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Dossiers : 2009-2839(IT)G

2009-2838(IT)I

ENTRE :

JOHN F. GROSCKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus sur preuve commune les 10, 11, 12 et 13 juillet 2017 à Toronto (Ontario)

Devant : l’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimée :

Me André LeBlanc

 

JUGEMENT

    CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints et à un consentement à jugement ci-après mentionné, les appels se rapportant à l’année d’imposition 2003 sont accueillis aux motifs suivants :

  1. En vertu d’un consentement à jugement signé le 10 juillet 2017, aucun gain en capital n’a été dégagé du don de bienfaisance de l’appelant effectué le 4 décembre 2003;

  2. En vertu du même consentement à jugement en date du 10 juillet 2017, l’appelant a fait un don de bienfaisance le 4 décembre 2003 dont la juste valeur marchande était de 21 335 $ et a le droit de déduire à titre de don de bienfaisance ce montant pour l’année d’imposition 2004;

  3. L’appelant a le droit de déduire une dépense d’entreprise supplémentaire liée à des primes d’assurance de 4 010 $;

  4. L’appelant n’était pas un représentant légal au sens de l’article 159 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, chapitre 1, dans sa version modifiée (la Loi) et la nouvelle cotisation en date du 26 juin 2007 portant le numéro 9‑070626-013963 est donc annulée;

  5. Toutes les pénalités qui n’ont pas autrement été concédées sont annulées;

  6. Par souci de clarté, sauf si une ordonnance ultérieure sur les dépens est rendue, le cas échéant, l’appelant ne pourra bénéficier d’aucun autre remède;

  7. Les parties pourront présenter des observations écrites sur les dépens dans les 30 jours suivant la date du présent jugement rendu à l’égard de ces appels, et la Cour demande aux parties de tenir compte, dans leurs observations le cas échéant, du résultat mitigé des appels; et

  8. Les questions sont renvoyées au ministre du Revenu national pour un nouvel examen et une nouvelle cotisation suivant les motifs du jugement et le consentement à jugement susmentionné.

Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de décembre 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d’octobre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 249

Date : 20 171 211

Dossiers : 2009-2839(IT)G

2009-2838(IT)I

ENTRE :

JOHN F. GROSCKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]  La Cour est saisie de deux appels se rapportant à l’année d’imposition 2003 de l’appelant, M. Groscki. Cependant, ils portent sur deux cotisations fiscales très distinctes pour la même année.

A. Cotisation du cabinet comptable

[2]  La première nouvelle cotisation est liée au cabinet comptable de M. Groscki. Plus précisément, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation pour M. Groscki, propriétaire unique du cabinet comptable, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, chapitre 1, dans sa version modifiée (la « Loi ») pour rendre compte de ce qui suit :

a)  l’ajout d’un revenu non déclaré de 170 000 $ lié à certains honoraire de gestion (les « honoraires de gestion »);

  • b) la déduction non permise de 47 959 $ au titre de comptes débiteurs comme provision pour créances irrécouvrables (les « créances irrécouvrables »);

c) la déduction non permise de 4 010 $ au titre d’une charge d’assurance (la « charge d’assurance »);

B. La cotisation au titre de l’article 159 pour le programme des dons de bienfaisance

[3]  La seconde nouvelle cotisation pour 2003 est fondée sur l’article 159 de la Loi. Le 26 juin 2007, M. Groscki a fait l’objet d’une nouvelle cotisation (numéro 9‑070626-013963) à titre de représentant légal qui avait en sa possession et sous sa garde les biens d’un contribuable débiteur d’une dette fiscale actuelle ou anticipée, en l’occurrence EMI Macao Commercial Offshore Ltd. (« EMI Macao »). Ces fondements du calcul de la cotisation, atténués par de nombreuses concessions faites par l’avocat de la partie intimée, laissent alléguer que M. Groscki, en sa capacité de représentant légal d’EMI Macao, aurait :

a)  omis de déclarer, à hauteur de 538 801 $, des revenus d’EMI Macao (somme ramenée de 1 295 741 $);

b)  été conjointement responsable avec EMI Macao pour la dette fiscale impayée correspondante émanant de sa possession et de sa garde des biens d’EMI Macao; et/ou

c)  omis d’obtenir un certificat de décharge et, par la suite, distribué l’actif d’EMI Macao sans s’acquitter du paiement de la taxe correspondante.

[4]  Malgré l’existence de motifs distincts pour de nouvelles cotisations liées à des dons de bienfaisance, lesquels se rapportaient à des déductions non admises pour des dons de bienfaisance et des allégations de gains en capital attribués se rapportant aux biens donnés, les motifs d’appel concernant ces questions liées aux dons de bienfaisance ont fait l’objet d’un consentement à jugement, donné en début d’audience.

II. Cabinet comptable

[5]  La Cour a d’abord examiné la nouvelle cotisation concernant le cabinet comptable.

a) Honoraires de gestion

[6]  M. Groscki a reconnu ne pas avoir déclaré directement les honoraires de gestion dans son état des résultats des activités de sa profession libérale, sans non plus les avoir attribués à aucune autre source de revenus. Les honoraires de gestion ont été payés. Il y a un chèque pour la somme exacte qui lui a été versée (les « honoraires de 170 000 $ »). Le montant se trouve aussi enregistré dans le grand livre général du cabinet comptable à titre de prélèvements faits au profit de M. Groscki. Cependant, il n’apparaît pas clairement dans la déclaration ou les annexes produits. Pour expliquer le paiement, M. Groscki a témoigné avoir [Traduction] « dans les faits » déclaré les honoraires de 170 000 $, qu’il aurait [Traduction] « préalablement déduits » des créances irrécouvrables autrement déduites pour la même année d’imposition, l’année d’imposition 2003. Selon M. Groscki, la dépense pour créance irrécouvrable réellement engagée totalisait 217 959 $, mais a été comptabilisée à 47 959 $ : 217 959 $, moins les honoraires de 170 000 $.

[7]  M. Groscki a expliqué son raisonnement et sa théorie à la Cour. Puisque l’effet sur le revenu net était le même, M. Groscki a contrebalancé les honoraires de 170 000 $ sur les créances irrécouvrables réellement déduites, pour arriver à une dépense « nette » au titre de la créance irrécouvrable de 47 959 $. Ce seul montant « net » affecté à la dépense a été déduit sur la ligne 8590 (créances irrécouvrables) de son état des résultats des activités d’une profession libérale (T2032). Il a expliqué avoir simplement sauté l’étape de déclaration directe de la réception de 170 000 $ comme revenu au titre des honoraires. Il a aussi expliqué que, puisque la somme globale de 217 959 $ était [Traduction] « anormalement élevée », la réduire des honoraires de 170 000 $ était destiné à [Traduction] « rendre le montant plus normal ». Dans son témoignage, M. Groscki a affirmé [Traduction] « J’ai déclaré le montant de la dernière ligne, comme le demande l’ARC ».

[8]  M. Groscki ne peut voir sa demande accueillie pour ce motif. Les honoraires constituent un revenu, et les créances irrécouvrables sont des dépenses. D’affirmer que la méthode de calcul prévue par la Loi pour remplir chaque ligne de la déclaration fiscale puisse être escamotée pourvu que le « résultat effectif » sur le revenu net ou le revenu imposable soit le même rend la déclaration des revenus non conforme, trompeuse et absurde. En l’espèce, M. Groscki aurait dû déclarer des honoraires de 539 217 $ plutôt que de 413 217 $, ce qui n’était pas conforme à la réalité.

[9]  La Loi prescrit la déclaration du total des revenus ou des honoraires toutes sources confondues. Par la suite, les revenus ou les honoraires peuvent être réduits par des déductions autorisées menant à la production d’un revenu net ou d’un profit net, selon le cas. Il s’agit d’un cadre de raisonnement élémentaire qu’apprennent dès le début de leur parcours universitaire tous les étudiants en droit, en comptabilité ou en administration. Prétendre le contraire est méconnaître le libellé de la Loi, l’intention du législateur, et la vérité la plus élémentaire. Quiconque aurait tenté de déchiffrer sa déclaration fiscale alambiquée n’aurait eu la moindre chance d’en extraire la divulgation logique et prescrite par la Loi du réel revenu total, net et imposable, ou du profit brut, net ou imposable d’une entreprise ou d’une activité libérale lorsque les sources de revenus et les déductions sont entrecroisées, comptabilisées ad hoc et soustraites les unes des autres au gré du déclarant.

