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Dossier : 2016‑323(IT)I

ENTRE :

RABBIN ADAM LICHTMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Rabbin Lawrence Goldman, 2016‑324(IT)I et Rabbin Shlomo Estrin, 2016‑326(IT)I le 7 février 2017, les 8, 9, 10 et 11 mai 2017 et les 14, 15 et 16 juin 2017, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Toaze

Me Eric Brown

Avocats de l’intimée :

Me Robert Danay

Me Elizabeth MacDonald

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2012 et 2013 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


Dossier : 2016‑324(IT)I

ENTRE :

RABBIN LAWRENCE GOLDMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Rabbin Adam Lichtman, 2016‑323(IT)I et Rabbin Shlomo Estrin, 2016‑326(IT)I le 7 février 2017, les 8, 9, 10 et 11 mai 2017 et les 14, 15 et 16 juin 2017, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Toaze

Me Eric Brown

Avocats de l’intimée :

Me Robert Danay

Me Elizabeth MacDonald

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


Dossier : 2016‑326(IT)I

ENTRE :

RABBIN SHLOMO ESTRIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Rabbin Adam Lichtman, 2016‑323(IT)I et Rabbin Lawrence Goldman, 2016‑324(IT)I le 7 février 2017, les 8, 9, 10 et 11 mai 2017 et les 14, 15 et 16 juin 2017, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Toaze

Me Eric Brown

Avocats de l’intimée :

Me Robert Danay

Me Elizabeth MacDonald

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2011 et 2012 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


TABLE DES MATIÈRES

I.         Introduction. 1

II.       Thèse de l’appelant 3

III.           Thèse de l’intimée. 4

IV.           Les faits. 4

A. Judaïsme orthodoxe. 5

B. La Vancouver Hebrew Academy (« VHA ») et le témoignage du rabbin Dan Pacht 6

C. Le rôle des appelants auprès de la VHA et dans la communauté juive de Vancouver 9

D. Rabbin Lawrence Goldman. 11

E. Rabbin Shlomo Estrin. 14

F. Rabbin Adam Lichtman. 15

G. Congrégation de Schara Tzedeck et le rôle du rabbin de la synagogue. 16

V.      Analyse des rapports d’expert 19

A. Admissibilité du rapport du tribunal rabbinique. 19

a)        Opposition fondée sur la « décision officielle » d’un tribunal religieux. 20

b)       Opposition fondée sur l’indépendance des rabbins Feigelstock et Rosenblatt 21

B. Admissibilité du rapport d’expert du rabbin Eleff 27

a)        Qualification suffisante de l’expert 28

b)       Pertinence. 32

c)        Nécessité d’aider le juge des faits. 34

d)       Règles d’exclusion. 35

VI.           Déduction pour résidence des membres du clergé. 38

A. Les appelants avaient‑il « la charge » des étudiants qui fréquentaient la VHA?. 38

(i) Jurisprudence. 38

(ii) La preuve d’expert sur le Judaïsme orthodoxe, l’éducation sur la Torah et le rôle des rabbins. 45

a)      Valeur probante du rapport du tribunal rabbinique. 45

b)     Aucun consensus quant au caractère spirituel de l’éducation sur la Torah. 46

c)      Le rôle principal d’un rabbin. 49

d)     Mes conclusions quant à la preuve d’expert sur le Judaïsme orthodoxe et au terme « ministering ». 54

B. Les étudiants qui fréquentent la VHA constituent‑ils une « congrégation » au sens du sous‑alinéa 8(1)c)(ii)?. 55

(i) Jurisprudence. 55

(ii) Interprétation législative. 58

a)      Sens textuel et ordinaire. 58

b)     Sens contextuel 60

c)      Objectif et économie générale de la Loi 66

C. Les appelants avaient‑ils également la charge d’une congrégation de la communauté juive générale de Vancouver?. 69

VII.         Conclusion. 70


Référence : 2017 CCI 252

Date : 20171218

Dossier : 2016‑323(IT)I

ENTRE :

RABBIN ADAM LICHTMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2016‑324(IT)I

ET ENTRE :

RABBIN LAWRENCE GOLDMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2016‑326(IT)I

ET ENTRE :

RABBIN SHLOMO ESTRIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Campbell

       I.            Introduction

[1]              Les présents appels portent sur l’interprétation et l’application du sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et, plus particulièrement de la division 8(1)c)(ii)(B). Je dois décider si les devoirs et fonctions d’enseignants des appelants à l’académie Vancouver Hebrew Academy (la « VHA ») faisaient en sorte qu’ils « a[vaient] la charge […] d’une congrégation », ce qui leur permettrait de demander la déduction pour « résidence des membres du clergé » (la « déduction »), conformément à cette disposition.

[2]              Rabbin Adam Lichtman interjette appel des avis de nouvelles cotisations et de cotisation établis par le ministre du Revenu national (le « ministre ») à l’égard de ses années d’imposition 2012 et 2013, respectivement. Rabbin Lawrence Goldman interjette appel des avis de nouvelles cotisations et de cotisation établis à l’égard de ses années d’imposition 2011, 2012 et 2013, respectivement. Rabbin Shlomo Estrin interjette appel des avis de nouvelles cotisations établis à l’égard de ses années d’imposition 2011 et 2012, respectivement.

[3]              Les appelants sont des rabbins ordonnés de la communauté juive orthodoxe. Pendant les années d’imposition faisant l’objet de l’appel, les appelants enseignaient le programme des Études juives aux enfants qui fréquentaient la VHA, la seule école primaire juive orthodoxe de jour dans la communauté juive de Vancouver. Dans le calcul de leur revenu net pendant ces années d’imposition, chacun des appelants a déclaré la déduction que le ministre a refusée au motif que les appelants n’avaient pas la charge d’une congrégation, conformément au sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi.

[4]              L’alinéa 8(1)c) établit deux critères, le critère du statut et celui des fonctions, dont les deux doivent être respectés afin d’avoir droit à cette déduction. Les appelants répondent au premier critère, soit le critère relatif au statut, en ce qu’ils sont « membre[s] du clergé ou d’un ordre religieux ou […] régulier d’une confession […] » en vertu du sous‑alinéa 8(1)c)(i) de la Loi. Le critère en litige est le deuxième, soit le critère relatif aux fonctions, en vertu du sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi. La seule question dont je suis saisie est celle de savoir si les activités et les fonctions des appelants à la VHA, ainsi que dans la communauté juive orthodoxe plus générale de Vancouver, peuvent être considérés comme « a[voir] la charge d’une […] congrégation », conformément à la division 8(1)c)(ii)(B). Un des éléments pour trancher la question concerne une décision quant à l’admissibilité et la valeur probante à accorder aux deux rapports d’experts, un provenant du tribunal rabbinique et déposé pour le compte des appelants et le deuxième provenant du rabbin William (Zev) Eleff et déposé pour le compte de l’intimée.

[5]              Ces appels, entendus sur preuve commune, ont été intentés devant moi en février 2017, selon la procédure informelle. Presque immédiatement suivant le début de l’interrogatoire principal du premier témoin des appelants, soit le rabbin Dan Pacht, les avocats de l’intimée se sont opposés à une série de questions posées par les avocats des appelants concernant les textes et les principes du Judaïsme orthodoxe. L’opposition a été soulevée au motif que les questions posées concernaient un domaine qui relevait de la preuve d’expert. J’ai approuvé l’opposition de l’intimée et puisque l’instance a été intentée en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle), j’ai ajourné les appels et j’ai ordonné aux parties d’obtenir et de déposer des rapports d’expert. Lorsque l’audience a repris en mai 2017, les appelants ont déposé un rapport d’expert rédigé par le rabbin Andrew Rosenblatt et cosigné par le rabbin Avraham Feigelstock. Ce rapport a été fourni [traduction] « […] au nom de Beit Din ou du tribunal rabbinique du Orthodox Rabbinical Council de la Colombie‑Britannique » (le « tribunal rabbinique »). [Rapport du tribunal rabbinique, à la page 3]. L’intimée a déposé un rapport d’expert rédigé par le rabbin William Eleff. Sans préavis à la partie adverse, les avocats des appelants et ceux de l’intimée ont tous procéder à s’opposer à l’admissibilité du rapport de l’autre partie. Des voir‑dire ont été tenus afin de déterminer l’admissibilité des deux rapports. J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) et j’ai retenu la suggestion des avocats des deux parties selon laquelle je réserve mes décisions dans les voir‑dire et de les rendre en même temps que mes motifs écrits dans les présents appels.

[6]              Après avoir examiné les éléments de preuve déposés pendant les voir‑dire, j’ai conclu que les deux rapports seront recevables sous réserve des qualifications que j’ai imposées. Les rapports qui ont été indiqués comme les pièces A‑2 et R‑14 uniquement aux fins de l’audience sont maintenant acceptés et font partie du dossier en tant que pièces intégrales.

    II.            Thèse de l’appelant

[7]              Les appelants soutiennent qu’ils ont le droit de demander la déduction pour résidence des membres du clergé pendant les périodes pertinentes parce qu’ils enseignent la religion juive et donnent des conseils aux enfants juifs orthodoxes qui fréquentent la VHA qui ont été rassemblés principalement aux fins de cet enseignement. En dirigeant ces enfants selon le culte juif et en les enseignant les principes et les valeurs juifs, les appelants avaient la charge d’une congrégation. Les appelants ont invoqué bon nombre de décisions tranchées par l’ancien juge en chef Bowman pour étayer leur argument (déclaration préliminaire des appelants, pages 7 et 8).

 III.            Thèse de l’intimée

[8]              L’intimée soutient que si je retiens l’argument des appelants concernant l’interprétation du sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi, il serait incompatible avec le sens ordinaire de la disposition, avec son contexte dans l’économie générale de la Loi, avec l’intention du législateur d’exclure délibérément les activités d’enseignement à temps plein de la portée de cette disposition et qu’il entraînera le résultat absurde où, contrairement aux autres dénominations judéo‑chrétienne, une activité religieuse entreprise par les rabbins orthodoxes serait nécessairement visée par la signification de l’expression « a la charge […] d’une congrégation » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 4).

IV.            Les faits

[9]              J’ai entendu le témoignage de sept témoins, dont chacun est un rabbin juif orthodoxe :

        les trois appelants dans les présents appels;

        le rabbin Dan Pacht, le responsable de la VHA;

        le rabbin Avraham Feigelstock, qui est actuellement le responsable de Beit Din, une expression hébraïque pour un tribunal rabbinique dont la traduction est [traduction] « maison de jugement » (pièce A‑2, page 3), l’autorité de la loi juive pour le Orthodox Rabbinical Council de la Colombie‑Britannique;

        le rabbin Andrew Rosenblatt, un membre du Orthodox Rabbinical Court de la Colombie‑Britannique depuis 2003, un rabbin principal de Schara Tzedeck, le synagogue juif orthodoxe le plus important à Vancouver et un membre du Rabbinical Council of America et président de son comité de développement déontologique. Il a été présenté par les appelants en tant que témoin expert proposé dans le domaine des lois et des pratiques du Judaïsme orthodoxe et en tant que témoin de fait en ce qui concerne son rôle de rabbin au Schara Tzedeck;

        le rabbin William (Zev) Eleff, qui est actuellement le directeur des études du Hebrew Theological College, le principal collège orthodoxe et séminaire rabbinique dans le mid‑ouest américain et un membre du Orthodox Rabbinical Council of America, l’organisation rabbinique orthodoxe la plus importante dans le monde. Il était le seul témoin de l’intimée et a été cité à témoigner en tant qu’expert proposé dans le domaine de la religion en Amérique du Nord en mettant un accent particulier sur l’histoire, le droit canonique et les pratiques du Judaïsme orthodoxe et du rabbinat.

Je discuterai du témoignage du rabbin Feigelstock, du rabbin Rosenblatt et du rabbin Eleff dans mon analyse des rapports d’expert.

A. Judaïsme orthodoxe

[10]         Le Judaïsme orthodoxe constitue l’un des trois mouvements ou dénominations modernes du Judaïsme en Amérique du Nord. En raison du rôle central que la tradition, les coutumes et les pratiques jouent en Judaïsme orthodoxe, il est important d’enseigner ces principes aux enfants dès un jeune âge. Ces coutumes et croyances tirent leur origine de deux textes sacrés, soit la Torah et le Talmud. La Torah établit 613 commandements qui touchent chaque aspect de la vie d’un Juif orthodoxe. Ceux‑ci comprennent le respect des règles de l’alimentation casher, le récit de prières, les études de la Torah, les circoncisions rituelles et le port d’enfants.

[11]         Les Juifs orthodoxes croient que la Torah a été communiquée directement de Dieu à Moïse au Mont‑Sinaï. Le Judaïsme orthodoxe est fondé sur la croyance que ce groupe a été exilé à Babylonie et est retourné en Israël avec Ezra et Nehemiah. Le Judaïsme orthodoxe a préservé les textes de fondement subséquents de la loi juive dans la Mishnah et dans le Talmud de la Babylonie. Après des générations de commentaires compilés sur la Mishnah antérieure, les rabbins ont finalement adopté le Talmud de la Babylonie comme leur texte faisant plus autorité (arguments et observations des appelants, page 23).

[12]         Le Talmud est une codification de la loi orale, éditée afin d’inclure les éclaircissements subséquents aux lois prévues dans la Torah. On a ajouté davantage à ces lois et elles ont aussi été expliquées par des rabbins qui ont produit d’autres codes et textes à cet égard. En plus de la loi juive, le Talmud contient également les traditions (haggadah), même s’il ne semble exister aucun consensus rabbinique quant à la mesure dans laquelle les aspects du Talmud liés à la tradition font autorité. La tradition talmudique prévoit que le commandement biblique d’étudier la Torah l’emporte sur l’ensemble de tous les autres 613 commandements et le rapport du tribunal rabbinique était fondé sur cet argument pour invoquer l’importance fondamentale de l’éducation religieuse pour le Judaïsme orthodoxe. Toutefois, en contre‑interrogatoire, le rabbin Rosenblatt a reconnu que cet énoncé constituerait un [traduction] « énoncé hyperbole » qui est utilisé pour décrire et souligner l’importance de divers commandements (transcription, volume 3, pages 314 à 317 et observations écrites de l’intimée, page 14). Le rapport du tribunal rabbinique affirme que l’obligation d’étudier la Torah est un acte religieux et que le récit de bénédictions est requis avant d’étudier la Torah. Le rabbin Rosenblatt a également affirmé que les juifs orthodoxes doivent réciter quotidiennement plus de 100 bénédictions, dont certaines ont lieu pendant les services de prière, tandis que d’autres sont récitées avant ou après des activités routinières, comme dès le réveil, après avoir quitté la salle de bain, mangé du pain ou s’être lavé les mains. Les juifs orthodoxes doivent participer à trois services de prière quotidiens pendant la semaine, à quatre services de prière pendant le Shabbath et à cinq services de prières pendant les fêtes juives et la fête du YomKippour.

B. La Vancouver Hebrew Academy (« VHA ») et le témoignage du rabbin Dan Pacht

[13]         Le rabbin Pacht est titulaire d’un grade de premier cycle et d’un grade supérieur en études rabbiniques et talmudiques de la Talmudical Institute de New York, ainsi que d’une maîtrise en sciences en administration de l’éducation de la New York State University. Il a obtenu son ordination à Tennessee. Le rabbin Pacht est à la VHA depuis août 2004 et était le chef de l’école pendant les années d’imposition en litige. Il a embauché les rabbins Goldman et Lichtman.

[14]         La communauté juive orthodoxe à Vancouver est relativement petite et compte environ 600 familles. Environ 20 à 30 rabbins juifs orthodoxes, y compris les trois appelants, offrent des services à cette communauté. Il y a cinq écoles juives de jour, deux écoles primaires et trois écoles secondaires. La VHA est la seule école primaire juive orthodoxe de jour à Vancouver et les parents paient des frais de scolarité pour que leurs enfants puissent fréquenter l’école. Pendant les années d’imposition en litige, les parents payaient des frais de scolarité de 10 000 $ par enfant.

[15]         La VHA a été établie et est exploitée par la Hebrew Academy Society (la « VHA Society ») de Vancouver. La constitution de la VHA Society déclare que ses objectifs étaient, entre autres :

[traduction]

[…]

a.         établir et exploiter une ou plusieurs écoles à l’intention des enfants juifs, qui comprend un programme complet d’études générales et un programme complet d’études juives et dont les politiques seront conformes aux principes du Judaïsme orthodoxe;

b.         exercer des activités consacrées à l’évolution de l’éducation juive orthodoxe;

c.         établir une identité juive positive solide, un amour pour le Judaïsme et un sentiment profond d’engagement et de participation avec la nation d’Israël et « K’lal Yisrael » – la communauté mondiale d’Israël;

d.         enseigner aux enfants les traits de caractère, la moralité et les éthiques qui ressortent des enseignements de la foi juive et qui tiennent compte de la vie juive traditionnelle;

[…]

(pièce A‑1, onglet 1)

[16]         La VHA exploite une école primaire agréée qui offre un programme double composé d’études en Judaïsme et des études générales qui sont conformes aux exigences du British Columbia Ministry of Education (ministère de l’Éducation). Les étudiants suivent des études à la VHA de la maternelle jusqu’en septième année. Pendant les années d’imposition faisant l’objet des appels, un total de 115 à 130 étudiants étaient inscrits à la VHA. Des familles des étudiants qui fréquentent la VHA, 35 % sont affiliées avec la synagogue, Schara Tzedeck. Les autres familles sont affiliées avec les synagogues de la religion juive orthodoxe ou d’autres dénominations religieuses juives.

[17]         Le rabbin Pacht a indiqué que la VHA réalise les objectifs de la VHA Society en communiquant aux enfants juifs orthodoxes les valeurs, les éthiques et les principes enchâssés dans la Torah et plus particulièrement les 613 commandements (mitzvot), qui régissent presque tous les aspects de la vie d’un Juif orthodoxe. La « Torah » peut avoir un sens large ou étroit, mais dans ce contexte, elle est appliquée dans son sens large pour indiquer l’ensemble du droit canonique contenu dans les lois écrites (les cinq livres de la Bible) et les lois orales (Talmud), ainsi que les explications et les commentaires subséquents (rapport du tribunal rabbinique, pièce A‑2, page 4). La mission de la VHA relative à son programme des Études juives vise particulièrement à donner une éducation fondée sur la Torah qui [traduction] « inspire la poursuite de l’excellence académique et offre aux enfants les compétences fondamentales pour renforcer leur identité juive et inspire en eux la passion d’explorer leur patrimoine juif et le monde » (pièce A‑1, programme des Études juives, onglet 5, page 110).

[18]         Les étudiants qui fréquentent la VHA consacrent plus de 50 % de leur journée à étudier le Judaïsme, commençant par les prières du matin auxquelles tous les étudiants participent. Les prières de l’après‑midi sont présentées aux étudiants des années intermédiaires. Ces prières sont dirigées par les enseignants des Études juives, comme les appelants, avec les étudiants qui apprennent non seulement comment réciter les prières, mais également leur signification. Même si les services de prière sont tenus dans une salle ordinaire, les étudiants s’orientent de façon à ce qu’ils fassent face à l’est de manière semblable aux prières récitées dans une synagogue. Dans les années supérieures, les étudiants ont l’occasion de diriger les prières [traduction] « […] de la même façon que s’il pouvait y avoir un dirigeant dans la congrégation […] semblable à ce qu’ils constateraient dans une synagogue. » (Transcription, volume 3, page 423, lignes 16 à 20, témoignage du rabbin Pacht). Pendant la semaine, plus de 90 % des étudiants participent au culte religieux uniquement à la VHA, plutôt qu’à une synagogue, mais cela vise à préparer les étudiants aux fins de prières à la synagogue.

[19]         Le programme des Études juives est composé des cours de Chumash (la Bible), de Navi (les prophètes), de Tefillah (les prières), de Halakhah (les lois juives), de Guemarah (le Talmud), d’histoire juive et de connaissances générales juives. L’hébreu est également enseigné aux étudiants afin de les permettre de continuer leur étude viagère de la Torah.

[20]         Le rabbin Pacht a témoigné au sujet des cours offerts aux étudiants à la VHA. Le Chumash présente aux étudiants les textes sacrés de la Bible, les cinq livres de Moïse. Le Navi est un cours au pendant lequel les étudiants étudient les livres des prophètes – Joshua, juges, Livres de Samuel et Livre des Rois. Le Tefillah englobe un cours sur la façon dont les prières sont récitées de manière appropriée. Le Halakhah présente aux étudiants les lois juives en mettant l’accent sur les lois et les pratiques liées au Shabbath et aux fêtes religieuses. Le Guemarah expose les étudiants au Talmud, la tradition orale de la loi qui est considérée par les Juifs orthodoxes comme ayant été communiquée directement de Dieu à Moïse et qui a été ensuite codifiée. L’étude des lois juives expose les étudiants à l’histoire complète des peuples juifs, des temps anciens jusqu’à l’histoire juive moderne, y compris la formation de l’État d’Israël. Le cours de connaissances générales porte particulièrement sur les éléments fondamentaux des connaissances juives, y compris les commandements, les catégories d’animaux, d’oiseaux et de poissons casher énumérés dans les livres des lois écrites, comme les cinq livres de la Bible.

