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Dossier : 2010-712(CPP)

ENTRE :

INTEGRATED AUTOMOTIVE GROUP,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

d’Integrated Automotive Group 2010-713(EI),

les 15 juillet et 21 septembre 2011, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Timothy Fitzsimmons

M. Christian Orton (stagiaire)

Avocats de l’intimé :

Me Alisa Apostle

Me Jose Rodrigues

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel de la décision rendue en vertu du Régime de pensions du Canada pour la période allant du 5 janvier 2006 au 6 septembre 2007 est accueilli compte tenu du fait qu’au cours de cette période la travailleuse n’occupait pas auprès de l’appelante un emploi ouvrant droit à pension.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d’octobre 2011.

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2011.

 

Marie-Christine Gervais


 

 

 

 

Dossier : 2010-713(EI)

ENTRE :

INTEGRATED AUTOMOTIVE GROUP,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

d’Integrated Automotive Group 2010-712(CPP),

les 15 juillet et 21 septembre 2011, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Timothy Fitzsimmons

M. Christian Orton (stagiaire)

Avocats de l’intimé :

Me Alisa Apostle

Me Jose Rodrigues

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel de la décision rendue en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi pour la période allant du 5 janvier 2006 au 6 septembre 2007 est accueilli compte tenu du fait qu’au cours de cette période la travailleuse n’exerçait pas auprès de l’appelante un emploi assurable.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d’octobre 2011.

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 468

Date : 20111005

Dossiers : 2010-712(CPP)

2010-713(EI)

ENTRE :

INTEGRATED AUTOMOTIVE GROUP,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]              Il s’agit d’appels que l’appelante a interjetés à l’encontre des décisions rendues par le ministre le 30 décembre 2009, selon lesquelles Margaret Alison Smith (la « travailleuse ») exerçait auprès de l’appelante un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant la période allant du 5 janvier 2006 au 31 décembre 2008. Les appels interjetés par l’appelante se rapportent uniquement à la période allant du 5 janvier 2006 au 6 septembre 2007 (la « période »).

[2]              Les seules questions à trancher en l’espèce sont de savoir si, au cours de la période en question, la travailleuse exerçait un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi et si elle occupait un emploi ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada. Bref, il s’agit de savoir si la travailleuse avait été engagée aux termes d’un contrat de louage de services, de sorte qu’elle était une employée de l’appelante, ou si elle avait plutôt été engagée aux termes d’un contrat d’entreprise, auquel cas elle agissait à titre d’entrepreneure indépendante au cours de la période en question.

[3]              Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits qui, avec la preuve qui n’a pas été contestée, confirme d’une façon générale que l’adresse de l’appelante, une société de l’Ontario, est à Mississauga (Ontario) et que l’appelante est un important fournisseur de services de marketing auprès de clients dans l’industrie automobile, principalement des fabricants de voitures, des agences de publicité et des concessionnaires d’automobiles.

[4]              Les services de marketing offerts par l’appelante sont notamment les suivants : essais au volant, qui permettent au public ou aux clients d’autres marchés ciblés de faire l’essai de voitures et de les comparer à d’autres voitures, souvent dans des endroits différents, partout au pays; services de soutien dans le cadre de salons de l’automobile, lesquels consistent à aider les clients à transporter des véhicules jusqu’aux endroits où ont lieu les salons de l’automobile, à remettre à neuf ou à nettoyer les véhicules et à représenter le fabricant, à l’aide de son personnel, aux salons de l’automobile, et notamment à s’occuper des exigences à satisfaire en matière d’organisation et d’enregistrement; services de lancement de véhicules, qui comportent généralement l’organisation d’un événement pour les médias aux fins de la présentation des nouveaux produits des clients; services de transport d’automobiles, c’est‑à‑dire l’organisation du transport des produits des clients jusqu’aux endroits où ont lieu les événements ainsi que du lieu d’un événement à un autre; séances de photographie publicitaire, lesquelles sont habituellement organisées pour des agences de publicité et pour lesquelles il faut trouver le véhicule approprié, le transporter jusqu’à l’endroit requis, modifier au besoin le véhicule pour répondre aux fins visées ainsi qu’aller chercher les véhicules et les remettre à neuf; services de présentation, qui comportent généralement l’organisation et la gestion de présentations des véhicules des clients dans des endroits publics et privés tels que des hôtels, le Centre Air Canada, le Centre for Performing Arts et ainsi de suite; services de gestion de véhicule, dans le cadre de laquelle l’appelante s’occupe généralement d’exposer des véhicules prototypes ou autres dans le cadre d’un événement, de suivre les véhicules d’un endroit à l’autre et, d’une façon générale, de s’occuper des véhicules précis eux‑mêmes et de leur remise à neuf, l’appelante veillant d’une façon générale à nettoyer les véhicules et à les garder en parfait état, à l’intérieur et à l’extérieur, pour les événements.

[5]              Les cadres supérieurs et l’équipe de gestion de l’appelante incluaient Jason Guttman, fondateur et chef de la direction, qui effectue de nombreux voyages et qui assure le leadership et définit la vision de l’entreprise; Shane Bennett, directeur général, qui voyage également, mais qui passe la plupart de son temps au bureau et est responsable des activités quotidiennes et de la croissance stratégique de l’entreprise; Drew Black, qui était directeur des services à la clientèle au cours de la période pertinente et dont la principale responsabilité consistait à veiller à ce que les services de l’appelante soient fournis aux clients et qui était donc, au cours de la période en question, le membre de la direction qui était le plus en contact et qui interagissait le plus avec les employés de l’appelante et avec les entrepreneurs indépendants, et notamment avec la travailleuse ici en cause. M. Black n’exerce plus ces fonctions auprès de l’appelante; à l’heure actuelle, il travaille à domicile pour l’appelante, à titre d’entrepreneur indépendant.

[6]              L’appelante participe chaque année à plusieurs centaines d’événements un peu partout au Canada, et ce, même si elle est établie à Mississauga (Ontario); pour fournir ses services aux clients, elle a recours à des employés ainsi qu’à des entrepreneurs indépendants. L’entreprise de l’appelante est plutôt de nature saisonnière, en ce sens que la période de grande activité s’étend chaque année du mois de janvier au mois d’avril, cette période étant celle au cours de laquelle ont lieu les principaux salons de l’automobile et où l’appelante a davantage recours à des entrepreneurs indépendants pour des périodes plus ou moins longues, selon le niveau d’activité. La preuve présentée par l’appelante indiquait que, selon son plan d’entreprise, elle devait embaucher des employés à plein temps au fur et à mesure que ses activités non saisonnières s’intensifiaient, afin de satisfaire à la demande. C’est compte tenu de cette idée que l’on a demandé à la travailleuse de se joindre à l’appelante à titre d’employée pour son troisième contrat.

[7]              La travailleuse a travaillé pour l’appelante du 5 janvier 2006 au 14 août 2008 en vertu de trois contrats différents et, aux termes du troisième contrat, daté du 7 septembre 2007, à titre d’employée reconnue. L’appelante a effectué du travail en vertu du premier contrat, daté du 15 décembre 2005 (le « premier contrat »), lequel s’appliquait du 5 janvier au 31 juillet 2006, ainsi qu’en vertu du deuxième contrat, daté du 2 novembre 2006 (le « deuxième contrat »), lequel s’appliquait du 1er août 2006 au 31 juillet 2007, ce contrat ayant en fait, selon le témoignage de l’appelante, été prorogé jusqu’au 5 août 2007, soit avant que le troisième contrat, à savoir le contrat d’emploi, ait été signé. Aux termes des premier et deuxième contrats, dans lesquels elle était respectivement désignée à titre [traduction] d’« associée » et [traduction] d’« entrepreneure », la travailleuse devait fournir des services à la pige, lesquels incluaient les tâches et les responsabilités incombant en général à un gestionnaire de projet. Les tâches de la travailleuse semblent avoir légèrement augmenté entre le premier et le deuxième contrat, mais il n’est pas contesté que, conformément au contrat d’emploi, les tâches étaient les mêmes que celles que la travailleuse exécutait en vertu du deuxième contrat, ce contrat comportant une description un peu plus détaillée des tâches de gestion de projet incombant à la travailleuse. Toutefois, il importe de noter qu’au cours de la période dans son ensemble, les tâches mêmes de la travailleuse étaient fort similaires sinon identiques et qu’elles n’étaient pas réellement contestées; ces tâches consistaient généralement à rencontrer la direction et à s’occuper d’un projet dans le cadre des services susmentionnés fournis par l’appelante, à créer un plan aux fins de la prestation de ces services, et notamment à déterminer les services précis nécessaires, à préparer des prévisions budgétaires et la mise en œuvre du plan, qu’elle examinait ensuite avec un gestionnaire et qui faisaient l’objet de discussions, habituellement par la direction avec le client, aux fins de l’approbation du budget. Une fois que le client avait accepté, le gestionnaire de projet était chargé de mener à bonne fin les services ou le projet visés par le contrat et de préparer, pour le compte de l’appelante, les factures à envoyer aux clients. En fait, le gestionnaire de projet s’occupait du début à la fin du projet qui lui était assigné; certains gestionnaires de projet étaient des employés, alors que d’autres étaient des entrepreneurs indépendants embauchés par l’appelante, comme on l’a ci‑dessus expliqué, et ils effectuaient les mêmes tâches que celles qui ont été décrites ci‑dessus, ou des tâches similaires.

