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Dossier : 2009-1785(IT)G

ENTRE :

RNC MÉDIA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 octobre 2010, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Dominic C. Belley

Avocats de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

Me Nathalie Labbé

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition se terminant le 31 août 2003 est accueilli, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2011.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

Référence : 2011 CCI 92

Date : 20110216

Dossier : 2009-1785(IT)G

ENTRE :

RNC MÉDIA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit d'un appel par l’appelante, RNC Média Inc., anciennement Radio Nord Communications Inc., à l’encontre d’une cotisation établie le 18 avril 2007 par le ministre du Revenu national (le « ministre »), en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), pour son année d’imposition terminée le 31 août 2003. Un avis d’opposition a été dûment produit le 12 juillet 2007. La cotisation a été ratifiée le 26 février 2009. Le total des montants en cause est inférieur à 50 000 $ (Catégorie A).

 

[2]              Le 15 février 2001, l’appelante congédie son président et chef de l’exploitation, monsieur Gilles Poulin. L’appelante a notamment versé une somme de 135 843 $ à monsieur Poulin dans le cadre de son congédiement. L’appelante a déduit dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2003 la somme de 135 843 $. L’appelante soutient qu’elle était en droit de déduire dans le calcul de son revenu la somme de 135 843 $ puisqu’elle avait été versée à monsieur Poulin à titre d'indemnité en regard des services que ce dernier lui avait rendus. Par ailleurs, par la cotisation établie le 18 avril 2007 et ratifiée le 26 février 2009, le ministre a refusé d’allouer la dépense déduite par l’appelante à titre d'indemnité en regard des services rendus. Le ministre a considéré que cette somme avait plutôt servi à acheter les 75 actions que monsieur Poulin détenait dans le capital‑actions de l’appelante et qu’il en est résulté un dividende présumé en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi. En l’espèce, la seule question en litige est la suivante : l’appelante a‑t‑elle versé la somme de 135 843 $ à monsieur Poulin pour acheter ses propres actions détenues par ce dernier ou à titre d'indemnité pour services rendus?

 

[3]              Monsieur Martin Leblanc, fiscaliste de la firme Samson, Bélair (le vérificateur externe de l’appelante) et monsieur Pierre Brosseau, président du conseil d’administration de l’appelante, ont témoigné à l’appui de la position de l’appelante. Seul monsieur Poulin a témoigné à l’appui de la position de l’intimée.

 

Contexte

 

[4]              L’appelante oeuvre dans le milieu des télécommunications depuis plus de 50 ans. Elle a commencé ses activités en exploitant des stations radiophoniques dans le nord‑ouest québécois. Elle a depuis fait l’acquisition de plusieurs stations de radio ainsi que de certaines chaînes régionales de télévision.

 

[5]              Jusqu’au 15 février 2001, monsieur Poulin occupait les fonctions de président et chef de l’exploitation de l’appelante. Il était responsable des activités de toutes ses unités radio et télé. Pendant ses 24 années de services, monsieur Poulin a occupé les postes de directeur général, de vice-président, développement, de vice-président exécutif, de président directeur général et de président et chef de l’exploitation (à partir de 1998) de l’appelante. À compter de 1982, il a agi comme administrateur et officier à titre de président. En 1987, il est devenu actionnaire de l'appelante. Il détenait 2 575 actions ordinaires, soit 5 % du capital‑actions de l'appelante.

 

[6]              Le 19 mars 1998, l'appelante a conclu un contrat d’emploi avec monsieur Poulin (pièce A‑1, onglet 10) pour retenir les services de ce dernier à titre de président et de chef de l’exploitation. La date d’entrée en vigueur de ce contrat était le 1er septembre 1997. Lors de la signature de ce contrat, comme au moment du congédiement de monsieur Poulin, l’appelante était représentée par Pierre Brosseau, un avocat de formation, consultant auprès du Groupe Radio‑Nord Inc. et de Radio‑Nord Communications Inc. en 1996, président et chef de la direction du Groupe Radio‑Nord Inc. en 1997 dont il détient 50 % des actions depuis l’automne 2000.

 

[7]              Une entente spécifique sur l’intéressement de monsieur Poulin au capital‑actions de l’appelante (l’« Entente ») a été conclue le 19 mars 1998 (pièce I‑1, onglet 1). La date d’entrée en vigueur de l'Entente est le 1er septembre 1997. L’article 1 de l’Entente stipule ce qui suit :

 

ARTICLE 1 – INTÉRESSEMENT AU CAPITAL

 

1.1.            Compte tenu que l’Intervenant procédera à une réorganisation corporative sous forme de « gel », le PCE souscrira à soixante‑quinze (75) des mille (1 000) actions votantes et participantes à être émises par la Compagnie après le « gel » représentant les seules actions participantes alors en circulation pour une considération de un dollar (1,00 $) par action payable comptant, ou pour une fraction similaire d’un nombre différent d’actions également votantes et participantes.

 

1.2.            Dans le cas où le PCE ne demeurerait pas à l’emploi de Radio Nord inc. pour une période de trois (3) ans commençant en Date d’entrée en vigueur, il retournera à la Compagnie ou aux personnes déterminées par le conseil d’administration de celle‑ci vingt‑cinq (25) des actions votantes et participantes qu’il détient pour une considération de un dollar (1,00 $) chacune payable à demande. Le solde de cinquante (50) actions sera traité de la même manière que si le PCE était demeuré à l’emploi de la Compagnie pour une période minimum de trois (3) ans.

