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Dossier : 2012-2005(IT)G

ENTRE :

JACQUES ABENAIM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 1er et 2 mai 2014 et le 2 mars 2017 à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Geneviève Léveillé

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est accueilli, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »  

Juge D’Auray


Référence : 2017 CCI 223

Date : 20171114

Dossier : 2012-2005(IT)G

ENTRE :

JACQUES ABENAIM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


NOTE AU LECTEUR

Certaines parties des motifs de ce jugement sont caviardées conformément à l’ordonnance que j’ai rendue le 24 juillet 2015. Il est à noter qu’il n’y avait aucune ordonnance de confidentialité à l’égard du recours civil. Ainsi, seulement les références relatives aux modalités de l’entente de règlement et de la quittance ont été omises.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

[1]              Pour faciliter la lecture, je désigne dans ces motifs les sociétés du Groupe Minolta de la manière suivante:

-         Minolta Montréal

-         Minolta Business Equipment (Canada) Limited (« Minolta Canada »)

-         Minolta Business Solutions (USA) Inc. (« Minolta USA »)

-         Minolta Company (Japan) Inc.

[2]              Je désigne les sociétés du Groupe Konica Minolta de la manière suivante :  

-         Groupe Konica Minolta (« Groupe KM »)

-         Konica Minolta Montréal (« KM Montréal »)

-         Solutions d’affaires Konica Minolta (Canada) Limitée (« KM Canada »)

-         Konica Minolta Business Solutions (USA) Inc.

-         Konica Minolta Holdings (Japan) Inc.

I. CONTEXTE

[3]              L’appelant, M. Abenaim se fait congédier la première fois le 20 décembre 1990 par la société Minolta Montréal, et la deuxième fois, le 20 juillet 2006, par la société KM Montréal.

[4]              À la suite du premier congédiement, par Minolta Montréal, M. Abenaim intente en 1991, un recours en oppression contre le Groupe Minolta, en vertu de l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[1], devant la Cour supérieure du Québec, district de Montréal.

[5]              Un règlement intervient en 1994 entre les parties. Selon ce règlement, Minolta Canada rachète les 24 actions de Minolta Montréal que M. Abenaim détient. M. Abenaim accepte d’être à l’emploi de Minolta Montréal et il signe un contrat de travail avec Minolta Montréal.

[6]              Le 1er octobre 2003, le Groupe Minolta fusionne avec le Groupe Konica afin de former le Groupe KM.

[7]              La preuve démontre que les relations entre les sociétés Minolta Canada et, par la suite, KM Canada et M. Abenaim sont difficiles et laborieuses.

[8]              Selon M. Abenaim, la nouvelle entité KM Canada ne respecte pas les termes de son contrat de travail. De plus, KM Canada ne se soucie guère des promesses faites par Minolta Canada lors de la signature du contrat de travail. Voyant que M. Abenaim persiste de rester à l’emploi de KM Canada malgré le non‑respect des termes du contrat de travail et un traitement irrespectueux à son égard, KM Canada met en œuvre, selon M. Abenaim, une série de manigances afin de justifier son congédiement.

[9]              Après son deuxième congédiement, en 2006, M. Abenaim intente un recours en oppression, et subsidiairement en dommages-intérêts et en injonction, contre le Groupe KM.  

[10]         À la suite d’une conférence de règlement, un règlement intervient entre M. Abenaim et le Groupe KM. Selon l’entente de règlement, le Groupe KM, en échange d’une quittance, accepte de verser un montant de [confidentiel] à M. Abenaim.

[11]         Selon les avocats de M. Abenaim et du Groupe KM, [confidentiel] M. Abenaim est un montant arbitraire, aucune ventilation de ce montant n’ayant été effectuée lors du règlement.

[12]         Cependant, lors de l’audience, M. Abenaim témoigne qu’il a retenu de la conférence de règlement que la moitié [confidentiel] a été accordée à titre d’allocation de retraite et était par conséquent imposable. L’autre moitié [confidentiel] a été accordée à titre de dommages-intérêts moraux délictuels et était donc non imposable.

[13]         L’intimée fait valoir que l’entièreté du montant [confidentiel] est imposable à titre d’allocation de retraite en vertu de l’alinéa 56 (1)(a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») et de la définition d’allocation de retraite au paragraphe 248(1) de la LIR.

[14]         L’intimée fait également valoir que, si la moitié du montant n’est pas une allocation de retraite, le montant [confidentiel] est de toute manière imposable à titre de perte de revenus consécutive au non-respect des termes du contrat de travail par KM Canada. De plus, l’intimée fait valoir qu’une partie [confidentiel] constitue également du revenu de biens, à savoir des dividendes.

[15]         Je suis d’avis qu’une partie du montant [confidentiel] constitue des dommages moraux délictuels non imposables pour les motifs exposés ci-dessous.

II. FAITS

[16]         Lors de l’audience, M. Abenaim a témoigné, ainsi que Me Bourgon et Me Fournier. Me Bourgon représentait M. Abenaim lors du premier recours en oppression intenté en 1991. Me Fournier représentait M. Abenaim lors du deuxième recours intenté en 2006, dont le règlement a donné naissance au présent litige quant à la nature du montant [confidentiel]. Me Manzo, qui était un des avocats pour le Groupe KM, n’a pas témoigné. Lors de l’audience, ce dernier était toujours en convalescence. Cependant, une demande d’aveux a été faite par l’intimée. La demande d’aveux et les réponses à celle-ci portent sur des faits relativement auxquels Me Manzo aurait témoigné.

A. Monsieur Abenaim

[17]         En 1975, à l’âge de 28 ans, M. Abenaim devient cofondateur de la société Le Spécialiste de Machines de Bureau Ltée, une société exerçant des activités dans le domaine de la vente et de la location d’appareils de bureau neufs ou remis à neuf destinés à la reproduction et à la transmission de documents, tels que des photocopieurs, des imprimantes et des télécopieurs. La société offre aussi le service après-vente et la vente de pièces et de consommables pour ces appareils[2].

[18]         Dès 1976, Le Spécialiste de Machines de Bureau Ltée vend et loue, entre autres, des appareils Minolta. En 1987, M. Abenaim devient le seul actionnaire de la société Le Spécialiste de Machines de Bureau Ltée.

[19]         En 1986, soit après dix ans de collaboration avec Minolta Canada, des pourparlers sont entrepris entre Le Spécialiste de Machines de Bureau Ltée et Minolta Canada afin de créer une nouvelle société, Minolta Montréal.

