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Dossier : 2010-881(IT)I

 

ENTRE :

SYLVAIN LESSARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 31 août 2010, à Baie-Comeau (Québec).

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2005 et 2006 est accueilli en partie; le dossier est renvoyé au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que la juste valeur marchande du bâtiment locatif devenu la résidence de l'appelant à compter de juillet 2005 est réduite de 10 000 $, conséquemment, les calculs devront être refaits pour déterminer la perte finale à laquelle l’appelant à droit, quant aux autres aspects de la cotisation, notamment au niveau des dépenses refusées, la cotisation demeurera inchangée, le seul changement étant la diminution de 10 000 $.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

Référence : 2010 CCI 544

Date : 20101025

Dossier : 2010-881(IT)I

 

ENTRE :

 

SYLVAIN LESSARD,

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]               Il s’agit d’un appel ayant deux volets distincts. Le premier est relatif à des dépenses dont la déduction a été refusée pour le motif qu’il s’agissait principalement de dépenses de nature personnelle.

[2]              Le deuxième est relatif à la juste valeur marchande (« J.V.M. ») du bâtiment au moment de son changement de vocation; alors utilisé comme bien locatif, le bâtiment est devenu la résidence personnelle de l’appelant en juillet 2005.

[3]              Dans un premier temps, l’appelant a affirmé avec insistance que toutes les dépenses engagées dans le cadre de la location de l’habitation relativement à laquelle la déduction des dépenses a été réclamée étaient déductibles du fait qu’elles avaient été effectuées à des dates où l’habitation était occupée par un tiers, de sorte qu’il ne pouvait pas s’agir de dépenses personnelles parce qu’il n’habitait pas encore l’habitation en question, n’y ayant emménagé qu’au début du mois de juillet 2005. En d’autres termes, l’appelant a indiqué que les dates démontraient que les dépenses avaient été effectuées avant qu’il prenne possession des lieux à titre de résidence, cela étant, selon l’appelant, suffisant pour conclure qu’il s’agissait de dépenses admissibles et non des dépenses de nature personnelles.

[4]              Il a ajouté et fait la preuve qu’il avait été amené à occuper les lieux à titre personnel d’une manière imprévue et absolument non planifiée, étant donné que la personne qui y habitait avait des droits de continuer à y demeurer. Il a indiqué avoir dû négocier avec son locataire et lui offrir une certaine compensation pour le convaincre de quitter les lieux et lui permettre ainsi de les prendre comme résidence, à compter de juillet 2005.

[5]              Le vérificateur a essentiellement expliqué que la déduction des dépenses avait été refusée parce qu’il avait conclu qu’il s’agissait là de dépenses de nature personnelle; il a donné à titre d’exemple une facture relative à l’achat de lustres plafonniers. Il a aussi mentionné qu’il pouvait s’agir de dépenses de la nature de capital. Finalement, certaines dépenses avaient été effectuées très peu de temps avant le changement officiel de vocation. Ce sont là les explications soumises pour justifier la décision de refuser la déduction des dépenses.

[6]              Pour soutenir le bien‑fondé de ses prétentions sur ce volet de son appel, l’appelant a essentiellement affirmé et prouvé qu’il avait pris possession des lieux au début de juillet 2005, cette prétention ne faisant d’ailleurs aucunement l’objet de contestation.

[7]              La question est donc la suivante : le fait pour l’appelant de démontrer et d’établir qu’il a pris possession, à compter d’une date précise, des lieux jusqu’alors loués constitue-t-il automatiquement une preuve acceptable qu’une dépense était déductible si elle a été effectuée avant cette date?

[8]              La réponse est évidemment négative; en effet, la date peut s’avérer pertinente, mais elle n’est certainement pas en soi déterminante pour ce qui est de la qualifier de déductible ou de non déductible. Il est absolument essentiel de démontrer qu’il s’agissait d’une dépense reliée à l’activité ou à l’entreprise de location, d’autant plus qu’en cette matière la ligne de démarcation peut être extrêmement fine ou mince.

[9]              En l’espèce, l’intervention du locataire aurait pu s’avérer déterminante. La preuve soumise par l’appelant, à savoir ses seules explications verbales, n’est pas suffisante pour conclure qu’il s’est acquitté du fardeau de la preuve lui incombant. Par conséquent, l’appel sur ce volet doit être rejeté.

