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Dossier : 2011-1174(IT)I

 

ENTRE :

David Kent Lester,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 15 novembre 2011, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelant :

M. John Ayres

Avocat de l'intimée :

MErnesto Caceres

 

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2003 est accueilli, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte de ce qui suit :

 

1)       l'appelant a le droit de déduire la moitié des frais de gaz naturel pour sa résidence située à Hamilton (50 % x 1 439,69 $ = 720 $);

 

2)       l'appelant a droit, pour l'année civile 2003, à un remboursement de la taxe sur les produits et services en application du paragraphe 253(1) de la Loi sur la taxe d'accise relativement à des frais de 7 200 $ afférents à un véhicule automobile, comme l'a admis l'intimée, et aux frais de gaz naturel accordés par le présent jugement (720 $).

 

          L'appelant n'a droit à aucun autre allègement.

 

          Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 29e jour de novembre 2011.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13jour de janvier 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 543

Date : 20111129

Dossier : 2011-1174(IT)I

 

ENTRE :

David Kent Lester,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre

 

[1]              Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») dans laquelle la déduction de frais judiciaires, de frais de bureau à domicile et d'autres frais de bureau demandée par l'appelant dans le calcul de son revenu d'emploi pour l'année d'imposition 2003 a été refusée. En outre, lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre a refusé le remboursement de la taxe sur les produits et services (le « remboursement de la TPS ») que l'appelant avait demandé pour l'année civile 2003 en application du paragraphe 253(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA ») relativement aux frais judiciaires et aux frais afférents à un véhicule automobile qu'il avait déduits. Dans sa réponse à l'avis d'appel (paragraphe 39), l'intimée a admis le remboursement de la TPS payable à l'appelant relativement à des frais de 7 200 $ afférents à un véhicule automobile.

 

[2]              Dans sa déclaration de revenus pour 2003, l'appelant n'a inclus qu'un revenu d'emploi, exception faite d'un remboursement de la TPS pour une année antérieure déclaré en tant qu'autre revenu (pièce R‑5 et le témoignage de John Ayres, qui était le comptable de l'appelant et qui le représentait à l'audience).

 

[3]              L'appelant et son frère sont les actionnaires majoritaires d'un groupe de six sociétés de publication et de commercialisation exerçant leurs activités dans les industries de la motoneige et des véhicules tout‑terrain, au Canada et aux États‑Unis. Il a été décidé que l'une des six sociétés, à savoir Rustless Manufacturing Inc. (« Rustless »), serait la société de services de paie pour tous les employés du groupe. Rustless facturait le travail effectué par les employés (y compris l'appelant) aux autres sociétés et versait leur salaire aux employés. À l'audience, John Ayres a expliqué que tous les employés avaient un salaire normal et que tous les fonds excédentaires des sociétés étaient distribués entre divers employés, en fonction du travail effectué par chacun. Dans le cas de l'appelant, étant donné qu'il était un actionnaire majoritaire, si les sociétés ne réalisaient pas suffisamment de recettes durant une période de paie donnée, son salaire pouvait être réduit ou même annulé pour cette période. C'est la raison pour laquelle l'appelant se considérait aussi bien comme un employé salarié que comme un entrepreneur indépendant. Toutefois, la preuve ne révèle pas qu'il ait été rémunéré autrement qu'au moyen d'un salaire. L'appelant n'a reçu aucun revenu de commission, comme en témoignent sa déclaration de revenus (pièce R‑5) et le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail) produit sous la cote R‑4.

 

Frais judiciaires

 

[4]              Les frais judiciaires révisés de 19 556,43 $ déduits par l'appelant comprennent un montant d'environ 470 $ payé au comptable pour établir la déclaration de revenus de l'appelant (annexe B de la pièce A‑1), et le solde avait été payé à un cabinet d'avocats.