[20]         La société Minolta Montréal est constituée le 18 janvier 1989. M. Abenaim est employé par Minolta Montréal à titre de dirigeant, et il est actionnaire de celle-ci. Il détient 24 % du capital-actions de cette société. Dès lors, Minolta Montréal devient le distributeur exclusif des appareils Minolta pour le Grand Montréal.

[21]         Le contrat de travail daté du 3 février 1989 entre Minolta Montréal et M. Abenaim[3], comprend une clause prévoyant un terme de 24 mois. N’ayant jamais discuté de la durée de l’emploi, M. Abenaim demande des explications au président de Minolta Canada. Ce dernier lui mentionne qu’il s’agit d’une mesure administrative visant à promouvoir l’efficacité des employés-cadres. Sur la foi de ces informations, et du fait que M. Abenaim collabore avec Minolta Canada depuis plus de dix ans, M. Abenaim signe le contrat de travail.

[22]         M. Abenaim n’a pas l’habitude de se faire dicter comment mener ses affaires; ainsi, dès leur association, les relations entre M. Abenaim et Minolta Canada sont difficiles. Selon M. Abenaim, ce sont des relations empreintes d’oppression à son égard.

[23]         Or, le 20 décembre 1990, soit 23 mois après la signature du contrat de travail, M. Abenaim reçoit en main propre, du vice-président de Minolta Canada, une lettre l’avisant que son contrat de travail ne sera pas renouvelé au-delà de la période de 24 mois prévue au contrat.

[24]         Quant aux 24 actions détenues par M. Abenaim, Minolta Canada lui offre un montant de 24 000 $, offre que M. Abenaim décline.  

[25]         À la suite de ce congédiement, M. Abenaim intente en 1991 un recours en oppression en vertu de l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions devant la Cour supérieure du Québec à l’encontre du Groupe Minolta.

[26]         Bien que M. Abenaim obtienne gain de cause dans le cadre d’une demande pour frais provisoires, il n’en demeure pas moins que des pressions financières se font sentir, dont notamment une facture de plus de 65 000 $ pour frais juridiques.

[27]         Dans une tentative pour régler le litige hors cour, M. Abenaim se rend à Las Vegas, à une conférence où les cadres supérieurs de Minolta USA et le délégué du Japon sont présents. Les ventes de Minolta Montréal ayant diminué pendant l’absence de M. Abenaim, il était dans l’intérêt des parties de trouver un compromis. À cet égard, les cadres de Minolta USA sont d’accord pour que le litige intenté en 1991 par M. Abenaim se règle hors cour, sans reconnaissance de responsabilité. Il est entendu que les parties doivent s’entendre sur les termes de l’entente quand elles seront de retour à Montréal.

[28]         De retour à Montréal, M. Abenaim rencontre M. Murphy, président de Minolta USA, ainsi que M. Hans, avocat-conseil de Minolta USA. Quarante‑deux mois passent avant qu’une entente intervienne, le 6 juillet 1994.

[29]         En vertu de cette entente, M. Abenaim reçoit un montant [confidentiel], représentant notamment le prix de ses actions, qu’il doit vendre à Minolta Montréal, la perte de salaire et la perte des « override bonus », les frais de consultation et les frais relatifs au litige américain en diffamation. M. Abenaim signe une quittance à cet égard.

[30]         Également en vertu de cette entente de règlement, M. Abenaim accepte d’être employé de Minolta Montréal à titre de directeur de l’exploitation (« Chief Operating Officer »). Cela est constaté par un contrat de travail signé le 6 juillet 1994[4].

[31]         Le contrat de travail comprend, entre autres, des clauses relatives au salaire, aux bonis, aux commissions, au droit de distribution exclusif en ce qui a trait aux appareils que Minolta Montréal vend déjà sur le territoire du Grand Montréal et à l’accès aux nouveaux appareils Minolta. Une clause prévoit également que les successeurs de Minolta Montréal, dans le cas d’une fusion ou d’une vente, doivent respecter le contrat de travail de M. Abenaim.

[32]         Selon M. Abenaim, en plus de ce qui est prévu dans le contrat de travail, le Groupe Minolta lui promet une longue carrière. Le Groupe Minolta lui promet qu’il accèdera au poste de président de Minolta Canada dans les 24 mois suivant la signature du contrat de travail. M. Abenaim indique aussi que Minolta Canada promet également de lui verser le salaire le plus élevé donné à un directeur de succursale au Canada et le meilleur taux de commission offert au Canada pour un directeur de succursale. Cependant, ces promesses ne figurent pas au contrat de travail.

[33]         Selon M. Abenaim, peu de temps après la signature du contrat de travail, Minolta Canada empiète sur le territoire exclusif de Minolta Montréal en assignant le territoire à d’autres distributeurs, et elle s’ingère dans les activités quotidiennes de Minolta Montréal. De plus, M. Abenaim n’est pas nommé président de Minolta Canada. C’est plutôt, M. Don Davis qui obtient le poste de président de Minolta Canada.

[34]         Cela apporte son lot de conflits entre les représentants de Minolta Canada et M. Abenaim. Selon ce dernier, M. Davis met tout en œuvre pour lui rendre la vie difficile.

[35]         Le 1er octobre 2003, la société Minolta Canada et la société Technologies d’affaires Konica Canada fusionnent. La nouvelle société exerce ses activités sous le nom KM Canada. Au même moment, la société Minolta Montréal devient la société KM Montréal.

[36]         M. Abenaim indique que les relations empirent avec la fusion. M. Abenaim soutient que des pressions importantes sont exercées par le Groupe KM[5]. Par exemple, M. Abenaim soutient que les prix de revient que l’on fait payer à Minolta Montréal sont plus élevés que ceux demandés aux autres détaillants de KM Canada. De plus, des représentants de KM Canada travaillent sur le territoire de KM Montréal, malgré la clause d’exclusivité dans le contrat.

[37]         M. Abenaim prétend qu’il vit des représailles incessantes de la part du Groupe KM alors même qu’il est encore leur employé. Selon M. Abenaim, le Groupe KM cherche une justification pour le congédier.

[38]         En contre-interrogatoire, M. Abenaim dit ne pas avoir porté plainte contre son employeur ni à la Commission des droits de la personne, ni à la Commission des lésions professionnelles, ni à la Commission des relations de travail du Québec. Il soutient toutefois qu’il a porté plainte de nombreuses fois par écrit à son employeur, mais qu’il n’a pas entrepris de procédures judiciaires, espérant que les choses se règlent à l’interne. M. Abenaim soutient également que des propos racistes ont été tenus à son égard à la suite du règlement de 1994.

