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Dossier : 2009-2577(IT)G

ENTRE :

LIEU TRUONG,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 9 et 10 mai 2011 à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Laura Zumpano

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 15 mai 2008 et porte le numéro 677952, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Fredericton (Nouveau‑Brunswick), ce 9jour d’août 2011.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’octobre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 380

Date : Le 9 août 2011

Dossier : 2009-2577(IT)G

ENTRE :

LIEU TRUONG,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

Les faits

 

[1]              Une cotisation de 36 941,01 $ a été établie à l’égard de l’appelante le 15 mai 2008 en application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à un transfert d’une unité condominiale située au 323‑528, avenue Rochester, à Coquitlam, en Colombie‑Britannique (le « bien »), de l’époux de l’appelante, Phat Le, à l’appelante.

 

[2]              L’appelante a un diplôme en technologie chimique. Elle travaillait et vivait à Edmonton, en Alberta, lorsqu’elle a rencontré M. Le à la fin de 1997. Ils se sont mariés en juin 2003 et, en octobre 2004, l’appelante a déménagé à Vancouver, où résidait M. Le.

 

[3]              Selon son témoignage, l’appelante a commencé à prêter de l’argent à M. Le au début de 1998. L’appelante savait que M. Le avait des difficultés financières,     qu’elle croyait être la conséquence de son divorce. Elle a déclaré qu’elle avait retiré divers montants de son compte personnel au fil des ans afin d’effectuer des prêts en espèces pour aider M. Le. Elle a affirmé qu’elle consignait ces prêts dans un dossier personnel, mais qu’elle ne l’avait pas pris avec elle lorsqu’elle avait déménagé à Vancouver en 2004. L’appelante a présenté des relevés bancaires pour la période de 1998 à 2004. Sur ces relevés, les montants que l’appelante pensait avoir retirés pour les prêter à M. Le étaient cochés. L’appelante avait choisi et coché ces montants après l’établissement de la cotisation.

 

[4]              Avant sa réinstallation à Vancouver, l’appelante habitait avec son frère, et elle a déclaré que ses frais de subsistance étaient minimes. Par conséquent, elle était en mesure de prêter une partie importante de son revenu à M. Le pendant cette période.

 

[5]              Après son mariage et son déménagement à Vancouver, l’appelante a participé au paiement du loyer que M. Le devait verser à l’égard d’une unité condominiale. L’appelante a déclaré qu’elle n’avait demandé aucun remboursement des prêts à ce moment‑là, étant donné qu’elle n’avait pas besoin que l’argent lui soit rendu, et que son époux avait encore des difficultés financières.

 

[6]              Au début de 2005, l’appelante a commencé à chercher un bien-fonds à acheter. Son mari a pris des dispositions pour lui trouver un courtier en immeubles, un courtier en hypothèques et un notaire pour l’aider à cet égard. À ce moment‑là, l’appelante a découvert que son époux était beaucoup plus endetté qu’elle ne le croyait au départ.

 

[7]              Selon la preuve présentée par le courtier en immeubles, Shaheen Sidi, la première offre avait été faite au seul nom de l’appelante, mais elle n’avait pas abouti. Mme Sidi avait recommandé que l’appelante obtienne une préautorisation de financement. Il ne ressort pas clairement de la preuve si l’appelante avait obtenu à quelque moment que ce soit la préautorisation en son propre nom ou si cette préautorisation lui avait été refusée. Toutefois, l’appelante a déclaré qu’après sa première offre infructueuse, elle avait ajouté le nom de son époux aux offres qu’elle présentait afin de faciliter l’obtention d’une autorisation de financement.

 

[8]              Les offres subséquentes de l’appelante sur deux biens différents comportaient le nom de son époux. Toutefois, ces offres avaient aussi été infructueuses.

 

[9]              En avril 2005, l’appelante et son époux ont présenté une offre sur le bien en cause, et cette offre a été acceptée. Selon la preuve de l’appelante, cette dernière avait visité seule le bien à plusieurs reprises et avait décidé de l’acheter par elle‑même. Elle avait alors emmené son époux voir le bien et l’inspecter avant de signer l’offre. Le bien avait été acheté pour 210 477,80 $ et une hypothèque de 197 600 $ avait été inscrite sur le bien.

