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Dossier : 2016-2417(EI)

ENTRE :

CHRISTIAN MARTEL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante.

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels
d’Éric Lalancette, 2016-2423(EI) et Danny Dallaire, 2016-2426(EI),
le 31 mai 2017, à Chicoutimi (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

Représentant pour l’intervenante:

Christian Martel

 

JUGEMENT

          L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 16 septembre 2015 est modifiée. L’appelant n’occupait pas un emploi assurable selon l’alinéa 5(2)(i) de la LAE lorsqu’au service de l’intervenante pour la période du 1er août 2015 au 16 septembre 2015, puisque l’appelant et l’intervenante avaient entre eux un lien de dépendance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »   

Juge D’Auray


Dossier : 2016-2423(EI)

ENTRE :

ÉRIC LALANCETTE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante.

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de
Christian Martel, 2016-2417(EI) et Danny Dallaire, 2016-2426(EI),
le 31 mai 2017, à Chicoutimi (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

Représentant pour l’intervenante:

Éric Lalancette

 

JUGEMENT

          L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 16 septembre 2015 est modifiée. L’appelant n’occupait pas un emploi assurable selon l’alinéa 5(2)(i) de la LAE lorsqu’au service de l’intervenante pour la période du 1er août 2015 au 16 septembre 2015, puisque l’appelant et l’intervenante avaient entre eux un lien de dépendance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »   

Juge D’Auray


Dossier : 2016-2426(EI)

ENTRE :

DANNY DALLAIRE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante.

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de
Christian Martel, 2016-2417(EI) et Éric Lalancette, 2016-2423(EI),
le 31 mai 2017, à Chicoutimi (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

Représentant pour l’intervenante:

Danny Dallaire

 

JUGEMENT

          L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 16 septembre 2015 est modifiée. L’appelant n’occupait pas un emploi assurable selon l’alinéa 5(2)(i) de la LAE lorsqu’au service de l’intervenante pour la période du 1er août 2015 au 16 septembre 2015, puisque l’appelant et l’intervenante avaient entre eux un lien de dépendance.

         

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »  

Juge D’Auray



Référence : 2017 CCI 238

Date : 20171128

Dossier : 2016-2417(EI)


ENTRE :

CHRISTIAN MARTEL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante,

Dossier : 2016-2423(EI)

ET ENTRE :

ÉRIC LALANCETTE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante,

Dossier : 2016-2426(EI)

ET ENTRE :

DANNY DALLAIRE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ARCI CABINET COMPTABLE INC.,

intervenante.


 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. FAITS

A. Contexte

[1]              Les appels de MM. Éric Lalancette, Christian Martel et Danny Dallaire (« les appelants ») ont été entendus sur preuve commune.

[2]              M. Lalancette est un fiscaliste de formation, détenteur d’un diplôme de 2cycle en fiscalité de l’Université de Sherbrooke.

[3]              M. Martel est un comptable professionnel agréé et détenteur d’un diplôme de deuxième cycle en planification financière.

[4]              M. Dallaire est un comptable professionnel agrée et auditeur.

[5]              Durant la période en litige, soit du 1er août 2015 au 16 septembre 2015, les appelants travaillent chez ARCI Cabinet Comptable inc. (« ARCI »).

[6]              ARCI offre des services de préparation d’états financiers, de la tenue de livres, des services de fiscalité et de préparation de déclarations de revenus.

[7]              Durant les années 1990, ARCI n’a qu’un actionnaire, M. Bernard Fortin. Vers l’année 2012, M. Martel achète une partie des actions de M. Fortin.

[8]              Au début 2005, M. Lalancette achète les actions de M. Fortin et ce dernier se retire. Ainsi, en 2015 M. Martel détient 51 % et M. Lalancette 49 % des actions avec droit de vote d’ARCI. 

[9]              Afin de desservir davantage le secteur agricole, M. Martel et M. Lalancette demandent à M. Dallaire, qui a plusieurs clients dans le secteur agricole, de se joindre à ARCI en tant qu’actionnaire et employé.

[10]         Ainsi à partir du 1er août 2015, MM. Martel, Lalancette et Dallaire détiennent chacun 33 1/3 % des actions avec droit de vote d’ARCI. Chaque actionnaire détient aussi le même nombre d’actions privilégiées et un droit à un dividende discrétionnaire.

