmes.

 

[17]         M. Thompson a également témoigné qu’au moment où il avait été embauché et où il travaillait, il voulait agir comme travailleur autonome et non comme employé. Il croyait comprendre que cela voulait dire qu’il devait s’occuper de ses propres déclarations aux fins de l’impôt et ainsi de suite. Il a mentionné la même chose lors de l’entrevue qu’il a eue avec l’ARC en 2009. Selon le rapport de l’ARC, il a déclaré le revenu de Wellbuilt à titre de revenu d’entreprise et il a déduit des dépenses d’entreprise. Il maintient qu’il a déclaré ces montants à titre d’« autres revenus d’emploi » dans sa déclaration de revenus. Quoi qu’il en soit, M. Thompson affirme maintenant qu’il ne comprenait probablement pas parfaitement la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant à ce moment‑là.

 

[18]         Je suis tout à fait convaincu que Wellbuilt, Tim Baklinski et Edward Thompson voulaient tous que les travailleurs aient le statut d’entrepreneur indépendant, et ce, dès le début ainsi que pendant toute la période où ils ont travaillé pour Wellbuilt. Tim Baklinski aimerait peut‑être maintenant avoir été un employé et ne pas avoir à faire face à une facture élevée au titre de la TPS, mais cela ne suffit pas pour nier l’intention qu’il avait à ce moment‑là de ne pas être employé.

 

[19]         Dans l’ensemble, l’examen des intentions des parties est compatible avec le fait que les travailleurs n’étaient pas des employés de Wellbuilt.

 

[20]         Avant de mettre fin à 1’examen de l’intention des parties, je dois revenir sur le rapport de l’ARC lors des appels. Dans son analyse de la relation, l’ARC tient compte 1) du degré de contrôle; 2) de la propriété des instruments de travail et du matériel; 3) du travail de sous-traitance ou de l’embauche d’assistants; 4) des risques financiers; 5) de la responsabilité en matière de mises de fonds et de gestion; et 6) de la possibilité de profit. Après avoir soupesé ces considérations, l’ARC conclut qu’il existait une relation employeur‑employé. Elle n’examine qu’ensuite l’intention des parties. L’ARC dit clairement que le payeur et les travailleurs avait l’intention de créer une relation où les travailleurs étaient considérés comme des travailleurs autonomes et qu’il existait une intention commune sur ce point. Toutefois, l’ARC rejette cette considération en faisant la déclaration suivante : [traduction] « Le payeur a déclaré que les travailleurs étaient des travailleurs autonomes, engagés aux termes de contrats d’entreprise. Les travailleurs voulaient également agir à titre de travailleurs autonomes. Il est donc clair que Wellbuilt Contracting Ltd. et les travailleurs n’avaient pas raison en ce qui concerne la nature véritable de leur relation. » Tel était l’examen de l’intention des parties. Cette approche de l’ARC, qui nie en fait la pertinence de l’intention commune des parties, était tout à fait erronée. L’intention des parties est un critère important à prendre en considération, avec tous les autres facteurs. De la même façon qu’aucune des lignes directrices élaborées par les tribunaux canadiens n’est déterminante, aucune ligne directrice ne doit être rejetée au moyen d’une simple reconnaissance. De fait, dans bien des cas, et notamment dans celui‑ci, l’intention peut bien être l’une des principales considérations.

 

 

V. Le contrôle

 

[21]         L’examen de l’étendue du contrôle exercé par Wellbuilt sur le travail exécuté par les travailleurs, la façon dont le travail devait être fait et le moment où il devait l’être, ainsi que le moment où les travailleurs devaient travailler, est compatible avec le statut envisagé d’entrepreneur indépendant plutôt que d’employé des travailleurs. L’intervenant Tim Baklinski a témoigné qu’il n’était pas supervisé lorsqu’il travaillait et que Wellbuilt, M. Haden-Pawlowski et d’autres cadres supérieurs n’exerçaient aucun contrôle direct sur son travail. On lui disait ce qu’il fallait faire et il croyait que Wellbuilt et M. Haden-Pawlowski supposaient, compte tenu de ses antécédents et de son expérience, qu’il ferait le travail ou qu’il saurait dans quelles circonstances appeler M. Haden-Pawlowski ou un cadre supérieur de Wellbuilt pour obtenir des instructions. Cette description est généralement compatible avec le témoignage de M. HadenPawlowski en ce qui concerne les arrangements qui avaient été pris sur le plan du travail ainsi qu’avec les journées de travail et les tâches typiques. Elle n’est pas incompatible avec le témoignage des deux autres travailleurs. Tim Baklinski est celui qui a travaillé le plus longtemps pour Wellbuilt en 2007 et, en 2007, il a reçu de Wellbuilt un revenu beaucoup plus élevé que M. Thompson. Son frère Joseph na pas du tout travaillé pour Wellbuilt en 2007. Tim Baklinski était le seul autre travailleur qui est intervenu dans l’instance. Je retiens son témoignage précis sur ce point comme représentant la façon dont le travail était assigné et exécuté par les travailleurs.