[8]              La travailleuse comptait plusieurs années d’expérience en matière de planification d’événements et l’appelante avait initialement eu recours à ses services à cause de cette expérience, qui n’était pas uniquement limitée au secteur de l’automobile. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la travailleuse est devenue une employée à plein temps aux termes du troisième contrat, qui n’est pas contesté.

[9]              La rétribution touchée par la travailleuse au cours de la période visée par le premier contrat était de 869,39 $ par semaine, sans qu’un nombre minimum d’heures de travail accordées soit stipulé, bien que la travailleuse ait témoigné qu’elle effectuait habituellement au moins une quarantaine d’heures de travail par semaine, ce qui n’a pas été contesté. La rétribution touchée en vertu du deuxième contrat était de 903,85 $ par semaine, le contrat stipulant que la travailleuse devait effectuer au moins 40 heures et qu’elle rajusterait sa facturation si elle effectuait moins de 40 heures. Les contrats ne prévoyaient rien au sujet des heures effectuées en sus de 40 heures et, selon la preuve, aucune rétribution additionnelle n’avait été versée, bien que la travailleuse eût témoigné avoir soulevé la question auprès de l’appelante à un moment donné. Il importe de noter que la travailleuse a témoigné que ces taux hebdomadaires étaient des taux concurrentiels pour des services de ce genre; un simple calcul montre que le total annuel serait d’environ 45 000 $. Selon les premier et deuxième contrats, la travailleuse remettait une facture conformément à l’entente qui avait été conclue et elle était rémunérée deux fois par mois, sans qu’aucune déduction ne soit faite pour les charges sociales ou pour d’autres retenues à la source normales. Toutefois, en vertu du contrat d’emploi, la travailleuse était rémunérée aux deux semaines au moyen d’un dépôt direct dans son compte bancaire, en fonction d’un salaire annuel de 51 000 $, et elle avait droit à des vacances payées et à d’autres avantages offerts par la société. Il n’est pas contesté que l’appelante n’a pas délivré de feuillets T4 à la travailleuse pour les deux premiers contrats, mais elle a délivré des feuillets lorsque la travailleuse travaillait en vertu du troisième contrat. La preuve montre également, ce qui n’est pas contesté, que la travailleuse n’a pas produit ses déclarations de revenus pour les années 2006 et 2007 en se fondant sur le fait que la rétribution qu’elle avait touchée aux termes des deux premiers contrats était une rétribution d’emploi reçue de l’appelante et, en fait, au cours de ces deux périodes, la travailleuse a déduit certaines dépenses pour l’utilisation d’un véhicule à moteur et pour un bureau à domicile, dépenses qu’elle n’a pas déduites pour la période visée par le troisième contrat, c’est‑à‑dire par le contrat d’emploi.

[10]         L’appelante fournissait à la travailleuse un ordinateur portatif Macintosh que les employés et les entrepreneurs indépendants travaillant pour elle utilisaient tous, à cause du logiciel spécial élaboré pour l’appelante et appartenant à celle‑ci, lequel fonctionnait sur ce système, mais la travailleuse a conclu avec l’appelante une entente concernant la propriété dans laquelle il était reconnu que l’ordinateur appartenait à l’appelante et que la travailleuse le retournerait à la fin de son contrat et en serait responsable jusqu’à concurrence de sa valeur déclarée. La travailleuse était obligée de fournir et a fourni son propre bureau à domicile ainsi qu’un ordinateur et un véhicule, mais l’appelante a témoigné que la travailleuse n’avait pas de ligne de téléphone commerciale et qu’elle utilisait plutôt un téléphone cellulaire, qui était également doté d’une radio avec émetteur‑récepteur permettant de communiquer avec l’appelante, ce téléphone ayant été fourni par l’appelante.

[11]         Il a été mis fin aux services de la travailleuse conformément à un avis de cessation d’emploi daté du 14 août 2008.

La position des parties

[12]         L’appelante prend la position selon laquelle pendant la durée des premier et deuxième contrats, la travailleuse était une entrepreneure indépendante parce que les parties voulaient établir ce genre de relation et que les critères utilisés lorsqu’il s’agit de trancher la question sur laquelle nous reviendrons ci‑dessous permettent de conclure à l’existence d’une telle relation, à savoir que l’appelante n’exerçait aucun contrôle sur la façon dont la travailleuse fournissait ses services et ne fournissait pas d’instruments de travail et qu’il existait pour la travailleuse une possibilité de profit et un risque de perte; elle affirme en fait que la réalité de la relation confirme l’intention déclarée des parties d’établir une relation d’entrepreneur indépendant, comme le prévoyaient les premier et deuxième contrats. L’intimé n’est pas d’accord et prend la position contraire, en soutenant essentiellement que les premier et deuxième contrats ne correspondaient pas à la réalité de la relation ou aux actions des parties, lesquelles, compte tenu des critères déterminants, établissent que la travailleuse était une employée.

Le droit

[13]         En examinant les facteurs à prendre en compte pour trancher la question de savoir si un travailleur est un employé ou s’il est plutôt un entrepreneur indépendant, le juge Major, de la Cour suprême du Canada, a cité en l’approuvant, au paragraphe 47 de l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, l’approche adoptée par le juge MacGuigan, de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 :

 

[...] aucun critère universel ne permet de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, [...] [mais] [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

[14]         Toutefois, au paragraphe 48, le juge Major a dit : « Ces facteurs, [...] ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire. »

[15]         Les parties ne contestent pas que l’approche suivie dans l’arrêt Wiebe Door Services, précité, souvent décrite comme étant le critère à quatre volets, en ce qui concerne la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte, a toujours été appliquée par la Cour d’appel fédérale et par la présente cour depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Sagaz, notamment dans les arrêts City Water International lnc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2006 CAF 350, et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2006 CAF 87, sur lesquels les deux parties se fondent.

[16]         Il est reconnu en droit que l’intention des parties est un autre facteur à prendre en compte, quoique les parties ne semblent pas s’entendre sur le poids pertinent à lui accorder dans le contexte du rôle qu’il joue dans le cadre de l’analyse du critère à quatre volets. L’appelante a soutenu que si l’intention des parties ressort clairement des contrats, à savoir qu’un contrat d’entreprise est en cause, comme le veut la position qu’elle a prise, le critère à quatre volets devrait être analysé compte tenu de la question de savoir si les facteurs sont compatibles avec l’entente des parties et que, dans l’affirmative, cette entente doit l’emporter. Lors de l’argumentation, l’avocat de l’appelante a reconnu que si l’analyse des facteurs donne clairement à penser qu’une relation d’employé est en cause, on peut omettre de tenir compte de l’intention déclarée des parties, mais l’avocat semble selon moi prendre la position selon laquelle il devrait exister une présomption quelconque en faveur du respect de l’intention claire des parties, à moins que le critère à quatre volets ne donne clairement à penser le contraire. L’intimé ne souscrit pas à cette approche; selon lui, il faut tout d’abord procéder à l’analyse des facteurs faisant partie du critère à quatre volets dont il est question dans l’arrêt Wiebe Door Services, précité, et ce n’est que si l’analyse ne donne aucun résultat que l’intention des parties devrait être prise en compte, et ce, uniquement si cette intention est partagée par les deux parties. L’avocate de l’intimé affirme que pareille intention mutuelle peut uniquement se voir attribuer de l’importance si elle correspond à la réalité de la relation juridique existant entre les parties. À mon avis, ces divergences de vues influent en fait sur le poids que la Cour devrait accorder à l’intention déclarée des parties, l’appelante soutenant que pareil poids devrait être tel qu’il invoque l’existence d’une présomption au sujet de l’intention des parties.

