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Dossier : 2010‑1464(EI)

ENTRE :

FRANCE COSSETTE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 17 août 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gilbert Nadon

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

 

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en vertu de l’alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d’octobre 2011.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

Référence : 2011 CCI 482

Date : 20111017

Dossier : 2010‑1464(EI)

 

ENTRE :

 

FRANCE COSSETTE,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un dossier relatif à l’assurabilité d’un travail. L’appel porte sur une décision de l’intimé à l’effet que le travail effectué par Mme France Cossette (l’« appelante ») pour le compte et bénéfice de l’entreprise 9190-8582 Québec inc. lors de la période du 7 juillet 2008 au 29 novembre 2008 n’était pas assurable en vertu de l’alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance-emploi la « Loi ».

 

[2]              Pour expliquer et justifier la détermination dont il est fait appel, l’intimé a tenu pour acquis les hypothèses de fait suivantes :

 

5)       L’appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

          a)       l’actionnaire unique du payeur était Chantal Cossette;

          b)      Chantal Cossette est la sœur de l’appelante;

          c)       l’appelante est liée à une personne qui contrôle le payeur.

 

[3]              Le ministre a constaté que l’appelante et le payeur avaient un lien de dépendance entre eux dans le cadre de l’emploi. En effet, le ministre a été convaincu qu’il n’était pas raisonnable de conclure que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

a)                  le payeur a été constitué en société le 4 janvier 2008; (admis)

 

b)                  le payeur exploitait une entreprise de vente au détail de produits de teinture et de calfeutrage; (admis)

 

c)                  la place d’affaires du payeur est située dans le garage de la résidence personnelle de l’appelante, soit le 231 boulevard St-Joseph, St-Tite; (admis)

 

d)                  en octobre 2008, l’actionnaire du payeur acquiert l’immeuble situé au 231 boulevard St-Joseph; (admis)

 

e)                  le payeur a débuté ses activités dès janvier 2008; (admis)

 

f)                    l’unique actionnaire du payeur est directrice du club de golf Le St-Rémi; (admis)

 

g)                  l’actionnaire du payeur se renseigne mensuellement sur les activités du payeur auprès du teneur de livres et appelle régulièrement l’appelante pour connaître l’état de la marge de crédit et fait un suivi sur les produits; (admis)

 

h)                  la marge de crédit du payeur était cautionnée par l’actionnaire lorsqu’elle s’élevait à 20 000 $, mais lorsqu’elle est montée à 30 000 $ en mai 2008, l’appelante s’est portée solidaire avec l’actionnaire; (admis)

 

i)                    l’appelante avait l’expérience des activités du payeur, puisqu’elle avait été associée avec son ex-conjoint dans une entreprise similaire de 1995 à 2007; (admis)

 

j)                    l’appelante ne pouvait pas partir en affaires à cause de difficultés financières, c’est donc sa sœur Chantal Cossette qui est devenue l’unique actionnaire du payeur; (nié)

 

k)                  l’appelante avait une dette de 13 500 $ avec le principal fournisseur de son ancienne entreprise, soit Canadian Log Home Supply, qui est devenu le principal fournisseur du payeur; (admis)

 

l)                    en février 2008 l’appelante a obtenu un prêt de 13 500 $ et a remboursé le fournisseur; (admis)

 

m)                l’appelante a utilisé la liste des clients dont elle avait de son autre entreprise et les a tous visité, entre janvier et juillet 2008 en leur donnant le nouveau numéro de téléphone du payeur; (admis)

 

n)                  les premiers achats du payeur ont eu lieu en février 2008; (admis)

 

o)                  la première vente du payeur a eu lieu le 19 mars 2008; (admis)

 

p)                  de janvier à juillet 2008, l’appelante a parcouru 19 394 kilomètres qui lui ont été remboursés à raison de 0.50 $ le kilomètre ainsi que ses repas; (admis)

