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Dossier : 2009-2005(IT)G

ENTRE :

GUY BOISVERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 mai 2011, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Kathy Kupracz

Avocat de l’intimée :

Me Grégoire Cadieux

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2007 est rejeté et la cotisation est confirmée, le tout avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2011.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 290

Date : 2011 06 16

Dossier : 2009-2005(IT)G

 

ENTRE :

 

GUY BOISVERT,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation établie à la suite du règlement d’une succession où l’appelant a agi à titre de liquidateur. Au paragraphe 15 de la Réponse à l’avis d’appel, l’intimée formule la question en litige comme suit :

 

15.       L’unique question en litige consiste à déterminer si le Ministre a correctement ajouté au revenu de l’appelant, pour l’année d’imposition 2007, le montant de 68 080,00 $ à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi?

 

[2]              Le ministre a établi la cotisation dont il est fait appel en tenant pour acquis les faits suivants :

 

a)         Monsieur Marcel Sauvé a désigné l’appelant comme étant l’un des liquidateurs de sa succession.

 

b)         Monsieur Marcel Sauvé est décédé le 12 mai 2006.

 

c)         À l’article VIII du testament de monsieur Marcel Sauvé, il est spécifié les clauses suivantes :

 

            « À titre de témoignage d’appréciation pour les services que mes liquidateurs seront appelés à rendre à ma succession, soit pour procéder à la liquidation de ma succession proprement dit, soit pour administrer les biens de ma succession ou partie de ceux-ci, je lègue :

 

            À Guy BOISVERT, mon liquidateur, à titre de legs rémunératoire, ma propriété située au 472, rue Ste-Marie à Lanoraie (Québec), J0K 1E0, comprenant sans exception ni réserve, le terrain, les bâtisses y érigées ainsi que les meubles meublant, effets de ménage et le contenu de toutes les bâtisses, en outre du remboursement de ses dépenses et de ses frais de déplacement encourus dans l’accomplissement de sa charge. Toutefois, dans l’éventualité où cette propriété ne ferait plus partie de mon patrimoine au moment de mon décès, alors je lègue à ce dernier, à titre de legs rémunératoire, une somme de CINQUANTE MILLE DOLLARS (50,000 00 $), sans intérêt, à prendre à la fin du règlement de ma succession. »

 

d)         Monsieur Marcel Sauvé avait l’intention de léguer sa propriété située au 472, rue Ste-Marie à Lanoraie (Québec), J0K 1E0, en contrepartie des services que l’appelant serait appelé à rendre à titre de liquidateur de sa succession.

 

e)         L’appelant a accepté d’agir et a agi à titre de liquidateur de la succession de feu Marcel Sauvé.

 

f)          Le 23 novembre 2007, la succession de feu Marcel Sauvé a transféré à l’appelant la propriété située au 472, rue Ste-Marie à Lanoraie (Québec), J0K 1E0.

 

g)         Dans la déclaration de transmission du 23 novembre 2007, le montant constituant la base d’imposition du droit de mutation relatif à cette propriété est de 68 080,00 $.

 

h)         Conséquemment, le Ministre a déterminé la valeur de cette propriété au moment du transfert à 68 080,00 $.

 

[3]              De plus, les parties ont convenu de soumettre une entente partielle sur les faits, dont le contenu est le suivant :

 

Les parties s’entendent sur les faits suivants aux seules fins du présent appel et sans préjudice à leur droit de faire la démonstration, lors de l’audience de cet appel, de faits supplémentaires qui ne sont pas incompatibles avec les faits mentionnés dans la présente entente :

 

1.         Marcel Sauvé a signé son testament le 3 septembre 2004 lequel prévoyait la désignation de l’Appelant et de Pierre Choquette à titre de liquidateurs de la succession;

 

2.                  L’article VIII du testament prévoit un « legs rémunératoire » à Guy Boisvert sous la forme d’une propriété située au 472, rue Ste-Marie à Lanoraie ainsi que la rémunération payable au notaire Richard Doucet pour les services que ce dernier serait appelé à rendre à la succession;

 

3.                  Marcel Sauvé est décédé le 12 mai 2006;

 