[21]         Les étudiants à la VHA suivent également d’autres coutumes et pratiques du Judaïsme orthodoxe, puisqu’ils apprennent comment vivre leur vie conformément aux 613 commandements de la Torah. Par exemple, uniquement les aliments casher sont autorisés à l’école. En plus, les étudiants doivent apporter du pain pour leur petit‑déjeuner afin qu’ils puissent participer à la pratique de « benching », un terme utilisé pour réciter les grâces après avoir mangé un repas de pain, un des 613 commandements.

[22]         Pendant les années d’imposition, la VHA employait des enseignantes pour enseigner certains éléments du programme des Études juives. Les fonctions des enseignants contenues dans les contrats de travail, que chacun des appelants avait conclus avec la VHA, étaient les mêmes que ceux énoncés dans les contrats conclus avec les enseignantes qui n’étaient pas des rabbins ordonnés.

[23]         La VHA offrait également des classes spéciales aux étudiants, comme des cours avancés en études du Talmud, pendant l’heure du petit‑déjener et après l’école.

[24]         Même si trois synagogues orthodoxes à Vancouver offrent des instructions religieuses aux enfants pendant quelques heures chaque semaine, le rabbin Pacht a indiqué que le programme de la VHA des Études juives était plus détaillé, intense et expérientiel (transcription, volume 3, pages 418 et 419).

[25]         Le rabbin Pacht a affirmé qu’il encourageait les rabbins de la VHA de participer activement dans la communauté juive générale et aux synagogues, même si cette exigence ne faisait pas partie de leurs fonctions énumérées dans leur contrat de travail conclu avec la VHA (transcription, volume 3, pages 426 à 428).

C. Le rôle des appelants auprès de la VHA et dans la communauté juive de Vancouver

[26]         Pendant les années d’imposition en litige, les appelants étaient employés en tant qu’enseignants des Études juives à la VHA, conformément à des contrats de travail (les « contrats d’enseignement » conclus avec la VHA Society. Les appelants n’enseignaient aucun des cours du programme des études générales. Les contrats d’enseignement définissent chacun des appelants comme [traduction] l’« employé » ou [traduction] l’« enseignant » et exigeaient que l’exécution des fonctions de l’enseignant à la VHA en vertu de ces contrats devait [traduction] « avoir préséance sur tout autre engagement professionnel pris auprès d’autres parties » (pièce A‑1, onglet 2, clause 3.2). Chaque contrat prévoit davantage que l’enseignant est responsable de toutes les fonctions qui sont décrites à l’annexe A du contrat.

[27]         L’annexe A des contrats d’enseignement est intitulée [traduction] « Description de travail du personnel enseignant ». Cette annexe établit à la fois les fonctions générales et particulières que l’enseignant doit exécuter.

[28]         Les fonctions générales qui sont décrites à l’annexe A sont celles que tout enseignant devrait exécuter dans une école ordinaire et comprennent : faire preuve d’une conduite professionnelle, participer aux fonctions de supervision, des responsabilités concernant les programmes spéciaux, assister aux réunions du personnel, assister aux entretiens entre parents et enseignants, participer aux activités de l’école et préparer et soumettre les plans de cours ayant un contenu particulier au mois de septembre de chaque année scolaire. 

[29]         Les fonctions particulières de chaque enseignant établissent les cours particuliers que chaque appelant enseignerait au cours d’une année scolaire donnée. Ils précisaient également les heures de travail des enseignants à temps plein et à temps partiel. Chaque appelant, étant des enseignants ou des employés à temps plein, devait être présent à l’école pendant les heures de 8 h 15 à 16 h 10.

[30]         Les contrats d’enseignement énonçaient qu’un enseignant était responsable d’enseigner les éléments du programme de la Colombie‑Britannique si ces fonctions étaient attribuées à cet enseignant. Même si les appelants n’enseignaient pas des cours du programme des études générales pendant les années d’imposition et que le rabbin Lichtman a indiqué qu’il n’était pas qualifié d’enseigner les cours d’études générales, l’école a réservé le droit d’affecter de tels cours aux appelants en vertu de cette clause de leur contrat. La totalité ou la presque totalité du revenu des appelants gagnés pendant les années en litige provenait de leur emploi en tant qu’enseignants à la VHA.

[31]         En plus d’enseigner à la VHA, tous les appelants participaient activement à la communauté juive générale de Vancouver grâce à leur participation aux synagogues locales, à leur offre d’orientation spirituelle et à leurs services de counselling offerts aux membres et ils accueillaient également des familles dans leur maison le Shabbath et pour les repas de fête.

D. Rabbin Lawrence Goldman

[32]         Le rabbin Goldman a été ordonné en Israël en 2004. Pendant cette période, il a également étudié avec Ner le’Elef, une organisation qui forme les rabbins dans plusieurs programmes de sensibilisation visant à aider les Juifs de foi juive orthodoxe qui vivent dans des petites communautés juives partout dans le monde. Les particuliers inscrits au Ner Le’Elef étudiaient un des trois volets du programme : ceux qui souhaitaient devenir une chaire ou un rabbin de synagogue, ceux qui souhaitaient devenir un professionnel en matière de sensibilisation et ceux qui souhaitaient participer à l’éducation des jeunes juifs. Le rabbin Goldman a suivi une formation du volet de l’éducation des jeunes juifs.

[33]         Après son ordination, le rabbin Goldman a été recruté en 2004 à la VHA par le rabbin Pacht. Pendant la période en litige, il enseignait aux garçons et aux filles de la quatrième à la septième année et il leur enseignait le Talmud (les lois juives orales), le Chumas (la Bigle), le Navi (les prophètes), la loi juive (Halakhah), l’histoire juive et le Mussar (le développement du caractère). Il dirigeait également régulièrement les étudiants de la cinquième à la septième année pendant les prières du matin, à l’aide du même livre de prières et des documents qu’il utiliserait à une synagogue orthodoxe. Les mots des prières étaient les mêmes à la VHA que ceux qu’il utilisait lorsqu’il agissait en tant que rabbin à la synagogue. Lorsqu’il priait avec ses étudiants, il utilisait les mêmes mots qu’il utilisait lorsqu’il dirigeait un groupe de dix hommes adultes, mais il a reconnu qu’il y aurait plus de contexte dans ce dernier cas. En contre‑interrogatoire, il a également reconnu qu’il était tenu d’enseigner aux étudiants comment prier dans le cadre du programme du Tefillah.

[34]         La méthode ou la philosophie du rabbin Goldman en ce qui concerne son enseignement de ses étudiants étaient [traduction] « [...] de leur transmettre des compétences qui les orienteraient à devenir des apprenants viagers et qui les permettraient d’ouvrir les textes plus tard dans leur vie. » (Transcription, page 475, lignes 8 à 10) et, plus qui est, selon son témoignage, il [traduction] « [...] tentait de leur transmettre un enthousiasme au sujet du Judaïsme. [...] une compréhension de la mesure dans laquelle il était important, qu’il était essentiel, ainsi que la mesure dans laquelle nous sommes liés à notre patrimoine. » (Transcription, page 475, lignes 12 à 15). L’enseignement des éthiques et des valeurs juives fondées sur le Torah était au cœur de tous les sujets enseignés.

[35]         Le programme de la VHA contenait des attentes précises quant à la sortie des étudiants. Le rabbin Goldman devait évaluer ses étudiants aux fins des bulletins, la même exigence que dans les cours des études générales, même s’il tenait également compte de l’effort. Il évaluait les étudiants à l’aide de travaux écrits et oraux, mais il a affirmé qu’il jugeait toujours le succès au‑delà de la note de base qu’un étudiant obtenait aux fins d’un bulletin.

[36]         Les fonctions du rabbin Goldman en vertu du contrat d’enseignement comprenaient la préparation d’un plan de cours englobant le contenu des cours, la planification de l’évaluation (la stratégie d’enseignement), les indicateurs de réalisation et les résultats en matière d’apprentissage (des liens avec les organisateurs du programme de la Colombie‑Britannique). Ce dernier élément était une caractéristique unique de la combinaison d’un programme des Études juives et un programme des études générales offerts aux étudiants, que le rabbin Goldman a expliqué comme suit :

[traduction]

[...] puisque notre école offre de manière égale (50 %) un programme des Études juives et un programme des études générales, nous devions trouver des domaines dans le programme des Études juives qui permettrait de répondre à certain des résultats du ministère de la C.‑B. afin d’obtenir un certain nombre d’heures. Par conséquent, souvent dans nos résultats linguistiques ou dans les compétences de raisonnement analytique, que nous faisons très régulièrement dans le cadre du programme des Études juives, nous pouvons établir un lien entre ce domaine au programme de la C.‑B.

Q.        Simplement pour être clair, ces points du programme exigé par le gouvernement, ils n’étaient pas liés du tout aux Études juives? Il s’agissait dans une certaine mesure de connaissances générales. D’après vous, qu’est‑ce que des connaissances générales?

R.         Bien, je dirais qu’il ne modifiait pas du tout notre programme des Études juives, mais qu’il s’agissait – il s’agissait d’études générales ou de connaissances générales et que – je crois qu’il était visé par la portée de notre programme des Études juives.

(Transcription, volume 4, page 507, lignes 1 à 18)

[37]         Le rabbin Goldman devait également, en vertu de son contrat d’enseignement, assister aux entretiens entre parents et enseignants, aux réunions du personnel, aux séances des journées pédagogiques de quatre à cinq fois par année et superviser également les étudiants pendant la récréation et le petit‑déjeuner. Il dirigeait également les services de prière pour les étudiants plus vieux. Son contrat d’enseignement n’exigeait pas qu’il exécute ses fonctions contractuelles dans sa maison.

[38]         En plus de ses fonctions contractuelles à la VHA, le rabbin Goldman a indiqué qu’il participait activement à la communauté juive de Vancouver, en dirigeant les services de prière dans la communauté pendant la semaine et les fêtes et en dirigeant les services de prière presque tous les Shabbath à la synagogue locale à Richmond, en Colombie‑Britannique, qui compte environ 20 familles juives. Il a indiqué que pendant une période prolongée, en l’absence d’un rabbin‑chef, lui et le rabbin Estrin dirigeaient les services à cette synagogue. Il a affirmé d’ailleurs à cet égard :

[traduction]

[...] et nous avons tous les deux entrepris, avec un autre rabbin communautaire, la direction de l’ensemble de la congrégation et nous sommes devenus, j’imagine, les trois rabbins qui dirigeaient la congrégation. Et nous le faisons tous à titre de bénévolat. [Non souligné dans l’original.]

(Transcription, volume 3, page 474, lignes 17 à 20)

[39]         Le rabbin Goldman participait auprès de la synagogue à Richmond pendant son temps libre. Le contenu du cours sur la Torah qu’il offrait à cette synagogue ressemblait beaucoup au contenu qu’il enseignant à la VHA. Toutefois, il n’évaluait pas officiellement les membres à la synagogue. Sa préparation différait également puisque les membres de la synagogue étaient des adultes. Une version moins compliquée du sermon était offerte aux enfants qui assistaient à la synagogue. Lorsqu’il a été demandé de comparer ses rôles à enseigner les étudiants à la VHA par rapport aux membres de la synagogue de Richmond, il a affirmé qu’ils avaient le même objectif de transmettre le message de la Torah à l’audience afin de l’inspirer à vivre comme des Juifs qui respectent la Torah.

[40]         Le rabbin Goldman donnait également des cours de bar‑mitsva au sein de la communauté. À un moment donné, il a été approché par le conseil du Schara Tzedeck et le rabbin Rosenblatt en vue d’enseigner le principal cours de bar‑mitsva à la synagogue. Lorsqu’il a exercé ces fonctions, il enseignait aux garçons comment lire la Torah les samedi matins et parfois plusieurs jours pendant la semaine. Il a adapté son instruction sur la Torah de manière différente que son instruction à la VHA puisque bon nombre des garçons à qui il donnait le cours de bar‑mitsva au Schara Tzedeck n’étaient pas des étudiants à la VHA. Il a également agi à titre de témoins aux fins des procédures de conversion et de divorce, il donnait des cours au Schara Tzedeck et dans les maisons des personnes pendant son temps libre et il accueillait des gens pour le Shabbath et pour d’autres repas de fête. Le rabbin Goldman a donné de nombreux autres exemples de ses activités dans la communauté juive en sus de ses responsabilités d’enseignant à la VHA, mais ils ont eu lieu à l’extérieur des années d’imposition en litige dans les présents appels.

[41]         Aucune de ces activités communautaires n’était requise en vertu de son contrat d’enseignement conclu avec la VHA, mais le rabbin Pacht, en tant que dirigeant de l’école, l’encourageait fortement à participer.

E. Rabbin Shlomo Estrin

[42]         Le rabbin Estrin a suivi une voie un peu différente quant à son ordination. En 1987, il a obtenu un diplôme en arts de la California State University en tant que scénariste. Pendant qu’il était au collège, il a commencé à travailler avec les jeunes à un centre de traitement résidentiel et a continué ce travail après avoir obtenu son diplôme. Il indiqué qu’à l’origine, il n’était pas religieux avant que son frère n’éveille son intérêt pour le Judaïsme.

[43]         En environ 1990, il a déménagé à Yeshiva (Maison du savoir) à Jérusalem pour étudier la Torah à temps plein. À un moment donné au cours des dix années qu’il a passé en Israël, il a décidé qu’il souhaitait devenir un enseignant, ce qui l’a mené à s’inscrire au même volet du programme que le rabbin Goldman avait étudié à Ner Le’Elef. Pendant qu’il étudiait à Ner Le’Elef, le rabbin Estrin a suivi des cours sur les lois juives (Halakhah), la Torah et des cours sur la façon de donner une orientation concernant le mariage, la croissance communautaire, la capacité d’écoute et de « lire les personnes ». Il a obtenu son ordination en 2000 et est déménagé à Vancouver pour enseigner à la VHA.

[44]         À la VHA, pendant les années d’imposition en litige, le rabbin Estrin a enseigné la Torah et plus particulièrement des cours en Chumash ou la Bible, le Halakhah ou les lois juives, l’histoire des Juifs, l’hébreu, les origines et les pratiques des fêtes juives, le Mussar ou la conduite, le Navi ou les prophètes, le Talmud et les éthiques. Il a enseigné aux étudiants de la deuxième, de la quatrième et de la cinquième année à divers moments donnés au cours de cette période. Son objectif d’enseignement à la VHA était de donner à ses étudiants, ainsi qu’à leur famille [traduction] « [...] le véritable enseignement de la Torah et de donner un véritable exemple de ce qu’est la Torah, [...] » afin qu’ils puissent grandir et apprécier le patrimoine spécial des peuples juifs. Il enseignait l’hébreu en vue de fournir à ses étudiants les outils nécessaires pour étudier la Torah de leur propre initiative et pour prier à partir d’un livre de prières.

[45]         En outre, le rabbin Estrin enseignait et dirigeait les prières quotidiennement avec les étudiants. Il enseignait des chansons aux étudiants afin de les aider à se souvenir des prières et élaborait des « yiddle riddles » pour aider dans le cadre des discussions des lecteurs hebdomadaires de la Torah. Il accueillait hebdomadairement les familles des étudiants pour le Shabbath et conseillait les familles à l’égard de problèmes personnels.

[46]         En plus de ses fonctions à la VHA, le rabbin Estrin, comme le rabbin Goldman, participait également à la synagogue à Richmond, en donnant des cours hebdomadaires sur la Torah, en dirigeant les services le Shabbath et en donnant parfois des sermons et des cours non seulement à cette synagogue, mais également à d’autres.

F. Rabbin Adam Lichtman

[47]         En 1999, le rabbin Lichtman a commencé ses études de deux ans sur la Torah à la Wisconsin Institute for Torah Study. En 2001, il a fréquenté le Yeshiva Toras Chaim en Floride et en 2002 il a commencé ses études au Rabbinical Seminary of America, à New York, d’où il a obtenu son ordination en 2012.

[48]         Après son ordination, il a appris que le rabbin Pacht de la VHA recrutait un enseignant des Études juives. Il est devenu membre du personnel de la VHA à compter de l’année scolaire 2012‑2013. Pendant les années d’imposition en litige, il a enseigné le Chumash, le Navi, les fêtes juives, les lois juives, l’histoire des Juifs et la Mishnah. Il enseignait la deuxième année le matin et la cinquième année l’après‑midi. Il n’était pas qualifié pour enseigner les cours du programme des études générales. Il dirigeait ses enseignants, y compris les étudiants de la troisième année, tous les matins pour faire leurs prières ou le Tetillah. Chaque vendredi, il donnait également un sermon à ses classes concernant la lecture hebdomadaire de la Torah, qui comprenait des sujets comme l’humilité, l’honnêteté, les 613 commandements et les leçons générales sur l’éthique quant à la façon de vivre en tant que Juifs qui respectent la Torah.

[49]         De manière semblable aux autres appelants, le rabbin Estrin devait évaluer ses étudiants à l’égard de leur rendement dans les cours. Par ailleurs, il assistait aux entretiens entre parents et enseignants et aux réunions du personnel et il supervisait les étudiants pendant la récréation et le petit‑déjeuner. Ces fonctions étaient toutes conformes à ses fonctions prescrites dans son contrat de travail.

[50]         Le rabbin Estrin offrait également des conseils à ses étudiants et à leur famille concernant des questions quant à savoir comment faire face à la mort. Il a assisté aux maisons du deuil pour donner des sermons et des services de prière. Il a également visité les étudiants lorsqu’ils étaient malades à la maison ou à l’hôpital.

G. Congrégation de Schara Tzedeck et le rôle du rabbin de la synagogue

[51]         Des environs 600 familles dans la communauté juive orthodoxe, 500 de ces familles sont des membres du Schara Tzedeck, la synagogue juive orthodoxe la plus importante à Vancouver. Le rabbin Rosenblatt est employé en tant que rabbin à cette synagogue depuis 2003.

[52]         En raison de la nature des questions dans les présents appels, une comparaison des activités des appelants et des fonctions à la VHA et dans la communauté juive de Vancouver au rôle du rabbin Rosenblatt quant à rabbin d’une synagogue est utile. Le rôle du rabbin Rosenblatt est décrit dans son contrat de travail comme [traduction] « [...] celui de rabbin et de chef religieux et du Judaïsme de la congrégation » (pièce R‑6, paragraphe 3.1). Ce contrat énumérait une liste de ses fonctions qui y était jointe en tant qu’annexe B. Ces fonctions comprenaient :

        servir à titre de rabbin chaire de la congrégation, y compris assisté aux services religieux pendant la semaine et le Shabbath et les jours de fête, donné un « D’var Torah » de la chaire le matin du Shabbath et les jours de fête et il donnait un « D’var Torah » et enseignait aux classes pertinentes, conformément aux directives relatives à la planification de l’éducation, aux programmes, aux comités de planification stratégique de la congrégation;

        élaborer et mettre en œuvre, en collaboration avec le Conseil, des programmes de « sensibilisation » [...];

        collaborer avec le Orthodox Rabbinical Council de la Colombie‑Britannique afin de faciliter la conversion [...];

        surveiller les programmes de bar‑mitsva et de bat‑mitsva de la congrégation, [...];

        élaborer et mettre en œuvre, en collaboration avec le Conseil, les programmes et les activités destinés aux jeunes de la congrégation;

        exécuter des cérémonies matrimoniales pour les membres de la congrégation [...];

        visiter les membres de la congrégation qui sont malades ou infirmes;

        exécuter des cérémonies funéraires des membres décédés de la congrégation;

        au cours des mois où les dévoilements sont autorisés par la Halakha, assisté et exécuter les rites aux fins des dévoilements des membres décédés ou des proches décédés des membres [...];

        fournir des conseils spiritueux, moraux et personnels aux membres [...];

        conjointement avec d’autres employés de la congrégation [...];

superviser, planifier et administrer les programmes d’éducation religieuse,

évaluer le caractère approprié des universitaires et des représentants de programmes en visite […];

      agir en tant qu’éditeur du contenu final [...];

      superviser la Cacherout de l’érouv, du mikvé et de toutes les préparations des aliments [...];

      perfectionner ses propres connaissances [...];

      collaborer avec le Conseil [...];

      agir en tant que membre votant du comité des services religieux;

      donner des directives à tout membre du personnel ou du clergé de la synagogue [...];

      exécuter des fonctions exécutives et administratives limitées [...];

      [...] accueillir des membres de la congrégation [...];

      assurer des heures de bureau fixes et régulières à la synagogue pendant la semaine [...];

      assister aux réunions du Conseil ou des cadres ou des comités de la congrégation [...];

      en général, consacrer les heures nécessaires pour mener de manière efficace les affaires religieuses et spirituelles de la congrégation;

      promouvoir en général la bonne réputation de la congrégation. [...]

[53]         Le témoignage du rabbin Rosenblatt au sujet de ses activités et fonctions était conforme à la liste de fonctions d’un rabbin de synagogue décrites à l’annexe B jointe à son contrat de travail. Il donne des sermons à Schara Tzedeck et consacre des heures au programme de sensibilisation communautaire visant à recruter de nouveaux membres à la synagogue, une des principales sources de financement des activités de la synagogue. Il est responsable d’un blogue hebdomadaire qui diffuse le message de la Torah. Il consacre également des heures à l’enseignement de la Torah à la synagogue et à la communauté juive plus générale. Dans le cadre de cette fonction, il enseigne un programme d’éducation parascolaire à la Schara Tzedeck, appelé le « T‑Jex » ou [traduction] « L’expérience juive » (pièce A‑1, onglet 13) aux enfants au sein de la communauté juive qui ne sont pas inscrits à une école primaire juive. Il a indiqué que la nature et l’objectif du programme T‑Jex à sa synagogue sont les mêmes que ceux du programme des Études juives offert à la VHA, même s’il avoue qu’ils sont moins intenses. Il enseignait également des cours hebdomadaires sur la Torah à Talmud Torah, une école de jour de la communauté juive de Vancouver à l’intention de la communauté juive plus générale. Il donnait également des conférences à divers endroits au sein de la communauté juive, y compris dans les maisons privées et dans les centres communautaires.