[11]         Cependant, puisque chacun d’entre eux détient moins de 40 % des actions avec droit de vote d’ARCI, cette dernière demande à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») de déterminer si les appelants sont assurables au sens de l’article 5 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE »)[1]. Si le ministre du Revenu National (le « ministre ») décide que chacun d’entre eux est dans un emploi assurable, ARCI doit effectuer des déductions à la source pour chacun des appelants, ce qu’ARCI n’a pas fait durant la période en litige.

[12]         Par lettre en date du 16 septembre 2015, le ministre détermine que les emplois occupés par les appelants au sein de la société ARCI sont des emplois assurables au sens du paragraphe 5(1) la LAE.

[13]         La période en litige, soit du 1er août 2015 jusqu’au 16 septembre 2015, est de courte durée. En 2016, M. Dallaire quitte ARCI et vend ses actions aux deux actionnaires. Or, à partir de la fin septembre 2016, M. Martel et M. Lalancette détiennent 50 % des actions avec droit de vote d’ARCI, ils n’ont donc pas à effectuer les déductions à la source quant à l’assurance-emploi en vertu de l’exclusion à l’alinéa 5(2)b) de LAE. Selon cet alinéa, un emploi n’est pas assurable si une personne contrôle plus de 40 % des actions avec droit de vote de la société pour laquelle elle travaille.

B. Fonctionnement de la société ARCI et les modalités d’emploi des actionnaires

[14]         Au sein de l’entreprise, M. Lalancette rend à ses clients des services de conseils fiscaux en matière de transactions et transferts d’entreprise, il prépare et révise les déclarations de revenus corporatives.

[15]         M. Martel rend des services de préparation d’états financiers et de tenue de livres.

[16]         M. Dallaire accomplit les mêmes tâches que M. Martel, en plus d’effectuer des missions d’audit.

[17]         Pendant la période en litige, ni les appelants ni ARCI n’ont rendu des services à un autre cabinet comptable.

[18]         Concernant les tâches de gestion, M. Martel est responsable de la tenue de livres, la gestion des employés et d’autres tâches administratives. M. Lalancette s’occupe de l’entretien du bureau, dont le système informatique.

[19]         ARCI emploie une personne à temps plein, une comptable professionnelle agréée, à un salaire horaire de 22 $, qui s’occupe de la tenue de livres. Durant la saison des impôts, la société emploie une comptable professionnelle agréée au salaire horaire de 30 $.

[20]         Les appelants ont indiqué qu’ARCI leur versait un salaire et selon sa capacité de payer, des dividendes pouvaient être déclarés. Durant la période en litige, ARCI a versé 1 000 $ par semaine à titre de salaire aux appelants :

Éric Lalancette : 35 270 $ en 2015 et 52 000 $ en 2016

Christian Martel : 35 270 $ en 2015 et 52 000 $ en 2016

Danny Dallaire : aucun en 2015 et 16 270 $ en 2016

[21]         Les appelants sont conscients que leurs salaires sont inférieurs à ce qu’ils obtiendraient s’ils travaillaient pour une firme comptable dont ils ne sont pas actionnaires.

[22]         Lors de son témoignage M. Lalancette a indiqué que généralement une personne avec quinze ans d’expérience en fiscalité gagne environ 100 000 $ par année. MM. Martel et Dallaire ont aussi indiqué que s’ils travaillaient pour une étude comptable leur rémunération serait aussi de l’ordre de 100 000 $ par année.

[23]         Les appelants ont aussi indiqué qu’ils ne comptent pas les heures travaillées au sein d’ARCI. Ils peuvent travailler jusqu’à 85 ou 90 heures par semaine. De plus, peu importe les heures travaillées, leurs salaires restent les mêmes.

[24]         Les appelants contrôlent aussi leurs horaires. La société n’impose pas un minimum d’heures facturables. Quant aux vacances, si un appelant décide de prendre des vacances il n’a pas à demander la permission aux autres actionnaires. Ils se consultent afin que l’un d’entre eux soit présent au bureau. Par exemple, durant la période en litige, M. Lalancette a pris de cinq à six semaines de vacances et M. Martel huit semaines de vacances. Les appelants sont rémunérés pendant leurs vacances.