[17]         Je ne souscris pas à l’approche proposée par l’appelante, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la question a été directement examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Équipe de ski Capitale nationale Outaouais c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2008 CAF 132; au paragraphe 4, le juge Létourneau a dit ce qui suit :

 

L’appelante affirme que la juge a commis une erreur de droit en examinant d’abord la réalité de la relation entre les parties en se fondant sur les faits au lieu de commencer par vérifier si l’intention des parties était compatible avec cette réalité. J’estime que ce grief est mal fondé.

 

 

[18]         Et aux paragraphes 7 à 9, le juge a ajouté ce qui suit :

 

Au paragraphe 17 de son mémoire et à l’audience qui s’est déroulée devant nous, l’appelante a soutenu que la juge aurait dû commencer son analyse des rapports qui existaient entre les parties en présumant que M. Bélanger était un entrepreneur.

 

On crée de la confusion et on induit en erreur lorsque, s’agissant de l’intention des parties au contrat, on invoque l’existence d’une présomption parce qu’on force ainsi le ministre à réfuter cette présomption. À vrai dire, cette méthode va à l’encontre de l’économie de la loi et du système en matière d’assurabilité d’un emploi.

 

De fait, l’évaluation que le ministre fait de l’ensemble des rapports juridiques qui existent entre les parties à un contrat repose sur les hypothèses de fait que le ministre établit. Les faits présumés sont tenus pour avérés tant qu’ils n’ont pas été réfutés [...] C’est à la partie adverse [...] qu’il incombe de réfuter les hypothèses et la présomption de véracité qui s’applique aux faits tenus pour avérés [...]

[19]         Par conséquent, le tribunal d’appel a examiné l’approche proposée par l’appelante et l’a jugée inacceptable pour le motif que le fardeau de la preuve passerait de l’appelante au ministre.

[20]         Deuxièmement, je suis d’avis que les tribunaux d’appel ont bien établi le rôle joué par le facteur de l’« intention » et que le poids qu’il convient de lui accorder est conforme à la position que l’intimé a prise. Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, la juge Sharlow a dit ce qui suit, aux paragraphes 60 et 61 :

 

60. [...] La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

 

61. Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

[21]         Les conclusions inévitables susmentionnées auxquelles la juge Sharlow est arrivée sont à mon avis tout à fait compatibles avec la conclusion que le juge Major a tirée au paragraphe 48 de l’arrêt Sagaz, précité, où le juge a dit que les facteurs de l’arrêt Wiebe Door n’étaient pas exhaustifs, de sorte qu’il était reconnu qu’il y avait lieu de prendre en compte d’autres facteurs pertinents, tels que l’intention, le poids de chaque facteur dépendant des faits et des circonstances de l’affaire. Toutefois, les arrêts Royal Winnipeg Ballet et Sagaz ne donnent pas à penser que l’intention des parties, en tant que facteur, doit être dominante ou qu’il faut l’assortir d’une présomption d’applicabilité, à moins que d’autres facteurs ne l’emportent clairement. Au paragraphe 62, la juge Sharlow a clairement pris la position selon laquelle les déclarations que les parties font au sujet de la nature juridique de leur contrat ne sont pas déterminantes et qu’il n’en sera pas tenu compte si les faits ne correspondent pas à la relation déclarée, ce qui donne à penser qu’il n’existe aucune telle présomption. La même idée a été exprimée dans la décision que la Cour d’appel fédérale vient de rendre dans l’affaire TBT Personal Services Inc. c. Sa Majesté la Reine, 2011 CAF 256, sur laquelle les parties ont attiré l’attention de la Cour après l’instruction, mais avant que je fasse connaître mon jugement; dans un cas où des contrats écrits comportaient une clause indiquant que la relation en cause donnait lieu à un contrat d’entreprise, la juge Sharlow a dit ce qui suit au paragraphe 35 :

 

De telles clauses d’intention sont pertinentes, mais elles ne sont pas déterminantes. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door doivent également être examinés afin de déterminer si l’intention des parties contractantes qui semble découler des clauses d’intention se concilie avec les autres modalités du contrat et avec la relation contractuelle qui existait véritablement entre les parties.

[22]         Dans l’arrêt City Water, précité, la Cour d’appel fédérale a examiné le critère à quatre volets et les facteurs examinés n’ayant donné aucun résultat évident, elle a tenu compte du poids à accorder à l’intention mutuelle des parties. Aux paragraphes 27 et 28 de l’arrêt City Water, le juge Malone a dit ce qui suit :

 

27. Le bilan des facteurs analysés ci‑dessus ne donne pas un résultat clair. Par conséquent, il est nécessaire d’établir la valeur qu’il faudrait accorder à l’intention de City Water et des travailleurs en entretien au moment de la conclusion du contrat.

 

28. S’il peut être établi que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, sont conformes à la relation juridique que les parties souhaitaient établir, alors il ne peut être fait abstraction de leur déclaration d’intention. […]

[23]         De même, dans une décision antérieure, Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, sur laquelle la cour s’est fondée dans l’arrêt City Water, précité, paragraphe 29, le juge Noël a dit ce qui suit aux paragraphes 122 à 124 :

 

[...] Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

[…] Mon évaluation de l’ensemble de la relation entre les parties ne m’amène pas à une conclusion claire et c’est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

 

[24]         Il ressort clairement des décisions que la Cour d’appel fédérale a rendues dans les affaires Royal Winnipeg Ballet, TBT Personal Services, City Water et Wolf que, bien que la déclaration d’intention des parties soit un facteur à prendre en compte, ce facteur ne se verra accorder de l’importance que si l’analyse du critère à quatre volets, en ce qui concerne la propriété des instruments de travail et la possibilité de profit ou le risque de perte, ne donne initialement aucun résultat. Cela représente plutôt un facteur secondaire à prendre en compte après l’examen des facteurs primaires, ce qui est loin d’une présomption indiquant une intention.

[25]         La présente cour a suivi ce raisonnement et a refusé, dans les décisions A&T Tire&Wheel Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national (M.R.N.), 2009 CCI 640, et Choi c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2010 CCI 461, d’accorder quelque poids que ce soit à l’intention des parties lorsque les facteurs préconisés dans l’arrêt Wiebe Door, précité, étaient suffisamment concluants. Je note que l’affaire Vida Wellness Corporation s/n Vida Wellness Spa c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2006 CCI 534, que l’appelante a invoquée à l’appui de sa position, a été tranchée avant que la Cour d’appel fédérale rende sa décision dans l’affaire Équipe de ski Capitale nationale Outaouais, et que cette décision a par conséquent été écartée sur ce point.

[26]         Par conséquent, je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’il faut d’abord examiner les faits selon le critère à quatre volets afin de décider si possible de la relation juridique existant entre les parties, indépendamment de toute intention déclarée, et j’examinerai maintenant les facteurs pertinents en vue de répondre à la question cruciale de savoir si, dans ce cas‑ci, la travailleuse en tant que personne qui avait été engagée en vue de fournir des services, fournissait ces services à son compte.

