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Dossier : 2009-3300(GST)G

ENTRE :

HAROLD DAVID BABAKAIFF,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

 

Appel entendu le 20 octobre 2011, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Dale Barrett

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

 

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise – cotisation dont l’avis est daté du 23 octobre 2008 et porte le numéro 695750 –, est rejeté, avec dépens.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2012.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de février 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 22

Date : 20120118

Dossier : 2009-3300(GST)G

ENTRE :

HAROLD DAVID BABAKAIFF,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

I.     CONTEXTE

 

[1]              L’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») prévoit qu’un administrateur peut être tenu responsable du défaut d’une société de verser un montant de taxe sur les produits et services (la « TPS »), à moins que l’administrateur démontre qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour empêcher le défaut de versement. En l’espèce, l’appelant, Harold David Babakaiff, a interjeté appel d’une cotisation établie à son égard le 23 octobre 2008 sur le fondement de la responsabilité des administrateurs relativement au montant de TPS non versé par une société, à savoir 400 323,12 $.

 

II.      CONTEXTE FACTUEL

 

[2]              L’appelant est l’unique administrateur de New Street Developments Inc. (« NSD »), qui avait auparavant le nom d’Excite Homes Inc. Cette société exploitait une entreprise de construction et de vente d’immeubles résidentiels, bien qu’elle ait plus tard cherché à modifier ses activités pour faire de la promotion immobilière.

 

[3]              À titre d’inscrit aux fins de la TPS, NSD était responsable de percevoir la TPS pour toutes ses fournitures taxables. Il s’agissait principalement de TPS perçue sur la vente de maisons neuves. Comme tout inscrit aux fins de la TPS, NSD a aussi pu demander des crédits de taxe sur les intrants pour la TPS payée ou à payer sur les biens et les services acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales. Dans le contexte de ses activités de vente de maisons neuves, NSD se faisait parfois céder le droit de l’acheteur au remboursement de TPS pour habitation neuve, ce qui réduisait le montant de TPS à verser de NSD.

 

[4]              NSD a produit ses déclarations mensuelles de TPS en retard pour les périodes suivantes :

 

·        du 1er au 31 mai 2006, à produire le 30 juin 2006, produite le 16 février 2007;

·        du 1er juin au 30 juin 2006, à produire le 31 juillet 2006, produite le 1er mars 2007;

·        du 1er au 31 juillet 2006, à produire le 31 août 2006, produite le 7 septembre 2007;

·        du 1er au 30 septembre 2006, à produire le 31 octobre 2006, produite le 7 septembre 2007;

·        du 1er au 31 octobre 2006, à produire le 30 novembre 2006, produite le 7 septembre 2007;

·        du 1er au 31 mars 2007, à produire le 30 avril 2007, produite le 21 mai 2008.

 

[5]              Lorsque NSD a finalement produit ses déclarations de TPS, elle a déclaré un montant total de TPS à percevoir de 463 592,62 $ pour ces périodes, montant duquel elle a soustrait un montant global de 98 895,41 $ au titre de crédits de taxe sur les intrants, pour un montant net de TPS à payer de 364 697,21 $. Sur ce montant net, NSD a seulement versé 22 800 $, pour un solde à verser de 341 897,21 $. Le montant total de 400 323,12 $ réclamé d’abord à NSD, puis à son unique administrateur – c’est‑à‑dire l’appelant, Harold David Babakaiff – inclut les pénalités et les intérêts afférents.

 

III.     QUESTION EN LITIGE

 

[6]              L’appelant est‑il tenu de payer le montant de TPS non versé par NSD, ou a‑t‑il rempli les exigences de la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la LTA?

 

IV.     THÈSE DE L’APPELANT

 

[7]              L’appelant invoque la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la LTA. Il soutient que, à titre d’unique administrateur de NSD, il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances pour prévenir le défaut par NSD de verser la TPS due.

 

[8]              L’appelant affirme que le défaut par NSD de verser la TPS découlait directement de la conduite négligente de deux avocats engagés pour s’occuper de conclure les ventes d’immeubles résidentiels de NSD. Selon l’appelant, les avocats de NSD n’avaient pas rempli à temps les documents constatant la conclusion des ventes d’immeubles résidentiels.

