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Dossier : 2007-4766(IT)G

 

ENTRE :

 

ROBERT J. CRANSTON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Requête entendue le 15 juillet 2010, à London (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui‑même

Avocat de l'intimée :

Me Ryan R. Hall

 

________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          VU la requête présentée par l'avocat de l'intimée en vue d'obtenir une ordonnance annulant les appels interjetés par l'appelant à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001;

 

          ET VU les documents déposés et les observations de l'appelant et de l'avocat de l'intimée;

 

          LA COUR ORDONNE que la requête de l'intimée soit accueillie. Les appels interjetés par l'appelant à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001 sont annulés, et les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'août 2010.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 414

Date : 20100804

Dossier : 2007‑4766(IT)G

 

ENTRE :

 

ROBERT J. CRANSTON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge Lamarre

 

[1]              L'intimée a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance annulant les appels interjetés par l'appelant devant la Cour à l'encontre de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l'égard des années d'imposition 1999, 2000 et 2001. L'intimée invoque l'alinéa 53c) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »), qui est rédigé en ces termes :

 

Radiation d'un acte de procédure ou d'un autre document

 

53. La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l'acte ou le document :

 

[...]

 

c) constitue un recours abusif à la Cour.

 

[2]              Les nouvelles cotisations visées par l'appel sont fondées sur une analyse de l'avoir net, qui a été effectuée par Steve Esseltine de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »). Par suite de cette analyse, le ministre a inclus dans le calcul des revenus de l'appelant des revenus d'entreprise non déclarés s'élevant à 136 241 $, à 545 756 $ et à 79 261 $ pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 respectivement. Pour chacune de ces années, le ministre a également imposé à l'appelant des pénalités s'élevant respectivement à 18 880 $, à 79 404 $ et à 7 351 $, en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), pour avoir sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de ses revenus, ou y avoir participé, y avoir consenti ou y avoir acquiescé, en omettant de déclarer les revenus d'entreprise visés par les nouvelles cotisations.

 

[3]              Dans la déclaration sous serment d'Ifeanyi Nwachukwu (la « déclaration sous serment ») jointe à l'avis de requête, il est indiqué ce qui suit aux alinéas 3d) et suivants :

 

[TRADUCTION]

 

3.d)      que le 7 novembre 2006, à la Cour de justice de l'Ontario, dans l'espèce R. c. Robert Cranston, numéro 06 1828, le juge G. A. Pockele a déclaré M. Cranston coupable à l'égard de :

 

i)          trois chefs d'accusation en application de l'alinéa 239(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour avoir fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou avoir participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans une déclaration produite ou devant être produite en vertu de la Loi en omettant de déclarer les revenus non déclarés au titre de revenus nets tirés d'une entreprise ou d'une source imposable;

 

ii)         trois chefs d'accusation en application de l'alinéa 239(1)d) de la Loi pour avoir volontairement éludé ou tenté d'éluder l'observation de la Loi ou le paiement d'un impôt établi en vertu de la Loi en omettant de déclarer les revenus non déclarés au titre de revenus nets tirés d'une entreprise ou d'une source imposable.

 

Jointes à la présente déclaration sous serment sous les cotes « A », « B » et « C » respectivement sont des copies conformes de la dénonciation et des documents judiciaires connexes, la transcription des motifs du jugement du juge Pockele, ainsi que la transcription de l'audience sur la peine (qui comprend les motifs de la peine du juge Pockele);

 

e)         que lorsqu'il a déclaré M. Cranston coupable, le juge Pockele a conclu, hors de tout doute raisonnable :

 

i)          que M. Cranston a fait quelque chose en vue d'éluder ou de tenter d'éluder le paiement de l'impôt, comme il a été « établi dans les déclarations de revenus produites ainsi que les documents, qui démontrent son accès, que M. Esseltine a décrits comme étant son analyse de l'avoir net, des états de l'avoir net, que je choisis de traiter comme un indicateur valide de l'argent qui était entre les mains de M. Cranston pendant cette période » (pièce « B », page 22, lignes 24 à 32, et page 23, lignes 1 et 2);

