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Dossier : 2010‑1263(EI)

ENTRE :

DIANE LAMY GAUTHIER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

9146-9379 QUÉBEC INC.,

intervenante.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 12 juillet 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gilbert Nadon

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Anne Poirier

Mathieu Tanguay (stagiaire)

 

 

Avocat de l’intervenante :

Me Gilbert Nadon

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en application du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») est rejeté au motif que le travail de l’appelante, madame Diane Lamy Gauthier, pour la société 9146-9379 Québec inc. (le « payeur »), du 3 avril 2009 au 14 septembre 2009, n’était pas un emploi assurable aux termes de la Loi.

 

La décision du ministre du Revenu national du 6 janvier 2010 est donc confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’octobre 2011.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

Référence : 2011 CCI 487

Date : 20111018

Dossier : 2010‑1263(EI)

ENTRE :

DIANE LAMY GAUTHIER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

9146-9379 QUÉBEC INC.,

intervenante.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit de décider si l’appelante, Mme Diane Lamy Gauthier, exerçait un emploi assurable, du 3 avril 2009 au 14 septembre 2009, pour la société 9146-9379 Québec inc. (le « payeur »), société dont le dirigeant et seul actionnaire était son conjoint, M. Louis Gauthier.

 

[2]              Après enquête, l’intimé a conclu que l’emploi en question n’était pas assurable en vertu de l’exclusion prévue par la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

 

[3]              En rendant sa décision, l’intimé s’est fondé sur les hypothèses de fait exposées aux alinéas 5)a), b) et c) et aux alinéas 6)a) à y) inclusivement de la Réponse à l’avis d’appel et de la Réponse à l’avis d’intervention :

 

5)         L’appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

a)            l’actionnaire unique du payeur était Louis Gauthier;

 

b)            l’appelante est, depuis 32 ans, l’épouse légitime de l’unique actionnaire du payeur;

 

c)            l’appelante est liée par les liens du mariage à une personne qui contrôle le payeur;

 

6)         Le ministre a déterminé que l’appelante et le payeur avaient un lien de dépendance entre eux dans le cadre de l’emploi. En effet, le ministre a été convaincu qu’il n’était pas raisonnable de conclure que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

a)                  le payeur a été constitué en société le 22 septembre 1994;

 

b)               le payeur se spécialise dans le domaine de l’aiguisage et de la vente de lames de toutes sortes;

 

c)               les activités du payeur se déroulent tout au long de l’année;

 

d)                  le payeur est connu sous le nom de Centre d’aiguisage professionnel;

 

e)               la clientèle du payeur se compose de clients réguliers, dont les ébénistes ou des compagnies de portes et fenêtres, qui ont besoin des services du payeur hebdomadairement et de clients qui se présentent à la boutique pour faire aiguiser leurs outils ou leurs patins;

 

f)                 le payeur a près d’une centaine de clients réguliers et fait affaires avec 5 ou 6 fournisseurs;

 

g)               les revenus du payeur se sont chiffrés à 231 506 $ pour l’exercice financier se terminant le 31 décembre 2008;

 

h)               le payeur embauchait 5 employés pendant la période en litige, soit l’actionnaire, l’appelante, leur fils et deux autres employés sans lien de dépendance avec le payeur;

 

i)                 l’appelante avait une procuration bancaire du payeur et une seule signature est requise;

 

j)                 l’appelante s’est occupée de la comptabilité du payeur depuis l’incorporation en 1994 et ce, sans aucune rémunération;

 

k)               l’appelante travaille depuis plusieurs années au Centre fiscal de Shawinigan sur une base occasionnelle et de ce fait, se qualifie annuellement aux prestations d’assurance-emploi;

 

l)                 l’année de la période en litige, l’appelante n’avait pas accumulé suffisamment d’heures pour se qualifier aux prestations d’assurance-emploi;

 

m)             l’appelante a donc demandé au payeur de la rémunérer, à compter du 3 avril 2009, pour son travail de comptabilité qu’elle faisait pour lui depuis 1994 sans rémunération;

 

n)               l’appelante s’occupaient des comptes à recevoir et à payer, du grand‑livre, du journal des encaissements et des débours, des dépôts bancaires, de la facturation, de la vérification du prix des produits et des services, de la préparation de tous les documents pour le comptable qui fait les états financiers annuel;

