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Dossier : 2009-3570(IT)I

ENTRE :

ALAIN-PIERRE HOVASSE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] ____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 20 janvier 2011 à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Vincent Pigeon

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Jonathan Wittig

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est accueilli, sans dépens, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement modifiés ci‑joints.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifiés remplacent le jugement et les motifs du jugement rendus le 4 mars 2011.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’avril 2011.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juillet 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.

 

 


 

 

Référence : 2011 CCI 143

Date : 20110304

Dossier : 2009-3570(IT)I

ENTRE :

ALAIN-PIERRE HOVASSE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Hogan

 

[1]              En l’espèce, l’appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») par laquelle celui‑ci a refusé à l’appelant une déduction de 7 000 $ correspondant à une pension alimentaire versée dans l’année d’imposition 2007. Le litige porte sur la question de savoir si l’appelant a effectué ces versements aux termes d’un accord écrit, comme l’exige le paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »)[1]. L’appelant soutient qu’un [traduction] « résumé des accords passés par voie de médiation » issu de séances de médiation suffit pour satisfaire à l’exigence d’un accord écrit prévue par cette disposition. L’intimée avance que le document en question ne peut pas satisfaire à cette exigence étant donné qu’il n’était pas censé constituer un accord final et obligatoire entre l’appelant et son ex‑épouse.

 

Contexte factuel

 

[2]              L’appelant et son ex­‑épouse, Diane Lu-Affatt, s’étaient mariés le 17 juillet 1983. Ils sont séparés depuis décembre 2005. En août 2006, l’appelant et Mme Lu-Affatt ont eu recours à la médiation. Un accord issu de la médiation prévoyait, entre autres, que l’appelant verserait une pension alimentaire pour conjoint de 1 000 $ par mois pour 11 mois à partir de septembre 2006.

 

[3]              L’appelant a effectué les versements comme convenu. Dans sa déclaration de revenus pour 2007, il a demandé une déduction de 11 000 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint versée. Le 10 novembre 2008, le ministre a refusé cette déduction dans une cotisation initiale. Le 19 janvier 2009, le ministre a établi une nouvelle cotisation et a autorisé l’appelant à déduire 7 000 $ des paiements de pension alimentaire dont il avait auparavant demandé la déduction, mais cette nouvelle cotisation a été annulée le 15 juin 2009. Finalement, l’appelant a déposé un avis d’appel auprès de la Cour le 20 novembre 2009.

 

Analyse

 

[4]              En général, les lois fiscales du Canada n’autorisent pas les époux à fractionner leur revenu de façon à réduire l’impôt global à payer. Toutefois, le paragraphe 56.1(4) et l’alinéa 60b) de la LIR prévoient une exception. Dans ces dispositions, le législateur a créé un mécanisme par lequel certains montants payés à titre de pension alimentaire pour un conjoint séparé sont déductibles du revenu par le payeur et imposables dans les mains du bénéficiaire. Comme l’a souligné le juge Heald dans Hodson v. The Queen[2], ces dispositions ont été aussi conçues de manière à empêcher qu’on en abuse. Voici le passage pertinent de l’arrêt Hodson :

 

[...] les conjoints qui vivent ensemble ne sont pas autorités à fractionner leur revenu de façon à réduire l’impôt global que le ménage doit payer. L’alinéa 60b) crée une exception à cette règle générale en accordant un certain avantage fiscal aux époux séparés qui répondent à ses conditions. Le législateur a été explicite. Si le législateur avait voulu étendre l’avantage conféré par l’alinéa 60b) aux conjoints séparés qui, comme en l’espèce, n’ont ni ordonnance judiciaire ni accord écrit, il l’aurait dit. On perçoit facilement la raison de ne pas inclure le cas des conjoints séparés où des paiements ont été faits et reçus sur la base d’un accord verbal. Un tel régime relâché et incertain peut très bien donner lieu à des ententes trompeuses et frauduleuses et à des plans d’évasions fiscale. [...]

 

[5]              Le résumé ci‑dessus montre que les exigences contenues au paragraphe 56.1(4) de la LIR ont pour but d’éviter les situations où des particuliers abuseraient des dispositions relatives à la pension alimentaire pour fractionner leur revenu. Ces exigences sont énoncées dans la définition de « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4) de la LIR, qui prévoit en partie ce qui suit :

 

56.1(4) Définitions « pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

56.1(4) Definitions “support amount” means an amount payable or receivable as an allowance on a periodic basis for the maintenance of the recipient, children of the recipient or both the recipient and children of the recipient, if the recipient has discretion as to the use of the amount, and

 

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit ;

