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Dossier : 2008-3222(IT)G

ENTRE :

THIERRY BRENNEUR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 30 mai 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Pierre Zeppettini

Avocat de l'intimée :

Me Simon-Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

        Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2004 et 2005 sont accueillis en partie et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations, selon les motifs du jugement ci-joints. L'appelant aura droit à la moitié des dépens.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 11e jour de juillet 2011.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 330

Date : 20110711

Dossier : 2008-3222(IT)G

ENTRE :

 

 

THIERRY BRENNEUR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers

 

[1]              Dans un avis de nouvelle cotisation établi à l’égard de l’appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre ») lui a refusé la déduction de dépenses de 44 500 $ et de 42 500 $ pour les années d’imposition 2004 et 2005 respectivement. Ces dépenses sont des frais de sous-traitance versés par l’appelant à monsieur Michael Batalha durant les deux années en cause que le ministre a refusés.

 

[2]              Au début de l’audience, le ministre a révisé sa position et consent maintenant à la déduction de 18 245 $ et de 8 125 $ respectivement pour chacune des années d’imposition de l’appelant. Le ministre reconnaît maintenant que ces dépenses ont été engagées et payées par l’appelant au sous-traitant Michael Batalha.

 

[3]              Il s’agit donc de déterminer si le ministre était fondé à refuser la déduction de dépenses de sous-traitance de 26 255 $ et de 34 375 $ pour les années d’imposition 2004 et 2005 de l’appelant.

 

[4]              L’appelant est un consultant en informatique à son propre compte. Durant les années 2004 et 2005, il a eu recours à des sous-traitants pour faire certains travaux, notamment ceux qui exigeaient la conception de programmes informatiques. Un de ces sous-traitants était monsieur Michael Batalha.

 

[5]              Selon l’appelant, la rémunération de monsieur Batalha était de 50 $ l’heure en 2003 et en 2004 et de 60 $ l’heure en 2005. Monsieur Batalha remettait à l’appelant des listes des tâches à accomplir avec le temps prévu pour chacune d’elles. Quelques-unes ont été déposées en preuve à titre d’exemples pour 2002 et 2003. L’appelant ne notait pas les heures de travail de monsieur Batalha. Il se fiait à ce dernier, qui lui disait ses heures de travail par écrit ou oralement. Monsieur Batalha ne faisait pas de factures, mais l’appelant en préparait. Une série de factures pour la période de janvier 2004 à septembre 2005, à raison de deux factures par mois sauf pour les quatre premiers mois de 2004, a été déposée en preuve. Les montants des factures sont de 1 000 $, 1 500 $, 2 000 $, 2 500 $, 3 000 $ et 3 500 $ pendant toute la période. Il n’y a aucun détail quant aux heures de travail et plusieurs n’indiquent pas le contrat en vertu duquel le travail a été effectué. La signature de monsieur Batalha n’y est pas apposée, et la mention « payé » est écrite à la main sur chacune.

 

[6]              L’appelant payait monsieur Batalha en argent liquide, qu’il lui remettait chez lui ou chez le client. Il lui arrivait aussi de faire des avances d’argent à monsieur Batalha. Il n’a jamais exigé de reçu de monsieur Batalha, parce que leur relation d’affaires était basée sur la confiance. Son argent liquide provenait de retraits bancaires qu’il faisait plusieurs fois par mois à des guichets automatiques. Il a d’ailleurs produit les détails de son compte de banque, qui montrent les nombreux retraits faits chaque mois aux guichets et qui, selon lui, ont servi à payer les services de monsieur Batalha. Il faut noter cependant que le total des retraits dépasse largement le montant dû à monsieur Batalha.

 

[7]              L’appelant notait dans son agenda électronique les avances faites à monsieur Batalha, tout comme bien d’autres renseignements. Tout cela est cependant disparu lors d’un vol dans la voiture de l’appelant en 2006, vol qui a d’ailleurs été confirmé par un rapport d’évènements de la police de Montréal déposé en preuve.

