Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2010-73(IT)I

ENTRE :

KHELIFA LACHABI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

___________________________________________________________________

Appel entendu le 8 octobre 2010, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Valerie Miller

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Paul N. Tardif

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002, 2003, 2006 et 2007 sont annulés;

 Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004 et 2005 sont rejetés.

 

        Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’octobre 2010.

 

 

« V.A. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 529

Date : 20101027

Dossier : 2010-73(IT)I

ENTRE :

KHELIFA LACHABI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge V.A. Miller

[1]              L’appelant a interjeté appel des nouvelles cotisations établies à son égard pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005 et des cotisations établies pour les années d’imposition 2006 et 2007. L’appel vise à décider si l’appelant a subi des pertes d’entreprise de 6 066 $ et de 4 282 $ en 2004 et en 2005, respectivement, et s’il peut déduire la pension alimentaire qu’il a payée pour chacune des années visées par les présents appels.

[2]              À titre préliminaire, l’avocat de l’intimée a présenté une requête visant à faire annuler les appels portant sur les années d’imposition 2002, 2003, 2006 et 2007 compte tenu du fait que l’appelant n’avait pas signifié d’avis d’opposition à l’égard de ces années. À l’appui de sa requête, l’avocat a déposé l’affidavit d’Emil Varden, un représentant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») affecté au Bureau des litiges de  Toronto. L’affidavit révèle que la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2002 a abouti au constat qu’aucun impôt fédéral n’était exigible. Le déposant y déclare également que l’appelant a fait l’objet, le 18 octobre 2005, d’une nouvelle cotisation pour l’année 2003, le 7 avril 2008, d’une cotisation pour l’année d’imposition 2006 et, le 30 juillet 2009, d’une cotisation pour l’année d’imposition 2007. L’appelant n’a pas signifié d’avis d’opposition à l’encontre de ces cotisations; il n’a pas non plus demandé la prorogation du délai imparti pour signifier son opposition.

[3]              Avant de pouvoir faire appel d’une cotisation à la Cour, le contribuable doit nécessairement signifier au ministre du Revenu national (le « ministre ») un avis d’opposition à la cotisation. L’article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») est ainsi libellé :

 

169. (1) Appel – Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation, prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l’expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l’article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

[4]              Pour ce qui est de l’année d’imposition 2002, il n’y a pas d’appel possible à l’encontre d’une cotisation portant qu’il n’y a aucun impôt à payer[i].

[5]              Par conséquent, il est fait droit à la requête de l’intimée et il est mis fin aux appels visant les années d’imposition 2002, 2003, 2006 et 2007.

[6]              Seul l’appelant a témoigné à l’audience. Il était représenté par Paul Tardif.

Pension alimentaire

[7]              L’appelant demande des déductions de 15 674 $ et de 12 000 $ pour 2004 et 2005, respectivement, sommes qu’il affirme avoir payées à son ex-épouse à titre de pension alimentaire.

[8]              L’appelant a rendu le témoignage suivant. Il a quitté Jakarta, en Indonésie, en 1997, pour venir s’installer au Canada. En 1998, il s’est inscrit au programme d’administration des affaires de l’Université Laval, à Québec. Il a obtenu son baccalauréat en 2001.

[9]              En 1998, l’appelant a épousé Huda Brik, qui n’était pas résidente du Canada. À l’époque, Mme Brik vivait en Indonésie. En 1998, l’appelant a présenté une demande à Citoyenneté et Immigration Canada afin que son épouse puisse venir le rejoindre au Canada; cette demande a été refusée en 2001. Entre-temps, l’appelant et son épouse ont eu une fille, Nadine, née le 30 avril 1999. En février 2002, l’épouse de l’appelant a demandé le divorce, qui lui a été accordé le 9 septembre 2002.

[10]         Le jugement de divorce, rendu par le tribunal religieux de Jakarta Ouest (« le tribunal »), a été écrit en indonésien. L’appelant a mentionné qu’il l’avait traduit pour que la Cour puisse en prendre connaissance, car personne d’autre à Toronto ne pouvait traduire de l’indonésien à l’anglais.

[11]         D’après ce jugement, l’ex-épouse de l’appelant demandait 210 000 000 rupiahs pour les frais de subsistance qu’elle avait assumés pendant le mariage. Elle demandait que la somme lui soit versée immédiatement et sous forme de paiement forfaitaire. Elle demandait aussi, pour le soin et l’éducation de leur fille, Nadine, la somme de 3 000 000 rupiahs. Le tribunal religieux de Jakarta Ouest a examiné les demandes et a refusé d’accorder une pension alimentaire pour l’enfant au motif qu’il ne savait pas quel était le revenu de l’appelant ni où il se trouvait. Le tribunal a écrit que l’appelant [traduction] « devait payer à la requérante les frais de subsistance susmentionnés et les frais de justice, qui à ce jour se montent à 194 000 Rp ».