 

[22]         L’examen de l’étendue du contrôle dans ce cas‑ci milite également en faveur de la caractérisation d’entrepreneur indépendant et n’est certes pas incompatible avec l’intention commune partagée par les parties à ce moment‑là, à savoir que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants.

 

 

VI. La propriété des instruments de travail

 

[23]         Chacun des travailleurs devait fournir sa propre ceinture à outils et de petits outils à main de base. Ce sont les outils qu’ils devaient posséder selon ce qu’on leur avait dit au départ. En général, les outils électriques étaient fournis par Wellbuilt, mais Tim Baklinski a déclaré qu’il apportait parfois ses propres outils sans corde lorsqu’il prévoyait en avoir besoin les jours où les outils de Wellbuilt n’étaient pas déjà sur le chantier.

 

[24]         En ce qui concerne le critère de la propriété des instruments de travail dans un cas comme celui‑ci, il est possible de se fonder sur la ligne directrice que la Cour d’appel fédérale a énoncée dans l’arrêt Precision Gutters Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 207. Dans cette affaire‑là, les travailleurs possédaient leurs propres petits outils à main, leurs perceuses, leurs mèches et leurs échelles, mais le gros équipement dont les travailleurs avaient besoin pour fabriquer les gouttières sur les lieux appartenait au payeur. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a dit, au paragraphe 25 :

 

Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu’il était raisonnable que ceux‑ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur indépendant même si l’employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l’entreprise en cause.

 

[25]         Il arrive souvent, tout au moins dans certains secteurs du commerce et dans certains métiers, comme dans le cas des mécaniciens d’automobiles, de certains travailleurs forestiers et certains travailleurs de la construction, que l’on s’attende à ce que tous les travailleurs, qu’ils soient employés ou entrepreneurs indépendants, possèdent et fournissent leurs propres outils à main de base, leurs propres lames et leurs propres mèches et ainsi de suite, ou que l’on exige qu’ils possèdent et fournissent de tels outils; en pareil cas, le critère de la propriété des instruments de travail ne peut pas faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

 

[26]         De toute évidence, la plupart des gros outils nécessaires à l’entreprise de construction de Wellbuilt appartenaient à Wellbuilt et ils étaient fournis aux travailleurs, qu’ils soient employés ou entrepreneurs indépendants. Dans ce segment de l’industrie de la construction, la propriété des instruments de travail ne semble pas très révélatrice ou particulièrement utile étant donné qu’il ne serait pas incompatible pour un employé d’avoir à engager de gros montants pour se procurer des outils de base et qu’il ne serait pas non plus incompatible pour un entrepreneur indépendant de ne pas être obligé de fournir tous les outils nécessaires à son travail. Chaque secteur du commerce au Canada est libre d’adopter des pratiques qui sont sensées sur le plan économique et qui           s’appliquent bien à ce secteur. En l’espèce, le critère de la propriété des instruments de travail fait légèrement pencher la balance en faveur du statut d’employé, mais il n’est certes pas incompatible avec le statut d’entrepreneur indépendant que les parties voulaient établir.

 

 

VII. La possibilité de profit et le risque de perte

 

[27]         Chacun des travailleurs était rémunéré à l’heure. De plus, ils touchaient des indemnités de kilométrage pour aller exécuter certains travaux. Ils devaient eux‑mêmes assurer leur propre transport pour se rendre au bureau de Wellbuilt ou sur des chantiers particuliers et pour en revenir. Le risque financier assumé par les personnes qui gagnent une rémunération horaire, qu’il s’agisse d’employés ou d’entrepreneurs indépendants, est souvent minime, en particulier dans le cas d’entrepreneurs indépendants travaillant dans des entreprises qui n’exigent pas de mises de fonds élevées en sus des véhicules et des outils de base. Cela comprendrait un grand nombre de métiers de la construction.

