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Dossier : 2009-1756(IT)G

 

ENTRE :

DONNA MCMILLAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 4 juillet 2011 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me James N. Aitchison

Avocat de l’intimée :

MAmit Ummat

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés par l’appelante à l’égard des nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés, sans dépens. Les appels interjetés par l’appelante à l’égard des nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2004 et 2005 sont accueillis, sans dépens, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la perte subie par l’appelante dans le cadre de l’exploitation de son entreprise était de 2 881 $ en 2004 et de 8 492 $ en 2005.

 

       Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 24e jour d’août 2011.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2011 CCI 393

Date : 20110824

Dossier : 2009-1756(IT)G

ENTRE :

DONNA MCMILLAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              L’appelante exploitait une entreprise en République dominicaine en 2002, en 2003, en 2004 et en 2005. Elle a produit ses déclarations de revenus au Canada pour ces années, et elle a déclaré qu’elle avait subi des pertes d’entreprise dans chacune de ces années. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a réduit les pertes subies par l’appelante pour l’année 2002, et a refusé la déduction demandée à l’égard des pertes subies pour chacune des trois autres années. L’ARC a soutenu au départ que l’appelante n’exploitait pas d’entreprise. Avant le début de l’audience, l’intimée a reconnu que l’appelante exploitait une entreprise, et cette question ne faisait donc plus l’objet du litige en l’espèce.

 

[2]              L’avocat de l’appelante a reconnu, au début de l’audience, que la nouvelle cotisation pour 2002 découlait d’une erreur d’écriture commise par l’appelante ou son comptable, et il a affirmé que, par conséquent, l’appelante n’entendait plus poursuivre l’appel en ce qui a trait à l’année d’imposition 2002. Ainsi, les seules nouvelles cotisations examinées à l’audience sont celles qui portent sur l’obligation fiscale de l’appelante pour les années 2003, 2004 et 2005, et les seules questions en litige, en l’espèce, consistent à savoir si les montants déduits à titre de « dépenses » ont été engagés par l’appelante et, dans l’affirmative, si ces montants ont été engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[3]              Les hypothèses émises par le ministre pour établir les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante sont énoncées au paragraphe 9 de la réponse. Il s’agit des hypothèses suivantes :

 

[traduction]

 

En établissant ainsi les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante, le ministre a, entre autres, émis les hypothèses suivantes :

 

a)      Pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005, le revenu brut, le revenu net, les dépenses et les pertes déclarés sont reproduits à l’annexe « A » ci‑jointe;

 

b)      Pendant la période pertinente, l’appelante n’exploitait pas d’entreprise en République dominicaine;

 

c)      Pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005, l’appelante n’a pas subi de pertes d’entreprise de 2 727 $, de 14 171 $, de 30 711 $ et de 12 206 $, respectivement;

 

d)      L’appelante n’a engagé aucune dépense relativement à l’exploitation d’une entreprise;

 

e)      Si l’appelante a engagé des dépenses, elle ne les a pas engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise;

 

f)        Les montants dont la déduction a été refusée n’étaient pas raisonnables dans les circonstances.

 

[4]              Étant donné que l’intimée a reconnu que l’appelante exploitait une entreprise, l’hypothèse énoncée à l’alinéa b) n’est plus de mise. L’annexe « A » de la réponse fait état des montants suivants pour les années 2003, 2004 et 2005[1] :


 

2003

2004

2005

Revenu brut

6 675 $

13 351 $

4 103 $

Revenu net

1 112 $

(2 881 $)

(8 492 $)

Dépenses

15 283 $

27 830 $

3 715 $

Pertes

(14 171 $)

(30 711 $)

(12 206 $[2])

 

[5]              Le montant désigné comme « revenu net » est la marge brute obtenue par la différence entre le coût des marchandises vendues et le revenu brut. Ce point n’est ni expliqué ni abordé dans la réponse, mais il ressort clairement des États des résultats des activités d’une entreprise produits à l’audience. Les questions qui se posent sont formulées dans la réponse de la manière suivante :

 

[traduction]

 

La question est de savoir si l’appelante a engagé ou effectué des dépenses relativement à une entreprise, et, dans l’affirmative, si l’appelante a engagé ces dépenses en vue de tirer un revenu d’une entreprise.