 

[10]         L’appelante a effectué un versement comptant de 10 000 $ et acquitté les coûts de la transaction. Elle a déclaré qu’elle voulait acheter un bien afin de veiller à ce que son époux rembourse les prêts qu’elle lui avait consentis en l’amenant à faire les paiements hypothécaires mensuels. Comme M. Le était incapable de rembourser les prêts à l’appelante, il avait signé une lettre datée du 9 juin 2005 (pièce A-4) dans laquelle il reconnaissait qu’il devait 60 000 $ à l’appelante, et qu’il rembourserait ce montant par les paiements hypothécaires. Cette lettre a été attestée par Chinh Tran, un ami de M. Le, qui a déclaré savoir que M. Le devait de l’argent à l’appelante, mais a affirmé ne pas connaître le montant.

 

[11]         Le 22 juin 2005, l’appelante et son époux ont acheté le bien, et les titres ont été enregistrés à leurs deux noms en qualité de tenants conjoints. L’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas compris les conséquences découlant de l’enregistrement du titre du bien en tenance conjointe. Bien qu’elle reconnaisse avoir reçu des conseils du notaire public lorsqu’elle avait signé les titres, l’appelante a laissé entendre qu’elle n’avait peut‑être pas [traduction] « porté attention » à ce terme. Elle n’avait pas informé le notaire public du fait que son époux n’avait participé à l’achat que pour lui faciliter l’obtention de financement.

 

[12]         M. Le a effectué les paiements hypothécaires mensuels pour un montant total de 48 000 $. L’appelante payait tous les autres frais d’entretien du bien, y compris les frais de services publics, les charges condominiales, les frais liés à la peinture et les frais pour refaire le plancher.

 

[13]         En 2006, l’appelante a songé à vendre le bien et elle a demandé à Mme Sidi de lui montrer d’autres biens. Après avoir vu plusieurs biens, l’appelante a informé Mme Sidi que son époux était malade et qu’elle ne pouvait donc pas continuer à chercher un autre bien à ce moment‑là.

 

[14]         Le 22 décembre 2006, M. Le a signé un accord de transfert aux termes duquel il a transféré son intérêt dans le bien à l’appelante en contrepartie d’un dollar. Les documents de transfert ont été enregistrés le 15 janvier 2007. Après le transfert, M. Le a continué à résider avec l’appelante dans ce bien et à faire les paiements hypothécaires mensuels, et son nom n’a pas été supprimé des documents hypothécaires.

 

[15]         L’appelante a déclaré que son époux avait signé les documents de transfert parce qu’il était malade et qu’il ne voulait pas participer au processus de vente éventuelle du bien.

 

[16]         Au moment du transfert du bien, M. Le devait de l’argent au titre de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 2000 à 2005. M. Le avait demandé une déduction pour amortissement, qui avait été refusée, ce qui avait entraîné une dette d’environ 800 000 $ à l’égard de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). M. Le ne s’est pas opposé aux nouvelles cotisations établies à son égard et, en fait, à la fin de 2006, il a fourni à l’ARC des renseignements ayant abouti à une saisie‑arrêt, permettant à l’ARC de recouvrer environ 480 000 $. En mai 2008, M. Le devait encore 466 974,36 $.

 

[17]         Au moment où il a été transféré à l’appelante, le bien était encore grevé d’une hypothèque de 196 117,97 $. Au point 18m) des hypothèses, contenues dans la réponse à l’avis d’appel modifié, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a supposé que [traduction] « le 22 décembre 2006, la juste valeur marchande du bien était de 270 000 $ ». Par conséquent, le ministre a supposé que la valeur du transfert réalisé par M. Le en faveur de l’appelante était de 36 941,01 $ (hypothèse 18p)).

 

[18]         L’appelante a déclaré qu’elle n’avait connu l’ampleur de la dette de son époux à l’égard de l’ARC que lorsqu’elle avait reçu une copie de l’avis de faillite concernant M. Le daté du 29 décembre 2008.