 

Le contrôle

[27]         L’intimé prend la position selon laquelle la travailleuse était sous la supervision quotidienne directe de l’appelante au bureau principal de l’appelante et qu’elle était tenue d’effectuer chaque semaine un nombre d’heures fixe, soit 40 heures, à des heures fixes, à savoir de 9 à 17 h, qu’elle devait se présenter au lieu d’affaires de l’appelante tous les jours lorsqu’elle n’était pas sur la route ou qu’elle n’était pas chez un client, qu’elle devait porter les uniformes de l’appelante ou des clients de l’appelante et qu’elle était chaque année évaluée de la même façon qu’un employé, tout cela indiquant une relation employeur‑employé. En outre, l’intimé prend la position selon laquelle les tâches de la travailleuse étaient les mêmes en vertu des deux premiers contrats, dans lesquels elle était désignée à titre d’entrepreneure indépendante, et en vertu du troisième contrat, le contrat d’emploi; l’intimé affirme que le statut de la travailleuse n’a pas changé et que, même si les dispositions des deux premiers contrats autorisaient la travailleuse à embaucher d’autres personnes, elle était en réalité tenue de fournir ses services personnellement. De toute évidence, l’appelante n’est pas d’accord avec l’intimé sauf pour dire que les tâches d’un gestionnaire de projet étaient similaires, et ce, peu importe que celui‑ci soit un employé ou un entrepreneur indépendant, et elle n’est pas d’accord avec l’intimé pour ce qui est du degré de supervision exercé dans les deux cas et quant à l’effet qu’avaient d’autres changements sur la relation.

[28]         En ce qui concerne la question des heures effectuées et celle du lieu de travail, la première question étant également pertinente en ce qui concerne le facteur de la « possibilité de profit » sur lequel nous reviendrons ci‑dessous, je dois dire que dans le contexte de l’évaluation des questions se rapportant au facteur du « contrôle », je ne puis constater aucun élément de preuve crédible à l’appui de la prétention de l’intimé selon laquelle la travailleuse était tenue d’effectuer des heures fixes, de 9 à 17 h, 40 heures par semaine, au principal lieu d’affaires de l’appelante, ce qui donne normalement à penser que la relation est une relation d’employé. La preuve indique clairement que, même si le premier contrat ne fait pas mention d’un nombre minimum d’heures de travail, alors que le deuxième contrat stipule un minimum de 40 heures, la travailleuse effectuait en fait au moins 40 heures par semaine pour l’appelante. Selon la preuve présentée par l’appelante, si la travailleuse le faisait, c’était ce qui était nécessaire pour satisfaire à l’obligation qui lui incombait d’exécuter les services visés par le contrat. En outre, selon la preuve qu’elle a elle‑même présentée, la travailleuse travaillait souvent à la maison le soir et les fins de semaine et elle assistait à des événements pendant les fins de semaine, ce qui donne à penser qu’elle effectuait souvent plus de 40 heures, mais la travailleuse a également témoigné qu’elle prenait parfois des jours de congé et qu’elle ne facturait donc pas à l’appelante le plein taux hebdomadaire, ce qui donne à penser qu’elle n’était pas obligée de travailler de 9 à 17 h ou d’effectuer ses 40 heures au bureau. Et ce qui est encore plus important, la travailleuse a témoigné qu’elle ne se rappelait pas quel gestionnaire l’avait informée qu’elle devait être au bureau de 9 à 17 h lorsqu’elle n’était pas chez un client ou qu’elle n’était pas sur la route, soit un fait qu’il m’est difficile d’accepter étant donné que la travailleuse a témoigné qu’elle ne traitait habituellement qu’avec un seul gestionnaire, Drew Black, la plupart du temps, et parfois avec un second gestionnaire. D’autre part, les témoins de l’appelante ont tous déclaré uniformément que la travailleuse n’était pas tenue de travailler depuis le bureau et encore moins de 9 à 17 h, mais qu’il était sensé de le faire, étant donné que les heures de bureau des clients de l’appelante, qui venaient en général de la région de Toronto, étaient également les mêmes, de sorte qu’en exécutant ses tâches, la travailleuse pouvait plus facilement communiquer avec les clients à ces heures, ce qui semble fort crédible, compte tenu des tâches incombant à un gestionnaire de projet. En outre, l’intimé a reconnu dans sa réponse que la travailleuse s’acquittait de ses tâches au bureau de l’appelante ainsi qu’à la maison.

[29]         Quant à la position et aux hypothèses de l’intimé selon lesquelles la travailleuse se présentait chez l’appelante tous les jours sauf lorsqu’elle travaillait à l’endroit où un événement était tenu et que la travailleuse était supervisée par deux gestionnaires, qui lui donnaient des instructions sur la façon d’exécuter le travail, la preuve indique que les tâches d’un gestionnaire de projet obligeaient effectivement celui‑ci à s’occuper du projet du début à la fin, l’appelante approuvant les budgets, sur consultation du client, après que le gestionnaire de projet eut établi les budgets préliminaires, et assurant le soutien nécessaire ou s’occupant des plaintes des clients lorsque le gestionnaire de projet ne pouvait pas le faire. Les parties ne sont pas en désaccord en ce qui concerne les tâches d’un gestionnaire de projet, telles qu’elles ont ci‑dessus été décrites, et la travailleuse a témoigné qu’elle exécutait effectivement ces tâches. Il semble qu’une supervision directe ait été exercée uniquement dans les cas où la direction assignait un projet précis à la travailleuse et lui expliquait ce qu’il fallait faire et quelles étaient les attentes du client, ou lorsqu’il s’agissait d’approuver le plan dans son ensemble et les prévisions budgétaires préparées par la travailleuse, lorsqu’il s’agissait pour la travailleuse de faire approuver des dépenses de plus de 2 000 $ ou de rendre compte tous les jours à Drew Black, comme la travailleuse l’a déclaré, sans donner de détails précis sur ce point. D’autre part, les témoins de l’intimé ont uniformément déclaré que les entrepreneurs indépendants étaient embauchés à cause de leur expérience et de leur expertise et qu’ils devaient être en mesure de travailler sans être supervisés ou avec un minimum de supervision, comme le montrent à vrai dire les tâches d’un gestionnaire de projet, sur lesquelles les deux parties s’entendent. La travailleuse elle-même admet avoir eu plusieurs années d’expérience en matière de planification d’événements, soit la raison pour laquelle ses services avaient été retenus en premier lieu, de sorte qu’elle avait la compétence voulue pour prendre en charge les projets qui lui étaient assignés, et ce, du début à la fin, ce qui est compatible avec la preuve présentée par l’appelante, à savoir que l’on s’attendait à ce que le gestionnaire de projet mène la tâche à bonne fin.

[30]         À mon avis, la soi-disant supervision exercée par l’appelante n’est pas assimilable à une supervision quotidienne de la travailleuse ni à une supervision quant à la façon de fournir les services. Dans la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Poulin c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2003 CAF 50, le juge Létourneau a reconnu qu’il existe toujours un certain contrôle dans un contrat d’entreprise; voici ce qu’il a dit, au paragraphe 16 :

 

Au surplus, la notion de contrôle n’est pas nécessairement absente du contrat de services. Elle y apparaît généralement quoique, un peu d’ailleurs comme dans le contrat de travail, à des degrés variables, qui peuvent être toutefois surprenants en terme d’ampleur, sans que le contrat d’entreprise ne soit dénaturé pour autant. Par exemple, un contrôle quant aux lieux en général et quant aux endroits spécifiques où les travaux doivent être exécutés s’exerce sur les entrepreneurs généraux et leurs sous-traitants. Ces derniers se voient également remettre des spécifications quant aux matériaux ainsi que des plans et devis auxquels ils doivent se conformer. Les heures et horaires de travail des uns par rapport aux autres sont aussi souvent contrôlés et déterminés afin d’assurer une progression efficace et harmonieuse du chantier. Les travaux effectués par contrat de services sont aussi soumis à des contrôles d’exécution, de productivité et de qualité.

[31]         En outre, à une époque où la spécialisation prend de plus en plus d’importance, les tribunaux reconnaissent que le facteur du « contrôle » peut être moins fiable, en particulier lorsque les services d’un travailleur sont axés sur les résultats. Dans la décision Direct Care ln-Home Health Services Inc. c. Ministre du Revenu national, 2005 CCI 173, le juge Hershfield, de la Cour de l’impôt, en analysant le facteur du « contrôle », a dit ce qui suit au paragraphe 11 :

 

Toutefois, lorsque les travailleurs ont une spécialisation accrue, il se peut que ce critère soit considéré comme moins fiable. On accorde donc plus d’importance à la question de savoir si le service que le travailleur doit fournir dans le cadre de ses fonctions est simplement axé sur les « résultats »; c.àd. « voici une tâche précise vous avez été engagé pour l’exécuter ». Dans un tel cas, il n’y a pas de lien de subordination, ce qui est une exigence fondamentale pour qu’il y ait une relation employé-employeur. De plus, il ne faut pas confondre le contrôle des résultats, qui peut être exigé à chaque fois qu’un travailleur est engagé pour fournir des services, avec le contrôle ou la subordination d’un travailleur.