 

[5]              Les frais judiciaires ont été supportés après que l'appelant et son frère eurent découvert que, durant les années d'imposition 2002 et 2003, un troisième actionnaire important avait abusé des fonds du groupe. L'appelant et son frère avaient intenté une action en justice devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario contre cet autre actionnaire qui, en retour, avait déposé une action reconventionnelle contre eux. Ces actions en justice avaient finalement entraîné une rupture des relations d'affaires entre les trois actionnaires. L'action en justice avait été résolue par une offre d'achat et de vente signée par les parties en juillet 2002 et par le règlement définitif ultérieur des questions juridiques en décembre 2002. Dans son avis d'appel, l'appelant a déclaré ceci [TRADUCTION] : « les montants dépensés pour les frais judiciaires faisaient en sorte que je serais en mesure de continuer à gagner mon revenu de Rustless ».

 

[6]              Selon les observations écrites déposées par l'appelant, les frais judiciaires s'élevaient à 68 004,67 $ et avaient été répartis proportionnellement entre l'appelant, son frère et Rustless. Le paiement réel du montant total avait été fait au moyen du compte bancaire de Rustless. Toutefois, la part de l'appelant des frais judiciaires avait été considérée comme un avantage social imposable, et un montant de 19 177,60 $ avait été ajouté à son compte de paie et apparaissait sur son feuillet T4 de 2003 délivré par Rustless (annexes K, L et M de la pièce A‑1). L'appelant avait inclus ce montant dans son revenu d'emploi, mais il avait demandé une déduction du même montant (pièce A‑5).

 

[7]              En ce qui concerne les employés, la seule déduction qui peut être demandée à l'égard des frais judiciaires est celle qui est expressément prévue à l'alinéa 8(1)b) et au paragraphe 8(2) de la Loi, qui sont ainsi libellés :

 

Déductions

 

8(1) [Éléments déductibles] Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

b) [Frais judiciaires d'un employé] les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux‑ci;

 

[...]

 

8(2) [Restriction générale] Seuls les montants prévus au présent article sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi.

 

[8]              L'appelant et son comptable ont essayé d'expliquer à la Cour l'objet du litige à l'égard duquel une déduction pour frais judiciaires est demandée. Il s'agissait de permettre à l'appelant et à son frère de prendre les commandes des sociétés de publication et de veiller ainsi à ce que l'appelant puisse continuer à gagner sa vie au moyen de ces sociétés. L'appelant a déclaré qu'il avait supporté des frais judiciaires pour établir un droit à un revenu provenant de ces sociétés à l'avenir. Dans une lettre envoyée à l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») le 26 septembre 2007 (pièce R‑1), John Ayres s'exprimait ainsi :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Après avoir pris la décision de séparer les sociétés, Kent et Mark Lester ont décidé de chercher activement à faire rédiger une lettre d'intention afin d'acheter les actions détenues par l'autre actionnaire, [...]. Les factures des honoraires judiciaires de 39 112,87 $ ci‑jointes sont des frais que Kent et Mark Lester ont supportés afin de réaliser la séparation des sociétés.

 

[9]              Dans une lettre subséquente envoyée à l'ARC le 14 janvier 2011 (pièce R‑2), M. Ayres a expliqué que l'action civile avait donné lieu à une séparation des diverses sociétés, entraînant un changement de contrôle de ces sociétés. Toutefois, il a déclaré que l'action civile avait été engagée afin de permettre à l'appelant de protéger ses intérêts dans les sociétés et de faire en sorte qu'il puisse continuer à tirer des revenus de ces sociétés.

