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Dossier : 2008‑3556(IT)G

 

ENTRE :

 

BARRINGTON LANE DEVELOPMENTS LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 4 juin 2010, à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Devant : L'honorable juge F. J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Mes Bruce S. Russell, c.r.

et Karen D. Stilwell

Avocate de l'intimée :

Me Deanna M. Frappier

 

________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          L'appel formé contre la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2004 est accueilli.

 

          Les dépens sont accordés à l'appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2010.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de décembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 388

Date : 20100719

Dossier : 2008‑3556(IT)G

 

ENTRE :

 

BARRINGTON LANE DEVELOPMENTS LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]              Il y a deux points à décider dans la présente instance, qui concerne l'année d'imposition 2004 de l'appelante. Le premier est de savoir si l'avis de nouvelle cotisation du ministre du Revenu national (le ministre) portant la date du 10 janvier 2008 a été mis à la poste à l'intérieur de la période normale de cotisation ou s'il est frappé de prescription. Le deuxième est de savoir si le ministre a eu raison d'inclure la somme de 793 876 $ dans le revenu de l'appelante en tant que revenu provenant d'une entreprise ou d'un bien ou s'il aurait dû l'inclure en tant que gain en capital, selon ce qui apparaissait au départ dans la déclaration fiscale de l'appelante.

 

[2]              Puisqu'il fallait décider le premier point avant que la Cour ne soit en mesure de considérer le deuxième point, plus fondamental, j'ai examiné le premier point et tranché la question avant de passer au deuxième point. Selon moi, l'avis de cotisation du ministre portant la date du 10 janvier 2008 a été mis à la poste à l'intérieur de la période normale de cotisation et, pour accélérer les choses, j'ai informé les parties que je motiverais d'une manière détaillée ma décision sur cet aspect dans le jugement qui suit.

 

[3]              Les faits à l'origine du premier point sont, pour l'essentiel, reconnus par les parties. Le ministre a délivré un avis de nouvelle cotisation daté du 10 janvier 2008 pour l'année d'imposition 2004 de l'appelante. L'intimée a admis dans ses actes de procédure modifiés qu'en dépit du fait que la date de la nouvelle cotisation était le 10 janvier 2008, la nouvelle cotisation avait été mise à la poste le 14 janvier 2008. Les parties s'accordent à dire que la période normale de cotisation aurait en principe expiré le 12 janvier 2008, mais que, puisque cette date tombait un samedi ou un « jour férié », au sens des articles 26 et 35 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, dans sa version modifiée, ce à quoi s'ajoutent les dispositions applicables des Règles de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, la période normale de cotisation avait en conséquence expiré le 14 janvier 2008.

 

[4]              Il n'a pas non plus été contesté que, puisque l'avis de nouvelle cotisation portait la date du 10 janvier 2008, et puisque l'intimée a reconnu qu'il n'avait pas été mis à la poste à cette date, affirmant plutôt qu'il l'avait été le 14 janvier 2008, la présomption du paragraphe 244(14) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), selon lequel la date de mise à la poste d'un avis est présumée être la date apparaissant sur cet avis, a été réfutée. Il faut alors se demander si l'avis de nouvelle cotisation a été mis à la poste le 14 janvier 2008, date qui, les parties l'admettent, tomberait à l'intérieur de la période normale de nouvelle cotisation, l'avis n'étant pas alors frappé de prescription.

 

[5]              Les paragraphes 244(14) et (15) de la Loi sont ainsi formulés :

 

244(14) Pour l'application de la présente loi, la date de mise à la poste d'un avis ou d'une notification, prévus aux paragraphes 149.1(6.3), 152(3.1), 165(3) ou 166.1(5), ou d'un avis de cotisation ou de détermination est présumée être la date apparaissant sur cet avis ou sur cette notification.

 

(15) Lorsqu'un avis de cotisation ou de détermination a été envoyé par le ministre comme le prévoit la présente loi, la cotisation est réputée avoir été établie et le montant, déterminé à la date de mise à la poste de l'avis de cotisation ou de détermination.

 

[6]              Les présomptions énoncées dans ces dispositions sont des présomptions réfutables. Puisque le ministre a dit que l'avis de nouvelle cotisation n'avait pas été mis à la poste à la date figurant sur l'avis, la présomption du paragraphe 244(14) a manifestement été réfutée par l'effet de cette admission. Il revient alors au ministre de prouver que la mise à la poste a eu lieu à l'intérieur de la période normale de cotisation, laquelle, les parties en conviennent, devait expirer le 14 janvier 2008.

 

[7]              L'intimée fait valoir que l'avis de nouvelle cotisation a été mis à la poste le 14 janvier 2008, et donc à l'intérieur de la période normale convenue de cotisation. L'appelante dit que l'intimée n'a pas prouvé cette mise à la poste.