[32]         La présente affaire semble être exactement le genre de scénario visé par les remarques du juge Hershfield, la travailleuse se voyant assigner un projet et devant le mener à bonne fin à cause de son expertise et de son expérience en matière de gestion d’événements. On disait peut-être à la travailleuse qui était le client, quels étaient les objectifs du client et quel était le budget dont le client conviendrait en fin de compte et on lui faisait peut-être savoir où et quand la tâche devait être exécutée, comme c’était le cas pour le sous‑traitant dont le juge Létourneau faisait mention dans l’arrêt Poulin, précité, et la travailleuse était peut-être bien supervisée, mais cela ne correspond pas au degré de subordination nécessaire pour faire d’elle une employée. Comme l’avocate de l’intimé l’a signalé, dans la décision On Masse Inc. c. Ministre du Revenu national, 2010 CCI 250, le juge Webb a fait remarquer que dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet, la compagnie de ballet informait les danseurs des œuvres qui allaient être exécutées, de l’heure et du lieu des représentations et des répétitions, ainsi que des rôles qui leur étaient attribués; elle leur fournissait la chorégraphie et dirigeait les représentations, mais il avait néanmoins été conclu que les danseurs n’étaient pas des employés étant donné qu’ils apportaient à l’œuvre un élément d’expression individuelle. Je partage l’avis exprimé par le juge Webb dans la décision On Masse : le degré de contrôle exercé sur la travailleuse dans ce cas‑ci, comme dans cette affaire‑là, ne saurait être comparé à celui qui était exercé sur les danseurs dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet.

[33]         Il ressort de l’analyse qui précède que la position de l’intimé, lorsqu’il affirme que la travailleuse faisait l’objet d’évaluations annuelles, n’indique pas d’une façon concluante l’existence d’une relation employeur‑employé. L’appelante a témoigné qu’elle procédait à des évaluations annuelles de tous ses employés et de tous ses entrepreneurs indépendants étant donné qu’elle jugeait utile de leur fournir une rétroaction afin de fournir de meilleurs services à ses clients, ce qui est selon moi une pratique commerciale astucieuse. Comme le juge Hershfield l’a dit dans la décision Direct Care ln-Home Health Services, précitée, il ne faut pas confondre le contrôle de services avec le contrôle ou la subordination d’un travailleur. Comme preuve de cette relation, l’intimé signale que la signature de la travailleuse était apposée au‑dessus d’une ligne où figurait la désignation : [traduction] « employée » dans ces évaluations du rendement intitulées : [traduction] « Document concernant l’évaluation du rendement du gestionnaire de projet », mais le texte des deux évaluations montre clairement que la travailleuse n’était pas considérée comme une employée. Dans l’évaluation du 21 août 2006, l’objectif mentionné pour la travailleuse, dans le plan de développement de l’année 2007, était le suivant : [traduction] « Continuez à parfaire votre connaissance des services offerts par Integrated », en ce qui concerne les activités internes et les employés, et dans les Remarques générales, il était dit : [traduction] « Au cours des derniers mois, vous avez établi d’étroites relations avec le personnel d’Integrated [...]. » À mon avis, il importe peu que le même formulaire ait été utilisé pour les employés et pour les entrepreneurs indépendants de l’appelante; je retiens le témoignage de l’appelante lorsqu’elle a déclaré que la chose était attribuable à ses ressources restreintes.

[34]         Quant à l’argument de l’intimé selon lequel le fait que l’appelante obligeait la travailleuse à porter des uniformes indiquait qu’un contrôle était exercé sur une employée, la preuve montre que la société avait de fait fourni à la travailleuse une veste, une chemise polo et d’autres articles vestimentaires. Toutefois, la travailleuse elle-même a témoigné que c’était le client qui décidait si elle devait porter ces vêtements ou ceux du client, qui étant fournis directement par le client ou par l’entremise de l’appelante. Les clients demandaient souvent à la travailleuse et à d’autres gestionnaires de projet ou entrepreneurs indépendants et employés de l’appelante de porter leurs vêtements, pour faire connaître leur marque, lorsqu’un événement était tenu. La preuve montrait également que les vêtements fournis par l’appelante étaient portés pour faire connaître sa marque dans le cadre d’événements, lorsqu’il n’était pas nécessaire de porter ceux du client, de façon que le public puisse savoir à qui s’adresser pour obtenir de l’aide ou quels étaient les représentants disponibles. L’appelante a reconnu qu’en pareil cas, il était important d’afficher sa propre marque. Toutefois, rien ne montrait que la travailleuse ait été obligée de porter des vêtements portant la marque de l’appelante au bureau ou ailleurs, sauf pour les événements eux-mêmes. À vrai dire, il me semble que c’était en fin de compte le client qui exerçait un contrôle quant à l’uniforme que l’employé devait porter, et, même lorsque ce n’était pas le cas, l’explication que l’appelante a donnée au sujet du port de vêtements sur lesquels figurait sa propre marque, lorsque des événements étaient tenus, me semble tout à fait raisonnable, compte tenu en particulier du type d’entreprise qu’elle exploitait, le marquage constituant un élément important de la stratégie de marketing dans ce secteur d’activité. Dans ces conditions, l’obligation de porter un uniforme n’est pas déterminante pour ce qui est de la relation.

[35]         L’intimé prend également la position selon laquelle la travailleuse était obligée de travailler exclusivement et personnellement pour l’appelante, ce qui constituait une forme de contrôle donnant à penser l’existence d’une relation d’employé. Toutefois, la travailleuse a témoigné qu’en fait les premier et deuxième contrats ne lui interdisaient pas de travailler pour d’autres et qu’elle possédait les compétences voulues pour travailler pour d’autres personnes, dans la mesure où ces dernières ne faisaient pas concurrence à l’appelante, mais elle a en fait témoigné qu’étant donné qu’elle consacrait 40 heures par semaine à l’appelante, elle n’avait en fait pas le temps de travailler pour d’autres personnes et qu’en réalité, elle ne pouvait donc pas le faire. À mon avis, le fait qu’au cours de la période en question, la travailleuse fournissait ses services uniquement à l’appelante, comme elle l’a déclaré dans son témoignage, ne veut pas pour autant dire qu’elle était obligée de travailler exclusivement pour l’appelante. L’appelante a témoigné, par l’entremise de différents témoins, qu’elle pouvait le faire, comme il en était fait mention dans les premier et deuxième contrats. Dans l’affaire On Masse lnc., le travailleur, un certain Robert C. Caputi, qui était artiste, pouvait travailler pour d’autres clients, mais il passait 40 heures par semaine à travailler pour l’appelante et il a été conclu, dans ce cas‑là, que le fait que le travailleur avait décidé de ne pas travailler pour d’autres n’indiquait pas l’existence d’un lien de subordination avec l’appelante. En outre, rien n’empêchait la travailleuse, dans ce cas‑ci, d’embaucher d’autres personnes afin d’effectuer le travail pour d’autres clients, si elle le voulait. Le fait qu’un travailleur décide de ne pas travailler pour d’autres personnes alors qu’il a le droit de le faire et qu’il est en mesure de le faire devrait, en l’absence d’une preuve forte indiquant que la partie qui retient ses services lui interdit de le faire, nous amener à conclure que le travailleur peut de fait travailler pour d’autres.