 

[6]              Il me semble que les seules questions soulevées dans la réponse portent sur les éléments désignés comme « dépenses » à l’annexe « A ». Il ne me semble pas que l’intimée ait soulevé une quelconque question relative au coût des marchandises vendues. Le seul énoncé qui pourrait porter à croire que l’intimée contestait les montants déduits relativement au coût des marchandises vendues pour 2003, 2004 ou 2005 est la mention contenue à l’alinéa 9c) de la réponse, dans l’hypothèse selon laquelle l’appelante n’a pas subi des pertes d’entreprise de 14 171 $, de 30 711 $ et de 12 206 $ en 2003, en 2004 et en 2005, respectivement. Pour 2003, les pertes de 14 171 $ ne sont survenues qu’après la soustraction des dépenses supplémentaires de 15 283 $ du revenu net de 1 112 $. En refusant la déduction de la perte de 14 171 $ pour 2003, l’intimée doit donc avoir accepté que la totalité du coût des marchandises vendues et une partie des dépenses supplémentaires soient déduites. Pour 2004 et 2005, le coût des marchandises vendues a entraîné une perte avant la prise en compte des dépenses supplémentaires. Toutefois, si le coût des marchandises vendues n’est pas déductible, l’appelante n’aurait pas subi de perte, mais aurait plutôt réalisé un profit dans l’exploitation de son entreprise.

 

[7]              Si l’intimée entendait contester le montant du coût des marchandises vendues, elle aurait dû aborder clairement ce point dans la réponse. Le fait de se contenter d’émettre l’hypothèse, à l’alinéa 9c) de la réponse, que l’appelante n’a pas subi les pertes ne répond pas à cette exigence, étant donné que l’intimée avait aussi supposé que l’appelante n’exploitait pas d’entreprise. Si l’appelante n’avait pas exploité d’entreprise, alors il n’y aurait eu aucune perte à déduire.

 

[8]              À l’alinéa 9d) de la réponse, il est déclaré que « [l’]appelante n’a engagé aucune dépense[3] […] ». Les seules autres mentions de « dépenses » dans toutes les hypothèses se trouvent à l’alinéa 9a) (où il est simplement mentionné que les « dépenses » déclarées figurent à l’annexe « A », qui est incorporée par renvoi). Les seuls montants désignés comme « dépenses » sont les dépenses supplémentaires mentionnées à l’annexe « A », lesquelles ont été déduites de la marge brute dans les États des résultats des activités d’une entreprise. Il ressort clairement des États des résultats des activités d’une entreprise que les « dépenses » de 15 283 $ pour 2003 ne comportent pas le coût des marchandises vendues pour 2003, que les « dépenses » de 27 830 $ pour 2004 ne comportent pas le coût des marchandises vendues pour 2004 et que les « dépenses » de 3 715 $ pour 2005 ne comportent pas le coût des marchandises vendues pour 2005. Il n’y a aucune mention du coût des marchandises vendues à l’annexe « A » ou où que ce soit ailleurs dans la réponse. Le coût des marchandises vendues est le montant non dévoilé duquel on soustrait le « revenu brut » déclaré à l’annexe « A » pour obtenir le « revenu net » déclaré à la même annexe. Il me semble évident que les seuls points que l’intimée contestait étaient les dépenses supplémentaires figurant à l’annexe « A » et non le coût des marchandises vendues.

 

[9]              Le juge Rothstein (tel était alors son titre), s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt The Queen v. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 DTC 5512, a fait les observations suivantes :

 

[23] Alléguer l’existence d’hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il lui faudra prouver.