 

[8]              Lorsque l’appelant s’est vu refuser ses dépenses par l’Agence du revenu du Canada (ARC) en 2007, il a écrit à tous ses sous-traitants pour les années en question et a obtenu d’eux une confirmation écrite des honoraires qu’il leur avait versés, sauf dans le cas de monsieur Batalha. Il n'a jamais eu de nouvelles de monsieur Batalha depuis. Il explique que leur relation d’affaires s’est terminée en septembre 2005, en raison d’une rupture de confiance. L’appelant a fait référence à un programme informatique très lucratif qui aurait pu être vendu à plusieurs entreprises mais qui ne s'est pas réalisé.

 

[9]              L’avocat de l’appelant a communiqué par téléphone et par lettre avec monsieur Batalha en février 2008, invitant ce dernier à déclarer les revenus reçus de l’appelant en 2004 et 2005 et à admettre avoir effectivement rendu de tels services. Monsieur Batalha n’a pas donné suite à cette lettre. Les actes de procédure de l’intimée allèguent clairement que l’appelant n’a pas versé de frais de sous-traitance à monsieur Batalha et que celui-ci n’a pas reçu d’argent comptant. Pourtant, dans une lettre que monsieur Batalha a envoyée à la coordonnatrice des audiences en mai 2010 (pièce A‑4), celui-ci reconnaît avoir travaillé pour l’appelant en 2004 et 2005 et dit avoir déclaré ces revenus. L’appelant s’appuie sur ses factures, ses courriels et d’autres documents pour établir l’étendue de leur relation d’affaires.

 

[10]         Certains clients de l’appelant sont venus témoigner que monsieur Batalha avait effectué des tâches pour l'appelant après qu’ils lui eurent accordé des contrats. Un de ces clients a même continué à avoir recours aux services de programmation de monsieur Batalha après septembre 2005. Aucun ne peut cependant témoigner au sujet des ententes conclues entre l’appelant et monsieur Batalha. Les services effectués par monsieur Batalha pour les clients de l’appelant duraient d’un an à trois ans.

 

[11]         D'autres sous-traitants de l’appelant ont également témoigné pour confirmer avoir travaillé pour lui durant les années en cause. Il s’agit de contrats plus petits, pour lesquels le taux horaire était de 50 $ et de 75 $, soit le taux habituel des sous‑traitants. Certains étaient payés comptant et d’autres par chèque.

 

[12]         Monsieur Batalha a un diplôme universitaire en informatique et avait déjà quatre ou cinq ans d’expérience en programmation en 2004. Il a rencontré l’appelant en 2002. En 2004 et en 2005, sa seule source de revenu était le travail effectué pour l’appelant au collège April Fortier et pour trois autres clients de l’appelant. Pour le collège April Fortier, l’appelant travaillait de 20 à 25 heures par semaine en 2004 et de 8 à 10 heures par semaine en 2005. Il était rémunéré au taux de 25 $ l'heure, taux qu’il considère comme bon et qu’il demande encore aujourd’hui. Pour les services rendus aux trois autres clients de l’appelant, il était rémunéré à un taux établi par l’appelant, soit la moitié de la valeur du contrat. Il a donc reçu 1 750 $ et 1 000 $ en 2004 et 2 500 $ en 2005 en plus de son taux horaire pour le collège April Fortier, soit 16 000 $ en 2004 et 5 625 $ en 2005. Monsieur Batalha a témoigné que ces sommes représentent les déductions auxquelles l'intimée a consenti au début de l’audience, et que lui et l’appelant étaient associés en affaires et qu’ils travaillaient à bâtir une entreprise. Il reconnaît cependant qu’il n’a pas investi dans cette société de personnes et qu’il n’a pas sollicité de client. Il n’y avait rien de convenu par écrit.

 

[13]         Monsieur Batalha a témoigné qu’il avait reconstitué ses heures de travail à partir de ses feuilles de temps et des renseignements dans son ordinateur. Il n’a cependant rien produit en preuve. Il a dit avoir envoyé des feuilles de temps à l’appelant. Quant aux factures produites par l’appelant, il a témoigné qu’il les avait vues la première fois le matin du procès et que certaines étaient postérieures à la date de son départ, le 8 septembre 2005.

 

[14]         Il a reconnu qu’il avait été payé en argent comptant, généralement une fois par mois, et que les montants variaient entre 750 $ et 1 000 $. Il n’avait pas de dossier lui permettant d’établir la date exacte des paiements.