 

La question en litige

 

[19]         La question en litige est de savoir si l’appelante est responsable, en application de l’article 160 de la Loi, à l’égard du montant de 36 941,01 $ relatif au transfert à l’appelante, le 15 janvier 2007, de l’intérêt que son époux avait dans le bien en date du 15 janvier 2007.

 

La thèse de l’appelante

 

[20]         L’appelante soutient que cela fait partie de la culture vietnamienne de prêter de l’argent en espèces sans aucun document justificatif. En outre, l’appelante n’était pas au courant du montant de la dette due à l’ARC lorsqu’elle avait prêté des sommes d’argent importantes à son époux. Le nom de M. Le avait été inscrit sur les documents relatifs à l’offre et finalement sur le titre et les documents hypothécaires pour aider l’appelante à obtenir un financement, et pour forcer M. Le à rembourser l’argent qu’il devait à son épouse en faisant les paiements hypothécaires. L’appelante a avancé qu’elle avait toujours eu l’intention d’acheter un bien par elle‑même, et qu’elle avait finalement enlevé le nom de M. Le du titre parce qu’il était malade et qu’il ne voulait pas participer à une éventuelle vente du bien et à un éventuel achat d’un nouveau bien. Elle a également souligné le fait que les fonds utilisés pour acheter le bien provenaient principalement de ses propres économies.

 

La thèse de l’intimée

 

[21]         L’intimée soutient qu’il a été satisfait à tous les critères énoncés dans l’arrêt Livingston c. La Reine, 2008 CAF 89, 2008 D.T.C. 6233. Plus particulièrement, l’intimée avance que, compte tenu du fait qu’un transfert de titre en common law est suffisant selon le critère établi dans l’arrêt Livingston, la question de savoir si les paiements hypothécaires faits par M. Le constituaient des remboursements des prêts effectués par l’appelante n’est pas pertinente. Néanmoins, l’intimée affirme que M. Le avait un intérêt bénéficiaire dans le bien parce qu’il l’a utilisé et l’a eu en sa possession de façon continue, et qu’il a assumé les risques financiers habituels liés à l’accession à la propriété. L’intimée avance aussi qu’il n’y a aucun document pour appuyer les allégations de l’appelante concernant les prêts qu’elle avait consentis à M. Le. L’appelante n’a produit aucun élément de preuve de nature à réfuter l’établissement par le ministre de la valeur marchande du bien à 270 000 $ et, en tout état de cause, elle n’a invoqué aucun motif subsidiaire dans l’avis d’appel modifié relativement à un argument selon lequel le montant de la cotisation devrait être réduit par une réduction de la juste valeur marchande (la « JVM »).

 

 

 

 

L’analyse

 

[22]         L’article 160 de la Loi est un outil de recouvrement des impôts qui vise à empêcher les contribuables qui ont une obligation fiscale de transférer des biens à certaines personnes avec lesquelles ils ont un lien de dépendance pour tenter de mettre le bien à l’abri du recouvrement d’une dette fiscale. Lorsque l’article 160 de la Loi s’applique, le bénéficiaire du transfert devient responsable des dettes fiscales de l’auteur du transfert dues pour l’année du transfert, ou pour toute autre année antérieure dans la mesure où la JMV des biens excède la contrepartie payée et reçue.

 

[23]         Dans l’arrêt Livingston, la Cour d’appel fédérale a énoncé quatre conditions qui doivent être remplies pour que l’article 160 de la Loi soit applicable. Le passage pertinent de cet arrêt est ainsi libellé :

 

  [17]  Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents:

 

  1)       L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

 

  2)       Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon.

 

  3)       Le bénéficiaire du transfert doit être :

                             

            i. soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

            ii. soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

 

            iii. soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.