 

[10]         Le contenu de la réponse n’est précis et exact à l’égard d’aucune des questions portant sur le coût des marchandises vendues. Par le fait qu’elle n’a pas mentionné de façon précise et exacte qu’elle contestait le coût des marchandises vendues, l’intimée ne peut pas contester ce coût à l’audience. Selon les principes d’équité procédurale, l’intimée devrait modifier la réponse si elle entend contester le coût des marchandises vendues.

 

[11]         Le revenu (ou la perte) de l’appelante se présenterait de la manière suivante, si seul le coût des marchandises vendues était déduit du revenu brut :

 

 

2003

2004

2005

Revenu brut

6 675 $

13 351 $

4 103 $

Coût des marchandises vendues

5 563 $

16 232 $

12 594 $

Revenu (perte)

1 112 $

(2 881 $)

(8 492 $)[4]

 

[12]         Comme l’intimée n’a soulevé dans la réponse aucune question relativement au coût des marchandises vendues, la déduction des pertes établies pour 2004 et 2005 obtenues par la différence entre le coût des marchandises vendues et le revenu brut est admise.

 

[13]         Ainsi qu’il a été souligné ci‑dessus, en refusant la perte déduite pour 2003 (et en concluant par là que le revenu net pour 2003 était nul), l’intimée admet des dépenses supplémentaires de 1 112 $ pour 2003. La question en litige est alors de savoir si l’appelante a le droit de déduire en totalité ou en partie, dans le calcul du revenu tiré de son entreprise, les montants suivants désignés comme dépenses dans les États des résultats des activités d’une entreprise, et qui ont été refusés par l’ARC :


 

2003

2004

2005

Publicité

 

 

134 $

Entretien et réparations

831 $

831 $

 

Frais afférents à un véhicule à moteur

1 793 $

2 455 $

 

Frais de bureau

 

9 105 $

 

Fournitures

9 119 $

9 119 $

 

Frais juridiques, frais comptables et autres honoraires professionnels

 

3 044 $

 

3 044 $

 

119 $

Loyer

 

 

710 $

Téléphone et services publics

496 $

498 $

 

Déduction pour amortissement fiscal

 

2 778 $

2 752 $

Total des dépenses

15 283 $

27 830 $

3 715 $

Montant admis par l’ARC

(1 112 $)

 

 

Montant refusé par l’ARC

14 171 $

27 830 $

3 715 $

 

[14]         Très peu d’éléments de preuve ont été présentés à l’audience du présent appel relativement aux montants déduits à titre de dépenses (y compris les déductions pour amortissement fiscal). Bien que l’audition de l’affaire ait été inscrite pour deux jours, le seul témoin à l’audience était l’appelante. Le témoignage de l’appelante était bref et consistait en une description générale de l’entreprise qu’elle exploitait en République dominicaine, et en une assertion à caractère général selon laquelle les montants déduits étaient corrects. Même si l’appelante a décrit ses activités comme étant constituées de différentes entreprises, un seul État des résultats des activités d’une entreprise a été inclus dans sa déclaration de revenus pour chaque année. Tous les revenus et toutes les déductions demandées au titre des dépenses pour une année précise ont été consolidés dans l’unique État des résultats des activités d’une entreprise préparé pour cette année‑là.

 

[15]         L’appelante a décidé de déménager en République dominicaine en 2001 et elle y a démarré sa première entreprise en septembre 2001. Comme elle n’était pas une résidente de la République dominicaine à ce moment‑là, elle avait dû inscrire l’entreprise au nom de son petit ami. Au cours des quelques années qui ont suivi, l’appelante louait des chaises de plage, des voitures et des scooters et vendait des boissons (des boissons gazeuses et des boissons alcoolisées), des cigarettes, des T‑shirts et des serviettes. L’appelante a signalé que les personnes qui travaillaient pour elle et qui installaient les chaises louées à des clients étaient rémunérées cinquante cents par chaise, et que ce montant était versé en espèces. Les chaises étaient louées à deux dollars.