 

ii)         que M. Cranston savait qu'il y avait un impôt prévu par la Loi, et plus précisément que la « documentation dans son site Web et dans son modèle d'entreprise révèle qu'il connaissait la Loi de l'impôt sur le revenu » (pièce « B », page 23, lignes 5 à 8);

 

iii)         que M. Cranston avait adopté un comportement visant à éluder ou à tenter d'éluder le paiement de l'impôt sur le revenu, ce que « démontrent abondamment les opérations qui ont été présentées en preuve à la Cour » (pièce « B », page 23, lignes 10 à 15);

 

iv)        que l'augmentation de l'avoir net de M. Cranston était attribuable à une source de revenu imposable. « La preuve présentée par la Couronne en l'espèce a révélé que ces diverses opérations sont la source, l'origine de cet avoir net. Cela est manifeste et prouvé hors de tout doute raisonnable. » (pièce « B », page 23, lignes 17 à 27);

 

v)         qu'aucune des explications de M. Cranston n'était raisonnablement susceptible d'être vérifiée, ou que M. Cranston n'en a présenté aucune, et que « la poursuite a examiné toute la preuve dont elle disposait. Elle a exécuté tous ses mandats de perquisition. Elle a passé au peigne fin tous les documents pouvant peut‑être établir un lien. Il ne reste plus rien à vérifier. » (pièce « B », page 23, lignes 29 à 32, et page 24, lignes 1 à 6);

 

vi)        que la défense a bel et bien appelé des témoins à décharge, et que s'il y avait eu une contre‑preuve à la preuve de la poursuite, la défense aurait pu la présenter à la Cour (pièce « B », page 22, lignes 12 à 18);

 

vii)        qu'en ce qui a trait à la question de savoir si la Couronne était tenue de prouver, hors de tout doute raisonnable, le montant précis des revenus non déclarés afin d'étayer la déclaration de culpabilité, « dans des opérations comme celles en cause, où le contribuable a créé et entretenu un climat de déception, d'artifices et de tromperie, où il a tout fait pour ne fournir aucune information que ce soit, la preuve présentée par la Couronne me convainc hors de tout doute raisonnable parce qu'on ne m'a présenté aucune contre‑preuve laissant entendre que ces calculs ne sont pas valides » [Non souligné dans l'original.] (pièce « B », page 24, lignes 24 à 32, et page 25, lignes 1 à 9);

 

viii)       que la preuve de M. Esseltine fournit une « analyse des revenus et de l'argent à la disposition de M. Cranston, non pas une analyse de l'avoir net comme on pourrait le dire dans d'autres types d'instances, mais un document qui convainc la Cour hors de tout doute raisonnable » (pièce « B », page 26, lignes 2 à 7);

 

f)          que le 16 janvier 2007, le juge Pockele a imposé la peine suivante à M. Cranston :

 

i)          la suspension conditionnelle des trois chefs d'accusation portés en application de l'alinéa 239(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (pièce « C », page 52, lignes 30 à 33);

 

ii)         l'imposition d'une peine d'emprisonnement de 14 mois et d'une amende totale s'élevant à 200 000 $ pour les trois chefs d'accusation portés en application de l'alinéa 239(1)d) de la Loi (pièce « C », page 64, lignes 1 à 9, et page 54, ligne 21);

 

g)         qu'au cours de l'audience sur la peine, le juge Pockele a conclu ce qui suit, hors de tout doute raisonnable :

 

i)          que « chaque chef d'accusation présente un montant de revenu net, un calcul de l'impôt sur le revenu net à payer à l'égard de ce montant. Les chefs d'accusation portent sur trois années d'imposition consécutives distinctes. Je commencerai par traiter la question de l'amende. L'amende qui peut être imposée pour chacun de ces chefs d'accusation peut être de 50 % à 200 % de l'impôt à payer. Selon le calcul de la poursuite dans la présente instance, cette somme s'élève à environ 209 000 $ — soit l'impôt à payer. » (pièce « C », page 53, lignes 3 à 15);