[39]         Alors que M. Abenaim est en vacances, KM Canada mène une investigation sur KM Montréal. Dès son retour de vacances, le 9 juin 2006, M. Abenaim est mis en congé avec solde par son employeur, KM Montréal. Ce n’est toutefois que le 20 juillet 2006 que KM Montréal, par avis écrit, met fin à l’emploi de M. Abenaim.

[40]         Selon KM Canada, certains des agissements de M. Abenaim montraient qu’il ne promouvait pas les intérêts de la société. De plus, selon KM Canada, M. Abenaim a utilisé des fonds et des ressources de la société sans permission, se mettant ainsi en position de conflit. Ces gestes ont servi non seulement à avantager M. Abenaim, mais également à faire avancer les intérêts de sa propre entreprise ainsi que les intérêts des membres de sa famille.

[41]         M. Abenaim soutient que son salaire et ses commissions avaient diminué à cause des comportements de KM Canada. Cependant, la preuve démontre que le salaire et les commissions de M. Abenaim sont demeurés stables[6] :

Année d’imposition

Salaire et commissions (T4)

2000

327 671 $

2001

279 661 $

2002

229 057 $

2003

262 619 $

2004

239 971 $

2005

224 314 $

2006

137 270 $ pour 7 mois

[42]         À la suite de son congédiement, M. Abenaim intente le 2 octobre 2006 un recours devant la Cour supérieure du Québec, à l’encontre du Groupe KM. Le recours est en oppression, et subsidiairement en dommages‑intérêts ainsi qu’en injonction permanente[7].

[43]         Le 5 juin 2009, dans le cadre du processus de médiation judiciaire de la Cour supérieure du Québec, une entente de règlement hors cour intervient entre M. Abenaim et le Groupe KM. Les termes de l’entente sont consignés par écrit et signés par les parties, également le 5 juin 2009.

[44]         Le Groupe KM accepte de verser un montant [confidentiel] à M. Abenaim, [confidentiel]. Selon M. Abenaim, puisqu’aucun fiscaliste n’est présent lors de la conférence de règlement, il est décidé d’inscrire dans l’entente que le paiement sera effectué d’une manière qui sera avantageuse sur le plan fiscal :  

[Confidentiel]

[45]         Cependant, M. Abenaim reçoit du Groupe KM une quittance[8] qui ne reflète pas les termes de l’entente de règlement. Selon cette quittance [confidentiel] est traitée comme imposable.

[46]         M. Abenaim contacte Me Fournier et lui indique qu’il ne veut pas signer la quittance telle qu’elle est rédigée. Me Fournier l’avise que, si c’est le cas, le recours civil devra être poursuivi, avec tous les risques et les coûts associés à un litige. Me Fournier conseille à M. Abenaim de signer la quittance et de faire le débat sur la nature du paiement avec les autorités fiscales.

[47]         Confronté à des problèmes financiers, M. Abenaim signe la quittance telle qu’elle est rédigée par le Groupe KM.

[48]         Lors de la production de la déclaration de revenus de M. Abenaim pour l’année d’imposition 2009, son comptable lui mentionne qu’il n’a pas d’autre choix que de déclarer le montant [confidentiel] à titre d’allocation de retraite étant donné qu’il est inscrit comme telle sur le feuillet T4. Dans sa déclaration de revenus, M. Abenaim demande également une déduction de 81 400 $ représentant les frais juridiques payés à Me Fournier.

[49]         Malgré des protestations, M. Abenaim signe sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2009, telle qu’elle a été faite par son comptable.

[50]         La cotisation datée du 3 juin 2010 confirme que le montant [confidentiel] est une allocation de retraite imposable, telle qu’elle avait été déclarée par M. Abenaim.

[51]         Le 3 juin 2010, M. Abenaim s’oppose à la cotisation. Le 21 février 2012, la cotisation est confirmée par le ministre du Revenu national. Le 22 mai 2012, M. Abenaim dépose auprès de cette Cour un avis d’appel contestant le bien-fondé de la cotisation.

[52]         Selon M. Abenaim, il a discuté, lors de la conférence de règlement avec Me Fournier et le juge Roy, qui présidait la conférence de règlement, de la répartition du montant. M. Abenaim a toujours compris que la moitié soit, [confidentiel], est imposable à titre d’allocation de retraite. Il prétend que l’autre moitié [confidentiel] n’est pas imposable, car ce montant lui a été attribué à titre de dommages-intérêts moraux pour la souffrance et les torts et les préjudices subis en raison des agissements abusifs, déloyaux et illégaux du Groupe KM.

[53]         Cependant, en contre-interrogatoire, le témoignage de M. Abenaim est plus confus. Il ne se souvient pas exactement si on a discuté d’une répartition précise. Cependant, il ressort du témoignage de M. Abenaim, que, lors de la conférence de règlement, il était préoccupé par l’aspect fiscal du paiement [confidentiel].

[54]         M. Abenaim indique que sa relation avec le Groupe Minolta et le Groupe KM a été empreinte d’oppression et d’humiliation : on lui a enlevé deux fois son entreprise, l’œuvre de sa vie. Selon M. Abenaim, Minolta Canada et KM Canada lui donnaient la lune pour la lui enlever le jour suivant.

[55]         Concernant son état de santé, l’appelant prétend que par suite de son congédiement en 2006, il est tombé dans un état dépressif et a vécu en réclusion.

B. Témoignage de Me Bourgon

[56]         Tel qu’il a été mentionné préalablement, Me Bourgon est l’avocat qui a représenté M. Abenaim dans le premier litige en 1991.

[57]         Ce qui ressort du témoignage de Me Bourgon est que le litige entre M. Abenaim et le Groupe Minolta ne représente rien de moins qu’une bataille de David contre Goliath, et ce, surtout sur le plan financier[9].

[58]         Me Bourgon décide donc de présenter une requête visant à forcer Minolta à payer des frais juridiques provisoires à M. Abenaim dans le but d’avoir un rapport de force plus équitable entre les parties. Cependant, comme le montant obtenu en frais provisoires n’est pas suffisant, M. Abenaim se rend à Las Vegas pour tenter de régler le litige hors cour.

[59]         Selon Me Bourgon, ce qui a favorisé l’obtention d’un règlement est que M. Abenaim et ses deux fils sont « des hommes d’affaires redoutables, des vendeurs extraordinaires ». Avec le passage du temps, les représentants de Minolta Canada se sont rendu compte qu’ils avaient pris la mauvaise décision en congédiant M. Abenaim[10]. Selon Me Bourgon, le volume des ventes de Minolta Montréal avait diminué durant l’absence de M. Abenaim.