4.                  L’Appelant a accepté d’être liquidateur de la succession de Marcel Sauvé;

 

5.                  Le 18 mai 2006, l’Appelant et Pierre Choquette nomment et constituent MRichard Doucet à titre de « mandataire spécial » et lui donnent les pouvoirs prévus à cet acte (ci-après, « Acte de mandataire spécial »);

 

6.                  Le 18 mai 2006, un contrat de services professionnels intervient entre l’Appelant, Pierre Choquette et Me Richard Doucet par lequel ils mandatent Me Richard Doucet à préparer les documents prévus à cet acte (ci-après, « Acte de services professionnels »). L’article 2 de l’Acte de services professionnels prévoit les déboursés et honoraires payables au notaire Richard Doucet pour la réalisation du mandat;

 

7.                  Le 6 juillet 2006, l’Appelant a vendu le véhicule de marque Volkswagon Passat 2003 du défunt à Daniel Chevalier pour la somme de 13 500 $;

 

8.                  Le 23 novembre 2007, par le biais d’une déclaration de transmission, la propriété située au 472, rue Ste-Marie à Lanoraie a été transférée à l’Appelant. Le montant constituant la base d’imposition du droit de mutation relatif à cette propriété était de 68 080 $;

 

9.                  En vertu de l’Acte de mandataire spécial ou vertu de l’Acte de services professionnels, le notaire Richard Doucet a notamment effectué le travail suivant :

 

a)        recherche testamentaire auprès de la Chambre des notaires du Québec et auprès du Bareau du Québec;

b)       inventaire successoral;

c)        fermeture des comptes bancaires du défunt;

d)       réclamation auprès des compagnies d’assurance-vie;

e)        réclamation auprès de la Régie des rentes du Québec;

f)         acquittement des dettes du défunt;

g)        déclaration de transmission de l’immeuble sis au 472 rue Ste-Marie à Lanoraie;

h)        reddition de compte;

i)          obtention du certificat de décharge des autorités fiscales;

j)          distribution des biens aux héritiers.

 

10.              Pour l’ensemble des services rendus, le notaire Richard Doucet a facturé un montant de 52 536,04 $ (incluant les déboursés et les taxes) qui a été payé à même les biens de la succession;

 

11.              Les déclarations de revenus du défunt ont été préparées par le comptable Gilles Ducharme;

 

12.              Les seuls biens de la succession aliénés par l’Appelant sont les suivants :

 

a)        Le véhicule Volkswagon Passat 2003;

b)       La résidence située au 472 Ste-Marie à Lanoraie par le biais de la déclaration de transmission datée du 23 novembre 2007;

 

13.              Le 23 juin 2008, l’Agence du Revenu du Canada a émis une cotisation pour l’année d’imposition 2007 de l’Appelant, ajoutant à son revenu pour cette année un montant de 68 080 $ à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi;

 

14.              L’Appelant s’est opposé à cet avis d’opposition en date du 17 septembre 2008;

 

15.              Le 27 mars 2009, l’Agence du Revenu du Canada a ratifié cette cotisation pour l’année d’imposition 2007.

 

 

[4]              Seul l’appelant a témoigné. Cet enseignant à la retraire a affirmé que le testateur décédé et lui avaient une passion commune pour le militaire, notamment pour le programme des cadets, et que c’est ainsi qu’ils avaient fait connaissance au milieu des années soixante-dix.

 

[5]               Au fil des ans, l’appelant est devenu très ami avec le testateur, dont l’épouse était belge et avec laquelle il n’avait pas eu d’enfants.

 

[6]              À une certaine époque, le testateur allait vivre de longues périodes en Belgique avec son épouse, qui, de son côté, venait au Québec d’une manière régulière durant la saison estivale.

 

[7]              L’appelant a investi dans sa relation d’amitié en effectuant des visites assidues, en rendant de nombreux services, mais aussi en donnant un soutien fiable, constant et durable au testateur, au point où la relation est devenue étroite et qu’il a eu droit à des confidences et à la confiance du testateur; ce dernier a révélé à l’appelant où se trouvait le testament et lui a confié comment il voulait que se règle la succession.