 

[16]         L’appelante a expliqué que la plupart des opérations effectuées en République dominicaine étaient faites en espèces. Elle a aussi mentionné qu’une bonne partie des fournitures de bureau et du matériel de réparation des chaises était achetée au Canada. Elle emportait ces articles en République dominicaine lorsqu’elle y retournait. L’appelante a précisé qu’elle avait des reçus pour les articles achetés au Canada, mais aucun de ces reçus n’a été présenté à l’audience.

 

[17]         À son retour en République dominicaine après un voyage qu’elle avait effectué au Canada, l’appelante a découvert que son ancien petit ami avait vendu une de ses entreprises. Elle a alors engagé des procédures judiciaires contre son ancien petit ami. Il a fallu un certain nombre d’années pour que l’affaire soit réglée. Parmi les questions soulevées dans les instances judiciaires se trouvait la vente de l’entreprise en question par l’ancien petit ami de l’appelante. Cette dernière a déclaré que le tribunal avait confirmé que son ancien petit ami n’avait pas le droit de vendre l’entreprise entière sans son consentement, et que, par conséquent, le tribunal avait ordonné que l’entreprise ou une partie de l’entreprise lui soit restituée.

 

[18]         Le comptable de l’appelante a été interrogé hors cour en application de l’article 119 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »). La transcription faite lors de son interrogatoire préalable a été présentée à l’audience. L’interrogatoire du comptable par l’avocat de l’appelante consistait en des questions d’ordre général portant sur la préparation des États des résultats des activités d’une entreprise et sur la question de savoir si les montants qui y figuraient étaient corrects. Ni l’appelante ni son comptable n’ont donné d’explications à l’égard des articles pour lesquels les dépenses avaient été déduites. Aucun reçu à l’appui des montants déduits n’a été présenté à l’audience.

 

[19]         Dans la décision Wiens c. La Reine, 2011 CCI 152, j’ai analysé la décision de la juge L’Heureux‑Dubé de la Cour suprême du Canada rendue dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. v. Her Majesty the Queen, [1997] S.C.J. no 62, et la décision subséquente rendue par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Northland Properties Corp. v. British Columbia, 2010 BCCA 177, 319 D.L.R. (4e) 334. Ainsi que je l’avais fait observer dans la décision Wiens, il me semble que la conclusion à tirer est simplement que l’appelante a la charge initiale de prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est‑à‑dire selon toute vraisemblance) l’inexactitude de l’une ou l’autre des hypothèses que le ministre a émises pour établir la cotisation (ou la nouvelle cotisation) dont l’appelante a fait l’objet et à laquelle l’appelante ne souscrit pas.

 

[20]         En l’espèce, deux des hypothèses qui ont été émises sont les suivantes :

 

d)    l’appelante n’a engagé aucune dépense relativement à l’exploitation d’une entreprise;

 

e)    Si l’appelante a engagé des dépenses, elle ne les a pas engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise;

 

[21]         Étant donné que l’intimée a supposé que l’appelante n’avait engagé aucune dépense relativement à l’exploitation d’une entreprise, l’appelante avait la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait engagé les dépenses dont elle demandait la déduction. Si l’appelante est capable d’établir que ces dépenses ont été engagées, elle devrait aussi démontrer que les dépenses ont été engagées en vue de gagner un revenu. Même si j’ai retenu, compte tenu seulement des déclarations selon lesquelles tous les montants étaient corrects et justifiés par des reçus (qui n’ont pas été présentés à l’audience), le fait que l’appelante avait engagé des dépenses égales ou supérieures aux montants déduits à titre de dépenses, cela ne règle pas la question concernant la nature des biens ou des services qui ont été acquis. Si la nature des biens ou des services qui ont été acquis est inconnue, il est impossible de déterminer si les dépenses ont été engagées en vue de gagner un revenu.

 

[22]         Lors du contre‑interrogatoire de l’appelante, les propos suivants ont été échangés entre l’avocat de l’intimée et l’appelante relativement au montant déduit au titre des fournitures pour 2003 :

 

          [traduction]

 

Q.   Mme McMillan, reportons‑nous aux fournitures; c’est la ligne 8811. Vous avez une dépense de fournitures de plus de 9 000 $. À quoi cela se rapporte‑t-il?