 

[8]              Selon la preuve de l'intimée, qui a appelé à témoigner deux employés de l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) travaillant au centre d'impression et de courrier de Winnipeg (Manitoba), il n'y a que deux centres d'impression et de courrier desservant le Canada, l'un à Winnipeg (Manitoba), l'autre à Summerside (Île‑du‑Prince‑Édouard). Le mode de mise à la poste des avis a été décrit ainsi : le siège de l'ARC à Ottawa choisit l'un des deux centres et envoie des directives par voie électronique au centre choisi. Une fois les directives reçues, le centre imprime sur place les avis de cotisation ou de nouvelle cotisation et les transmet à un bureau de contrôle de la production, où ils sont pliés et insérés manuellement dans des enveloppes préimprimées portant le nom et l'adresse du contribuable, pour envoi par courrier recommandé. Les enveloppes sont alors balayées électroniquement pour constituer un journal du courrier recommandé, sur lequel figurent la date d'expédition, le numéro de suivi, le nom du contribuable et un numéro de cycle indiquant le lot des avis qui, au départ, ont été téléchargés électroniquement ensemble. Chaque page des avis envoyés aux contribuables contient un numéro séquentiel qui permet aussi un recoupement avec le numéro de cycle. Les enveloppes sont alors déposées dans un contenant de Postes Canada se trouvant sur les lieux, qui est ramassé par Postes Canada, accompagné d'une déclaration de mise à la poste imprimée par l'ARC indiquant la date de mise à la poste et le paiement s'y rapportant, déclaration dont un exemplaire est remis à Postes Canada.

 

[9]              S'agissant de l'avis de nouvelle cotisation en cause, les témoins de l'ARC ont dit que les directives reçues d'Ottawa pour l'impression du lot qui comprenait l'avis de nouvelle cotisation, lot portant le numéro de cycle 2644, avaient été reçues le 10 janvier 2008 et que les enveloppes pour envoi recommandé avaient été balayées le 14 janvier 2008, indiquant, comme je le disais, le même numéro de cycle, la date d'expédition, le numéro de suivi et le nom du contribuable.

 

[10]         Selon l'appelante, le processus général décrit par les témoins de l'ARC travaillant au centre d'impression et de courrier de l'ARC ne prouve pas que les enveloppes étaient effectivement mises à la poste. L'avocat de l'appelante a fait admettre à l'un des témoins qu'il n'avait pas recoupé le cycle no 2644 indiqué sur la fiche de contrôle de distribution de l'ARC avec le numéro séquentiel indiqué sur l'avis de nouvelle cotisation portant la date du 10 janvier 2008, et il a fait admettre à l'autre témoin, celui qui s'occupait du balayage électronique des enveloppes pour envoi recommandé, que le journal des enveloppes ainsi balayées indiquait la date à laquelle elles devaient être mises à la poste, mais que ce témoin n'intervenait pas davantage après que les enveloppes étaient déposées dans le contenant de Postes Canada. Selon l'appelante, seule Postes Canada pouvait témoigner avec quelque certitude que les enveloppes avaient été mises à la poste.

 

[11]         Malgré mes égards envers l'avocat de l'appelante, je ne suis pas d'accord avec sa position. Selon moi, les processus détaillés et documentés se rapportant au téléchargement électronique, à l'impression et à l'envoi des avis de cotisation ou de nouvelle cotisation constituent, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie qu'ils ont été mis à la poste. En tout état de cause, il existe aussi une preuve tangible montrant que l'enveloppe envoyée par courrier recommandé au contribuable a été numérisée, et le journal soumis au balayage électronique et admis en preuve montre clairement que l'avis a été expédié le 14 janvier 2008. Selon le témoignage du témoin de l'ARC s'occupant de la mise à la poste, les enveloppes sont déposées immédiatement après le balayage dans le contenant fourni par Postes Canada à l'ARC, contenant qui, comme une boîte aux lettres normale, est un réceptacle où le courrier est déposé. Je suis donc d'avis que l'intimée a apporté la preuve prima facie que l'avis de nouvelle cotisation de l'appelante a été mis à la poste et, conformément au paragraphe 244(15), la nouvelle cotisation est réputée avoir été établie le jour de la mise à la poste. L'intimée s'étant acquittée de son obligation de prouver que l'avis a été mis à la poste le 14 janvier 2008, il revient dès lors à l'appelante d'établir le contraire, selon la prépondérance de la preuve, et l'appelante n'a produit aucune preuve du genre, quelle qu'elle soit. Évidemment, l'appelante aurait pu appeler à témoigner un employé de Postes Canada pour réfuter la position de l'intimée, si Postes Canada disposait d'éléments en ce sens, mais l'appelante ne l'a pas fait et, pour être franc, je ne suis pas persuadé qu'un tel témoignage aurait été autre chose qu'un témoignage portant sur les pratiques générales du bureau de poste dans ses rapports avec l'ARC comme dans les livraisons qui s'ensuivent.