[36]         Quant à la prétention et à l’hypothèse de l’intimé selon lesquelles la travailleuse devait personnellement fournir ses services à l’appelante, la preuve présentée par cette dernière montre que la travailleuse pouvait embaucher de l’aide à ses propres frais conformément aux dispositions des premier et deuxième contrats, mais l’appelante reconnaît que, malgré ces dispositions contractuelles, la travailleuse ne pouvait pas charger une autre personne de rencontrer ses clients sans obtenir son autorisation. Or, la travailleuse n’a présenté aucune preuve indiquant qu’elle avait demandé pareille autorisation ou même qu’elle avait embauché d’autres personnes afin de fournir les services à sa place, de sorte que la Cour n’est pas en mesure d’apprécier la position de l’intimé. Toutefois, selon moi, en obligeant la travailleuse à obtenir son autorisation avant d’envoyer un étranger rencontrer des clients, l’appelante n’exerçait pas un contrôle déraisonnable puisque la réputation de l’entreprise et un contrat d’entreprise étaient en cause. Cette condition constitue clairement une forme de surveillance ou de contrôle de la qualité. Même s’il était conclu que la travailleuse devait rendre ses services personnellement, le juge Létourneau, qui souscrivait aux remarques que la juge Desjardins avait faites dans l’arrêt Wolf, précité, a clairement dit, au paragraphe 20 de l’arrêt Poulin, précité, « que le fait qu’une personne ne puisse déléguer son travail à quelqu’un ne veut pas dire nécessairement que celle‑ci est une employée ».

[37]         Enfin, en traitant du facteur du « contrôle », j’aimerais examiner la prétention de l’intimé selon laquelle le fait qu’il est reconnu que les tâches d’un gestionnaire de projet étaient identiques et qu’elles étaient accomplies par des entrepreneurs indépendants tels que la travailleuse ainsi que par des employés de l’appelante donne à penser que le degré de contrôle doit avoir été le même que celui qui était exercé sur un employé. L’intimé affirme en fait que rien n’a changé pour la travailleuse entre les premier et deuxième contrats et le troisième contrat, qui était un contrat d’emploi, comme il a été reconnu.

[38]         En ce qui concerne l’intimé, la Cour d’appel fédérale a clairement dit, dans l’arrêt Poulin, que le facteur du « contrôle » n’est pas décisif dans les cas où les services fournis peuvent être rendus aux termes d’un contrat d’entreprise ou aux termes d’un contrat d’emploi et qu’il faut examiner les autres facteurs du critère. À vrai dire, la position prise par l’intimé laisse entendre qu’il existe en pareil cas une présomption militant en faveur d’une relation employeur‑employé, ce qui est selon moi inacceptable, de la même façon que je le conclurais dans le cas d’une présomption militant en faveur d’un contrat d’entreprise. Selon les motifs que le juge Major a rendus dans l’arrêt Sagaz Industries, précité, il faut prendre en compte tous les facteurs et leur accorder le poids approprié compte tenu des circonstances. La décision rendue par la Cour suprême du Canada et les décisions précitées de la Cour d’appel fédérale ne prévoient aucune présomption.

[39]         Je ne souscris pas non plus à la prétention de l’intimé lorsqu’il affirme que les services étaient les mêmes et que rien n’avait changé. Les tâches accomplies pour le compte de l’appelante par un entrepreneur indépendant tel que la travailleuse sont certes fort semblables ou identiques aux tâches accomplies par les gestionnaires de projet qui travaillaient pour l’appelante à titre d’employés, mais les autres conditions auxquelles ces services étaient fournis n’étaient clairement pas les mêmes. Aux termes du troisième contrat, le contrat d’emploi, la travailleuse touchait une paie de vacances et se voyait accorder des avantages sociaux qui ne lui étaient pas offerts lorsqu’elle agissait à titre d’entrepreneur indépendant. La travailleuse touchait également un salaire plus élevé, environ 6 000 $ de plus par année; elle devait fournir ses services personnellement; elle devait se conformer aux dispositions du manuel de la société, qui ne s’appliquait pas aux entrepreneurs indépendants; elle n’était pas autorisée à travailler pour d’autres; les retenues à la source telles que l’impôt sur le revenu et ainsi de suite étaient effectuées sur sa rémunération et sa rémunération était déposée directement dans son compte bancaire au lieu d’être facturée et d’être versée par chèque comme auparavant; de plus, la travailleuse était tenue de se présenter aux bureaux de l’appelante pour son travail, sauf si elle s’absentait pour les affaires de l’appelante. La travailleuse bénéficiait également de la sécurité d’emploi et elle avait le droit de faire respecter la durée de son emploi en vertu des lois sur l’emploi de l’Ontario et en vertu de la common law, et elle avait notamment droit à des dommages-intérêts en cas de congédiement injustifié. Somme toute, les conditions auxquelles un travailleur fournit ses services peuvent changer énormément, à mon avis, lorsque son statut passe de celui d’entrepreneur indépendant à celui d’employé, comme c’est ici le cas.

[40]         Il importe également de mentionner que les services fournis par la travailleuse semblent avoir changé quelque peu, en ce sens que certains éléments de preuve montrent que la travailleuse n’aimait pas s’occuper des projets moins importants qui lui étaient assignés et qu’elle préférait travailler à de gros projets. Le président de l’appelante a témoigné avoir conclu un contrat d’emploi avec la travailleuse, notamment parce que l’appelante voulait exercer un contrôle plus étroit sur le travail de la travailleuse, de façon que celle‑ci exécute également de petits projets. Cette preuve est corroborée par les évaluations du rendement que la travailleuse a signées, dont il a ci‑dessus été fait mention. En particulier, dans les remarques générales faites dans le second document concernant l’évaluation du rendement du gestionnaire de projet, daté du 7 septembre 2007, dans le cadre du deuxième contrat, il est dit ce qui suit :

 

            [traduction]

 

Vous êtes fort motivée et attentive lorsqu’il s’agit de réaliser des projets d’envergure. Je crois que cela vous réjouit et que vous êtes fort heureuse de travailler à ces types de projets. Toutefois, votre motivation semble diminuer lorsque des projets plus petits qu’il faut exécuter vous sont confiés. Comme vous le savez, un projet, gros ou petit, est toujours important.

[41]         De toute évidence, la capacité de retirer à la travailleuse la possibilité de décider de s’occuper d’un projet particulier s’écarte de la relation d’entrepreneur indépendant. Rien ne montre que la travailleuse ait refusé d’exécuter de petits projets, mais, selon la preuve, l’appelante n’était pas aussi satisfaite des services que la travailleuse fournissait en pareil cas, ce qui donne à penser que l’on craignait que si la préférence manifestée par la travailleuse pour les plus gros projets n’était pas respectée, les services de cette dernière ne seraient peut‑être pas disponibles dans l’avenir.

[42]         Compte tenu de l’analyse concernant le facteur du « contrôle » qui a ci‑dessus été effectuée, je suis d’avis que l’appelante n’exerçait pas sur la travailleuse un degré de contrôle indiquant l’existence d’une relation employeur‑employé, le degré de contrôle exercé étant plutôt compatible avec un contrat d’entreprise.

La propriété des instruments de travail

[43]         Il n’est pas contesté que les deux parties fournissaient certains outils aux fins de la prestation des services de la travailleuse. L’appelante fournissait un ordinateur Macintosh et son logiciel exclusif, qui fonctionnait sur le système Macintosh, ainsi qu’un téléphone cellulaire qui était doté d’une radio avec émetteur-récepteur permettant de communiquer avec le bureau de 1’appelante; elle fournissait en outre une veste à son nom, une chemise polo et d’autres petits articles. Dans l’analyse du facteur du « contrôle », ci‑dessus, il a été fait mention du fait que le port d’un uniforme était exigé pour des raisons de marquage et il est inutile de revenir sur la question. Quant à la fourniture de l’ordinateur et du logiciel, il a également ci‑dessus été expliqué que le logiciel exclusif était utilisé par l’appelante, par tous ses employés et entrepreneurs indépendants et même par ses clients aux fins de la prestation des services de l’appelante et qu’il s’agissait d’un instrument nécessaire à cette fin, en particulier lorsque la travailleuse n’était pas au bureau. De toute évidence, il était nécessaire d’avoir un téléphone cellulaire doté d’une radio avec émetteur–récepteur permettant au bureau ainsi qu’aux employés et entrepreneurs indépendants de communiquer les uns avec les autres lorsque des événements étaient tenus. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la travailleuse a signé une entente concernant la propriété de la société, que les entrepreneurs indépendants et les employés signaient tous et dans laquelle ceux‑ci s’engageaient à retourner les instruments de travail à la fin de leur contrat ou de leur emploi ainsi qu’à assumer toute responsabilité en cas de perte ou de dommage, et ce, jusqu’à concurrence de la valeur déclarée.