 

o)               l’appelante n’avait pas d’horaire fixe de travail à respecter;

 

p)               l’appelante n’enregistrait pas ses heures de travail;

 

q)               l’appelante était rémunérée au taux horaire de 20 $;

 

r)                au registre des salaires, il est indiqué que l’appelante faisait 4 heures par semaines les 3 premières semaines du mois et 6 heures la dernière semaine du mois;

 

s)                l’appelante était payée en argent comptant;

 

t)                 le 14 septembre 2009, l’appelante a demandé au payeur de lui remettre un relevé d’emploi afin qu’elle puisse faire une demande à l’assurance-emploi ayant accumulé suffisamment d’heures de travail;

 

u)               le payeur n’a pas versé le 4% à l’appelante lors de la remise du relevé d’emploi;

 

v)               un travailleur non lié n’aurait pas accepté de travailler bénévolement;

 

w)             le 15 septembre 2009, le payeur remettait à l’appelante un relevé d’emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 3 avril 2009 et comme dernier jour de travail le 14 septembre 2009;

 

x)               la période d’emploi de l’appelante ne correspond pas aux besoins réels du payeur, puisque son travail de comptabilité est essentiel à la bonne marche du payeur;

 

y)               avant comme après l’embauche de l’appelante, cette dernière faisait le travail de comptabilité pour le payeur sans recevoir de rémunération;

 

[4]              Les faits aux alinéas 5)a), b) et c) ainsi que ceux aux alinéas 6)b), c), d), f), g), h) i), j), q), r), t), u) et w) ont été admis. Quant aux faits aux alinéas 6)a), e), k), n), o), p) et s), ils ont aussi été admis, l’appelante et l’intervenante se réservant toutefois le droit d’ajouter des précisions. Quant aux autres alinéas, soit 6)l), m), v), x) et y), les faits qui y sont énoncés ont été niés.

 

[5]              L’exclusion retenue par l’intimé dans sa décision est prévue par l’alinéa 5(2)i) de la Loi, qui se lit comme suit :

 

5(2) Restriction N’est pas un emploi assurable :

 

[…]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[6]              Le législateur a cependant prévu dans le même article que l’exclusion pouvait être écartée si des parties sans lien de dépendance auraient conclu un contrat de travail semblable.

 

[7]              En d’autres termes, le législateur a accordé à l’intimé un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’évaluer tous les faits pertinents au travail qui fait l’objet du litige, notamment la rémunération, la durée et les modalités, et de déterminer si l’emploi est assurable ou non. Les dispositions en question se lisent comme suit :

 

5(3) Personnes liées − Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[8]              Plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale ont rappelé qu’une décision résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut être annulée par la Cour que si la prépondérance de la preuve établit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été entaché d’erreur ou de manquement, ou a tout simplement été exercé d’une manière déraisonnable, soit en omettant de tenir compte d’éléments pertinents, soit en tenant compte d’éléments non pertinents.

 

[9]              Si le ministre a apprécié correctement et de façon raisonnable tous les faits pertinents, la Cour ne peut annuler sa décision, même si elle aurait pu en arriver à une conclusion différente. L’analyse doit porter sur le travail effectué ayant conduit à la détermination qui fait l’objet de l’appel mais aussi sur tous les faits mis en lumière lors du procès; contrairement à l’enquête qui a précédé la détermination, l’audition devant le tribunal fournit un ensemble de faits généralement plus complets et nuancés, les témoins s’étant préparés pour présenter la totalité des faits qu’ils jugent importants.

 

[10]         À cet égard, les deux arrêts les plus souvent cités, soient les affaires Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, 246 N.R. 176, et Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310, 261 N.R. 150, enseignent ce qui suit. Dans l’affaire Légaré, l’honorable juge Marceau s’exprimait comme suit :

 

4          La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

 

[…]

 