 

[12]         Il convient aussi de noter que l'appelante a indiqué avoir reçu, par courrier recommandé, l'avis de nouvelle cotisation le 17 janvier 2008, trois jours après la présumée mise à la poste, ce qui à mon avis confirme également que l'avis a été posté à l'intérieur du délai requis.

 

[13]         Ayant conclu que l'avis de nouvelle cotisation a été mis à la poste à l'intérieur de la période normale de cotisation, j'examinerai maintenant le point principal, qui est de savoir si le ministre a commis une erreur en incluant la somme de 793 876 $ dans le revenu de l'appelante plutôt qu'en le traitant comme un gain en capital, comme le souhaitait l'appelante.

 

[14]         Les faits se rapportant au deuxième point ne sont pas contestés. L'appelante s'occupait d'aménagement immobilier, et en particulier de construction et de rénovation d'immeubles d'habitation, et son exercice se terminait le 31 mai. Entre 1996 et 1998, elle avait prêté au moins 793 076 $ à une société liée appelée Brookshire Developments Ltd. (Brookshire). L'appelante et Brookshire appartenaient toutes deux à deux frères, Solomon Ghosn et Nassim Ghosn, en parts égales, et les deux frères étaient administrateurs et dirigeants des sociétés, Nassim occupant le poste de président et Solomon celui de vice‑président. L'appelante a prêté les fonds à Brookshire pour permettre à celle‑ci de construire un centre commercial à Bedford, en Nouvelle‑Écosse.

 

[15]         En 1998, selon les conseils de ses comptables et de ses avocats, l'appelante a décidé que Brookshire ne serait pas en mesure de rembourser le prêt et a donc radié celui‑ci. Les comptables de l'appelante, le cabinet Grant Thornton, établissaient à la fois les états financiers et les déclarations fiscales de l'appelante. Dans les états financiers, le prêt était inscrit comme créance douteuse, et un important gain en capital était aussi indiqué, dont le calcul comprenait également le prêt comme perte en capital. La déclaration fiscale indiquait à juste titre la radiation du prêt, traitée comme perte en capital dans les annexes jointes à la déclaration, mais aucun ajout correspondant au montant du prêt indiqué comme créance douteuse dans les états financiers n'était intégré au revenu dans ces annexes T2S1, ce qui avait pour effet de réduire le revenu de la société du montant de la créance douteuse. On s'est beaucoup attardé, durant les témoignages, sur le fait que les comptables s'étaient trompés au moment de remplir les annexes de la déclaration fiscale, et sur le fait que l'appelante n'entendait nullement déduire la somme autrement que comme perte en capital; cependant, il est clair que l'appelante réclamait, pour la même radiation, à la fois une perte en capital et une perte d'entreprise, bénéficiant ainsi d'une double déduction.

 

[16]         Il semble hors de doute que l'erreur n'était pas intentionnelle et qu'elle a échappé à l'attention des administrateurs de l'appelante dans les états financiers ou les déclarations fiscales; ils ont reconnu que le président les avait signés, mais sans les examiner. Ils ont témoigné qu'ils ne s'en étaient pas même aperçus avant que l'ARC ne procède à la vérification de fin d'exercice de 2004. L'intimée elle‑même a admis dans ses arguments que l'ARC ne s'était rendu compte de la double déduction qu'à ce moment‑là et qu'elle n'avait pu y remédier parce que l'année d'imposition 1998 de l'appelante était alors frappée de prescription. Il a aussi été établi que les deux frères avaient terminé leurs études secondaires et que l'un d'eux avait fait quelques années d'études universitaires, qu'il n'avait pas achevées. Sans doute voulaient‑ils montrer par là que leurs études n'étaient pas suffisantes pour qu'ils aient pu prendre conscience tout de suite de l'erreur, ou encore qu'ils avaient toutes les raisons de s'en remettre totalement à leurs comptables sans poser de questions ni revoir leur travail. Si l'on s'en tient à leurs témoignages, il n'y aurait aucune raison de douter des intentions des deux frères ou de l'appelante, et l'intimée ne les a pas mises en doute, faisant plutôt valoir qu'en fait, cela était sans importance, puisqu'il n'était pas question d'imposer des pénalités dans cette situation, et les déclarations fiscales de 1998 avaient d'ailleurs été acceptées telles quelles, sans que de nouvelles cotisations aient été établies, l'appelante ayant ainsi bénéficié des deux déductions. En outre, le vérificateur fiscal chargé du dossier a confirmé que ce n'était pas cet aspect qui avait conduit à la vérification.

 

[17]         En novembre 2003, l'appelante a prêté à Brookshire une somme suffisante, dont une partie a servi à rembourser le prêt initial déjà intégralement radié, donnant lieu ainsi à l'intégration de cette somme au revenu par suite du recouvrement du prêt. En fait, le seul point à décider dans la présente espèce est de savoir si la somme en question constitue un recouvrement de la créance irrécouvrable, imposable conformément à l'alinéa 12(1)i) de la Loi, ou si elle devrait être considérée comme une perte en capital conformément au paragraphe 40(1) de la Loi.