[44]         Compte tenu de la nature de l’entreprise de l’appelante et du logiciel exclusif unique en son genre, il est tout à fait sensé que toute personne fournissant des services doive utiliser l’ordinateur portatif Macinstosh sur lequel fonctionnait le logiciel, ainsi que le téléphone cellulaire doté de la radio avec émetteur-récepteur afin de pouvoir communiquer avec les autres et avec les clients de 1’appelante, comme cette dernière l’a expliqué, et il est clair que le logiciel exclusif du moins ne pouvait de toute façon pas être un instrument de travail que la travailleuse pouvait fournir elle-même. Comme le juge Létourneau l’a dit au paragraphe 24 de l’arrêt Poulin :

 

Encore une fois, je ne crois pas qu’en l’instance, l’on puisse prêter beaucoup de poids à ce facteur, compte tenu de la nature des services rendus, des besoins desservis et du peu d’instruments de travail utilisés. En outre, il ne faut pas confondre propriété et fourniture de matériaux avec propriété et fourniture d’instruments de travail.

[45]         Dans 1’affaire On Masse, précitée, l’appelante fournissait l’ordinateur et le logiciel au travailleur; le juge Webb a dit ce qui suit au paragraphe 13 :

 

Il avait besoin d’utiliser le système informatique et les logiciels de l’appelante afin d’intégrer son travail à celui des autres personnes qui travaillaient au film.

[46]         À mon avis, la fourniture de ces instruments de travail par l’appelante était tout simplement cela : il s’agissait du matériel nécessaire afin d’assurer l’intégration du travail de la travailleuse avec l’appelante, avec le personnel de l’appelante et avec les clients de l’appelante et ce matériel était nécessaire pour que les services puissent être fournis; de plus, en pratique, en ce qui concerne le logiciel et la radio avec émetteur‑récepteur du moins, ce matériel pouvait uniquement être fourni par l’appelante. Par conséquent, la fourniture de ces instruments par l’appelante n’indique pas selon moi l’existence d’une relation d’employé.

[47]         L’appelante fournissait également à la travailleuse un poste de travail à son bureau principal ainsi que du matériel de bureau. Les premier et deuxième contrats prévoyaient que la base d’opérations principale de la travailleuse serait le bureau que celle‑ci avait chez elle, mais qu’elle aurait accès à un poste de travail et à un ordinateur dans les locaux de l’appelante au besoin, sur une base temporaire. Toutefois, la preuve montre que la travailleuse se présentait au bureau presque tous les jours, qu’elle avait son propre poste téléphonique à son poste de travail et qu’elle y gardait des plantes et des photos de famille, et la travailleuse a déclaré que ce poste de travail lui avait été assigné en permanence. Il est intéressant de noter qu’un témoin de l’intimé a déclaré que, pendant qu’elle travaillait comme employée pour l’appelante, elle partageait un poste de travail avec la travailleuse, qui y gardait des plantes et des photos de famille, comme l’a déclaré la travailleuse, ce qui corroborait la preuve présentée par cette dernière. Selon la preuve présentée par l’appelante, les postes de travail n’étaient pas expressément assignés aux entrepreneurs indépendants et tous les entrepreneurs indépendants recevaient des cartes d’affaires pour les raisons de marquage dont il a ci‑dessus été question; de plus, les appels pouvaient être réacheminés de sorte que la fourniture d’un poste téléphonique ne limitait pas la mobilité d’un poste de travail à l’autre. Toutefois, le témoin susmentionné qui a corroboré la preuve de la travailleuse en ce qui concerne l’utilisation de son poste de travail a également déclaré que, lorsqu’elle avait quitté l’emploi qu’elle exerçait auprès de l’appelante et qu’elle avait accepté de devenir un entrepreneur indépendant, elle travaillait principalement depuis sa maison, comme c’était le cas pour Drew Black, qui a témoigné avoir quitté son emploi auprès de l’appelante et être maintenant un père à la maison qui travaille surtout à domicile pour l’appelante, dans le comté de Severn, à quelques centaines de kilomètres des locaux de l’appelante, à titre d’entrepreneur indépendant. Une preuve clairement indépendante établit qu’au moins l’un de ces entrepreneurs indépendants, qui a témoigné s’occuper elle aussi de la gestion de projets, pouvait travailler à domicile et qu’elle le faisait, ce qui démontrait qu’il n’était pas nécessaire d’aller au bureau tous les jours et confirmait la prétention de l’appelante selon laquelle la travailleuse utilisait le poste de travail et les installations qui étaient dans ses locaux presque tous les jours simplement parce qu’elle le voulait. De plus, je note que la travailleuse ne se rappelait pas quelle équipe de gestion lui avait assigné le poste de travail en permanence, même s’il n’y avait que quelques membres qui auraient pu le faire, de sorte que la chose laissait planer un doute sur sa crédibilité. De même, si les contrats prévoyaient que la travailleuse devait utiliser les installations de l’appelante au besoin, sur une base temporaire, il faut se demander pourquoi elle aurait été autorisée à les utiliser presque tous les jours, même si elle le faisait parce qu’elle le voulait. Somme toute, il ressort clairement de la preuve contradictoire que la question de l’utilisation du poste de travail et des installations qui étaient dans les locaux de l’appelante n’indique pas, d’une façon ou d’une autre, quelle était la relation entre les parties.

[48]         D’autre part, conformément à l’obligation qui lui incombait en vertu des premier et deuxième contrats, la travailleuse fournissait un ordinateur et un bureau à domicile qu’elle utilisait pour fournir ses services lorsqu’elle travaillait chez elle, surtout le soir et les fins de semaine; elle fournissait également un véhicule et, dans ses déclarations de revenus de ces années‑là, elle a déduit les dépenses se rattachant à tous ces articles. Toutefois, la travailleuse a cessé de déduire ces dépenses pour la période au cours de laquelle elle travaillait comme employée en vertu du troisième contrat. La fourniture de ces instruments de travail et des locaux par la travailleuse semble indiquer l’existence d’un contrat d’entreprise. L’argument invoqué par l’intimé, à savoir que la travailleuse préparait ses propres déclarations de revenus en utilisant un logiciel de préparation, ce qui donne à penser qu’elle n’était pas au courant des conséquences y afférentes, n’est pas convaincant. La travailleuse était intelligente et instruite et elle savait fort bien dans quelles circonstances elle pouvait déduire de telles dépenses et dans quelles circonstances elle devait cesser de les déduire; je conclus que les actions de la travailleuse étayent la prétention de l’appelante, lorsque celle‑ci affirme que la travailleuse était une entrepreneure indépendante.

[49]         Tout bien pesé, je conclus que le facteur de la « propriété des instruments de travail » tend à étayer l’existence d’un contrat d’entreprise, étant donné en particulier que la travailleuse fournissait du matériel et un bureau à domicile ainsi qu’un véhicule et compte tenu de la façon dont elle traitait ces éléments aux fins de l’impôt.

La possibilité de profit et le risque de perte

[50]         Selon moi, ces facteurs à eux seuls ne sont pas déterminants.

[51]         L’intimé a soutenu que le fait que la travailleuse effectuait de fait une quarantaine d’heures par semaine et que sa rétribution était basée sur un montant hebdomadaire indique l’existence d’une relation employeur‑employé. J’aurais normalement tendance à être d’accord, mais le fait que la travailleuse a témoigné qu’elle effectuait souvent plus de 40 heures par semaine, souvent à la maison, ou lorsqu’elle assistait à des événements des clients le soir et les fins de semaine, sans toucher une rétribution additionnelle, n’indique pas l’existence d’une relation employeur‑employé, mais plutôt un contrat d’entreprise à un prix fixe. De plus, la travailleuse a témoigné que, selon elle, sa rétribution était concurrentielle. Elle a indiqué qu’à un moment donné, elle avait soulevé la question de la rémunération supplémentaire auprès de l’appelante, mais sans succès, ce que l’appelante a nié. Cela nous amène à nous demander pourquoi la travailleuse n’aurait pas soumis la question au ministère du travail approprié ou pourquoi elle n’aurait pas refusé d’effectuer des heures supplémentaires si elle estimait que la relation était une relation employeur‑employé, et pourquoi elle aurait soutenu que sa rétribution était concurrentielle, ce qui constitue une contradiction.