(a) the recipient is the spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner of the payer, the recipient and payer are living separate and apart because of the breakdown of their marriage or common-law partnership and the amount is receivable under an order of a competent tribunal or under a written agreement;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]              En l’espèce, la question en litige est de savoir si l’accord écrit produit par l’appelant suffit pour satisfaire aux exigences de la LIR. Les parties ont présenté à la Cour un recueil conjoint de documents. La plupart des décisions contenues dans ce recueil portent en grande partie sur la question de savoir si un accord conclu par écrit satisfait aux exigences du paragraphe 56.1(4) de la LIR[3]. Elles offrent une orientation sur la façon de déterminer si un accord écrit est suffisant. Les éléments sur lesquels porte cette détermination ont été brièvement résumés par mon collègue le juge Hershfield dans Shaw c. La Reine[4].

 

[7]              Dans cette affaire, le juge Hershfield avait conclu que ce qu’il faut, c’est une preuve que les parties voulaient être légalement liées par les obligations qu’elles avaient consignées par écrit. La signature est un moyen de preuve, mais ce n’est pas le seul. La preuve exigée à cet égard dépendra des faits de chaque affaire[5]. Le juge Hershfield a en outre indiqué que les accords écrits n’ont pas à être signés pour être conformes au paragraphe 56.1(4) de la LIR, et il a rejeté l’argument selon lequel le législateur voulait une application très stricte de l’exigence d’un accord écrit. Une interprétation stricte n’est pas nécessaire pour donner effet à l’objet des dispositions qui autorisent la déduction des montants payés à titre de pension alimentaire. Toutefois, pour conclure qu’un accord écrit est conforme à cette disposition, un certain caractère officiel demeure nécessaire. Ainsi que le juge en chef adjoint Bowman, tel était alors son titre, l’avait déclaré dans Foley c. R.,[6] au paragraphe 26 : « Le mot “accord” indique à tout le moins une obligation contraignante. »

 

[8]              En conséquence, il reste à trancher la question de savoir si la preuve dans son ensemble démontre que l’appelant, en concluant un accord par voie de médiation, a accepté d’être tenu de verser la pension alimentaire. Cet élément doit être présent pour qu’il soit satisfait aux exigences de la LIR relativement à la déductibilité de la pension alimentaire et pour empêcher que l’appelant ne profite indûment, au moyen du fractionnement du revenu, d’un avantage fiscal auquel il n’aurait pas droit par ailleurs.

 

[9]              Au vu du témoignage de l’appelant à l’audience et des documents relatifs aux séances de médiation présentés, l’accord conclu par voie de médiation représentait un accord provisoire qui fixait une obligation de verser périodiquement une pension alimentaire déterminée. L’existence de cette obligation a été confirmée par le fait que l’appelant a respecté le calendrier de versement de la pension alimentaire pour conjoint prévu par l’accord. Il ressort aussi du témoignage de l’appelant que les séances de médiation ont été clôturées par un accord final par lequel les parties entendaient être liées. En outre, l’accord final négocié entre les parties au printemps 2010 confirme que les versements effectués par l’appelant avaient été faits conformément à un accord écrit[7].

 

[10]         L’intimée a présenté de nombreux arguments contre une telle conclusion et ceux-ci méritent d’être examinés. Premièrement, il a été avancé qu’étant donné que l’accord conclu par voie de médiation n’est pas signé, il n’est pas valide. Cet argument est rejeté dans Shaw et dans Foley. Le bulletin d’interprétation IT‑530R (Pensions alimentaires) de l’Agence du revenu du Canada[8] donne à penser que le ministre n’accepte normalement pas de tels accords s’ils ne sont pas signés, mais il s’agit uniquement de la politique du ministre (contredite par la jurisprudence) et celle‑ci ne lie pas la Cour. De plus, ce qui ressort de la jurisprudence est renforcé par le fait que la LIR ne comporte aucune exigence expresse selon laquelle l’accord doit être signé. Si le législateur avait voulu que l’accord soit signé, il aurait pu facilement le préciser.

 

[11]         L’intimée a soutenu aussi que l’accord conclu par voie de médiation renfermait un avertissement selon lequel il pouvait ne pas être interprété comme un contrat ou un jugement d’un tribunal, en somme, qu’on n’entendait pas lui conférer une force obligatoire. Cela ne veut pas nécessairement dire que les parties n’auraient pas pu avoir ou qu’elles n’ont pas eu l’intention d’être liées par l’accord. La déclaration semble être davantage un avis selon lequel des étapes supplémentaires étaient nécessaires pour que l’accord soit exécutoire en justice. Les parties n’ont peut‑être pas déposé l’accord auprès d’un tribunal ayant compétence en la matière, tel que cela leur avait été recommandé, mais l’appelant a donné une explication raisonnable du choix fait par les parties et a déclaré que lui et son ex‑épouse voulaient éviter des frais judiciaires.