 

Les positions des parties

 

[18]         Selon l'appelante, c'est le paragraphe 40(1) qui doit être appliqué, plutôt que l'alinéa 12(1)i), pour les raisons suivantes :

 

1.       Le prêt initial consenti à Brookshire par l'appelante, laquelle n'exerçait pas des activités de prêt d'argent, était une immobilisation de l'appelante, employée par Brookshire pour construire une immobilisation. La perte qui en est résultée avait été validement déclarée en 1998 comme perte en capital, en accord avec les intentions de l'appelante, tandis que l'inscription de cette perte dans les états financiers à titre de créance douteuse, sans contre‑passation dans les annexes de la déclaration fiscale, était fautive. L'appelante fait valoir en fait que cette erreur ne modifie pas la nature du prêt, qui était de la nature d'une immobilisation, et que l'erreur commise dans la déclaration fiscale de 1998 ne saurait resurgir dans la déclaration de 2004, dont la cotisation doit être établie selon le droit applicable, et qu'il s'agit donc d'une perte en capital.

 

2.       Les deux dispositions ne concernent pas le même objet. L'alinéa 12(1)i) s'applique au revenu provenant d'une entreprise ou d'un bien, et le paragraphe 40(1) s'applique aux gains en capital, et la distinction entre ces types de revenu constitue un principe fondamental de la Loi.

 

3.       Même si on considérait ces dispositions comme portant sur le même objet, l'alinéa 12(1)i) ne peut être vu comme une disposition plus spécifique que le paragraphe 40(1), car il s'agit dans les deux cas de dispositions générales portant sur des types différents de revenu.

 

[19]         La position de l'intimée est que l'intention de l'appelante n'importe pas et que, puisque l'appelante avait en fait déduit la perte comme créance douteuse, les dispositions de l'alinéa 12(1)i) avaient pour effet de traiter le remboursement du prêt comme un recouvrement de revenu ordinaire. En outre, bien que les deux dispositions de la Loi puissent s'appliquer, le paragraphe 248(28) interdit au ministre d'invoquer les deux dispositions pour imposer deux fois le recouvrement du prêt, et donc, puisque l'alinéa 12(1)i) est une disposition particulière portant sur le recouvrement, il doit être appliqué de préférence aux dispositions plus générales du paragraphe 40(1), compte tenu des principes d'interprétation.

 

Le droit applicable

 

[20]         L'alinéa 12(1)i) de la Loi est ainsi formulé :

 

12(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

 

[...]

 

i) les sommes reçues au cours de l'année — sauf si elles sont visées à l'alinéa i.1) — sur une créance, un prêt ou un titre de crédit qui a fait l'objet d'une déduction pour créance irrécouvrable ou pour prêt ou titre de crédit irrécouvrable dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d'imposition antérieure;

 

[...]

 

[21]         Le paragraphe 40(1) est formulé ainsi :

 

40(1) Sauf indication contraire expresse de la présente partie :

 

ale gain d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien est l'excédent éventuel :

 

(i) en cas de disposition du bien au cours de l'année, de l'excédent éventuel du produit de disposition sur le total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, calculé immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles‑ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition,

 

(ii) en cas de disposition du bien avant l'année, du montant éventuel dont le contribuable a demandé la déduction en vertu du sous‑alinéa (iii) dans le calcul de son gain pour l'année précédente, tiré de la disposition de ce bien,

 

sur :

 

(iii) sous réserve du paragraphe (1.1), le montant dont il peut demander la déduction, dans le cas d'un particulier — à l'exclusion d'une fiducie —, sur le formulaire prescrit présenté avec la déclaration de revenu prévue à la présente partie pour l'année et, dans les autres cas, dans la déclaration de revenu produite en vertu de la présente partie pour l'année, jusqu'à concurrence du moins élevé des montants suivants :

 

(A) un montant raisonnable à titre de provision à l'égard de toute partie du produit de disposition du bien qui lui est payable après la fin de l'année et qu'il est raisonnable de considérer comme une partie du montant déterminé en vertu du sous‑alinéa (i) pour ce bien,

 

(B) le produit de 1/5 de l'excédent déterminé en vertu du sous‑alinéa (i) pour ce bien et de l'excédent éventuel de 4 sur le nombre d'années d'imposition antérieures du contribuable qui se terminent après la disposition du bien;

 

bla perte d'un contribuable résultant, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien est :

 

(i) en cas de disposition du bien au cours de l'année, l'excédent éventuel du total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles‑ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition sur le produit de disposition du bien qu'il en a tiré,

 

(ii) dans les autres cas, nulle.