 

[15]         En contre-interrogatoire, il a admis que sa facturation à l’appelant était verbale et qu’il avait supposé que l’appelant tenait compte de ses heures. Il n’avait jamais préparé de facture, ni tenu compte de ses heures de travail. Il ne pouvait que dire qu’il avait fait du travail pour l’appelant et qu’il croyait être son associé pour les trois autres contrats. Il a cessé de travailler pour l’appelant parce qu’il ne se faisait pas payer et que ses heures de travail avaient été réduites durant sa deuxième année; il a mentionné le collège April Fortier et les dix heures par semaine qu'il y travaillait en 2005.

 

[16]         Madame Catherine Fortier, qui est vice-présidente du collège April Fortier, a témoigné que l’élaboration du logiciel avait nécessité deux programmeurs et qu’elle s’était échelonnée sur trois ans. Monsieur Batalha a fait ce travail en 2004 et 2005 et l’a complété à la fin de 2005, puisque le collège avait cessé de faire affaire avec l’appelant en septembre de la même année.

 

[17]         Il incombe à l’appelant de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il est en droit de déduire des dépenses de 44 450 $ et de 42 500 $, à titre de frais de sous‑traitance dans ses déclarations de revenus et qu’il a effectivement versé ces sommes à monsieur Batalha. À mon avis, l’admission de l’intimée au début du procès qu’une partie de ces dépenses existent et qu’elles ont été versées ébranle considérablement le fondement même de la cotisation, à savoir que les dépenses n’ont jamais été faites, que les sommes n’ont jamais été versées et que monsieur Batalha n’a jamais reçu quelque montant que ce soit de l’appelant en 2004 et 2005. Il y a certes des contradictions importantes dans les versions des faits de l’appelant et de monsieur Batalha, mais ces contradictions ne portent que sur le montant versé à monsieur Batalha pour chacune des années d’imposition et non sur l’existence même de ces services et de ces paiements, que niait l'intimée jusqu'au matin de l'audience.

 

[18]         Chacune des versions comprend des invraisemblances et repose sur une preuve peu fiable. Monsieur Batalha, selon la réponse de l’intimée, n’aurait jamais travaillé pour l’appelant en 2004 et 2005. Elle a cependant changé d’avis et, le matin du procès, elle a informé la Cour que monsieur Batalha avait effectivement travaillé pour l’appelant en 2004 et 2005, mais que les montants que l’appelant lui a versés durant les deux années en cause sont de beaucoup inférieurs à ce que prétend l’appelant. Qui plus est, il s’agissait de la seule source de revenu de monsieur Batalha en 2004 et 2005. De plus, monsieur Batalha déclare qu’il était non seulement sous-traitant, mais que dans le cas de trois autres clients, il se considérait comme associé en affaires avec l’appelant et que l'entente prévoyait qu'ils partageaient les honoraires bruts reçus en parts égales, tout en reconnaissant qu’il n’a rien investi dans cette société de personnes avec l’appelant et qu’il ne sollicitait pas de clients. Ce qui est aussi étrange est que dans une telle société, il est plutôt habituel de partager les profits après le paiement des dépenses plutôt que le revenu brut.

 

[19]         Monsieur Batalha nous a également dit que d'après le contrat de sous-traitance, son taux horaire était de 25 $ l’heure et qu’il facture toujours ce même taux à ses clients. Les factures déposées en preuve par l’appelant pour ses autres contrats de sous-traitance indiquent qu'il payait un taux horaire de 50 $ et de 75 $. Il est assez étrange qu’une personne possédant un diplôme universitaire dans ce domaine rende des services professionnels à un taux de moitié inférieur au taux en vigueur, quoique je reconnaisse qu’il est libre de le faire.

 

[20]         Dans son témoignage, monsieur Batalha n’a pas expliqué les calculs lui permettant de dire qu’il avait reçu 16 000 $ en 2004 et 5 625 $ en 2005 pour le travail qu’il a effectué en raison de son contrat de sous-traitance avec l’appelant. Il a reconnu qu’il ne notait pas ses heures et ne remettait pas de factures à l’appelant. Il a aussi reconnu qu’il appelait l’appelant tous les jours. C’est donc dire qu’il devait travailler beaucoup plus souvent qu’il ne le prétend. Le travail de la programmation au collège April Fortier a duré deux ans. Monsieur Batalha a lui‑même complété le travail en décembre 2005, soit quatre mois après qu’il eut mis fin à son contrat de sous‑traitance avec l'appelant. Quant à son affirmation qu’il était associé de l’appelant, cela me paraît une pure invention ou du moins une fausse perception des ententes, puisque rien ne semble correspondre à ce que l’on retrouve normalement dans une telle entente. Les revenus qu’il déclare avoir gagnés en raison de cette entente sont peu probables et constituent, à mon avis, des revenus de contrats de sous‑traitance pour les trois autres clients.