[60]         Le Groupe Minolta a donc offert à M. Abenaim la réintégration dans Minolta Montréal en échange des actions de Minolta Montréal qu’il détenait.  

[61]         Concurremment au litige au Québec, une action est également intentée par M. Abenaim en Californie relativement à des propos antisémites tenus à son égard. Ces deux recours sont réglés hors cour et un montant [confidentiel] est versé à M. Abenaim.

[62]         Selon Me Bourgon, le montant obtenu en règlement du premier litige entre M. Abenaim et le Groupe Minolta ne représente qu’une infime partie du montant demandé. C’est ce qui a poussé Me Bourgon à négocier âprement pour que M. Abenaim obtienne des conditions salariales supérieures à celles des autres employés de Minolta Canada.

[63]         Selon Me Bourgon, un plan de carrière avait été tracé pour M. Abenaim au sein du Groupe Minolta à la suite du règlement du litige en 1994[11]. Me Bourgon admet que ces promesses ne faisaient pas partie du contrat de travail de M. Abenaim. Me Bourgon indique que le Groupe Minolta avait promis à M. Abenaim qu’il serait nommé président de Minolta Canada[12].

[64]         Me Bourgon explique l’absence de certaines promesses au contrat de travail par le fait que M. Abenaim est un homme qui agit en tenant pour acquise la bonne foi des gens. Selon Me Bourgon, M. Abenaim « est un homme d’une grande intégrité. D’une loyauté indéfectible. » Il ne sentait pas le besoin d’exiger que toutes les promesses du Groupe Minolta soient inscrites dans le contrat de travail. Selon Me Bourgon, il va de soi que M. Abenaim croit que le Groupe Minolta va respecter ses engagements lorsqu’il signe le contrat de travail.  

[65]         Un ou deux ans plus tard, le plan d’affaires déployé par le Groupe Minolta s’avère différent des termes du contrat de travail et de ce qui a été discuté lors de rencontres avec les dirigeants du Groupe Minolta. Selon Me Bourgon, les promesses faites ne sont pas tenues.

[66]         Afin de régler ce problème, Me Bourgon se rend à New York pour rencontrer M. Hans, l’avocat-conseil de Minolta USA. Après quelques minutes de discussion, M. Hans affirme que, M. Abenaim « will never be just an employee » et tente de trouver un terrain d’entente.

[67]         Toutefois, selon Me Bourgon, la situation continue de s’envenimer. À la suite de la fusion en 2003, les avocats du Groupe KM refusent de reconnaître la validité du contrat de travail de M. Abenaim.

[68]         Cependant, pour des raisons de conflit d’intérêts avec le Groupe KM, Me Bourgon ne peut plus agir pour M. Abenaim.

[69]         Selon Me Bourgon, le Groupe Minolta n’a pas l’habitude d’avoir des copartenaires et M. Abenaim n’est pas une personne qui a l’habitude de faire ce qu’on lui demande sans protester. Quant à la relation entre l’appelant et le Groupe Minolta, Me Bourgon indique qu’elle a toujours été « bizarroïde ».

[70]         Cependant, selon Me Bourgon, le Groupe Minolta savait que M. Abenaim était indispensable à sa réussite, mais lorsque celui-ci « prenait trop de place », il était préférable aux yeux du Groupe Minolta de l’éliminer soit de congédier M. Abenaim. Selon Me Bourgon, la relation entre M. Abenaim et le Groupe Minolta et par la suite le Groupe KM, aura toujours été empreinte d’oppression.

C. Témoignage de Me Fournier

[71]         Me Fournier représente M. Abenaim lors du second litige.

[72]         Me Fournier témoigne qu’à la lumière de l’historique du dossier et compte tenu des montants recherchés par M. Abenaim, il a été décidé de prendre un recours en oppression et subsidiairement en dommages-intérêts et en injonction, ce qui comprenait le rétablissement de la situation antérieure à 1994, l’annulation du règlement de 1994, une demande de vérification ainsi qu’une demande d’indemnité de délai-congé et de dommages-intérêts moraux s’il n’y avait pas réintégration de M. Abenaim dans KM Montréal.

[73]         Selon Me Fournier, le recours en oppression met une certaine pression sur la partie adverse. À la différence d’un recours pour congédiement injustifié, où les barèmes de compensation sont connus, dans un recours en oppression, il est difficile d’estimer les montants qui seront adjugés par la cour.

[74]         Me Fournier indique que lui et Me Manzo ne se sont appuyés sur aucun barème jurisprudentiel pour déterminer le montant [confidentiel]. Cela étant dit, selon les barèmes jurisprudentiels, les montants accordés à titre d’indemnité de délai-congé équivalent généralement à un mois de salaire par année de service jusqu’à un maximum de 18 mois. Dans les cas exceptionnels, la cour peut accorder de 24 à 36 mois.  

[75]         D’après Me Fournier, selon le barème jurisprudentiel M. Abenaim pouvait espérer un délai-congé maximum de 18 mois, donc une indemnité d’environ 300 000 $ sur la base de 200 000 $ de salaire annuellement. Pour étayer cette allégation, Me Fournier s’est appuyé sur le rapport du cabinet comptable Ernst & Young. Ce rapport faisait partie du dossier de première instance. Selon ce rapport, le salaire annuel de M. Abenaim était au début environ 300 000 $, pour passer à environ 200 000 $. Cela étant dit, Me Fournier indique que, dans son recours, il a demandé 1 500 000 $ d’indemnité de délai-congé, sachant qu’il obtiendrait moins.

[76]         Selon Me Fournier, ce qui rendait le recours en oppression pertinent, c’est que, à la suite de la fusion, les ventes de Minolta Montréal auraient dû augmenter, puisque Minolta Montréal vendait dorénavant des appareils Minolta, mais également des appareils Konica. Ainsi, une vérification des livres comptables a été demandée afin de déterminer le montant des ventes effectuées par les autres distributeurs dans le territoire de Minolta Montréal. Selon le contrat de travail, le Groupe KM devait respecter le territoire assigné à Minolta Montréal. Le non-respect du territoire pouvait représenter d’importantes pertes de ventes, mais, comme on n’avait pas accès aux livres, il était difficile de déterminer le montant de ces pertes.

[77]         Lors de la conférence de règlement présidée par le juge Roy, Me Fournier a indiqué qu’autant Me Manzo que lui-même savaient que les parties ne s’entendraient pas sur les faits. Ainsi, ils ont décidé de fixer un montant qu’ils pourraient « vendre » à leur client respectif.