[10]         Quant au deuxième volet de l’appel, il découle de la J.V.M. attribuée à la maison à la suite de son changement de vocation en juillet 2005.

[11]         En 2008, l’intimée a procédé à l’évaluation de la résidence en question, située au 30, avenue Nicolas‑Godbout, à Baie‑Comeau. L’expert en matière d’évaluation, Yvon Ouellet, a préparé une expertise, produite sous la cote I‑3. Il a expliqué le cheminement suivi, comprenant notamment une visite des lieux, mais aussi une longue conversation avec le propriétaire, soit l’appelant, le 10 décembre 2008.

[12]         Il a indiqué que l’appelant avait collaboré; selon l’expert, l’appelant a eu la possibilité de faire toutes observations voulues en présentant l’historique descriptif des lieux, puisque l’évaluation demandée devait porter sur la J.V.M. au mois de juillet 2005, soit près de trois années avant la visite des lieux.

[13]         Le travail effectué par l’expert a été fait d’une manière conforme aux règles de l’art, bien qu’il s’agisse toujours d’un défi bien particulier que de procéder d’une manière rétroactive à l’établissement de la J.V.M. après l’écoulement d’une période  de trois ans.

[14]         Pareil exercice est d’autant plus difficile que depuis une dizaine d’années les valeurs du marché immobilier ont connu de nombreuses variations, si bien que le critère fort important, voire dominant, en cette matière, soit celui des valeurs des comparables, a beaucoup fluctué.

[15]         Outre cette contrainte, le travail de monsieur Ouellet était assujetti à une autre particularité; en effet, il s’agissait d’une maison qui jusqu’en juillet 2005, avait une vocation locative et qui devenait, à ce moment‑là, la résidence personnelle de l’appelant.

[16]         Or, il est raisonnable de croire que, lors de ce changement de vocation, des changements, modifications ou améliorations ont certainement pu être apportés aux lieux, le tout ayant pour effet de relever la J.V.M. En effet, un  propriétaire est normalement plus exigeant pour la qualité des lieux qu’il habite lui‑même que pour celle des lieux qu’il possède à des fins locatives.

[17]         En l’espèce, l’appelant a affirmé être une personne habile, en mesure d’effectuer beaucoup de travaux à un immeuble. Il a indiqué être une personne disciplinée, organisée et en mesure de faire la différence entre ses affaires personnelles et celles reliées aux activités de location.

[18]         Après avoir bien établi ces deux prémisses, l’appelant a fait une longue présentation, bien ordonnée et claire, comportant les catégories suivantes :

 ─ garage;

─ cuisine, salle de bain et planchers;

─ salle de lavage;

─ lustres;

─ chambre et fenêtres;

─ embellissement du terrain; 

─ rénovations de certaines pièces et murs;

─ électricité et chauffage;

─ entrée — pavage et décorations extérieures;

─ décoration intérieure;

─ clôture;

─ patio;

─ vente et évaluation.

[19]         Il a affirmé et répété qu’il n’était pas en mesure de présenter la totalité des pièces justificatives du fait qu’il s’agissait là de dépenses de nature essentiellement personnelle et qu’il n’y avait donc aucune obligation de conserver les factures ou documents établissant de telles dépenses, étant donné que ce genre de factures ont une importance relativement faible ou plutôt secondaire.

[20]         Il a procédé à une longue narration portant sur les pièces ou les factures attestant l’ampleur des rénovations apportées aux lieux dont la J.V.M. a été établie par monsieur Ouellet en 2008, les dépenses et les travaux décrits ayant été effectués après juillet 2005, au moment où les lieux ont changé de vocation.

[21]         Je n’ai pas fait l’addition de tous les montants que représentaient les achats décrits sur les diverses factures. Je m’en remets à l’évaluation de l’appelant, qui dit avoir investi dans sa nouvelle résidence un montant supérieur à 35 000 $, sans tenir compte du temps non comptabilisé et de l’ouvrage  qu’il a lui‑même effectué.

[22]         À partir des factures en question, l’appelant a affirmé et répété que l’évaluateur avait omis ou négligé de prendre en compte l’importance des travaux effectués après juillet 2005.