[54]         Malgré la liste exhaustive de fonctions contenue dans son contrat de travail conclu avec la synagogue Schara Tzedeck qui n’ont aucun lien ou un lien très faible à l’enseignement, le rabbin Rosenblatt était d’avis que ses responsabilités en matière d’enseignement étaient sa [traduction] « [...] principale responsabilité en tant que rabbin » (Transcription, volume 2, page 243, ligne 11). En comparaison, les fonctions énumérées dans les contrats d’enseignement que les appelants ont conclu avec la VHA sont celles qui seraient habituellement exigées de tout enseignant dans une école type et même si certaines des activités entreprises par les appelants au sein de la communauté juive sont semblables aux activités du rabbin Rosenblatt, elles ont été exercées pendant le temps libre des appelants et ne faisaient pas partie de leurs fonctions contractuelles à l’égard de la VHA.

   V.  Analyse des rapports d’expert

A. Admissibilité du rapport du tribunal rabbinique

[55]         Les appelants ont déposé ce rapport auprès de la Cour lorsque l’audience a repris en mai 2017. L’auteur de ce rapport était le rabbin Rosenblatt et les appelants ont proposé qu’il soit accepté en tant que témoin expert sur la doctrine et les principes du Judaïsme orthodoxe. Le rapport avait été examiné aux fins de son caractère exact et cosigné par le rabbin Feigelstock. Il n’a apporté aucun changement important au rapport du rabbin Rosenblatt et a affirmé que le rapport représentait une [traduction] « décision officielle du Beit Din » ou du tribunal rabbinique (Transcription, volume 2, page 165, lignes 2 et 3). Le rabbin Rosenblatt avait également tenu une brève conversation avec le rabbin Hillel Brody, le responsable du Torah Learning Centre de Vancouver, afin de discuter du caractère exact des renseignements contenus dans le rapport.

[56]         Les avocats de l’appelant soutiennent que ce rapport répond aux exigences ou aux critères d’un rapport d’expert établis dans La Reine c. Mohan, [1994] 2 RCS 9 (« Mohan ») : (i) la pertinence, (ii) la nécessité, (iii) la qualification suffisante de l’expert et (iv) l’absence de toute règle d’exclusion.

[57]         Les avocats de l’intimée ne s’opposent pas particulièrement à l’admissibilité du rapport des appelants fondé sur les critères de Mohan, mais leur opposition était plutôt fondée sur deux motifs particuliers :

          a)       le rapport a été déposé au nom du tribunal rabbinique de la Colombie‑Britannique et a été présenté d’une manière qui visait à [traduction] « hausser la fiabilité perçue de leurs éléments de preuve » en tant que « décision officielle d’un tribunal religieux » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 179);

          b)      les deux rabbins Rosenblatt et Feigelstock n’étaient pas suffisamment indépendants des trois appelants, ce qui les empêchait de fournir à la Cour une preuve d’expert équitable, objective et non partisane qui aurait aidé la Cour à trancher les questions.

[58]         Même si ces deux oppositions sont bien‑fondés, j’ai conclu que ni l’un ni l’autre ne suffisait pour exclure le rapport du tribunal rabbinique.

a)     Opposition fondée sur la « décision officielle » d’un tribunal religieux

[59]         L’intimée s’oppose au fait que les appelants ont déposé le rapport non seulement au nom de ses auteurs, les rabbins Rosenblatt et Feigelstock, personnellement, mais également un rapport du Beit Din ou du tribunal rabbinique de la ColombieBritannique. L’intimée a fait valoir que cela équivaut à une tentative par les appelants de camoufler de manière inappropriée la preuve à l’aide d’une couche ajoutée d’autorité en le présentant d’un tribunal religieux afin de hausser la fiabilité perçue du témoignage des deux rabbins. Ce qui [traduit] « [...] hausse le risque que le processus de recherche des faits sera déformé et la Cour devra s’en remettre de manière inappropriée à l’opinion des rabbins » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 177) en accordant un poids indu à l’opinion des deux rabbins. L’intimée estimait que ce risque serait augmenté considérablement par le fait que les deux rabbins ne soutenaient non seulement témoigner en leur nom, mais également au nom du tribunal rabbinique de la Colombie‑Britannique. Le rabbin Feigelstock a affirmé qu’il a examiné le rapport parce qu’à titre de décision du tribunal rabbinique, il doit renfermer des renseignements qui sont exacts (Transcription, volume 2, pages 147, 148, 173 et 174).

[60]         Les appelants ont indiqué à bon droit qu’il n’y a rien d’irrégulier quant au fait que des organisations et des entités qui rendent des décisions et des opinions en son nom. En fait, il y a eu des précédents devant la Cour dans lesquels les rapports qui ont été déposés et acceptés au nom d’une organisation particulière, qui avaient été rédigés par ses membres (Grimes v The Queen, 2016 TCC 280, 2016 DTC 1210 et Zeller Estate c La Reine, 2008 CCI 426, 2008 DTC 4441).

[61]         Je reconnais que les préoccupations de l’intimée sont légitimes, mais les décisions d’un tribunal religieux, peu importe son caractère prestigieux, n’auront pas force de loi devant la Cour. J’invoque le principe de common law bien établi du stare decisis selon lequel la Cour est liée uniquement par des décisions rendues par la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale et notre Cour dans la procédure générale et dans cet ordre. Je ne crois pas que je serais prise au piège par un risque fondamental d’accorder un poids indu à ce rapport ou au témoignage des rabbins Feigelstock et Rosenblatt parce qu’il s’agit d’un rapport d’un tribunal religieux. Même si je reconnais les préoccupations de l’intimée, je suis en mesure d’évaluer attentivement et équitablement la preuve dont je suis saisie et de la pondérer en conséquence.

b)    Opposition fondée sur l’indépendance des rabbins Feigelstock et Rosenblatt

[62]         Il s’agit de l’opposition principale de l’intimée quant à l’admissibilité du rapport des appelants parce que les faits remettent en question la capacité des rabbins Feigelstock et Rosenblatt de fournir un témoignage d’opinion objectif lorsqu’ils ont des liens personnels importants et professionnels aux appelants.

[63]          Les deux rabbins ont de vastes liens divers avec les appelants et leur famille par l’intermédiaire de la VHA et de la Schara Tzedeck. L’intimée a soutenu que les faits indiquent que les parties participent à un réseau complexe d’interconnections de rapports personnels, professionnels et religieux avec la communauté juive orthodoxe de Vancouver. Par conséquent, l’intimée estime que, selon la prépondérance des probabilités, ils ne seront pas en mesure de donner un témoignage indépendant et impartial devant la Cour.

[64]         Les liens entre les trois appelants, le rabbin Feigelstock et le rabbin Rosenblatt peuvent être résumés comme suit :

        Puisque la communauté juive orthodoxe à Vancouver est petite et la VHA est la seule école primaire juive orthodoxe de jour dans la communauté, les familles et les enseignants à la VHA ont un lien étroit. Le rabbin Rosenblatt connaît personnellement la plupart, sinon tous les membres du groupe d’environ 20 à 30 rabbins juifs orthodoxe, y compris les appelants, le rabbin Pacht et le rabbin Feigelstock, qui vivent à Vancouver.

        Les cinq enfants du rabbin Rosenblatt, les enfants des appelants et bon nombre des treize enfants du rabbin Feigelstock et de ses 25 à 30 petits enfants, ainsi que les enfants du rabbin Pacht ont assisté et ont interagi l’un avec l’autre et avec les appelants dans de petites classes à la VHA dont leurs enseignants étaient les appelants.

        L’épouse, la fille et la bru du rabbin Feigelstock enseignaient toutes des études juives à la VHA. Elles sont ou ont été à un moment donné des collègues d’un ou de plusieurs des appelants à la VHA. Le bulletin d’information de la VHA indiquait que la famille Feigelstock faisait partie de la famille de la VHA.

        Les appelants ont indiqué que leurs interactions à la VHA ne se limitaient pas aux étudiants, mais englobaient les familles, y compris des activités comme le counselling, le fait qu’ils les accueillaient pendant le Shabbath et d’autres fêtes religieuses, entre autres.

        Le rabbin Rosenblatt et son épouse, ainsi que les appelants et leur famille, participaient activement aux activités scolaires de la VHA.

        Les fonctions de la VHA, comme la remise des diplômes et les séances de réflexion de Shabaton étaient et continuent d’être tenues à Schara Tzedeck où le rabbin Rosenblatt présidait.

        Le rabbin Rosenblatt avait accueilli le rabbin Goldman et sa famille dans sa maison du jour au lendemain, ainsi que le rabbin Lichtman lorsqu’il l’a interrogé aux fins de son poste d’enseignant à la VHA.

        Les appelants interagissent beaucoup, sur le plan personnel et professionnel, avec le rabbin Rosenblatt par l’intermédiaire de la synagogue, Schara Tzedeck. Par exemple, de nombreuses activités de la VHA sont tenues à cette synagogue et toutes les parties et leur famille y participent. Par ailleurs, le rabbin Goldman a été embauché après consultation du rabbin Rosenblatt et il assiste régulièrement à la synagogue pour prier avec le rabbin Rosenblatt. Le rabbin Lichtman donnait périodiquement des sermons à la synagogue pendant que le rabbin Estrin était responsable des programmes destinés aux jeunes à la synagogue.

[65]         L’arrêt de principe en matière d’opposition à l’admissibilité de la preuve d’expert fondée sur l’indépendance et l’impartialité est la décision récente rendue par la Cour suprême du Canada dans White Burgess Langille c Abbot & Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 RCS 182 (« White Burgess »). La Cour a conclu, au paragraphe 40, que « [...] selon la conception prédominante en common law canadienne, l’indépendance et l’impartialité ont une incidence non seulement sur son admissibilité. [...] » Le critère pour évaluer si un expert est indépendant ou impartial consiste à examiner si la relation ou l’intérêt commun font en sorte que l’expert proposé n’est pas en mesure ou disposé d’exercer sa mission première envers le tribunal, soit d’offrir une aide équitable, non partisane et objective (White Burgess, paragraphe 30). L’impartialité apparente ou perçue découlant d’une relation ou d’un intérêt d’un expert proposé à l’égard d’une partie au litige ne sera pas déterminante. À bout de ligne, la mission de l’expert proposé envers la Cour doit avoir préséance sur toute mission qui pourrait exister envers la partie qui le cite à témoigner. Dans White Burgess, au paragraphe 32, la Cour suprême a conclu que les trois principes connexes, l’impartialité, l’indépendance et l’absence de parti pris sous‑tendent la mission de donner à la Cour un témoignage d’opinion indépendant. Une opinion d’expert doit d’abord être impartiale en ce qu’elle communique une évaluation objective des questions exigeant une opinion d’expert; elle doit ensuite être indépendante en ce qu’elle découlera d’un raisonnement et d’un jugement indépendants qui ne sont pas influencés par les honoraires versés ou le résultat et, en troisième lieu, elle doit être absente de parti pris en ce qu’elle ne favorise pas inéquitablement une partie par rapport à l’autre.

[66]         En évaluant l’admissibilité d’un témoignage d’expert proposé dans les cas où l’indépendance et l’impartialité sont en question, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 au sujet du fardeau de la preuve :

[47]      [...] Sans aller jusqu’à affirmer qu’il faut présumer l’indépendance et l’impartialité de l’expert si elles ne sont pas contestées, je pense qu’en l’absence d’une telle contestation, il est généralement satisfait au critère dès lors que l’expert, dans son attestation ou sa déposition, reconnaît son obligation et l’accepte.

[48]      Une fois que l’expert a produit cette attestation ou a déposé sous serment en ce sens, il incombe à la partie qui s’oppose à l’admission du témoignage de démontrer un motif réaliste de le juger inadmissible au motif que l’expert ne peut ou ne veut s’acquitter de son obligation. Si elle réussit, la charge de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a été satisfait à ce critère d’admissibilité incombe toujours à la partie qui entend présenter le témoignage. Si elle n’y parvient pas, le témoignage, ou les parties de celui‑ci qui sont viciées par un manque d’indépendance ou d’impartialité, devrait être exclu. Cette démarche est conforme à la règle générale du cadre établi dans l’arrêt Mohan, et généralement en droit de la preuve, selon laquelle il revient à la partie qui produit la preuve d’en établir l’admissibilité.

[67]         Toutefois, le critère applicable à l’admissibilité « n’est pas particulièrement exigeant » (White Burgess, paragraphe 49). Dans ses motifs, la Cour suprême a mis l’accent sur ce fait au paragraphe 49 :

[...] la décision d’exclure le témoignage à la première étape de l’analyse pour non‑conformité aux critères d’admissibilité ne devrait être prise que dans les cas manifestes où l’expert proposé ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale. Dans les autres cas, le témoignage ne devrait pas être exclu d’office, et son admissibilité sera déterminée à l’issue d’une pondération globale du coût et des bénéfices de son admission.

Enfin, cette décision a ordonné que le juge de première instance doive examiner les circonstances particulières des experts proposés, ainsi que l’essentiel de la preuve proposée pour décider si le critère est rempli.

[68]         Au paragraphe 49, la Cour suprême a également établi plusieurs exemples où l’indépendance et l’impartialité peuvent ou non devenir une question aux fins de l’admissibilité :

Par exemple, c’est la nature et le degré de l’intérêt ou des rapports qu’a l’expert avec l’instance ou une partie qui importent, et non leur simple existence : un intérêt ou un rapport quelconque ne rend pas d’emblée la preuve de l’expert proposé inadmissible. Dans la plupart des cas, l’existence d’une simple relation d’emploi entre l’expert et la partie qui le cite n’emporte pas l’inadmissibilité de la preuve. En revanche, un intérêt financier direct dans l’issue du litige suscite des préoccupations. Il en va ainsi des liens familiaux étroits avec une partie et des situations où l’expert proposé s’expose à une responsabilité professionnelle si le tribunal ne retient pas son opinion. De même, l’expert qui, dans sa déposition ou d’une autre manière, se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. Je tiens à souligner que la décision d’exclure le témoignage à la première étape de l’analyse pour non‑conformité aux critères d’admissibilité ne devrait être prise que dans les cas manifestes où l’expert proposé ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale.
 Dans les autres cas, le témoignage ne devrait pas être exclu d’office, et son admissibilité sera déterminée à l’issue d’une pondération globale du coût et des bénéfices de son admission. [Non souligné dans l’original.]

[69]         En plus du réseau compliqué de relations et de liens que les appelants et leur famille ont avec les rabbins Feigelstock et Rosenblatt et leur famille, l’intimée soutient que l’essentiel du rapport du tribunal rabbinique contient des exemples que les auteurs de ce rapport assument le rôle de défenseur au nom des appelants et, par conséquent, il est entaché par l’absence d’une objectivité. Par exemple, les rabbins Feigelstock et Rosenblatt ont affirmé que [traduction] « [...] le rôle du rabbin est toujours de donner des instructions, soit sur les connaissances générales de la Torah ou sur une application particulière » (rapport du tribunal rabbinique, paragraphes 7.1 et 7.3). Toutefois, l’intimée soutient que cela n’est pas étayé par la preuve ou par les véritables fonctions d’emploi du rabbin Rosenblatt en tant que rabbin chaire à la Schara Tzedeck.

[70]         Les éléments de preuve déposés dans le voir‑dire n’établissent pas de multiples relations et des interconnections personnelles, professionnelles et religieuses entre les auteurs du rapport du tribunal rabbinique et leur famille et les appelants et leur famille. Vu ces liens, il demeure aux appelants, qui ont proposé de présenter les rabbins Feigelstock et Rosenblatt en tant qu’experts, d’établir leur indépendance et leur objectivité. Même si l’intimée, dans sa contestation de leur indépendance et leur impartialité, a établi une « préoccupation réaliste » selon laquelle ils pourraient ne pas avoir un niveau d’indépendance suffisant des appelants, je conclus que les appelants ont répondu au critère faible qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans White Burgess. Selon les éléments de preuve, le réseau de liens, même s’il est compliqué, entre le rabbin Rosenblatt, l’auteur principal du rapport, le rabbin Feigelstock, qui l’a examiné et cosigné et les appelants, ne suffit pas pour faire déclarer inadmissible le rapport et le témoignage d’expert à l’étape du critère.

[71]         Ni le rabbin Rosenblatt ni le rabbin Feigelstock n’ont un intérêt financier personnel direct ou indirect dans l’issu de ces appels. Ils n’ont reçu aucun paiement pour avoir rédigé le rapport, qui a été rédigé à la demande des avocats des appelants aux fins des présents appels.

[72]         Malgré les nombreux liens au sein de cette petite communauté juive orthodoxe étroitement liée, ni le rabbin Rosenblatt ni le rabbin Feigelstock n’ont de véritables liens familiaux avec les appelants. Le rabbin Rosenblatt s’acquittait de ses fonctions contractuelles en tant que rabbin de Schara Tzedeck lorsqu’il a accueilli les rabbins Goldman et Lichtman. Le rabbin Feigelstock a indiqué qu’il avait personnellement eu peu d’interaction avec les appelants même s’il a reconnu que son épouse participait plus activement auprès de la VHA.

[73]         Ni le rabbin Rosenblatt ni le rabbin Feigelstock n’engagerait une responsabilité professionnelle si leur rapport est inadmissible. Toutefois, les deux ont indiqué que si la décision du tribunal rabbinique était jugée avoir un caractère inexact, ce jugement pourrait avoir une incidence grave sur leur réputation ainsi que sur la réputation du tribunal rabbinique.

[74]         Dans son ensemble, leur rapport établit leurs réponses aux questions qui leur ont été posées par les avocats des appelants concernant les principes et les croyances juifs orthodoxes. Même si l’intimée était d’avis que le rapport contenait des cas où les rabbins semblaient assumer le rôle de défenseur, ces cas ne sont pas aussi évidents que j’exclurais son admissibilité en fonction de ce seul facteur. Aucun des rabbins n’a soutenu que les appelants devraient avoir droit aux déductions qu’ils ont demandées ou que leurs fonctions à la VHA leur donnaient « la charge [...] d’une congrégation » au sens de la Loi.

[75]         Les deux rabbins ont indiqué qu’ils fournissaient à la Cour un rapport entièrement exact et les deux ont affirmé que leur relation avec les appelants n’avait aucune incidence sur leur objectivité en ce qui concerne la rédaction du rapport. Le rabbin Rosenblatt a divulgué qu’il n’avait consulté que brièvement le rabbin Brody au sujet du caractère exact et un étudiant Yéshiva qiu n’avait aidé que sur le plan du formatage. Ni l’un ni l’autre des rabbins n’avaient discuté du rapport avec les appelants ou ne leur avaient montré le rapport.

[76]         Selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve déposés au cours du voir‑dire ne suffisent pas à établir que le rabbin Rosenblatt ou le rabbin Feigelstock n’était ni disposé ni incapable de fournir à la Cour un élément de preuve équitable, objectif et non partisan. Le faible critère établi dans White Burgess a été respecté et il n’existe donc aucun motif qui justifierait d’exclure le rapport d’expert des appelants.

[77]         Subsidiairement, l’intimée a soutenu que si j’admettais le rapport du tribunal rabbinique, je devrais lui accorder peu de poids dans les présents appels pour les deux motifs suivants :

          a)       Les questions qui ont été posées et l’essentiel du rapport qui en découle ne se rapportent guère aux questions liées aux coutumes, comme le divorce, la conversion et les différends civils que la Cour tranche en général. L’intimée a indiqué que son témoin, le rabbin Eleff, a affirmé que la plus grande partie des décisions du tribunal rabbinique traitent de questions liées au « cycle de vie », soit principalement le divorce.

          b)      Selon le témoignage des rabbins Rosenblatt et Feigelstock, les décisions du tribunal rabbinique sont signées par trois rabbins, conformément aux lois et aux coutumes rabbiniques. Le rapport du tribunal rabbinique rédigé par les rabbins Rosenblatt et Feigelstock contient uniquement leurs signatures et, par conséquent, il ne contient pas les trois signatures exigées pour approuver un rapport.

Je répondrai aux préoccupations de l’intimée concernant ces deux questions dans mon analyse.

[78]         Je souligne que la Cour d’appel de l’Ontario, dans The Queen v Tang, 2015 ONCA 470, a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

[traduction]

[...] Burgess indique que, dans la plupart des cas, des suggestions selon lesquelles un témoin expert ne fait pas preuve d’indépendance ou d’impartialité jouent au regard de la valeur du témoignage d’expert plutôt qu’au regard de son admissibilité. [Non souligné dans l’original.]