 

[28]         En l’espèce, le risque financier le plus important pour les travailleurs était que Wellbuilt n’avait peut‑être pas suffisamment de travail à leur offrir chaque semaine pour les occuper tous les jours à plein temps. Les feuilles de temps, les factures et les chèques de paie confirmaient tous qu’en fait, c’était le cas pour chacun des travailleurs en 2007. De fait, les travailleurs ne travaillaient pas pour Wellbuilt de 7 h 30 à 16 h 30 cinq jours par semaine tel qu’il était prévu (ou quatre jours par semaine dans le cas de Tim Baklinski, une fois qu’il a commencé à prendre congé le lundi afin de commencer à exploiter son entreprise d’enseignement de la musique). Le fait que chacun d’eux exécutait d’autres travaux, et notamment des travaux rémunérés en espèces pendant la fin de semaine, afin de gagner un revenu additionnel, le montre bien.

 

[29]         La preuve est incohérente quant à la question de savoir si les travailleurs travaillaient pour d’autres employeurs la fin de semaine, lorsque les documents indiquent clairement qu’ils ne travaillaient pas pour Wellbuilt. Les travailleurs déclarent qu’ils ne travaillaient, mais M. Haden-Paw1owski croit qu’ils travaillaient. Les documents de l’ARC, quels qu’ils soient, indiquent que chaque travailleur déclarait un revenu d’entreprise en sus de la rémunération que Wellbuilt leur avait versée, telle qu’elle a été établie ou convenue. Je ne puis tirer aucune conclusion dans un sens ou dans l’autre sur ce point et il ne s’agit donc pas d’une considération utile lorsqu’il s’agit de trancher la question dans ce cas‑ci.

 

[30]         Timothy Baklinski savait qu’il n’avait pas de jours de vacances, ou de jours de congé de maladie ou de congé parental, comme les employés y ont souvent droit. Il n’avait jamais soulevé la question auprès de Wellbuilt, de M. Haden-Paw1owski ou de ses compagnons de travail.

 

[31]         Sur les chèques de paie, il était toujours fait mention de travaux de sous‑traitance. Les travailleurs soumettaient des factures. Dans l’une des factures de 2007 de M. Thompson, les services étaient décrits comme des travaux de sous‑traitance. Ces factures étaient préparées par les travailleurs.

 

[32]         Eu égard aux faits de la présente affaire et dans le contexte de l’industrie de la construction, des travaux de sous‑traitance et des sous‑traitants, l’analyse de la possibilité de profit et du risque de perte ne penche, selon moi, ni d’un côté ni de l’autre. Je conclus de fait que l’examen y afférent ne révèle rien d’incompatible avec l’intention commune partagée qui existait lors de l’embauche et pendant toute la période de travail, à savoir que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants. De plus, les mentions indiquent clairement qu’il s’agissait de travaux de sous‑traitance.

 

 

VIII. Conclusions

 

[33]         Étant donné l’intention commune partagée par Wellbuilt d’une part et par Timothy Baklinski et Edward Thompson d’autre part, puisqu’il n’existait aucun contrôle lorsqu’il s’agissait de savoir si les travailleurs travailleraient un jour donné et compte tenu du degré minime de contrôle exercé sur la façon dont le travail nécessaire devait être accompli, si ce n’est qu’il fallait respecter un échéancier qui convenait à tous les travailleurs, à tous les gens de métier et à tous les autres qui participaient au projet de construction, je conclus que, pendant la période en question, Timothy Baklinski et Edward Thompson étaient des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés de Wellbuilt. Il n’y a rien dans les dispositions mêmes qui ont été prises au sujet du travail qui aurait pu empêcher de créer la relation d’entrepreneur indépendant prévue et souhaitée ou aller à l’encontre de cette relation.

 

[34]         Je dois reconnaître que la preuve, sous deux aspects, pouvait être considérée comme inhabituelle. En premier lieu, Wellbuilt a insisté pour que toutes les personnes travaillant sur les chantiers soient couvertes par une assurance‑invalidité en cas d’accident et par une assurance‑vie. Cela voulait dire que les entrepreneurs indépendants devaient souscrire une police d’assurance. Wellbuilt s’était engagée à leur rembourser chaque mois les frais des primes de la police. Cela est peut‑être inhabituel, mais il s’agit d’un point à négocier entre les parties contractantes, comme c’est le cas pour le kilométrage, les outils, les allocations de formation ou les allocations pour vêtements de travail. Quoi qu’il en soit, cela n’indique certes pas une relation employeur‑employé étant donné que l’on s’attendrait à ce qu’un employeur veille à ce que ses employés soient couverts en vertu de sa propre police d’assurance, et non à ce qu’il rembourse aux employés le coût des primes d’une assurance souscrite par l’employé et au nom de l’employé.