 

[12]         En outre, l’intimée a avancé que la conduite de Mme Lu-Affatt montre que le résumé écrit des accords conclus par voie de médiation n’était pas un accord. L’intimée a souligné que Mme Lu-Affatt avait demandé une pension alimentaire plus importante dans une requête en divorce. Toutefois, cela ne prouve pas l’absence d’un accord écrit. Tout au plus, c’est la preuve qu’il s’agissait d’un accord temporaire en attendant l’issue de l’action en divorce[9]. De tels accords temporaires sont tout à fait acceptables dans la mesure où ils répondent par ailleurs aux exigences de la LIR. En outre, les ordonnances relatives à la pension alimentaire sont rarement, sinon jamais, définitives. Elles sont presque toujours sujettes à des modifications par le tribunal qui les a rendues. Si l’absence de caractère définitif est un motif pour rejeter un accord de soutien écrit en vertu du paragraphe 56.1(4) de la LIR, on pourrait théoriquement rejeter tous les accords écrits ainsi que toutes les ordonnances alimentaires délivrées par les tribunaux, de telle sorte que la disposition serait superflue.

 

[13]         Enfin, Mme Lu-Affatt a déclaré dans un avis d’opposition au ministre qu’il n’y avait pas d’accord écrit officiel entre elle et l’appelant. Ce document pose problème dans la mesure où il fait référence à l’absence d’un accord écrit, mais il n’est pas précisé dans ce document si Mme Lu-Affatt parle d’un accord officiel concernant l’exigence de verser une pension alimentaire pour conjoint et du montant de cette pension, ou d’un accord par lequel elle serait imposée sur les versements. Comme je n’ai pas été en mesure d’entendre les explications de Mme Lu‑Affatt au sujet de ce qu’elle voulait dire dans ce document, il est difficile de déterminer avec certitude la preuve que le document établit, et on ne devrait donc lui accorder que très peu de poids pour trancher l’affaire.

 

[14]         En l’espèce, peu d’éléments laissent croire que l’appelant tente d’abuser de la disposition pertinente de la LIR en demandant un fractionnement du revenu entre lui et son ex‑épouse[10]. Il ressort plutôt de la preuve et du témoignage de l’appelant, selon la prépondérance des probabilités, que ce dernier était séparé de Mme Lu‑Affatt lorsqu’il a effectué les versements périodiques conformément à ce que les deux parties considéraient comme une obligation contraignante. En outre, il est établi par la preuve que les parties étaient séparées, qu’elles sont demeurées séparées et qu’elles avaient l’intention de divorcer, et qu’il n’y a plus entre elles l’avantage économique d’un ménage unifié. Telles sont les circonstances dans lesquelles le législateur a voulu que l’alinéa 60b) et l’article 56.1 de la LIR s’appliquent.

 

[15]         Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’appel est accueilli, et je conclus que l’appelant a droit à une déduction de 6 000 $ relativement à la pension alimentaire versée à son ex‑épouse en 2007. Ainsi que les parties en ont convenu à l’audience, il est exclu de ce montant le paiement de 1 000 $ fait en juillet 2007, étant donné qu’il a été fait après la date de cessation de l’accord issu de la médiation. La nouvelle cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs du jugement modifiés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mars 2011.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juillet 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 143

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-3570(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ALAIN-PIERRE HOVASSE

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 20 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS :                                    L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 mars 2011

 

DATE DU JUGEMENT

 MODIFIÉ :                                      Le 16 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Vincent Pigeon

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Jonathan Wittig

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Vincent Pigeon

 

                          Cabinet :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1.

[2] 88 DTC 6001 (CAF), à la page 6003.

[3] Les décisions dans lesquelles l’accord a été rejeté sont entre autres : Paré c. La Reine, 2003 CCI 869; Chesney v. R., [2001] 1 C.T.C. 2738 (CCI); Tuck c. La Reine, 2007 CCI 259. Les décisions citées par les parties et dans lesquelles l’accord a été accepté sont Grant v. R., [2001] 2 C.T.C. 2474 (CCI); Foley v. R., [2000] 4 C.T.C. 2016 (CCI); Shaw c . La Reine, 2007 CCI 148.

[4] Voir la note 3 ci‑dessus.

[5] Voir aussi Alm v. R., [2001] 1 C.T.C. 2721 (CCI).

[6] Voir la note 3 ci‑dessus.

[7] Recueil conjoint de documents, onglet 4.

[8] 17 juillet 2003.

[9] Recueil conjoint de documents, onglet 4(C).

[10] Ibidem, onglet 1, à la page 10.

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