[52]         L’appelante fait valoir qu’il existait pour la travailleuse une possibilité de profit étant donné que, conformément au deuxième contrat du moins, si elle n’effectuait pas les 40 heures prévues, la travailleuse était obligée de réduire le montant hebdomadaire normal, comme elle a témoigné l’avoir fait lorsqu’elle avait pris quelques jours de congé; l’appelante affirme en corollaire que la travailleuse, si elle n’effectuait pas un nombre d’heures suffisant, était exposée à un risque de perte si elle n’arrivait pas à couvrir les dépenses se rattachant à son bureau à domicile et à son véhicule. La preuve dans l’ensemble montre que la travailleuse effectuait normalement les 40 heures prévues et que, de toute façon, les employés qui prennent des jours de congé ne sont pas nécessairement rémunérés.

[53]         L’intimé affirme que, comme la Cour d’appel fédérale l’a confirmé au paragraphe 24 de l’arrêt City Water International, la capacité de gagner plus d’argent, si un travailleur qui est rémunéré à l’heure effectue un plus grand nombre d’heures afin d’augmenter sa rémunération, ne constitue pas une possibilité de profit puisque cela n’est pas la même chose que le fait d’être exposé à un risque commercial dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise; je souscrirais à cette prétention, mais l’intimé affirme que ce n’est pas le nombre d’heures supplémentaires à effectuer pour l’appelante qui donne à la travailleuse la possibilité de faire un profit plus élevé, mais que c’est plutôt la capacité de travailler pour d’autres ou d’embaucher du personnel pour le faire, ce qui, comme il a été dit ci‑dessus, était une possibilité pour la travailleuse, bien que celle‑ci ne s’en soit jamais prévalue. Étant donné que la travailleuse n’était de toute façon pas rémunérée pour les heures additionnelles effectuées, la capacité de gagner un montant horaire plus élevé n’était même pas une possibilité, de sorte que la question de la possibilité de profit dans ce contexte ne s’applique même pas.

[54]         Dans l’ensemble, je suis d’accord pour dire qu’il y avait pour la travailleuse une possibilité de profit si elle se prévalait de la capacité de travailler pour d’autres et d’embaucher du personnel pour le faire, si elle le voulait, et que la travailleuse était exposée à un risque de perte si elle n’effectuait pas les 40 heures requises et qu’elle devait facturer des montants inférieurs au montant des dépenses se rattachant au bureau à domicile et au véhicule, mais il est clair que le risque de perte était minime compte tenu du montant des dépenses, et que la possibilité de profit est au mieux conjecturale puisque la travailleuse ne s’est pas prévalue de cette possibilité.

Conclusion

[55]         Tout bien pesé, je conclus que les facteurs de l’arrêt Wiebe Door qui ont ci‑dessus été analysés permettent de conclure que la travailleuse était une entrepreneure indépendante. À mon avis, il n’est donc pas nécessaire d’examiner le facteur de l’« intention ». Toutefois, étant donné que l’applicabilité de ce facteur a donné lieu à maints débats entre les parties ici en cause, j’aimerais ajouter que s’il avait fallu examiner ce facteur, j’aurais conclu que l’intention des parties au moment où elles ont créé la relation, soit le moment pertinent à prendre en compte, comme le confirment les motifs énoncés par le juge Malone au paragraphe 27 de l’arrêt City Water, précité, était de conclure un contrat d’entreprise, et ce, principalement pour trois raisons. Premièrement, la travailleuse a témoigné savoir que l’impôt sur le revenu ne serait pas déduit et que les autres retenues à la source ne seraient pas effectuées et qu’elle n’aurait pas droit aux avantages accordés aux employés, ce qui indique clairement qu’elle n’était pas une employée. La travailleuse peut fort bien affirmer qu’elle s’attendait à ce que l’appelante continue à avoir recours à ses services et qu’elle ne comprenait pas la différence, mais le fait qu’elle n’a pas soulevé ces questions ni celle de la rémunération supplémentaire et qu’elle a néanmoins conclu un autre contrat met en doute sa crédibilité.

[56]         Deuxièmement, la travailleuse s’est prévalue, au cours de la période en question, des déductions accordées aux entreprises pour les dépenses se rattachant à un bureau à domicile et à un véhicule, mais elle ne l’a pas fait lorsqu’elle était régie par le contrat d’emploi, ce qui indique qu’elle comprenait clairement les conditions auxquelles elle bénéficiait de pareil traitement fiscal. Les actions de la travailleuse sont cohérentes et dépeignaient la relation.

[57]         Enfin, dans le questionnaire de l’employé de l’ARC qui a été produit en preuve, la travailleuse a déclaré être [traduction] « travailleur autonome » ou être [traduction] « travailleur autonome conformément au contrat ». L’intimé a expliqué que la travailleuse voulait ainsi assurer la conformité avec les déclarations de revenus qu’elle avait produites, mais il reste que la travailleuse s’est ainsi désignée même dans le questionnaire auquel elle a répondu après avoir pris des dispositions afin de modifier la façon de déclarer le revenu qu’elle tirait de l’appelante d’un « autre revenu d’emploi » à un « revenu d’emploi », après avoir discuté de la chose avec l’ARC, et afin de modifier en conséquence ses déclarations de revenus pour la période en question. La travailleuse a témoigné n’avoir aucun souvenir de ces discussions; pourtant, dans l’avis de nouvelle cotisation il en est fait mention comme motif ayant amené le ministre à inscrire le revenu à la ligne « revenu d’emploi ». Franchement, ce fait ainsi que le fait que la travailleuse ne pouvait pas se rappeler d’autres faits importants, comme le fait qu’elle ne se rappelait pas qui lui avait assigné un poste de travail permanent dans les locaux de l’appelante ou qui l’avait informée qu’elle devait se présenter au bureau tous les jours de 9 à 17 h, donnent à penser que la travailleuse avait une mémoire sélective et je conclus que la preuve de la travailleuse était suspecte et qu’elle n’était donc pas crédible. Les actions de la travailleuse montrent que celle‑ci a essayé de modifier le dossier après coup.

[58]         Il s’agit ici d’un cas dans lequel l’entreprise de l’appelante prenait de l’essor, de sorte que l’appelante pouvait faire d’un entrepreneur indépendant un employé à plein temps. Il est tout à fait sensé pour l’appelante, sur le plan des affaires, de faire appel à ses entrepreneurs indépendants, avec qui elle essayait d’établir des relations à long terme à son profit et au profit de ses clients, en tant que partie intégrante de son plan stratégique, afin d’augmenter ses effectifs lorsque le volume d’activité le permettait. Ce plan confirme que l’appelante voulait au départ conclure un contrat de louage de services avec la travailleuse. À mon avis, le ministre n’a pas eu raison de supposer, dans son argumentation, que [traduction] « rien n’avait changé » après la transition, uniquement parce que les tâches de la travailleuse étaient peut-être bien à peu près les mêmes, sans accorder de poids aux autres conditions de la relation qui avaient de fait changé.

[59]         Somme toute, il est clair qu’au moment où elles ont créé la relation, les parties voulaient toutes deux conclure un contrat d’entreprise.

Dispositif

[60]         Les appels sont accueillis. Au cours de la période en question, la travailleuse n’exerçait pas auprès de l’appelante un emploi assurable ni un emploi ouvrant droit à pension.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d’octobre 2011.

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 468

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2010-712(CPP)

                                                          2010-713(EI)

 

INTITULÉ :                                       INTEGRATED AUTOMOTIVE GROUP

                                                          c.

                                                          M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 15 juillet et 21 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 octobre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Timothy Fitzsimmons

M. Christian Orton (stagiaire)

Avocats de l’intimé :

Me Alisa Apostle

Me Jose Rodrigues

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Me Timothy Fitzsimmons

 

                   Cabinet :                         Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l.

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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