[10]  Une telle entreprise, lorsqu’elle s’inscrit dans un certain objectif ou sert une fin spécifique, subordonne la rectitude « nette » ou « effective » des honoraires ou des revenus déclarés à l’exactitude de la déduction « occulte » qui est demandée. Dans le présent dossier, cet objectif camouflé était celui d’attribuer une dépense totale, mais non spécifiée, de 217 959 $ au titre d’une créance irrécouvrable. D’après une telle méthode, pour calculer le montant exact et réel des revenus ou des honoraires, même avant de déterminer le revenu ou le profit net, il faut examiner les déductions manifestement liées au revenu ou au profit net ou imposable d’une entreprise ou d’une profession libérale. Par ailleurs, il sera détaillé ci-après que l’interdiction de déduire une dépense neutralisée « occulte » rend automatiquement incorrect le montant total du produit, du revenu, du profit ou de la dépense. Autrement dit, M. Groscki devait déclarer les honoraires de 170 000 $ en tant que tels ou au titre d’une autre source de revenus en suivant la méthode courante que la loi, la logique et la pratique l’obligeaient à adopter.

b) Créances irrécouvrables

[11]  Tel qu’il a précédemment été expliqué, M. Groscki a réellement déduit une créance irrécouvrable de 217 959 $ comme une dépense, malgré qu’il ait indiqué seulement 47 959 $ dans sa déclaration. Son témoignage, sa preuve documentaire et son argumentaire au sujet des créances irrécouvrables manquaient autant de clarté que ceux qui lui servaient d’explication sur les honoraires de 170 000 $. Par conséquent, M. Groscki ne peut avoir gain de cause pour ce motif d’appel pour les motifs suivants.

[12]  L’établissement d’une créance irrécouvrable relève de la reconnaissance, en temps opportun, de l’impossibilité de recouvrer la créance peu de temps avant ou après l’année où la créance est considérée comme irrécouvrable : Flexi-Coil Ltd. c. La Reine, [1996] A.C.F. no 811 (QL), 96 DTC 6350 (CAF), à la page 6351. La seule preuve documentaire d’une créance irrécouvrable qu’a présentée M. Groscki à l’ARC (en mars 2007) et comme preuve en instance était celle d’une liste de comptes débiteurs pour toutes les activités commerciales sur laquelle apparaissaient des notes calligraphiées, unilexicales, et codifiées sur l’irrécouvrabilité confirmée ou soupçonnée (la « liste des CD »). Outre cette liste, aucun compte client débiteur spécifique pour lequel M. Groscki a déclaré des créances irrécouvrables ne faisait l’objet de quelque autre référence que ce soit dans la preuve documentaire présentée devant la Cour.

[13]  Aucune facture, mise en demeure, requête ou cession des biens en vertu de la Loi sur la faillite pour un compte débiteur, aucun avis d’intention d’intenter une poursuite judiciaire, aucun rappel d’impayé, aucune déclaration ou liste définitive des comptes débiteurs en fin d’année réellement remis n’a été présenté devant la Cour. De ce fait, il n’existe aucune preuve probante pour établir dans le temps l’existence de comptes devenus irrécouvrables et déductibles comme créances irrécouvrables pour l’année d’imposition 2003 ou déclarés comme provisions pour créances douteuses pour une année antérieure. Par ailleurs, la liste des CD qui a été présentée à l‘audience n’indiquait pas les numéros de facture, les dates de facturation et/ou les sommes qui représentent des honoraires irrécouvrables facturés, et les sommes ventilées selon qu’elles correspondaient à de véritables honoraires ou aux intérêts qui n’ont pas été facturés.

[14]  L’examen global de la preuve utilisable présentée par M. Groscki concernant les comptes débiteurs irrécouvrables de 217 959 $ a laissé entendre que la liste des CD indiquait un total supérieur à 560 000 $. La somme n’était pas indiquée sur la liste, mais bien sur le ruban imprimé avec une machine à additionner, qui avait été joint la première page de la liste des CD. Par conséquent, M. Groscki estimait que le montant considérablement réduit, mais dont la déclaration était dissimulée, de 217 497 $, correspondait à la véritable somme réduite des créances irrécouvrables engagées en 2003 par le cabinet comptable. Sans preuve spécifique et chiffrée concernant l’analyse et la comptabilisation d’une seule créance irrécouvrable déclarée en 2003, les exigences de la Loi ne sauraient être considérées comme ayant été remplies, et aucune dépense pour créance irrécouvrable ne peut être déduite pour 2003 : Delle Donne c. La Reine, 2015 CCI 150, aux paragraphes 81 et 82; Clackett c. La Reine, 2007 CCI 499, au paragraphe 6.

[15]  Les hypothèses du ministre concernant l’absence de preuve d’irrécouvrabilité et d’efforts déployés pour recouvrer les dettes durant l’année d’imposition 2003 demeurent incontestables et effectives. Par conséquent, il n’existe aucune compensation « théorique » des honoraires de 170 000 $. Pour l’ensemble de ces motifs, la nouvelle cotisation établie par le ministre demeure effective, et l’appel de M. Groscki à ce sujet est aussi rejeté.

c) Charge d’assurance

[16]  Le ministre n’a pas accepté la déduction d’une charge d’assurances de 4 010 $. M. Groscki reconnaît que cette charge représente la part personnelle de primes liées à son bateau et à l’utilisation personnelle de son lieu de résidence. Il n’est pas contesté que M. Groscki a utilisé son domicile comme lieu d’exploitation commerciale et de travail. Dans son témoignage, M. Groscki a déclaré que cette charge d’assurance, qui était proportionnellement exacte, avait déjà été comptabilisée dans l’attribution d’un avantage personnel imposable de 30 200 $ à son bénéfice. Par conséquent, il a payé ses impôts personnels sur le bénéfice dégagé, mais son entreprise n’a pas été autorisée à déduire la dépense qu’elle avait engagée. Ce motif d’appel flou et général était identifié dans l’avis d’appel. Il s’agissait de la seule dépense rejetée en soi dans la nouvelle cotisation.

[17]  En revanche, M. Groscki n’a pas été contre-interrogé sur la déclaration concernant la charge d’assurance. Le vérificateur de l’ARC ne l’a jamais mentionnée dans son témoignage. Le ministre n’a émis aucune hypothèse sur la question. Surtout, la réponse ne renvoie pas du tout au rejet de la charge d’assurance. L’avocat de la partie intimée a affirmé que M. Groscki n’avait présenté aucune preuve que les 4 010 $ avaient été comptabilisés sur le T4001 qui attribuait l’avantage personnel imposable de 30 200 $ au bénéfice de M. Groscki.

[18]  Proportionnellement, la question de la charge d’assurance est minime lorsqu’elle est comparée aux questions supérieures en amplitude et en complexité qui ont été présentées à la Cour dans le cadre de ces appels. En opposition, M. Groscki a constamment contesté cette charge : elle était déduite, mais recouvrée à titre de dépense personnelle. Dans le rapport sur opposition, un document présenté à la Cour, l’ARC a reconnu la prétention constante que la part personnelle de la prime d’assurance avait été ajoutée au revenu personnel, mais a néanmoins toujours refusé sa déduction. Du reste, le ministre ne disposait d’aucune présomption pour réfuter la propre preuve de M. Groscki sur la question, aussi intéressée et vague cette preuve ait-elle été. De telles preuves sont souvent évaluées « à première vue », et sont faciles à rejeter. Cependant, elle est opposée à une présomption non avérée, et il n’est donc pas justifié de la rejeter : Pollock c. La Reine, 2006-2661(IT)G, 28 février 2008 (CCI),  [1994] 1 CTC 3, à la page 5. Par conséquent, M. Groscki s’est acquitté du fardeau de la preuve de façon très convaincante : Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1979] 2 RCS 336, aux paragraphes 41 à 43. Par conséquent, d’après les actes de procédure, la thèse fiscale et les témoignages, l’appel de M. Groscki sera accueilli pour ce motif.

III. Programme des dons de bienfaisance et cotisation au titre de l’article 159

a)  Programme des dons de bienfaisance

[19]  Le programme des dons de bienfaisance sous-tend la cotisation au titre de l’article 159. Le contexte factuel du programme, fondé en grande partie sur la structure opérationnelle extraterritoriale au cœur de la cotisation au titre de l’article 159, a été décrit en détail par M. Groscki dans son témoignage. Le programme est aussi décrit en détail dans la décision Robert Lockie c. Sa Majesté la Reine, 2010 CCI 142. L’affaire Lockie portait sur l’appel d’un contribuable qui avait participé au programme des dons de bienfaisance et s’était vu refuser la déductibilité de ses dons de bienfaisance. Les avocats des deux parties au présent appel ont renvoyé la Cour à la décision Lockie et y ont fait référence et l’ont décrite dans leurs observations comme une description correcte du programme des dons de bienfaisance (le « programme »).