 

[8]              D’ailleurs, à la lecture du testament, on constate que le testateur faisait confiance à l’appelant car il lui a confié la responsabilité rémunérée d’exécuter ses dernières volontés.

 

[9]              L’appelant a expliqué d’une manière vague et confuse le travail qu’il a exécuté dans le cadre de la charge qu’il a expressément acceptée. Il a fait référence aux nombreux déplacements, aux divers travaux, aux rencontres avec le notaire ou ses adjoints, à la vente du véhicule moteur, à la réception et à l’analyse du courrier, à la correspondance et à l’entretien des lieux; il a aussi vu à faire euthanasier le chien du testateur. Il a produit un compte pour la succession en vertu duquel il aurait parcouru 10 620 kilomètres, ce qui prouve que l’appelant a dû s’acquitter d’une certaine charge de travail dans le cadre de son mandat.

 

[10]         Tout au long de son témoignage, l’appelant a constamment minimisé le travail qu’il a effectué, faisant valoir à plusieurs reprises que le notaire avait reçu le mandat de tout régler et qu’effectivement, le notaire avait, de toute évidence, été le plus important artisan du règlement.

 

[11]         La preuve documentaire disponible a cependant établi que l’appelant avait accepté la fonction et les responsabilités qui en découlaient. Les écrits authentiques dans certains cas font preuve de leur contenu; d’ailleurs, l’appelant a reconnu sa signature faisant de lui le co-responsable du mandat confié au notaire. Après coup, il est facile d’affirmer que la rémunération prévue était démesurée au point que la majeure partie devait être considérée comme un don, une gratuité sans contrepartie. Par contre, il est tout aussi facile d’imaginer un ou même plusieurs scénarios où la même rémunération se serait avérée plutôt modeste compte tenu du travail à accomplir. Il suffit d’imaginer l’hypothèse où un ou des héritiers auraient attaqué la validité du testament.

 

[12]         L’honorable juge Lucie Lamarre a rendu un jugement en juin 2008 dans l’affaire Jean-Claude Messier c. La Reine, 2007-3624(IT)I. Certes, il s’agissait d’un dossier régi par la procédure informelle, mais la Loi n’est pas différente en matière informelle.

 

[13]          Comme le jugement expose très clairement les dispositions légales qui doivent être prises en compte, je crois utile de les reproduire puisqu’il s’agit exactement des mêmes dispositions qui doivent être prises en compte en l’espèce :

 

[3]        Il ne semble pas contesté que, si cette somme se qualifie effectivement comme une rémunération pour l’exécution de leur charge comme liquidateur de la succession, cette somme devienne imposable entre leurs mains. La Cour suprême du Canada a effectivement reconnu dans un ancien arrêt que la rémunération additionnelle reçue par un légataire pour l’exécution de sa charge comme exécuteur testamentaire (liquidateur selon le nouveau Code civil du Québec (« Code civil »)) était imposable aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») (voir MacKenzie Estate c. Canada, [1937] S.C.R. 192).

 

[4]      Une telle rémunération serait imposable aux termes de l’alinéa 3a) et de  l’article 5 de la LIR ainsi que de la définition de « charge » à l’article 248 de la LIR. Ces dispositions législatives se lisent comme suit :

 

ARTICLE 3 : Revenu pour l’année d’imposition

 

Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

 

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien) dont la source se situe au Canada ou à l'étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

 

ARTICLE 5 : Revenu tiré d’une charge ou d’un emploi

 

(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année.

 

ARTICLE 248 : Définitions

 

(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

« charge » Poste qu'occupe un particulier et qui lui donne droit à un traitement ou à une rémunération fixes ou vérifiables, y compris une charge judiciaire, la charge de ministre de la Couronne, la charge de membre du Sénat ou de la Chambre des communes du Canada, de membre d'une assemblée législative ou de membre d'un conseil législatif ou exécutif et toute autre charge dont le titulaire est élu au suffrage universel ou bien choisi ou nommé à titre représentatif, et comprend aussi le poste d'administrateur de société; « fonctionnaire » ou « cadre » s'entend de la personne qui détient une charge de ce genre, y compris un conseiller municipal et un commissaire d'école.