[79]         Lorsque la Cour, dans son rôle de gardien, dispose d’un pouvoir discrétionnaire résiduel pour exclure un élément de preuve, l’effet préjudiciable sur l’intégrité du procès de l’admission du rapport n’a pas préséance sur la valeur probante de son admissibilité. Il aidera la Cour dans sa recherche des faits, sauf dans la mesure où je suis limitée par sa valeur probante dans mon analyse. De plus, même s’il existait des particularités quant à la façon dont ces appels ont été menés et des complexités imprévues qui sont survenues, ils ont néanmoins été intentés et menés conformément à la procédure informelle des règles de la Cour, qui demeurent moins rigoureuses en ce qui concerne la procédure liée au témoignage d’expert. Afin de parvenir à cette conclusion, j’ai appliqué le critère à deux volets établi dans White Burgess en ce que j’ai tenu compte de la capacité des experts proposés de s’acquitter de leur mission envers la Cour selon laquelle ils doivent être indépendants et impartiaux quant aux préoccupations de l’intimée et j’ai évalué les risques et les avantages liés à une telle admission en preuve.

B. Admissibilité du rapport d’expert du rabbin Eleff

[80]         Le rapport d’expert proposé par l’intimée a été rédigé par le rabbin William (Zev) Eleff, qui est également le seul témoin de l’intimée. Il a été présenté en tant qu’expert proposé dans le domaine de la religion en Amérique du Nord en mettant un accent particulier sur l’histoire, le droit canonique et les pratiques du Judaïsme orthodoxe et du rabbinat (pièce R‑15). Même s’il n’était pas expressément requis en vertu de la procédure informelle, le rabbin Eleff a signé un Certificat relatif au Code de conduite des témoins experts conformément à l’alinéa 145(2)c) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a, dans sa version modifiée (pièce R‑16). Ce faisant, il a reconnu son obligation primordiale d’aider la Cour de manière impartiale sur les questions pertinentes aux présents appels.

[81]         Les appelants ont contesté l’admissibilité du rapport Eleff et du témoignage du rabbin Eleff au motif que les critères de Mohan n’avaient pas été remplis. Les appelants soutiennent que : (1) le rabbin Eleff, à titre d’expert en histoire des Juifs aux États‑Unis, n’a pas les connaissances ou l’expertise spécialisées concernant les pratiques du Judaïsme orthodoxe au Canada ou le christianisme et le protestantisme, ou les lois et les pratiques du Judaïsme en général; (2) la preuve n’était pas pertinente aux questions en litige dans les présents appels; (3) la preuve n’était pas nécessaire puisqu’elle usurpait le rôle du juge de faits en définissant le terme « congrégation » puisqu’elle n’établissait pas les faits et les hypothèses sur lesquelles elle était fondée et ne divulguait pas non plus les documents sources.

[82]         Pour les motifs énoncés dans l’analyse suivante de ces quatre critères de Mohan, je conclus que le rapport Eleff et le témoignage du rabbin Eleff sont admis sous réserve des qualifications et des paramètres établis dans les présentes conclusions.

a)     Qualification suffisante de l’expert

[83]         La principale opposition des appelants à l’expertise du rabbin Eleff était axée sur le fait qu’il était mieux qualifié en tant qu’universitaire et historien en matière du Judaïsme américain, mais qu’il ne connaissait pas bien le Judaïsme orthodoxe, son histoire, ses lois et pratiques au sein du Canada. Les appelants soutiennent qu’en plus des préoccupations concernant les qualifications du rabbin Eleff concernant le Judaïsme orthodoxe au Canada, ils avaient également des préoccupations quant à ses qualifications de traiter du christianisme et, plus particulièrement, du protestantisme.

[84]         Le rabbin Eleff est un historien en Judaïsme américain. Il n’a ni étudié ni suivi des cours en histoire du Judaïsme canadien lorsqu’il a fait ses études académiques et obtenus ses diplômes ou aux fins de son ordination. Sa thèse de doctorat et de maîtrise ne traitait pas de l’histoire du Judaïsme canadien ni n’en discutait. Il n’a rédigé aucun livre sur ce sujet et, en contre‑interrogatoire, il n’a fait preuve de presque aucune connaissance de la géographie canadienne. Il a indiqué qu’il était venu au Canada quatre ou cinq fois, mais qu’il n’avait visité aucune des archives ou aucun des centres‑patrimoine du Judaïsme canadien situé dans les villes principales canadiennes (Transcription, volume 4, page 648). Il ne connaissait pas l’histoire des communautés juives de bon nombre des provinces de l’Atlantique ou dans les Prairies. Il a admis qu’il n’était pas un expert dans l’histoire régionale des Juifs en Colombie‑Britannique et qu’il n’avait pas non plus mené une recherche originale dans ce domaine.

[85]         Toutefois, nonobstant le fait que l’histoire juive canadienne ne constitue pas le principal objectif de la rechercher et des études scolaires du rabbin Eleff, il a indiqué qu’il connaissait ce domaine (Transcription, volume 4, page 624). Il a rédigé des textes sur l’histoire des Juifs à Toronto et à Montréal, les sites des deux communautés juives canadiennes les plus importantes. Il avait également été invité à éditer le Journal of Canadian Jewish History (Journal de l’histoire juive canadienne) (Transcription, volume 4, page 624). En contre‑interrogatoire, il a identifié et décrit facilement les auteurs et les principaux travaux scolaires en matière d’histoire juive canadienne. Le fait qu’il n’a presque aucune connaissance de la géographie canadienne ni le fait qu’il n’a pas visité de nombreuses villes canadiennes ni les sites d’archivage de l’histoire juive canadienne ne l’empêche pas d’obtenir des connaissances sur l’histoire et l’évolution du Judaïsme orthodoxe au Canada. En fait, le rabbin Eleff a indiqué que la plupart des sources principales, portant sur l’histoire juive canadienne, sont actuellement détenues par une institution affiliée avec le Hebrew Union College à Cincinnati, à Ohio (Transcription, volume 4, pages 646, 647 et 669) et qu’à tout le moins il existait des copies dans les archives à Cincinnati. Lorsque les sources des archives de Montréal sont requises, il a utilisé son financement de recherche pour demander des microfilms de l’Université McGill (Trasncription, volume 4, page 673). Il n’était pas nécessaire pour le rabbin Eleff de se présenter physiquement à l’archive canadienne pour entreprendre des études scolaires ou pour obtenir des sources pertinentes. Le fait qu’il n’a pas étudié particulièrement une des communautés juives canadiennes régionales ou leur histoire ne le rend pas moins un expert dans le domaine de l’histoire et de l’évolution du Judaïsme orthodoxe au Canada. Son témoignage à ce sujet n’a pas été contredit.

[86]         L’intimée a soutenu que les oppositions des appelants quant à l’expertise du rabbin Eleff, en ce qui concerne le Judaïsme orthodoxe canadien et l’histoire juive canadienne, étaient fondées sur les deux hypothèses fausses suivantes :

(1) que l’histoire juive canadienne et américaine constitue des domaines d’études distincts;

(2) que les communautés juives orthodoxes aux États‑Unis et au Canada sont des communautés sans liens ayant des croyances ou des pratiques religieuses très différentes (observations écrites de l’intimée, paragraphe 161).

[87]         Selon les éléments de preuve, je suis d’avis que le domaine de l’histoire juive canadienne n’a pas évolué de manière indépendante dans la mesure où il forme un domaine d’étude distinct du domaine plus général de l’histoire juive américaine. Le témoignage du rabbin Eleff appuie la conclusion selon laquelle l’étude de l’histoire juive canadienne fait partie du [traduction] « domaine plus général de l’histoire juive américaine ». (Transcription, volume 4, pages 656 et 657). En fait, les éléments de preuve étayent le fait que le dernier fait encore l’objet d’une période émergente et qu’il existe très peu d’universitaires qui consacrent leur carrière à mettre l’accent sur ce domaine (Transcription, volume 4, page 643).

[88]         Je suis également d’avis que, selon les éléments de preuve, les croyances et les pratiques du Judaïsme orthodoxe dans les communautés canadiennes ne diffèrent pas de manière aussi importante de celles des communautés juives orthodoxes aux États‑Unis. Les observations des appelants selon lesquelles ces communautés ne sont pas liées en ce qui concerne leurs croyances et pratiques ne sont pas étayées par la preuve. En premier lieu, bon nombre de rabbins au cours de cette procédure avaient des liens professionnels aux États‑Unis. Tous les trois appelants, ainsi que les rabbins Pacht et Rosenblatt, étaient des expatriés américains ou avait suivi leurs études dans ce pays. Bon nombre ont obtenu leur ordination rabbinique aux États‑Unis. Le rabbin Rosenblatt a occupé le poste de trésorier du Rabbinical Council of America dont beaucoup de rabbins canadiens sont membres. Le séminaire théologique à New York où les rabbins Eleff et Rosenblatt ont été ordonnés est considéré comme [traduction] « le fleuron de l’orthodoxie moderne en Amérique du Nord et ses rabbins sont les chaires partout en Amérique du Nord et dans le monde » (Transcription, volume 4, page 608, lignes 16 à 18). Les mêmes rituels hébreux et livres de prières sont utilisés dans les communautés juives orthodoxes partout au Canada et aux États‑Unis et ils suivent tous les mêmes textes sacrés. Le contrat de travail du rabbin Rosenblatt conclu avec sa synagogue, Schara Tzedeck, décrit ses fonctions comme celles qui sont habituellement exécutées par un rabbin d’une synagogue orthodoxe « nord américaine » (Transcription du contre‑interrogatoire du rabbin Rosenblatt, volume 3, page 266, lignes 7 à 27). Selon le témoignage du rabbin Eleff, bon nombre de jeunes hommes des communautés juives canadiennes étudient en Israël ou aux États‑Unis en raison du manque de programmes rabbiniquaux institutionnalisés dans ce pays (Transcription du réinterrogatoire du rabbin Eleff, volume 4, page 673, lignes 20 à 26).

[89]         En outre, la préoccupation des appelants selon laquelle les qualifications du rabbin Eleff ne font pas en sorte qu’il est qualifié de discuter des lois et des pratiques du Judaïsme orthodoxe est erronée et sans fondement. Cette préoccupation est fondée en partie sur le fait que le rabbin Eleff n’est pas un membre d’un tribunal rabbinique. Son curriculum vitae indique clairement qu’il possède une formation, une expérience, des publications et des enseignements et des conférences académiques lui permettant d’être considéré comme un expert dans les lois et les pratiques du Judaïsme orthodoxe. Il a obtenu deux ordinations rabbiniques, dont une provenait du même séminaire « fleuron » auquel avait assisté l’expert des appelants, le rabbin Rosenblatt. Le rabbin Eleff avait publié de nombreux articles examinés par ses pairs portant sur les lois juives (Halakhah) dans la publication hébreuse, Beit Yitzhak, le journal des études rabbiniques offficielles du séminaire (rapport Eleff, onglet A, page 8). Par exemple, une des publications était particulièrement intitulée « The Intersection between Halakah and History ». Par ailleurs, en 2016, il a été interrogé par un magazine de l’Atlantique au sujet de la question liée à la conversion d’Ivanka Trump au Judaïsme orthodoxe, une question qui relevait évidemment de la compétence des tribunaux rabbiniques (Transcription, volume 4, pages 625 et 626, lignes 24 à 28 et 1 à 8).

[90]         Je ne suis pas convaincue par les éléments de preuve dont je suis saisi que l’expérience obtenue du fait d’être un membre d’un tribunal rabbinique, qui traite principalement de questions familiales, permet de nécessairement mieux qualifier une personne à donner des réponses aux questions en litige dans les présents appels. La question dont je suis saisie concerne des questions plus générales ayant trait aux textes fondamentaux du Judaïsme orthodoxe, au point central de l’éducation sur la Torah, au rôle des rabbins juifs orthodoxes et à l’importance de l’éducation sur la Torah des enfants de cette foi. Il ne s’agit pas de questions que les tribunaux rabbiniques, et plus particulièrement, le tribunal rabbinique de la Colombie‑Britannique, tranchent quotidiennement. Même si ces questions générales de principes religieux peuvent survenir de temps à autre, un tribunal rabbinique tranche principalement des questions liées au cycle de vie concernant le mariage, le divorce et la conversion, ainsi qu’un différend civil occasionnel.

[91]         Toutefois, l’opposition des appelants selon laquelle le rabbin Eleff pourrait ne pas avoir les connaissances et l’expertise nécessaires en christianisme et plus particulièrement en protestantisme, pour être qualifié d’expert afin de répondre à des questions dans ce domaine, n’est effectivement pas étayée par la preuve. Les connaissances et l’expérience du rabbin Eleff dans ce domaine sont éparses, voire non existantes. Toute expérience qu’il pourrait posséder est extrêmement limitée. Après avoir terminé sa thèse de doctorat, il a continué de travailler avec le Department of Near Eastern and Judaic Studies à la Brandeis University et a donné un cours en pluralisme religieux aux États‑Unis qui était axé sur l’histoire du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam. Il a étudié ces religions avec un universitaire à la Harvard University où il a suivi de nombreux cours de lecture. Sauf ces quelques activités, il n’a jamais été praticien de la foi chrétienne, il n’a jamais visité une église et il n’a jamais mené à terme une recherche originale sur le Christianisme. Ses supposées connaissances dans ce domaine découlaient entièrement de lecture de sources primaires rédigées par d’autres universitaires. Sa thèse de doctorat portait sur le sujet du Judaïsme américain pendant que sa thèse de maîtrise portait sur les Juifs orthodoxes et la déségrégation raciale. Il a publié des livres axés sur divers sujets concernant le Judaïsme aux États‑Unis. De même, aucun de ses articles, chapitres de livres, critiques de livres, articles en ligne, publications hébreuses, documents de conférence ou présentations n’était axé sur le sujet du Christianisme ou d’autres religions, mais ils étaient plutôt axés sur le Judaïsme.

[92]         Par conséquent, je conclus que le rabbin Eleff n’était pas qualifié pour discuter du Christianisme et d’autres religions et, par conséquent, les parties de son rapport qui porte sur les principes du Christianisme et plus particulièrement sur le protestantisme et d’autres religions seront supprimées et exclues des éléments de preuve dont je tiendrai compte dans mon analyse. Toutefois, il est par ailleurs qualifié pour donner un témoignage d’expert concernant l’histoire du Judaïsme orthodoxe au Canada, ainsi que les lois et les pratiques du Judaïsme orthodoxe en général.

b)    Pertinence

[93]         Les appelants soutiennent que le rapport Eleff et le témoignage du rabbin Eleff ne sont pas pertinents parce qu’ils sont principalement axés sur l’histoire du Judaïsme aux États‑Unis qui n’est pas pertinent à la question dont est saisie la Cour. Plus particulièrement, les appelants s’opposent à l’inclusion des parties suivantes du rapport Eleff :

[traduction]

        les différents mouvements ou dénominations religieux du Judaïsme nord‑américain;

        le rôle de la synagogue en Judaïsme orthodoxe nord‑américain;

        les comparaisons entre les congrégations juives orthodoxes et l’église locale de protestantisme en Amérique du Nord;

        le processus actuel requis pour être ordonné en tant que rabbin juif orthodoxe en Amérique du Nord;

        la façon dont les rôles et les fonctions des rabbins chaires de congrégations orthodoxes en Amérique du Nord ont changé avec le temps.

(Arguments et observations des appelants, paragraphes 515 à 519).

[94]         En ce qui concerne la première préoccupation des appelants quant au fait que le rapport met l’accent sur l’histoire du Judaïsme aux États‑Unis, j’ai déjà examiné ce domaine dans ma discussion dans la section portant sur la « Qualification suffisante de l’expert ». Bref, je suis d’avis que l’histoire juive canadienne, en tant que domaine d’étude, relève de la vaste sphère de l’histoire juive américaine.

[95]         Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que les lois et les pratiques des communautés juives orthodoxes et du Judaïsme orthodoxe au Canada se distinguent de manière importante de celles aux États‑Unis.

[96]         En général, en ce qui concerne les autres préoccupations des appelants liées au rapport Eleff, je retourne à la décision initiale relative à la nécessité du témoignage d’expert dans les présents appels. Afin de trancher de manière adéquate la question de savoir si les appelants « a[vaient] la charge [...] d’une congrégation » au sens de l’alinéa 8(1)c) de la Loi, je dois mettre les activités et les fonctions des appelants à la VHA et au sein de la communauté juive à Vancouver dans le contexte et des principes du Judaïsme orthodoxe. Les sections dans ce rapport auxquelles s’opposent les appelants sont pertinentes en grande partie aux présents appels, sous réserve de quelques exceptions.

[97]         La première section qui porte sur [traduction] « Les différents mouvements ou dénominations religieux du Judaïsme nord‑américain » donne à la Cour une compréhension fondamentale générale de certains des renseignements généraux concernant le Judaïsme orthodoxe. Même si le contenu est assez exhaustif, dans la mesure où il fournit des renseignements sur le Judaïsme réformé et le Judaïsme conservateur et une comparaison de ceux‑ci, il aidera la Cour à apprécier les textes du mouvement orthodoxe.

[98]         La section intitulée [traduction] « Le rôle de la synagogue en Judaïsme orthodoxe nord‑américain » offre des renseignements généraux historiques et détaillés sur une des principales infrastructures de toute communauté juive viable, soit la synagogue. Traditionnellement, le rôle de l’éducation relevait de la synagogue. Au fil du temps, les écoles juives de jour ont été créées et ont assumé cette responsabilité. Cette section du rapport Eleff offre une comparaison entre la synagogue et l’école juive de jour et elle sera pertinente pour comprendre le rôle d’un rabbin qui enseigne des Études juives à une école juive de jour.

[99]         Toutefois, j’exclus la section du rapport Eleff qui porte sur les comparaisons entre les congrégations juives orthodoxes et l’église locale de protestantisme en Amérique du Nord. Même si cette section avait le potentiel d’être pertinente, j’ai déjà conclu dans mes motifs que le rabbin Eleff manque clairement l’expertise pour témoigner en tant qu’expert à l’égard du Christianisme.

[100]     La section portant sur le processus requis pour être ordonné en tant que rabbin en Amérique du Nord sera également exclue parce que même si elle est informative quant à la façon dont la formation rabbinique prépare les rabbins à s’acquitter de diverses fonctions dans la communauté, elle n’est pas pertinente aux fins des présents appels puisque le critère relatif au statut en vertu de l’alinéa 8(1)c) de la Loi n’est pas en litige.

[101]     Enfin, la section du rapport Eleff qui portait sur l’évaluation des rôles et des fonctions des rabbins chaires orthodoxes et axée sur les rabbins‑enseignants, les rabbins‑universitaires et les rabbins‑pasteurs est pertinente. Le rabbin Eleff a suivi un récit historique, mais elle est pertinente parce que le rôle et la fonction de rabbins dans différents milieux sont essentiels à la question dont est saisie la Cour. Une considération quant à la façon dont leurs rôles ont évolués au fil du temps aidera à la Cour à comprendre les rôles actuels qu’ils exercent maintenant au sein de la communauté juive orthodoxe.

[102]     Le reste du rapport Eleff est pertinent aux fins de la question dont est saisie la Cour.

c)     Nécessité d’aider le juge des faits

[103]     Les appelants soutiennent que le rapport Eleff ne répond pas aux critères de Mohan parce qu’il tente d’usurper le rôle du juge des faits en raison de son utilisation délibérée du terme « congrégation » tout au long du rapport et qu’il l’utilise comme synonyme au terme « synagogue ». Les appelants font valoir que ce faisant, le rabbin Eleff a défini la synagogue et ceux qui s’y rassemblent comme les seules circonstances où une « congrégation » existe en Judaïsme orthodoxe. Toutefois, je conclus qu’il ne tentait pas d’usurper mon rôle, mais qu’il employait simplement l’usage courant du terme, ce qui est conforme à la définition tirée du dictionnaire du terme « congrégation ». En fait, dans leur témoignage, certains des rabbins ont également utilisé le terme « congrégation » de manière semblable et le contrat de travail du rabbin Rosenblatt conclu avec Schara Tzedeck utilise aussi le terme.

[104]     En utilisant le terme « congrégation », le rabbin Eleff ne tentait pas de faire équivaloir le sens de « congrégation » en Judaïsme orthodoxe à son sens en vertu de l’alinéa 8(1)c) de la Loi et il n’a pas non plus tenté d’offrir son opinion à cet égard. 

[105]     Le témoignage d’expert sera généralement requis à l’égard de questions qui concernent le droit canonique. Le témoignage d’expert donné par le rabbin Eleff est nécessaire en ce qu’il aidera la Cour à examiner des questions hautement techniques, comme les textes et les pratiques fondamentaux du Judaïsme orthodoxe, le rôle des rabbins dans la communauté juive moderne orthodoxe et la place de la synagogue au sein de la communauté, lesquels dépassent tous l’expertise de la Cour.

d)    Règles d’exclusion

[106]     Les appelants soutiennent que le rabbin Eleff a omis d’inclure dans son rapport les faits, hypothèses et documents sources sur lesquels il était fondé. Même si cette opposition est bien‑fondée, elle ne justifie pas d’exclure le rapport au complet pour ce seul motif.

[107]     L’admissibilité d’un rapport d’expert et du témoignage d’expert doit être examinée dans le bon contexte procédural. Le paragraphe 7(1) des règles de procédure informelle prévoit une démarche moins sévère en matière d’une telle preuve lorsqu’elle est déposée en vertu de ces règles :

7(1) Une partie qui désire produire un témoin expert à l’audition d’un appel doit déposer au greffe et signifier à chacune des autres parties un rapport, au moins 10 jours avant la date de l’audition de l’appel. Ce rapport, signé par l’expert, doit indiquer les nom, adresse, titres et compétences de ce dernier et exposer l’essentiel du témoignage que l’expert rendra à l’audience. [Non souligné dans l’original.]