 

[10]         L'appelant a déposé à la Cour l'offre d'achat et de vente (annexe C de la pièce A‑1), les affidavits déposés à la Cour supérieure de justice de l'Ontario par les comptables des deux parties (annexes D et E de la pièce A‑1), des lettres écrites par les avocats des deux parties concernant les dispositions du règlement du litige porté devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario (annexes F et G de la pièce A‑1) et les factures des honoraires de l'avocat de l'appelant qui donnaient le détail des services professionnels rendus (annexes H, I et J de la pièce A‑1). Tous ces documents sont relatifs à la vente d'actions qui a donné lieu à la restructuration des sociétés en question. La déclaration déposée par l'appelant à la Cour supérieure de justice de l'Ontario n'a pas été fournie au cours de l'audience du présent appel. Je ne suis donc pas en mesure de déterminer quelle était la nature essentielle de la demande et, par conséquent, de trancher la question de savoir si, en intentant une action en justice contre le troisième actionnaire, l'appelant n'avait d'autre intention que d'acheter les actions de cet actionnaire. En engageant les poursuites judiciaires, l'appelant voulait peut‑être (et en fait voulait probablement) faire en sorte qu'il puisse continuer à tirer des revenus des sociétés qu'il contrôle maintenant avec son frère. Toutefois, la réalité est que l'appelant a été facturé pour des frais judiciaires supportés relativement à l'achat des actions détenues par un autre actionnaire et la restructuration des sociétés (ce que M. Ayres a finalement admis dans son témoignage).

 

[11]         Il est difficile de conclure, dans ces circonstances, que l'appelant a supporté les frais judiciaires pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui était dû par l'employeur ou pour établir un droit à ceux‑ci, comme l'exige l'alinéa 8(1)b) de la Loi.

 

[12]         Rustless, l'employeur, ne devait pas de salaire à l'appelant, et celui‑ci n'a pas engagé l'action en justice contre son ancien coactionnaire pour établir un droit à un salaire que lui devait Rustless.

 

[13]         Ainsi que l'a fait observer le juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Fenwick c. La Reine, [2008] A.C.F. no 1655 (QL), 2008 CAF 370, l'alinéa 8(1)b) de la Loi a une portée relativement restreinte. Voici les observations du juge Sharlow, au paragraphe 7 de cet arrêt :

 

[...] L'alinéa 8(1)b) a une portée relativement restreinte. Il vise les situations où un employé supporte des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour tenter de recouvrer un salaire ou traitement impayé ou cherche à régler un différend avec un employeur ou un ancien employeur quant au montant de salaire auquel l'employé a droit (voir Loo c. Canada, 2004 CAF 249). Dans les cas de différends avec l'employeur, l'employé allègue généralement une rétribution insuffisante.

 

[14]         En l'espèce, le droit de l'appelant de conserver sa rémunération en sa qualité d'employé n'était pas en cause. L'appelant a engagé l'action en justice en sa qualité d'actionnaire et non en tant qu'employé. Comme c'était le cas dans Fenwick, le fait que l'appelant ait deux rôles (actionnaire majoritaire et employé) ne change pas l'interprétation qu'il convient de donner à l'alinéa 8(1)b) de la Loi. Comme l'a fait observer le juge Woods dans Fenwick c. La Reine, 2008 CCI 243, au paragraphe 40, la disposition s'appliquerait alors d'une façon inéquitable aux contribuables qui font face à des circonstances similaires. Cette observation, à mon avis, répond aussi à l'autre argument soulevé par l'appelant, à savoir qu'il était aussi bien un entrepreneur indépendant qu'un employé. Dans sa déclaration de revenus, l'appelant n'a inclus qu'un revenu d'emploi, et Rustless a délivré un feuillet T4. En sa qualité d'actionnaire majoritaire du groupe de sociétés, l'appelant était conscient du fait qu'il était traité comme un employé, et il avait accepté ce traitement. Il ne peut pas se raviser après coup et faire valoir qu'en réalité, il n'était pas un employé. Dans l'arrêt Shell Canada ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes, au paragraphe 39 :

 

Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous‑tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle‑ci : Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe‑l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

 

[15]         L'appelant n'a pas réussi à me convaincre que sa situation d'employé ne représentait pas les rapports juridiques véritables qu'il avait lui‑même établis avec Rustless. Il n'a donc pas le droit de prétendre que, parce qu'il est actionnaire majoritaire, il est en mesure de donner une nouvelle qualification à son statut d'employé (donnant lieu à un revenu d'emploi), à savoir le statut d'entrepreneur indépendant (donnant lieu à un revenu d'entreprise), afin de pouvoir déduire de son revenu les frais judiciaires qu'il avait supportés (une question dont je ne suis toutefois pas saisie en l'espèce).

