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Dossier : 2009‑1197(IT)G

ENTRE :

CLAUDE CHAGNON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 13 avril 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Pierre Barsalou

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2005 de l’appelant est accueilli, avec dépens, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2011.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


 

 

 

Référence : 2011 CCI 268

Date : 20110525

Dossier : 2009‑1197(IT)G

ENTRE :

CLAUDE CHAGNON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]              La présente affaire découle de la vente fortement médiatisée, en 2000, du Groupe Vidéotron ltée (« Vidéotron ») à Quebecor Média Inc. (« QMI ») par la famille Chagnon ainsi que de l’offre concurrente non retenue de Rogers Communications Inc.

 

[2]              Les principales questions à trancher en l’espèce portent sur l’étendue et l’application de la déduction prévue à l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu dont peut se prévaloir un employé relativement aux frais judiciaires liés à son salaire.

 

 

I. Les faits

 

[3]              Les faits de l’affaire sont assez simples. Les parties ont déposé un exposé partiel et conjoint des faits, dont une copie est jointe aux présents motifs. Aucun témoin n’a été appelé. Les 11 pièces déposées en preuve sont décrites dans l’exposé partiel et conjoint des faits.

 

[4]              En janvier 2000, M. Claude Chagnon a été nommé président et chef de la direction de Vidéotron. Dans le cadre du régime salarial, on lui accordait des options (en plus de celles qu’il détenait déjà) d’achat d’actions de Vidéotron conformément au régime de 1991 d’options d’achat d’actions de l’entreprise. Le nombre total d’options supplémentaires, soit celles de base et celles liées au rendement, s’élevait à 1 223 033. Le prix de levée des options était fixé à 26 $ l’action en fonction du prix de négociation des actions de Vidéotron. Les parties ont convenu que les actions étaient liées à l’emploi de M. Chagnon et, plus particulièrement, à sa nomination à ce moment‑là au poste de président et chef de la direction. Le salaire et les avantages, y compris les options, ont été fixés par un membre indépendant du conseil, qui suivait l’avis de tiers.

 

[5]              En octobre 2000, le régime d’options d’achat d’actions de Vidéotron a été modifié afin qu’il y soit précisé qu’au moment de la levée d’une option, l’employé pouvait plutôt choisir de recevoir un salaire additionnel équivalant à l’écart entre la juste valeur marchande de l’action et le prix de levée de l’option, auquel cas, l’option deviendrait caduque.

 

[6]              À la suite de l’acquisition de Vidéotron par QMI, Claude Chagnon a choisi de recevoir un salaire additionnel de Vidéotron, conformément au régime modifié d’options d’achat d’actions. Il a reçu 19 $ pour chacune des 1 223 033 options, ce qui représentait l’écart entre la valeur de l’action (45 $) et le prix de levée de l’option (26 $). Cela donnait un montant total de 23 237 627 $ pour les options en question, lequel montant a été versé à M. Chagnon net d’impôt. Un feuillet T4 comprenant ce montant a été remis par Vidéotron à M. Chagnon et ce dernier a déclaré ledit montant à titre de revenu d’emploi aux fins de l’impôt.

 

[7]              Les frais judiciaires en cause sont des frais afférents à la défense de M. Chagnon dans le cadre d’une action en justice intentée contre lui deux ans plus tard devant la Cour supérieure du Québec par Vidéotron et QMI, lesquelles se sont vu débouter. Vidéotron et QMI cherchaient à recouvrer le montant de 23 237 627 $ en faisant valoir que M. Chagnon avait eu de l’information privilégiée concernant l’intérêt que manifestait Rogers à l’égard de Vidéotron au moment où les options lui ont été octroyées et qu’il avait manqué à son devoir de loyauté envers Vidéotron. En 2009, la Cour supérieure du Québec a rejeté, avec dépens, l’action contre M. Chagnon. Dans ses motifs de jugement, le juge Riordan a conclu que les conditions du régime de rémunération de M. Chagnon, y compris les options, étaient celles qu’avait proposées un directeur indépendant agissant selon les conseils d’experts et qu’elles avaient simplement été acceptées par M. Chagnon, sans négociation. La Cour supérieure du Québec a conclu que M. Chagnon n’avait commis aucun délit.