 

  4)       La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

  [18]  L’application de ces critères dépend dans une mesure particulièrement importante de l’objet du paragraphe 160(1). Dans l’arrêt Medland c. Canada, 98 DTC 6358 (C.A.F.) (Medland), notre Cour a conclu que l’objet et l’esprit de ce paragraphe « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». Voir aussi le paragraphe 10 de Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (C.A.) [QL] (Heavyside). De façon encore plus pertinente pour la présente espèce, la Cour canadienne de l’impôt a posé en principe qu’il serait contraire à l’objet du paragraphe 160(1) que l’auteur d’un transfert permette au bénéficiaire de celui‑ci d’utiliser les sommes transférées pour payer les dettes dudit auteur en favorisant des créanciers déterminés aux dépens de l’ARC; voir le paragraphe 19 de Raphael c. Canada, 2000 DTC 2434.

 

  [19]  Comme il sera expliqué plus loin, étant donné l’objet du paragraphe 160(1), l’intention de l’auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l’ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l’examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l’on en conclue qu’il doive y avoir intention de frustrer l’ARC pour déclencher l’application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s’appliquer au bénéficiaire d’un transfert qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423.

 

[24]         Il est satisfait à l’alinéa 160(1)a) de la Loi et cette disposition n’est pas contestée. L’expression « personnes liées » définie au paragraphe 251(2) de la Loi inclut les particuliers unis par les liens du mariage ou de l’union de fait. Les personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. L’appelante et M. Le se sont mariés en 2003 et ils sont toujours mariés. Par conséquent, pendant la période pertinente, il existait entre eux un lien de dépendance.

 

[25]         En outre, la condition énoncée au sous‑alinéa 160(1)e)(ii) de la Loi concernant la dette fiscale de l’auteur du transfert n’est pas contestée. À l’alinéa 18t) de la réponse, le ministre a supposé qu’à la date de la cotisation le 15 mai 2008, la dette fiscale de M. Le était de 466 974,36 $ à l’égard de ses années d’imposition 2000 à 2005. Bien que l’appelante ait déclaré qu’elle ne connaissait pas l’ampleur de l’endettement de son époux ni le fait que ce dernier avait une dette fiscale envers l’ARC, elle n’a présenté aucun élément de preuve de nature à réfuter l’hypothèse du ministre à l’égard de la dette fiscale sous-jacente. La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wannan c. La Reine, 2003 CAF 423, 2003 D.T.C. 5715 est pertinente. La cour a fait les observations suivantes au paragraphe 3 de cet arrêt :

 

  [3] […] Les recours à l’article 160 ne sont pas tous injustifiés ou injustes, mais un résultat inique est toujours possible. Il n’existe pas de défense de diligence raisonnable à l’encontre de l’application de l’article 160. Cet article peut s’appliquer au cessionnaire de biens qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l’impôt. Il peut même s’appliquer au cessionnaire qui n’a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l’article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l’article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

 

[26]         Les documents de faillite (pièce A‑12) ont confirmé que M. Le avait une dette fiscale impayée d’environ 500 000 $. M. Le ne s’est pas opposé aux cotisations établies par l’ARC et, en fait, il a collaboré au recouvrement de plus de 480 000 $ en fournissant des renseignements bancaires pour la délivrance d’une demande formelle de paiement. L’hypothèse du ministre selon laquelle M. Le devait au moins 36 941,01 $ à l’ARC au moment du transfert du bien n’a pas été réfutée.

 