 

R.    C’était une accumulation de reçus. C’est le total de tous les reçus qui se rapportent aux fournitures.

 

Q.   Comme quoi?

 

R.    En 2003? Cela pouvait être des T‑shirts, des serviettes, des chaises de jardin. Ça pouvait être de petites choses comme […] la bière, les boissons gazeuses. Je veux dire, ça pouvait être […] Je le dis de mémoire, maintenant, et j’aurais besoin d’y jeter un coup d’œil. Il pouvait donc s’agir de nombreux articles.

 

[23]         On peut supposer que les montants dépensés pour des T‑shirts, des serviettes, de la bière et des boissons gazeuses auraient été inclus dans le coût des marchandises vendues. Le montant dépensé pour les chaises de jardin aurait vraisemblablement été inclus dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie d’actifs concernée (vraisemblablement la catégorie 8).

 

[24]         Lors du contre‑interrogatoire de l’appelante, les propos suivants ont été échangés entre l’avocat de l’intimée et l’appelante relativement au montant déduit au titre des dépenses de bureau et des fournitures pour 2004 :

 

          [traduction]

 

Q.   Mme McMillan, passons maintenant à vos déclarations de revenus pour 2004, à l’onglet 2. C’est votre déclaration de revenus?

 

R.    Oui.

 

Q.   Voudriez-vous vous reporter à l’État des résultats des activités d’une entreprise. Comme je l’ai signalé, je ne vais pas passer en revue chaque dépense, mais je veux analyser certaines dépenses importantes. Par exemple, vous avez des dépenses de bureau de plus de 9 100 $; c’est à la ligne 8810, Mme McMillan.

 

R.    Oui.

 

Q.   Pouvez-vous me dire à quoi cela se rapporte?

 

R.    Pas de façon précise.

 

[…]

 

Q.   Alors, qu’est-ce que vous en dites au juste, Mme McMillan?

 

R.    Ce que je dis, c’est que je n’ai aucune idée de ce qui compose cette somme de 9 000 $ parce qu’il s’agit d’une accumulation de tout un tas de […] il pouvait s’agir d’un logiciel, cela pouvait être n’importe quel type d’article. Mais je ne dis pas que le capital en fait partie.

 

Q.   Mais vous n’en avez pas la certitude, n’est‑ce pas?

 

R.    Je ne sais pas exactement ce qui entre dans cette somme.

 

Q.   Oui, vous ne savez pas ce qui entre dans cette somme. Qu’en est‑il des fournitures? Ce serait la même chose, probablement, pour l’année précédente, vos stocks en quelque sorte?

 

R.    Non, pas des stocks. Je n’avais pas de stocks. Je vous l’ai dit, je n’avais pas de stocks. Il n’y a pas de stocks.

 

Q.   En quoi consistaient alors les fournitures?

 

R.    Ceci? Je ne sais pas.

 

[25]         Le fait pour l’appelante de déclarer simplement à l’audience qu’elle ne connaît le contenu d’aucune catégorie ne suffit pas pour prouver que les montants ont été engagés en vue de gagner un revenu. Le témoignage hors cour du comptable ne fut d’aucune aide et n’a fourni aucune précision supplémentaire relativement à la nature des marchandises ou des services acquis (dont le coût a été déduit à titre de dépense), ou à la manière dont de telles marchandises ou de tels services se rapportaient à l’entreprise.