 

[8]              L’appel en l’espèce porte sur l’année d’imposition 2005 de M. Chagnon. Au cours de cette année d’imposition, il a engagé des frais judiciaires s’élevant à 383 005 $ relativement à l’action intentée contre lui par Vidéotron et QMI.

 

 

II. Le droit

 

[Loi de l’impôt sur le revenu]

 

8(1) Éléments déductibles Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

8(1) Deductions allowed — In computing a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto:

 

[…]

 

 

. . .

 

b) Frais judiciaires d’un employé   les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

(b) Legal expenses of employee — amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by the taxpayer to collect or establish a right to salary or wages owed to the taxpayer by the employer or former employer of the taxpayer;

 

 

[9]              Les questions à trancher sont les suivantes :

 

(1)              L’application de l’alinéa 8(1)b) s’étend‑elle aux frais judiciaires engagés par un employé se défendant dans le cadre d’une action intentée contre lui par un employeur, ou un membre d’un groupe d’employeurs liés, qui cherche à recouvrer une partie du salaire reçu par l’employé?

 

(2)              Si l’alinéa 8(1)b) a bel et bien une telle portée, s’applique‑t‑elle aux faits en l’espèce?

 

[10]         La question de la portée de l’alinéa 8(1)b), selon une interprétation appropriée de celui‑ci, a été examinée par la juge Woods dans Fenwick c. La Reine, 2008 CCI 243, 2008 DTC 3523. Dans Fenwick, il était question de frais judiciaires engagés par le contribuable afin d’assurer sa défense dans une action en justice intentée contre lui par ses deux sœurs actionnaires ainsi que dans une action dérivée intentée par elles au nom de la société privée dont le contribuable était le président. Le contribuable n’était pas le seul défendeur dans cette affaire. Parmi les nombreuses prétentions formulées, il y en avait une voulant que le contribuable ait reçu une rémunération excessive. Dans la déclaration, on demandait une déclaration de fiducie, une ordonnance de récupération ainsi que des dommages‑intérêts de 100 000 000 $.

 

[11]         Dans Fenwick, la juge Woods a décrit de la façon suivante la première question qui se pose en l’espèce :

 

[21]      Les éléments de la disposition qui sont particulièrement pertinents en l’espèce sont les suivants : (1) la déduction est effectuée aux fins du calcul du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi; (2) les frais doivent être engagés par un employé (y compris un dirigeant); et (3) les frais doivent être engagés aux fins du recouvrement du traitement ou du salaire qui est dû ou aux fins de l’établissement du droit à ceux‑ci.

 

[22]      Je ferai d’abord des remarques au sujet du mot « dû » figurant à l’alinéa 8(1)b). L’intimée affirme que l’emploi de ce mot donne à entendre que le législateur songeait à des litiges concernant la rémunération non versée. Si cette interprétation est exacte, cela porterait un coup fatal à l’appel parce que la poursuite engagée par Hemispheres n’a rien à avoir avec la rémunération non versée.

 

[23]      À l’appui de cette position, l’intimée a renvoyé à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Loo v. The Queen, 2004 DTC 6540. Il est soutenu que, selon l’arrêt Loo, le contribuable doit remplir deux conditions afin d’être admissible à la déduction prévue à l’alinéa 8(1)b). Dans l’arrêt Loo, ces conditions ont été appelées les « volets » de la disposition; ces volets sont décrits en ces termes aux paragraphes 7 et 8 de la décision :

 

[7]        L’alinéa 8(1)b) comporte deux volets. Le premier volet permet de déduire des frais judiciaires engagés dans une action intentée afin de recouvrer le traitement ou le salaire dû. Il vise un litige résultant de l’omission d’un employeur de payer le traitement ou le salaire dû à un employé. Dans un tel cas, il est possible qu’il n’y ait pas de litige quant au montant du traitement ou du salaire que l’employé a le droit de recevoir pour les services qu’il a fournis, mais il peut y avoir un litige factuel quant au montant du traitement ou du salaire demeurant impayé.