(i) le fondement fonctionnel du programme des dons de bienfaisance

[20]  Au paragraphe 17 de la décision Lockie, le juge Webb (alors juge de la Cour) a décrit comme suit les documents promotionnels du programme :

Quant à l’argument selon lequel l’appelant n’avait pas d’intention libérale, l’intimée s’est principalement fondée sur les documents promotionnels distribués par Charitable Enterprises Inc. (« CEI »), qui était le promoteur du programme. La société CEI (ou une société liée) avait communiqué avec In Kind Canada (« IKC »), un organisme de bienfaisance enregistré, en vue de déterminer les produits dont les organismes de bienfaisance avaient besoin. In Kind Canada est un organisme de bienfaisance enregistré qui accepte les dons de produits et qui distribue ces produits à d’autres organismes de bienfaisance. La société CEI avait également accès à des fabricants, en Chine, qui pouvaient fabriquer certains produits à bas prix. La société CEI essayait de concilier un besoin, en ce qui concerne certains produits, et sa source de produits bon marché, en Chine. Dans ce cas-ci, il a été conclu que les produits étaient des brosses à dents, des stylos à encre gel et des trousses d’école.

[21]  La référence à une « source de produits bon marché en Chine » est au cœur de la cotisation au titre de l’article 159 dans le présent appel.

(ii) la différence entre le coût et le prix de détail des marchandises

[22]  Le juge Webb a accueilli, comme le fait la Cour, le témoignage de M. Groscki concernant l’acquisition par la société EMI Group de produits, et le prix auquel ces produits devaient ensuite être vendus aux donateurs, afin de permettre le don des produits aux organismes de bienfaisance. Ces opérations sont brièvement décrites au paragraphe 40 de la décision Lockie :

40. La déclaration selon laquelle les organismes de bienfaisance n’auraient pas pu acquérir les produits au même prix que CEI est exacte, mais elle n’est pas complète. Les donateurs (y compris l’appelant) n’ont pas acquis les produits au même prix que CEI. John Groscki (qui semble être le propriétaire de CEI et des sociétés liées qui ont participé aux opérations) a confirmé que la société qui vendait les produits aux donateurs (y compris l’appelant) triplait ou quadruplait le prix de ces articles, par rapport au montant que CEI (ou une société liée) verserait aux fabricants des produits.

Le montant des profits dégagés par « CEI ou une société liée » et qui en était le récipiendaire sont des questions en litige dans le cadre du présent appel. Le ministre allègue que la société liée était EMI Macao.

(i) le double objet de CEI

A.  Objet de bienfaisance

[23]  M. Groscki, comme il l’a fait dans le procès Lockie, a aussi témoigné en détail devant la Cour sur la chaîne d’approvisionnement du programme. À partir de la fin des années 90 et jusqu’à 2003, M. Groscki a posé les bases des « pièces mobiles » du programme. Au Canada, il identifiait les marchandises qui étaient en demande par les organismes de bienfaisance, et qui feraient l’objet de dons. Du côté des activités de bienfaisance, CEI obtiendrait les produits en Chine et les revendrait au prix coûtant ou légèrement au-dessus du prix coûtant, directement aux donateurs. Au préalable, IKC identifiait la demande de dons. Sur réception des produits, ceux-ci étaient donnés à IKC. Le donateur recevait un reçu officiel de don d’IKC au montant approximatif de plusieurs fois supérieur au coût des marchandises. La constance et la fiabilité des quantités, de la qualité et de l’acheminement du produit étaient essentielles au bon fonctionnement du programme. Ainsi, IKC agissait à titre de « pipeline » pour la vente par CEI au donateur d’une part, et d’autre part, à titre d’organisme de bienfaisance capable de délivrer un reçu officiel de don au donateur, de plusieurs fois supérieur au « prix coûtant » des produits.

[24]   Je conclurai par le sommaire du juge Webb : « en fin de compte […] les donateurs (étaient rendus) distributeurs […] en gros de produits (indirectement ou directement) auprès d’organismes de bienfaisance » : décision Lockie, au paragraphe 55.

B. Objet commercial

[25]  L’entreprise avait aussi un objectif collatéral secondaire. M. Groscki a témoigné que certains produits, après leur acquisition et leur importation, pouvaient être (et étaient dans certains cas) vendus à des marchandiseurs ou à des détaillants en vue d’être intégrés à un inventaire tenu et commercialisé, à des fins lucratives, auprès de consommateurs au Canada. Malgré qu’il s’agissait là d’un objectif commercial, il semble que cette branche d’activités n’ait pas été très profitable.

(ii) fin du programme des dons de bienfaisance et détérioration commerciale

[26]  En décembre 2003, le gouvernement du Canada a annoncé des modifications à la Loi pour interdire l’acquisition de produits à faible prix de gros et leur don de bienfaisance ultérieur de produits en nature à un prix au détail augmenté. Dès lors, les sociétés situées dans l’« arrière-plan » décrit ci-après, lesquelles avaient acquis les produits qui étaient désormais non souhaités (les « produits délaissés »), ne pouvaient plus, dans les faits, vendre ces produits à des particuliers contribuables à prix « de gros » pour leur don ultérieur déclaré fiscalement à leur prix « de détail » de plusieurs fois supérieur au prix de gros. De même, M. Groscki a témoigné de manière crédible qu’aucune quantité mesurable de produits, au-delà de montants comparativement faibles, n’a été vendue à des détaillants pour la revente aux consommateurs canadiens.

b)  L’« arrière-plan » du programme

[27]  Dans la décision Lockie, le juge Webb a employé un diagramme pour décrire le programme des dons de bienfaisance et ses liens ultérieurs à la commande, l’acquisition, la réception, le paiement et l’expédition des produits provenant de la Chine, tel que précédemment décrit. Les liens « antérieurs » ou chinois de cette « chaîne d’approvisionnement » sont indiqués dans le diagramme analogue ci-après (l’objet principal de chaque entité est indiqué entre parenthèses) :

(i) Rôle des entités

[28]  EMI Corp. était le destinataire importateur des marchandises acquises en Chine, qu’elles aient été destinées à des fins caritatives ou commerciales. Quant aux marchandises destinées à des fins commerciales, le témoignage semble indiquer tout simplement qu’elles étaient directement vendues à des commerces de détail ou à des marchandiseurs au Canada. Pour ce qui est du programme des dons de bienfaisance, EMI recevait un paiement « au prix coûtant » et distribuait les marchandises à une « juste valeur marchande » de plusieurs fois supérieure au prix d’achat, tel que le décrit en détail le juge Webb dans la décision Lockie. Ainsi, pour reprendre les propos de M. Groscki, les dons étaient rendus [Traduction] « plus efficaces ».

(ii) Résultats opérationnels

[29]  La période critique des derniers mois de 2003 a été marquée par un pic d’acquisitions de marchandises chinoises par EMI Macao et Link Zone. Les registres, dossiers et bilans financiers indiquant en détail les acquisitions de marchandises en Chine n’ont pas été particulièrement utiles, mais le tableau ci-après présente les valeurs approximatives de l’inventaire et du revenu net avéré et attribué par l’ARC d’après sa cotisation sur un nouveau fondement pour EMI Macao et Link Zone pour la période indiquée.

 

Entité

Période se terminant le

Coût inscrit de l’inventaire (arrondi)

Revenu net (arrondi)

EMI Macao

31 janvier 2004

490 700 $

910 300 $

Link Zone

31 janvier 2004

210 300 $

384 700 $

Total

 

700 000 $

1 295 000 $

[30]  L’exactitude précise de ces données sera ultérieurement examinée. Les données pourraient avoir été exactes en ce qui concerne les quantités, mais l’exactitude des autres données est demeurée significativement litigieuse au procès. Selon l’ARC, EMI Macao et Link Zone, en leur fonction d’acheteurs, auraient acquis et payé les marchandises en Chine. Link Zone et M. Groscki ne font plus l’objet de cotisations concomitantes pour des revenus non déclarés, mais la possibilité de nouvelles cotisations en lien avec EMI Macao a été rappelée, dans le cadre de la vérification, de l’appel et de la cotisation finale au titre de l’article 159 à l’encontre de M. Groscki.

[31]  La documentation sous-jacente préparée par les conseillers d’EMI Corp et signée par M. Groscki au nom de toutes les entités concernées a fondé la cotisation établie par l’ARC. Deux points de convergence mutuelle entre les parties sont les suivants :

a)  Une « entente concernant le mandataire responsable des débours » a été conclue entre EMI Macao, Link Zone, EMI Corp. et CEI. En vertu de cette entente, CEI agissait à titre de mandataire pour la vente des marchandises pour le compte de EMI Macao et de Link Zone. EMI Corp. assurait la prestation de services administratifs et de soutien pour l’exécution des ventes aux donateurs. Bien qu’il n’ait pas été partie à cette entente en particulier, M. Groscki y était identifié comme agent des transferts et retenait tous les fonds donnés (vraisemblablement les dons en liquidités correspondant au prix d’achat) jusqu’au « transfert » du titre de propriété des marchandises vendues.

b)  Une « entente concernant l’agent des ventes » a été conclue entre CEI et EMI Macao. Une entente identique existait dans laquelle Link Zone se substituait à EMI Macao. En vertu de cette entente, CEI était autorisée à [Traduction] « passer des commandes pour vendre des produits acquis auprès d’EMI Macao à des particuliers qui souhaitaient faire don de ces produits à des organismes de bienfaisance inscrits ». Comme dans le cas de l’entente précédente, le dépositaire, cette fois non personnellement identifié, devait retenir les fonds en fiducie jusqu’au « transfert de propriété des marchandises ». La Cour est disposée à supposer qu’il s’agissait de M. Groscki.