[25]         Les décisions importantes relatives à ARCI sont prises par les appelants en collégialité. Les décisions de moindre importance sont prises individuellement. Par exemple, un appelant peut refuser de travailler ou d’accepter un nouveau client. Cela étant dit, ARCI étant une petite société, les appelants se consultent souvent et la prise de décision est faite de manière informelle.

[26]         M. Lalancette a cependant indiqué que si les appelants n’étaient pas unanimes, la décision prise par la majorité l’emporterait et le dissident serait lié par cette décision. Il n’existe cependant aucune convention entre les actionnaires advenant un conflit entre eux. Le rapport de force est le même pour chaque actionnaire.

[27]         MM. Martel et Lalancette ont cautionné la marge de crédit d’ARCI auprès de l’institution financière. Ces derniers ont aussi fait des avances à la société afin de financer les comptes clients. À cet effet, M. Martel a indiqué qu’il a utilisé sa marge de crédit personnelle pour faire des avances à la société.

[28]         À la fin de l’exercice financier se terminant en 2015, le solde du poste « dû aux actionnaires » est de 92 630 $. Il est de 334 956 $ en 2016.

[29]         Les appelants bénéficient d’une assurance vie dont les primes sont payées par la société. Les appelants paient cependant pour leurs propres assurances invalidités.

[30]         Les factures qui sont remises aux clients sont au nom d’ARCI, le bail est au nom de la société, sans endossement personnel des actionnaires et les dépenses relatives au travail sont assumées par ARCI.

[31]         Les outils de travail, tels les ordinateurs, appartiennent à ARCI. Selon M. Lalancette, la profession ne requiert pas un « gros coffre à outils ». M. Dallaire gère sa propre clientèle avec un logiciel distinct de ceux de la société. Il a son propre logiciel pour la facturation, les états financiers et la production des déclarations de revenus.

[32]         Si ARCI faisait des pertes et qu’elle ne pouvait rembourser ses prêts, ce serait les appelants qui subiraient les pertes, car ils se sont portés garants des emprunts de la société.

II. POSITIONS DES PARTIES

[33]         Les appelants soutiennent qu’ils sont des travailleurs autonomes ; c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas de contrat de service entre eux et la société ARCI. De plus, ils font valoir qu’ils exercent un emploi qui n’est pas assurable en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la LAE, puisqu’ils ont un lien de dépendance avec leur employeur.

[34]         L’intimé soutient que les appelants occupent un emploi assurable. De plus, il fait valoir que leur emploi n’est pas exclu des emplois assurables selon l’alinéa 5(2)i) de la LAE, soit l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont un lien de dépendance.

III. QUESTION EN LITIGE

[35]         La question en litige est de déterminer si les appelants occupaient un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE du 1er août 2015 au 16 septembre 2015. Si les appelants occupaient un emploi assurable selon l’alinéa 5(1)a) de la LAE, est-ce que l’emploi des appelants était exclu des emplois assurables selon l’alinéa 5(1)i) de la LAE ?

IV. ANALYSE JURIDIQUE

A. Emploi assurable selon 5(1)a) de la LAE

[36]         Un emploi assurable au sens de la LAE est défini comme suit :

5 (1) Sens de emploi assurable - Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)      l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[37]         En vertu de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation [2], nous devons nous référer aux principes de droit civil québécois, en l’occurrence à la notion de contrat de travail au sens du Code civil du Québec, pour établir s’il y a un emploi assurable au sens de la LAE [3].

[38]         Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec à la distinction d’un contrat de travail d’un contrat de service sont les suivantes :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[39]         Le contrat de travail comprend donc trois éléments essentiels : l’exécution d’un travail, la rémunération et un lien de subordination.

[40]         Ce dernier critère distingue fondamentalement le contrat de travail du contrat d’entreprise, en ce que le premier exige la direction et un contrôle du travail par l’employeur[4].

[41]         Le lien de subordination s’établit à l’aide de plusieurs indices tels que l’intégration du travailleur dans l’entreprise, l’expectative des profits et le risque de pertes et la propriété des outils[5]. Aucun de ces critères pris isolément n’est déterminant en soi[6].

[42]         Dans son témoignage, M. Martel prétend qu’il n’y avait pas de contrats de travail entre la société et les appelants. Cependant, en droit, la qualification par les parties n’est valable que si elle se traduit dans la réalité factuelle, dans l’exécution et dans le comportement des parties[7].