 

ii)         que « quant au montant censément dû, j'ai formulé des conclusions de fait lors du procès. La poursuite a déposé un document décrit comme étant un état de l'avoir net qui indique l'argent ayant passé dans les mains de M. Cranston, dont il a joui et qu'il a utilisé à son avantage. Bien que le document porte le titre d'état de l'avoir net, il ne s'agissait pas d'un état de l'avoir net au sens propre, conformément aux normes de comptabilité acceptées. Monsieur Hoare, un expert appelé à témoigner pour la défense, a remis cela en question. Toutefois, l'état présenté par M. Esseltine était un — j'utilise ici le terme familier — était un aperçu financier de l'argent dont M. Cranston jouissait pour acquitter ses dépenses quotidiennes et qui lui permettait de jouir de luxes comme l'utilisation ou la construction d'un avion [...] » (pièce « C », page 53, lignes 24 à 33, et page 54, lignes 1 à 13);

 

iii)         que « l'infraction n'était pas étayée avec l'exactitude d'un calcul fait à la calculatrice électronique [...] la poursuite me demande de conclure que le montant dû est réputé s'élever à 209 000 $ et me demande d'imposer une amende de 100 %; j'imposerai une amende totale de 200 000 $. En ce qui a trait au deuxième chef d'accusation, l'amende imposée s'élève à 35 000 $. Pour le quatrième chef, l'amende s'élève à 155 000 $. Pour le sixième chef, elle s'élève à 10 000 $ [...]. Ce qui fait — et il est tenu compte ici du fait que le montant dû n'a pas pu être calculé de façon précise. » [Non souligné dans l'original.] (pièce « C », page 54, lignes 14 à 27);

 

iv)        qu'en réponse à la prétention de l'avocat de la défense voulant que le juge Pockele n'avait pas établi précisément le montant d'impôt non payé dans ses motifs de jugement, « il y a un élément où un montant de 5 000 $ pourrait être en cause, dans un sens ou dans l'autre, et il a été déclaré coupable en fonction des montants qui étaient indiqués dans la dénonciation. Je crois qu'il y avait peut‑être une question quant à savoir si le montant était exact, dans cette petite marge, mais l'écart n'était pas vraiment de plus [...]. Je l'ai déclaré coupable en fonction de la dénonciation, comme je l'ai dit, mais il se peut que — la fourchette étant de 50 % à 100 %, 200 %, je crois que j'ai une certaine marge de manoeuvre. » [Non souligné dans l'original.] (pièce « C », page 15, lignes 18 à 33, et page 16, lignes 1 à 8);

 

v)         qu'au cours de l'audience sur la peine, le juge Pockele a cherché à confirmer la position de l'avocat de la défense à l'égard du montant d'impôt non payé et lui a dit que « le calcul que vous m'avez présenté situe l'impôt non payé à 202 689 $ », alors que, selon la position de la Couronne, le montant d'impôt non payé s'élevait à 209 689 $, montant que l'avocat de la défense a reconnu, en disant : « Je m'étais trompé; mon 2 est en fait un 9. » (pièce « C », page 42, lignes 29 à 33, et page 43, lignes 1 à 10);

 

h)         que M. Cranston a interjeté appel à l'encontre des déclarations de culpabilité et de la peine devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, appel portant le numéro 597;

 

i)          que la Cour supérieure de justice de l'Ontario a rejeté l'appel de M. Cranston dans le jugement rendu par le juge R. J. Haines le 17 avril 2009. Jointe à la présente déclaration sous serment sous la cote « D » est une copie conforme du jugement rendu par le juge R. J. Haines;

 

j)          que M. Cranston a interjeté appel à l'encontre de sa déclaration de culpabilité en invoquant trois motifs, notamment que le juge Pockele a commis une erreur :

 

i)          en acceptant que M. Esseltine était habile à témoigner à titre d'expert en comptabilité;

 

ii)         en le déclarant coupable en se fondant sur un état de « l'avoir net »;

 

(pièce « D », paragraphe 2);

 

k)         que M. Cranston n'a pas interjeté appel à l'encontre de la déclaration de culpabilité inscrite contre lui au motif qu'il existait de nouveaux éléments de preuve;