12        Je viens de dire qu'à notre avis ces seuls faits nous paraissent en eux-mêmes peu aptes à expliquer et à défendre la réaction du ministre ou de son délégué. L'exclusion des emplois entre personnes liées au niveau de la Loi sur l'assurance-chômage repose évidemment sur l'idée qu'on peut difficilement se fier aux affirmations des intéressés et que la possibilité d'emplois fictifs, aux conditions farfelues, est trop présente entre personnes pouvant si facilement agir de connivence. Et l'exception de 1990 a simplement voulu diminuer la portée de la présomption de fait en acceptant d'exclure de la sanction (ce qui n'était que justice) les cas où la crainte d'abus n'avait plus raison d'être. C'est dans cet esprit qu'à notre avis, après avoir reconnu ici la réalité de l'emploi, l'importance des tâches, la normalité de la rémunération, il est difficile d'attacher l'importance que le ministre a attachée aux faits invoqués par lui pour exclure l'application de l'exception. Ce sont sur les éléments essentiels du contrat de louage de services qu'il faut s'attarder pour se convaincre que l'existence du lien de dépendance entre les contractants n'a pas eu sur la détermination des conditions de l'emploi une influence abusive. Dans cette optique, la pertinence des faits invoqués, même non expliqués, paraît fort douteuse. Mais inutile d'insister. Si les faits invoqués pouvaient légitimement laisser planer un doute suffisant quant au caractère objectif des conditions du contrat de travail des demanderesses, la mise en contexte de ces faits suite à la preuve devant la Cour canadienne de l'impôt - preuve acceptée presqu’intégralement par le juge de la Cour - ne peut que mettre à plein jour le caractère non raisonnable de la conclusion initiale du ministre. Il a, en effet, été clairement expliqué et prouvé que le salaire des demanderesses était supérieur au salaire minimum des autres employés à cause des tâches de responsabilité qu'elles assumaient et que c'était le salaire courant dans l'industrie pour des emplois similaires; et a été clairement expliqué et prouvé que les actionnaires avaient convenu de diminuer leur propre rémunération courante dans une réaction de participation aux besoins pécuniaires et au développement de l'entreprise; il a été clairement expliqué et prouvé qu'une tornade en 1994 avait détruit une grande partie des bâtiments de l'entreprise, d'où était résulté [sic] une période de confusion, puis de reconstruction et de difficultés financières; enfin, il a été expliqué et prouvé que la présence des enfants de l'une des demanderesses sur les terrains des serres n'était susceptible d'affecter en rien l'accomplissement des tâches assumées et la prestation des services convenus.

 

[11]         Dans l’affaire Pérusse, l’honorable juge Marceau s’exprimait comme suit :

 

14        En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s'est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j'écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour:

 

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

 

15        Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours "raisonnable" (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

 

[12]         Lors du procès, les principaux acteurs, soit l’employé et le représentant de l’employeur, étaient présents et ont témoigné. Ils ont validé la très grande majorité, sinon la totalité, des faits pris pour acquis.

 

[13]         En substance, la question que doit se poser le tribunal est la suivante : Est-ce que les faits pris en compte à l’origine de la décision faisant l’objet de l’appel sont réels, correctement analysés, judicieusement traités, pour permettre de conclure que la décision, dans les circonstances, était appropriée et raisonnable en tenant compte tant de l’analyse que de la preuve soumise au tribunal? Si la réponse est affirmative, cette Cour n’a pas compétence pour modifier la détermination dont il est fait appel.

 

[14]         La preuve a démontré que l’appelante avait travaillé pour l’entreprise d’aiguisage de son conjoint à compter des années 1990 d’une manière bénévole.

 

[15]         En plus de son travail bénévole pour l’entreprise de son conjoint, l’appelante travaillait chaque année au Centre des données fiscales, pour des périodes variant d’une année à l’autre. Elle y travaillait généralement assez longtemps pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi.

 

[16]         L’appelante a affirmé que le travail effectué bénévolement pour l’entreprise de son conjoint était peu important, soit généralement 4 heures par semaine, et 6 heures durant la dernière semaine du mois pour la fermeture des entrées. L’appelante a affirmé que son conjoint avait déjà engagé par le passé une personne pour s’occuper de l’administration et de la comptabilité; il en était cependant arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour justifier une telle embauche.

 

[17]         L’appelante a expliqué qu’elle faisait toutes les tâches administratives et comptables. Son conjoint a affirmé qu’il n’y connaissait rien, qu’il n’aimait pas cela, qu’il détestait tout ce qui était paperasse, et qu’il faisait entièrement confiance à son épouse, confirmant ainsi le rôle important de cette dernière.