[27]         La condition suivante pour l’application de l’article 160 de la Loi, le sous‑alinéa 160(1)e)(i), consiste dans le fait que la JMV du bien que M. Le a transféré à l’appelante en 2007 doit excéder la JMV de la contrepartie donnée par l’appelante pour le transfert. Il ressort des titres au moyen desquels l’intérêt de 50 % de M. Le a été transféré à l’appelante que la contrepartie était d’un dollar. L’appelante n’a présenté aucun élément de preuve qui donne à penser que la JMV du bien que le ministre a supposé valoir 270 000 $ était surestimée, sauf son argument relatif à l’évaluation des impôts fonciers pour 2006 (pièce A-20) à l’égard du bien. Outre le fait que ce document concernant l’évaluation des impôts fonciers fournit une valeur du bien au 1er juillet 2005 et n’est donc pas un document contemporain en ce qui a trait à la date du transfert, de tels documents ne sont pas habituellement acceptés par les tribunaux comme étant des indicateurs fiables de la JMV. Bien que je pourrais accepter un tel document d’évaluation des impôts fonciers comme faisant partie d’un certain nombre d’indicateurs de la JMV d’un bien, je ne suis pas disposée à accepter un tel document à lui seul pour calculer une valeur différente de la JMV supposée par le ministre, en particulier lorsque l’appelante a le fardeau de réfuter l’hypothèse du ministre. Quoi qu’il en soit, l’appelante n’a pas fait valoir que le montant de la dette fiscale devrait être réduit au moyen d’une réduction de la JVM que le ministre a appliquée ni que les prêts consentis à M. Le équivalaient à la contrepartie. L’argument de l’appelante repose principalement sur le fait qu’elle ne devrait pas être tenue responsable au titre de l’article 160 de la Loi parce qu’elle a toujours été propriétaire de l’ensemble de l’intérêt bénéficiaire dans le bien, et que le paiement effectué par M. Le au titre des paiements hypothécaires mensuels n’était tout simplement qu’un remboursement des prêts que l’appelante est censée lui avoir consentis. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner la question de savoir si l’intérêt de M. Le dans le bien était constitué d’un intérêt en common law et d’un intérêt bénéficiaire, auquel cas la JMV de son intérêt serait alors de 36 941,01 $, comme l’a supposé le ministre.

 

[28]         Selon l’intimée, même si ce n’est que le titre en common law du bien qui a été transféré à l’appelante, cela est suffisant pour réaliser ce transfert en application de l’article 160 de la Loi. La décision rendue dans l’arrêt Livingston a établi que le simple transfert d’un titre en common law constitue un transfert selon l’article 160 de la Loi. Au paragraphe 22 de l’arrêt Livingston, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes :

 

  [22]  En outre, il y a transfert de biens pour l’application de l’article 160 même si la propriété bénéficiaire ou effective n’a pas été transférée. Le paragraphe 160(1) s’applique à tout transfert de biens – « au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon ». Par conséquent, ce paragraphe définit le transfert à une fiducie comme un transfert de biens. Il est certain que, même si l’auteur du transfert est le bénéficiaire de la fiducie, le titre [en common law] a été transféré au fiduciaire. Il s’agit donc là d’un transfert de biens pour l’application du paragraphe 160(1), qui, après tout, a entre autres pour objet d’empêcher l’auteur du transfert de cacher ses biens, y compris derrière une fiducie, pour éviter que l’ARC ne les saisisse. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’intimée selon lequel Mme Davies a conservé le titre de bénéficiaire des sommes déposées.

 

[29]         À la lumière de la décision rendue dans Livingston, l’interprétation que je donne de l’argument de l’appelante est que cette dernière croit que la valeur du titre en common law est nulle. Avant le transfert de l’intérêt de M. Le dans le bien à l’appelante, les époux détenaient le bien en tant que tenants conjoints et, après le transfert, l’appelante était propriétaire à 100 % du titre en common law. L’appelante a soutenu qu’elle a toujours été la propriétaire bénéficiaire et que M. Le n’est devenu tenant conjoint que pour faciliter l’obtention de financement. En conséquence, le transfert de 2007 du titre en common law de M. Le n’avait aucune valeur.

 

[30]         Compte tenu de la preuve dont je suis saisie, je dois conclure que l’époux de l’appelante détenait non seulement un titre en common law en tant que tenant conjoint, mais aussi un intérêt bénéficiaire dans le bien. Les faits en l’espèce sont semblables à ceux dont j’étais saisie dans l’affaire Campbell c. La Reine, 2009 CCI 431, 2009 D.T.C. 1290. M. Le a effectué les paiements hypothécaires aussi bien avant qu’après le transfert de 2007, il a bénéficié de la jouissance et de la possession du bien d’une façon continue et, en tant que co-débiteur hypothécaire, il a assumé les risques financiers habituels liés à ce bien. En fait, l’appelante a déclaré qu’elle avait enlevé le nom de son mari du titre du bien parce qu’elle voulait vendre le bien et qu’elle ne voulait pas que son mari participe à la vente, vu qu’il était malade. Cet argument contribue à démontrer que l’époux de l’appelante avait un intérêt bénéficiaire dans le bien. L’époux de l’appelante avait aussi participé activement à l’inspection et à l’achat du bien, et il avait présenté l’appelante au courtier en immeubles, au notaire et au courtier en hypothèques, lesquels l’appelante avait finalement engagés et sur lesquels elle avait compté pour réaliser l’achat.