[32]  Puisque EMI Macao était autorisée à mener des activités à Macao, en octobre 2003, la région administrative spéciale a émis un avis énonçant que EMI Macao était autorisée [Traduction] « à pratiquer des activités extraterritoriales » dans la région administrative spéciale de Macao. Il est possible que le texte original en cantonais et/ou sa traduction en portugais ait représenté de manière plus transparente l’intention du législateur, mais nous devons nous contenter de cette version en anglais. Quoi qu’il en soit, cette autorisation de [Traduction] « pratiquer des activités » a été révoquée par une ordonnance publiée en décembre 2003 et entrée en vigueur le 21 juillet 2004.

(iii) propriété, valeur, emplacement et disposition des produits délaissés

[33]  En décembre 2003, après l’adoption d’une loi pour empêcher les programmes de dons de bienfaisance de produits [Traduction] « achetés à bon marché et revendus plus cher », la [Traduction] « structure d’approvisionnement et de dons » complexe établie par M. Groscki est arrivée à sa fin effective. Alors que les ventes [Traduction] « à profit » demeuraient possibles, M. Groscki a témoigné de manière crédible que EMI Macao et les autres entités possédaient maintenant un inventaire délaissé et sans valeur. Sans égard à son coût d’achat (ni à sa valeur inscrite), la valeur de marché nette de l’inventaire des ventes [Traduction] « à profit » était loin en deçà, selon M. Groscki, de la valeur marchande antérieurement perçue par l’entremise d’un programme de dons de bienfaisance [Traduction] « efficace ». En dernier ressort, il semble que certaines quantités de produits aient été importées au Canada. Dans la même veine, aucune preuve uniforme n’a été présentée sur le moment, la durée ou les dates réelles de la vente ou de la disposition de l’inventaire.

c)  Nature de la cotisation au titre de l’article 159

(i) Processus d’évaluation

[34]  L’ARC a procédé à la vérification d’EMI Group, d’abord en lien avec l’abri fiscal au titre des dons de bienfaisance, et ensuite pour la dette fiscale en souffrance de ses multiples sociétés liées.

(ii) Rapports de vérification et documents de travail

[35]  L’ARC, dont le vérificateur a témoigné au procès, a conclu qu’il était nécessaire d’établir une cotisation sur un nouveau fondement pour EMI Macao et les autres. La nécessité d’établir une cotisation sur un nouveau fondement n’a pas été contestée. Elle a été achevée en analysant l’inventaire à disposition d’EMI Macao et de Link Zone et les registres de ventes aux donateurs, comptabilisées sur de nombreux documents produits par l’abri fiscal, notamment l’examen des formulaires T5003 : État des renseignements sur un abri fiscal. Les formulaires T5003 délivrés aux « donateurs » particuliers faisaient état de ventes avoisinant les 2 443 000 $. Malgré l’absence de preuves claires permettant de savoir si la valeur correspondait à la valeur à l’achat ou à la vente au détail, c’est en se fondant sur ces formulaires que l’ARC a calculé la dette fiscale d’EMI Macao et la nouvelle cotisation de M. Groscki.

(iii) Les autres motifs sur lesquels est fondée la nouvelle cotisation

[36]  Le montant de la cotisation du 26 juin 2007 au titre de l’article 159 était manifestement erroné pour deux motifs. L’article 159 autorise le ministre à établir à l’égard du représentant légal d’un contribuable une cotisation sur une dette fiscale détenue par ce dernier. M. Groscki, dans cette cotisation, était simplement imposé pour le montant des « revenus non déclarés » allégués de EMI Macao, plutôt pour que la dette fiscale d’entreprise proportionnellement attribuable à EMI Macao. Cela est manifestement incorrect. En vertu de l’article 159, M. Groscki, à titre de représentant légal, n’est pas redevable comme contribuable des revenus non déclarés de EMI Macao, mais bien passible du montant définitif de l’impôt à payer par EMI Macao. Au procès, l’intimée a aussi admis que le montant de 1 295 741 $ au titre des revenus était incorrect aux fins du calcul de la dette fiscale au titre de l’article 159. Or, la partie intimée a concédé que ladite dette fiscale ne dépassait pas les 375 764,48 $.

(iv) Présomptions exécutoires

[37]  Pour attribuer le fardeau de la preuve dans cet appel, les présomptions choisies et omises par le ministre sont éloquentes. Pertinentes pour la cotisation au titre de l’article 159 contre M. Groscki concernant l’obligation fiscale de EMI Macao, les présomptions suivantes ont été choisies (des définitions ont été ajoutées ainsi que le soulignement) :

[TRADUCTION]

m) l’appelant est le seul actionnaire de Link Zone et d’Export [EMI Corp dans les présents motifs];

n) les actions d’EMI [EMI Macao dans les présents motifs] étaient détenues par l’appelant ou par Link Zone ou les deux;

o) l’appelant est directeur de Link Zone, d’EMI et d’Export;

p) l’appelant est la seule âme dirigeante d’EMI, de Link Zone et d’Export;

q) EMI a cessé d’exister en 2004;

s) Link Zone est le représentant légal d’EMI;

t) l’appelant est le représentant légal de Link Zone;

w) en 2003, le profit dégagé de la vente du programme d’abri fiscal de CEI était de 1 295 741 $;

y) Export n’a pas déclaré au ministre les profits dégagés de la vente du programme d’abri fiscal de CEI, qui étaient de 1 295 741 $;

z) à titre subsidiaire, si les activités commerciales étaient menées par Export au nom de Link Zone et d’EMI comme le prétend l’appelant, Link Zone et EMI n’ont pas déclaré au ministre le profit sur la vente du programme d’abri fiscal de CEI, qui était de 384 774 $ pour EMI et de 910 967 $ pour Link Zone

[38]  Il convient de noter, outre ce qui précède, qu’aucune présomption n’a été avancée dans la réponse concernant ce qui suit :

(i)  la valeur de l’inventaire de fermeture d’EMI Macao au 31 décembre 2003;

(ii)  le montant du revenu non déclaré par EMI Macao au 31 décembre 2004; et

(iii)  la capacité de M. Groscki à titre de fiduciaire ou de « représentant légal » d’EMI Macao ou, plus exactement, les actes d’établissement des faits, les actions ou omissions spécifiques liées à EMI Macao et appuyant en fait toute conclusion de sa capacité de « représentant légal » avant que EMI cesse d’exister supposément en juin 2004.

(v) Observations pertinentes du ministre

[39]  Outre ses hypothèses, la partie intimée présente les motifs résumés ci-après pour justifier la confirmation de la cotisation :

(i)  l’intimée a démontré que EMI Macao avait dégagé un profit net de 538 000 $ en janvier 2004;

(ii)  EMI Macao a cessé d’exister en juin 2004. Avant et après cette période, M. Groscki agissait à titre de représentant légal, seule personne ainsi habilitée;

(iii)  Les biens en stock, d’une valeur minimale de 450 000 $, étaient détenus par M. Groscki (en possession et en garde de ces biens au sens du paragraphe 159(1)) et a été réparti par lui (répartition au sens du paragraphe 159(3)) pendant la liquidation d’EMI Macao en sa qualité de représentant légal; et

(iv)  dans les faits, les gestes de M. Groscki correspondent dans leur intégralité à la définition d’un représentant légal ayant en sa possession et sous sa garde les biens d’EMI Macao qui, à titre de représentant légal :

(1) en vertu du paragraphe 159(1), est conjointement responsable de la dette fiscale en souffrance d’EMI Macao pendant la période au cours de laquelle les biens étaient en sa possession et sous sa garde et/ou;
(2) en vertu du paragraphe 159(3), a fait défaut d’obtenir un certificat de décharge ou de payer la dette fiscale en suspens avant la distribution des biens en sa possession et sous sa garde.

d)  Aspects essentiels de l’article 159

(i) La Loi

[40]  Un extrait utile des paragraphes applicables de l’article 159 et les définitions applicables prévues par la Loi sont présentés ci-après :

(1) Personne agissant pour le compte d’autrui

159 (1) Pour l’application de la présente loi, dans le cas où une personne est le représentant légal d’un contribuable à un moment donné, les règles suivantes s’appliquent :

(a) le représentant légal est […] solidairement tenu avec le contribuable

(i) de payer chaque montant payable par le contribuable à ce moment ou antérieurement en vertu de la présente loi et qui demeure impayé, dans la mesure où, à ce moment, le représentant légal a en sa possession ou sous sa garde, en sa qualité de représentant légal, des biens qui appartiennent ou appartenaient au contribuable ou à sa succession, ou qui sont ou étaient détenus pour leur compte

(ii) d’autre part, de remplir au moment donné, toute obligation imposée au contribuable en vertu de la présente loi et qui n’a pas été remplie, dans la mesure où il est raisonnable de considérer que l’obligation se rapporte à ses responsabilités à titre de représentant;

[…]

(2) Chaque représentant légal (à l’exclusion d’un syndic de faillite) d’un contribuable doit, avant de se départir des biens en sa possession ou sous sa garde en sa qualité de représentant légal, obtenir du ministre […], un certificat attestant qu’ont été versés les montants

a) d’une part, dont le contribuable est redevable en vertu de la présente loi au moment de la répartition ou de l’attribution ou antérieurement, ou dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il le devienne,

[…]

a été payé […].