 

[8]        Le deuxième volet de l’alinéa 8(1)b) vise une situation dans laquelle la question en litige est celle du droit au salaire réclamé. Le deuxième volet s’applique si, par exemple, un individu engage des frais judiciaires pour porter devant les tribunaux un litige factuel à l’égard de la question de savoir s’il a effectivement fourni les services prévus par le contrat de travail ou un litige quant au taux de salaire payable pour les services fournis. Cela inclurait, par exemple, un litige à l’égard des conditions d’emploi.

 

[24]      Je ferai brièvement remarquer que je n’interprète pas l’arrêt Loo de la façon préconisée par l’intimée, à savoir qu’il faut satisfaire aux deux volets afin d’être admissible à la déduction. Une telle interprétation serait contraire au texte de la disposition légale, qui permet clairement une déduction dans deux cas différents – les frais judiciaires ou extrajudiciaires visant le « recouvrement » et les frais judiciaires ou extrajudiciaires visant à « établir un droit ».

 

[25]      L’interprétation restreinte du mot « dû » proposée par l’intimée me préoccupe parce qu’il est difficile de voir pourquoi le législateur voudrait faire une distinction selon que la rémunération a été payée ou qu’elle ne l’a pas été. Dans ce contexte, il semble plus sensé d’interpréter le mot « dû » comme étant l’équivalent du mot « gagné ».

 

[26]      Toutefois, je n’ai pas à tirer de conclusion sur ce point parce que, à mon avis, les frais que l’appelant a engagés ne peuvent pas être déduits, et ce, pour d’autres raisons.

 

[27]      En l’espèce, il s’agit essentiellement de savoir si l’appelant a engagé des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour établir un droit à un traitement ou à un salaire. J’ai conclu que ce n’était pas le cas, essentiellement parce que rien ne montre que la poursuite dont on avait menacé l’appelant influerait sur le droit de celui‑ci au traitement ou au salaire qu’Hemispheres ou Fenwix lui avaient versé.

 

[12]         Constituait une remarque incidente le commentaire de la Cour, − qui a considéré le mot « dû » ou « owed » comme l’équivalent de « gagné » − selon lequel, interprété comme il se doit, l’alinéa 8(1)b) peut s’appliquer aux frais judiciaires engagés par un contribuable pour défendre son droit de ne pas avoir à rembourser un salaire lui ayant été versé. La Cour a enfin conclu que le contribuable ne pouvait pas avoir gain de cause parce qu’il n’avait pas été en mesure d’établir, compte tenu de la preuve, que l’action en justice influerait sur son droit au salaire qui lui avait été versé.

 

[13]         La décision de la Cour a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fenwick c. Canada, 2008 CAF 370, 2009 DTC 5013. Les commentaires suivants de la juge Sharlow s’appliquent à la présente espèce :

 

[6]        L’avocat de M. Fenwick soutient que l’alinéa 8(1)b) devrait être interprété de manière à s’appliquer aux frais judiciaires ou extrajudiciaires assumés par l’appelant pour établir la légitimité du salaire que lui a versé Hemispheres, parce que l’appelant a dû démontrer que la rémunération qu’il a reçue était justifiée pour pouvoir prouver qu’il avait légalement le droit de la recevoir et de la conserver. Cet argument, ainsi que je le comprends, soulève une question d’interprétation de l’alinéa 8(1)b), une question de droit, ainsi que des questions sur la qualification des prétentions formulées contre M. Fenwick et sur l’application de l’alinéa 8(1)b) à cette qualification, des questions mixtes de droit et de fait. À moins que la juge Woods ait mal interprété l’alinéa 8(1)b) ou ait commis une erreur manifeste et dominante dans la qualification des allégations formulées contre M. Fenwick ou dans l’application de l’alinéa 8(1)b) aux faits, sa décision doit être maintenue.

 

[7]        La juge Woods n’a pas retenu l’interprétation large de l’alinéa 8(1)b) proposée au nom de M. Fenwick. J’estime qu’elle a eu raison. L’alinéa 8(1)b) a une portée relativement restreinte. Il vise les situations où un employé supporte des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour tenter de recouvrer un salaire ou traitement impayé ou cherche à régler un différend avec un employeur ou un ancien employeur quant au montant de salaire auquel l’employé a droit (voir Loo c. Canada, 2004 CAF 249). Dans les cas de différends avec l’employeur, l’employé allègue généralement une rétribution insuffisante.