 

[5]        Selon le Code civil, la tâche du liquidateur constitue effectivement une charge pour laquelle il peut avoir droit à une rémunération s’il est par ailleurs déjà un héritier et que le testateur y pourvoie. Les dispositions applicables du Code civil sont les articles 783 et suivants :

 

CHAPITRE DEUXIÈME - DU LIQUIDATEUR DE LA SUCCESSION

SECTION I - DE LA DÉSIGNATION ET DE LA CHARGE DU LIQUIDATEUR

 

783. Toute personne pleinement capable de l'exercice de ses droits civils peut exercer la charge de liquidateur.

 

La personne morale autorisée par la loi à administrer le bien d'autrui peut exercer la charge de liquidateur.

 

784. Nul n'est tenu d'accepter la charge de liquidateur d'une succession, à moins qu'il ne soit le seul héritier.

 

785. La charge de liquidateur incombe de plein droit aux héritiers, à moins d'une disposition testamentaire contraire; les héritiers peuvent désigner, à la majorité, le liquidateur et pourvoir au mode de son remplacement.

 

786. Le testateur peut désigner un ou plusieurs liquidateurs; il peut aussi pourvoir au mode de leur remplacement.

 

La personne désignée par le testateur pour liquider la succession ou exécuter son testament a la qualité de liquidateur, qu'elle ait été désignée comme administrateur de succession, exécuteur testamentaire ou autrement.

 

787. Les personnes qui exercent ensemble la charge de liquidateur doivent agir de concert, à moins qu'elles n'en soient dispensées par le testament ou, à défaut de disposition testamentaire, par les héritiers.

 

En cas d'empêchement d'un des liquidateurs, les autres peuvent agir seuls pour les actes conservatoires et ceux qui demandent célérité.

 

788. Le tribunal peut, à la demande d'un intéressé, désigner ou remplacer un liquidateur, à défaut d'entente entre les héritiers ou en cas d'impossibilité de pourvoir à la nomination ou au remplacement du liquidateur.

 

789. Le liquidateur a droit au remboursement des dépenses faites dans l'accomplissement de sa charge.

 

Il a droit à une rémunération s'il n'est pas un héritier; s'il l'est, il peut être rémunéré, à la condition que le testament y pourvoie ou que les héritiers en conviennent.

Si la rémunération n'a pas été fixée par le testateur, elle l'est par les héritiers ou, en cas de désaccord entre les intéressés, par le tribunal.

 

790. Le liquidateur n'est pas tenu de souscrire une assurance ou de fournir une autre sûreté garantissant l'exécution de ses obligations, à moins que le testateur ou la majorité des héritiers ne l'exige, ou que le tribunal ne l'ordonne à la demande d'un intéressé qui établit la nécessité d'une telle mesure.

 

Si, étant requis de fournir une sûreté, le liquidateur omet ou refuse de le faire, il est déchu de sa charge, à moins que le tribunal ne le relève de son défaut.

 

791. Tout intéressé peut demander au tribunal le remplacement du liquidateur qui est dans l'impossibilité d'exercer sa charge, néglige ses devoirs ou ne respecte pas ses obligations.

 

Le liquidateur continue à exercer sa charge pendant l'instance, à moins que le tribunal ne décide de désigner un liquidateur provisoire.

 

792. Tout intéressé peut, si le liquidateur n'est pas désigné, tarde à accepter ou à refuser la charge, ou doit être remplacé, s'adresser au tribunal pour faire apposer les scellés, faire inventaire, nommer provisoirement un liquidateur ou rendre toute autre ordonnance propre à assurer la conservation de ses droits. Ces mesures profitent à tous les intéressés, mais ne créent entre eux aucune préférence. Les frais d'inventaire et de scellés sont à la charge de la succession.

 

793. Les actes faits par la personne qui, de bonne foi, se croyait liquidateur de la succession sont valables et opposables à tous.

 

[6]        En l’instance, la question qui se pose est donc celle de savoir si la somme de 15 000 $ reçue par chacun des deux appelants constitue une rémunération pour l’exécution de leur charge (un legs rémunératoire) ou d’un legs particulier (une simple libéralité) auquel cas, la somme ainsi reçue ne serait pas imposable, puisqu’elle ne serait pas une rémunération reçue dans l’exécution d’une charge aux termes de l’article 5 de la LIR.