 

[26]         L’appelante n’a tout simplement produit aucun élément de preuve à l’audience concernant la nature des fournitures qui avaient été achetées pour 9 119 $ en 2003 et pour le même montant en 2004. Rien n’indique non plus dans le témoignage du comptable la nature des fournitures qui ont été achetées. Aucun élément n’explique comment les frais afférents à un véhicule à moteur se rapportaient à l’exploitation de l’entreprise ni comment les montants déduits à titre de frais afférents à un véhicule à moteur ont été calculés. Aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle le loyer avait été déduit pour une année seulement (2005) ou quant à ce qui avait été loué juste pour cette seule année. Il n’y a aucune indication de ce qui est inclus dans les dépenses de bureau de 9 105 $ déduites pour 2004 ou de la raison pour laquelle y a eu une déduction au titre des dépenses de bureau pour une année seulement. Aucune justification n’a été fournie pour expliquer pourquoi une entreprise qui avait enregistré des ventes de 13 351 $ en 2004 dépenserait 9 105 $ en frais de bureau et 9 119 $ en fournitures pour cette année‑là. Il y a peu d’explications, voire aucune, à l’égard des divers montants.

 

[27]         L’appelante a déclaré qu’elle rémunérait ses travailleurs 50 cents par chaise louée. Toutefois, aucune déduction au titre de cette dépense ne ressort clairement dans les États des résultats des activités d’une entreprise produits par l’appelante. L’appelante a aussi déclaré qu’elle avait payé des cotisations à diverses associations, mais, là encore, il est impossible de déterminer sous quelle rubrique des dépenses ce montant aurait été inscrit.

 

[28]         À mon avis, l’appelante aurait engagé des dépenses dans l’exploitation de son entreprise. Toutefois, le seul élément de preuve présenté par l’appelante consistait en ses assertions à caractère général selon lesquelles les États des résultats des activités d’une entreprise reflétaient avec exactitude les dépenses qu’elle avait engagées. Les déclarations du comptable ne fournissent pas plus de précisions à l’égard des marchandises et des services acquis.

 

[29]         L’appelante n’a présenté aucun reçu à l’appui des dépenses qu’elle a effectuées. Elle a clairement affirmé qu’elle avait les reçus, mais aucun reçu n’a été produit en preuve. Chacun des avocats a noté l’absence de reçus. L’avocat de l’intimée a à maintes reprises évoqué le fardeau de la preuve qui incombe à l’appelante, et l’avocat de l’appelante a à plusieurs reprises déclaré qu’il s’agissait d’une audience et non d’une vérification. Bien qu’il soit correct de dire qu’il s’agit d’une audience et non d’une vérification, comme cela a été déjà souligné, il incombait à l’appelante d’établir qu’elle avait engagé les dépenses dont la déduction a été demandée et que les dépenses avaient été engagées en vue de gagner un revenu.

 

[30]         Dans l’arrêt Bernardi (c.o.b. Bruno’s Pizzeria & Main Street Billiards) v. Guardian Royal Exchange Assurance Co., [1979] O.J. no 553, le juge Blair, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Cour suprême de l’Ontario, a fait les observations suivantes :

 

          [traduction]

 

28     […] Lorsque l’administration de la preuve sur un point incombe à une partie, l’omission de cette partie de produire, dans certaines circonstances, des éléments de preuve nécessaires pour étayer ses prétentions justifie la déduction défavorable d’un tribunal de ce que la preuve du témoin qui aurait été appelé à l’audience aurait été défavorable à la partie. Le principe général sur lequel se fonde la règle est énoncé dans l’ouvrage Wigmore on Evidence, (3éd.) Vol. II, à la page 162, de la manière suivante :

                        [traduction]

L’omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer – ce qui est la déduction la plus naturelle – que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d’une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s’ils avaient été présentés, auraient mis au jour des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être faites à juste titre qu’à certaines conditions; de plus, il est toujours possible qu’elles s’expliquent par des circonstances qui rendent plus naturelle une autre hypothèse que la crainte de divulgation. Cependant, le bien‑fondé de pareille déduction en général n’est pas remis en question.

 

[31]         L’extrait ci‑dessus, tiré d’une édition antérieure de l’ouvrage Wigmore on Evidence, a été cité avec approbation par le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans l’arrêt Milliken & Co. v. Interface Flooring Systems (Canada) Inc., 251 N.R. 358, [2000] A.C.F. no 129 (CAF).