[43]         Les appelants ont d’ailleurs déclaré leurs gains comme revenu d’emploi à l’ARC.

[44]         Dans le cas présent, je suis d’avis qu’un contrat de travail liait chacun des appelants à la société ARCI, car les éléments constitutifs du contrat de travail sont présents en l’espèce.

[45]         En effet, les appelants ont exécuté un travail de comptabilité ou de fiscalité pour le compte d’ARCI. Leur travail a été rémunéré par la société. Leur salaire était fixe et non lié à leur productivité ou à leur rentabilité.

[46]         Les appelants étaient également soumis au contrôle de la société ARCI en raison de leur intégration, la chance des profits et le risque de pertes et la propriété des outils ainsi que le pouvoir d’intervention de la société.

[47]         Les appelants étaient effectivement intégrés dans leur entreprise. Ils exécutaient du travail exclusivement pour le compte de la société et à l’emplacement celle-ci. C’est d’ailleurs la société qui émettait les factures aux clients des trois appelants.

[48]         Les équipements et le matériel étaient aussi fournis par la société ARCI.

[49]         Quant à la subordination effective, les décisions importantes de la société ont toujours été prises de façon consensuelle et collégiale par les appelants. Néanmoins, pour évaluer la présence d’un contrôle, la question pertinente est celle de savoir si la société a effectivement ce pouvoir, non pas si ce pouvoir s’est manifesté dans les faits :

La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l’exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n’ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s’y soit [sic] pas senti assujettis lors de l’exécution de leur travail n’a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d’intervention que la société possède, par le biais de son conseil d’administration.[8]

[50]         Selon le juge Tardif de notre Cour, un contexte de collégialité ou de consensualisme ne change rien à cette règle :

En l’espèce, le fait que l’autorité ne semblait pas opposable aux frères Théorêt et le fait que les décisions ayant trait à la compagnie étaient prises dans le consensualisme et la collégialité n’enlevaient pas pour autant à la compagnie son autorité sur le travail exécuté par les intervenants. La preuve n’a pas démontré que la compagnie avait renoncé à son pouvoir d’intervention ou que ce droit avait été soit réduit, soit limité ou même annulé.[9]

[51]         En l’espèce, le conseil d’administration d’ARCI n’a jamais renoncé, limité ou annulé son pouvoir de contrôle sur les appelants. Il avait le pouvoir d’intervention sur l’exécution du travail des appelants. Il aurait très bien pu, par exemple, congédier un des appelants ou ordonner un certain fonctionnement.

[52]         D’ailleurs, M. Lalancette a admis dans son témoignage qu’un des appelants aurait pu être lié par une décision majoritaire de ceux-ci.

[53]         Bien que les appelants bénéficiaient d’une grande autonomie dans l’exécution de leurs tâches professionnelles, ils n’étaient pas à l’abri d’une intervention ou d’un contrôle de leur travail. La jurisprudence à cet effet est claire, on ne peut conclure à l’absence de lien de subordination du seul fait que les travailleurs accomplissent leurs tâches de façon autonome et sans supervision.

[54]         Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que la relation qui existait entre les appelants et la société ARCI était de la nature d’une relation « employeur employé », il y avait donc un contrat de travail entre les appelants et la société ARCI.

B. Lien de dépendance

[55]         Je dois maintenant déterminer si les emplois des appelants étaient des emplois non assurables selon le sous-alinéa 5(2)b)(i) et le paragraphe 5(3) de la LAE. Les passages pertinents de ces dispositions sont :

(2) Restriction - N’est pas un emploi assurable :

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3) Personnes liées - Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance;

[Je souligne.]

[56]         Le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») énonce ce qui constitue un lien de dépendance :

251. (1) Lien de dépendance -- Pour l’application de la présente loi :

a)         des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b)         un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de «fiducie» au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

c)         dans les autres cas, la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[Je souligne.]

[57]         En l’espèce, parce que les appelants sont des personnes non liées entre elles, seul l’alinéa 251(1)c) de la LIR s’applique. Selon cet alinéa, des personnes non liées entre elles peuvent avoir un lien de dépendance à un moment donné. C’est à la suite d’une analyse factuelle qu’une cour déterminera s’il y a un lien de dépendance entre des personnes non liées.