 

[18]         L’appelante, son conjoint et Mme Patry, l’agente des appels, ont donné des estimations fort différentes du nombre d’heures de travail par semaine. L’appelante a fait état de 4 heures de travail par semaine, à l’exception de la dernière semaine du mois où elle travaillait plutôt 6 heures.

 

[19]         À cet effet, M. Gauthier a indiqué qu’il trouvait que l’estimation de son épouse était souvent trop faible étant donné qu’elle faisait toutes les tâches administratives et comptables, répétant qu’il ne s’intéressait aucunement à ce volet de son entreprise. L’agente des appels a plutôt retenu que l’appelante devait travailler un minimum de 10 heures par semaine.

 

[20]         Quant à la rémunération, le travail a toujours été bénévole, jusqu’à ce que l’appelante exprime sa frustration et son insatisfaction; très affectées par le décès de sa mère qu’elle a soutenue durant une longue période avant le décès, elle aurait alors pris conscience de son apport important à l’entreprise de son conjoint. Elle a alors développé un sentiment d’inconfort et d’injustice du fait qu’elle n’était pas rémunérée. Ce sentiment aurait même été à l’origine de tensions significatives dans sa relation de couple.

 

[21]         Tous ces événements ont provoqué chez elle divers problèmes, entre autres, une certaine frustration quant à la reconnaissance de son travail pour son conjoint. Elle a soutenu qu’à compter de ce moment, elle avait exigé d’être rémunérée.

 

[22]         Elle a donc commencé à être payée pour le travail qu’elle avait toujours effectué bénévolement.

 

[23]         Elle a affirmé que le salaire horaire, qui avait été fixé à 20 $, lui a été payé en argent comptant pendant une certaine période de temps, puis a été versé par chèque à partir de la vérification.

 

[24]         L’appelante a aussi mentionné que la question des prestations d’assurance‑emploi était un sujet de discussion courant avec des collègues au Centre des données fiscales dans la même situation, ajoutant que plusieurs d’entre eux avaient aussi deux emplois.

 

[25]         En 2009, pour des raisons inconnues, l’appelante a été mise à pied par le Centre des données fiscales. Le relevé d’emploi qui lui fut remis faisait état de 489 heures de travail. Or, il s’agissait d’un nombre d’heures insuffisant pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi.

 

[26]         Elle a donc très rapidement obtenu un deuxième relevé attestant 110 heures de travail rémunérées pour l’entreprise de son conjoint, lui donnant ainsi droit à des prestations. Le nombre total d’heures de travail excédait alors de quelques heures le minimum nécessaire pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi.

 

[27]         Selon l’appelante, il s’agissait là d’heures de travail qu’elle avait déjà effectuées et pour lesquelles elle avait déjà été rémunérée, étant donné que le changement dans sa relation de travail s’était déjà produit. En d’autres termes, l’appelante avait déjà effectué ces heures de travail, pour lesquelles elle avait été rémunérée en argent comptant.

 

 

Madame Patry

 

[28]         Mme Patry, agente des appels et responsable de l’examen de l’appel de l’appelante, a expliqué avoir fait son enquête au moyen de conversations téléphoniques avec l’appelante et son conjoint. Elle y a soulevé les questions habituelles et a demandé à la fin des conversations s’il y avait quelque chose à ajouter. L’appelante n’a jamais fait mention du pourquoi il s’était effectué un changement quant à la rémunération. Seul son conjoint y a fait vaguement référence.

 

[29]         Elle a notamment relevé les écarts dans le nombre d’heures de travail d’abord effectuées bénévolement et, par la suite, rémunérées en argent comptant. Elle a aussi pris en compte ce nombre d’heures ainsi que l’importance des tâches accomplies.

 

[30]         Son rapport fait également état de la coïncidence entre le moment où le travail a commencé à être rémunéré en argent comptant et le moment du dépôt du second relevé d’emploi dans les jours qui ont suivi la réponse à l’effet que l’appelante n’avait pas suffisamment d’heures travaillées au Centre des données fiscales pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi.

 

 

Analyse

 

[31]         L’appelante est une personne ordonnée et disciplinée et a également des connaissances manifestement supérieures à la moyenne quant aux conditions pour obtenir des prestations d’assurance-emploi.

 

[32]         Elle travaille au Centre des données fiscales, un milieu où il semble y avoir un intérêt particulier pour la question de l’assurabilité d’emplois effectués par des travailleurs occasionnels.