Responsabilité personnelle

(3) Si le représentant légal (à l’exclusion a syndic de faillite) d’un contribuable répartit à plusieurs personnes, ou attribue à une seule, en cette qualité, des biens en sa possession ou sous sa garde, sans le certificat prévu au paragraphe (2) à l’égard des montants visés à ce paragraphe,

a) le représentant légal est personnellement redevable de ces montants jusqu’à concurrence de la valeur des biens répartis ou attribués; […]

248 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi,

[…]

représentant légalQuant à un contribuable, syndic de faillite, cessionnaire, liquidateur, curateur, séquestre de tout genre, fiduciaire, héritier, administrateur du bien d’autrui, exécuteur testamentaire, liquidateur d’une succession, conseil ou autre personne semblable, qui administre ou liquide, en qualité de représentant ou de fiduciaire, les biens qui appartiennent ou appartenaient, ou qui sont ou étaient détenus pour leur compte, ou qui, en cette qualité, exerce une influence sur ces biens ou s’en occupe autrement; (legal representative)

(ii) La construction de l’article 159 : deux véhicules distincts

[41]  Bien qu’ils apparaissent dans le même article, le paragraphe 159(1), d’une part, et les paragraphes 159(2) et (3), d’autre part, se distinguent par certaines de leurs caractéristiques. Comme je l’indiquerai ci-après, ces caractéristiques ne sont pas nécessairement applicables au présent appel, mais elles sont néanmoins soulignées dans les présentes. De manière générale, ces différences pourront être sommairement synthétisées.

[42]  D’emblée, l’obligation potentielle en vertu du paragraphe 159(1) est solidaire, alors qu’elle devient une « responsabilité personnelle » en vertu du paragraphe 159(3). Le recouvrement du contribuable en vertu du paragraphe 159(1) diminue l’obligation fiscale du représentant légal. En vertu du paragraphe 159(3) l’obligation fiscale devient une obligation ponctuelle présumée personnelle du représentant légal.

[43]  Ensuite, le paragraphe 159(3) ne s’applique que lorsque le certificat de décharge n’a pas été obtenu. L’obtention de ce certificat dégage le représentant légal de l’obligation à hauteur de la valeur des biens auxquels se rapporte le certificat de décharge. Par contre, cela laisse supposer que la valeur des biens en vertu du paragraphe 159(1) n’est pas prise en considération, puisque la responsabilité est engagée à hauteur de l’obligation du débiteur fiscal, pourvu que les autres conditions soient remplies. De cela pourrait être déduit que la possession ou la garde entraînaient ou devraient avoir entraîné le paiement.

[44]  Enfin, en référence au premier point, la « répartition » par le représentant légal entraîne l’application du paragraphe 159(3), à la condition que les autres conditions courantes aient été remplies. Ainsi, la nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 159(3), de manière comparable à ce que prescrit l’article 160, peut être établie « à tout moment ». Elle n’est pas assujettie à la période normale de nouvelle cotisation, comme l’est la cotisation établie en vertu du paragraphe 159(1). Il s’agit d’une autre différence.

(iii) Autres décisions

[45]  La jurisprudence applicable est peu abondante, et peu de cotisations comparables ont fait l’objet d’un appel applicable à des cas où un dirigeant a été tenu responsable en vertu des dispositions de l’article 159 en sa capacité de représentant légal. Les deux avocats ont constaté dans leurs observations la rareté des textes faisant autorité. Cependant, le ministre a examiné le sujet, et émis le bulletin d’interprétation technique 9916865 en date du 24 septembre 1999 sur la responsabilité du représentant légal (le « bulletin IT ») et les Notes explicatives concernant le paragraphe 159(1), en date de décembre 1997 (les « Notes explicatives »).

[46]  Le bulletin IT précise ce qui suit :

[Traduction

9916865 – Responsabilité du représentant légal

Référence : 159(1), 159(2), 248(1)

SOMMAIRE : Responsabilité du représentant légal – LIR-159(1), 159(2), 248(1) – Cadre de responsabilité du représentant légal d’un contribuable en vertu du paragraphe 159(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Nos observations : L’alinéa 159(1)a) définit dans quelles circonstances une personne qui est le représentant légal d’un contribuable est solidairement tenue avec le contribuable pour les montants impayés exigibles en vertu de la Loi. En vertu de l’alinéa 159(1)a), le représentant légal est solidairement tenu avec le contribuable (i) de payer tout montant payable en vertu de la présente Loi par le contribuable à ce moment ou antérieurement, dans la mesure où le représentant légal a, à ce moment, en sa possession ou sous sa garde, en sa qualité de représentant légal, des biens qui appartiennent ou appartenaient, ou qui sont ou étaient détenus au bénéfice du contribuable ou de sa succession.

L’article 159 se fonde sur la définition de « représentant légal » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi : « représentant légal » Quant à un contribuable, syndic de faillite, cessionnaire, liquidateur, curateur, séquestre de tout genre, fiduciaire, héritier, administrateur du bien d’autrui, liquidateur de succession, exécuteur testamentaire, conseil ou autre personne semblable, qui administre ou liquide, en qualité de représentant ou de fiduciaire, les biens qui appartiennent ou appartenaient au contribuable ou à sa succession. La question de savoir si un avocat ou un cabinet d’avocat qui détient les fonds de son client dans un compte en fiducie en vue de leur versement subséquent d’après les directives du client est qualifié comme fiduciaire relève des faits et circonstances propres à chaque dossier.

Ainsi, la dernière phrase de cette définition est correctement limitée dans sa portée aux catégories de personnes qui la précèdent, à savoir un syndic de faillite, cessionnaire, liquidateur, curateur, séquestre de tout genre, fiduciaire, héritier, administrateur du bien d’autrui, exécuteur testamentaire, ou conseil. De manière générale, ces personnes sont les ayants droit d’une autre personne physique ou d’une personne morale, et les remplacent à l’égard de leurs droits sur des biens. Elles représentent une autre personne à l’égard de ses droits et prennent en charge ses affaires juridiques. À la lumière de ce qui précède, les réponses à vos trois questions seront les suivantes. 1. Devant l’absence de faits et de circonstances indiquant l’existence d’une relation fiduciaire, il ne semble pas que l’avocat ou le cabinet d’avocats ayant agi au nom d’un client dans une opération commerciale puisse être considéré comme son « représentant légal » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. […] Cependant, en vertu du sous-alinéa 159(1)a)(i), la responsabilité d’un représentant légal se limite aux biens en sa possession ou sous sa garde, en sa capacité de représentant légal, au moment où le montant devient exigible en vertu de la Loi.

[47]  En outre, l’extrait applicable de la Note explicative indique ce qui suit :

(comme une société mère ayant liquidé sa filiale puis acquis son actif)

[…]

Ainsi, la responsabilité du représentant légal agissant de bonne foi est limitée aux biens en sa possession ou sous sa garde au moment où il est requis de faire un paiement pour le compte du contribuable, ou aux  produits de disposition et biens de remplacement obtenus par le représentant sur ces biens. […] Par exemple, les responsabilités du représentant qui agit en vertu d’une procuration générale seront plus larges que celles du représentant dont l’autorité se limite à certains actifs du contribuable.

e)  Discussion et conclusions

[48]  À titre de cadre de responsabilité des tiers et de recouvrement auprès de ces derniers, l’article 159 prévoit des conditions critiques qui doivent être remplies pour rendre ses dispositions applicables. En termes simplifiés, ces conditions sont les suivantes :

i)  le tiers doit être un représentant légal du contribuable (« représentant légal »);

ii)  le représentant légal doit, en cette capacité, avoir en sa possession et sous sa garde les biens du contribuable (« possession et garde »);

iii)  la dette fiscale doit avoir été impayée avant ou pendant que ces biens étaient en sa possession et sous sa garde (« dette fiscale à payer »); et

iv)  s’ajoutant et s’opposant à ce que prévoit le paragraphe 159(1), avant la répartition, un certificat de décharge doit avoir été obtenu en vertu du paragraphe 159(2), à défaut de quoi la responsabilité fiscale personnelle revient au représentant légal pour les montants fiscaux actuellement et ultérieurement exigibles en vertu du paragraphe 159(3) (« certificat de décharge »).