 

[35]         En second lieu, M. Haden‑Pawlowski a remis une confirmation d’emploi et des lettres d’attestation du revenu à l’institution financière qui avait consenti des prêts hypothécaires résidentiels à Timothy Baklinski ainsi qu’à Edward Thompson. M. Haden-Pawlowski a témoigné qu’il avait [traduction] « embelli » les faits pour faire une faveur personnelle à ces deux travailleurs réguliers et pour leur rendre service. Timothy Baklinski et Edward Thompson auraient su que les montants mentionnés dans ces lettres au titre du revenu n’étaient pas exacts. De toute évidence, M. Haden-Pawlowski a eu tort de le faire puisque ce n’était pas vrai. Il est également clair que les travailleurs ont eu tort de tromper sciemment les prêteurs. Toutefois, ces transgressions et ces fausses déclarations ne changent pas pour autant la relation d’entrepreneur indépendant en une relation employeur‑employé, pas plus que le montant gonflé de leur revenu n’est devenu leur nouveau salaire. Le fait que M. Haden-Pawlowski a embelli ces lettres au profit de ses travailleurs est révélateur, tout comme le fait que les travailleurs ici en cause acceptaient d’exécuter des travaux pour des tiers la fin de semaine moyennant une rémunération en espèces qu’ils ne déclaraient pas du tout ou qu’ils ne déclaraient pas au complet aux fins de l’impôt. Toutefois, cela ne nous apprend ni dans un cas ni dans l’autre s’ils étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants.

 

[36]         Je conclus qu’en 2007, ni Timothy Baklinski ni Edward Thompson n’exerçaient auprès de Wellbuilt un emploi assurable ou un emploi ouvrant droit à pension.

 

[37]         Compte tenu de la preuve écrite et des témoignages présentés en l’espèce, il semble s’agir d’un cas dans lequel les travailleurs ont éprouvé du remords et du regret de s’être présentés en tant qu’entrepreneurs indépendants, et où une nouvelle caractérisation possible du statut d’entrepreneur indépendant que les parties avaient voulu établir, dont elles avaient convenu et sur lesquelles elles s’étaient fondées, ce statut étant remplacé par le statut d’employé, changerait les problèmes auxquels fait face l’un des travailleurs à l’égard de la TPS en un problème d’assurance-emploi et de pension pour Wellbuilt. Une telle nouvelle caractérisation constituerait une sorte étrange, inappropriée, de planification fiscale rétroactive; serait inéquitable pour Wellbuilt; irait à l’encontre de la prépondérance de la preuve; n’est pas étayée par la législation et ne sera pas sanctionnée par la Cour.

 

 

IX. Les dépens

 

[38]         La Cour de l’impôt a compétence inhérente et entière discrétion pour adjuger les dépens dans les appels régis par la procédure informelle, où la question des dépens n’est pas normalement prévue, et ce, afin d’éviter l’abus possible du processus judiciaire. La chose a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fournier c. Canada, 2005 CAF 131, [2006] G.S.T.C. 52, et appliquée par la présente cour dans les décisions Harold Isaac OP Sunrise Electrical c. M.R.N., 2010 CCI 225, et Bono c. M.R.N., 2010 CCI 466.

 

[39]         J’ai ci‑dessus fait plusieurs observations et plusieurs remarques au sujet des renseignements mis à la disposition de l’ARC, tant au stade de la décision qu’au stade de l’appel, ainsi que des décisions inappropriées que l’ARC a prises. Le présent appel se rapporte à une décision prise par la Division des appels de l’ARC à la suite de son examen administratif de l’objection soulevée par Wellbuilt à l’égard de la décision. Le présent appel ne constitue pas un examen du processus, des pratiques, du processus décisionnel et des activités de la Division des appels de l’ARC et ni l’agent des appels ni l’agent des décisions de l’ARC n’ont été appelés à témoigner afin d’expliquer ce que l’ARC avait fait. Il ne convient donc pas de s’attarder plus longuement sur la question. Toutefois, je dois ajouter que l’intimé voudra peut‑être examiner minutieusement la façon dont le présent dossier a été traité à toutes les étapes, à défaut de quoi un autre appelant, dans une autre affaire, pourrait faire valoir que le fait de poursuivre une cause qui est dans un état tel que celle qui nous occupe ici, au point d’obliger le payeur à interjeter appel devant la Cour et d’obliger la Cour à trancher l’affaire, constitue un abus de procédure justifiant l’adjudication de dépens.

 

[40]         En l’espèce, les appels sont accueillis sans que des dépens aient été demandés et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 541

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-3225(EI), 2009-3226(CPP)

 

INTITULÉ :                                       WELLBUILT GENERAL CONTRACTING LTD.

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET TIMOTHY J. BAKLINSKI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Andrew Haden‑Pawlowski

 

Avocate de l’intimé :

 

Me Sara Chaudhary

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui‑même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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