 

[33]         Chose étonnante, lorsque des questions précises lui furent posées au sujet de faits essentiels, l’appelante devenait fort imprécise et évasive, et cela sur des sujets aussi importants que les tâches qu’elle exécutait et le nombre d’heures de travail effectuées. Les hésitations contrastaient avec d’autres parties de son témoignage précis.

 

[34]         J’accorde très peu de crédibilité aux explications de l’appelante quant à l’importance de ses tâches pour l’entreprise de son conjoint; elle n’est pas crédible quant au nombre d’heures de travail nécessaires pour accomplir les tâches dont elle avait la responsabilité. La question des heures de travail est un aspect fort important dans le dossier puisque la Loi permet à une personne de travailler un certain nombre d’heures sans que cela n’ait d’effet sur ses prestations d’assurance‑emploi. Or l’appelante travaille depuis plusieurs années au Centre des données fiscales d’une manière occasionnelle et irrégulière, le tout lui permettant sans doute d’obtenir des prestations d’assurance-emploi.

 

[35]         Pour cette raison, l’appelante a délibérément voulu minimiser l’importance de son travail puisqu’elle semble avoir bénéficié de prestations d’assurance-emploi durant les années précédant la période en litige et qu’elle s’attend sans doute à y avoir droit à nouveau dans l’avenir.

 

[36]         Certes, la raison donnée pour expliquer qu’elle ait commencé à être rémunérée sur les conseils d’un expert, afin de rendre plus harmonieuse la relation commerciale ou d’affaires avec son conjoint, évoque de la sympathie.

 

[37]         Il s’agit là de l’argument fondamental de l’appelante, son procureur qualifiant même l’explication de « cœur du litige ». Or, il m’apparaît tout à fait invraisemblable qu’un fait aussi fondamental n’ait pas été soulevé par l’appelante lors de sa conversation avec l’agente des appels, en particulier du fait que l’appelante avait des connaissances particulières quant aux conditions requises pour obtenir des prestations d’assurance-emploi.

 

[38]         L’agente des appels a bel et bien noté ce fait, l’information provenant cependant non pas de l’appelante mais de son conjoint; elle en a d’ailleurs fait expressément état dans le compte-rendu de son enquête.

 

[39]         L’appelante insiste sur cet aspect; elle conclut qu’il s’agit là d’une erreur importante et déterminante dans le traitement de son appel. Elle affirme que la conclusion de l’agente des appels repose essentiellement sur des erreurs et des spéculations nullement valides.

 

[40]         Le témoignage de l’agente des appels a permis de constater qu’elle avait relevé un certain nombre d’incohérences dans les explications, tout particulièrement quant au nombre d’heures de travail effectuées bénévolement pendant une très longue période, ensuite rémunérées en argent comptant au moment de la période visée par la vérification et par chèque après la vérification.

 

[41]         Outre les changements quant à la rémunération du travail, elle a aussi constaté des écarts entre le nombre d’heures indiqué par l’appelante et l’évaluation de son conjoint. La différence entre les deux évaluations peut sembler marginale mais il s’agit néanmoins d’une différence allant du simple au double.

 

[42]         En effet, si le travail effectué de manière bénévole par l’appelante était aussi peu important, comment expliquer qu’elle ait dû consulter un psychologue à la suite d’une profonde frustration qui mettait en péril la relation de couple? Il en est par contre tout autrement si l’appelante travaillait beaucoup plus, au point d’être en fait responsable de l’administration et de la comptabilité de l’entreprise, responsabilité importante voire essentielle dans la gestion d’une entreprise. Il est facile d’imaginer qu’un tel apport puisse être à l’origine d’une profonde frustration si le tout est effectué sans rémunération. Toute la question se situe donc au niveau de l’importance du travail.

 

[43]         L’entreprise opérait pendant toute l’année et avait des activités très variées nécessitant un travail comptable et administratif important exigeant manifestement plus de 4 heures par semaine.

 

[44]         L’agente des appels a aussi exprimé un certain scepticisme quant à l’importance du travail effectué par l’appelante. Ce scepticisme est tout à fait légitime et approprié, et est d’ailleurs justifié par les explications de l’appelante elle-même et validé par le témoignage de son conjoint.