 

1.3.            Dans le cas où le PCE demeurerait à l’emploi de la Compagnie pour une période de trois (3) ans à compter de la Date d’entrée en vigueur, la Compagnie, ou les personnes désignées par son conseil d’administration, procéderont à l’achat ou au rachat des actions en circulation à leur valeur aux livres du dernier exercice financier de la Compagnie arrêté par les vérificateurs de la Compagnie et payable dans les trente (30) jours de la réunion du conseil d’administration de celle‑ci approuvant les états financiers de l’exercice précédent.

 

1.4.            Aux fins d’assurer l’exécution des obligations de chacune des parties en vertu du présent paragraphe, les certificats d’actions de la Compagnie souscrits par le PCE seront remis à un mandataire‑dépositaire qui sera l’étude d’avocats Lapointe, Rosenstein et dont le mandat sera le suivant :

 

1.                  détenir les certificats d’actions susdits dûment endossés de la Compagnie (ou éventuellement de l’Intervenant);

 

2.                  remettre les certificats d’actions susdits ou toute fraction de ceux‑ci à leur propriétaire selon les dispositions prévues aux présentes;

 

3.                  dans le cas d’un litige entre les parties, détenir les actions jusqu’à jugement final, étant entendu que :

 

a.                   le mandataire‑dépositaire n’encourra aucune responsabilité autrement que pour ses actes faits ou consentis de mauvaise foi,

b.                  sera libéré de toute obligation s’il agit conformément à une opinion obtenue d’une étude d’avocats québécois regroupant au moins vingt (20) avocats au sein d’une société en nom collectif,

c.                   pourra démissionner de ses fonctions sur simple avis de quinze (15) jours ou être remplacé de consentement par les parties,

d.                  ne sera pas tenu de faire quelque démarche pour s’assurer de l’exécution des obligations respectives des parties et pourra exiger toute garantie d’indemnisation qu’il jugera suffisante.

 

Tous les frais et honoraires du mandataire‑dépositaire seront assumés en parts égales par la Compagnie et/ou l’Intervenant d’une part et par le PCE d’autre part.

 

[8]              Monsieur Poulin allègue qu’il a souscrit à 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante pour une contrepartie de 0,10 $ par action et qu’il a payé le montant de la souscription au moyen d’un chèque tiré à l’ordre de l’appelante au montant de 7,50 $, et ce, en date du 15 août 2000. Je souligne immédiatement que les états financiers de l'appelante (voir pièce A‑1, onglet 2, page 99, note 10) pour son exercice financier se terminant le 25 août 2002 indiquent que les actions de l'appelante souscrites par monsieur Poulin n’avaient pas été émises. On peut aussi déduire de ces états financiers que le chèque de 7,50 $ a été encaissé à un moment donné par l’appelante puisqu’un montant de 8 $ (7,50 $ arrondi à 8 $) apparaît sous la rubrique « autres actions souscrites » en date du 25 août 2002. À cet égard, je souligne immédiatement que l’appelante soutient que, bien que les 75 actions ordinaires de catégorie C de son capital‑actions avaient été souscrites par monsieur Poulin, ces dernières n’ont jamais été émises. L’intimée, elle, soutient que ces actions avaient été émises, d’où le présent litige.

 

[9]              Le 15 février 2001, monsieur Pierre Brosseau faisait parvenir une lettre à monsieur Poulin (pièce I‑1, onglet 3) aux termes de laquelle l’appelante l’avisait qu’il était congédié à la suite de la restructuration de l'entreprise. Cette lettre était accompagnée du texte d’une transaction et quittance qui énonçait les différents indemnités et avantages que consentait l’appelante afin de mettre fin à ses relations avec monsieur Poulin. L’appelante avait accordé à monsieur Poulin un délai de 6 jours pour lui signifier son consentement à la conclusion d'une telle entente. Le deuxième « Attendu » de cette entente se lit comme suit :

 

Attendu que monsieur Poulin a souscrit à soixante‑quinze (75) actions volantes et participantes de RNCI en vertu d’une Entente d’intéressement au capital conclue le 19 mars 1998;

(je souligne)

 

À l’égard des 75 actions avec droits de vote et de participation souscrites par monsieur Poulin, l’appelante proposait notamment aux termes du paragraphe 2.4 de cette entente que : « RNCI rachète les soixante‑quinze (75) actions votantes et participantes du capital‑action de RNCI acquises par Monsieur Poulin en vertu de l’Entente d’intéressement au capital conclue entre les parties le 19 mars 1998 et verse à Monsieur Poulin, en considération dudit rachat, la somme de cinquante-neuf mille cent quatre-vingt-treize dollars (59 193 $); ». Monsieur Poulin a rejeté la proposition de transaction de l’appelante.