 

[32]         Dans la décision Chrabalowski c. La Reine, 2004 CCI 644, [2005] 1 C.T.C. 2054, le juge Bowman, alors juge en chef adjoint, a fait les observations suivantes :

 

9     L’appelant s’est présenté devant la Cour avec une grosse boîte de reçus. Ces reçus étaient groupés en liasses et les rubans d’additionneuse y étaient joints. Contrairement aux allégations selon lesquelles les autorités fiscales n’ont pas tenu compte des éléments de preuve de l’appelant ou ont traité l’appelant d’une façon inéquitable, je conclus que Mme Lo, la répartitrice de l’impôt qui s’est occupée du dossier, a sérieusement et consciencieusement tenté de rapprocher les déductions et les reçus et qu’elle a amplement donné à l’appelant la possibilité d’organiser les reçus d’une façon ordonnée et compréhensible. Mme Lo a cité plusieurs cas dans lesquels elle a tenté de rapprocher les reçus et les montants qui ont été déduits sous des rubriques précises, mais elle n’a pas réussi à le faire.

 

10     Comme la présente cour l’a dit à plusieurs reprises, il n’est pas nécessaire que des pièces justificatives ou des reçus soient fournis pour toutes les dépenses déclarées à titre de déductions, à condition que les dépenses soient établies au moyen d’autres éléments de preuve crédibles. Toutefois, je ne crois pas que l’appelant ait même satisfait au critère préliminaire fort peu rigoureux selon lequel il doit prouver sa cause d’une façon que je considère appropriée. Il vaut la peine de répéter ce qui a été dit dans la décision Merchant v. The Queen, 98 DTC 1734 (C.C.I.) :

                                                                       

[7] Lorsqu’il faut établir un grand nombre de documents, comme des factures, on gaspille le temps de la Cour en les présentant en preuve l’un après l’autre. L’approche préconisée dans Wigmore on Evidence (3e éd.), vol IV, s. 1230, s’impose :

                     [traduction]

s. 1230(11) : [...] Lorsqu’il serait uniquement possible d’établir un fait en examinant un grand nombre de documents composés de nombreux états détaillés – comme le solde net résultant des pièces que le trésorier a accumulées au cours de l’année ou les comptes d’un grand livre de banque pour l’année – il est évident qu’il ne serait bien souvent pas question d’appliquer le principe dont il est ici question en exigeant la production d’une masse de documents et d’inscriptions que le jury doit examiner ou qu’il faut lire au jury. Pour plus de commodité, les audiences exigent qu’on permette la présentation d’autres éléments de preuve, sous la forme du témoignage d’une personne compétente qui a examiné la masse de documents et qui expliquera sommairement le résultat net. La légitimité de cette pratique est établie.

 

[8] Le juge d’appel Wakeling, dans l’arrêt Sunnyside Nursing Home v. Builders Contract Management Ltd. et al., (1990) 75 S.R. 1, à la page 24, (C.A. Sask.), et le juge MacPherson, dans le jugement R. v. Fichter, Kaufmann et al., 37 S.R. 128 (B.R. Sask.), à la page 129, ont cité ce passage en l’approuvant. Je souscris respectueusement à leur avis.

 

Il aurait été approprié dans ce cas-ci d’employer sous une certaine forme la méthode approuvée par Wigmore.

 

[33]         L’appelante n’avait pas besoin de fournir chaque reçu, mais elle aurait dû prouver qu’elle avait engagé les dépenses et qu’elle les avait engagées en vue de gagner un revenu, au moyen d’autres éléments de preuve crédibles. Les assertions à caractère général faites par l’appelante et son comptable ne sont pas suffisantes étant donné l’absence de pièces justificatives précisant la nature des marchandises et des services qui ont été acquis. Si quelques reçus avaient été produits, ceux‑ci auraient été utiles pour déterminer la nature des marchandises ou des services acquis relativement aux diverses dépenses déduites. Il me semble qu’il est possible de tirer une déduction défavorable de l’omission de l’appelante de produire en preuve des reçus, et cette déduction tient au fait que les reçus n’auraient pas justifié les montants déduits ou au fait que les marchandises ou les services acquis n’avaient pas été acquis en vue de gagner un revenu.