[23]         L’expert Ouellet a indiqué que l’appelant avait collaboré et fait en long et large l’historique de la résidence dont il s’agissait d’établir la J.V.M.; monsieur Ouellet a ainsi indiqué avoir tenu compte des améliorations, réparations et divers ajouts.

[24]         Bien que la qualité du travail de monsieur Ouellet ne soit pas en cause, je crois que les observations étoffées et documentées de l’appelant font la preuve d’une manière prépondérante qu’il a investi des montants substantiels pour des réparations, des transformations et des améliorations pour rendre sa nouvelle résidence plus agréable et en améliorer la qualité.

[25]         Je ne crois cependant pas qu’il faille réduire l’évaluation dans la proportion souhaitée par l’appelant, puisqu’il est manifeste que les montants déboursés pour les réparations, la décoration, les améliorations et les transformations n’ont pas eu pour effet de modifier d’autant la J.V.M.

[26]         D’une part, de tels débours peuvent avoir un effet neutre, d’autre part, s’ils ne sont pas faits, la J.V.M. sera affectée à la baisse, mais, dans certaines situations, les dépenses pourront avoir un impact et contribuer aussi à une augmentation de la J.V.M.

[27]         En l’espèce, il est tout à fait impossible de tirer de conclusion précise sur l’importance de tels débours sur la J.V.M. établie par monsieur Ouellet. Néanmoins, étant donné que l’évaluation devait établir la valeur à une date de trois années antérieure à celle de la visite des lieux, étant donné l’importance de la preuve documentaire, étant donné les explications nombreuses et raisonnables de l’appelant, et étant donné, finalement, qu’il s’agissait de lieux locatifs aménagés généralement d’une manière moins luxueuse et moins impeccable, je crois qu’il y a là suffisamment de raisons valables pour intervenir.

[28]         L’appelant a questionné l’expert notamment concernant les revêtements de sol. À ce sujet, l’expert a essentiellement affirmé et répété avoir tenu compte des changements, améliorations, etc.

[29]         Il s’agit ici d’une situation où les positions des parties sont aux antipodes l’une de l’autre : l’expert a fait un travail correct, conforme aux règles de l’art. De telles qualités sont-elles suffisantes pour conclure que la J.V.M. retenue est totalement irréprochable ou absolument fiable? Je ne le crois pas, d’autant plus qu’il est carrément impossible de recréer l’état précis des lieux au moment du changement de vocation, à moins que l’intéressé, en l’espèce l’appelant, fasse le nécessaire au moyen de multiples photographies descriptives des lieux, le tout complété par l’intervention de témoins.

[30]         En l’espèce, l’appelant, à qui incombe le fardeau de la preuve à cet égard, n’a pas fait une telle présentation; il s’est limité à faire référence à de multiples factures totalisant un montant fort important pour établir une réalité qui a pu avoir été sous-évaluée par l’expert. Il est cependant tout à fait impossible que de tels débours se soient traduits par une valeur ajoutée équivalente.

[31]         Au moment du changement de vocation, la meilleure façon d’établir l’ampleur ou l’envergure des changements ou des améliorations effectués aurait été la prise de photos et/ou l’intervention contemporaine d’un expert. Or, l’appelant à qui incombe le fardeau de la preuve, n’a pas jugé bon de recourir à ces outils, qui se seraient avérés très utiles, sinon déterminants.

[32]         Pour ces raisons et d’une manière tout à fait arbitraire justifiée essentiellement par une approche guidée par le principe du caractère raisonnable, je conclus que la J.V.M. établie par monsieur Ouellet devrait être révisée et réduite de 10 000 $ pour la résidence seulement, le terrain n’étant aucunement affecté par les montants correctement attribués; cela aura évidemment des effets directs sur la perte finale, qui devra faire l’objet d’une révision en conséquence.

[33]         L’appel est donc accueilli en partie, et le ministre du Revenu national devra procéder à de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que la valeur attribuée à la résidence est de 79 400 $ et non de 89 400 $ pour une évaluation totale de 97 700 $ et non plus de 107 700 $, la valeur du terrain étant inchangée et établie à 18 300 $; conséquemment, le ministre devra donc refaire les calculs prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu pour déterminer la perte finale à laquelle l’appelant a droit, le tout sans frais.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2010.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 544

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-881(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SYLVAIN LESSARD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Baie-Comeau (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 31 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

 

       Pour l’appelant :

 

 

                                                         

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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