 

[10]         Le 21 juin 2001, monsieur Poulin intentait une action en justice contre l’appelante notamment dans le but de faire reconnaître ses droits aux termes de l’Entente (pièce I‑1, onglet 1). L’action en justice initiale comportait notamment un volet déclaratoire et en passation de titre concernant les 75 actions ordinaires de catégorie « C » qu’il avait souscrites. À cet égard, les paragraphes 45 et 46 de la Déclaration Re-Amendée et Retraxit méritent d’être cités (voir pièce I‑1, onglet 4). Ils se lisent comme suit :

 

45  Aussi, le demandeur demande-t-il à cette Cour de déclarer si, effectivement, lui ou la société défenderesse, pouvaient, au 15 février 2001, après reconduction de son contrat d’emploi pour deux (2) ans, exiger la vente, l’achat ou le rachat de ses actions;

 

46  Dans l’affirmative, le demandeur demande passation des titres, pour le prix à être établi par cette honorable Cour, soumettant que la juste valeur marchande de ses actions s’établit à 3 000 000 $, et que leur valeur aux livres s’établit non pas aux 59 193 $ proposés par la société défenderesse, mais bien à 279 127,00 $. (…) Au soutien de ses prétentions à cet égard, le demandeur a déposé une expertise comptable (pièce P-36) (…)

 

[11]         À la suite de cette action en justice initiale, l’appelante versait, dans le cadre d’une offre de règlement le 22 août 2002, une indemnité de 468 986 $ à monsieur Poulin. À la lecture de la lettre de Me Alain Gascon (pièce I‑1, onglet 7), qui représentait l’appelante dans le cadre de ce litige, à laquelle étaient joints des chèques totalisant la somme de 468 986 $, on constate qu’un chèque de 67 880,37 $ avait été tiré sur le compte bancaire de l’appelante à l’ordre de monsieur Poulin à l’égard des 75 actions ordinaires de catégorie « C ». Le texte de cette lettre à cet égard mérite d’être reproduit textuellement. Il se lit comme suit :

 

RACHAT D’ACTIONS :

59 193,00 $

DIVIDENDES :

69 559,00 $

 

Chèque no 003987

À l’ordre de M. Gilles Poulin

67 880,37 $

 

 

 

 

 

Rachat d’actions :

59 193,00 $

 

 

(Valeur des 75 actions ordinaires non émises

 

 

 

 

 

 

Dividendes :

69 559,00 $

 

 

 

 

 

 

Total brut :

128 752,00 $

 

 

Moins retenues d’impôts

-  60 871,63 $

 

 

[Je souligne]

 

[12]         L’action en justice initiale a été modifiée pour tenir compte du paiement de 468 986 $ fait le 22 août 2002 (voir la pièce I‑1, onglet 4). Compte tenu du montant de 59 193 $ reçu par monsieur Poulin à l’égard des 75 actions ordinaires de catégorie « C » souscrites après l’introduction de son action en justice initiale, monsieur Poulin demandait, dans son action en justice modifiée, jugement pour le solde, alléguant que la valeur de ses actions était de 279 127 $ et non pas de 59 193 $.

 

[13]         Le 28 août 2003, la juge Nicole Morneau de la Cour supérieure du Québec rendait le jugement suivant à l’égard des 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante souscrites par monsieur Poulin (voir pièce A‑1, onglet 6, page 14) :

 

[…]

 

ÉTABLIT à cent quatre-ving-quinze mille trente-six dollars (195 036,00$) la valeur des 75 actions ordinaires du demandeur dans Radio Nord Communications Inc. au 31 août 2000;

 

CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de cent trente‑cinq mille huit cent quarante‑trois dollars (135 843,00$) pour le solde de ses actions avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. sur la somme de cent quatre‑vingt‑quinze mille trente-six dollars (195 036,00$) du 15 février 2001 au 22 août 2002 et sur le solde de centre trente-cinq mille huit cent quarante‑trois dollars (135 843,00$) à compter du 23 août 2002;

 

DÉCLARE bonnes et valables les offres réelles et consignation des actions du demandeur à l’intention de la défenderesse et ordonne leur transfert à la défenderesse contre paiement du prix établi ci‑dessus;

 

[…]

 

[14]         Par ailleurs, la preuve a révélé que :

 

a.      Le règlement (Règlement spécial No 29) modifiant les statuts de l'appelante et visant notamment à donner effet au gel envisagé par l’appelante dans l’Entente et à créer une catégorie d’actions ordinaires de catégorie « C » avait été adopté le 9 août 2000 (voir pièce A‑1, onglet 14, pages 159-160). Le certificat de modification des statuts a été déposé auprès de l’Inspecteur général des institutions financières le jour même de l’adoption du Règlement spécial No 29 (voir pièce A‑1, onglet 14, pages 161-175);

 

b.     L’appelante avait produit un feuillet de renseignements T‑4 (pièce A‑1, onglet 8) à l’égard de la somme de 135 843 $ versée à monsieur Poulin. Ce feuillet de renseignements indique notamment que cette somme de 135 843 $ avait été versée à monsieur Poulin à titre de revenu d’emploi et que les retenues à la source appropriées avaient été faites par l’appelante. Je souligne immédiatement que monsieur Poulin a témoigné qu’il avait traité dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003 la somme ainsi reçue de l’appelante comme un revenu d’emploi (voir page 64 des notes sténographiques);

 

c.     Les états financiers de l’appelante pour son exercice financier se terminant le 31 août 2003 indiquent que la souscription de 75 actions ordinaires de catégorie « C » avait été annulée (voir pièce A‑1, onglet 2, page 99);

 

d.     La somme de 135 843 $ versée à monsieur Poulin en 2003 avait été traitée par l’appelante comme une dépense en vue de tirer un revenu de son entreprise à la fois pour les fins comptables et fiscales;

 

e.      Le règlement no 21 de l’appelante (pièce A‑1, onglet 15, pages 194‑195) indique notamment que :

 

                                         1)                        « les actions du capital‑actions de la compagnie peuvent être reparties aux époques et de la manière et aux personnes ou catégories de personnes que les administrateurs peuvent à l’occasion déterminer par résolution »;

 

                                         2)                        la compagnie devait tenir des registres à son siège social où étaient consignés notamment le nom par ordre alphabétique de toutes les personnes qui sont ou qui ont été actionnaires de la compagnie, le nombre de valeurs mobilières possédées par chaque actionnaire et les particularités de l’émission et du transfert de chaque action du capital de la compagnie;

 

                                         3)                        Chacun des certificats d’actions de la compagnie doit être donné sous le sceau de la compagnie et signé par le président ou vice‑président et contresigné par le secrétaire ou un secrétaire adjoint.