[78]         Signalons à ce propos qu’il ressort du témoignage de Me Fournier et des réponses à une demande d’aveux, qui a été faite faute du témoignage de Me Manzo, que le montant [confidentiel] est arbitraire. D’ailleurs, il ressort de la preuve qu’aucune ventilation de ce montant n’a été faite lors de la conférence de règlement.

[79]         À une question de l’avocate de M. Abenaim, Me Fournier répond qu’il ne connaît pas les motifs qui ont poussé le Groupe KM à accepter un montant [confidentiel]. Selon Me Fournier, les dommages-intérêts moraux n’ont pas été discutés lors de la conférence de règlement. Cependant, selon Me Fournier, si on avait poursuivi le recours, cet aspect du dossier aurait été important, puisque, comme l’a expliqué MFournier :

[…] Minolta Montréal, c’était l’œuvre de la vie de M. Abenaim, c’était son bébé, c’était lui qui avait créé ça. Il n’avait pas créé ça avec Minolta, il avait créé ça comme une agence indépendante qui vendait aussi du Minolta, mais aussi d’autres marques, et c’était son affaire. Et il en a été privé deux fois. Il en a été privé en 94, puis y’en a été privé une autre fois en 2006 ou quelque chose de même. Alors, pour lui, il y avait un dommage moral important.[13]

[80]         Me Fournier a aussi indiqué que, puisqu’aucun fiscaliste n’était présent lors de la conférence de règlement, il a été décidé d’inclure dans l’entente de règlement une clause énonçant que le paiement serait effectué [confidentiel].

[81]         Cependant, sur réception de la quittance rédigée par le Groupe KM, Me Fournier a constaté que la quittance n’avait pas été rédigée de manière à avantager M. Abenaim sur le plan fiscal. Selon la quittance, la totalité du montant était imposable. Me Fournier a communiqué avec Me Manzo. Ce dernier lui a indiqué que le Groupe KM ne modifierait pas les termes de la quittance. La quittance avait été rédigée ainsi et les déductions à la source avaient été effectuées afin de protéger le Groupe KM de tous recours par les autorités fiscales canadiennes.

[82]         Selon Me Fournier, sachant que le Groupe KM ne modifierait pas la quittance, M. Abenaim avait l’option de poursuivre le litige, avec tous les risques que cela comportait, ou de signer la quittance telle qu’elle était rédigée. Me Fournier a conseillé à M. Abenaim de signer la quittance et de faire valoir ses droits devant les autorités fiscales. De toute manière, M. Abenaim n’avait pas un véritable choix, car il n’avait pas les fonds nécessaires à la poursuite du litige. Il a donc choisi de signer la quittance.

[83]         Selon Me Fournier, n’eût été le recours en oppression, M. Abenaim n’aurait pas obtenu un montant [confidentiel].

III. QUESTIONS EN LITIGE

[84]         Est-ce que la totalité du montant [confidentiel] reçu par M. Abenaim constitue une allocation de retraite selon la définition au paragraphe 248(1) de la LIR et est par conséquent imposable selon le paragraphe 56(1) de la LIR?

IV. POSITION DES PARTIES

A. Monsieur Abenaim

[85]         M. Abenaim fait valoir que le montant [confidentiel] a une double vocation. La moitié du montant [confidentiel] est imposable, mais l’autre moitié de [confidentiel] n’est pas imposable. Il fait valoir que, selon le barème jurisprudentiel, l’indemnité de délai-congé qu’il était en droit de recevoir était d’environ 390 000 $ (18 mois à un salaire annuel moyen de 260 000 $). Ainsi, l’entièreté du montant, [confidentiel], ne peut pas constituer qu’une indemnité de délai-congé.  

[86]         Cependant, M. Abenaim fait valoir que, puisque les barèmes jurisprudentiels n’ont pas été suivis lors de la détermination du montant, il accepte qu’un montant [confidentiel] soit imposé à titre d’allocation de retraite.

[87]         Quant à l’autre montant [confidentiel], M. Abenaim fait valoir que ce montant constitue des dommages-intérêts moraux qui ne sont pas liés à son emploi avec KM Montréal et que, par conséquent il est non imposable.

B. Intimée

[88]         L’intimée soutient que la totalité du montant [confidentiel] reçu par M. Abenaim du Groupe KM constitue une allocation de retraite selon la définition au paragraphe 248(1) de la LIR. Par conséquent, elle fait valoir que le ministre a correctement inclus le montant [confidentiel] dans le calcul du revenu de M. Abenaim pour l’année d’imposition 2009.

[89]         L’intimée fait valoir qu’en l’espèce la preuve n’appuie pas l’assertion de M. Abenaim que la moitié du montant [confidentiel] constitue des dommages‑intérêts moraux délictuels. Au contraire, l’intimée prétend que, si dommages-intérêts il y a, ces derniers sont des dommages-intérêts découlant du contrat de travail et donc imposables en vertu de la définition d’allocation de retraite au paragraphe 248(1) de la LIR.

[90]         Subsidiairement, l’intimée fait valoir que, si la Cour conclut que l’entièreté ou une partie du montant [confidentiel] ne constitue pas une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1) de la LIR, ce montant ou une partie de ce montant est imposable à titre de perte de revenus ou à titre de dividendes en vertu des paragraphes 5(1) et 9(1) et de l’article 12 de la LIR.

V. ANALYSE ET CONCLUSION

A. Droit applicable

[91]         Un contribuable doit, en vertu du sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la LIR, inclure dans le calcul de son revenu toute somme reçue à titre d’allocation de retraite. Ce sous-alinéa prévoit ce qui suit :

56(1) Sommes à inclure dans le revenu de l’année.

Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

a) Pensions, prestations d’assurance-chômage, etc. — toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

[…]

(ii) d’une allocation de retraite, sauf s’il s’agit d’un montant versé dans le cadre d’un régime de prestations aux employés, d’une convention de retraite ou d’une entente d’échelonnement du traitement.

[92]         Au paragraphe 248(1), le législateur définit une allocation de retraite de la façon suivante :

248 (1) «allocation de retraite»  Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d’un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

a) soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d’une charge ou d’un emploi ou par la suite;

b) soit à l’égard de la perte par le contribuable d’une charge ou d’un emploi, qu’elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d’un tribunal compétent.

[Je souligne.]