 

[45]         En effet, la perception de l’agente des appels a été confirmée par l’appelante elle‑même lorsque celle-ci a indiqué que l’entreprise avait déjà engagé une secrétaire pour une certaine période, mais y avait renoncé parce qu’il n’y avait pas suffisamment de travail.

 

[46]         Ce seul élément démontre de façon assez éloquente que le travail comptable et administratif nécessite de toute évidence plus de 4 heures par semaine. En effet, comment expliquer qu’une entreprise puisse embaucher une secrétaire pour une tâche qui n’exige que 4 heures de travail par semaine? Certes, l’appelante pouvait être efficace et très expérimentée, mais de là à justifier d’embaucher quelqu’un, il y a un monde. Il y a un écart important entre 4 heures de travail et une charge complète de plus de trente heures de travail par semaine, la vérité se situant probablement entre les deux.

 

[47]         La preuve a d’ailleurs révélé que l’appelante pouvait prendre des appels, aider des clients au comptoir, faire les entrées comptables, rédiger les rapports mensuels, préparer tous les documents et les renseignements à la fin de l’exercice pour permettre au comptable de fermer les comptes, s’occuper des dettes, faire les comptes, préparer les paies, vérifier si les factures correspondaient aux commandes, s’assurer de la conformité des documents administratifs, faire des courses, faire les dépôts, payer en argent comptant certains employés, dont son fils et elle-même pendant une certaine période, et ainsi de suite.

 

[48]         L’appelante a affirmé que Mme Patry avait fait une erreur fondamentale parce qu’elle n’avait pas expressément mentionné que le travail fait bénévolement avait commencé à être rémunéré à la suite de consultations avec un psychologue.

 

[49]         Or, l’appelante n’a jamais donné cette explication lors de l’entrevue, alors qu’elle en a fait état d’une manière très importante dans son témoignage. De plus, l’agente des appels a bel et bien indiqué que M. Gauthier avait mentionné cette explication, mais en ne lui donnant absolument pas la même importance que l’appelante lors de l’audition.

 

[50]         L’appelante a tenté de blâmer l’agente des appels en affirmant que la question n’avait pas été soulevée. Il s’agit là d’une observation juste, puisqu’effectivement l’agente des appels doit poser toutes les questions pertinentes afin de faire une analyse exacte. Par contre, il s’agissait là d’un facteur très particulier et personnel.

 

[51]         D’ailleurs, l’appelante s’est repliée sur elle‑même à quelques reprises pour indiquer son malaise face à quelques questions personnelles; pourtant, à d’autres moments de son témoignage, elle n’a pas hésité à émettre des critiques très sévères à l’endroit de son conjoint.

 

[52]         Pour conclure cette question, je suis d’avis que le reproche à l’encontre de l’agente des appels est mal fondé, tout particulièrement parce que l’appelante a et avait de bonnes connaissances des conditions requises pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi. Elle aurait pu donner une explication très détaillée et complète de façon confidentielle, une conversation téléphonique étant manifestement plus appropriée qu’un procès public, où certains détails peu flatteurs quant à son conjoint ont pourtant été exprimés.

 

[53]         L’appelante a aussi beaucoup insisté sur la cohérence, en soutenant que l’agente des appels ne pouvait pas mettre en doute certains écrits préparés par l’employeur.

 

[54]         L’appelante aurait effectivement pu faire valoir cet argument si les documents avaient été préparés par un tiers indépendant et non intéressé. Cependant, l’appelante a de toute évidence préparé elle-même les documents en question, de sorte que son argument n’a pas l’importance qu’elle lui attribue.

 

[55]         À la lumière de la preuve présentée, je n’ai rien trouvé qui puisse discréditer le travail d’enquête et d’analyse de l’intimé, lequel a été validé par la preuve soumise devant le tribunal, et la conclusion retenue m’apparaît donc tout à fait raisonnable et cohérente avec les faits et les explications colligés lors de l’enquête.

 

[56]         Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’octobre 2011.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 487

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010‑1263(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              DIANE LAMY GAUTHIER c. MRN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 octobre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gilbert Nadon

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Anne Poirier

Mathieu Tanguay (stagiaire)

 

 

Avocat de l’intervenante :

Me Gilbert Nadon

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante et l’intervenante :

 

                               Nom :                 Me Gilbert Nadon

 

                            Cabinet :                Ouellet, Nadon et Associés

                                                          Montréal (Québec)

 

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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