 

l)          que le juge R. J. Haines n'a contredit aucune des conclusions de fait du juge de première instance, et a plus précisément conclu qu'« il y avait largement assez d'éléments de preuve pour étayer les conclusions du juge de première instance, et ce, malgré certaines lacunes dans l'analyse de l'avoir net » (pièce « D », paragraphe 14);

 

m)        que le juge R. J. Haines a souligné que, bien que le juge de première instance ait accepté l'avis du témoin expert de la défense voulant que l'analyse de l'avoir net n'était pas une analyse de l'avoir net personnel (pièce « D », paragraphe 14), il notait les conclusions suivantes du juge de première instance :

 

En définitive, les divers documents indiquaient que M. Cranston était, dans le cas des fiducies, le premier fiduciaire et le disposant; dans le cas des divers comptes d'entreprise, le particulier ayant le contrôle des comptes; dans le cas des fiducies, il était également le bénéficiaire. En définitive, M. Cranston était celui qui contrôlait tout l'argent qui entrait dans ces comptes et qui en sortait.

 

(pièce « D », paragraphe 20).

 

[4]              Lors de l'audience, l'avocat de l'intimée a fait valoir que constituerait un recours abusif au tribunal le fait que l'appelant remette en cause, au moyen des présents appels, les questions mêmes qui ont déjà été tranchées lors de l'instance pénale. L'avocat de l'intimée a invoqué les règles de la préclusion fondée sur la chose jugée et de l'abus de procédure pour demander à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire afin de préclure l'appelant ou de lui interdire de remettre en cause des questions qui ont déjà été tranchées lors d'une autre instance judiciaire.

 

[5]              Dans la décision Golden c. La Reine, 2008 CCI 173, confirmée par la Cour d'appel fédérale, 2009 CAF 86, le juge Boyle de notre Cour a énoncé en ces termes les conditions d'application de la règle de la préclusion fondée sur la chose jugée, aux paragraphes 20, 23, 24 et 25 :

 

[20]      Il est loisible à la Cour d'appliquer la doctrine de la préclusion pour même question en litige afin d'empêcher que des questions déjà tranchées dans le cadre d'une autre instance judiciaire ne soient remises en cause. La Cour d'appel fédérale a confirmé que la préclusion pour même question en litige découlant d'une déclaration de culpabilité prononcée dans une affaire criminelle peut s'appliquer dans une instance civile tenue devant la Cour canadienne de l'impôt : Van Rooy c. M.R.N., [1989] 1 C.F. 489, 88 DTC 6323.

 

[...]

 

[23]      Les conditions d'application de la doctrine de la préclusion pour même question en litige sont les suivantes :

 

1.         La décision judiciaire antérieure doit avoir tranché la même question que celle dont la Cour est saisie, et la question devait être fondamentale à la décision antérieure en question;

 

2.         La décision judiciaire antérieure doit être définitive;

 

3.         Il doit y avoir identité des parties à l'instance, c'est‑à‑dire que les parties visées par la décision judiciaire antérieure, ou leurs ayants droit, doivent être les mêmes que celles visées par l'instance en cause, ou leurs ayants droit.

 

[24]      La doctrine de la préclusion pour même question en litige ne peut être appliquée de manière automatique ou rigide simplement parce que les conditions susmentionnées sont remplies. Il appartient à la Cour, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de décider s'il est justifié d'appliquer la préclusion pour même question en litige ou si l'application de cette doctrine serait injuste dans les circonstances particulières de l'affaire.

 

[25]      Ce n'est que dans les cas manifestes qu'il y a lieu d'appliquer la doctrine de la préclusion pour même question en litige aux appels en matière fiscale interjetés devant la Cour relativement à une déclaration de culpabilité pour fraude fiscale. Cette doctrine ne doit pas être appliquée systématiquement une fois les conditions remplies. La Cour doit être convaincue que la question des sommes en cause pour chacune des années d'imposition concernées a été tranchée dans l'instance pénale.