[108]     En choisissant de procéder en vertu des règles de la procédure informelle, les parties doivent reconnaître que, selon le pouvoir discrétionnaire de la Cour, les exigences ordinaires concernant la preuve d’expert peuvent être souples par rapport aux règles de la procédure générale. Au contraire, l’article 145 des Règles et l’article 3 de l’annexe III des règles de la procédure générale établissent expressément l’exigence selon laquelle les faits et les hypothèses, ainsi que la littérature et les documents invoqués doivent être inclus dans un rapport d’expert.

[109]     En ce qui concerne l’omission des faits, des hypothèses et des documents sources, même s’ils avaient amélioré son rapport et offert une aide supplémentaire à la Cour, les règles de la procédure informelle n’imposent pas une telle exigence. Par ailleurs, le rabbin Eleff a indiqué qu’on ne lui a pas demandé de les inclure dans son rapport. Il a déclaré qu’il n’a formulé aucune hypothèse de fait et qu’il avait utilisé plutôt des « données » et une « analyse » dans son rapport qu’il a assimilé aux faits et aux hypothèses en tant que son enquête scientifique (Transcription, volume 6, pages 954, 955, 993 et 994).

[110]     Toutefois, à l’exception d’un article qu’il a rédigé, comme les appelants l’ont soutenu à bon droit, la règle de preuve en common law contre la preuve par ouï‑dire s’applique quand même et le rabbin Eleff aurait donc dû avoir inclus le fondement factuel et les documents sources qui étayeraient ses opinions. L’absence de documents source joints au rapport englobe deux domaines : les livres, les articles et les sources citées dans les notes en bas de page de 1 à 20 du rapport et (2) les sources juridiques juives citées expressément à la partie II du rapport intitulée [traduction] « La définition de congrégation dans les lois et les pratiques juives traditionnelles ».

[111]     La Cour suprême du Canada dans Lavallee c La Reine, [1990] 1 RCS 852 (« Lavallee ») et plus tard dans La Reine c Gibson, [2008] 1 RCS 397, 2008 CSC 16, a clarifié que, lorsqu’une opinion de l’expert est fondée sur un contenu qui constitue du ouï‑dire, sans fondement factuel ou de source, la question qui en découle concerne la valeur probante à attribuer à de telles opinions, plutôt que son admissibilité. Le juge Sopinka, dans ses motifs concourants dans Lavallee a déclaré ce qui suit :

Lorsque, toutefois, les données sur lesquelles un expert fonde son opinion proviennent d’une partie au litige ou d’une autre source fondamentalement suspecte, un tribunal devrait exiger que ces données soient établies par une preuve indépendante. Suivant l’arrêt Abbey, l’absence d’une telle preuve influera directement sur le poids à donner à l’opinion, peutêtre au point de lui enlever toute valeur probante.

[112]     Dans les présents appels, les sources qui ont été mentionnées dans les notes en bas de page ne tiraient pas leur origine d’une partie au présent litige. Les sources n’étaient pas non plus fondamentalement suspectes. Le contenu de ces notes en bas de page fournissait une carte de route qui permettrait à la Cour de chercher et d’examiner ces sources publiées, même s’il ne s’agissait pas de la situation idéale. Le rabbin Eleff a fait l’objet d’un contre‑interrogatoire intense au sujet de son rapport. Je conclus que la question liée au contenu des notes en bas de page visera la valeur probante qui peut être attribuée convenablement aux divers énoncés et diverses propositions à l’égard desquels ces sources ont été énumérées et visaient à étayer.

[113]     D’autre part, l’opposition concernant les autorités juridiques juives constitue un problème beaucoup plus grave. J’ai déjà conclu que la Cour doit être aidée par une preuve d’expert dans le domaine du droit canonique. Dans La Reine c Lefebvre, 2009 CAF 307, 2009 DTC 5180, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 21 que le droit canonique est une forme de droit étranger qui doit être mis en preuve par un expert en la matière. Au cœur de ces appels est la définition du terme « congrégation » dans le contexte du Judaïsme. L’inclusion de cette section dans le rapport Eleff sans sources convenables jointes qui permettraient à la Cour de vérifier la véracité de la fiabilité de ces énoncés serait très préjudiciable. Il s’agit d’une lacune cruciale dans le rapport qui l’emporte sur tout avantage qui pourrait être obtenu en admettant une telle preuve. En conséquence, la partie II du rapport Eleff, ainsi que tout témoignage du rabbin Eleff ayant trait à cet aspect de la preuve sera exclu.

Conclusion concernant le rapport Eleff :

[114]     Le rapport Eleff et le témoignage du rabbin Eleff seront admis en preuve, sous réserve que les parties suivantes de son rapport soient supprimées, ainsi que toute partie du témoignage du rabbin Eleff ayant trait à ces parties :

        La partie du rapport concernant [traduction] « La définition de congrégation dans les lois et les pratiques juives traditionnelles » et tout témoignage du rabbin Eleff ayant trait à cette partie ne sont pas admissibles parce que j’ai conclu qu’elle est largement fondée sur un contenu de ouï‑dire et sur des renseignements relatifs au droit étranger ou canonique.

        La partie concernant les [traduction] « Comparaisons entre une congrégation juive orthodoxe et l’église locale de protestantisme en Amérique du Nord » et le témoignage connexe ne seront pas admis dans la mesure où ils contiennent un contenu lié à un aspect de protestantisme parce que le rabbin Eleff n’a pas l’expertise et la formation nécessaire dans ce domaine puisqu’il est principalement un universitaire dans le domaine de l’histoire, des lois et des pratiques juives.

        La partie du rapport concernant le [traduction] « Processus actuel requis pour être ordonné en tant que rabbin juif orthodoxe en Amérique du Nord » et tout témoignage connexe ne sont pas admissibles parce qu’ils ne sont pas pertinents à la question en litige dans les présents appels.

VI.  Déduction pour résidence des membres du clergé

A. Les appelants avaient‑il « la charge » des étudiants qui fréquentaient la VHA?

(i) Jurisprudence

[115]     La Loi ne prévoit aucune définition des expressions « a la charge » et « congrégation ». Toutefois, un groupe d’appels, entendus sur preuve commune et tranchés par l’ancien juge en chef Bowman à la fin des années 1990 selon la procédure générale, discutait de ces principes, ainsi qu’un certain nombre d’autres principes, qui ne sont pas pertinents aux présents appels : Kraft c La Reine, 1999 ACI no 131, 99 DTC 693 (« Kraft »); McGorman c La Reine, [1999] ACI no 133, 99 DTC 699 (« McGorman »); Fitch c La Reine, [1999] ACI no 129, 99 DTC 721 (« Fitch »); Koop c La Reine, [1999] ACI no 130, 99 DTC 707 (« Koop »); Austin c La Reine, [1999] ACI no 126; 99 DTC 710 (« Austin »); and Alemu c La Reine, [1999] ACI no 125, 99 DTC 714 (« Alemu »). Ces décisions doivent être discutées ensemble afin d’apprécier la portée que ces décisions ont accordée à l’alinéa 8(1)c) de la Loi.

[116]     Selon le Oxford English Dictionary, le verbe « minister » compte deux significations communes quotidiennes qui en l’espèce, une signification large et une étroite :

Servir, exécuter une fonction de servant; s’occuper du confort ou des besoins d’autrui; aider, être utile [...]

Servir ou célébrer un service religieux, entre autres; agir en tant que ministre du culte.

[117]     Dans McGorman, au paragraphe 56, le juge Bowman a adopté une définition large du terme :

« To minister » signifie simplement « servir » ou « s’occuper des besoins de ». Un médecin ou une infirmière s’occupe des besoins physiques d’un patient. Un ecclésiastique, ministre, prêtre ou conseiller spirituel s’occupe des besoins spirituels d’une congrégation, sur le plan collectif ou sur le plan individuel. Les ministres du culte sont toutefois appelés à faire beaucoup plus qu’offrir une orientation spirituelle. Ils donnent des conseils en matière psychologique et matrimoniale. Ils donnent des conseils sur des questions liées à la famille ainsi qu’à la carrière. C’est vers l’Église que les gens se tournent face à une infinie variété de problèmes survenant dans la vie. C’est vers l’Église que les gens se tournent face à une infinie variété de problèmes survenant dans la vie. Le mot anglais « ministering » véhicule un concept très vaste, notamment dans le contexte du travail d’un membre du clergé.

[118]     Selon cette interprétation large, la Cour a conclu qu’un des appelants, qui travaillait en tant que ministre d’une organisation missionnaire chrétienne à l’échelle mondiale, « desservait » une congrégation, composée de la communauté somalienne de Toronto. Le juge Bowman a conclu au paragraphe 56 que, nonobstant que le travail de bon nombre des appelants était accompli à l’extérieur du contexte d’une église traditionnelle, son « [...] travail englobait tout ce qui est traditionnellement accompli par un ministre ou prêtre ayant une église » et qu’il « [...] est indéniable que M. Miller s’occupait des besoins des personnes avec qui il traitait, qu’il desservait ou servait ces personnes. » Je souscris aux conclusions tirées par le juge Bowman dans McGorman puisque l’appelant dans cet appel avait été embauché en tant que missionnaire, dont le travail, en raison de sa nature, nécessitait qu’il quitte le confort d’un milieu religieux traditionnel et s’aventurer dans la communauté en général.

[119]     Conformément à cette interprétation large, le juge Bowman a conclu que les autres activités ou fonctions relevaient également de la portée de l’expression « desservait » une congrégation. La deuxième appelante dans McGorman, une missionnaire baptiste qui allait prêcher l’Évangile un peu partout au Canada, y compris prendre la parole devant des femmes, des jeunes et des enfants et elle les informait de sa mission à l’étranger, était visée par la portée de cette disposition et lui conférait le droit à la déduction. Dans Koop, la portée était un peu plus large en vue d’inclure dans la définition élargie, les membres de l’organisation Jeunesse pour Christ, qui s’occupaient de la jeunesse défavorisée à Winnipeg et à Saskatoon, administraient des centres de dépannage et d’hébergement, des établissements sportifs, dirigeait les services et prêchait l’Évangile aux jeunes.

[120]     Dans Kraft, un révérend ordonné ministre des baptistes, qui agissait en tant qu’aumônier de trois centres de détention, en assurant un service de consultation morale à de jeunes contrevenants et dirigeait les services et les études bibliques destinés à ces jeunes et il prêchait également parfois dans des églises, avait la charge d’une congrégation. D’autres appelants dans cette affaire avaient également droit à la déduction et leurs fonctions comprenaient : un ministre baptiste qui se rendait à des églises partout au Canada pour y prêcher et y conduire des services dans le cadre d’un programme de sensibilisation; un ministre d’une église évangélique chrétienne en Angleterre qui dirigeait les services, les études bibliques et les prières et qui offrait des services de consultation aux églises de Toronto; un ministre baptise qui prêchait, offrait des services de consultation et dirigeait des services dans des communautés autochtones situées au Manitoba.

[121]     Dans Austin, le juge Bowman a conclu qu’un ministre chargé de la musique à l’église pentecôtiste, qui était chargé de l’aspect musical des services et qui visitait également les hôpitaux, qui prenait part à des funérailles et à des mariages, offrait des services de consultation et prononçait des sermons, avait la charge d’une congrégation.

[122]     Dans Alemu, un ministre d’une organisation chrétienne, pour des personnes ayant des besoins particuliers, qui agissait en tant qu’aumônier pour ces familles en leur offrant des services de consultation, en prêchant, en dirigeant les services quotidiens et du dimanche, était visé par la portée de la définition et avait droit à la déduction.

[123]     Les appelants ont invoqué ces décisions, surtout la définition libérale et large attribuée à l’expression « a la charge [...] d’une congrégation » pour étayer leur interprétation selon laquelle les activités des appelants en tant qu’enseignant à temps plein d’études juives à la VHA faisaient en sorte qu’ils avaient la charge d’une congrégation au sens de l’alinéa 8(1)c) de la Loi. Plus particulièrement, les appelants soutiennent qu’ils exercent bon nombre des mêmes fonctions qui étaient exercées par les contribuables dans le groupe de décisions tranché par le juge Bowman, comme diriger les services de prières à la VHA, offrir des services de counseling aux étudiants et à leur famille, donner des cours sur la Torah dans la communauté, entre autres.

[124]     Toutefois, les décisions dans ce groupe d’affaires ne présentent pas l’ensemble de l’interprétation que le juge Bowman a accordé à la portée de l’alinéa 8(1)c). Même si la série d’affaires dans McGorman offrait une interprétation large, dans Fitch, le juge Bowman a limité la portée du terme « ministering » en décrivant une exception à l’égard des enseignants des études religieuses. Il a conclu que, un des appelants dans Fitch, soit le révérend Bissell, un professeur à temps plein des études religieuses à un Bible college canadien établi par l’Église adventiste du septième jour, ne répondait pas critère relatif à la fonction de « desservir une congrégation » au sens de l’alinéa 8(1)c). Le motif déterminant de cet arrêt figure aux paragraphes 40 à 43. Ils sont reproduits puisqu’ils sont particulièrement instructifs aux fins des présents appels :

40        L’affaire du révérend Bissell soulève la question de savoir si enseigner à des étudiants un cours de théologie dans ce qui est manifestement un collège confessionnel équivaut à desservir une congrégation.

41        Nul ne peut nier que le fait de desservir une congrégation comporte fréquemment de l’enseignement. Il s’agit là d’un volet important du rôle d’un ministre du culte. Parmi les nombreuses appellations données à Jésus‑Christ, mentionnons celle de « Grand Professeur ». Néanmoins, même si desservir une congrégation peut comprendre l’enseignement, l’inverse n’est pas vrai.

42        Il importe de mettre les activités du révérend Bissell en perspective. Il a enseigné la religion à des personnes ayant pour but de devenir ministres du culte. Il les a sans doute également conseillées et a probablement prié avec elles. Il a également prêché à l’occasion à des groupes de fidèles au niveau local. Les avocats des appelants m’ont mentionné certaines affaires dans lesquelles les tribunaux ont admis que le fait de desservir une congrégation peut inclure des ministères spécialisés. Je souscris à cet énoncé à titre d’affirmation générale, mais à mon sens, il ne va pas assez loin pour aider la cause du révérend Bissell. Selon moi, on ne peut affirmer que l’enseignement dispensé à des étudiants dans un collège à caractère confessionnel équivaut à desservir une congrégation au sens où j’ai utilisé l’expression dans d’autres affaires, comme Miller et McGorman ou Baker.

43        Tel que je l’ai indiqué précédemment, l’enseignement peut bien constituer – et constitue souvent – un élément faisant partie de l’activité consistant à desservir une congrégation, mais l’enseignement n’équivaut pas, en soi, à desservir une congrégation selon aucune acception généralement admise de ce terme que je connais. Je ne crois pas non plus qu’il soit possible d’affirmer qu’un groupe d’étudiants est une « congrégation » au sens d’un regroupement de personnes auxquelles un ministre du culte donne des conseils, des connaissances et de l’inspiration en matière spirituelle. Bien que, pour les motifs exprimés dans les affaires Kraft et autres, je ne souscrive pas à l’interprétation donnée au mot congrégation dans l’affaire McRae, je ne suis pas d’avis que ce terme englobe un groupe d’étudiants au niveau collégial rassemblés pour recevoir un enseignement collégial. [Non souligné dans l’original.]

[125]     Ensuite, dans Shepherd c La Reine, [2002] ACI no 104 (« Shepherd »), la Cour a suivi la conclusion du juge Bowman dans Fitch et a conclu qu’un professeur d’un collège baptiste et du séminaire à Edmonton, dont la fonction principale était l’enseignement, ne répondait pas à la définition d’avoir « la charge [...] d’une congrégation ». Même si cette affaire a été tranchée selon la procédure informelle, son motif est conforme à la décision Fitch.

[126]     Les appelants ont soutenu que les décisions rendues dans Fitch et Shepherd se distinguaient des présents appels parce que les contribuables dans ces deux arrêts étaient des professeurs d’études religieuses à des collèges théologiques qui enseignaient des études postsecondaires dans le cadre d’une formation professionnelle, tandis que les appelants dans les présents appels participaient à [traduction] « l’enseignement à leurs étudiants de la Torah et des valeurs et des principes spirituels, liturgiques et éthiques juifs, ce qui constituait l’élément essentiel et principal du ministère des appelants en tant que rabbins » (arguments et observations des appelants, paragraphe 372). Par ailleurs, les appelants ont fait valoir que le fait de transmettre des connaissances fondamentales et homilétiques, de répondre aux besoins spirituels des étudiants, d’offrir un culte religieux et de les aider à devenir des membres observateurs de la foi juive, ils remplissaient un des rôles fondamentaux d’un ministre de religion juif. Leur travail consistait en un ministère spécialisé destiné aux jeunes et, par conséquent, ils n’offraient pas une formation professionnelle aux étudiants à un établissement secondaire ou postsecondaire.

[127]     Malgré les plaidoiries pertinentes des avocats des appelants à cet égard, je dois être d’accord avec l’intimée pour dire que l’arrêt Fitch a déjà répondu à la question de savoir si un enseignement à temps plein d’études religieuses dans une école peut être considéré comme ayant « la charge [...] d’une congrégation ». Tel que le juge Bowman l’a déclaré au paragraphe 42 de Fitch, il est importe de mettre les activités des appelants « en perspective ».

[128]     Tous les appelants avaient conclu des contrats de travail avec la VHA pour enseigner les études religieuses juives à l’école. Ils étaient appelés des « enseignants » partout dans les contrats d’emploi par opposition au contrat de travail du rabbin Rosenblatt conclu avec Schara Tzedeck dans lequel il était appelé « le rabbin » de cette synagogue. Les principales activités des appelants à la VHA consistaient en des fonctions d’enseignement. Ils étaient rémunérés pour l’exercice de ces fonctions. Ils devaient préparer un plan de cours au début de chaque année scolaire et évaluer le rendement des étudiants, malgré le témoignage des appelants selon lequel ils évaluaient rarement le succès des étudiants en fonction de notes. Il convient de noter que les mêmes contrats ont été utilisés pour les enseignantes juives employées à la VHA. Les femmes n’étaient pas des rabbins ordonnés, mais rien ne les empêchait d’être employées en vue d’enseigner la religion juive aux étudiants à la VHA.

[129]     La VHA exécutait un programme double composé d’études en Judaïsme et des études générales. Dans Fitch, au paragraphe 18, le Bible college était également établi selon le double objectif de « dispenser un enseignement supérieur, dans un contexte d’excellence scolaire et d’engagement chrétien, aux membres de l’Église et à d’autres personnes qui désirent étudier dans un environnement adventiste. » De même, bien que l’éducation soit importante dans le contexte du Judaïsme orthodoxe et de la foi juive générale, la Cour a également conclu dans Fitch que l’éducation était également importante et intégrale à la religion à l’église Adventist et au Bible college.

[130]     En ce qui concerne les observations des appelants, je ne crois pas qu’il existe une distinction fondamentale entre des rabbins qui enseignent des études juives à des enfants à l’école primaire et des professeurs qui enseignent à des adules aux fins d’une formation professionnelle. Dans ces deux scénarios, le public particulier et les objectifs pour lesquels ils sont rassemblés peuvent être différents, mais le rôle de l’enseignant religieux ne change pas. Dans tous les cas, l’enseignant ou le professeur tente de transmettre une connaissance spirituelle et des valeurs et des principes éthiques aux étudiants respectifs. Même si la véritable matière du programme pourrait distinguer un enseignant de la religion d’un enseignant des études générales ou d’un enseignant de l’éducation physique, il n’existe aucune différence réellement perceptible entre des enseignants religieux des établissements primaire, secondaire et postsecondaire. Un enseignant demeure un enseignant dans toutes ces circonstances.

[131]     Sauf la distinction que les appelants ont tenté de faire, les faits dans Fitch et Shepherd sont presque identiques à ceux des présents appels. En plus de leurs fonctions d’enseignement, les appelants dirigeaient des services de prières ou priaient avec les étudiants dans le cadre du programme des études du Tefillah (études des prières). Dans Shepherd, l’appelant était également le président du comité de la vie étudiante au séminaire baptiste et une de ses principales fonctions consistait à planifier, à organiser et à mettre en œuvre des services de prières dans la communauté étudiante. Les appelants enseignaient aux étudiants de la VHA des connaissances au sujet des textes juifs sacrés et l’hébreu. Dans Shepherd, le contribuable enseignait également aux étudiants des cours sur les textes bibliques sacrés et l’hébreu. Les contribuables dans ces appels donnaient une orientation et des conseils spiritueux aux étudiants, ainsi qu’à leur famille et aux membres de la communauté générale, ainsi que des services de consultation aux étudiants. Sauf leurs fonctions d’enseignement, les appelants dans les présents appels fournissaient des services de culte aux membres de la communauté juive de Vancouver et participaient à une ou plusieurs synagogues juives locales où ils prononçaient des sermons et des conférences. Dans Shepherd, le contribuable, comme tout autre membre du corps professoral, prononçait des sermons et prêchait aux églises locales. Il enseignait également l’école du dimanche. Dans Fitch, au paragraphe 42, la Cour a également conclu que le révérend Bissel a « prêché à l’occasion à des groupes de fidèles au niveau local ».