[49]  Les faits ne sont pas contestés au regard de la non-existence d’un certificat de décharge, ou de l’existence d’un montant dû au titre des impôts. M. Groscki n’a pas obtenu de certificat de décharge. La dette fiscale alléguée demeure impayée dans sa totalité, à hauteur de son maximum de 375 764,48 $. Ainsi, en vertu du paragraphe 159(1), si les conditions des alinéas a), b) et c) précités sont constatées, M. Groscki serait tenu de payer la dette fiscale engagée avant ou après qu’il ait été en possession des biens ou que ceux-ci aient été sous sa garde. Cependant, puisqu’aucun certificat de décharge n’a été obtenu, le paragraphe 159(3) est aussi applicable. Par conséquent, les seules conditions remplies étant celles du « représentant légal » et de « la possession et la garde » en cette capacité, l’existence actuelle ou future d’une dette fiscale existerait donc, selon la prépondérance de la preuve. Ces conditions sont, aux fins du présent appel, les composants communs de l’application des paragraphes 159(1) et 159(3). La séparabilité et le caractère distinct des paragraphes 159(1) et 159(3), fréquemment applicables dans d’autres situations, ne le sont pas dans le présent appel. Aucun certificat n’a été obtenu pour réduire l’obligation émanant du paragraphe 159(3), une cotisation préventive a été établie dans les limites de la nouvelle période normale de nouvelle cotisation et, par conséquent, la cotisation n’est pas précisément liée à une période antérieure ou ultérieure à l’engagement de l’obligation fiscale en raison de l’absence d’un certificat de décharge sur les biens dont il a été allégué qu’ils ont été répartis. Bien qu’ils semblent évidents par déduction, si on applique les faits à la lumière du droit, selon la prépondérance de la preuve, et que ceux-ci ne démontrent pas que ces conditions essentielles sont remplies, l’appel sera accueilli.

(i) Que signifie « représentant légal »?

[50]  La définition de « représentant légal » est fondamentale à l’application de l’ensemble de l’article. Elle exige l’action fiduciaire d’une personne légalement autorisée à administrer, à liquider et à contrôler (interdire ou autoriser) la répartition ou le commerce des biens du contribuable. La représentation des intérêts ou la surveillance des affaires juridiques par le représentant doit se traduire dans les faits.

[51]  Les avocats reconnaissent que l’application de cette définition au présent appel est rendue factuelle par l’absence de jurisprudence. Jusqu’en 1997, aucune définition distincte de « représentant légal » n’était prévue dans l’article 248 de la Loi. La définition était plutôt enchâssée dans la version de l’article 159 qui était alors en vigueur dans une version plus large. Un nouvel examen de la définition et de son utilisation au paragraphe 159(1) est nuancé et se prête à une grande souplesse d’interprétation, surtout dans l’objectif d’établir si un dirigeant connu, dans des circonstances données, correspond ou non à la définition. En bref, le titre ou le rôle de dirigeant n’est pas expressément inscrit dans la définition, alors qu’un grand nombre d’autres le sont. Cela permet à l’appelant d’affirmer explicitement que le législateur n’entendait pas intégrer ce titre dans la définition. De même, ce libellé définitoire permet à l’intimée de prétendre que, dans certaines circonstances factuelles telles que celles attribuées au présent appel, un dirigeant pourrait être considéré comme « un séquestre de tout genre », un « liquidateur » ou « autre personne semblable ». Bien que tout autre rôle puisse éventuellement être visé par la définition, son libellé n’en reconnaît spécifiquement que trois.

[52]  Pour établir comment les tribunaux doivent interpréter les dispositions législatives, et plus précisément comment la Cour devrait appliquer les lois fiscales, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. R., 2005 RCS 54, au paragraphe 10, exige le recours à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique. L’analyse doit s’attarder initialement au texte. Ensuite, si toute ambiguïté manifeste ou latente le justifie, le contexte et l’objectif législatif sont aussi soupesés : arrêt Hypothèques Trustco, au paragraphe 47.

A.  Texte

[53]  Textuellement, comme nous l’avons précédemment observé, le terme spécifique de « dirigeant » n’apparaît pas dans la définition de représentant légal. Le libellé et la terminologie : « séquestre de tout genre », « liquidateur », et « ou autre personne semblable » et « administre ou liquide, en qualité de représentant ou de fiduciaire, les biens » du contribuable, ont été choisis. L’ambiguïté est enchâssée dans la structure grammaticale même de la séquence « ou toute autre personne semblable, qui administre ». Dans l’usage, la virgule ne doit pas séparer une proposition verbale de son sujet, mais sert à séparer une phrase ou une proposition subordonnée de la proposition principale afin d’éviter les malentendus. De plus, ces usages ont changé avec le temps depuis leur rédaction initiale. Dans la langue moderne, la virgule perd sa fonction de scission dans les listes de plus de deux lexèmes avant la conjonction « et » ou « ou ». Comment interpréter la séquence? Prudemment, il est impossible de répondre de manière simple à la question de savoir si la phrase « ou autre personne semblable, qui administre » s’inscrit simplement dans une liste ou vient modifier ou restreindre les mots antéposés. L’omission du terme « dirigeant » brouille encore davantage les pistes de l’interprétation. De surcroît, en interprétation législative, le principe de limitation des catégories exigerait de restreindre la portée induite des séquences « ou autre personne semblable » et « en qualité de représentant ou de fiduciaire », à la catégorie des titres précités dans leur contexte.

[54]  La jurisprudence concernant la définition n’est pas particulièrement utile. L’analyse la plus opportune sur un dirigeant visé par la définition de représentant légal se rapproche, sans y répondre, de la question assujettie à l’examen de la Cour. Dans la décision Parsons c. La Reine, [1984] 1 C.F. 804, 1983 CarswellNat 170 (CFPI), au paragraphe 100, la Cour a conclu qu’un dirigeant n’était pas une « autre personne semblable » au sens de la définition dans sa version en vigueur à l’époque. L’omission d’inclure un terme plus précis dans la définition avait été établie comme déterminante. Cependant, la « répartition » des biens dans l’affaire Parsons était une déclaration de dividendes. Or, la déclaration des dividendes constitue une activité normale et périodique qui est attendue des dirigeants dans l’exercice normal de leur pouvoir d’administrateurs. Dans le présent appel, la conduite qui est alléguée est une liquidation. Atténuant encore davantage l’impact jurisprudentiel de la décision Parsons, la décision a été infirmée en appel, bien que pour d’autres motifs.

B. Contexte

[55]  Le contexte de l’emploi de l’expression « représentant légal » dans la Loi permet-il de considérer un dirigeant comme un représentant légal, tel que le soutient la partie intimée? Dans l’ensemble de la Loi de l’impôt sur le revenu, le terme « représentant légal » apparaît fréquemment, et y sont presque exclusivement liées les fonctions d’un exécuteur testamentaire ou d’un administrateur du bien d’autrui après le décès d’un contribuable, et la définition dans la version anglaise de la Loi s’achève par les mots [TRADUCTION] « ou à la succession du contribuable ». Dans ce contexte, les régularités dans l’usage pourraient laisser entrevoir une condition préalable du décès ou peut-être d’une forme ou d’une autre de dissolution irrévocable d’une personne morale, même si ce dernier contexte d’application n’est pas explicitement inscrit dans la Loi. Ces considérations contextuelles laissent entrevoir une compétence expressément conférée par acte ou nomination pour accorder explicitement une compétence juridique de répartir, de céder ou de transférer des biens.

C. Objectifs

[56]  Pour identifier l’objectif général du législateur, un examen du bulletin d’interprétation technique et des Notes explicatives est autorisé aux fins d’obtenir des précisions extrinsèques sur l’objet législatif visé par tout l’article fondé sur la définition qui est en cause. Dans la réalisation de cette analyse, des termes propres au contexte d’entreprise demeurent imprécis. Le bulletin d’interprétation technique concernant le paragraphe 159(1) indique ce qui suit : [TRADUCTION] « ces modifications précisent […] nonobstant que le contribuable puisse avoir été « dissous et liquidé ». Le libellé comparable dans la Note explicative porte sur la liquidation par une société mère de sa filiale et l’acquisition de ses actifs. Évidemment, ces exemples se rapportent à une personne morale. Bien que, dans leur contexte, ces précisions semblent se limiter aux successions, les directives que contiennent le bulletin d’interprétation technique et les Notes explicatives pourraient permettre une perspective assez large pour englober un dirigeant agissant en cette capacité dans un contexte de dissolution et de liquidation. À juste titre, une personne morale dissoute ou qui « cesse d’exister » est plus ou moins analogue à un exécuteur testamentaire ou à un administrateur du bien d’autrui suivant le décès d’un contribuable.

D. Conclusions

[57]  Au-delà de l’admission que le présent contexte n’inclut que des exemples de personnes décédées, celle que l’objectif législatif élargi peut être rendu plus vaste par le bulletin d’interprétation technique et les Notes explicatives permet de considérer les situations de dissolution (ou de cessation d’existence) et de liquidation. Mais une question subsiste : comment un dirigeant peut-il légalement dissoudre et liquider les actifs d’une société à titre de représentant légal?