 

[22]         Le paragraphe 248(28) est, quant à lui, formulé ainsi :

 

248(28) Sauf intention contraire évidente, les dispositions de la présente loi n'ont pas pour effet :

 

ad'exiger l'inclusion ou de permettre la déduction, directement ou indirectement, d'une somme dans le calcul du revenu, du revenu imposable ou du revenu imposable gagné au Canada d'un contribuable pour une année d'imposition ou du revenu ou de la perte d'un contribuable pour une année d'imposition provenant d'une source déterminée ou de sources situées dans un endroit déterminé, dans la mesure où cette somme a été incluse ou déduite, directement ou indirectement, dans le calcul de ce revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada ou de cette perte pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure;

 

bde permettre la déduction, directement ou indirectement, d'une somme dans le calcul de l'impôt payable par un contribuable en vertu d'une partie de la présente loi pour une année d'imposition, dans la mesure où cette somme a été déduite, directement ou indirectement, dans le calcul de cet impôt pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure;

 

cde considérer qu'une somme a été payée au titre de l'impôt payable par un contribuable en vertu d'une partie de la présente loi pour une année d'imposition, dans la mesure où cette somme est considérée comme ayant été payée au titre de cet impôt pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure.

 

[23]         Les alinéas 3a) et b) sont rédigés ainsi :

 

3. Pour déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

 

ale calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien) dont la source se situe au Canada ou à l'étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

 

ble calcul de l'excédent éventuel du montant visé au sous‑alinéa (i) sur le montant visé au sous‑alinéa (ii) :

 

(i) le total des montants suivants :

 

(A) ses gains en capital imposables pour l'année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

 

(B) son gain net imposable pour l'année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

 

(ii) l'excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l'année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise pour l'année, subies par le contribuable;

 

[...]

 

[24]         L'article 9 est formulé ainsi :

 

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

 

(2) Sous réserve de l'article 31, la perte subie par un contribuable au cours d'une année d'imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l'année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l'application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

 

(3) Dans la présente loi, le revenu tiré d'un bien exclut le gain en capital réalisé à la disposition de ce bien, et la perte résultant d'un bien exclut la perte en capital résultant de la disposition de ce bien.

 

[25]         Selon l'intimée, puisque le paragraphe 40(1) commence par les mots « Sauf indication contraire expresse de la présente partie [...] », il s'agit là d'une disposition générale ouvrant en fait la voie à des dispositions plus spécifiques portant sur d'autres objets, en l'occurrence le recouvrement de créances. L'intimée dit que, puisque l'alinéa 12(1)i) ne renferme pas une réserve du genre et traite du recouvrement, dans le revenu, de créances irrécouvrables déjà passées en charges, cet alinéa doit avoir préséance sur le paragraphe 40(1).

 

[26]         L'intimée se fonde sur l'arrêt Assurance‑vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance‑vie c. La Reine, 2006 CAF 161, où le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, exposait, au paragraphe 9, ce principe d'interprétation :

 

9          Un des principes fondamentaux de l'interprétation législative veut qu'une loi ou une disposition d'une loi qui traite d'une matière d'une façon spécifique doit avoir préséance et l'emporter sur une loi ou une disposition à caractère général traitant de la même matière. [...]

 

[27]         Ce principe d'interprétation des lois invoqué par l'intimée et repris dans l'arrêt ci‑dessus est résumé dans l'ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition (Butterworths, Markham (Ontario), 2002), à la page 273 :

 

[TRADUCTION]

 

Lorsque deux dispositions sont contradictoires et que l'une d'elles traite explicitement de l'objet en cause alors que l'autre est d'application plus générale, on évitera la contradiction en appliquant la disposition particulière à l'exclusion de la disposition plus générale. [...]

 

[28]         Il s'agit, comme l'a fait observer l'appelante dans sa plaidoirie, d'une stratégie de résolution de conflit, qui ne s'applique que lorsque deux dispositions s'opposent.

 

[29]         Je ne suis évidemment pas en désaccord avec le principe bien connu exposé ci‑dessus, mais, en premier lieu, il faut se demander si les deux dispositions s'opposent effectivement au motif qu'elles concernent le même objet, puis, dans l'affirmative, comme l'écrivait le juge Létourneau, il faut se demander si l'une des dispositions est spécifique et l'autre générale.

 

[30]         Ainsi qu'il ressort du texte des dispositions légales susmentionnées, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage une imposition différente pour des types différents de revenu et, dans les dispositions susmentionnées, elle fait clairement la distinction entre l'imposition du revenu tiré d'une source qui est une entreprise ou un bien, ou encore un emploi ou une charge, et l'imposition du revenu tiré d'une source de la nature d'une immobilisation. L'alinéa 3a) de la Loi reconnaît d'emblée cette dichotomie en incluant dans le revenu du contribuable tout revenu « autre qu'un gain en capital imposable », gain dont l'inclusion dans le revenu est traitée par l'alinéa 3b). Le paragraphe 9(1) dispose que le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien est le bénéfice qu'il en tire, et le paragraphe 9(3) prévoit explicitement que le revenu tiré d'un bien exclut le gain en capital réalisé à la disposition de ce bien, et que la perte résultant d'un bien exclut la perte en capital résultant de la disposition de ce bien.