 

[8]        La question de savoir si l’alinéa 8(1)b) s’applique aussi aux frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par une personne poursuivie par un employeur ou un ancien employeur qui sollicite le remboursement d’un salaire ou de traitements payés en trop n’a pas encore été tranchée. Aux fins du présent appel, je présumerai, sans statuer sur la question, que l’alinéa 8(1)b) pourrait s’appliquer dans ces circonstances. Toutefois, la juge Woods a conclu, et je souscris à son point de vue, que l’alinéa 8(1)b) n’a pas pour objet de permettre la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires afférents à un litige dans lequel des dommages-intérêts sont réclamés par suite de différends autres que ceux qui ont trait aux conditions d’emploi, du seul fait que le droit du défendeur à une rémunération donnée constitue un élément de la demande.

 

[14]         De plus, dans les circonstances, la Cour d’appel fédérale a approuvé la décision du juge de première instance de déterminer la nature essentielle des prétentions formulées contre le contribuable en se fondant sur la déclaration.

 

[15]         Je souscris aux remarques incidentes de la juge Woods dans Fenwick selon lesquelles l’alinéa 8(1)b) peut, voire doit, être interprété comme comprenant les frais judiciaires engagés par un employé afin de conserver un salaire lui ayant déjà été versé dans un cas où cet employé fait l’objet d’une action en justice visant à recouvrer le montant de ce salaire. Dans un tel cas, la question porte toujours sur le droit légal de l’employé à ce salaire, et l’employé cherche à établir ce droit.

 

[16]         C’est là une question dont la Cour d’appel fédérale ne se trouvait pas saisie dans l’affaire Loo c. Canada, 2004 CAF 249, 2004 DTC 6540, laquelle était antérieure à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Fenwick. De plus, la question en l’espèce est essentiellement différente des questions en litige dans les affaires citées par la Cour d’appel fédérale dans Loo, affaires où l’on cherchait, selon le cas, à établir le droit à une promotion qui aurait permis de gagner un revenu futur plus élevé, ou à faire maintenir une compétence professionnelle en vue de gagner un revenu futur, ou à obtenir d’un employeur des dommages‑intérêts pour une faute commise dans le cadre de l’emploi.

 

[17]         Il reste la question de savoir si l’action intentée contre M. Chagnon visait à recouvrer un salaire lui ayant été versé à titre d’employé ou bien si la situation de M. Chagnon était celle décrite dans Fenwick, où il s’agissait d’une demande de bien plus grande portée faite contre le contribuable relativement à des fautes qu’il aurait commises alors qu’il était un employé.

 

[18]         Je suis d’avis que, compte tenu des faits propres à la présente espèce, M. Chagnon devrait avoir gain de cause. La demande formulée contre lui portait sur l’octroi même des options au moment de sa nomination à titre de président et chef de la direction. Ma conclusion à cet égard aurait pu être différente s’il s’était agi d’une demande se rapportant à de l’information privilégiée qui aurait été utilisée dans le cadre de la disposition d’options que M. Chagnon avait déjà reçues. Le montant visé dans la Déclaration précisée présentée à la Cour supérieure du Québec est le montant exact du salaire additionnel déclaré par M. Chagnon à l’égard des options en cause. Il s’agit là de l’unique redressement demandé dans la Déclaration précisée. La Cour supérieure du Québec a conclu que M. Chagnon n’avait commis aucune faute; plus précisément, elle a conclu qu’il n’avait pas participé à l’établissement des modalités de l’octroi des options, et elle a rejeté l’action. Voilà qui est différent de la situation dans l’affaire Fenwick, où il y a eu un grand nombre d’allégations et où une transaction confidentielle est intervenue.

 

[19]         Il est vrai qu’à l’appui de leur tentative pour recouvrer le montant de salaire en cause tiré d’options, Vidéotron et QMI se sont fondées sur l’interdiction de l’utilisation d’informations privilégiées établie dans la Loi sur les valeurs mobilières ainsi que sur les dispositions du Code civil du Québec en matière de loyauté envers l’employeur. Le fait qu’elles étaient d’avis qu’il s’agissait là des moyens qui pouvaient le mieux appuyer leur tentative pour recouvrer le montant en question ne change en rien le fait important qu’elles cherchaient uniquement à recouvrer le montant même de la rémunération versée à M. Chagnon. L’intimée ne prétend pas que la restriction quant à la déductibilité des amendes et des pénalités, énoncée à l’article 67.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, s’applique en l’espèce.