 

[16]         Pour le même motif, l'appelant ne peut pas déduire de son revenu les montants qu'il a payés au comptable pour l'établissement de sa déclaration de revenus pour 2003. Cette déduction n'est pas autorisée par l'article 8 de la Loi.

 

Frais de bureau à domicile et frais de bureau

 

[17]         L'appelant a déduit la moitié des frais d'assurance, de l'impôt foncier, des intérêts hypothécaires et des frais de gaz naturel pour son domicile situé à Hamilton, en se fondant sur le fait que la moitié de la maison était utilisée à des fins professionnelles. Dans son avis d'appel, l'appelant a déclaré qu'il effectuait l'essentiel de son travail à l'étage de sa résidence. La superficie de sa résidence est d'environ 2 500 pieds carrés, dont 1 000 pieds carrés sont utilisés pour son travail. Comme les bureaux principaux et les salles de rédaction des sociétés sont situés à Minden, en Ontario, l'appelant avait décidé d'aménager un ensemble de bureaux à son domicile afin d'y exercer ses fonctions plutôt que d'imposer aux sociétés le fardeau de coûts supplémentaires que représentent des loyers de bureaux et les coûts indirects connexes. L'appelant avait même donné l'adresse de sa résidence aux fournisseurs des diverses sociétés pour de nombreuses livraisons. Pour prouver qu'il travaillait à domicile, l'appelant a produit les factures de la ligne téléphonique de sa résidence, qui avaient été envoyées au siège social des sociétés à Minden (annexe P de la pièce A‑1). Ces factures font état d'un nombre considérable d'appels interurbains effectués en 2003 durant les heures d'ouverture, dont un bon nombre d'appels au bureau de Minden.

 

[18]         L'appelant a également produit des factures de la société Purolator pour justifier qu'un bon nombre de colis étaient envoyés à partir de son domicile ou y étaient reçus pour le compte des sociétés (annexe Q de la pièce A‑1).

 

[19]         L'appelant a également produit des reçus de vente qui faisaient état de travaux effectués pour une des sociétés à un ordinateur situé à l'adresse domiciliaire de l'appelant (annexe R de la pièce A‑1). L'appelant a également produit une facture envoyée à son adresse domiciliaire concernant un kiosque qu'une des sociétés avait occupé à un salon professionnel (annexe S de la pièce A‑1).

 

[20]         Les quatre dernières annexes mentionnées ont été produites par l'appelant à l'appui de son argument selon lequel un bon nombre d'activités professionnelles se déroulaient à son domicile.

 

[21]         L'appelant a également demandé la déduction de frais payés à l'égard d'un bien‑fonds décrit comme étant une partie du lot 4, concession 14, canton de Snowdon, à Minden, en Ontario, qui est une autre résidence lui appartenant. Selon l'adresse postale, le bureau administratif des sociétés à Minden n'est pas situé à cet endroit. Les dépenses déduites sont celles concernant l'impôt foncier, l'électricité, le téléphone et le chauffage. Encore là, c'est la moitié de ces dépenses qui a été déduite du revenu.

 

[22]         Le ministre a refusé les déductions demandées par l'appelant pour les dépenses du bureau à domicile à Hamilton et pour le bien‑fonds situé à Minden au motif que ces dépenses n'étaient pas déductibles aux termes de l'alinéa 8(1)i) de la Loi.

 

[23]         En outre, l'intimée a soutenu que, durant l'année en cause, l'appelant n'avait utilisé aucun local de travail à ces deux endroits pour accomplir principalement les fonctions de son emploi, il n'avait utilisé exclusivement aucun local à ces deux endroits au cours de cette année‑là aux fins de l'exercice de ses fonctions et n'avait pas non plus utilisé un tel local pour rencontrer des clients ou d'autres personnes de façon régulière et continue dans le cours normal de l'exécution des fonctions de son emploi.