[12]         L’appelant a déclaré qu’il n’était pas en mesure de verser à son ex-épouse la somme due en un paiement unique, de sorte qu’ils avaient convenu ensemble, au cours d’une conversation téléphonique, qu’il la paierait sous forme de versements échelonnés. Il a présenté un document (produit sous la cote A-1, document no 5) censé porter la signature de son ex-épouse. Le document porte le titre [traduction] « LETTRE DE DÉCLARATION » et il a, lui aussi, été traduit par l’appelant. Dans cette lettre, il est écrit que l’ex-épouse a reçu de l’appelant les sommes suivantes :

 

ANNÉE

MONTANT

2002

389 $

2003

12 000

2004

15 674

2005

6 000

2006

11 750

2007

12 200

2008

8 000

2009

8 000

TOTAL

74 013 $

 

[13]         Lorsque j’examine la preuve, les actes de procédure et les arguments présentés pour le compte de l’appelant, je me demande si les versements énumérés dans la lettre de déclaration ont jamais été faits. D’abord, les déductions que l’appelant a demandées dans ses déclarations de revenus au titre de la pension alimentaire ne correspondent pas aux sommes qu’il affirme maintenant avoir payées. En effet, d’après les hypothèses formulées dans la réponse à l’avis d’appel, l’appelant aurait demandé, dans ses déclarations de revenus, les déductions suivantes au titre de la pension alimentaire :

 

a)         En 2003, il a déduit 883 $ au titre d’« autres déductions »;

b)        En 2004, il a déduit 15 674 $ au titre de la pension alimentaire;

c)        En 2005, il a déduit 12 000 $ pour perte au titre d’un placement d’entreprise;

d)        En 2006 et 2007, il a déduit 11 750 $ et 12 200 $ au titre de la pension alimentaire.

[14]         Ensuite, dans ses observations écrites, M. Tardif mentionne que le tribunal a accordé une somme de 210 000 000 rupiahs, plus des frais de justice de 194 000 rupiahs, pour un total qui, une fois converti, donne 40 400 dollars canadiens. J’ai utilisé le taux de conversion fourni par l’appelant et j’arrive à un montant adjugé correspondant à 39 936,86 dollars canadiens. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il est invraisemblable que l’appelant ait payé 74 013 $ à son ex-épouse, soit une somme supérieure au montant adjugé. Je doute également qu’il ait été en mesure de payer la somme qu’il affirme maintenant avoir versée. Aux dires de son représentant, l’appelant a gagné [traduction] « au plus 24 000 $ » en 2003 et en 2004.

[15]         Enfin, l’appelant n’a produit aucune preuve indépendante pour étayer ce qu’il affirme. Il est l’auteur de la traduction des deux documents présentés à la Cour. Il n’a produit aucun chèque oblitéré ni aucun document montrant qu’il a réellement payé les sommes en cause.

[16]         Par ailleurs, même si on présume que ces sommes ont été payées, elles ne peuvent être déduites que si elles peuvent être qualifiées de pension alimentaire. La Loi définit le terme « pension alimentaire » comme suit :

 

56.1 (4) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 56.

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

b) le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

[17]         D’après le jugement rendu par le tribunal religieux de Jakarta Ouest, celui‑ci n’a pas ordonné à l’appelant de verser une pension alimentaire à son ex-épouse. Le montant visé par l’ordonnance n’était pas payable à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins de l’ex-épouse. Il s’agissait d’un paiement forfaitaire destiné à couvrir les frais de subsistance et les frais de justice déjà payés par l’ex-épouse et non à subvenir à ses besoins futurs.

[18]         L’accord intervenu entre l’appelant et son ex-épouse pour convertir le paiement forfaitaire en versement périodiques n’a pas eu pour effet de modifier la nature du montant adjugé par le tribunal. Les sommes énumérées au paragraphe 12, ci-dessus, n’étaient pas des paiements périodiques. L’appelant a déclaré avoir convenu avec son ex‑épouse qu’il effectuerait des paiements, lorsqu’il en aurait les moyens, entre 2002 et 2009. Les paiements, s’ils ont été effectués, l’ont été selon une échéance fixe. Il s’agissait de paiements de capital[ii] que l’appelant n’était pas autorisé à déduire.