[132]     Je ne crois que la jurisprudence invoquée par les appelants leur a été véritablement utile. Les appelants dans les présents appels étaient employés en tant qu’enseignants à temps plein des Études juives à la VHA. Leurs responsabilités d’emploi consistaient à enseigner aux étudiants, rassemblés dans cette école primaire de jour juive orthodoxe, les pratiques, les valeurs et les principes du Judaïsme orthodoxe. Au contraire, aucun des contribuables dans McGorman, Kraft, Koop ou Austin ne participait à un emploi à temps plein en tant qu’enseignant à une école religieuse à aucun niveau, même si certains dirigeaient des groupes d’étude de la Bible ou des écoles du dimanche. On ne peut comparer les deux rôles.

[133]     Même si la décision dans Austin pourrait être utile dans une certaine mesure pour les appelants, la principale conclusion de la Cour, soit qu’un ministre chargé de la musique participait à un élément spécial reconnu au sein de l’Église pentecôtiste, était la conclusion selon laquelle la musique même faisait partie intégrale des services de l’église. Au paragraphe 37, la Cour a conclu comme suit :

[…] sa principale activité était de s’occuper de l’aspect très important de la musique au sein de l’Église. C’était de cette manière qu’il servait Dieu et qu’il desservait sa congrégation en ce qui concerne ses besoins spirituels. La façon dont une personne s’occupe des besoins d’une congrégation dépend de la confession dont elle fait partie. Dans l’Église pentecôtiste, une personne qui veille à l’aspect musical du service s’occupe en fait des besoins spirituels de la congrégation de façon aussi importante que dans le cas d’un ministre qui prononce des sermons.

[134]     Si les appelants obtenaient gain de cause dans ces appels, il faudrait que je sois d’abord en mesure de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, qu’un rabbin qui enseigne la Torah à des enfants juifs orthodoxes représente un ministère spécialisé dans le contexte du Judaïsme orthodoxe, une conclusion qui serait assimilable à la conclusion tirée dans Austin. En deuxième lieu, il faudrait ensuite que je conclue que les étudiants à la VHA constituaient une congrégation pour l’application de l’alinéa 8(1)c). Toutefois, cette deuxième partie de la question n’est jamais survenue dans Austin puisque le ministère de musique avait lieu dans le contexte traditionnel d’une église et non dans une école.

[135]     Afin de m’aider à trancher ces questions, j’examine la preuve d’expert.

(ii) La preuve d’expert sur le Judaïsme orthodoxe, l’éducation sur la Torah et le rôle des rabbins

a)       Valeur probante du rapport du tribunal rabbinique

[136]     Même si j’ai conclu que ce rapport et le témoignage du rabbin Rosenblatt sont admissibles, j’ai des préoccupations quant à la valeur probante que je peux accorder à cette preuve.

[137]     Pendant le voir‑dire, l’intimée a soulevé des préoccupations réalistes quant à l’indépendance des rabbins Rosenblatt et Feigelstock des appelants. Les faits révèlent un réseau de liens et de relations complexes entre ces parties. Même s’il n’est pas suffisant pour exclure le rapport et la preuve d’expert, il doit être pris en considération quant à la valeur probante que j’accorderai à la preuve. Ma préoccupation a été augmentée par la lacune évidente dans la composition du tribunal rabbinique pour rendre une [traduction] « décision officielle ». Les rabbins Rosenblatt et Feigelstock ont tous les deux indiqué que les tribunaux rabbiniques sont [traduction] « habituellement composés de trois juges. » (Transcription, témoignage du rabbin Rosenblatt, volume 2, page 83, lignes 11 à 13). Le rabbin Eleff a également confirmé que la composition d’un tribunal rabbinique doit être trois rabbins et qu’il n’y aurait jamais deux qui rendent une décision, car [traduction] « [...] il existe une prescription rabbinique contre les nombres pairs. » (Transcription, volume 4, page 711, lignes 12 et 13). Même si le rapport a été signé que par deux rabbins, le rabbin Feigelstock l’a quand même appelé une [traduction] « décision officielle » du tribunal rabbinique de la Colombie‑Britannique, malgré si cela serait contraire aux lois et aux pratiques rabbiniques. Cette contradiction jette un doute sur l’objectivité du témoignage du rabbin Feigelstock en ce qui concerne le contenu du rapport. Ce qui réduit quelque peu la valeur probante que je peux attribuer au rapport ou à certaines de ses parties.

b)      Aucun consensus quant au caractère spirituel de l’éducation sur la Torah

[138]     Mes réserves, concernant la valeur probante appropriée qui devrait être attribuée au rapport du tribunal rabbinique et au témoignage du rabbin Rosenblatt, sont renforcées davantage par le contenu du rapport et du témoignage du rabbin Rosenblatt qui sont contredits : (1) par les sources au sein du rapport même; (2) par le témoignage du rabbin Eleff; et (3) par une preuve factuelle non contestée déposée par les deux parties. Ces contradictions sont mieux comprises en comprenant l’histoire du Judaïsme orthodoxe, en fonction des éléments de preuve fournis par les experts.

[139]     Le Judaïsme orthodoxe constitue l’un des trois mouvements religieux modernes du Judaïsme en Amérique du Nord. Ses fidèles comprennent qu’ils sont le résultat direct des enfants d’Israël, à qui la Torah a été communiquée par Dieu directement à Moïse sur le Mount Sinai. Les experts ont utilisé le terme de manière différente dans leurs rapports. Le rapport du tribunal rabbinique utilise le terme « Torah », selon le contexte, dans son sens large qui englobe à la fois les lois écrites (Torah, dans son sens étroit, consistant des cinq livres de la Bible) et des lois orales (Talmud), ainsi que les explications, les extrapolations et les commentaires subséquents (rapport du tribunal rabbinique, pièce A‑2, page 4). Le rapport Eleff avait tendance de limiter l’utilisation du terme « Torah » à son sens étroit, soit les lois écrites.

[140]     Les Juifs orthodoxes croient dans deux textes sacrés, la Torah, dans son sens étroit, qui regroupe les lois écrites et le Talmud, un traiter de la loi orale consignée pendant les VIe au IXsiècles qui explique et clarifie la Torah. La Mishnah constitue le texte fondamental qui constitue le fondement du Talmud. Elle offre une orientation à l’égard de tous les aspects de la vie et est considérée comme obligatoire par les Juifs orthodoxes. Les questions visées comprennent les lois alimentaires, les circoncisions rituelles, les commandements civils et les prières.

[141]     Même si la Torah est sans doute importante dans la vie d’un Juif orthodoxe, l’affirmation du rapport du tribunal rabbinique selon laquelle l’éducation sur la Torah constitue plus qu’une poursuite intellectuelle et qu’elle constitue en soi un [traduction] « engagement spirituel assimilable à la prière ou à d’autres rituels » ne résiste pas à un examen attentif (rapport du tribunal rabbinique, paragraphe 3.5). Plus particulièrement, le rapport semble invoquer des sources à l’égard desquelles il n’existe aucun consensus parmi les autorités et les universitaires rabbiniques.

[142]     Au paragraphe 3.2, le rapport du tribunal rabbinique invoque un énoncé fait dans le texte fondamental du Talmud, la Mishnah, afin de suggérer que l’étude de la Torah, soit l’un des 613 commandements, est assimilable ou équivalente à tous les autres commandements. (Annexe E, page 7, « Mishnah, Pe’ah Chapter 1 »)

[143]     Toutefois, selon les éléments de preuve dont je suis saisi, il n’existe aucun consensus quant à la signification du passage contenu à l’annexe E du rapport du tribunal rabbinique en ce qui concerne l’étude de la Torah comme étant égale à tous les autres commandements. Le rabbin Eleff a indiqué que l’énoncé relevait de la catégorie « lore » (également appelé Haggadah) du Talmud contrairement à la partie législative ou obligatoire (Transcription, volume 4, pages 683 et 684, lignes 21 à 28 et lignes 1 à 12). En outre, il n’existe aucun consensus quant à l’interprétation ou le traitement du lore parce qu’il est [traduction] « [...] difficile de comprendre le caractère rhétorique et parfois hyperbole de certaines parties de son libellé. » (Transcription, témoignage du rabbin Eleff, volume 4, pages 681 et 682, lignes 28 et 1). Même si certains le considèrent comme faisant autorité, d’autres sont d’avis qu’il s’agit de conseils ou d’histoires et bon nombre d’universitaires rabbiniques ne les abordent pas du tout. En contre‑interrogatoire, le rabbin Rosenblatt a également reconnu que ce type de formulation, visant à souligner l’importance de certains commandements, est courante (Transcription, volume 3, pages 313 et 317). Il a également reconnu la nature hyperbolique de tels énoncés :

[traduction]

Je crois que le point est que le libellé rabbinique tente de viser la nature superlative d’un commandement lorsqu’il indique quelque chose semblable à cela. Par conséquent, lorsqu’ils indiquent qu’elle est équivalente à tous les autres commandements, on ne peut évidemment pas avoir deux commandements qui sont équivalents à tous les autres parce que selon la mathématique simple, il s’agirait d’un scénario contradictoire. C’est pourquoi j’utilise le terme « hyperbole » parce qu’il signifie réellement qu’ils essaient de discuter de l’importance, l’importance centrale d’un mistva.

(Transcription, volume 3, page 317, lignes 11 à 20)

[144]     Le manque de consensus a également été confirmé dans un passage d’un livre du rabbin Norman Lamm, ancien président et chancelier de la Yeshiva University, où, lorsqu’il a formulé des commentaires sur des livres d’autres rabbins, il a déclaré que « [...] si le Talmud (“l’étude”) est supérieur au Maaseh (“acte, mesure”) ou à la prière [...] différentes évaluations sont attribuées au Talmud même. Toutefois, l’importance de l’étude de la Torah, comme telle, est incontestable. » (Non souligné dans l’original] (Rapport du tribunal rabbinique, annexe F, page 8, « Torah Lishmah »).

[145]     Lorsqu’il a suggéré que la prétention selon laquelle l’étude de la Torah est plus qu’une poursuite intellectuelle et plus assimilable à un engagement spirituel, le rapport du tribunal rabbinique a invoqué fortement la leçon tirée par le rabbin Aharoy Lichtenstein, qui a formulé des commentaires sur l’exigence de réciter une bénédiction avant d’étudier la Torah :

[traduction]

Le fait d’apprendre la Torah sans une berakha précédente constitue non seulement une omission de respecter une Halakha particulière, mais englobe également – et ici, nous retournons à notre point de départ – le fait d’avoir manqué l’essentiel même de la Torah. L’apprentissage sans éloge, reconnaissance et une aspiration sous forme de requête constitue un apprentissage qui ne réalise pas la joie et la merveille, ainsi que l’admiration et l’émerveillement, du Talmud et de la Torah. Apprendre sans souciance ou indifférence, ou même avec une objectivité sans passion fondée sur la curiosité intellectuelle, équivaut à réduire le devar Hashem à une discipline académique.

(Rapport du tribunal rabbinique, annexe H, pages 14 et 15, « Reflections Upon Birkot Ha Torah »)

[146]     D’autre part, en contre‑interrogatoire, le rabbin Rosenblatt a admis que même s’il était coutumier de réciter 100 bénédictions quotidiennement, de nombreuses de celles‑ci sont réalisées dans le cadre des services quotidiens de prières et du Shabbath, ainsi que celles récitées avant ou après de telles activités routinières comme laver ses mains, manger du pain ou manger des fruits et des légumes (Transcription, volume 3, pages 321 à 323).

[147]     Malgré l’importance alléguée des bénédictions dans l’acte spirituel d’étudier la Torah, il convient de noter qu’aucun élément de preuve n’a été présenté quant à savoir si les étudiants à la VHA récitent actuellement une bénédiction avant leur cours sur la Torah. Toutefois, des éléments de preuve relatifs à l’exigence des étudiants d’apporter du pain pour leur petit‑déjeuner chaque jour afin qu’ils puissent réciter les bénédictions des repas fondés sur le pain. Selon le rabbin Lichtenstein, cela signifierait [traduction] « manquer l’essence de la Torah » et « devar Hashem », le terme Dieu est ensuite réduit à une [traduction] « discipline académique » (rapport du tribunal rabbinique, annexe H, page 14).

[148]     À la lumière des faits présentés, il n’existe aucune preuve convaincante que l’éducation sur la Torah offerte aux étudiants à la VHA est en soi un acte spirituel. Comme les études de la Bible dans les autres écoles religieuses, l’éducation sur la Torah comporte certainement un élément religieux. Cependant, il n’existe aucun consensus selon lequel les éléments religieux l’emportent nécessairement sur l’élément académique. Cela est particulièrement vrai dans le contexte d’une école de jour qui offre à ses étudiants un programme double. Les étudiants à la VHA ont étudié selon deux volets : d’abord les Études juives, dont fait partie la Torah et en deuxième lieu, les études générales. Les étudiants subissent des examens et des évaluations du rendement dans les deux volets. Les appelants devaient noter le rendement des étudiants et remplir des bulletins. Cela est identique aux évaluations des études générales.

c)       Le rôle principal d’un rabbin

[149]     Le témoignage du rabbin Rosenblatt concernant son rôle en tant que rabbin de Schara Tzedeck, a tenté de décrire « l’éducation sur la Torah » comme sa principale fonction en tant que rabbin de cette synagogue. Conformément à son témoignage, le rapport du tribunal rabbinique, au paragraphe 7.3, énonce que [traduction] « L’éducation constitue la principale activité d’un rabbin [...] ». Le rapport comprend également un énoncé au paragraphe 5.3 selon lequel l’enseignant de la Torah est « synonyme » à un rabbin. Toutefois, la preuve déposée devant moi n’étaye aucunement cette thèse et, en fait, elle est clairement contredite par trois facteurs : la contradiction interne contenu dans le rapport du tribunal rabbinique, le témoignage d’expert du rabbin Eleff et la preuve factuelle provenant du rabbin Rosenblatt.

[150]     En ce qui concerne les contradictions internes contenues dans le rapport du tribunal rabbinique, il a indiqué aux paragraphes 5.2 et 5.3 un passage du Talmud dans Tractate Bava Metziah Folio 33a, annexe L, page 26, qui ne mentionne pas l’expression « enseignant de la Torah », uniquement un « enseignant ». En fait, l’identité de cet « enseignant » a fait l’objet de nombreux débats par des rabbins respectés au cours des décennies. Ce désaccord a également été saisi dans la même source invoquée dans le rapport du tribunal rabbinique :

SI SON PÈRE ET SON ENSEIGNANT AVAIENT [CHACUN] UN FARDEAU, entre autres, nos rabbins enseignaient : l’enseignant mentionné est la personne qui lui a enseigné la sagesse et non celle qui lui a enseigné la Bible et la Mishnah : il s’agit du point de vue du rabbin Meir. Le rabbin Judah a indiqué : la personne de laquelle on a obtenu la plus grande partie de ses connaissances. Le rabbin Jose a dit : même s’il a éclairé ses yeux dans une seule Mishnah uniquement, il est son enseignant. Raba a dit : par exemple, le rabbin Sehora, qui m’a informé de la signification du « zohama listron ».

(Tractate Bava Metziah Folio 33a, annexe L, page 26.)

[151]     Dans ce passage, le rabbin Meir rejette expressément l’idée qu’un enseignant de la Bible (ou la Torath) et de la Mishnah (le texte fondamental du Talmud) peut être un enseignant dans le contexte cité dans le rapport du tribunal rabbinique.

[152]     Le rapport du tribunal rabbinique reconnaît également que les rabbins se spécialisent dans divers rôles, dont l’éducation des jeunes ne constitue que l’une de ces spécialisations (paragraphe 7.2). Le rapport indique ce qui suit au paragraphe 8.2 :

[traduction]

Je remarque que la spécialisation des rabbins est souvent à l’exclusion de l’enseignement ou de l’administration de la pratique de la Torah dans d’autres domaines. Il est entièrement de rigueur pour les rabbins d’exercer des fonctions dans un seul domaine de spécialisation ou pour qu’ils ignorent un domaine au complet [...]

Le rapport du tribunal rabbinique contient des énoncés très clairs relativement au rôle d’un rabbin orthodoxe. Toutefois, le rapport comprend quand même l’argument contradictoire, comme le soutient également le rabbin Rosenblatt, selon lequel l’éducation constitue néanmoins le rôle principal d’un rabbin (paragraphe 7.3).

[153]     Le rapport Eleff a également examiné cette spécialisation des rôles et des fonctions des rabbins orthodoxes, qui sont regroupés selon quatre rôles principaux : le rabbin de synagogue, le rabbin organisationnel, le rabbin aumônier et l’éducateur juif (rapport Eleff, pages 9 à 12). Seul le dernier rôle est dévoué exclusivement à l’éducation et ce n’est pas tous ces rôles non plus qui ont un caractère religieux solide.

[154]     Le rabbin de synagogue ou le rabbin chaire exerce ses fonctions selon le rôle le plus traditionnel pour un rabbin orthodoxe (rapport Eleff, page 10) selon lequel il est d’abord et avant tout, un pasteur qui prononce des sermons, qui offre des services de consultations et qui visite les membres. Il est également un guide spirituel et un chef, un cadre organisationnel pour le conseil d’administration, chargé de l’embauche des employés de la synagogue et participe aux campagnes de financement puisqu’il représente la synagogue. En dernier lieu, le rabbin de synagogue est également un enseignant qui donne des conférences, y compris des cours sur la Bible, le Talmud, l’histoire, les lois et les pratiques juives. Toutefois, l’enseignement ne constitue pas sa fonction ou son rôle principal.

[155]     Si un rabbin orthodoxe a mis l’accent sur le rôle d’un rabbin organisationnel, il dirigera la cause de cette institution, peu importe si elle concerne des groupes de pression politique, les organismes d’accréditation casher, des organismes de bienfaisance, entre autres (rapport Eleff, page 10). Le rabbin Rosenblatt en a donné un exemple : le rôle du rabbin Hier au Simon Wiesenthal Centre, une organisation aux États‑Unis dévouée à la lutte contre le sémitisme, la haine et le terrorisme (Transcription, témoignage du rabbin Rosenblatt, volume 3, pages 285 et 286). Nonobstant la distinction claire du rôle du rabbin Hier de celui d’enseignement, le rabbin Rosenblatt a néanmoins décrit le rôle et la fonction du rabbin Hier de la manière suivante :

[traduction]

Q         Et seriez‑vous d’accord avec moi pour dire que lorsque le rabbin Hier exécute ses fonctions en tant que chef du Simon Wiesenthal Centre, il n’enseigne pas la Torah?

R.         J’imaginerai que si je le demandais au rabbin Hier qu’il dirais que la Torah enseigne la tolérance. Que l’exil de l’Égypte était dans son essence même, l’idée que l’égalité est – est une des valeurs dont Dieu fait la promotion. Et, par conséquent, il n’enseigne peut‑être pas la Torah en hébreu à l’aide des Écritures, mais son message de tolérance constitue toute aussi une leçon enchâssée dans la Torah et j’imaginerai que le rabbin Hier décrirait ainsi ses efforts.

(Transcription, volume 3, page 286, lignes 4 à 15)

[156]     Comme l’intimée l’a indiqué, cet échange démontre l’absence d’objectivité de la part du rabbin Rosenblatt lorsqu’il a donné son témoignage d’expert puisqu’il confond clairement le principe d’enseignement de la Torah avec presque toutes les autres fonctions d’un rabbin. L’enseignement ne constitue tout simplement pas une fonction principale d’un rabbin organisationnel.

[157]     Le troisième rôle à l’égard duquel un rabbin peut se spécialiser est celui d’aumônier où il sert le militaire, les hôpitaux et les organismes d’application de la loi. Dans ces lieux, son rôle pourrait être élargi en vue d’inclure toutes les personnes à ces institutions et non seulement les Juifs orthodoxes. Il sera un pasteur, un enseignant, un défenseur, un dirigeant de prières et il assurera la disponibilité d’aliments casher et que les droits juifs sont observés en cas de décès. L’éducation constitue l’un des éléments d’un rabbin qui se spécialise dans le rôle d’aumônier, mais elle ne constitue pas la principale activité ou fonction d’un rabbin ou d’un aumônier orthodoxe.

[158]     En dernier lieu, le rapport Eleff discute du rôle du rabbin orthodoxe comme celui d’un éducateur juif où les rabbins servent d’enseignants, comme le font les appelants, ou d’administrateurs des écoles de jour orthodoxe, comme le fait le rabbin Pacht. Ceux qui souhaitent poursuivre ce rôle obtiendront des diplômes avancés en éducation et au cours de certains programmes d’accréditation. Dans ce rôle, ils enseignent les Études juives aux enfants juifs orthodoxes qui fréquentent les écoles de jours, préparent leur plan de cour et remplissent les bulletins. Ils sont considérés comme des rôles modèles vu leurs désignations rabbiniques. L’enseignement constitue leur fonction et rôle principaux. Dans les présents appels, les rabbins Goldman et Estrin ont tous les deux étudié dans le volet d’enseignement à Ner Le’Elef afin de se préparer pour leurs rôles éventuels d’enseignants, comme l’a fait le rabbin Lichtman à RSA à New York. Les appelants enseignaient différents cours concernant les Études juives, y compris la Bible, le Talmud, l’histoire et les lois juives. Ils préparent les plans de cours, évaluent les étudiants, remplissent les bulletins et assistent aux réunions. Il convient de noter que la nature des activités d’enseignement exercées par les appelants à la VHA est identique à celles exercées par les enseignantes qui enseignent également le même programme des Études juives, mais sans ordination en tant que rabbin.