[93]         Selon l’intimée, le fait de considérer le montant [confidentiel] comme une indemnité de délai-congé est conforme au paragraphe 95 du recours civil. Dans ce paragraphe, M. Abenaim demande une indemnité de délai-congé [confidentiel] pour une période de 36 mois, sur la base d’un revenu annuel [confidentiel].

[94]         En l’espèce, l’intimée fait valoir qu’un délai-congé de 36 mois est raisonnable eu égard à l’âge de M. Abenaim, qui avait 59 ans lors du congédiement, à la difficulté qu’il y avait à trouver un emploi similaire, au contrat de travail, qui autorise M. Abenaim à rester jusqu’à son décès, et au fait qu’il comptait une vingtaine d’années au service de Minolta Montréal.

[95]         L’intimée fait également valoir que je dois tenir compte du fait que M. Abenaim a signé une quittance qui qualifie le montant [confidentiel] d’allocation de retraite. Il a signé également sa déclaration de revenus dans laquelle le montant [confidentiel] est inclus dans ses revenus à titre d’allocation de retraite. De plus, la facture de Me Fournier de 81 400 $ pour les services juridiques rendus indique qu’il s’agit de frais d’avocat pour recouvrer du salaire et une indemnité de départ.

[96]         De plus, selon l’intimée, la preuve n’a pas démontré qu’une partie du montant [confidentiel] a été versée à M. Abenaim pour atteinte à des droits fondamentaux, soit à titre de dommages-intérêts moraux délictuels. Selon l’intimée, si des dommages-intérêts ont été accordés, ces derniers émanent du contrat de travail et, par conséquent, sont imposables selon la définition d’allocation de retraite. À cet égard, elle renvoie au paragraphe 107 du recours civil :

107.     Le demandeur réclame également une somme de 1 500 000 $ à titre de dommages moraux pour la souffrance, les torts et préjudices subis en raison des agissements abusifs, déloyaux et illégaux des défenderesses, et demande à la Cour de condamner conjointement et solidairement les défenderesses au paiement de cette somme.

[97]         Au contraire, selon l’intimée, il ressort du recours civil que les dommages‑intérêts moraux réclamés sont liés au contrat de travail et, par conséquent, sont imposables à titre de dommages-intérêts contractuels. À ce propos, elle cite le paragraphe 29 du recours civil :

29.       Depuis la Fusion, de multiples actes déloyaux, illégaux, oppressifs et abusifs sont perpétrés par les défenderesses dans le but de se débarrasser d’ABENAIM et de leurs responsabilités à son endroit, agissements qui vont de garder en place des distributeurs qui violent directement l’exclusivité territoriale du demandeur, à imposer des prix de revient à des taux nettement au désavantage du demandeur et culminent par le congédiement du demandeur et de ses fils sans compensation ni raison valable.

[98]         Je ne suis pas d’accord avec les arguments de l’intimée. Premièrement, bien que les barèmes jurisprudentiels n’aient pas joué un rôle dans la détermination du montant [confidentiel], à la lumière de la preuve sur les indemnités de délai-congé et du témoignage de Me Fournier, l’entièreté du montant [confidentiel] ne peut constituer qu’une indemnité de délai-congé. De plus, il a été établi en preuve que le salaire moyen de M. Abenaim était de 260 000 $ par année. Même si j’acceptais 36 mois à titre de délai-congé, soit 780 000 $, ce montant est de loin inférieur [confidentiel]. De plus, selon le témoignage de Me Fournier, M. Abenaim ne pouvait espérer recevoir plus de 18 mois de délai-congé, ce qui correspond donc à une indemnité de 390 000 $. Cela ne représente que [confidentiel] du montant de [confidentiel].

[99]         À mon avis, la signature de la quittance par M. Abenaim et l’inclusion du montant [confidentiel] dans sa déclaration de revenus à titre d’allocation de retraite ne sont pas déterminantes dans l’établissement de la nature du montant [confidentiel]. À la lumière des circonstances financières de M. Abenaim, la seule option réaliste pour ce dernier était de signer l’entente de règlement et de faire valoir ses droits auprès des autorités fiscales. Quant à la déclaration de revenus, il est de jurisprudence constante qu’un contribuable peut s’opposer à une cotisation qui reflète sa déclaration de revenus. Quant aux factures pour les services juridiques rendus par Me Fournier, certains termes manquent à la description donnée par l’intimée. Les factures mentionnent ce qui suit :

La présente confirme que nous avons reçu de votre part une somme de [confidentiel], en 2009, en paiement des factures portant les numéros [confidentiel], relativement à votre réclamation dans le dossier mentionné en titre, portant notamment sur le recouvrement d’une portion de votre salaire et l’obtention d’une indemnité de départ suite à votre congédiement déguisé.

[Je souligne.]

[100]     Dans la décision Overin[14], le juge Rip indique que ce ne sont pas tous les dommages-intérêts reçus par un contribuable qui sont visés par le paragraphe 248(1) de la LIR, mais bien ceux relatifs à la perte d’un emploi.

[101]     Ainsi, les dommages-intérêts reçus qu’on peut lier au contrat de travail sont de nature contractuelle. Ces dommages-intérêts sont imposables à titre d’allocation de retraite, étant liés à l’emploi. Cependant, un montant reçu par un contribuable à titre de dommages‑intérêts moraux délictuels n’est pas imposable, car il n’y pas de lien avec la perte d’emploi. Par conséquent, ces dommages‑intérêts ne sont pas imposables à titre d’allocation de retraite.

[102]     Afin de déterminer la nature des dommages-intérêts reçus dans les cas de perte d’emploi, le juge Rip formule dans la décision Overin la question qui se dégage implicitement de l’analyse du juge Pinard dans la décision Merrins[15] soit :

[…] « S’il n’y avait pas eu perte d’emploi, la somme aurait-elle été reçue? » Si l’on répond à cette question par la négative, il existe entre la somme reçue et la perte d’emploi un lien suffisant pour que le paiement soit considéré comme une allocation de retraite.

[103]     En l’espèce, à la lumière de la preuve, je suis d’avis que ce n’est pas l’entièreté de la somme [confidentiel] versée par le Groupe KM à M. Abenaim qui avait un lien avec son congédiement. En l’espèce, ce montant a une double vocation.

[104]     Malgré la lecture que l’intimée fait du recours civil, ce recours est principalement un recours en oppression selon le paragraphe 241(1) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et subsidiairement en dommages et intérêts et en injonction. À cet effet, M. Abenaim demandait [confidentiel] à titre de dommages-intérêts moraux délictuels.

[105]     La quittance rédigée par le Groupe KM et signée par M. Abenaim énonce qu’en échange du montant reçu ce dernier renonce non seulement à son emploi, mais également à tous recours, dont le recours en oppression.  