Pertes d’entreprise

[19]         En 2004 et en 2005, l’appelant a fourni des services de traduction à diverses organisations dans leurs lieux d’affaires. Il a déclaré les revenus et les dépenses suivants :

 

 

 

 

2004

2005

Honoraires

  2 972 $

1 179 $

 

 

 

Dépenses

 

 

                  Frais d’association et don

120

 

                  Assurance responsabilité civile

85

92

                  Intérêts et frais bancaires

168

188

                  Entretien et réparations

380

513

                  Administration

2 039

2 625

                  Cadeaux promotionnels (50 %)

1 500

750

                  Frais de bureau

189

95

                  Services juridiques et comptables

135

107

                  Location de bureau

1 980

 

                  Déplacements et voyages

3 190

798

                  Matériel et fournitures

1 801

901

Total des dépenses

11 587

6 069

Rajustement des dépenses pour bureau à domicile

2 549

608

Dépenses déductibles

9 038 $

5 461 $

 

 

 

Revenu net d’entreprise (perte) déduit des revenus

(6 066)

(4 282)

[20]         Le témoignage de l’appelant était quelque peu confus. Lors de l’interrogatoire principal, il a déclaré qu’il avait une entreprise à domicile et qu’il avait présenté tous les reçus à l’ARC. Or, il n’a produit aucun reçu lors de l’instruction de l’appel. Lors du contre-interrogatoire, l’appelant a mentionné qu’il avait déménagé en 2005 et qu’il avait perdu tous ses reçus.

[21]         L’appelant a décrit toutes les dépenses dont il avait demandé la déduction. Les honoraires professionnels représentaient un don fait à l’UNICEF, du fait qu’il avait effectué du travail de traduction pour cette organisation et qu’il avait estimé judicieux, sur le plan des affaires, de lui faire un don. Il avait souscrit l’assurance responsabilité civile pour son bureau à domicile. Les frais d’administration correspondaient à l’achat d’un dictionnaire électronique et de journaux. Les dépenses effectuées pour des cadeaux promotionnels correspondaient en fait au coût des repas qu’il prenait le midi. Les frais de bureau représentaient une partie des frais de téléphone, de télécopie et d’Internet qu’il payait pour son appartement. En 2004, il a payé 750 $ par mois pour un studio et il a demandé une déduction de 300 $ au titre de frais de location de bureau. Les dépenses en matériel et en fournitures se rapportaient, en 2004, à un ordinateur portable et, en 2005, à une mise à niveau de son logiciel.

[22]         En tant que traducteur, l’appelant pouvait gagner 24 $ l’heure s’il travaillait pour la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 32 $ l’heure s’il travaillait pour un tribunal et 26 $ l’heure s’il travaillait pour Citoyenneté et Immigration Canada. Toutefois, il ne pouvait gagner qu’un maximum de 24 000 $ par année, après quoi il ne pouvait recevoir d’autres contrats du gouvernement pour le reste de l’année. L’appelant a déclaré qu’il devait parfois être présent à deux audiences par jour et qu’il s’était rendu au moins 15 fois à Ottawa pour le travail. Je doute que l’appelant ait reçu le nombre de contrats qu’il prétend. Il a déclaré n’avoir gagné que 2 972 $ et 1 179 $ en tant que traducteur en 2004 et en 2005.

[23]         Il incombait à l’appelant de démontrer que les cotisations étaient erronées. Il ne l’a pas fait. Or, dans l’arrêt Njenga c. Canada, [1996] A.C.F. no 1218, la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit, au paragraphe 3 :

3            Le système fiscal est fondé sur l’autocontrôle. Il est d’intérêt public que la charge de prouver le fondement des déductions et des réclamations repose sur le contribuable. Le juge de la Cour de l’impôt a statué que les personnes comme la requérante doivent être en mesure de produire toutes les informations et justifications permettant d’appuyer les réclamations qu’elles font. Nous sommes d’accord avec cette conclusion. Mme Njenga, à titre de contribuable, a la responsabilité de justifier ses affaires personnelles d’une manière raisonnable. Des reçus écrits par elle-même et des allégations sans preuve ne sont pas suffisants.

 

[24]         Pour tous ces motifs, les appels sont rejetés.

 

 

 

 

 

 Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’octobre 2010.

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2010.

 

Marie-Christine Gervais

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 529

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-73(IT)I

 

INTITULÉ :                                       KHELIFA LACHABI ET

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 8 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 27 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. Paul N. Tardif

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[i]  Groulx c. R., 2009 CAF 10

[ii] McKimmon c. Ministre du Revenu national, [1990] 1 C.F. 600 (C.A.F.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.