 

[21]         Maintenant qu’il est clairement établi que monsieur Batalha a travaillé pour l’appelant en 2004 et 2005 et que monsieur Batalha reconnaît avoir reçu 18 245 $ et 8 125 $ de l’appelant pour ce travail, il faut se demander si l’appelant a établi qu’il a droit à tout le montant réclamé à ce titre en 2004 et 2005.

 

[22]         L’appelant a choisi de payer monsieur Batalha en argent comptant. Pour le prouver, il a produit des états de comptes bancaires pour démontrer que les retraits effectués au guichet automatique étaient supérieurs aux montants qu’il devait à monsieur Batalha, ce qui, selon lui, établit les paiements faits à monsieur Batalha. Monsieur  Batalha reconnaît avoir été payé en argent comptant, ce qui lui convenait. La question qui demeure sans réponse est celle de savoir quels retraits correspondent à des paiements puisqu’aucun retrait ne correspond aux heures de travail de monsieur Batalha. L’appelant est le seul qui notait ces renseignements, mais ceux‑ci ne sont plus disponibles en raison du vol de son matériel situé dans son automobile. Il a cependant produit des factures mensuelles qu’il a lui‑même préparées à l’époque mais, outre le projet et le montant, elles ne contiennent aucun détail sur le nombre d’heures et le taux horaire payé. Monsieur  Batalha a aussi dit ne les avoir jamais vues. Il est étrange que les montants de ces factures soient tous des chiffres ronds, allant de 1 000 $ à 3 500 $ par facture, que les heures de travail soient des multiples de dix et que le taux soit 25 $ ou 50 $ l’heure.

 

[23]         Les éléments de preuve à l’appui de la version de l’appelant quant aux heures de travail de monsieur Batalha, quant au taux qu’il aurait reçu et quant aux moments où il était payé ne sont pas étayés par la preuve. J’accorde aussi peu de poids aux factures présentées en preuve par l’appelant à l’appui des montants qu’il prétend avoir versés à monsieur Batalha. Je suis néanmoins convaincu que l’appelant a versé à monsieur Batalha beaucoup plus d’argent pour ses services que ce dernier prétend. Je suis aussi convaincu, à la lumière des taux horaires versés aux autres sous-traitants, que monsieur Batalha était payé au moins 50 $ l’heure, comme le prétend l’appelant, et ce, en 2004 et en 2005. Puisque ces sous‑contrats étaient la seule source de revenu de monsieur Batalha pour les deux années en cause, sauf pendant les quatre derniers mois de 2005, il est plus que probable que les montants versés soient plus élevés que ce que prétend monsieur Batalha.

 

[24]         Je suis donc d’avis que l’appelant a droit à des dépenses plus élevées que celles admises par monsieur Batalha, mais moins que celles qu’il a réclamées dans ses déclarations de revenus pour les deux années en cause. Je fixe donc de façon arbitraire les dépenses auxquelles l’appelant a droit pour chacune des années d’imposition en cause à 36 490 $ et 16 250 $ respectivement, sommes qui incluent les montants consentis au début du procès.

 

[25]         Il a été question au début du procès de modifier la procédure générale en une procédure informelle vu la diminution du montant en litige. L’intimée ne s’est pas officiellement opposée à une telle requête en début d’audience et s’est engagée à fournir à l’appelant le montant en litige vu les admissions. L’intimée s’est par la suite opposée à une telle requête en raison du retard. La procédure générale va donc demeurer. Vu les dépenses reconnues par l’intimée au début du procès seulement, et vu le succès partiel de l'appelant, ce dernier aura droit à la moitié de ses dépens.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 11e jour de juillet 2011.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 330

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3222(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Thierry Brenneur et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 30 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 11 juillet 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Pierre Zeppettini

Avocat de l'intimée :

Me Simon-Nicolas Crépin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Pierre Zeppettini

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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