 

Il convient immédiatement de souligner à cet égard que monsieur Jacques Lavallée (le vérificateur de l’Agence des douanes et du revenu du Canada qui a procédé à la vérification des livres de l’appelante qui a donné lieu à la cotisation du 18 avril 2007 établie par le ministre) a déclaré lors de son interrogatoire au préalable (voir pièce A‑2) qu’à l’occasion de sa vérification des livres de l'appelante, il n’avait pas vu de résolution des administrateurs autorisant l’émission à monsieur Poulin de 75 actions ordinaires de catégorie « C », de certificat d’actions constatant l’émission de ces actions ou d’inscriptions au registre des actionnaires de l’appelante indiquant que ces mêmes actions avaient été émises à monsieur Poulin. Monsieur Lavallée a ajouté que c’est après l’établissement de la cotisation établie le 18 avril 2007 et de sa ratification qu’il avait pris connaissance de la photocopie d’un chèque (pièce A‑1, onglet 11) indiquant que, le 15 août 2000, monsieur Poulin avait tiré un chèque de 7,50 $ sur son compte bancaire à l’ordre de l’appelante. Monsieur Lavallée a expliqué lors de cet interrogatoire au préalable que sa décision à l’effet que les 75 actions ordinaires de catégorie « C » avaient été émises par l’appelante à monsieur Poulin était uniquement basée sur son interprétation de l’Entente et sur les dispositions du jugement citées au paragraphe 13 ci‑dessous. Il convient aussi de souligner à cet égard que monsieur Poulin, tout comme monsieur Brosseau, a témoigné qu’il n’avait pas assisté ni été convoqué à une réunion du conseil d’administration à laquelle il aurait été résolu d’émettre à monsieur Poulin 75 actions ordinaires de catégorie « C », et qu'il n'avait même pas connaissance qu’une telle résolution avait été adoptée;

 

f.       Le registre des valeurs mobilières de l’appelante (pièce A‑1, onglet 12) indique que le 5 % des actions ordinaires détenues par monsieur Poulin avait été racheté le 15 juin 1998 pour 375 000 $ conformément au paragraphe 10.1.4 de son contrat d’emploi (pièce A‑1, onglet 9) et que ce dernier ne détient plus d’actions dans le capital de l’appelante;

 

g.     L’État des informations sur une personne morale (pièce I‑1, onglet 5) obtenu de l’Inspecteur général des institutions financières daté du 22 février 2001 indique notamment qu’en date du 19 décembre 2000 (date à laquelle la dernière déclaration annuelle de l’appelante avait été produite) monsieur Poulin était administrateur et deuxième actionnaire de l’appelante. Il convient de souligner que la preuve soumise par les parties ne permet pas d’établir le nom de la personne qui a produit la déclaration annuelle du 19 décembre 2000 ou le nom de la personne qu’il l’aurait révisée ou encore le nom de la personne qui l’avait fait parvenir à l’Inspecteur général des institutions financières;

 

Témoignage de monsieur Martin Leblanc

 

[15]         Le témoignage de monsieur Leblanc pourrait se résumer ainsi :

 

                                      i.      Lors de son examen du registre des procès-verbaux et du registre des actionnaires de l’appelante, il n’avait pas retracé de procès-verbal du conseil d’administration (ou encore une résolution des administrateurs) ni d’inscription dans le registre des actionnaires à l’effet que 75 actions ordinaires de catégorie « C » du capital de l’appelante avaient été émises;

 

                                    ii.      Lors de son examen des livres et registres de l’appelante, il n’avait pas retracé l’original du certificat d’actions constatant la prétendue émission de ces 75 actions ordinaires de catégorie « C », certificat qui aurait dû se trouver dans les livres de l’appelante dûment endossé par monsieur Poulin à la suite du prétendu achat ou rachat par l’appelante des actions concernées;

 

                                  iii.      Il avait examiné le contrat d’emploi et l’Entente intervenus entre l’appelante et monsieur Poulin, l’action en justice intentée par monsieur Poulin contre sa cliente et le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec à la suite de cette action en justice;

 

                                 iv.      Il savait que monsieur Poulin avait tiré un chèque de 7,50 $ à l’ordre de l’appelante;

 

                                   v.      Il avait examiné les règlements de l’appelante;

 

                                 vi.      Monsieur Brosseau lui avait fait remarquer que l’appelante et monsieur Poulin avaient conclu l’entente verbale suivante : les 75 actions ordinaires de catégorie « C » ne seraient pas émises. Toutefois, l’appelante verserait à monsieur Poulin, en contrepartie des services qu’il lui avait rendus, une somme égale à celle qu’il aurait été en droit de recevoir aux termes de l’Entente à l’égard des 75 actions ordinaires de catégorie « C » auxquelles il avait souscrites;