[58]  Une perspective outrepassant la loi immédiatement applicable et le commentaire juridique s’y rattachant débouche sur une jurisprudence instructive : Malka c. Canada, [1978] A.C.F. no 110, 78 DTC 6144 (CFPI). En effet, la décision se réfère à la version antérieure de l’article 159, qui était autrefois l’article 52. Aux paragraphes 16 et 17 de la décision Malka, la Cour fédérale retient que :

16  Voici les dispositions des paragraphes 52(2) et 52(3):

52 (2) Avant de distribuer des biens sous leur contrôle, les cessionnaires, liquidateurs, administrateurs, exécuteurs testamentaires et autres semblables personnes, sauf les syndics de faillite, doivent obtenir du Ministre un certificat attestant que les impôts, intérêts ou pénalités, répartis aux termes de la présente loi, et qui sont imputables ou payables sur les biens, ont été payés ou que des garanties pour leur paiement ont été acceptées par le Ministre en conformité du paragraphe (4) de l'article 116.

52 (3) La distribution de biens faite sans un certificat prévu au paragraphe (2) rend la personne tenue d'obtenir le certificat personnellement responsable des impôts, intérêts et pénalités impayés.

17  À mon avis, il est raisonnable de considérer Charles Malka comme un liquidateur parce qu'il a agi, en fait, comme tel. En interprétant le paragraphe 52(2) de façon si formaliste qu'on ne prévoit pas le cas d'un liquidateur de fait, on va à l'encontre des dispositions du paragraphe 52(2), même sans s'appuyer sur la règle ejusdem generis. Cette interprétation donnerait lieu à des abus flagrants car il suffirait de liquider son actif et le Ministre ne pourrait plus poursuivre personne pour les impôts de la compagnie. Ce sont précisément les liquidateurs de fait que visent les paragraphes 52(2) et 52(3) puisque ceux-là sont moins enclins à demander un certificat.

 

[59]  En s’en tenant aux faits, dans la décision Malka, les demandeurs (deux personnes parentes) avaient été imposés en vertu de l’équivalent applicable de l’article 159 sur l’impôt sur les profits enregistrés par Valient Shoe Import Corp. dont il avait été allégué qu’ils avoisinaient les 355 000 $, engendrant une charge fiscale d’environ 54 000 $ pour une année et 56 000 $ pour une autre. La cotisation visée était fondée sur le fait que les Malka avaient agi en qualité de « liquidateurs » au sens de l’article de la Loi qui était alors applicable. Dans cette instance, des résolutions avaient été adoptées afin de liquider et/ou de vendre les actifs et les actions pour tenter d’acquérir et de disposer des pertes enregistrées d’une entreprise ciblée. Après son examen, la Cour avait conclu que, dans les faits, les actions posées par les demandeurs étaient en adéquation avec leur compétence, leur intention, et leur objectif d’entreprise dûment accordé, exercé et non révoqué, de liquider Valient Shoe.

[60]  Sans être identiques, l’article 159 actuel et sa version antérieure, l’article 52, sont assez symétriques pour autoriser une conclusion comparative fort utile. Dans certaines circonstances, un dirigeant peut devenir un représentant légal lorsque :

(i)  d’autres pouvoirs, au-delà de l’administration, ont été légitimement accordés ou, si ce n’est pas le cas, mis à sa disposition et assumés;

(ii)  lesdits pouvoirs additionnels permettaient au représentant légal ainsi autorisé de dissoudre et liquider l’entreprise en droit et en fait; et

(iii)  le dirigeant a liquidé les actifs de la personne morale en vertu de ces pouvoirs.

(ii) Les circonstances factuelles du présent appel : y a-t-il eu dissolution et liquidation?

[61]  Dans un tel cadre, M. Groscki n’aurait pas pu être liquidateur compte tenu des faits présentés à la Cour. L’analyse et les motifs de ce constat sont les suivants.

[62]  Aucune « dissolution et liquidation » n’a été menée par M. Groscki. La preuve de l’autorité de M. Groscki dans l’entreprise est insuffisante pour présumer qu’il aurait pu entreprendre ces actions en qualité de « liquidateur », « séquestre de tout genre » ou d’ « autre personne semblable ». Les actions d’une autre entité en vertu d’une entente préalablement conclue avec un tiers ou d’un autre document infirment plutôt que confirment l’autorité additionnelle censément conférée à M. Groscki comme « liquidateur » par son administration.

[63]  La logique et le droit exigent que la dissolution d’une entreprise au sens où le présume le ministre par les mots « a cessé d’exister » signifient la révocation ou la renonciation de ses actes de constitution sur le territoire où l’entreprise a été enregistrée ou autorisée. EMI Macao était une entreprise enregistrée aux îles Vierges britanniques. Or, il n’existe aucune preuve de révocation par les autorités des îles Vierges britanniques des actes constitutifs d’EMI Macao ou de ses lettres patentes. La Cour n’a reçu aucune preuve que ces documents (qui n’ont pas été présentés à la Cour) ont été résiliés ou annulés. C’est plutôt une révocation, non sollicitée et non observée (semble-t-il), du permis territorial d’exploiter une entreprise à Macao. L’entreprise n’a pas été légalement dissoute, radiée, liquidée ou rendue sans effet par le territoire qui en avait autorisé la formation ni par son propre dirigeant agissant en vertu d’une résolution de l’entreprise.

[64]  Il est avéré qu’après juin 2004, EMI Macao exerçait ses activités en contravention des conditions prévues au permis délivré à Macao. Selon toute vraisemblance, elle n’aurait pas pu continuer d’être exploitée sur ce territoire après cette date, mais aucune preuve – s’agissant de droit étranger, admissible en fait – n’indique que quelque vendeur de marchandises que ce soit, à Macao ou ailleurs en Chine, aurait refusé de faire des affaires avec EMI Macao, qui est demeurée active après cette date. En vertu des lois canadiennes, l’absence de permis d’exploitation ne qualifie ni la dissolution ni la cessation d’existence d’une entreprise, au contraire de ce que présume le ministre. La présomption d’une interprétation contraire, et improbable, à Macao, doit s’appuyer sur des preuves plus convaincantes que celles évoquées ou présentées par le ministre. Aucune preuve ne démontre que EMI Macao « a cessé d’exister en juin 2004 ».

[65]  Tout bien considéré, aucune preuve ne permet non plus d’avérer la présomption de « liquidation ». Ce qui semble être arrivé « aux biens » dans la mesure de l’exactitude de leur valeur alléguée n’était pas, nonobstant la responsabilité de M. Groscki, une conséquence conjonctive du statut révoqué de EMI Macao permettant son exploitation selon les lois en vigueur à Macao. C’était plutôt le changement législatif opéré au Canada et visant les dons qui étaient faits par CEI qui a déclenché la réorganisation de l’utilisation du montage des entreprises et des entités. Rendues obsolètes, Link Zone et EMI Macao ont simplement été tenues à l’écart des acquisitions subséquentes de produits. Dans les faits, l’entreprise existante et son inventaire ont été délaissés et ont perdu quasiment toute leur valeur en raison de l’impact immense des changements législatifs. La preuve corrobore l’explication suivante : EMI Corp et M. Groscki ont avancé les montants nécessaires pour acquérir et importer (à contrecœur) les marchandises directement pour s’acquitter de leurs engagements envers leurs fournisseurs en Chine. Ce scénario n’est pas celui d’une liquidation de EMI Macao découlant de la dissolution, mais bien celui d’un simple abandon. L’examen du témoignage de M. Groscki sur l’acquisition, la propriété, la valeur, l’exportation et l’importation des actifs rehausse la nécessité d’improvisation commerciale dans les circonstances.

[66]  D’ailleurs, M. Groscki ne jouissait pas de l’autorité d’agir en qualité de liquidateur, une restriction corollaire au contexte et à l’objet législatif du paragraphe 159(1). Les représentants légaux des successions doivent s’appuyer sur un document directif, reconnaissable ou informatif tels qu’un testament, un acte de fiducie, une lettre d’administration ou une lettre d’homologation. En effet, un instrument ou une action doit conférer ou accorder la compétence ou du moins une « apparence de droit » d’« administrer les éléments d’actif » dans le déroulement de la dissolution, et/ou de sa liquidation. Il en va de même pour les entreprises. Dans le contexte de la décision Parsons, la question visait la déclaration de dividendes, répartition autorisée de l’excédent constaté par une résolution d’entreprise dûment adoptée. Dans la décision Malka, la liquidation et l’acquisition avaient été autorisées.