 

[6]              Le juge Boyle a aussi examiné l'abus de procédure aux paragraphes 29 et 30 de cette même décision :

 

[29]      L'abus de procédure est également une doctrine que le tribunal ne doit appliquer qu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire et en soupesant les intérêts en cause en vue de trancher une question liée à l'équité. Cependant, les considérations entourant le recours à l'abus de procédure se distinguent quelque peu de celles touchant l'application éventuelle de la préclusion pour même question en litige en ce qu'elles s'articulent autour de l'intégrité du processus juridictionnel plutôt que du statut, des motivations ou des droits des parties.

 

[30]      Il importe d'éviter de remettre une question en cause, à moins que ce ne soit nécessaire pour accroître la crédibilité et l'efficacité du processus juridictionnel. Ce sera le cas (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n'avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, ou (3) lorsque l'équité exige que le résultat initial n'ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte.

 

[7]              Selon l'avocat de l'intimée, les questions tranchées dans l'instance pénale antérieure sont bel et bien les mêmes que celles qui sont maintenant mises en cause par l'appelant dans son avis d'appel. En fait, dans ses actes de procédure déposés à la Cour, l'appelant a fait valoir que l'état de l'avoir net personnel n'est étayé par aucun motif et aucun fait, que les nouvelles cotisations ont été établies sans qu'une vérification, qu'un examen ou qu'une enquête ne soient effectués, et qu'il n'existe aucune preuve d'un revenu gagné dans les annexes. Dans sa réponse à une demande de précisions, l'appelant a affirmé n'avoir gagné aucun revenu personnel et que les biens ne lui appartenaient pas et appartenaient plutôt à une société.

 

[8]              La dénonciation exposant les chefs d'accusation dans l'instance pénale (pièce A du dossier de requête) montre que les montants des revenus non déclarés à l'égard desquels le juge Pockele de la Cour de justice de l'Ontario a déclaré l'appelant coupable sont les mêmes montants qui sont en cause dans le présent appel.

 

[9]              Aux pages 25 et 26 de son jugement, le juge Pockele affirme qu'étant donné qu'aucune preuve contraire n'avait été présentée, la preuve présentée par la Couronne au cours du procès de huit jours suffisait pour le convaincre de la validité des calculs du ministre :

 

[traduction]

 

[...] Mais dans des opérations comme celles en cause, où le contribuable a créé et entretenu un climat de déception, d'artifices et de tromperie, où il a tout fait pour ne fournir aucune information que ce soit, la preuve présentée par la Couronne me convainc hors de tout doute raisonnable parce qu'on ne m'a présenté aucune contre‑preuve laissant entendre que ces calculs ne sont pas valides.

 

Je conclus que la mens rea a été établie par les actions commises par l'accusé, par le site Web, et qu'il est prouvé, par les activités et par les témoignages entendus dans la présente instance, qu'une infraction a été commise.

 

Bien que j'aie souvent renvoyé aux sommaires de la preuve fournis par les avocats, j'ai aussi eu l'occasion d'examiner tous les éléments de preuve dont j'ai été saisi en l'espèce : le grand nombre de témoins qui ont été appelés à témoigner et dont j'ai accepté le témoignage comme étant entièrement juste, le témoignage de M. Esseltine et l'importance que j'accorde aux éléments de preuve qu'il a présentés, le témoignage des citoyennes, Mme Calvo et Mme Antolini, le témoignage de Mooney [sic], de Mahon, de Bodo Grahl, de Chris Gallant, de Fayyez Ahmad, qui a aidé à établir la source des revenus, la vente, de Barb Dressel et de M. Burt. Tous ces témoins qui ont comparu ont été utiles. Le témoignage de M. Hoare a été utile, mais il ne s'appliquait pas nécessairement à la situation particulière en l'espèce. Je répète que le témoignage de M. Esseltine a fourni une analyse des revenus et de l'argent à la disposition de M. Cranston, non pas une analyse de l'avoir net comme on pourrait le dire dans d'autres types d'instances, mais un document qui convainc la Cour hors de tout doute raisonnable.