 

                               vii.      à la suite de son examen de tous les documents, il avait conclu que :

 

1.                 monsieur Poulin avait souscrit à 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante, mais que les actions n’avaient pas été émises pour autant puisque les administrateurs de l’appelante n’avaient pas adopté de résolution à cet effet;

 

2.                 la juge Nicole Morneau n’avait pas ordonné dans son jugement l’émission de ces 75 actions ordinaires de catégorie « C »;

 

3.                 l’appelante n’avait pas versé la somme de 135 843 $ à monsieur Poulin en contrepartie de l’achat de ses actions détenues par ce dernier puisqu’elles n’avaient jamais été émises;

 

4.                 la somme de 135 843 $ versée à monsieur Poulin devait plutôt être traitée du point de vue fiscal et comptable comme une dépense encourue par l’appelante en vue de tirer un revenu de son entreprise puisqu’elle avait été versée à monsieur Poulin à titre d'indemnité en regard des services qu’il avait rendus à l’appelante.

 

Témoignage de monsieur Brosseau

 

[16]         Le témoignage de monsieur Brosseau pourrait se résumer ainsi :

 

a.      Le conseil d’administration de l’appelante (dont il avait été administrateur pendant toutes les périodes pertinentes) n’avait jamais adopté de résolution pour émettre les 75 actions ordinaires de catégorie « C » souscrites par monsieur Poulin;

 

b.     Après la signature des contrats d’emploi (pièce A‑1, onglets 9 et 10), il avait convenu verbalement avec monsieur Poulin que l’appelante ne lui émettrait pas les 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante auxquelles il avait souscrites, et ce, nonobstant l’engagement de cette dernière de les émettre aux termes de ces contrats. Monsieur Brosseau a expliqué qu’il avait plutôt convenu verbalement avec monsieur Poulin que l’appelante lui verserait en contrepartie des services qu’il avait rendus à l’appelante une somme égale à celle qu’il aurait été en droit de recevoir aux termes des contrats d’emploi à l’égard des actions. Monsieur Brosseau a ajouté qu’un régime d'actionnariat fantôme avait été en quelque sorte mis sur pied en faveur de monsieur Poulin aux termes duquel les 75 actions ordinaires de catégorie « C » sont utilisées comme un référentiel pour calculer le montant de l'indemnité (pour services rendus) à être versée par l’appelante à monsieur Poulin. Il convient de souligner que monsieur Brosseau a admis que le terme « rachat » à l’égard des 75 actions ordinaires de catégorie « C » utilisé dans l’offre de transaction (pièce I‑1, onglet 3) et dans la lettre de Me Gascon (pièce I‑1, onglet 7) avait été maladroitement utilisé compte tenu que les actions souscrites n’avaient pas été émises aux termes de l’entente verbale intervenue entre lui et monsieur Poulin. Monsieur Brosseau a expliqué en quelque sorte qu’il n’avait pas porté une grande attention au langage utilisé dans ces deux offres de règlement compte tenu que l’entente verbale qu’il avait conclue avec monsieur Poulin prévoyait que l'indemnité serait calculée en fonction des actions souscrites mais non émises en question.

 

Témoignage de monsieur Poulin

 

[17]         Le témoignage de monsieur Poulin pourrait se résumer ainsi :

 

a.      le 22 juin 2000, il avait assisté à une réunion du conseil d’administration de l’appelante à laquelle il avait été résolu de donner effet à l’engagement de cette dernière (aux termes de l’Entente) de réorganiser son capital (gel) de façon à lui permettre de souscrire à 75 des 1 000 actions avec droits de vote et de participation à être émises après la réorganisation. Je souligne que l’intimée a voulu déposer en preuve, à l’appui du témoignage de monsieur Poulin à cet égard, une copie du procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration de l’appelante tenue le 22 juin 2000 (pièce I-2). Je souligne que l’appelante s’est opposée au dépôt en preuve de ce document compte tenu qu’il ne faisait pas partie de la liste des documents de l’intimée et compte tenu que ce document avait été porté à sa connaissance peu de temps avant le début de l’audience. À mon avis, l’autorisation de produire ce document doit être accordée à l’intimée en ce qu’il ne s’agit pas d’un élément inconnu de l’appelante et parce que sa production n’est pas susceptible de lui causer un préjudice. En effet, l’appelante connaissait l’existence de cette résolution. De plus, je ne vois pas en quoi la production en preuve de cette résolution peut causer préjudice à l’appelante compte tenu qu’elle enclenche tout au plus le gel sans pour autant autoriser spécifiquement et automatiquement l’émission des 75 actions ordinaires de catégorie « C » en faveur de monsieur Poulin une fois le gel en vigueur (c’est‑à‑dire dès que le certificat de modification des statuts est déposé auprès de l’Inspecteur général des institutions financières).