 

[31]         Dans l'arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major, qui devait dire si une déduction était une déduction du revenu d'entreprise ou bien une perte en capital, avait confirmé la dichotomie, au paragraphe 28 :

 

28        Le deuxième problème que pose l'interprétation préconisée par l'intimée tient à son incompatibilité avec la dichotomie fondamentale que la Loi de l'impôt sur le revenu établit entre le revenu d'entreprise et le gain en capital. Comme cela a déjà été mentionné, la sous‑section b de la section B de la Loi porte sur le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, tandis que la sous‑section c de la section B porte sur les gains en capital. La Loi définit deux types de biens, qui correspondent respectivement à chacune de ces sources de revenu. Les biens en immobilisation (définis à l'al. 54b)) engendrent un gain ou une perte en capital lors de leur aliénation. Les biens figurant dans un inventaire sont des biens dont le coût ou la valeur entre dans le calcul du revenu d'entreprise. La Loi crée ainsi un système simple qui ne reconnaît que deux catégories générales de biens. La qualification d'un bien comme bien figurant dans un inventaire ou comme bien en immobilisation est fondée principalement sur le type de revenu qui sera tiré de ce bien.

 

[32]         Il faut donc commencer par qualifier le prêt en cause : s'agit‑il d'une immobilisation, ou s'agit‑il d'un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien? Il n'est pas contesté ici que l'appelante n'exerçait pas des activités de prêt d'argent et que le fait de consentir les prêts à sa société affiliée n'était donc pas pour elle une source de revenu d'entreprise. L'intimée elle‑même a reconnu que, si l'appelante n'avait déduit la somme qu'à titre de perte en capital, elle aurait été une perte en capital, c'est‑à‑dire une perte résultant de l'aliénation d'un bien en immobilisation. L'intimée fait valoir que, puisque l'appelante a également déduit la créance irrécouvrable comme perte d'entreprise, cette créance irrécouvrable devient également une perte résultant d'une entreprise ou d'un bien. Cela va à l'encontre de la dichotomie établie par la Loi et de la nécessité de qualifier le revenu d'une manière ou de l'autre; cela va à l'encontre également de la position de l'intimée pour qui il s'agit aussi d'un bien en immobilisation.

 

[33]         Il convient aussi de noter que, nonobstant l'erreur commise par l'appelante lorsqu'elle a déduit le montant du prêt à la fois comme perte en capital et comme créance douteuse en le déduisant de son revenu d'entreprise, ou nonobstant l'erreur faite par le ministre dans la manière de considérer ces déductions, ces erreurs ne modifient pas la nature du bien ni la manière dont il devra être traité sur le plan fiscal au cours d'années futures non frappées de prescription. Dans la décision Leola Purdy, Sons Ltd. c. La Reine, 2009 CCI 21, l'appelante avait incorrectement déclaré comme pertes en capital des pertes subies en 1998 à la suite de la disposition de contrats à terme sur indice boursier, sans que le ministre ne procède à une nouvelle cotisation, et elle avait déclaré comme gains en capital les gains tirés de la même source durant son année d'imposition 2002, année pour laquelle le ministre avait procédé à une nouvelle cotisation en faisant de ces gains un revenu d'entreprise. L'appelante avait accepté la qualification de tels gains comme revenu d'entreprise en 2002, mais avait fait valoir qu'elle devrait être autorisée également à requalifier comme perte d'entreprise la perte de 1998, une année frappée de prescription. Le juge en chef Rip, rejetant la position de l'appelante, s'est fondé sur une décision de l'ancien juge en chef Bowman, Coastal Construction and Excavating Limited c. La Reine, no 94‑1724(IT)G, 5 septembre 1996 :

 

[...] Le ministre est tenu d'établir la cotisation conformément à la loi. S'il établit une cotisation erronée à l'égard d'une année antérieure et que cette année devienne par la suite prescrite, il ne peut pas établir une nouvelle cotisation pour cette année‑là. Cela ne l'empêche toutefois pas de corriger l'erreur dans une année qui n'est pas prescrite, même si cela comporte le rajustement des soldes pouvant être reportés d'années antérieures [...]