Paragraphe 5 de la quittance :

[confidentiel]

Paragraphe 6 de la quittance :

[confidentiel]

[106]     Les témoignages vont tous dans le même sens : le Groupe Minolta et, par la suite, le Groupe KM n’ont pas tenu leurs promesses envers M. Abenaim. Lors de la signature du contrat, on lui promet une carrière fulgurante au sein de la grande famille du Groupe Minolta. On lui promet qu’il sera nommé président de Minolta Canada, mais quand vient le temps de nommer un nouveau président, on ignore M. Abenaim.

[107]     Selon la preuve, le Groupe Minolta a besoin des services de M. Abenaim pour réussir, mais en même temps, on n’aime pas que M. Abenaim prenne trop de place. On lui donne des avantages compétitifs pour les lui enlever par la suite. M. Abenaim est congédié, non pas une fois, mais deux fois. À chaque fois, on lui enlève l’œuvre de sa vie. Pour M. Abenaim, c’est l’effondrement d’une vie; une forme de harcèlement et d’humiliation.

[108]     Tel que l’a indiqué Me Bourgon, la relation entre les Groupes Minolta et KM et M. Abenaim a toujours été empreinte d’oppression. De plus, tel que l’a indiqué Me Fournier, sans le recours en oppression, M. Abenaim n’aurait jamais obtenu un montant [confidentiel].

[109]     M. Abenaim fait valoir qu’il a toujours compris que la moitié du montant [confidentiel] constitue une allocation de retraite, et l’autre moitié, des dommages-intérêts moraux délictuels. Cela étant dit, non seulement le témoignage de M. Abenaim sur cet aspect est confus, mais il a été contredit. MFournier, dans son témoignage, a clairement énoncé qu’aucune ventilation du montant [confidentiel] n’a été faite par les parties lors de la conférence de règlement. De plus, à la suite d’une demande d’aveux, l’avocate de M. Abenaim a admis qu’il n’y a jamais eu d’entente sur la ventilation du montant [confidentiel].

[110]     La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schwartz[16] dit que, dès qu’il est démontré qu’un paiement a une double vocation, la barre pour établir la répartition ne doit pas être trop élevée. Le juge La Forest, au paragraphe 41 de la l’arrêt Schwartz écrit ce qui suit :

[…] [on] ne devrait pas être tenu de présenter, dans tous les cas où le litige porte sur la répartition d'une somme globale, un élément de preuve particulier équivalant à une expression explicite de l'intention des parties concernées à cet égard. Il doit cependant y avoir une certaine preuve, quelle qu'elle soit, qui permettra au juge de première instance de déduire, selon la prépondérance des probabilités, quelle partie de la somme globale était destinée à indemniser d'un préjudice donné. […]

[111]     En l’espèce, l’intimée fait valoir que le montant des dommages-intérêts moraux ne peut s’élever à [confidentiel] puisque, selon le barème jurisprudentiel au Québec, les dommages-intérêts moraux accordés par les cours du Québec, selon la liste fournie par elle, sont souvent de l’ordre de 1 000 $ à 5 000 $. Des montants entre 25 000 $ et 100 000 $ sont accordés dans des situations exceptionnelles.

[112]     Bien que chaque situation est unique, ces montants sont quand même inférieurs au montant [confidentiel] proposé par M. Abenaim à titre de dommages-intérêts moraux délictuels.

[113]     En l’espèce, je suis d’avis que la meilleure approche afin de déterminer la ventilation adéquate de la somme reçue par monsieur Abenaim est de se reporter au recours civil. C’est d’ailleurs la méthode que le juge Mogan a suivie dans la décision Dumas[17], au paragraphe 21:

Dans l’affaire La Reine c. Mohawk Oil Co. Ltd., [1992] 2 C.F. 485 (92 D.T.C. 6135), la société contribuable (Mohawk) avait conclu un contrat avec Phillips relativement à la fourniture et à l’installation d’une usine de retraitement d’huile usée. Ne pouvant faire fonctionner l’usine, Mohawk a initialement demandé à Phillips de lui verser des dommages-intérêts de 15 millions de dollars. Après des négociations ardues, les parties se sont entendues sur un montant de six millions de dollars américains (7 162 187 $ en dollars canadiens). Le ministre a considéré qu’une portion de ce montant, soit 3 443 708 $, constituait un dédommagement au titre de la perte de bénéfices, et le solde, soit 3 718 430 $, le produit de disposition d’un bien. La Cour d’appel fédérale a admis l’appel du ministre et maintenu la cotisation. Pour arriver à cette décision, la Cour a examiné la preuve relative aux négociations entre Mohawk et Phillips pour voir si elle appuyait la répartition faite par le ministre. L’arrêt Mohawk est un autre précédent qui étaye la proposition selon laquelle il est nécessaire d’examiner un montant forfaitaire versé aux fins du règlement d’une demande pour connaître les raisons pour lesquelles il a été versé. On peut trouver la réponse à cette question dans les actes de procédure (s’il y a eu poursuite) ou dans d’autres documents servant à justifier la demande formulée par la personne qui reçoit le montant forfaitaire.

[114]     Dans le recours civil, si M. Abenaim n’est pas réintégré dans son emploi, les conclusions suivantes s’appliquent :

Subsidiairement, si la Cour en venait à la conclusion qu’elle ne peut ordonner la réintégration du demandeur, ce dernier demande à la Cour de

Condamner les défenderesses conjointement et solidairement à lui verser la somme de 1 500 000$ à titre de délai-congé;

Résoudre le contrat de vente d’actions intervenu entre les parties le 4 juillet 1994;

Émettre au demandeur vingt-quatre (24) actions de la défenderesse Solutions d’affaires Konica-Minolta Montréal inc.;

Condamner la défenderesse KM Montréal à verser au demandeur pleine compensation salariale depuis le 20 juillet 2006 jusqu’à la date du présent jugement, le tout avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de

Condamner les défenderesses conjointement et solidairement à payer au demander la somme de 1 500 000 $ à titre de dommages moraux pour la souffrance, les torts et préjudices subis en raison des agissements abusifs, déloyaux et illégaux des défenderesses, le tout avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue par la loi, à compter de l’assignation;

Le tout avec les entiers dépens, incluant les frais d’expert et d’enquêtes.