 

b.     le 15 août 2000, monsieur Hertel, le secrétaire de l’appelante, lui avait remis une copie du recto de l’original (pièce I‑1, onglet 2) du certificat d’actions constatant qu’il détenait, depuis le 15 août 2000, 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante, et ce, après avoir signé l’original du certificat à titre de président de l’appelante, tel qu’exigé par le règlement no 21 de l’appelante;

 

c.     il ne se souvenait ni d’avoir assisté à une réunion du conseil d’administration de l’appelante à laquelle il aurait été résolu de lui émettre 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante, ni d’avoir été convoqué à une telle réunion et ni même d’avoir signé une résolution de tous les administrateurs à cet effet. Je rappelle que monsieur Poulin était, en avril 2000 (mois pendant lequel l’appelante avait réorganisé son capital et pendant lequel les 75 actions ordinaires de catégorie « C » auraient été émises selon monsieur Poulin), administrateur de l’appelante et son président et qu’il avait été congédié en 2001;

 

d.     il ne se souvenait pas si son chèque de 7,50 $, tiré à l’ordre de l’appelante en regard des 75 actions ordinaires de catégorie « C » souscrites, avait été encaissé;

 

e.      il ne savait pas qui avait préparé et fait parvenir à l’Inspecteur général des institutions financières la déclaration annuelle de l’appelante de l’année 2000;

 

f.       il n’avait jamais convenu verbalement avec monsieur Brosseau de la non-émission des 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante auxquelles il avait souscrites en contrepartie d’une somme égale à celle qu’il aurait par ailleurs reçue aux termes de l’Entente si les actions concernées avaient été émises;

 

g.     il se souvenait (voir page 64 des notes sténographiques) avoir indiqué, dans sa déclaration de revenus de l’année d’imposition 2003, que la somme de 135 843 $ était du revenu d’emploi, et ce, conformément au feuillet de renseignements T‑4 qu’il avait reçu de l’appelante (pièce A‑1, onglet 8).

 

Analyse et conclusion

 

[18]         L’intimée soutient essentiellement que la somme de 135 843 $ versée à monsieur Poulin en 2003 par l’appelante avait servi à acheter les 75 actions ordinaires de catégorie « C » que monsieur Poulin détenait dans le capital‑actions de l’appelante et qu’il en était résulté un dividende présumé en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi. Par ailleurs, l’appelante soutient que le montant versé à monsieur Poulin doit être considéré comme une indemnité en regard des services rendus, laquelle est pleinement déductible en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, et non pas un dividende puisque monsieur Poulin n’avait jamais détenu les 75 actions ordinaires de catégorie « C » de l’appelante auxquelles il avait souscrit et qu’il n’avait, par conséquent, jamais pu recevoir de dividende. Donc, il m’apparaît que la seule question à laquelle il faut répondre est la suivante : est-ce que les 75 actions ordinaires de catégorie « C » du capital‑actions de l’appelante souscrites par monsieur Poulin avaient été émises?

 

[19]         Aux termes de l’Entente (pièce I-1, onglet 1), l’appelante octroyait à monsieur Poulin une option de souscrire à 75 des 1000 actions avec droits de vote et de participation à être créées à la suite du gel pour une contrepartie de 1 $ l’action. Aux termes de l’Entente, l’appelante s’engageait d’avance et de façon irrévocable à émettre ces actions à monsieur Poulin dès la levée de l’option par ce dernier. L’entente correspond en quelque sorte à une promesse de vente à laquelle l’appelante est tenue de donner suite. Dès la levée de l’option, l’appelante et monsieur Poulin étaient obligés de conclure le contrat, c’est‑à‑dire d’une part émettre les 75 actions avec droits de vote et de participation et d’autre part les prendre et les payer. La preuve a révélé hors de tout doute que monsieur Poulin avait levé l’option. Toutefois, la question suivante demeure : est-ce que les actions ainsi souscrites avaient pour autant été émises?

 

[20]         L’émission et la répartition d’actions entraînent en général trois opérations : une résolution du conseil d’administration décrétant l’émission, des inscriptions dans le registre des actionnaires les décrétant et, finalement, la livraison des certificats d’actions qui, en quelque sorte, constitue une preuve prima facie qu’elles sont émises et qui facilite le transfert des actions. En l’espèce, le Règlement no 21 de l’appelante (pièce A‑1, onglet 15) spécifie clairement que : i) les actions du capital‑actions de l’appelante peuvent être réparties aux époques et de la manière et aux personnes ou catégories de personnes que les administrateurs peuvent à l’occasion déterminer par résolution; ii) l’appelante doit tenir des registres à son siège social où sont consignées notamment par ordre alphabétique le nom de toutes les personnes qui sont et qui ont été actionnaires de l’appelante, le nombre de valeurs mobilières possédées et les particularités de l’émission et du transfert de chaque action du capital de l’appelante; et iii) chacun des certificats d’actions de l’appelante doit être donné, sous le sceau de l’appelante et signé par son président ou son vice‑président et contresigné par le secrétaire ou un secrétaire‑adjoint.

 

[21]         En définitive, il faut répondre à la question suivante : est‑ce que le conseil d’administration de l’appelante a validement adopté une résolution décrétant l’émission des 75 actions ordinaires de catégorie « C » souscrites par monsieur Poulin?