 

[7]        Pour faire une telle distinction, l’intention du testateur exprimée par la disposition testamentaire devient le meilleur guide. Voici ce que dit un premier auteur à ce sujet :

 

Comment distinguer le legs rémunératoire de la simple libéralité contenue dans un legs particulier? L’intention du testateur exprimée à travers la disposition testamentaire demeure le meilleur guide, et seule une rédaction soignée et la précision des termes utilisés aideront à dégager clairement cette intention56.

 

56.           M. ROY, « Chronique. La rémunération de l’exécuteur testamentaire, (1983)   R.P.F.S. 206-207

 

[8]        Un autre auteur s’exprime aussi :

 

Il faut par conséquent apporter une certaine prudence quant à l’interprétation que l’on donne à l’ensemble des clauses retrouvées au testament, en ce qui concerne la gratification accordée à l’exécuteur testamentaire; l’intention du testateur y est pour beaucoup et ce n’est que par une rédaction soignée que cette intention se dégagera clairement des termes employés au testament prévoyant une telle rémunération.

 

Ainsi, un legs spécifique à l’exécuteur testamentaire d’une somme de 1 000,00 $ ne saurait être assimilé à une rémunération si aucune référence à sa charge ne s’induit de l’ensemble des dispositions testamentaires; il faudrait en conclure qu’il s’agit d’un simple legs particulier qui a pour fondement une libéralité proprement dite. Il en va autrement si le testament prévoit que l’exécuteur testamentaire aura droit à un honoraire de 1 000,00 $ en regard du travail accompli dans le cadre de l’exécution testamentaire. Même le fait de ne pas qualifier d’honoraire cette somme de 1 000,00 $ peut laisser présager l’absence totale de gratuité si l’intention du testateur était d’assujettir le paiement à l’acceptation de l’exécution testamentaire; [...]

 

[…] la disposition testamentaire reste le seul écrit capable de discerner le legs rémunératoire de la simple libéralité exprimée par legs particulier; […]

 

[14]         Dans ce dossier, les deux appelants étaient deux des 15 légataires universels de la succession de Raoul Messier. Le testament prévoyait également toute une série de legs particuliers aux neveux et aux nièces par alliance, de même qu’à différentes institutions publiques.

 

[15]         En ce qui concerne le testament et son contenu, les dispositions étaient similaires à celles dont il est question dans notre dossier.

 

[16]         En l’espèce, l’appelant soutient que la qualification du legs est inadéquate en ce qu’il ne s’agissait pas en réalité d’un legs rémunératoire, mais d’un simple legs particulier assujetti à certaines conditions peu onéreuses.

 

[17]         Le principal argument à l’appui de ses prétentions est le fait que la valeur du montant obtenu prévu par le legs ou la rétribution est démesurément plus importante que la valeur du travail et des services rendus. Il a même été question qu’une contrepartie raisonnable aurait pu se situer dans les environs de 15 000,00 $ alors qu’elle a été établie à près de 70 000,00 $.

 

[18]         La thèse de l’appelant est certes intéressante, mais elle n’est carrément pas suffisante pour lui donner gain de cause d’une part, et, d’autre part, cela supposerait que le tribunal occulte ou écarte le contenu de plusieurs écrits clairs et précis, mais aussi pertinents et significatifs pour l’analyse de la thèse de l’appelant.

 

[19]         En effet, dans un premier temps, le testament, acte authentique préparé par un notaire, prévoit et stipule d’une manière claire et précise la nature et la qualité du legs dont bénéficie l’appelant. Non seulement l’appelant a-t-il expressément accepté les modalités et les conditions du legs, mais il a concrètement effectué les tâches et assumé les responsabilités qui lui incombaient et qui découlaient de la charge acceptée.

 

[20]         Après coup, une fois libéré de ses obligations, il est facile de prétendre que la contrepartie était substantiellement plus importante que la valeur des services rendus. Par contre, il est tout aussi facile d’imaginer, eu égard à l’importance des actifs, les multiples problèmes potentiels qu’aurait pu présenter la liquidation de cette succession.