 

[20]         Pour ces motifs, je conclus que l’appel doit être accueilli compte tenu du fait que le contribuable a engagé les frais judiciaires en cause afin d’établir son droit à un montant de salaire qu’il avait gagné.

 

[21]         En ce qui a trait au montant de la déduction des frais judiciaires demandée par M. Chagnon à l’égard de l’année d’imposition 2005, le montant de ces frais qu’il a engagés, soit 383 005 $, doit être réduit par le montant des dépens qui lui ont été adjugés par la Cour supérieure du Québec relativement à l’année 2005.

 

[22]         Le contribuable a présenté deux arguments subsidiaires sur lesquels je n’ai pas à me prononcer. Tout d’abord, il soutient que les frais judiciaires devraient être déductibles à titre de dépenses engagées en vue de tirer un revenu d’un bien − à savoir, les options − et que, par conséquent, ces frais devraient entraîner une perte matérielle correspondante pour 2005. Ensuite, le contribuable soutient que les frais judiciaires ont entraîné une perte en capital. Je tiens à souligner qu’étant donné que, suivant l’article 7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le revenu tiré d’options d’achat d’actions octroyées dans le cadre d’un emploi est réputé constituer un revenu d’emploi, j’ai beaucoup de difficulté à comprendre de quelle façon des options comme celles en cause, soit des options à l’égard desquelles tous les montants ont été inclus dans le calcul du revenu d’emploi, peuvent aussi constituer une source de revenu tiré d’un bien ou être une immobilisation. De même, comme les options sont devenues caduques en 2000, je vois mal comment elles auraient pu entraîner une perte matérielle en 2005.

 

[23]         L’appel est accueilli, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2011.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


ANNEXE

 

 

2009‑1197(IT)G

 

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

 

ENTRE :

 

CLAUDE CHAGNON

Appelant

 

-et-

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Intimée

 

 

 

EXPOSÉ PARTIEL ET CONJOINT DES FAITS

 

 

 

1.                  Avant le 19 janvier 2000, l’appelant détenait 426 467 options d’achat d’actions de Le Groupe Vidéotron Limitée (GVL) dont le prix d’exercice variait entre 6,225 $ et 24,10 $.

 

2.                  Le 19 janvier 2000, l’appelant est devenu le président et chef de direction de GVL et s’est vu à ce titre octroyer et a accepté 1 223 033 options d’achat d’actions de GVL au prix unitaire de 26 $.

 

Pièce 1 : Copie du procès‑verbal de la réunion du comité de régie d’entreprise et des ressources humaines de Le Groupe Vidéotron Ltée du 18 janvier 2000.

 

Pièce 2 : Copie du procès‑verbal de l’assemblée du conseil d’administration de Le Groupe Vidéotron Ltée du 19 janvier 2000.

 

Pièce 3 : Convention d’octroi d’options d’achat d’actions du 19 janvier 2000.

 

3.                  Le 16 octobre 2000, le régime d’options d’achat d’actions de GVL fut modifié pour permettre aux participants de recevoir de GVL un montant correspondant à la différence entre la valeur des actions de GVL pour lesquelles ils détiennent des options et le prix d’exercice de leurs options.

 

Pièce 4 : Copie de l’extrait du procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration de Le Groupe Vidéotron Ltée du 16 octobre 2000 approuvant cette modification au régime d’options d’achat d’actions.

 

4.                  Suite à une acquisition de GVL par Quebecor Média Inc. (QMI), le 23 octobre 2000, l’appelant s’est prévalu des modifications apportées au régime d’options d’achat d’actions concernant les 1 649 500 options d’achat d’actions qu’il détenait dans GVL.

 

5.                  Le prix d’exercice de ces options s’élevait à 37 544 583,50 $, dont 23 237 627 $[1] équivalent à la différence entre la valeur des actions de GVL résultant de la levée des 1 223 033 options acceptées le 19 janvier (soit 45 $) et le prix d’exercice des ces options (26 $).