 

[24]         Les sous‑alinéas 8(1)i)(ii) et (iii) et le paragraphe 8(13) de la Loi sont reproduits ci‑dessous :

 

Déductions

 

8(1) [Éléments déductibles] Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

i) [Cotisations et autres dépenses liées à l'exercice des fonctions] dans la mesure où il n'a pas été remboursé et n'a pas le droit d'être remboursé à cet égard, les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre :

 

[...]

 

(ii) du loyer de bureau ou du salaire d'un adjoint ou remplaçant que le contrat d'emploi du cadre ou de l'employé l'obligeait à payer,

 

(iii) du coût des fournitures qui ont été consommées directement dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi et que le contrat d'emploi du cadre ou de l'employé l'obligeait à fournir et à payer,

 

[...]

 

8(13) [Travail à domicile] Malgré les alinéas (1)f) et i) :

 

aun montant n'est déductible dans le calcul du revenu d'un particulier pour une année d'imposition tiré d'une charge ou d'un emploi pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie, selon le cas :

 

(i) est le lieu où le particulier accomplit principalement les fonctions de la charge ou de l'emploi,

 

(ii) est utilisée exclusivement, au cours de la période à laquelle le montant se rapporte, aux fins de tirer un revenu de la charge ou de l'emploi et est utilisée pour rencontrer des clients ou d'autres personnes de façon régulière et continue dans le cours normal de l'exécution des fonctions de la charge ou de l'emploi;

 

bsi une partie de l'établissement domestique autonome du particulier répond à l'une des conditions énoncées aux sous‑alinéas a)(i) ou (ii), le montant déductible pour cette partie d'établissement dans le calcul du revenu du particulier pour l'année tiré de la charge ou de l'emploi ne peut dépasser son revenu ainsi tiré pour l'année, calculé compte non tenu d'une déduction pour cette partie d'établissement;

 

ctout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu du particulier pour l'année d'imposition précédente tiré de la charge ou de l'emploi est réputé être un montant qui est par ailleurs déductible au titre de la partie de l'établissement dans le calcul du revenu du particulier pour l'année tiré de la charge ou de l'emploi et qui est, sous réserve de l'alinéa b), déductible dans le calcul de ce revenu.

 

[25]         Le fait que l'appelant ait été tenu, par son contrat d'emploi, de supporter des frais de bureau à domicile sans qu'il n'en obtienne remboursement (voir le formulaire T2200, pièce R‑4) ne semble pas être contesté. Toutefois, l'intimée s'est fondée sur les décisions Horbay c. La Reine, [2002] A.C.I. no 684 (QL) (C.C.I.), Thompson c. M.R.N., [1989] 3 C.F. 492 (C.F. 1re inst.), et Felton c. M.R.N., no 88‑405(IT), 20 mars 1989, 89 D.T.C. 233 (C.C.I.), pour soutenir que des intérêts sur de l'argent emprunté, des primes d'assurance et de l'impôt foncier ne peuvent pas être considérés comme l'équivalent d'un loyer de bureau, comme étant un loyer de bureau ou comme étant de la nature d'un loyer de bureau au sens du sous‑alinéa 8(1)i)(ii) de la Loi.

 

[26]         Je suis d'accord avec l'intimée sur le fait que la portée du terme « loyer de bureau » ne peut pas être élargie pour inclure de l'impôt foncier, des intérêts sur hypothèque et des primes d'assurance. Le sous‑alinéa 8(1)i)(ii) de la Loi autorise la déduction du loyer de bureau. Le libellé de cette disposition ne présente aucune ambiguïté. Dans l'arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes, aux paragraphes 23 et 24 :

 

23        Le degré de précision et de clarté du libellé d'une disposition fiscale influe donc sur la méthode d'interprétation. Lorsque le sens d'une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l'appliquer. La mention de l'objet de la disposition [traduction] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l'espèce, la disposition peut recevoir plus d'une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d'importance au contexte, à l'économie et à l'objet de la loi en question. Par conséquent, l'objet d'une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d'une disposition, mais à donner l'interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.