 

q)                  le temps de conduite représente environ 1 939 heures auxquelles il faut ajouter la durée de la visite chez chacun des clients rencontrés ce qui totalise plus de 2 000 heures de travail; (admis)

 

r)                   l’appelante n’a pas été rémunérée pour ce travail de représentation sur la route; (admis)

 

s)                   un employé non lié aurait exigé d’être payé pour les heures travaillées; (nié)

 

t)                    en juillet 2008, il y avait beaucoup de clients et il fallait quelqu’un sur place pour préparer les commandes et s’occuper de toutes les activités du payeur; (admis)

 

u)                  l’appelante a commencé à être payée en juillet 2008 jusqu’en novembre 2008; (admis)

 

v)                  la rémunération de l’appelante était basée sur 40 heures de travail par semaine, bien qu’elle en faisait plus; (admis)

 

w)                après sa mise à pied, l’appelante a continué de travailler pour le payeur à raison d’environ  5 heures par semaine pendant 3 semaines, et ce sans être rémunérée; (admis)

 

x)                  du 3 février 2008 au 6 juillet 2008, le payeur a réalisé des ventes totalisant plus de 154 000 $ sans qu’aucun salaire ne soit versé à l’appelante; (admis)

 

y)                  sans l’appelante, le payeur aurait été dans l’impossibilité d’exercer et de maintenir des activités et de générer des revenus; (nié)

 

z)                   le 8 décembre 2008, le payeur émettait à l’appelante le relevé d’emploi portant le numéro A85872369 et indiquant comme premier jour de travail le 7 juillet 2008 et comme dernier jour de travail le 29 novembre 2008; (admis)

 

aa)               le relevé d’emploi de l’appelante n’est pas conforme à la réalité des activités du payeur qui se sont déroulées depuis janvier 2008; (nié)

 

bb)              l’emploi exercé par l’appelante rencontrait les critères d’admissibilité et était donc assurable; (admis)

 

7)         À ce stade-ci des procédures, le ministre reconnaît que l’emploi de l’appelante a été exercé dans le cadre d’un contrat de louage de services; (admis)

 

[4]              L’appelante a fait plusieurs admissions, notamment les paragraphes 5 a) à c) ainsi que les sous-paragraphes 6 a) à d), f), i), l), n) à q), t), u), w), x), z) et bb) et le paragraphe 7. Elle a également admis se réservant toutefois le droit de compléter et nuancer le contenu des sous-paragraphes e), g), h), k), m), r) et v).

 

[5]              Finalement, elle a nié le contenu des sous-paragraphes j), s) et y).

 

[6]              Il s’agit d’un dossier assujetti à un traitement particulier étant donné que la détermination a été établie à partir de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi, qui se lit comme suit :

 

5(2) Restriction N’est pas un emploi assurable :

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

[Je souligne]

 

[7]              Ainsi, aux termes de cet alinéa, il s’agit d’un emploi exclu des emplois assurables étant donné le lien de dépendance entre l’appelante et sa sœur, détentrice de toutes les actions émises par la société employeur.

 

[8]              En pareille situation, le législateur a prévu et confié un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel les responsables d’un dossier assujetti à cette disposition doivent faire une analyse de tous les faits pertinents; l’analyse vise à décider ou déterminer si, un contrat de louage de service entre des personnes sans lien de dépendance aurait été comparable, dans un même contexte, où les faits pertinents sont similaires. En d’autres termes, le contrat de louage de services litigieux a-t-il été façonné ou influencé par le lien de dépendance?

Personnes liées

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[9]              Une des particularités du dossier se situe au niveau de la compétence de la Cour dans une telle situation. En effet, la Cour doit d’abord décider si l’analyse effectuée dans le cadre du pouvoir discrétionnaire a été effectuée suivant les règles de l’art en prenant pour acquis tous les faits utiles et pertinents dans un premier temps; en second lieu, les faits analysés étaient-ils complets et ont-ils été correctement interprétés? L’évaluation a-t-elle négligé ou sous-évalué l’importance de certains faits?