 

[34]         Cette obligation du ministre d'établir une cotisation pour chaque année en application de la loi est, selon moi, bien établie en droit, et elle est confirmée, comme l'a fait valoir l'intimée, dans des décisions des tribunaux de tous les niveaux, allant de la Cour suprême du Canada (arrêt Canderel ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147), à la Cour d'appel fédérale (arrêt R. c. Papiers Cascades Cabano inc., 2006 CAF 419), et enfin à la Cour canadienne de l'impôt (Trom Electric Co. Ltd. c. La Reine, 2004 CCI 727, 170635 Canada ltée c. Ministre du Revenu national, 93 D.T.C. 1120, Coastal Construction, précité). Dans la décision Krauss c. Canada, 2009 CCI 597, le juge McArthur écrivait ce qui suit, au paragraphe 26 :

 

26        [...] Il est sans aucun doute logique d'admettre la déduction de 70 571 $ en vue de maintenir la symétrie à l'égard du traitement par l'appelante du montant initial de 198 617 $, mais le ministre doit établir sa cotisation conformément à la loi. En d'autres termes, le ministre ne doit pas, et la Cour non plus, perpétuer une erreur au cours d'une année future afin d'arriver à un résultat compatible avec celui d'une année antérieure au cours de laquelle le contribuable a commis une erreur. [...]

 

[35]         Au paragraphe 27 de la décision Trom Electric, précitée, le juge Paris a confirmé que, même si l'application correcte de la Loi a pour effet que le contribuable échappera à l'impôt ou, disons‑le, obtiendra un avantage quelconque auquel il n'aurait pas autrement eu droit en vertu de la Loi parce qu'il a déclaré d'anciennes opérations d'une manière inexacte au cours d'années frappées de prescription, c'est là le prix à payer pour une application correcte de la Loi dans les années futures :

 

27        Il importe peu que l'appelante puisse échapper à un impôt sur le montant qui est ici en cause à moins que la nouvelle cotisation ne soit confirmée. [...]

 

[36]         Compte tenu des décisions susmentionnées, il est clair que, si le prêt a été validement classé comme étant à titre de capital en 2004, ce qui est le cas selon moi, le ministre ne saurait invoquer le fait que l'appelante a aussi, par erreur, inscrit le prêt comme créance douteuse dans sa déclaration de 1998, puis s'autoriser de ce fait pour requalifier la source de revenu comme étant une entreprise ou un bien, quand bien même l'appelante bénéficierait‑elle au final d'une évidente double déduction.

 

[37]         Il est clair que la bonne qualification du revenu en 2004 est celle d'un remboursement de prêt, un remboursement effectué à titre de capital. Il est clair aussi que l'alinéa 12(1)i) ne concerne que l'inclusion du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, par intégration, dans le revenu, du recouvrement d'une créance irrécouvrable auparavant passée en charges. Le paragraphe 40(1) concerne les gains en capital et les pertes en capital, et donc le prêt lui‑même à titre de capital. Pour ce qui concerne la relation entre les deux dispositions, la seule conclusion rationnelle que l'on puisse tirer est que le paragraphe 40(1), l'unique disposition qui se rapporte aux éléments de capital, doit être la seule des dispositions, et non seulement la plus spécifique des deux, à concerner le gain en capital résultant du recouvrement du prêt. Cela étant, il m'est impossible de dire qu'il y a entre les deux dispositions un conflit de nature à faire intervenir le principe d'interprétation proposé par l'intimée.

 

[38]         Je me sens contraint d'ajouter que je partage l'avis de l'intimée selon lequel, pour savoir s'il y a conflit entre les deux dispositions, il ne faut pas les interpréter d'une manière indûment textuelle. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, a retenu la méthode moderne d'interprétation citée dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 :

 

21        [...] notre Cour a rejeté l'approche restrictive en matière d'interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d'interprétation moderne s'applique autant à ces lois qu'aux autres lois. En d'autres termes, « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » [...]

 

[39]         L'intimée semble se fonder sur le strict libellé de l'alinéa 12(1)i), qui dit essentiellement que, si l'on a déduit une créance douteuse du revenu, il faut ensuite l'y inclure, ce à quoi l'appelante répond qu'il s'agit là d'une interprétation qui ne tient pas compte du contexte de la disposition, laquelle traite du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Comme on peut le lire dans l'arrêt Friesen, précité, la dichotomie entre gain en capital et revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien est mise en relief par le fait qu'ils se trouvent dans des sous‑sections différentes de la section B de la partie I de la Loi. Par conséquent, vu la place de chacun d'eux dans la Loi, la dichotomie apparaît clairement et confirme la position de l'appelante selon laquelle l'alinéa 12(1)i), dans la sous‑section b de la section B, intitulée « Revenu ou perte provenant d'une entreprise ou d'un bien », concerne des objets qui échappent à la sous‑section c, intitulée « Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles », dans laquelle se trouve le paragraphe 40(1).