[159]     Même si ces divers domaines de spécialisation pourraient être « perméables » en ce qu’un rabbin peut servir dans plusieurs domaines, les appelants ne l’ont pas fait (rapport Eleff, page 11). Ils recevaient un salaire uniquement de VHA pour enseigner les Études juives aux étudiants à la VHA. Leur contrat de travail ou d’enseignement indiquait que leurs fonctions à la VHA auraient [traduction] « préséance sur tout autre engagement professionnel pris envers d’autres parties. » (Contrat d’enseignement, page 8). Les éléments de preuve contiennent plusieurs exemples de la façon dont les appelants participaient activement à la communauté juive orthodoxe, mais ces activités ont été exercées de manière bénévole et n’étaient aucunement liées à leurs emplois d’enseignant à la VHA.

[160]     En dernier lieu, les affirmations faites dans le rapport du tribunal rabbinique et dans le témoignage du rabbin Rosenblatt concernant le rôle de rabbins en tant qu’enseignant contredisent davantage la preuve factuelle présentée par le rabbin Rosenblatt lui‑même.

[161]     Le rabbin Rosenblatt serait appelé un rabbin de synagogue ou un rabbin chaire à la Schara Tzedeck où il est employé depuis 2003. La description du rôle qu’assume un rabbin de synagogue, qui est décrit par le rapport Eleff, est identique au rôle du rabbin Rosenblatt. En fait, il exerce la plupart des activités et fonctions décrites dans le rapport Eleff et ces activités sont décrites dans sa description de travail en vertu de son contrat de travail. Il sert à titre de pasteur et de chef spirituel pour les membres de la synagogue, il prononce des sermons à la synagogue et il participe aux campagnes de financement en recrutant de nouveaux membres à la synagogue. Il agissait également en tant que directeur général lorsqu’il participait à l’embauche du rabbin Goldman en tant que principal instructeur de bar‑mitsva à la synagogue.

[162]     En plus des fonctions précitées, il assumait également un rôle en tant qu’éducateur juif dans le contexte d’un rabbin de synagogue, mais il ne s’agissait pas de sa fonction principale. Il participe à l’enseignement de la Torah dans le cadre du programme T‑Jex que la synagogue offre en tant que programme après l’école un jour par semaine de 16 h 30 à 18 h. Son engagement en termes du temps au programme T‑Jex ne se compare aucunement à l’emploi à temps plein des appelants à titre d’enseignants à la VHA. Selon les faits, le rabbin Rosenblatt a également enseigné d’autres cours sur la Torah dans la communauté, mais aucun de ces cours ne constituait un engagement à temps plein comparable aux responsabilités en matière d’enseignement des appelants.

[163]     Même si les avocats de l’appelant ont présenté des plaidoiries pertinentes en vue d’harmoniser les activités d’un rabbin de synagogue avec les activités des appelants à la VHA et dans la communauté juive de Vancouver (arguments et observations des appelants, annexe A), les appelants ne sont pas tenus d’exercer des activités et des fonctions autres que celles consistant à enseigner à la VHA et peut‑être à réciter les prières quotidiennes à la VHA. Toutefois, dans la mesure où les prières constituent une partie nécessaire de l’emploi d’enseignement, elles ne sont que secondaires à leur rôle d’enseignant. Par ailleurs, les prières quotidiennes ne sont pas énoncées expressément dans le contrat d’enseignement.

[164]     Les appelants ont fait valoir en outre que si des fonctions ou des tâches précises devaient être incluses dans un contrat, il s’agirait d’un [traduction] « cauchemar administratif » pour les membres du clergé dans ce pays. (Transcription, volume 8, pages 1332 et 1333, lignes 22 à 28 et lignes 1 et 2). En toute déférence, cet argument n’est pas fondé. Même si je suis d’accord avec les avocats des appelants pour dire qu’il serait sans doute encombrant d’énumérer dans un contrat écrit chaque obligation ou fonction qu’une parie au contrat doit exécuter, il est essentiel qu’un contrat de louage de services ou de travail définisse les paramètres généraux et précis de l’emploi. Il s’agit après tout de ce qui le définit comme cet « emploi » particulier plutôt qu’un autre « emploi ». C’est exactement ce qui a été fait dans le contrat de travail du rabbin Rosenblatt conclu avec Schara Tzedeck où les paramètres établissaient clairement qu’il serait un rabbin de synagogue et qu’il devait exécuter les fonctions énumérées à l’annexe B de son contrat qui étaient [traduction] « habituellement exécutées par un rabbin d’une synagogue orthodoxe en Amérique du Nord. » (Contrat Rosenblatt, annexe B). Aucune personne raisonnable du public ne confondrait son rôle de rabbin de synagogue de Schara Tzedeck à celui d’un enseignant dans une école juive de jour.

d)      Mes conclusions quant à la preuve d’expert sur le Judaïsme orthodoxe et au terme « ministering ».

[165]     Résumé de mes conclusions

1)     Je ne puis accorder une valeur probante totale au rapport du tribunal rabbinique et au témoignage d’expert du rabbin Rosenblatt en raison de mes préoccupations que j’ai décrites concernant l’indépendance et l’objectivité.

2)     Il n’existe aucun consensus selon lequel l’apprentissage de la Torah constitue un acte spirituel ou religieux plus important qu’une poursuite académique et intellectuelle.

3)     Les rabbins peuvent entreprendre diverses spécialisations, dont l’éducation. Les appelants ont entrepris cette spécialisation particulière tandis que le rabbin Rosenblatt, en tant que rabbin de synagogue, n’exerçait clairement pas des fonctions dans le domaine de l’éducation.

[166]     Selon la prépondérance des probabilités, il n’existe aucun élément de preuve crédible qui me permettrait de conclure que le rôle des appelants consistant à enseigner les Études juives à la VHA faisait en sorte qu’ils avaient « la charge » au sens de l’alinéa 8(1)c) de la Loi. Leur rôle, leurs obligations et leurs fonctions qui y sont rattachées n’équivalent pas au type de ministère spécialisé dont fait preuve un ministre chargé de la musique à l’église pentecôtiste que la Cour a conclu relevait des paramètres de la disposition dans Austin.

B. Les étudiants qui fréquentent la VHA constituent‑ils une « congrégation » au sens du sous‑alinéa 8(1)c)(ii)?

[167]     Même si j’avais été convaincue que les activités et les fonctions des appelants à la VHA faisaient en sorte qu’ils avaient « la charge », je en pourrais conclure qu’une classe d’étudiants primaires rassemblés aux fins d’une éducation religieuse juive constituerait une « congrégation » au sens du sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi. En plus de la preuve d’expert dans le présent appel, mes conclusions sont étayées par la jurisprudence, la preuve de l’utilisation du terme « congrégation » en Judaïsme et l’interprétation législative de la loi.

(i) Jurisprudence

[168]     En examinant le traitement du terme « congrégation » dans la jurisprudence, sa portée a été élargie progressivement par la Cour, surtout par le groupe de décisions tranché par le juge Bowman à la fin des années 1990. Toutefois, aucune décision de la Cour fédérale ou de notre Cour n’a élargie sa portée afin d’inclure les classes d’étudiants rassemblés aux fins d’instruction religieuse.

[169]     Une définition de « congrégation » a été établie par le juge MacKay dans McRae c La Reine, [1994] ACF no 1648, 94 DTC 6687 (« McRae »), [Cette décision est également répertorié sous le nom Zylstra, succession c Canada (C.F.1re inst.)] au paragraphe 52, comme suit :

[...] Ainsi donc, un rassemblement de personnes peut fort bien constituer une congrégation à certaines fins, mais à moins qu’il s’agisse d’un rassemblement qui poursuit des buts religieux communs qui sont reconnus par une confession religieuse en ce qui concerne les activités religieuses régulières de son organisation, il ne répond pas à la définition du terme « congrégation » au sens où ce mot est employé à l’alinéa 8(1)c) de la Loi.

[170]     La décision a été confirmée en appel, mais il convient de noter que le juge en chef Isaac a indiqué que le juge de première instance ne tentait pas d’établir une définition détaillée des mots et expressions de l’alinéa 8(1)c) qui s’appliquerait à tous les ensembles de fait (McRae, [1997] ACF no 186, 97 DTC 5124).

[171]     Par la suite, le juge Bowman, au paragraphe 35 de ses motifs dans Kraft, a remis en question la définition « extrêmement restrictif » du juge McKay du terme « congrégation » en indiquant qu’elle omet « de prendre en compte les diverses façons dont les gens peuvent se réunir pour adorer Dieu ou les diverses croyances, les divers antécédents et les diverses motivations qui peuvent exister chez les membres du groupe hétérogène pouvant constituer une assemblée ou congrégation. [...] » (Kraft, paragraphe 36). Il n’est pas clair pourquoi le juge Bowman a déclaré que l’observation du juge McKay concernant une congrégation était obiter parce que la question de savoir si le corps professoral, les étudiants et le personnel du Ontario Bible College constituaient une congrégation était clairement en litige.

[172]     Dans Kraft, le juge Bowman a invoqué principalement la définition du terme anglais « congrégation » (congrégation) prévue dans The Oxford English Dictionary et, ce faisant, il a tiré les points importants suivants concernant la signification du terme congrégation dans le contexte des faits dont il était saisi :

        elle n’exige pas une participation volontaire (les jeunes contrevenants aux centres de détention dans Kraft étaient un auditoire captif);

        elle n’exige pas une homogénéité en matière de croyances (l’auditoire dans Kraft avaient diverses croyances) (Kraft, paragraphe 33).

[173]     Essentiellement, la Cour a conclu que les jeunes contrevenants soi‑disant « captifs » à ces centres constituaient une congrégation dont le ministre baptiste avait la charge, tout comme un aumônier de prison. Il ressort clairement de cette décision que le juge Bowman était mécontent du fait que les fonctionnaires de Revenu avaient dérogé de la politique établie de longue date selon laquelle les aumôniers étaient considérés comme visés par la portée de l’alinéa 8(1)c) (Kraft, paragraphes 28 et 29). En fait, il a formulé des commentaires qui ont été approuvés concernant les commentaires de la Cour d’appel fédérale sur la décision en première instance par le juge McKay dans McRay qui établissait une limite quant à la mesure dans laquelle elle pouvait être appliquée (Kraft, paragraphe 33).

[174]     Dans McGorman, lorsque le juge Bowman a élargi davantage la définition de « congrégation » pour y inclure la communauté somalienne plus générale de Toronto, dont un missionnaire chrétien avait la charge, il a conclu que le terme « congrégation » a divers sens, selon le contexte. Il peut désigner un groupe de personnes qui fréquentent régulièrement une église donnée ou il peut désigner un groupe de personnes réunies pour entendre un sermon un jour donné, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leur raison d’être là (McGorman, paragraphe 57).

[175]     Nul ne conteste que le terme « congrégation » a été élargi depuis la décision rendue dans McRae. Toutefois, le juge Bowman déclare sans équivoque dans sa décision dans Fitch que semblable à la signification du terme « dessert », il n’était pas prêt à élargir le sens de congrégation en vue d’inclure une assemblée d’étudiants réunis aux fins d’un enseignement religieux. Il a déclaré ce qui suit au paragraphe 43 de Fitch :

[...] Je ne crois pas non plus qu’il soit possible d’affirmer qu’un groupe d’étudiants est une « congrégation » au sens d’un regroupement de personnes auxquelles un ministre du culte donne des conseils, des connaissances et de l’inspiration en matière spirituelle. Bien que, pour les motifs exprimés dans les affaires Kraft et autres, je ne souscrive pas à l’interprétation donnée au mot congrégation dans l’affaire McRae, je ne suis pas d’avis que ce terme englobe un groupe d’étudiants au niveau collégial rassemblés pour recevoir un enseignement collégial.

[176]     Dans la décision subséquente de la Cour, le juge Teskey dans Shepherd, au paragraphe 36, a confirmé la portée de « congrégation » et a suivi les conclusions du juge Bowman dans Fitch.

[177]     Les appelants cherchaient à distinguer les décisions rendues dans Fitch et dans Shepherd au motif qu’elles visaient des étudiants postsecondaires qui assistaient à des conférences aux fins d’une formation professionnelle pour devenir eux‑mêmes des membres du clergé (arguments et observations des appelants, paragraphe 382). Au contraire, les appelants soutiennent que, en l’espèce, les étudiants se réunissent quotidiennement à la VHA pour prier et pour accroître leurs connaissances de leur foi juive (arguments et observations des appelants, paragraphe 417). Les deux seules distinctions réalistes que je peux constater entre ces décisions et les présents appels sont, en premier lieu, les présents appels visent une école primaire de jour par rapport à des étudiants au collège qui suivent une formation professionnelle et, en deuxième lieu, les décisions traitent de fois religieuses différentes. Aucune de ces distinctions ne suffit pour établir une exception à la jurisprudence existante. Même si les décisions Fitch et Shepherd visaient des étudiants adultes qui cherchaient à être ordonnés en tant que membre du clergé plutôt que des enfants qui fréquentent la VHA, les deux concernent une éducation religieuse de leur foi respective.

[178]     Dans la mesure où la jurisprudence laisse une ambiguïté quant à la portée du sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi, l’interprétation législative de la disposition renforce ma conclusion selon laquelle une congrégation ne peut être élargie en vue d’inclure des étudiants qui fréquentent une école religieuse.

(ii) Interprétation législative

a)       Sens textuel et ordinaire

[179]     La règle d’interprétation exige qu’« [...] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, au paragraphe 10).

[180]     Selon le nombre de définitions possibles contenues dans The Oxford English Dictionary, la portée du terme « congrégation » peut être assez large. Puisque les définitions varient de très large à très étroites, il faut décider quelle définition doit s’appliquer dans le contexte de l’alinéa 8(1)c) de la Loi et, plus particulièrement, au Judaïsme orthodoxe. Je suis d’avis que les éléments de preuve déposés pendant cette procédure étayent l’application d’une définition plus étroite dans ce contexte dont le terme « congrégation » étant défini comme un synonyme de synagogue ou comme faisant renvoi à un groupe de personnes qui se réunissent aux fins d’activités religieuses dans une synagogue.

[181]     Les synagogues juives orthodoxes contiennent souvent le terme « congrégation » dans leur titre ou nom. Le rabbin Rosenblatt a travaillé en tant que rabbin à la Congregation Schara Tzedeck à Vancourver et à la Congregation Ahavath Torah à Englewood, à New Jersey. Le rabbin Pacht a mentionné la Congregation Beit Hamidrash à Vancouver lorsqu’il a témoigné au sujet des enfants d’autres synagogues qui fréquentaient la VHA (Transcription, volume 3, page 384, lignes 7 à 15). Le rabbin Feigelstock a travaillé pour la Etz Chaim Congregation de Richmond (Transcription, volume. 2, page 150, lignes 21 et 22). De plus, son résumé figurant à l’annexe B du rapport du tribunal rabbinique indiquant qu’il avait [traduction] « [...] fondé l’Ohel Yaakov Community Kollel, une congrégation et un centre d’aide à Vancouver, en Colombie‑Britannique et dessert maintenant en tant que rabbin. »

[182]     Encore plus révélatrice était la façon dont de nombreux rabbins orthodoxes ont témoigné, y compris les appelants, en utilisant le terme « congrégation » pour renvoyer à une synagogue ou à un groupe de personnes qui se sont réunies à des fins religieuses à une synagogue. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de son rôle lorsqu’il a assumé les fonctions à la synagogue de Richmond près le départ du rabbin chaire, le rabbin Goldman a indiqué que [traduction] « nous avons assumé la responsabilité de toute la congrégation et nous sommes devenus, j’imagine, les trois rabbins qui dirigeaient la congrégation. Et nous l’avons tous fait volontairement. » (Transcription, volume 3, page 474, lignes 18 à 20). Le rabbin Rosenblatt a également utilisé à maintes reprises le terme congrégation pour discuter de l’organisation appelée Orthodox Union (Transcription, volume 3, page 291, lignes 14 à 26). Lorsqu’il a été interrogé au sujet de l’organisation, il a répondu qu’il s’agissait de l’union de congrégations orthodoxes en Amérique du Nord, en l’assimilant à un réseau ou à une association de commerce pour les congrégations orthodoxes. À la question de savoir ce qu’il signifiait par « congrégation » dans ce contexte, il a répondu qu’il croyait que le terme faisait partie du titre de l’organisation, mais il s’est ensuite rétracté et a indiqué qu’il s’agissait de la Union of Orthodox Synagogues même s’il ne disposait pas des documents de l’organisation devant lui. Le rabbin Eleff, comme les témoins des appelants, a également utilisé le terme « congrégation » comme un synonyme de synagogue.

[183]     Même si je ne souhaite pas accorder trop de poids à ces réponses, elles indiquent que dans le contexte du Judaïsme orthodoxe, le terme congrégation utilisé dans le langage quotidien des rabbins juifs orthodoxes, a un lien aux synagogues, les centres de la vie religieuse juive. Cependant, il convient de noter que pendant l’instance, les témoins n’ont référé en aucun cas aux classes d’étudiants à la VHA comme une « congrégation ».

[184]     Les appelants soutiennent également que dans le contexte de la communauté juive orthodoxe à Vancouver, chaque fois que des personnes juives orthodoxes se réunissent à divers endroits pour étudier la Torah et pour réciter des prières, elles forment une congrégation parce qu’il n’est pas nécessaire que des congrégations soient liées à la synagogue (arguments et observations des appelants, paragraphe 359). Les appelants indiquent également qu’un rabbin bien connu que le rabbin Eleff a tenu en haute estime, utilisait le terme congrégation pour signifier [traduction] « un regroupement de personnes ayant un seul passé, un futur commun, des aspirations communes, des volontés identiques pour un monde qui est entièrement bon et plaisant, une seule identité harmonieuse. » (Pièce A‑12, Kol Dodi Dofek, Joseph B. Soloveitchik, traduction anglaise par David Z. Gordon, 2006).

[185]     Afin d’aborder de manière appropriée ces différentes interprétations adoptées par les appelants qui visaient à remettre en question l’usage ordinaire du terme congrégation, j’examine maintenant le contexte et le but de la disposition.

b)      Sens contextuel

[186]     La partie de la disposition qui s’applique aux présents appels dispose :

8(1)c) lorsque le contribuable, au cours de l’année :

(i) d’une part, est membre du clergé ou d’un ordre religieux ou est ministre régulier d’une confession religieuse,

(ii) d’autre part :

[…]

(B) soit a la charge d’un diocèse, d’une paroisse ou d’une congrégation, […]

Le terme « congrégation » figure à la fin d’une série de mots, soit « d’un diocèse, d’une paroisse ou d’une congrégation ». Selon la thèse de l’intimée, le terme congrégation doit être interprété à la lumière du contexte législatif immédiat avec les termes « diocèse » et « paroisse » qui lui sont à proximité. Selon la règle d’interprétation législative des « mots associés », le terme « congrégation » ne peut être interprété sans tenir compte des mots qui le précèdent en tant qu’élément de la liste. L’intimée a fait valoir que lorsque le terme « congrégation » est compris en comparaison des définitions des termes « diocèse » et « paroisse », il ne peut inclure des étudiants réunis aux fins d’une éducation religieuse dans une salle de classe, mais qu’il doit plutôt être lié aux « activités associées aux services religieux offerts à une communauté religieuse dans un endroit ou lieu de culte » (observations écrites de l’intimée, paragraphe 128).

[187]     Les appelants semblent rejeter la règle des « mots associés » et soutiennent qu’il n’existe aucune jurisprudence qui indique que les termes « d’un diocèse, d’une paroisse ou d’une congrégation » doivent être lus avec un lien entre eux. Plus particulièrement, ils ont soutenu ce qui suit :

[traduction]

Me Kroft :         [...] mon collègue a renvoyé, au paragraphe 130, à la règle ejusdem generis, et au fait que nous avons une paroisse, un diocèse, une congrégation? Nous ne disposons d’aucune jurisprudence qui indique réellement que nous sommes sensés les lire en concordance; c’est‑à‑dire, avec un lien entre eux. Je pense plutôt qu’il existe une jurisprudence qui enseigne le contraire.

[…]

Me BROWN :  Simplement en ce qui concerne les renvois à la règle ejusdem generis, la décision rendue par la Commission de révision de l’impôt dans Atwell, rejette expressément ce fondement. Nous sommes donc d’avis que les motifs de la décision du juge McKay dans McRae adoptent la règle d’interprétation noscitur a sociis, plutôt que la règle ejusdem generis. Selon la règle ejusdem generis, dans le cas de la recherche de la signification du terme congrégation, cette signification est limitée par le sens des deux autres termes « paroisse » et « diocèse » figurant au sous‑alinéa.

(Transcription, volume 8, page 1366, lignes 9 à 25)

[188]     Dans la mesure où les appelants tentent de faire une distinction entre les différentes règles d’interprétation législative, il semble que les avocats pourraient avoir confondu les principes de la règle des mots associés, c’est‑à‑dire, la règle noscitur a sociis et la règle ejusdem generis.

[traduction]

[189]     Le Black’s Law Dictionary, 10e éd. (2014), explique la règle noscitur a sociis comme suit :

[traduction]

[Latin « il est connu par ses associés »] (18c) Selon une règle d’interprétation établie, le sens d’un mot ou d’une expression qui n’est pas clair, surtout s’il figure dans une liste, doit être décidé par les termes l’entourant immédiatement – également appelé la règle des mots associés. [...]

La règle ejusdem generis est un exemple d’une règle ou d’une pratique linguistique plus générale à laquelle on renvoi par l’expression latine noscitur a sociis. Les termes, même s’ils ne sont pas des termes généraux comme « que ce soit », ou « par ailleurs » qui sont précédés par des termes précis, sont susceptibles d’être touchés par les autres termes avec lesquels ils sont associés.