 

[10]         L’analyse de la Cour doit porter sur le long et le large de l’enquête mais aussi sur la preuve présentée devant le tribunal. Il s’agit là d’une exigence édictée par la Cour d’appel fédérale notamment dans les affaires Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) [2000] A.C.F. 310, 261 N.R. 150 et Légaré c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) [1999] A.C.F. no 878, 246 N.R. 176.

 

[11]         Cette nécessité s’explique et se justifie d’autant plus facilement que les enquêtes sont le plus souvent effectuées par le biais de conversations téléphoniques alors que le procès permet une nouvelle approche moins restrictive et plus complète tout en ayant accès à ce qui n’est pas négligeable soit le langage corporel qui souvent s’avère utile en matière de crédibilité.

 

[12]         Dans l’hypothèse d’une analyse et d’une évaluation appropriées faites d’une manière judicieuse et raisonnable, la Cour se doit essentiellement de confirmer le bien-fondé de la détermination.

 

[13]         Dans le cas inverse, si la preuve démontre que l’enquête a été bâclée ou incomplète par la prise en compte de faits incomplets, déformés et incorrectement compris ou encore a tout simplement omis ou négligé certains éléments pertinents, ou si l’enquête devant le tribunal fait ressortir un ou des éléments nouveaux et pertinents, une nouvelle appréciation devra être effectuée par la Cour.

 

[14]         Dans l’hypothèse où l’exercice du pouvoir discrétionnaire est sans reproche et conforme à ce qu’exige un travail judicieux la Cour ne peut pas intervenir, et ce, même si les mêmes faits auraient pu conduire le tribunal vers une autre conclusion.

 

[15]         En l’espèce, l’appelante a témoigné, ainsi que sa sœur en sa qualité de représentante de la société employeur. L’appelante a expliqué avoir acquis, au fil des ans, une grande expertise dans un domaine très spécialisé et pointu soit la vente et les conseils sur des produits de teinture, d’entretien et d’isolation des bâtiments faits en bois, notamment le bois rond. Il s’agit là de constructions particulières nécessitant des travaux d’entretien spéciaux exigeant des connaissances et une expertise.

 

[16]         Elle a acquis cette expérience en étant partenaire dans une entreprise avec son conjoint qui construisait et offrait les produits d’entretien pour ce genre de bâtiment. À un moment donné, les relations se sont détériorées au point qu’une rupture est intervenue. L’appelante est sortie de cette aventure commerciale et maritale démunie et sans ressource, au point de devoir demander à son assureur de lui verser les valeurs de rachat sur sa police d’assurance-vie.

 

[17]         Ayant une très bonne relation avec sa sœur, cette dernière a créé une nouvelle entreprise en y injectant 5 000 $; la vocation de la nouvelle entreprise était sensiblement la même que celle où elle travaillait avec son conjoint à l’exception du volet relatif à la construction.

 

[18]         Au moment où les choses sont devenues corsées dans sa relation avec son conjoint, ce dernier avait changé la serrure du commerce et avait totalement abandonné le service à la clientèle rendant ainsi le redémarrage de la nouvelle entreprise très difficile.

 

[19]         Au moment de démarrer la nouvelle entreprise, sa sœur n’avait pas de connaissance dans le domaine en question. Elle se fiait donc à l’appelante qui n’avait alors que son savoir et une liste des anciens clients qu’elle avait conservée.

 

[20]         Les clients ayant perdu confiance depuis la fermeture de l’entreprise exploitée par elle et son ex-conjoint, l’appelante a dû multiplier les voyages et effectuer de nombreuses démarches pour reconquérir les anciens clients et en dénicher des nouveaux. Au début, l’appelante ne recevait aucun salaire si ce n’est que ses frais de déplacement et diverses dépenses telles les repas lui étaient remboursés.