 

[40]         Il se peut fort bien, au sens plus général, que les deux dispositions concernent les créances irrécouvrables, mais l'une, dans son contexte, concerne les créances irrécouvrables se rapportant à une source de revenu qui est une entreprise ou un bien, tandis que l'autre, dans son contexte, concerne les créances irrécouvrables résultant de la disposition, ou de la disposition réputée (par l'effet du paragraphe 50(1) de la Loi), d'un bien en immobilisation; il s'agit là d'objets différents. Ainsi que l'écrivait le juge Iacobucci au paragraphe 29 de l'arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559 :

 

29        [...] Une ambiguïté doit être « réelle » (Marcotte, précité, p. 115). Le texte de la disposition doit être [traduction] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d'une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. Sont pertinents à cet égard les propos suivants, prononcés par le juge Major dans l'arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14 : « C'est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s'harmonisent chacune également avec l'intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d'interprétation externes » (je souligne), propos auxquels j'ajouterais ce qui suit : « y compris d'autres principes d'interprétation ».

 

[41]         Par ailleurs, j'ai de sérieuses interrogations sur la position de l'intimée pour qui, si l'appelante a déduit une perte en capital ici, il s'agit d'une perte en capital, et si elle a déduit une créance douteuse, il s'agit d'une déduction effectuée sur un revenu d'entreprise. Puisque l'appelante a demandé les deux déductions, alors appliquons, dit l'intimée, la règle d'interprétation selon laquelle les dispositions particulières l'emportent sur les dispositions générales. Selon cette méthode, tout contribuable serait encouragé à déduire, à dessein, toutes les pertes résultant d'un prêt comme créances douteuses, que le prêt en question soit ou non à titre de capital, et cela, sans risquer d'être épinglé par le vérificateur, puisque, même s'il est épinglé, il pourra s'en remettre à la position de l'intimée et dire, pour éviter des pénalités, qu'il n'y a pas eu fausse déclaration de sa part, ni tromperie. Cette interprétation conduirait à un résultat absurde.

 

[42]         L'intimée s'est fondée sur un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Compagnie pétrolière Impériale ltée c. Canada, 2004 CAF 361, pour affirmer que la Loi peut explicitement considérer un poste de revenu à la fois comme un gain en capital et comme un revenu d'entreprise, et cela, en dépit de la dichotomie, auquel cas, compte tenu de la règle interdisant une double imposition ou une double déduction, règle énoncée au paragraphe 248(28) précité, il faut recourir au principe consistant à s'en remettre à la disposition particulière de la Loi plutôt qu'à la disposition générale. Dans l'arrêt Compagnie pétrolière Impériale, la question posée concernait la déductibilité de pertes de change en tant que partie du coût d'un emprunt, et il fallait plus précisément se demander si le coût du rachat des débentures de l'appelante, émises à escompte et libellées en dollars américains, qui avait augmenté entre la date d'émission et la date de rachat en raison d'une dépréciation du dollar canadien, devait être considéré comme une perte en capital ou comme un coût de l'emprunt, mettant ainsi en opposition l'alinéa 20(1)f) de la Loi, qui concerne le traitement des déductions d'entreprise, et le paragraphe 39(2), qui concerne les pertes en capital. La Cour d'appel fédérale a jugé que le sous‑alinéa 20(1)f)(ii) était une disposition plus spécifique, et qu'il s'appliquait.

 

[43]         Malheureusement pour l'intimée, elle ne s'est pas aperçue que la décision de la Cour d'appel fédérale a été infirmée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Compagnie pétrolière Impériale ltée c. Canada, [2006] 2 R.C.S. 447. Aux paragraphes 67 et 68, le juge LeBel y écrit :

 

67        Selon moi, l'al. 20(1)f) n'a jamais été censé s'appliquer aux pertes sur change. [...] Par contre, l'interprétation que préconisent les intimées dans les présents pourvois fait de l'al. 20(1)f) une disposition générale prévoyant la déductibilité d'un large éventail de frais liés au financement en devises étrangères, en l'absence de mention de ces frais dans le texte de la LIR et malgré le fait que ces frais sont généralement considérés comme étant au titre du capital.

 

68        L'interprétation préconisée par les intimées entre donc en conflit avec la méthode de traitement générale des gains et pertes en capital dans la LIR. Plus particulièrement, elle révèle une omission d'apprécier correctement le rôle de l'art. 39. [...]

 

[44]         À mon avis, la Cour suprême du Canada a clairement reconnu la différence de traitement entre le revenu tiré d'un gain en capital et le revenu tiré d'une autre source, avec les déductions afférentes à chaque source, et elle a précisé qu'il faut d'abord qualifier les éléments en question avant de déterminer la nature de leur objet.

 

[45]         L'appel est donc accueilli, avec dépens en faveur de l'appelante.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juillet 2010.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d'octobre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 388

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2008‑3556(IT)G

 

INTITULÉ :                                       BARRINGTON LANE DEVELOPMENTS LIMITED et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 4 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge F. J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Mes Bruce S. Russell, c.r.

et Karen D. Stilwell

Avocate de l'intimée :

Me Deanna M. Frappier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :           Bruce S. Russell, c.r.

                                       et Karen Stilwell

 

                   Cabinet :      McInnes Cooper

                                       Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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