 

[22]         La preuve de l’appelante à l’effet que les actions concernées n’avaient pas été émises repose essentiellement sur le témoignage de monsieur Brosseau à l’effet qu’il avait convenu verbalement avec monsieur Poulin que l’appelante ne lui émettrait pas les actions concernées auxquelles il avait souscrites et qu’elle lui verserait plutôt une indemnité (en regard des services qu’il lui avait rendus) calculée en fonction de ces actions non émises. La question qu’il faut se poser m’apparaît conséquemment être la suivante : est‑ce que le témoignage de monsieur Brosseau est crédible et vraisemblable? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des éléments de preuve suivants portés à ma connaissance qui semblent contredire son témoignage :

 

                    i.                        d’abord, monsieur Poulin a témoigné qu’il n’avait jamais convenu avec monsieur Brosseau que l’appelante ne lui émettrait pas les actions auxquelles il avait souscrites;

 

                  ii.                        l’appelante avait, le 15 février 2001, offert à monsieur Poulin (pièce I‑1, onglet 3) « de racheter les soixante‑quinze (75) actions votantes et participantes du capital‑actions de RNCI acquises […] en vertu de l’Entente d’intéressement au capital conclue entre les parties le 19 mars 1998. » En effet, l’utilisation du mot « racheter » pourrait nous permettre de conclure que les actions concernées avaient été émises;

 

                iii.                        l’utilisation des mots « rachat » dans l’offre de règlement datée du 22 août 2002 (pièce I‑1, onglet 6) pourrait aussi nous permettre de conclure que les actions concernées avaient été émises;

 

               iv.                        l’État des informations sur l’appelante obtenue de l’Inspecteur général des institutions financières (pièce I‑1, onglet 5) indique notamment qu’en date du 19 décembre 2000 (date à laquelle la dernière déclaration annuelle de l’appelante avait été alors produite) monsieur Poulin était administrateur et le deuxième actionnaire de l’appelante.

 

[23]         Compte tenu de ce qui suit, quelle est la valeur probante du témoignage de monsieur Poulin?

 

                    i.                                                                                                                        Il n’avait pas convenu avec monsieur Brosseau de la non-émission par l’appelante des actions auxquelles il avait souscrites, la preuve de ce fait étant, selon lui, que monsieur Hertel, le secrétaire de l’appelante, lui avait fait signer (à titre de président de l’appelante tel que l’exige le Règlement no 21 de cette dernière), le 15 août 2000, l’original du certificat d’actions attestant l’émission des actions concernées et lui avait aussi remis une copie du recto de l’original de ce certificat. Monsieur Poulin a expliqué qu’il n’avait pas vérifié si les formalités pour émettre les actions concernées avaient été respectées, compte tenu qu’on lui avait fait signer l’original du certificat d’actions attestant l’émission des actions concernées. Le témoignage de monsieur Poulin à cet égard mérite d’être cité :

 

Je n’ai fait aucune vérification, le certificat m’a confirmé que j’avais soixante‑quinze (75) actions. J’étais confortable avec ça, moi j’étais certain de cette acquisition‑là.

 

                  ii.                                                                                                                        Il n’avait ni participé ni été convoqué à une réunion du conseil d’administration de l’appelante à laquelle l’émission des actions concernées aurait été décrétée.

 

Il résulte du témoignage de monsieur Poulin que la réunion du conseil d’administration de l’appelante, au cours de laquelle l’émission des actions concernées aurait été décrétée, aurait été tenue à son insu. Il m’est tout simplement difficile de croire qu’une telle réunion puisse avoir été tenue à l’insu de monsieur Poulin en raison de ses fonctions au sein de l’entreprise de l’appelante et de ses relations harmonieuses avec cette dernière jusqu’à la date de son congédiement. De plus, il m’apparaît tout aussi difficile de croire que monsieur Poulin (qui, nécessairement, était administrateur et le principal dirigeant de l’appelante au moment où une telle réunion du conseil d’administration de l’appelante aurait été tenue) ait présumé que toutes les formalités pour émettre les actions concernées avaient été respectées du simple fait qu’on lui avait fait signer l’original d’un certificat d’actions. De toute façon, un administrateur qui est aussi le principal dirigeant d’une compagnie constituée en vertu de la Loi sur les compagnies ne peut dans de telles circonstances se prévaloir de la règle de la régie interne prévue à l’article 123.32 de cette loi. Enfin, le comportement inconséquent de monsieur Poulin n’a fait que confirmer mes doutes quant à sa crédibilité. En effet, pourquoi monsieur Poulin ne s’est‑il pas opposé à ce que l’appelante fasse des retenues à la source dans l’offre de règlement du 22 août 2002 et à ce qu’elle émette par la suite un feuillet de renseignements T‑4 faisant état que la somme de 135 543 $ était du revenu d’emploi, si ce n’est qu’il avait convenu avec monsieur Brosseau que l’appelante ne lui émettrait pas les actions auxquelles il avait souscrites et qu’elle lui verserait plutôt une indemnité en regard des services rendus, indemnité calculée en fonction des actions qui auraient dû être émises? Pourquoi monsieur Poulin a‑t‑il déclaré en 2003 le revenu de 135 843 $ conformément au feuillet de renseignements T‑4 si ce n’est pour la même raison? Pourquoi monsieur Poulin n’a‑t‑il demandé (dans son action civile) à la juge Morneau d’ordonner l’émission des actions concernées bien que monsieur Brosseau lui avait appris le 1er novembre 2001 que les actions concernées n’avaient pas été émises (voir pièce A‑1, onglet 6, paragraphe 6)? À mon avis, seul le fait que monsieur Poulin avait convenu avec monsieur Brosseau de la non‑émission par l’appelante des actions concernées peut expliquer un tel comportement. L’invraisemblance du témoignage et du comportement inconséquent de monsieur Poulin à ces égards n’a fait que renforcer ma conviction que le témoignage de monsieur Brosseau (à l’égard de ce qui avait été convenu avec monsieur Poulin) est crédible et vraisemblable malgré une certaine documentation portée à ma connaissance qui semble plutôt appuyer la thèse de l'émission des actions concernées.