 

[21]         L’appelante a reconnu être l’âme dirigeante de l’entreprise et avoir travaillé sans rémunération; elle a aussi affirmé avoir dû travailler de très nombreuses heures et, à l’occasion, avoir accepté de rencontrer les clients après les heures habituelles de bureau.

 

[22]         L’appelante a vendu sa maison à sa sœur; le bureau de l’entreprise était situé dans cette maison. Le garage et une partie du sous-sol servaient à y placer l’inventaire des divers produits offerts.

 

[23]         Durant la période où elle était propriétaire, un loyer avait été fixé à 600 $ par mois, mais elle ne le recevait pas d’une manière régulière; effectivement, le paiement du loyer a été payé plusieurs mois plus tard au moyen d’un paiement unique.

 

[24]         Pour obtenir des produits nécessaires à la nouvelle entreprise, l’appelante a dû acquitter personnellement une importante dette de l’ordre de 13 500 $ à un fournisseur qui refusait de vendre tout produit à la nouvelle entreprise, tant et aussi longtemps que la dette contractée par l’ancienne entreprise qu’elle avait exploitée avec son conjoint, de qui elle était maintenant séparée, ne serait pas acquittée.

 

[25]         Elle a donc emprunté le montant auprès d’une communauté religieuse pour payer la créance en question. Elle a affirmé que la dette en question n’était pas complètement payée au moment de l’audition. Pourquoi cette dette n’a-t-elle pas été acquittée par l’entreprise de sa sœur? La réponse n’a pas été fournie.

 

[26]         Elle a également reconnu avoir dû cautionner un prêt consenti à la société par un organisme local ajoutant qu’il s’agissait là d’une pratique incontournable à savoir que les employés importants de toute entreprise devaient intervenir à titre de caution lorsque leur employeur contractait un emprunt auprès de cette entité. La particularité de cette supposée pratique très surprenante n’a pas été explicitée.

 

[27]         Elle a décrit les lieux occupés comme bureau; elle a indiqué que le bureau était autonome sur le plan de la téléphonie; elle avait une ligne privée pour la résidence et une commerciale pour le bureau. Son téléphone cellulaire était utilisé à des fins privées et commerciales.

 

[28]         L’appelante a affirmé travailler entre 40 et 60 heures par semaine. Elle a aussi mentionné que l’entreprise évoluait et progressait d’année en année au point que la société compte maintenant cinq employés et est opérée sur une base annuelle sans interruption.

 

[29]         La preuve a révélé qu’elle avait vendu sa maison à sa sœur pour éviter de la perdre étant donné qu’elle a dû faire faillite. Elle a racheté la maison de sa sœur lorsque cette dernière a également vécu une période difficile avec son conjoint. Cette facette du dossier n’a été qu’effleurée.

 

[30]         Mme Chantal Cossette a aussi témoigné; le principal de son témoignage a essentiellement validé ou confirmé le témoignage de l’appelante. Tout au cours de son témoignage, elle a fait des comparaisons avec son travail de directrice générale d’un terrain de golf.

 

[31]         Elle a ainsi affirmé que l’appelante, tout comme elle, disposait d’une grande liberté dans l’exercice de ses fonctions, qu’elle devait faire beaucoup de travail pour assurer le succès de l’entreprise sans qu’il soit nécessaire ou requis de tenir un registre des heures, étant rémunérée au moyen d’un salaire hebdomadaire.

 

[32]         Elle a admis ne pas avoir de connaissances dans le genre de produits ajoutant que sa sœur, l’appelante, avait tout le savoir requis pour mener à bien les affaires de son entreprise. Les témoignages n’ont rien fait ressortir de nouveau quant aux divers éléments pris en compte lors de la détermination dont il est fait appel.