 

[21]         Le de cujus, dans sa sagesse, a prévu et stipulé, tout en étant conseillé par un juriste, ce qu’il désirait; sa capacité de payer lui permettait d’exprimer sa reconnaissance en faisant preuve de générosité.

 

[22]         Il n’appartient pas à l’appelant de questionner la volonté du défunt ou de mettre en doute notamment les écrits suivants :

 

-         Le testament authentique portant le numéro du ministre 13 663 signé devant le notaire Richard Doucet, le 3 septembre 2004;

-         L’inventaire successoral notarié, portant le numéro du ministre 14 619, signé par l’appelant devant le notaire Doucet, le 16 octobre 2006;

-         La déclaration de transmission signée par l’appelant à titre personnel et à titre de liquidateur, le 23 novembre 2007;

-         Les redditions, en novembre 2008;

-         Le contrat de service professionnel, signé par l’appelant le 18 mai 2006.

 

[23]         De son côté, le testament a le mérite de reposer essentiellement sur des écrits préparés par un juriste ayant les connaissances et l’expérience requises pour exprimer les dernières volontés du testateur.

 

[24]          Jusqu’à ce moment-là, l’appelant n’avait pas eu voix au chapitre. Par contre, à l’ouverture de la succession, l’appelant pouvait renoncer au legs qui le concernait, évitant ainsi toutes les conséquences inhérentes. Au contraire, il a manifestement accepté avec empressement et, dès lors, fait le nécessaire pour liquider la succession et avoir droit à la rémunération stipulée.

 

[25]         Les deux liquidateurs, dont l’appelant, ont franchi les nombreuses étapes de la liquidation menant au règlement.

 

[26]         À la lumière du contenu d’une lettre adressée au notaire, le dossier a cheminé normalement, et ce, à la satisfaction des héritiers.

 

[27]         Le de cujus avait une grande estime, mais aussi le plus grand respect, pour l’appelant et un collègue agissant comme coliquidateurs. La responsabilité qu’il leur a demandé d’assumer était importante et le contexte était aussi particulier, les légataires étant des frères, sœurs, neveux et nièces et le montant à partager étant important.

 

[28]         Compte tenu de l’actif de la succession qui dépassait deux millions, le legs rémunératoire n’était pas déraisonnable. Il s’agissait d’une contrepartie raisonnable, particulièrement si le testateur a tenu pour acquis que le legs serait assujetti à l’impôt. Certes, il s’agit là d’une hypothèse, mais je rappelle que le testament a été préparé par un notaire.

 

[29]         La qualification d’un revenu n’est pas fonction de son importance, mais plutôt de sa source : il n’existe aucune formule ou recette pour déterminer la raisonnabilité d’une rétribution qui, très souvent, est fonction d’un nombre infini de particularités.

 

[30]         En l’espèce, l’importance de la succession à régler, la capacité de payer de la succession, la générosité du testateur, la qualité de la relation entre l’appelant et le défunt sont autant d’éléments qui décrivent la réalité des faits que l’appelant voudrait dépeindre de façon différente; les arguments de l’appelant ne sont pas très convaincants, ils sont plutôt faibles et ne reposent sur aucun fondement juridique, s’appuyant essentiellement sur ce qu’il définit par la raisonnabilité, notion subjective interprétée par une personne très intéressée.

 

[31]          De plus, le vocabulaire utilisé ne prête pas à confusion. Dans une situation où une partie est décédée après avoir eu recours à un spécialiste pour l’aider à formuler ses dernières volontés quant à ses actifs, il est téméraire pour l’appelant de formuler des hypothèses, d’autant plus que la contestation des écrits repose essentiellement sur des arguments dont les fondements sont plutôt fragiles et certainement peu convaincants.

 

 

 

[32]         Pour ces raisons, l’appel est rejeté, le tout avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2011.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 290

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2005(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Guy Boisvert c. sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 3 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Kathy Kupracz

Avocat de l’intimée :

Me Grégoire Cadieux

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                            Me Kathy Kupracz

 

                 Cabinet :                           Cain Lamarre Casgrain Wells

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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