 

[24]         En définitive, la version des faits donnée par monsieur Brosseau m’apparaît plus crédible que celle donnée par monsieur Poulin. Les explications de monsieur Brosseau à l’égard du choix inapproprié des mots « rachat d’actions » (alors qu’elles n’avaient pas été émises) dans les offres de règlement du 15 février 2001 et du 22 août 2002 m’ont aussi paru crédibles. Je rappelle que monsieur Brosseau a expliqué en quelque sorte qu’il n'avait pas porté une grande attention au langage utilisé dans ces deux offres de règlement compte tenu que l’entente verbale qu’il avait conclue avec monsieur Poulin prévoyait que l'indemnité convenue serait calculée en fonction des actions non émises. À cet égard, l’offre de règlement du 22 août 2002 démontre très bien la confusion résultant du langage utilisé : les mots « rachat d’actions » y sont utilisés alors que le même document indique que les actions ne sont pas émises.

 

[25]         L’État des informations sur l’appelante obtenu de l’Inspecteur général des institutions financières (pièce I‑1, onglet 5) semble aussi indiquer que les actions concernées ont été émises. Compte tenu qu’il a été impossible d’obtenir de monsieur Brosseau et de monsieur Poulin le nom de la personne qui avait préparé et fait parvenir ce document à l’Inspecteur général des institutions financières, je suis d’avis qu’il ne faut pas lui accorder trop de force probante dans les circonstances.

 

[26]         Il convient de souligner que la thèse du ministre à l’effet que ces actions avaient été émises ne repose pas sur les livres et registres corporatifs de l’appelante. À cet égard, je rappelle les déclarations de monsieur Lavallée. Il a affirmé ne pas avoir retracé, lors de son examen des livres et registres de l’appelante, la résolution écrite des administrateurs de cette dernière décrétant l’émission de ces actions (ou encore le procès‑verbal d’une réunion du conseil d’administration où il est fait état d'une décision de ses membres de les émettre et de la contrepartie exigée de monsieur Poulin), des inscriptions dans le registre des actionnaires de l'appelante indiquant que ces actions avaient été émises à monsieur Poulin ni, finalement, l’original du certificat d’actions qui aurait été émis à monsieur Poulin et qui nécessairement aurait été annulé à la suite du prétendu rachat de ces actions. En fait, je rappelle que la position du ministre est à l’effet que l’émission de ces actions découle du jugement de la Cour supérieure. À cet égard, les allégations du ministre aux paragraphes 7 et 25.1 de la Réponse à l’avis d’appel méritent d’être citées. Le paragraphe 7 se lit comme suit :

 

Il nie, tel que rédigé, le paragraphe 11 de l’avis d’appel. Il précise que l’appelante a fait défaut d’émettre les actions à M. Poulin suite à la conclusion du contrat d’acquisition d’actions. Selon le jugement de la Cour supérieure, suite à l’action intentée par M. Poulin contre l’appelante, il découle que les actions ont été émises, car l’appelante a été condamnée à les racheter et à verser la somme de 135 843 $ à M. Poulin.

 

Par ailleurs, le paragraphe 25 se lit comme suit :

 

Il est vrai que l’appelante a fait défaut d’émettre les 75 actions ordinaires de catégorie « C » à M. Poulin après l’acceptation de la souscription le 15 août 2000. Or, en ordonnant à l’appelante de racheter les 75 actions pour la somme de 135 843 $, la Cour supérieure l’a obligé à corriger son défaut. L’appelante ne peut plaider aujourd’hui que les 75 actions n’ont pas été émises.

 

[27]         À mon avis, le jugement de la juge Morneau n’ordonne nullement (comme le soutient le ministre) à l’appelante de corriger son défaut, c’est‑à‑dire d’émettre les 75 actions de catégorie « C ». Le jugement ordonne essentiellement à l’appelante de racheter les 75 actions de catégorie « C » pour la somme de 135 843 $. Je suis d’opinion que la juge Morneau a présumé que les actions souscrites par monsieur Poulin avaient été émises par l’appelante, compte tenu que :

 

1.                 l’appelante avait, le 15 février 2001, offert à monsieur Poulin (pièce I‑1, onglet 3) de racheter « les soixante‑quinze (75) actions votantes et participantes du capital‑actions de RNCI acquises […] en vertu de l’Entente d’intéressement au capital conclue entre les parties le 19 mars 1998 et [nie] verse[r] à monsieur Poulin, en considération dudit rachat, la somme de Cinquante Neuf Mille Cent Quatre‑Vingt‑Treize Dollars (59 193 $) »;

 

2.                 l’appelante avait versé dans le cadre d’une offre de règlement datée du 22 août 2002 une indemnité de 468 986 $ à monsieur Poulin (pièce I‑1, onglet 6).

 

[28]         En définitive, l’appelante m’a convaincu qu’elle avait versé à monsieur Poulin une somme de 135 843 $ en 2003 à titre d'indemnité en regard des services qu’il lui avait rendus. Par conséquent, l’appelante était en droit de déduire dans le calcul de son revenu pour l’année concernée la somme de 135 843 $.

 

[29]         Pour ces motifs, l’appel est accueilli, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2011.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 92

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-1785(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              RNC MÉDIA INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 18 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 février 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Dominic C. Belley

Avocats de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

M e Nathalie Labbé

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Dominic C. Belley

                 Cabinet :                           Ogilvy, Renault

                                                          Montréal, Québec

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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