[190]     Selon The Law Dictionary en ligne, l’expression noscitur a sociis signifie littéralement « [...] connu de ses associés. Un terme dont la signification est incertaine ou douteuse peut être interprété et défini par son association aux termes qui l’entourent et son contexte. »

[191]     Le professeur Sullivan dans Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd (Markham, Lexisnexis Canada, 2014), au paragraphe 8.58, a expliqué la « règle des mots associés » comme suit :

[traduction]

La règle des mots associés est invoquée à bon droit lorsque au moins deux termes reliés par les conjonctions « et » ou « ou » ont une fonction grammaticale et logique analogue dans une disposition. Ce parallélisme pousse le lecteur à chercher une caractéristique commune entre ces termes. Il s’appuie ensuite sur cette caractéristique pour dissiper l’ambiguïté des termes ou en restreindre le sens. Souvent, les mots ont le sens restreint de leur dénominateur commun le plus général. [...]

[192]     La règle d’interprétation législative de la règle ejusdem generis, est expliquée comme suit dans la Black’s Law Dictionary :

[traduction]

[expression latine « du même ordre »] (17c) 1. Règle d’interprétation selon laquelle lorsqu’une expression de portée générale suit une liste d’exemples précis, l’expression de portée générale est interprétée de façon à n’inclure que les éléments du même ordre que ceux énumérés dans la liste. [...] 2. Vaguement, noscitur a sociis.

[193]     En termes très généraux, la différence entre les deux règles d’interprétation législative est que la règle noscitur a sociis est utilisée, lorsque la signification d’un terme de portée générale suit une liste de termes à déterminer, tous les termes ou expressions dans la série s’appliquent pour définir le caractère commun entre eux afin qu’une signification particulière puisse attribuée à ce terme ou expression en question. La règle ejusdem generis détermine la signification d’un terme de portée générale utilisé à la fin d’une liste d’éléments précis en le limitant aux sujets comparables des termes antérieurs ou, en d’autres termes, en déterminant le caractère commun afin de déterminer les types d’éléments qui pourraient être visés par le terme de portée plus générale utilisé par la loi. Contrairement à l’application de la règle noscitur a sociis, où tous les éléments d’une série sont examinés afin de déterminer leur caractère commun et ensuite accorder une signification au terme général utilisé dans la série.

[194]     Évidemment, il s’agit de la règle des mots associés ou noscitur a sociis qui doit être utilisé pour interpréter la division 8(1)c)(ii)(B) de la Loi. Dans Attwell v MNR, 1967 CarswellNat 206, [1967] Tax ABC 862 (« Atwell »), la Commission de révision de l’impôt a rejeté la règle d’interprétation ejusdem generis dans l’examen des termes « d’un diocèse, d’une paroisse ou d’une congrégation » et a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

[traduction]

Je ne suis pas de cet avis, étant donné que chacun de ces mots a un sens bien précis: les deux premiers évoquent un territoire déterminé qui est desservi par l’Église; une paroisse est entièrement différente d’un diocèse, en ce sens qu’elle n’en constitue qu’un infime partie. Par ailleurs, une congrégation peut exister indépendamment de toute paroisse ou de toute limite territoriale.

[195]     Dans McRae, le juge MacKay a indiqué clairement au paragraphe 52, que le terme « congrégation » doit être interprété à la lumière de son contexte législatif :

Je constate que, dans la décision Attwell, le commissaire Fordham, de la Commission d’appel de l’impôt, a expressément rejeté le moyen tiré de l’application de la règle d’interprétation ejusdem generis pour interpréter les mots « diocèse, paroisse ou congrégation » en partie parce que chacun de ces mots avait, selon lui, »"un sens bien précis ». S’il voulait dire par là que chaque mot a un sens précis indépendamment du contexte dans lequel il est employé, je dois me dissocier de son opinion. C’est parce que les parties ne s’entendent pas sur le sens précis des mots en cause en l’espèce qu’elles sont en désaccord sur le sens du mot « congrégation ». Il faut lire ce mot en tenant compte de l’ensemble de l’alinéa. [...]

[196]     Le juge MacKay a indiqué clairement qu’il rejetait le point de vue de la Commission dans Attwell, que le terme « congrégation » peut être interprété d’une manière quelconque dans l’abstrait sans lien aux deux termes précédents « paroisse » ou « diocèse ». Même si le juge Bowman dans Kraft a remis en question la définition de « congrégation » qui a été adoptée par le juge MacKay dans McRae, comme étant trop limitée, il n’a pas prétendu de renverser le principe fondamental d’interprétation législative selon laquelle le terme « congrégation » doit être interprété à la lumière du contexte législatif. La définition du terme congrégation n’est pas limitée par la règle ejusdem generis, mais elle est quand même assujettie à la règle des mots associés ou la règle noscitur a sociis. Il s’agit effectivement de la thèse adoptée par l’intimée dans les présents appels.

[197]     L’application de cette règle d’interprétation législative pour aider à interpréter le terme « congrégation » exige que les termes « paroisse » et « diocèse » soient définis. Une « paroisse » est définie comme [traduction] « [...] un groupe de personnes qui assistent à une église particulière; les habitants d’une paroisse; une subdivision territoriale d’une diocèse » (Oxford English Dictionary). La version de 1993 de la New Shorter Oxford Dictionary définit également le terme « paroisse » comme une [traduction] « région géographique ayant une église avec un prêtre ou un prédicateur ayant la responsabilité spirituelle des personnes vivant dans la région ». Un « diocèse » est défini comme [traduction] « [...] la zone de compétence d’un évêque; le district relevant des soins pastoraux d’un évêque » (Oxford English Dictionary). Ces définitions sont conformes aux commentaires du juge MacKay dans McRae où il a déclaré que les termes « paroisse, diocèse ou congrégation », utilisés pour décrire les qualifications de la déduction pour résidence des membres du clergé à l’alinéa 8(1)c) visent à décrire les différentes structures organisationnelles ou institutionnelles aux fins des activités organisées régulières continues des membres.

[198]     Selon l’analyse contextuelle, l’élément commun de ces trois termes, paroisse, diocèse et congrégation, est le culte régulier religieux dans un lieu institutionnel organisé. Même si elle est trop limitée pour écarter d’autres activités qui accompagnent la pratique d’une religion particulière, l’élément de culte religieux au sens ordinaire de ces termes doit constituer la caractéristique prédominante d’une congrégation, d’une paroisse ou d’un diocèse. Même si, comme je l’ai souligné, il existe un certain nombre de définitions prévues aux dictionnaires pour le terme « congrégation », examiné de ce point de vue, une congrégation doit se limiter à la définition suivante : « Ensemble de personnes fréquentant habituellement un lieu de culte particulier » ou « Ensemble de personnes réunies pour adorer le Seigneur ou pour entendre un prédicateur ».

[199]     En appliquant cette analyse aux présents appels, la VHA, en tant qu’école primaire de jour, ne peut être caractérisée comme un « lieu de culte » et ses étudiants ne peuvent pas non plus être considérés comme étant réunis pour adorer le Seigneur ou pour entendre un prédicateur. Même si les appelants ont dirigé les étudiants pendant les services de prières, cela ne constituait pas la raison principale pour laquelle les étudiants étaient réunis à la VHA. La caractéristique principale de la VHA est celle d’une école qui est conforme aux exigences du Ministry of Education de la Colombie‑Britannique. Puisqu’elle offre un programme double à ses étudiants, la VHA pourrait être considérée comme un lieu d’enseignement académique et religieux, mais elle ne peut pas être décrite comme un lieu de culte. Afin de parvenir à ces conclusions, je suis le raisonnement dans Fitch et Shepherd.

[200]     Selon le rapport du tribunal rabbinique, il existe trois types de structures communes juives où les Juifs orthodoxes se réunissent pour adorer le Seigneur, la synagogue (Beit Kenesset), un lieu d’étude destiné aux adultes pour étudier la Torah et pour réciter des prières communes (Beit Hamidrash) et un lieu d’étude pour les enfants (Beit Rabban). Les appelants soutiennent que le Beit Rabban peut maintenant exister au sein d’une synagogue ou d’une école de jour (arguments et observations des appelants, paragraphes 362 et 364). Selon les éléments de preuve, les écoles juives de jour constituent des caractéristiques essentielles des communautés juives puisqu’elles ont assumé la fonction de l’éducation qui faisait traditionnellement partie du rôle de la synagogue. Toutefois, cette fonction de l’école de jour dans une communauté juive ne peut être assimilée à celle de la synagogue. La distinction que les appelants suggèrent entre les adultes qui suivent une formation professionnelle à des collèges théologiques (Fitch) et les enfants qui fréquentent la VHA et qui [traduction] « prient quotidiennement et approfondissent leurs connaissances de leur foi commune juive » n’est pas justifiée (arguments et observations des appelants, paragraphe 417). Dans les deux lieux, les étudiants, enfants ou adultes, sont réunis pour obtenir des connaissances religieuses. Les deux étudient des textes sacrés, des prières, des valeurs et des éthiques religieuses dans le cadre des exigences en vue d’obtenir leur diplôme. Il convient de noter que les étudiants qui fréquentent la VHA consacrent la moitié de leur journée à étudier également des cours généraux et, à la lumière de cela, on pourrait soutenir que l’élément du culte religieux est encore plus faible que celui dans le cas de Fitch étant donné l’élément académique supplémentaire sous‑jacente aux activités scolaires à la VHA.

[201]     Enfin, les appelants ont invoqué deux décisions très anciennes de la Commission de révision de l’impôt, Attwell (discuté antérieurement) et Adam v MNR, (1974) 74 DTC 1220. Dans chacune de ces décisions, la Commission avait accordé la déduction à des enseignants d’études religieuses qui dirigeaient également des services quotidiens dans une chapelle pour les étudiants aux collèges. Sauf le fait que ces décisions pourraient ne revêtir qu’une valeur de précédent faible, voire aucune, elles se distinguent facilement des faits en l’espèce. Les appelants dans les présents appels n’ont jamais dirigé des services quotidiens dans une chapelle à la VHA, ils n’étaient pas tenus de participer à des activités de nature religieuse en vertu de leur contrat de travail et leurs responsabilités consistant à [traduction] « [...] enseigner le programme des Études juives de la VHA approuvé par le Conseil » à la VHA (pièce A‑1, onglets 2, 3 et 4) pouvaient et étaient exercées par des enseignantes qui n’étaient pas des rabbins ordonnés.

c)       Objectif et économie générale de la Loi

[202]     Enfin, une interprétation téléologique de cette disposition à la lumière de l’économie générale de la Loi, ainsi que de l’historique législatif connexe, appuie une conclusion selon laquelle le législateur n’avait jamais l’intention d’offrir cette déduction aux membres du clergé, peu importe la religion ou la dénomination, qui exercent des fonctions d’enseignement à temps plein.

[203]     En premier lieu, l’économie générale de la Loi exige que l’expression « a la charge [...] d’une congrégation » soit interprétée de manière étroite. Deux principes généraux de l’économie générale de la Loi s’appliquent à ce libellé. Les dépenses d’emploi, par rapport aux dépenses d’entreprise, ne sont pas habituellement déduites, sauf autorisation expresse par la Loi. En outre, les frais personnels ou de subsistance sont habituellement interdits, sauf autorisation expresse par la Loi. La déduction pour résidence des membres du clergé est visée par ces catégories interdites, ce qui signifie que la portée de la déduction doit être interprétée de manière étroite.

[204]     En deuxième lieu, un examen de l’historique législatif et des débats concernant les changements législatifs apportés à cette disposition révèlent que depuis son élaboration, elle ne visait jamais à permettre aux membres du clergé qui exercent des fonctions d’enseignement à temps plein d’avoir droit à la déduction. Dans McRae, la Cour, au paragraphe 13, a formulé les commentaires suivants quant à l’historique et à l’intention législative de l’alinéa 8(1)c) :

L’historique de la disposition législative peut fournir des indices au sujet de l’intention du législateur. En l’espèce, le législateur fédéral a étudié en 1949 et en 1956 les dispositions qui ont précédé l’alinéa 8(1)c) et il est évident que les ministres qui étaient chargés à l’époque de ce dossier ont bien précisé que la déduction n’était pas destinée à s’appliquer à tous les membres du clergé ou à tous les ministres, qu’à l’origine, elle ne devait s’appliquer qu’aux ministres qui, dans le cadre de leur profession régulière, s’occupaient à temps plein d’activités religieuses ou pastorales. Lorsque la portée de la déduction a été élargie pour inclure les personnes s’occupant exclusivement et à plein temps du service administratif, du fait de leur nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse, la suggestion qui a été faite d’étendre la portée de la déduction aux membres du clergé qui enseignent dans des facultés de théologie, en partie parce qu’ils peuvent aussi s’occuper fréquemment de tâches pastorales, a été rejetée (Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, 10 novembre 1949, aux pages 1679 et 1670; idem, 31 juillet 1956, aux pages 7011 et 7012.)

[205]     Lorsque la déduction a été déposée pour la première fois devant le Parlement en 1949, cette version ne contenait pas un « critère relatif à la fonction » comme la version d’aujourd’hui. L’intention à l’origine était de permettre à un membre du clergé ou d’un ordre religieux de déduire leurs frais de résidence parce qu’elle servait souvent du lieu où les membres du clergé travaillaient à domicile pour exécuter leurs fonctions liées à leur charge. [Débats de la Chambre des communes, 13 George IV, volume II, 1949 (le 10 novembre 1949), page 1634]. Même en 1949, lorsque la disposition initiale a été débattue, il était clair que le législateur n’avait pas l’intention de l’offrir aux membres du clergé qui exerçaient des fonctions d’enseignements à temps plein. [Débats de la Chambre des communes, 13 George IV, volume II, 1949 (le 10 novembre 1949), page 1637].

[206]     Le « critère relatif à la fonction » a été ajouté à la disposition en 1956. La Cour d’appel fédérale, dans La Reine c Lefebvre, 2009 FCA 307, 2009 DTC 5180, a résumé le débat parlementaire qui a eu lieu lorsque le critère a été adopté, en déclarant :

23.       Sept années plus tard, suite à un jugement accordant la déduction à un ministre de l’Église unie du Canada dont la seule occupation était l’enseignement (James Rattray Guthrie v. Minister of National Revenue, 55 DTC 605 (QL)), le ministre des Finances de l’époque a proposé que le droit à cette déduction soit limité aux personnes qui, en plus de posséder le statut requis, remplissent les fonctions décrites au sous‑alinéa 8(1)c)(ii) de la Loi. Selon le ministre des Finances (House of Commons, Official Report of Debates, Volume V, (1956), à la p. 6775) :

[traduction]

La présente modification offre à un membre du clergé, qu’il soit effectivement un pasteur qui a la charge d’une congrégation ou un membre de l’organisation religieuse de niveau supérieur, si je peux le formuler ainsi, qui participe exclusivement au travail de l’Église, y compris un pasteur de temps à autre, bénéficierait de la déduction.

[207]     En réponse aux questions quant à savoir si cette modification législative causerait in injustice aux enseignants théologiques dans les collèges religieux, qui à titre de membres du clergé, sont également dévoués à temps plein à des causes religieuses semblables, le ministre des Finances de l’époque, Walter Harris, a indiqué clairement :

[traduction]

[...] aucune distinction valable ne sera faite entre un professeur dans un collège théologique et un professeur d’un autre collège. [Non souligné dans l’original.]

(Débats de la Chambre des communes, 22e Législature, volume 7, 1956 (31 juillet 1956, pages 6676 et 6777)

[208]     L’historique législatif de cette disposition est clair. Le législateur n’avait jamais l’intention de conférer l’avantage de cette déduction aux membres du clergé qui exercent des fonctions d’enseignement à temps plein.

[209]     Les appelants contestent l’intention législative au même motif qu’ils ont proposé que je ne devrais pas suivre les décisions dans Fitch et Shepherd; c’est‑à‑dire, les débats étaient axés sur les professeurs à des collèges théologiques qui offraient une formation professionnelle et non sur des rabbins qui enseignaient des enfants dans des écoles primaires juives de jour. J’ai déjà fait part de mes motifs pour conclure qu’une telle distinction n’est pas justifiée en fonction des faits dont je dispose et de la preuve d’expert.

[210]     En outre, la déduction pour résidence des membres du clergé a pour but de fournir une subvention pour l’utilisation de la maison privée du membre du clergé. Les faits dans les présents appels indiquent que même si les appelants étaient encouragés à offrir un leadership spirituel à la communauté juive, ils n’étaient pas tenus en vertu de leur contrat ou par ailleurs de participer aux activités de sensibilisation qui concerneraient l’utilisation possible de leur résidence, y compris l’accueil d’étudiants et de familles dans leur maison. Il n’est pas contesté que toutes leurs activités ont été exercées volontairement, à l’exception de l’enseignement à la VHA, qui constituait une obligation contractuelle pour laquelle ils étaient rémunérés. Au contraire, le contrat de travail du rabbin Rosenblatt à Schara Tzedeck exigeait qu’il invite les membres de la communauté dans sa maison pour des repas et un logement pour la nuit et, en fait, il a indiqué qu’il avait accueilli certains des appelants et leur famille à maintes reprises.

[211]     Bref, une interprétation téléologique de cette disposition, à la lumière de son objectif, de son historique et de l’économie générale de la Loi, appuie également une conclusion selon laquelle les étudiants réunis dans une école religieuse ne peuvent pas être considérés comme une congrégation et que les enseignants des études religieuses ne peuvent pas être considérés comme ayant « la charge » de ces étudiants au sens de l’alinéa 8(1)c) de la Loi.

C. Les appelants avaient‑ils également la charge d’une congrégation de la communauté juive générale de Vancouver?

[212]     Les appelants ont également fait valoir l’argument selon lequel ils avaient la charge d’une congrégation ou de congrégations dans la communauté juive générale de Vancouver dans le cadre de leur participation avec les synagogues locales, en offrant une orientation spirituelle et des services de consultation aux membres de la communauté.

[213]     Même s’il peut exister plus d’une congrégation qu’un membre du clergé ordonné peut avoir la charge (le juge Bowman, dans ses motifs dans Kraft), la déduction en vertu de l’alinéa 8(1)c) ne peut être déduite que par rapport à la même source d’emploi pour lequel les activités du membre du clergé lui ont permis de tirer un revenu. Les activités parascolaires et volontaires des appelants, entreprises à leur propre chef et à l’extérieur de leur contrat de travail, ne leur confèrent pas le droit de déclarer cette déduction. Cette limite découle du libellé clair contenu à l’alinéa 8(1)c) qui prévoit les critères d’admissibilité généraux des déductions liées aux dépenses d’emplois comme suit : « Sont déductibles [...] ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant ». La disposition contient d’autres restrictions applicables à la déduction, en ce sens que le montant, « n’excèd[e] pas sa rémunération pour l’année provenant de sa charge ou de son emploi [...] » [Non souligné dans l’original.]

[214]     Les appelants n’ont tiré aucun revenu d’emploi pour avoir eu « la charge [...] d’une congrégation » de la communauté juive générale de Vancouver. Ils n’ont tiré aucun revenu de leurs activités bénévoles dans la communauté. Ils ont tiré leur revenu de la VHA en leur qualité d’enseignants en vertu de leur contrat de travail. Nonobstant le fait que certaines de leurs activités au sein de la communauté juive de Vancouver pourraient constituer avoir la charge d’une congrégation, vu la définition large appliquée par le juge Bowman à ce terme, ils n’ont pas droit à la déduction, à moins que leur emploi auprès de la VHA, duquel ils tirent leur revenu, réponde au critère relatif à la fonction. À la lumière de ma conclusion selon laquelle l’enseignement à la VHA n’équivaut pas à avoir la charge d’une congrégation au sens de l’alinéa 8(1)c), il s’ensuit que les activités exercées volontairement par les appelants dans la communauté ne leur conféreront pas droit à la déduction.

VII.            Conclusion

[215]     Les appelants n’ont pas droit à la déduction pour résidence des membres du clergé parce qu’ils ne répondent pas au critère relatif à la fonction d’avoir « la charge [...] d’une congrégation » en vertu de l’alinéa 8(1)c) de la Loi. Ils ne peuvent pas être considérés comme avoir « la charge » lorsqu’ils enseignent un programme des Études juives à la VHA et les étudiants auxquels ils enseignent qui sont réunis aux fins d’enseignement religieux, ne peuvent pas non plus être considérés comme une congrégation. Cette conclusion est étayée par la jurisprudence, une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la déduction, ainsi que par les faits et la preuve d’expert dont je suis saisie.

[216]     Les appels sont rejetés. Si les parties ne sont pas en mesure de parvenir à une entente quant à la question relative aux dépens, elles peuvent déposer des observations écrites sur la question dans les 60 jours suivant la date du présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 252

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2016‑323(IT)I

2016‑324(IT)I

2016‑326(IT)I

INTITULÉS :

RABBIN ADAM LICHTMAN ET SA MAJESTÉ LA REINE

RABBIN LAWRENCE GOLDMAN ET SA MAJESTÉ LA REINE

RABBIN SHLOMO ESTRIN ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 7 février, les 8, 9, 10 et 11 mai et les 14, 15 et 16 juin 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT:

Le 18 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Toaze

Me Eric Brown

Avocats de l’intimée :

Me Robert Danay

Me Elizabeth MacDonald

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Cabinet :

Blake, Cassels & Graydon LLP

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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