 

24        Bien qu'il existe une présomption résiduelle en faveur du contribuable, elle demeure seulement résiduelle et ne s'applique donc que dans le cas exceptionnel où les principes d'interprétation ordinaires ne permettent pas de régler la question en litige : Notre‑Dame de Bon‑Secours, p. 19. Tout doute concernant le sens d'une loi fiscale doit être raisonnable et la présomption ne peut être invoquée que si l'application des règles d'interprétation habituelles n'a pas permis de déterminer le sens de la disposition en cause. J'estime qu'en l'espèce la présomption résiduelle n'est d'aucune utilité à PDC puisque l'application des règles ordinaires d'interprétation législative permet de dissiper l'ambiguïté de la Loi de l'impôt sur l'exploitation minière. [...]

 

[27]         Le sous‑alinéa 8(1)i)(ii) de la Loi ne présente aucune ambiguïté. Une déduction pour loyer de bureau ne vise pas des frais d'intérêts, d'impôt foncier ou d'assurance. Cette question a été déjà tranchée par la Cour, comme en témoigne le passage suivant tiré de Horbay, précité, au paragraphe 7 :

 

7          La Cour accepte l'interprétation proposée par le juge McNair, de la Cour fédérale, dans l'affaire Thompson c. Canada (Ministre du Revenu national) [1989] 3 C.F. 492, (89 DTC 5439), un appel reposant sur des motifs identiques. Le juge McNair a cité le jugement du juge Rip, de la C.C.I., dans l'affaire Felton c. M.R.N., 89 DTC 233 (C.C.I.), en affirmant aux pages 5443 et 5444 :

 

Le motif formel du jugement est exposé aux pages 234 et 235 :

 

[TRADUCTION] Les mots « loyer » et « rent » utilisés au sous‑alinéa 8(1)i)(ii) envisagent le cas d'un paiement effectué par un locataire à un propriétaire qui est propriétaire du bureau en contrepartie de la possession exclusive du bureau, le bien loué à celui‑ci par celui‑là.

 

Les paiements faits par M. Felton à un prêteur d'argent pour les intérêts dus sur un prêt d'argent, à un fournisseur de services publics pour ces services, à des employés d'entretien pour l'entretien, à un assureur pour les assurances et à une municipalité pour ce qui concerne les taxes ne constituent pas des paiements effectués par un locataire à un propriétaire. Aucun de ces paiements n'a été effectué par M. Felton pour l'utilisation, l'occupation ou la possession d'un bien qui était la propriété d'une autre personne.

 

Manifestement, les juges de la Cour de l'impôt ont, dans les deux affaires Phillips et Felton, appliqué la règle d'interprétation législative fondée sur le sens ordinaire des mots pour déterminer que les frais de bureau à domicile d'un employé n'étaient pas déductibles à titre de loyer de bureau en vertu du sous‑alinéa 8(1)i)(ii), malgré l'injustice illogique que crée cet article en permettant la même déduction dans le cas des entreprises ou des professionnels.

 

Cette règle moderne d'interprétation des lois fiscales a été admirablement exposée par le juge Estey dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; 84 DTC 6305. Le juge a rappelé la règle d'interprétation législative stricte invoquée pendant nombre d'années, selon laquelle toute ambiguïté apparaissant dans les dispositions d'une loi fiscale qui imposent une charge devait être tranchée en faveur du contribuable. Il a signalé que le contraire était vrai lorsqu'un contribuable tentait de s'appuyer sur une exemption ou une déduction prévue précisément dans la toi [sic]. Dans cette affaire‑là, la règle stricte exigeait que la réclamation de la contribuable soit clairement visée par les dispositions prévoyant une déduction, et tout doute à cet égard devait être tranché en faveur de la Couronne. En effet, il percevait l'adoption d'exemptions et de déductions comme marquant « le début de la fin du règne de l'interprétation stricte ». Le juge a formulé la conclusion suivante, à la page 578 du recueil de la Cour suprême (voir DTC à la page 6323) :