[58]         Je ne suis pas d’accord avec l’intimé qu’en l’espèce la question à déterminer est de savoir si, selon l’alinéa 5(3)b) de LAE, le ministre a correctement utilisé sa discrétion, et que la décision du ministre ne peut être renversée que si je décidais que ce dernier n’a pas été raisonnable quand il a décidé, compte tenu de toutes les circonstances factuelles, que les emplois des appelants étaient des emplois assurables.

[59]         L’alinéa 5(3)b) de la LAE ne s’applique pas en l’espèce. Cet alinéa s’applique seulement à des personnes qui sont liées en vertu de la LIR. En l’espèce, les appelants sont des personnes non liées en vertu de la LIR.

[60]         Par conséquent, je dois déterminer si les appelants ont un lien de dépendance avec leur employeur l’ARCI. Tel que je l’ai déjà mentionné, selon l’alinéa 251(1)c) de la LIR, cette détermination en est une de faits.  

[61]         Dans ses prétentions écrites, l’intimé s’appuie principalement sur les critères élaborés dans les décisions en impôt pour nier un quelconque lien de dépendance entre les appelants et la société. L’intimé cite d’ailleurs les propos du juge Archambault dans la décision Gestion Yvan Drouin inc.[10] pour soutenir qu’un appelant doit avoir le contrôle de la société pour avoir un lien de dépendance avec celle-ci.

[62]         Il est néanmoins utile de rappeler que ces critères ont été précisés par le juge Archambault dans le cadre d’un litige portant sur le paragraphe 160(1) de la LIR et non pas dans un dossier d’assurance-emploi. À cet effet, le juge Archambault mentionne dans cette décision qu’il est essentiel de s’interroger sur l’objectif poursuivi par le législateur pour mieux saisir la portée de l’expression « lien de dépendance » dans une disposition donnée[11].

[63]         D’ailleurs, dans la décision Thivierge[12], rendue aussi par le juge Archambault, ce dernier n’a pas utilisé les critères établis dans des dossiers visant la LIR afin de déterminer s’il y avait un lien de dépendance entre personnes non liées dans un contexte d’assurance-emploi. Le juge Archambault a utilisé des critères qui reflètent l’objectif de la LAE,[13] notamment les modalités d’emploi:

Pour illustrer l’application de cette décision dans le contexte de l’alinéa 3(2)c) de la Loi, on peut imaginer l’exemple suivant. Deux employeurs, n’étant pas des personnes liées, s’entendent pour que chacun d’eux engage le fils de l’autre selon des modalités de travail que des personnes n’ayant pas de lien de dépendance n’auraient pas adoptées. Je crois que dans ces circonstances, le travail de ces personnes serait exclu des emplois assurables en raison d’un lien de dépendance factuel. De cet exemple, on peut donc constater qu’un travail peut être exclu des emplois assurables même si les parties n’ont pas de lien de parenté entre elles.

[Je souligne.]

[64]         Dans la décision Quigley Electric Ltd.[14], le juge Hershfield adopte la même position que le juge Archambault, c’est-à-dire qu’on ne peut appliquer les principes énoncés dans les décisions relatives à la LIR. De plus, le juge Hershfield est d’avis que la même norme d’analyse doit être adoptée autant pour les personnes liées que les personnes non liées :

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

[31]      J’estime pour ma part que l’application rigide de principes rattachés à l’impôt sur le revenu (par exemple la détermination d’intérêts économiques opposés) aux fins d’établir si, pour l’application de la Loi, des parties ont entre elles un lien de dépendance, est une démarche d’analyse qui va à l’encontre du bon sens. De manière à éviter ce problème, il semble nécessaire, pour l’application de la Loi, d’envisager la détermination du fait que des parties ont ou non entre elles un lien de dépendance selon la common law comme s’il s’agissait d’établir si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la durée, la nature et l’importance du travail accompli ainsi que la rémunération, les modalités de l’emploi auraient été à peu près les mêmes si les parties n’avaient pas eu entre elles de lien de dépendance. Il s’agit de la norme que prévoit la Loi à l’égard des relations entre parties sans lien de dépendance, bien qu’elle s’applique aux personnes liées. Je pense que cette même norme est censée s’appliquer aussi aux personnes non liées. L’accent devrait être mis sur l’ensemble des circonstances relatives à la relation de travail, et non sur la relation globale des parties.