 

[33]         L’appelante et sa sœur n’ont fait ressortir aucun nouvel élément dans leur témoignage permettant de conclure que la responsable du dossier au niveau de la révision a omis un ou des éléments importants. Leur témoignage a porté essentiellement sur les faits reproduits à l’avis d’appel.

 

[34]         À la lumière de la preuve soumise, l’hypothèse voulant que l’appelante soit en fait la véritable propriétaire de l’entreprise aurait pu être développée; à la lumière de certains faits, je me limite à cette observation.

 

[35]         Dans un premier temps, l’appelante a admis la majorité des faits pris pour acquis. Elle a également, sous réserve de pouvoir, y ajouter certains éléments, admis les faits pris pour acquis, aux sous-paragraphes e), g), h), k), m), r) et v) qui encore une fois se lisent comme suit :

 

e)                  le payeur a débuté ses activités dès janvier 2008; (admis)

 

[…]

 

g)                  l’actionnaire du payeur se renseigne mensuellement sur les activités du payeur auprès du teneur de livres et appelle régulièrement l’appelante pour connaître l’état de la marge de crédit et fait un suivi sur les produits; (admis)

 

h)                  la marge de crédit du payeur était cautionnée par l’actionnaire lorsqu’elle s’élevait à 20 000 $, mais lorsqu’elle est montée à 30 000 $ en mai 2008, l’appelante s’est portée solidaire avec l’actionnaire; (admis)

 

[…]

 

k)                  l’appelante avait une dette de 13 500 $ avec le principal fournisseur de son ancienne entreprise, soit Canadian Log Home Supply, qui est devenu le principal fournisseur du payeur; (admis)

 

[…]

 

m)                l’appelante a utilisé la liste des clients dont elle avait de son autre entreprise et les a tous visité, entre janvier et juillet 2008 en leur donnant le nouveau numéro de téléphone du payeur; (admis)

 

[…]

 

r)                   l’appelante n’a pas été rémunérée pour ce travail de représentation sur la route; (admis)

 

[…]

 

v)         la rémunération de l’appelante était basée sur 40 heures de travail par semaine, bien qu’elle en faisait plus; (admis)

 

[36]         Or, la preuve a établi que tous les faits retenus et pris pour acquis étaient tout à fait bien fondés; en d’autres termes, la preuve n’a rien introduit ou fait ressortir qui soit de nature à discréditer la qualité du travail effectué au niveau de l’enquête et des faits analysés.

 

[37]         Les parties s’étant référées notamment aux arrêts de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Légaré c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) [1999] A.C.F. no 878, 246 N.R. 176 et Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) [2000] A.C.F. 310, 261 N.R. 150.

 

[38]         Je retiens notamment les extraits suivants; d’abord dans la cause Légaré, le juge Marseau s’exprimait comme suit :

 

4  La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu " paraît toujours raisonnable.

 