 

Dans l'article précité, le professeur Willis prévoit fort justement l'abandon de la règle d'interprétation stricte des lois fiscales. Comme nous l'avons vu, le rôle des lois fiscales a changé dans la société et l'application de l'interprétation stricte a diminué. Aujourd'hui, les tribunaux appliquent à cette loi la règle du sens ordinaire, mais en tenant compte du fond, de sorte que si l'activité du contribuable relève de l'esprit de la disposition fiscale, il sera assujetti à l'impôt. Voir Whiteman et Wheatcroft, précité, à la p. 37.

 

Bien que les remarques de E. A. Dreidger dans son ouvrage Construction of Statutes (2 éd. 1983), à la p. 87, ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève :

 

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une Loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la Loi, l'objet de la Loi et l'intention du Législateur.

 

[...]

 

Reste la question suivante : Les montants réclamés pour les frais de bureau à domicile pour les années d'imposition 1980 et 1981 sont‑ils déductibles à titre de « loyer de bureau » en vertu du sous‑alinéa 8(1)i)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu? À mon avis, le sens ordinaire des mots de la disposition législative interprétée dans le contexte de l'esprit de la Loi dans son ensemble exclut toute possibilité d'une réponse affirmative. Ce fut l'approche que les juges de la Cour canadienne de l'impôt ont adoptée dans les affaires Phillips et Felton et à laquelle je souscris entièrement. Par conséquent, j'estime que le ministre a eu raison d'établir comme il l'a fait les nouvelles cotisations concernant le revenu du défendeur pour les années d'imposition 1980 et 1981, à l'exception seulement des montants réclamés pour les services publics, le chauffage et l'électricité en 1980.

 

[28]         Toutefois, les coûts d'électricité et de chauffage peuvent être déduits du revenu à titre de frais de bureau à domicile en application du sous‑alinéa 8(1)i)(iii) de la Loi. Une telle déduction a été admise dans Thompson, précité, et le bulletin d'interprétation IT‑352R2, au paragraphe 5, confirme qu'elle est possible. L'avocat de l'intimée ne conteste pas de telles déductions, pourvu que le paragraphe 8(13) de la Loi ne s'applique pas.

 

[29]         En ce qui concerne le bien‑fonds résidentiel situé à Hamilton, je suis convaincue, selon les éléments de preuve dont je suis saisie, que l'on peut dire que l'appelant accomplissait principalement les fonctions de son emploi à cette résidence en 2003, de sorte que le paragraphe 8(13) de la Loi n'empêche pas la déduction des frais de gaz naturel. Toutefois, l'appelant n'a fourni aucun élément de preuve à l'égard du bien‑fonds situé à Minden, et les hypothèses de fait du ministre sont maintenues en ce qui concerne ce bien‑fonds. J'accueille donc l'appel comme suit :

 

1)       l'appelant a le droit de déduire la moitié des frais de gaz naturel pour sa résidence située à Hamilton (50 % x 1 439,69 $ = 720 $);

 

2)       l'appelant a droit, pour l'année civile 2003, à un remboursement de la TPS en application du paragraphe 253(1) de la LTA relativement à des frais de 7 200 $ afférents à un véhicule automobile, comme l'a admis l'intimée, et aux frais de gaz naturel accordés par le présent jugement (720 $).

 

[30]         L'appelant n'a droit à aucun autre allègement.

 

[31]         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 29jour de novembre 2011.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13jour de janvier 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 543

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2011-1174(IT)I

 

INTITULÉ :                                       David Kent Lester c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 15 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 29 novembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelant :

M. John Ayres

Avocat de l'intimée :

Me Ernesto Caceres

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

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