[Je souligne.]

[65]         Cette norme d’analyse est réitérée par l’ARC dans sa publication intitulée Lien de dépendance aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, en date du 20 décembre 2016, énonce ce qui suit :

Lorsque les parties ne sont pas des personnes liées, il est nécessaire de considérer les mêmes circonstances de l’emploi que celles que nous aurions considérées pour les personnes liées. (Il est nécessaire d’analyser toutes les circonstances de l’emploi afin de déterminer s’il est raisonnable de conclure que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles avaient agi entre elles sans lien de dépendance). Si les circonstances de l’emploi sont substantiellement différentes, l’employé et l’employeur seront considérés, dans les faits, comme ayant un lien de dépendance et l’emploi ne sera pas assurable.

[Je souligne.]

[66]         Conséquemment, à la lumière de ces décisions et de la publication de l’ARC, je suis d’avis que pour déterminer si un employeur et un employé non liés ont un lien de dépendance, je dois analyser toutes les circonstances de l’emploi afin de déterminer si l’employé et l’employeur seront considérés dans les faits comme ayant un lien de dépendance. En d’autres mots, est-ce que les parties auraient conclu un contrat de travail substantiellement similaire si elles avaient agi entre elles sans lien de dépendance ?

C. En l’espèce, est-ce que les conditions d’emploi des appelants révèlent un lien de dépendance avec la société ?

[67]         Dans ses prétentions écrites, l’intimé fait valoir que pour déterminer s’il y a un lien de dépendance, je dois tenir compte du statut des appelants non seulement à titre d’employés, mais aussi à titre d’actionnaires. Selon l’intimé, mon analyse doit porter sur des modalités d’emploi comparables, c’est-à-dire : est-ce qu’un employé également actionnaire aurait accepté un emploi avec des conditions substantiellement similaires[15] ?

[68]         Je ne suis pas d’accord avec la prétention de l’intimé. À mon avis, afin de déterminer s’il y a un lien de dépendance entre un employeur et un employé, je n’ai pas à analyser si un employé, également actionnaire, accepterait un emploi avec des conditions substantiellement similaires. Ce n’est pas ce que l’alinéa 5(2)b)i) de la LAE prescrit. Cet alinéa réfère à la relation entre l’employeur et l’employé et non pas à la relation employé employeur actionnaire.

[69]         Afin de déterminer s’il y a un lien de dépendance lorsque les parties ne sont pas liées, je dois tout comme pour les personnes liées, analyser les circonstances de l’emploi, et si ces dernières sont substantiellement différentes, l’employé et l’employeur seront considérés, dans les faits, comme ayant un lien de dépendance et l’emploi ne sera pas assurable.

[70]         En l’espèce, à la lumière des faits, je suis d’avis qu’il y a un lien de dépendance entre l’employeur ARCI et les appelants. Par conséquent les appelants n’occupent pas des emplois assurables.  

[71]         Il ressort de la preuve que les appelants recevaient un salaire de 52 000 $ par année. L’intimé n’a pas contesté le témoignage des appelants que ce salaire était largement inférieur à ce que les appelants auraient pu obtenir s’ils avaient travaillé dans une firme comptable. Chacun des appelants travaillait depuis plus de quinze ans à titre de professionnel dans le domaine de la comptabilité et/ou de la fiscalité.

[72]         De plus, la société n’imposait aux appelants aucun horaire ni un minimum d’heures facturables. Dans les périodes moins occupées, les appelants, sans se consulter, pouvaient choisir de travailler moins d’heures par semaine ou de prendre des congés. Cependant, dans des périodes plus occupés, les appelants travaillaient de 70 heures à 85 heures par semaine et ces derniers n’étaient pas rémunérés pour les heures supplémentaires. Le salaire des appelants était fixe peu importe les heures travaillées. À mon avis, ces éléments militent en faveur d’un lien de dépendance entre le contribuable et la société[16].