 

[31]          À part le témoignage de l’appelante, aucun document bancaire n’a été produit pour appuyer l’argument de l’appelante selon lequel M. Le avait été ajouté comme co‑débiteur hypothécaire pour permettre à l’appelante d’obtenir un financement. Plus important encore, l’époux de l’appelante ne s’est pas présenté à l’audience pour témoigner quant à son intention et à sa compréhension des opérations en question. Le courtier hypothécaire n’a pas non plus été appelé pour confirmer l’argument de l’appelante selon lequel la banque avait informé cette dernière sur le fait que son mari était nécessaire en tant que co‑débiteur, parce que l’appelante ne remplissait pas les conditions pour obtenir un financement à son propre compte. L’appelante aurait aussi pu appeler à témoigner le notaire public pour corroborer sa preuve concernant l’intention sous‑jacente aux documents de transfert et à la signature de ces documents. Il subsiste de nombreuses questions sans réponse qui auraient pu être résolues par le témoignage de toutes ces personnes ou de certaines d’entre elles. Aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle ces personnes n’ont pas été appelées à témoigner et, par conséquent, ce défaut amène à tirer une déduction défavorable selon laquelle la preuve n’a pas été produite parce qu’elle aurait pu compromettre l’issue de l’appel interjeté par l’appelante.

 

[32]         L’argument de l’appelante selon lequel son époux a été ajouté comme co‑débiteur pour l’aider à obtenir un financement n’est pas compatible avec sa preuve selon laquelle elle avait prêté environ 60 000 $ à son époux parce qu’il avait de sérieuses difficultés financières. Si cela est vrai, le fait d’ajouter le nom de M. Le en tant que co‑débiteur n’aurait pas été utile à l’appelante. Là encore, le témoignage de M. Le quant à sa compréhension du type d’intérêt qu’il avait dans le bien qu’il avait finalement transféré en 2007 à son épouse, ainsi que sa preuve sur les détails des prêts que l’appelante a déclaré lui avoir consentis, aurait été très précieux. La Cour ne dispose que des éléments de preuve présentés par l’appelante concernant ces prêts consentis à M. Le. L’appelante n’a gardé aucun registre contemporain pour consigner les prêts, sauf des relevés bancaires sur lesquels sont cochés des retraits en espèces qu’elle a supposé avoir remis à M. Le. L’appelante a déclaré avoir consenti ces prêts à M. Le à une époque où il ne lui restait que très peu de revenus disponibles. Finalement, lorsqu’elle a eu des inquiétudes à propos du remboursement de M. Le, elle a fait en sorte qu’il soit tenant conjoint à l’achat du bien. Rien ne permet de conclure qu’une déclaration de fiducie ait été envisagée à quelque moment que ce soit, ce qui aurait corroboré l’argument de l’appelante. Aucun des documents produits en preuve ne comporte une indication quelconque selon laquelle M. Le détenait l’intérêt qu’il avait dans le bien en fiducie pour le compte de l’appelante.

 

[33]         En résumé, toutes les conditions ou conditions préalables à l’application de l’article 160 de la Loi à l’égard du transfert du bien en question ont été remplies en l’espèce. Pour ces motifs, l’appel est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Fredericton (Nouveau‑Brunswick), ce 9e jour d’août 2011.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour d’octobre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 380

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-2577(IT)G

 

INTITULÉ :                                       LIEU TRUONG

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE l’AUDIENCE :                  Les 9 et 10 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Laura Zumpano

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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