 

[34]         Aucune déduction pour amortissement n’a été demandée pour 2003. Des déductions pour amortissement ont été demandées pour 2004 et pour 2005. Aucun actif immobilisé ne figure sur la liste des immobilisations annexée à l’État des résultats des activités d’une entreprise pour 2003. À l’annexe des immobilisations pour 2004 figure un solde d’ouverture de la fraction non amortie du coût en capital pour les catégories 8, 10 et 13. Aucune explication n’a été fournie relativement au fait que la liste ne faisait pas état d’actifs immobilisés pour 2003, mais qu’un solde d’ouverture y figurait pour des actifs de trois catégories en 2004. Bien qu’une déduction pour amortissement soit une déduction discrétionnaire, s’il existe des biens amortissables, ils devraient figurer à l’annexe des immobilisations même si aucune déduction pour amortissement n’est demandée pour l’année. L’appelante n’a fourni aucun renseignement pour justifier les montants inscrits comme solde d’ouverture de la fraction non amortie du coût en capital de ses biens amortissables au début de l’année 2004. Il me semble aussi qu’il est possible de tirer une déduction défavorable de l’omission de l’appelante de produire en preuve tout document ou reçu visant à justifier les montants relatifs à la fraction non amortie du coût en capital des biens amortissables. L’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les montants figurant dans les annexes des biens amortissables préparées pour 2004 et 2005 sont corrects.

 

[35]         De même, concernant les montants déduits au titre de frais juridiques pour 2003 et 2004, l’appelante n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants pour justifier la déduction demandée. En tout état de cause, dans la mesure où ces montants se rapportent à la réclamation faite par l’appelante en vue d’obtenir une restitution des biens de son entreprise vendus par son ancien petit ami, ces paiements seraient imputables au capital étant donné qu’ils seraient rattachés à la nouvelle acquisition d’un actif immobilisé, c’est‑à‑dire son intérêt dans l’entreprise ou dans les actifs de l’entreprise. Ces frais ne seraient donc pas déductibles en raison de l’alinéa 18(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[36]         En conséquence, les appels interjetés par l’appelante à l’égard des nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés, sans dépens. Les appels interjetés par l’appelante à l’égard des nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2004 et 2005 sont accueillis, sans dépens, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la perte subie par l’appelante dans le cadre de l’exploitation de son entreprise était de 2 881 $ en 2004 et de 8 492 $ en 2005.

 

[37]         Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 24e jour d’août 2011.

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 393

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-1756(IT)G

 

INTITULÉ :                                       DONNA MCMILLAN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 4 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 24 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me James N. Aitchison

Avocat de l’intimée :

Me Amit Ummat

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      James N. Aitchison

 

                          Cabinet :                  Aitchison Law Office

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada



[1] Le tableau fait aussi état des montants pour 2002, mais comme l’année d’imposition 2002 ne fait plus l’objet du litige, les montants qui portent sur cette année n’ont pas été inclus.

[2] Les montants inclus dans le tableau sont ceux figurant à l’annexe « A » de la réponse. Chaque montant a été arrondi au dollar près. Les pertes incluses dans la déclaration de revenus étaient de 12 206,27 $.

[3] Non souligné dans l’original.

[4] La différence entre 4 103 $ et 12 594 $ est de 8 491 $ et non de 8 492 $. Toutefois, les montants de 4 103 $ et de 12 594 $ ont tous deux été arrondis au dollar près, et lorsque les montants figurant dans l’État des résultats des activités d’une entreprise (lesquels n’ont pas été arrondis au dollar près) sont utilisés, le résultat est une perte de 8 491,53 $ qui, une fois arrondie au dollar près, devient 8 492 $.

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