[115]     [confidentiel]

[116]     Le montant [confidentiel] est beaucoup plus élevé que les montants accordés par les tribunaux du Québec, j’en conviens. Cependant, il a été clairement établi que les barèmes jurisprudentiels n’ont pas eu d’influence sur le montant versé à M. Abenaim. Cela est vrai aussi quant au montant de l’indemnité de délai‑congé, établi par M. Abenaim [confidentiel]. Selon le barème jurisprudentiel, l’indemnité de délai-congé en l’espèce serait de 390 000 $[18].

[117]     Par conséquent, je suis d’avis que le montant [confidentiel] représente des dommages moraux délictuels non imposables. La différence [confidentiel] représente une indemnité de délai-congé et/ou de montants liés au contrat de travail, montants qui sont imposables en vertu de la LIR.

[118]     L’appel est accueilli; un montant de [confidentiel] constitue des dommages‑intérêts moraux délictuels et est par conséquent non imposable.

[119]     Avec dépens contre l’intimée.

Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


ANNEXE

Version du document du 2007-04-20 au 2010-03-11 :

Loi canadienne sur les sociétés par actions

L.R.C. (1985), ch. C-44

Demande en cas d’abus

241 (1) Tout plaignant peut demander au tribunal de rendre les ordonnances visées au présent article.

Motifs

(2) Le tribunal saisi d’une demande visée au paragraphe (1) peut, par ordonnance, redresser la situation provoquée par la société ou l’une des personnes morales de son groupe qui, à son avis, abuse des droits des détenteurs de valeurs mobilières, créanciers, administrateurs ou dirigeants, ou, se montre injuste à leur égard en leur portant préjudice ou en ne tenant pas compte de leurs intérêts :

a) soit en raison de son comportement;

b) soit par la façon dont elle conduit ses activités commerciales ou ses affaires internes;

c) soit par la façon dont ses administrateurs exercent ou ont exercé leurs pouvoirs.

Pouvoirs du tribunal

(3) Le tribunal peut, en donnant suite aux demandes visées au présent article, rendre les ordonnances provisoires ou définitives qu’il estime pertinentes pour, notamment :

a) empêcher le comportement contesté;

b) nommer un séquestre ou un séquestre-gérant;

c) réglementer les affaires internes de la société en modifiant les statuts ou les règlements administratifs ou en établissant ou en modifiant une convention unanime des actionnaires;

d) prescrire l’émission ou l’échange de valeurs mobilières;

e) faire des nominations au conseil d’administration, soit pour remplacer tous les administrateurs en fonctions ou certains d’entre eux, soit pour en augmenter le nombre;

f) enjoindre à la société, sous réserve du paragraphe (6), ou à toute autre personne, d’acheter des valeurs mobilières d’un détenteur;

g) enjoindre à la société, sous réserve du paragraphe (6), ou à toute autre personne, de rembourser aux détenteurs une partie des fonds qu’ils ont versés pour leurs valeurs mobilières;

h) modifier les clauses d’une opération ou d’un contrat auxquels la société est partie ou de les résilier, avec indemnisation de la société ou des autres parties;

i) enjoindre à la société de lui fournir, ainsi qu’à tout intéressé, dans le délai prescrit, ses états financiers en la forme exigée à l’article 155, ou de rendre compte en telle autre forme qu’il peut fixer;

j) indemniser les personnes qui ont subi un préjudice;

k) prescrire la rectification des registres ou autres livres de la société, conformément à l’article 243;

l) prononcer la liquidation et la dissolution de la société;

m) prescrire la tenue d’une enquête conformément à la partie XIX;

n) soumettre en justice toute question litigieuse.

Devoir des administrateurs

(4) Dans les cas où l’ordonnance rendue en vertu du présent article ordonne des modifications aux statuts ou aux règlements administratifs de la société :

a) les administrateurs doivent se conformer sans délai au paragraphe 191(4);

b) toute autre modification des statuts ou des règlements administratifs ne peut se faire qu’avec l’autorisation du tribunal, sous réserve de toute autre décision judiciaire.

Exclusion

(5) Les actionnaires ne peuvent, à l’occasion d’une modification des statuts faite conformément au présent article, faire valoir leur dissidence en vertu de l’article 190.

Limitation

(6) La société ne peut effectuer aucun paiement à un actionnaire en vertu des alinéas (3)f) ou g) s’il existe des motifs raisonnables de croire que :

a) ou bien elle ne peut, ou ne pourrait de ce fait, acquitter son passif à échéance;

b) ou bien la valeur de réalisation de son actif serait, de ce fait, inférieure à son passif.

Choix

(7) Le plaignant, agissant en vertu du présent article, peut, à son choix, demander au tribunal de rendre l’ordonnance prévue à l’article 214.

L.R. (1985), ch. C-44, art. 241;2001, ch. 14, art. 117(F) et 135(A).

 

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 223

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2005(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JACQUES ABENAIM c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 1er et 2 mai 2014 et le 2 mars 2017

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Geneviève Léveillé

Avocat de l’intimée :

Me Benoit Mandeville

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant:

Nom :

Me Geneviève Léveillé

Cabinet :

PwC Cabinet d’avocats

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Voir en annexe l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, ch. C-44.

[2]           Recours, Cour supérieure du Québec, Cahier conjoint des documents, onglet 3, paragraphe 6.

[3]           Le contrat de travail entre Minolta Montréal et M. Abenaim en date du 3 février 1989 n’a pas été déposé en preuve.

[4]           Pièce AI-1, Cahier conjoint des documents, onglet 1.

[5]           Transcription du 1er mai 2014, p. 37, lignes 5-6.

[6]           Transcription du 1er mai 2014, pages 59 et 60 et pièce I-1.

[7]           Pièce AI-1, Cahier conjoint de documents, onglet 3.

[8]           Pièce AI-1, Cahier conjoint de documents, onglet 6.

[9]           Transcription du 1er mai 2014, page 140.

[10]          Transcription du 1er mai 2014, page 144.

[11]          Transcription du 1er mai 2014, page 146.

[12]          Idem, page 146.

[13]          Transcription du 2 mars 2017, page 16.

[14]          Overin v The Queen, 95-3761 (IT)G, Cour canadienne de l’impôt, 25 septembre 1997, [1997] ACI no 1264 (QL), 98 DTC 1299.

[15]          Merrins c La Reine, T-2065-91, Cour fédérale, 27 octobre 1994, [1994] ACF no 1582 (QL), 94 DTC 6669.

[16]          Schwartz c Canada, [1996] 1 RCS 254.

[17]          Dumas c Canada, [2000] ACI no 728 (QL), 2000 DTC 2603.

[18]          Indemnité de départ de 18 mois sur la base d’un salaire annuel de 260 000 $.

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