 

6.                  De ce montant de 37 544 583,50 $, GVL a retenu à la source une somme de 19 023 840 $ et a versé à l’appelant la somme de 18 520 743 $.

 

7.                  L’appelant a inclus cette somme dans son revenu d’emploi tel que requis par l’alinéa 7(1)(b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2000.

 

Pièce 5 : Copie de T4 de Claude Chagnon pour l’année 2000.

 

8.                  GVL et QMI ont par ailleurs intenté une poursuite en 2002 réclamant à l’appelant la somme de 23 237 627 $, soit une somme équivalente à la différence entre la valeur des actions de GVL résultant de la levée des 1 223 033 options acceptées le 19 janvier et le prix d’exercice de ces options, sous prétexte que l’acceptation des 1 223 033 options d’achat de GVL le 19 janvier 2000 et l’exercice des droits relatifs à ces options d’achat d’actions représentaient dans les circonstances un délit d’initié aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières[2]. GVL et QMI invoquaient également que monsieur Chagnon avait manqué à son obligation de loyauté à titre d’administrateur et de dirigeant de GVL en contravention des articles 322 et 323 du Code civil du Québec et à son obligation précontractuelle de renseignement en contravention des articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec.

 

Pièce 6 : Déclaration précisée du Groupe Vidéotron Ltée et Quebecor Média inc. dans le dossier Le Groupe Vidéotron Ltée et Quebecor Média inc. c. Monsieur Claude Chagnon de la Cour supérieure portant le numéro 500-05-074208-024, datée du 15 novembre 2002.

 

Pièce 7 : Défense et demande reconventionnelle précisée de monsieur Claude Chagnon dans le dossier Le Groupe Vidéotron Ltée et Quebecor Média inc. c. Monsieur Claude Chagnon de la Cour supérieure portant le numéro 500-05-074208-024, datée du 23 janvier 2004.

 

9.                  Le 27 mai 2009, la Cour supérieure a rejeté la poursuite de GVL et QMI contre Claude Chagnon mentionnée dans le paragraphe ci-haut.

 

Pièce 8 : Copie du jugement de Le Groupe Vidéotron Ltée et Quebecor Média Inc. c. Monsieur Claude Chagnon de la Cour supérieure portant le numéro 500-05-074208-024, daté du 27 mai 2009.

 

10.             Dans le cadre de cette poursuite, l’appelant a engagé et déduit de son revenu pour les années d’imposition 2005 à 2009 les montants suivants à titre de frais judiciaires et d’expert en vertu de l’alinéa 8(1)(b) de la Loi :

 

 

Année fiscale

 

Montant des frais

judiciaires

2005

383 005,00

2006

678 846,63

2007

276 323,64

2008

237 982,67

2009

930 074,71

Total

2 506 232,65

 

 

11.             Par avis de cotisation daté du 21 août 2006, la Division de la vérification de l’Agence a refusé la déduction de 383 005,00 $ pour l’année fiscale 2005.

 

Pièce 9 : Copie de l’avis de cotisation, daté du 21 août 2006, refusant la déduction des frais judiciaires pour l’année d’imposition 2005.

 

12.             Le ou vers le 20 novembre 2006, l’appelant s’est opposé à l’avis de cotisation établi par l’intimée le 21 août 2006 pour l’année d’imposition 2005.

 

Pièce 10 : Copie de l’avis d’opposition, daté du 20 novembre 2006, contre l’avis de cotisation daté du 21 août 2006.

 

13.             Le ou vers le 19 janvier 2009, l’Agence du revenu du Canada a confirmé l’avis de cotisation daté du 21 août 2006.

 

Pièce 11 : Copie de la lettre de l’Agence du revenu du Canada datée du 19 janvier 2009.

 

14.             Seule la cotisation relative à l’année d’imposition 2005 est en litige devant cette Cour.

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 268

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009‑1197(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              CLAUDE CHAGNON c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 13 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Pierre Barsalou

 

Avocate de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                               Nom :                 Me Pierre Barsalou

 

                            Cabinet :                Barsalou Lawson

                                                          Montréal (Québec)

 

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           (45 $ moins 26 $) X 1 223 033 = 23 237 627 $.

[2]           Loi sur les valeurs mobilières du Québec, L.R.Q., c. V-1.1.

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