[73]         Les appelants avaient aussi une grande liberté quant à leurs vacances. Ils étaient libres de choisir la période et le nombre de semaines de vacances sans demander la permission au préalable aux autres appelants. Nécessairement, une présence au bureau par un des appelants était requise. Comme déjà indiqué, durant la période en litige, M. Lalancette a pris de cinq à six semaines de vacances et M. Martel huit semaines de vacances. Ces derniers ont été rémunérés pendant leurs vacances. Ces faits militent aussi en faveur d’un lien de dépendance avec la société.

[74]         Chacun des appelants pouvait refuser un nouveau client et également refuser de travailler pour un client. À mon avis, ce fait milite également en faveur d’un lien de dépendance.

[75]         Les décisions importantes étaient prises par les appelants. Cependant, les décisions mineures étaient prises indépendamment par chacun des appelants. À titre d’exemple, M. Dallaire travaillait à partir d’un logiciel différent de celui utilisé par les deux autres appelants. Généralement, une firme comptable, à titre d’employeur, n’autorise pas un employé à utiliser un logiciel différent de celui utilisé par la société.

[76]         De plus, M. Martel et M. Lalancette s’étaient portés garants de la marge de crédit de la société. Dans une relation d’employeur employé sans lien de dépendance, l’employé ne se porte pas garant de la marge de crédit de son employeur. À cet effet, l’ARC énonce dans sa publication de 2016 quant au lien de dépendance, qu’une relation avec lien de dépendance est suggérée lorsque :

L’employé signe des garanties qui sont significatives et qui peuvent affecter ses actifs ou biens personnels (et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable)  

V. CONCLUSION

[77]         Je suis d’avis qu’il y avait entre MM. Lalancette, Martel et Dallaire et la société ARCI un lien de dépendance en ce qui a trait à la période en litige, du 1er août 2015 au 16 septembre 2015.  

[78]         En conséquence, l’appel de chacun des trois appelants est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2017.

« Johanne D’Auray »  

Juge D’Auray

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 238

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-2417(EI)

2016-2423(EI)

2016-2426(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CHRISTIAN MARTEL c MRN et ARCI CABINET COMPTABLE INC.

ÉRIC LALANCETTE c MRN et ARCI CABINET COMPTABLE INC.

DANNY DALLAIRE c MRN et ARCI CABINET COMPTABLE INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2017

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Les appelants eux-mêmes

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

Représentants pour l’intervenante:

Christian Martel, Éric Lalancette et Danny Dallaire

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelants:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]        L.C. 1996, ch. 23.

[2]        L.R.C. (1985), ch. I-21.

[3]        Grimard c Canada, 2009 CAF 47, au paragraphe 26; 9041-6868 Québec inc. c Canada, 2005 CAF 334.

[4]        Grimard c Canada, précité, aux paragraphes 30 et 37.

[5]        Ibid, aux paragraphes 38 à 43.

[6]        Ibid, au paragraphe 42.

[7]        Ibid, au paragraphe 33.

[8]        Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard inc. c Canada (ministre du Revenu national - MRN), 2002 CAF 144, au paragraphe 5.

[9]        Roxboro Excavation inc. c Canada, [1999] ACI no 32, au paragraphe 31.

[10]       Gestion Yvan Drouin inc c Canada, [2000] ACI no 872.

[11]       Ibid, au paragraphe 63.

[12]       Thivierge c Canada, [1994] ACI no 876, au paragraphe 47.

[13]       L’objectif sous-jacent à la disposition qui exclut les personnes ayant un lien de dépendance de la notion d’emploi assurable semble être celui de contrecarrer les abus du programme, par des emplois fictifs ou des conditions de travail substantiellement différentes de celles offertes par un employeur n’ayant pas un lien de dépendance de fait avec l’employé. 

[14]         Quigley Electric Ltd. c Canada, [2002] TCJ no 674, au paragraphe 31.

[15]       F. Ménard inc. c Canada, [2009] ACI no 208, au paragraphe 53.

[16]       Bélanger c Ministre du Revenu national, 2005 CCI 36, aux paragraphes 62 à 64; Crawford and Co. c Canada, [1999] ACI no 850, au paragraphe 47; Garneau c Ministre du Revenu national, 2006 CCI 160, aux paragraphes 123 à 137; McMillan c Canada, [1996] ACI no 1384, au paragraphe 24; V. Y. F. Express inc. c Ministre du Revenu national, 2015 CCI 139, aux paragraphes 54 à 58.

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