 

[10]         De plus, dans les motifs de la peine, le juge Pockele s'est fondé sur le calcul de l'impôt à payer sur lequel s'étaient entendues la défense et la poursuite dans cette espèce. Il a déclaré l'appelant coupable en tenant compte des montants énoncés dans la dénonciation déposée dans l'instance pénale, qui sont exactement les mêmes montants que ceux qui sont en cause dans les appels dont la Cour est saisie.

 

[11]         L'appelant a interjeté appel à l'encontre de sa déclaration de culpabilité auprès de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, qui a rejeté l'appel et a confirmé la décision de la Cour de justice de l'Ontario au motif que la preuve dont avait été saisi le juge Pockele suffisait amplement à étayer les conclusions de ce dernier.

 

[12]         Dans la requête dont la Cour est ici saisie, l'avocat de l'intimée a fait valoir que l'appelant n'avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve qui jettent un doute sur les conclusions tirées par le juge Pockele. De surcroît, l'avocat de l'intimée soutient qu'il ne serait pas injuste que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et applique les règles de la préclusion fondée sur la chose jugée et de l'abus de procédure. Il soutient qu'au contraire, si la Cour n'exerçait pas son pouvoir discrétionnaire, la crédibilité et l'intégrité du système judiciaire s'en trouveraient compromises, car nous pourrions alors être en présence d'une multiplicité d'instances portant sur une question qui a déjà été tranchée. Il y aurait en outre le risque de divergence entre la décision de la présente Cour et celle de la Cour de justice de l'Ontario.

 

[13]         Je suis du même avis que l'avocat de l'intimée. À la fin de la présentation de l'intimée, l'appelant a affirmé qu'il acquiesçait à tout ce que la Couronne avait avancé. Son avis d'appel ne présente aucune nouvelle question, il n'y a aucune preuve nouvelle qui n'avait pu être présentée auparavant, et personne n'allègue que l'instance pénale était entachée de fraude ou de malhonnêteté. La position de l'appelant est exactement la même que celle qu'il a défendue devant la Cour de justice de l'Ontario en ce qui a trait à la même analyse de l'avoir net qu'en l'espèce, et la Cour de justice de l'Ontario en est arrivée à une conclusion en fonction des montants des revenus non déclarés qui sont le fondement même des nouvelles cotisations en cause dans le présent appel. À mon avis, il convient ici d'appliquer les règles de la préclusion fondée sur la chose jugée et de l'abus de procédure. Il ne faut toutefois pas oublier que ces règles doivent être appliquées de façon très restrictive (voir Neeb c. La Reine, no 94‑260(IT)G, 18 novembre 1996, [1997] 2 C.T.C. 2343 (C.C.I.)).

 

[14]         En ce qui a trait aux pénalités, elles ont été calculées en fonction des montants des revenus non déclarés à l'égard desquels l'appelant a été déclaré coupable.

 

[15]         Dans Golden, le juge Boyle a affirmé ce qui suit, au paragraphe 49 :

 

J'arrive en outre à la conclusion que la préclusion pour même question en litige s'applique à M. Golden en ce qui concerne la pénalité pour faute lourde imposée relativement à la somme de 34 000 $ non déclarée dans son revenu. La mens rea et le caractère délibéré des actes de M. Golden constituaient une partie intégrante et fondamentale des verdicts de culpabilité prononcés par le jury. La mens rea a été établie hors de tout doute raisonnable. La preuve, hors de tout doute raisonnable, de la mens rea permet à la Couronne de s'acquitter du fardeau qui lui incombait suivant le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les pénalités pour faute lourde, à savoir de prouver que l'omission par M. Golden de déclarer une partie de son revenu a été commise sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

 

[16]         Le juge Pockele a tiré une conclusion semblable lorsqu'il a déclaré l'appelant coupable (voir la déclaration sous serment, sous‑alinéa 3d)(i)).

 

[17]         Pour les motifs énoncés ci‑dessus, j'accueille la requête, et les appels sont annulés. Les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'août 2010.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 414

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-4766(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ROBERT J. CRANSTON c. LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   London (Ontario)

                                                         

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 15 juillet 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DE L'ORDONNANCE :          Le 4 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui‑même

Avocat de l'intimée :

Me Ryan R. Hall

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :     s.o.

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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