[67]  Une autre question se pose sur la référence documentaire ou l’autorité d’administration dans le cas d’une personne morale. Pour les sociétés par actions constituées en vertu d’une loi fédérale, la liquidation exige une résolution spéciale des actionnaires pour nommer et autoriser un liquidateur : Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985 chapitre C-44, paragraphe 210(3). Les sociétés par actions enregistrées en Ontario doivent obtenir une ordonnance de la cour : Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990 chapitre B. 16, paragraphes 193 et 207. Dans de tels cas, un dirigeant est autorisé à être nommé liquidateur, mais l’ordonnance demeure obligatoire. Aucune preuve n’indique que le législateur ait entendu d’établir une référence ou un droit d’administration comparable ou similaire, et encore moins qu’il conviendrait d’appliquer de telles dispositions à une entreprise enregistrée aux îles Vierges britanniques, EMI Macao. L’hypothèse juridique qu’un « liquidateur implicite » puisse être inféré d’un poste de dirigeant (ou d’agent dans ces circonstances) ayant entrepris de dépouiller stratégiquement un modèle d’entreprise fondamentalement dysfonctionnel qui regroupait autrefois un ensemble d’entreprises fait entorse au libellé, au contexte, à l’objet et à la définition élargie de « représentant légal » et à l’article dans lequel il est employé, au-delà des circonstances factuelles du présent appel. En réalité, M. Groscki a agi dans la limite de ses capacités de dirigeant et, à tout le moins, il n’a pas agi en qualité plus large de liquidateur.

[68]  Par ailleurs, les documents d’entreprise essentiels qui existaient encore démontrent que EMI Group n’a pas soudainement abandonné son modèle d’entreprise longtemps avant décembre 2003. Les ententes concernant le mandataire responsable des débours et l’agent des ventes étaient uniquement des ententes, qui n’établissaient aucune relation fiduciaire s’étendant au-delà de leurs modalités. Ces ententes n’empêchaient pas EMI Corp de transiger directement avec les vendeurs chinois. L’examen attentif de ces documents permet d’établir qu’ils étaient destinés à protéger les liquidités des donateurs en stipulant que l’acheteur des marchandises en Chine, nommément EMI Macao ou Link Zone, n’était pas payé par M. Groscki avant l’importation des marchandises au Canada et le transfert de leur propriété au donateur ou distributeur. À titre de dépositaire ou d’agent des transferts, M. Groscki portait une charge pour ces parties, par stipulation d’un contrat. Ces documents établissent ces obligations pour lui et EMI Corp au bénéfice des donateurs. Aucun document visant un « liquidateur » ou une « autre personne semblable » ne confère de tels pouvoir, obligation ou autorité à M. Groscki au bénéfice d’EMI Macao.

[69]  De même, les actions posées par EMI Corp ou Link Zone vis‑à‑vis d’EMI Macao ne sauraient imposer une quelconque obligation à M. Groscki s’il n’est pas considéré comme le représentant légal d’EMI Macao. Les faits sous-jacents au statut spécifique de « représentant légal » n’ont pas été pris en considération dans les hypothèses de départ du ministre. En outre, pour les motifs précités, selon la prépondérance de la preuve, la démonstration de ces faits n’a pas été faite devant la Cour.

(iii) La possession et la garde étaient-elles qualifiées?

[70]  Tel qu’il a été démontré, la possession et la garde des biens du contribuable par un représentant légal constituent un élément distinct et obligatoire pour établir l’obligation fiscale en vertu de l’article 159. Vu le constat que M. Groscki n’était pas un représentant légal, cet élément perd sa portée pratique. Quiconque n’est pas un représentant légal, même s’il a en sa « possession et sous sa garde » les biens d’un débiteur fiscal, n’est pas visé par l’article 159. Cependant, même si cette question n’était pas devenue sans effet, les considérations ci-après auraient éloigné la Cour d’un tel constat de fait dans les circonstances propres au présent appel :

a) selon la prépondérance de la preuve, il est tout aussi plausible que l’entité qui avait en sa possession et sous sa garde les biens d’EMI Macao était EMI Corp en vertu de son entente légale d’apporter des services administratifs et de soutien à l’importation des marchandises acquises par EMI Macao. La Cour relève que le ministre n’a ni présumé ni démontré en fait que EMI Corp avait agi en une telle capacité ou que, par l’entremise de cette conduite, M. Groscki était qualifié comme « liquidateur » pris dans le sens visé dans la définition de représentant légal. Le fait que M. Groscki ait eu EMI Corp sous sa garde à titre de sa « seule âme dirigeante » n’est pas pertinent à sa possession directe et sa garde des biens de EMI Macao à titre de son représentant légal.

b) la « garde » par M. Groscki était stipulée par un accord contractuel et était assujettie aux dispositions de multiples ententes décrites et obligations contenues dans ces textes, lesquels avaient été conclus longtemps avant la liquidation et la dissolution alléguées qui constituent la période critique et l’existence de biens en sa « possession et sous sa garde »; et

c) des questions importantes concernaient la chronologie des faits et la valeur des biens dont il était allégué qu’ils étaient en la possession et sous la garde de M. Groscki, de telle sorte que la durée de la possession et de la garde des biens ainsi que la valeur de ces biens à l’époque en cause n’a pas, selon la prépondérance des faits, été établie.

(iv) À quel montant s’élevait la dette fiscale d’EMI Macao?

[71]  La dette fiscale d’EMI Macao a finalement été réduite par concession de la partie intimée au début de l’appel, à une valeur maximale de 375 764,48 $. Alors que l’obligation sous-jacente est non pertinente au présent appel vu que M. Groscki n’était pas un représentant légal en possession d’actifs qui étaient sous sa garde, les questions suivantes concernent la fiabilité méthodologique de cette cotisation sous-jacente :

a)  l’analyse qui a été menée selon la méthode d’évaluation de la valeur nette n’a pas tenu compte de l’impact ni de la contribution de la composante « lucrative » des activités menées par EMI Group;

b)  dans le même ordre d’idées, l’évaluation en vertu de l’article 159 portait sur une période se terminant en décembre 2003 ou en janvier 2004 (la fin de cette période n’était pas certaine d’après le témoignage du vérificateur), mais même le vérificateur de l’ARC a supposé que EMI Macao n’avait pas cessé d’exister avant juin 2004 ou n’avait pas été dissoute avant cette date (ce qui était une conclusion juridique incorrecte). Pourtant, son évaluation a pris fin au plus tard en janvier 2004, ce qui aurait pu lui permettre de répondre aux exigences du paragraphe 159(1), mais pas nécessairement à celles du paragraphe 159(3);

c)  une preuve de la plus grande qualité et fiabilité faisait état d’une valeur d’inventaire ne dépassant pas les 450 000 $. Si c’était le cas, puisqu’il s’agissait d’inventaire délaissé, il est plus probable qu’improbable que le montant définitif de l’impôt à payer d’EMI Macao était considérablement inférieur au montant allégué de 375 764,48 $, puisque la vente de cet inventaire aurait produit un profit réduit; et

d)  Le témoignage de M. Groscki se rapportant à la valeur de l’inventaire et au profit vraisemblablement dégagé par EMI Macao, sans être entièrement convaincant, a à tout le moins éclairé la Cour sur la validité de la cotisation sous-jacente, particulièrement vu les erreurs commises par le vérificateur sur l’impôt exigible, les revenus non déclarés et le moment où l’évaluation protectrice sur un nouveau fondement avait été menée.

IV. Conclusion, sommaire et dépens

[72]  En conclusion et pour les motifs explicités, l’appel est accueilli pour les motifs ci-après :

a) en vertu d’un consentement à jugement signé le 10 juillet 2017, aucun gain en capital n’émane du don de bienfaisance de M. Groscki fait le 4 décembre 2003;

b) toujours d’après le consentement à jugement en date du 10 juillet 2017, M. Groscki a fait un don de bienfaisance le 4 décembre 2003 dont la juste valeur marchande a été établie à 21 335 $ et il a le droit de déduire un don de bienfaisance pour ce montant pour l’année d’imposition 2004;

c) M. Groscki n’était pas un représentant légal au sens de l’article 159 de la Loi, et la nouvelle cotisation en date du 26 juin 2007 portant le numéro 9-070626-013963 est par conséquent annulée;

d) l’appelant a le droit de déduire une dépense d’entreprise supplémentaire liée à des primes d’assurance de 4 010 $;

e) vu la conclusion tirée dans la présente instance, par souci de clarté, et à la lumière des cotisations distinctes pour la même année d’imposition, toutes les pénalités sont annulées;

f)  sauf si une ordonnance ultérieure sur les dépens est rendue, M. Groscki ne pourra bénéficier d’aucun autre remède; et

g) la Cour devra recevoir les observations écrites sur les dépens dans les 30 jours suivant la date du présent jugement rendu à l’égard de ces appels, et demande aux parties de tenir compte, dans leurs observations, le cas échéant, du résultat mitigé des appels.

Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de décembre 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d’octobre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 249

NOS DU DOSSIER DE LA COUR :

2009-3839(IT)G, 2009-2838(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOHN F. GROSCKI ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 10, 11, 12 et 13 juillet 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimée :

Me André LeBlanc

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Leigh Somerville Taylor

 

Cabinet :

Leigh Somerville Taylor Professional Corp.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Vice-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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