12  Je viens de dire qu'à notre avis ces seuls faits nous paraissent en eux-mêmes peu aptes à expliquer et à défendre la réaction du ministre ou de son délégué. L'exclusion des emplois entre personnes liées au niveau de la Loi sur l'assurance-chômage repose évidemment sur l'idée qu'on peut difficilement se fier aux affirmations des intéressés et que la possibilité d'emplois fictifs, aux conditions farfelues, est trop présente entre personnes pouvant si facilement agir de connivence. Et l'exception de 1990 a simplement voulu diminuer la portée de la présomption de fait en acceptant d'exclure de la sanction (ce qui n'était que justice) les cas où la crainte d'abus n'avait plus raison d'être. C'est dans cet esprit qu'à notre avis, après avoir reconnu ici la réalité de l'emploi, l'importance des tâches, la normalité de la rémunération, il est difficile d'attacher l'importance que le ministre a attachée aux faits invoqués par lui pour exclure l'application de l'exception. Ce sont sur les éléments essentiels du contrat de louage de services qu'il faut s'attarder pour se convaincre que l'existence du lien de dépendance entre les contractants n'a pas eu sur la détermination des conditions de l'emploi une influence abusive. Dans cette optique, la pertinence des faits invoqués, même non expliqués, paraît fort douteuse. Mais inutile d'insister. Si les faits invoqués pouvaient légitimement laisser planer un doute suffisant quant au caractère objectif des conditions du contrat de travail des demanderesses, la mise en contexte de ces faits suite à la preuve devant la Cour canadienne de l'impôt - preuve acceptée presque intégralement par le juge de la Cour - ne peut que mettre à plein jour le caractère non raisonnable de la conclusion initiale du ministre. Il a, en effet, été clairement expliqué et prouvé que le salaire des demanderesses était supérieur au salaire minimum des autres employés à cause des tâches de responsabilité qu'elles assumaient et que c'était le salaire courant dans l'industrie pour des emplois similaires; et a été clairement expliqué et prouvé que les actionnaires avaient convenu de diminuer leur propre rémunération courante dans une réaction de participation aux besoins pécuniaires et au développement de l'entreprise; il a été clairement expliqué et prouvé qu'une tornade en 1994 avait détruit une grande partie des bâtiments de l'entreprise, d'où était résultée une période de confusion, puis de reconstruction et de difficultés financières; enfin, il a été expliqué et prouvé que la présence des enfants de l'une des demanderesses sur les terrains des serres n'était susceptible d'affecter en rien l'accomplissement des tâches assumées et la prestation des services convenus.

 

[39]         Dans l’affaire Pérusse, l’honorable juge Marceau s’exprimait comme suit :

 

En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour:

 

·                          La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu " paraît toujours raisonnable.

15     Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours "raisonnable " (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

 

[40]         Le dossier vise une période où une nouvelle entreprise a été créée. Les personnes au centre du démarrage de cette nouvelle entreprise sont l’appelante, travailleuse et sa sœur, seule actionnaire de la nouvelle société. L’une, a le savoir, l’expertise et la compétence dans le champ d’activité commerciale visée, l’autre malgré ses limites, a une meilleure capacité de payer et un statut plus intéressant sur le plan financier. Jusque-là le scénario n’a pas grand-chose de particulier et s’avère tout à fait raisonnable et plausible entre personnes non liées.

 

[41]         Là où les choses deviennent particulières, se situe au niveau de l’opération. Sur cet aspect, il est évident que le déroulement se serait fait d’une tout autre manière s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance.

 

[42]         En effet, une tierce personne n’aurait jamais accepté de travailler sans rémunération, de travailler de très nombreuses heures en dehors des heures régulières sans rémunération, d’agir comme caution, de faire seule un emprunt important et d’en assumer la totale responsabilité, de louer un local et supporter le coût du loyer durant une longue période, et ce, au moment où elle vivait une situation financière pénible étant sans ressources au point de réclamer la valeur de rachat sur sa police d’assurance-vie.

 

[43]         L’enquête devant le tribunal, où, toutes les parties ont eu la possibilité de s’exprimer et expliquer le long et large des faits, modalités et circonstances entourant le litige n’a pas permis de faire ressortir des éléments nouveaux ou de discréditer les faits retenus ayant conduit à la détermination dont il est fait appel.

 

[44]         La conclusion du ministre, sous l’éclairage nouveau dégagé par le procès; m’apparait toujours raisonnable. Rien dans la preuve soumise, dont l’appelante avait le fardeau, ne discrédite la qualité du travail d’enquête et d’analyse et la conclusion raisonnable qui en a découlé d’où l’appel est rejeté.

 

[45]         Pour ces raisons, l’appel doit être rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d’octobre 2011.

 

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 482

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010‑1464(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              FRANCE COSSETTE c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 17 octobre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gilbert Nadon

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Valérie Messore

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante:

 

                               Nom :                 Me Gilbert Nadon

 

                            Cabinet :                Ouellet, Nadon et Associés

                                                          Montréal (Québec)

 

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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