 

[9]              L’appelant allègue que, au printemps 2006, le premier avocat de NSD, Me Shaun Langin, a commencé à être négligent par rapport à la conclusion des ventes de biens immobiliers et à la transmission à NSD des documents constatant la conclusion des ventes. Sans ces documents, qui précisaient le montant de TPS payé ou à payer et qui montraient si l’acheteur avait cédé son remboursement de TPS pour habitation neuve, NSD ne pouvait pas remplir convenablement ses déclarations de TPS ou calculer la TPS qu’elle devait verser. L’appelant affirme qu’il a tenté à de nombreuses reprises d’obtenir ces documents de Me Langin, mais que, compte tenu de la négligence constante de ce dernier, il a cessé d’avoir recours aux services de Me Langin à la fin de l’été 2006. L’appelant a présenté des éléments de preuve montrant que, le 12 octobre 2006, la Law Society of Alberta (le barreau de l’Alberta) avait pris des mesures disciplinaires à l’endroit de Me Langin parce que ce dernier avait manqué à de nombreuses reprises à des engagements qu’il avait pris envers ses clients.

 

[10]         Après avoir cessé d’utiliser les services de Me Langin, NSD a trouvé un nouvel avocat, Me Doug Welder, en septembre 2006. Selon l’appelant, ce deuxième avocat est aussi devenu négligent par rapport à la transmission des documents constatant la conclusion des ventes et à l’exécution de ses tâches. L’appelant a aussi présenté des éléments de preuve montrant que Me Welder avait été radié pour trois mois après avoir été reconnu coupable d’inconduite professionnelle par la Law Society of British Columbia (le barreau de la Colombie‑Britannique) parce qu’il avait omis de verser la TPS et les retenues à la source des employés.

 

[11]         L’appelant soutient qu’il a cherché l’aide de professionnels en comptabilité et qu’il a réussi à l’obtenir, comme il l’avait fait pour ses autres entreprises commerciales, afin d’avoir des conseils quant à la gestion financière de NSD. Il a engagé Tracy Welch, une comptable générale accréditée d’expérience, et l’appelant et Mme Welch se sont rencontrés régulièrement pour discuter de la situation financière de NSD. Lorsque les problèmes avec les avocats sont survenus, l’appelant et Mme Welch ont réfléchi prudemment à ce qu’ils devaient faire tous les mois et ils ont décidé, lorsque la date de production de chaque déclaration arrivait, de ne pas remplir la déclaration et de ne pas attester de la véracité de son contenu en raison des renseignements manquants.

 

[12]         L’appelant soutient que, jusqu’à ce qu’il reçoive les renseignements nécessaires à la production des déclarations de TPS en retard, il avait des motifs raisonnables de croire que NSD était globalement en droit de recevoir un remboursement de TPS pour la période allant du 2 février 2007 au 21 mai 2008. Avant que les déclarations en retard aient été remplies et produites, NSD avait habituellement été en droit de recevoir un remboursement de TPS, car ses crédits de taxe sur les intrants dépassaient le montant de TPS qu’elle devait percevoir et verser. L’appelant affirme que c’est seulement à la fin de l’été 2006 qu’il a découvert que NSD avait des difficultés financières. Il avait présumé que, après la production des déclarations de TPS en retard, NSD aurait très peu de TPS à verser, et ce, pour les raisons données ci‑dessus.

 

[13]         L’appelant croyait qu’il pourrait régler la TPS à payer de NSD, le cas échéant, en faisant vendre par NSD un grand terrain dont elle était propriétaire à Nanaimo, en Colombie‑Britannique. Ce projet a avorté lorsque le marché immobilier canadien s’est soudainement effondré au milieu de l’année 2006. Le détenteur de la créance hypothécaire qui grevait le terrain de Nanaimo a fait vendre le terrain conformément à une ordonnance de vente, ce qui a fait qu’il ne restait rien pour acquitter la dette de TPS de NSD.

 

V.      THÈSE DE L’INTIMÉE

 

[14]         L’intimée affirme que l’appelant avait eu connaissance des difficultés de NSD dès le mois de mars 2006, comme le démontre la réponse donnée par l’avocat de l’appelant relativement à un engagement pris lors de l’interrogatoire préalable, réponse selon laquelle NSD avait cessé de faire les paiements pour le terrain de Nanaimo le 1er mars 2006. Selon l’intimée, cela démontre que NSD éprouvait des difficultés financières près de six mois avant le moment auquel l’appelant prétend avoir eu connaissance des difficultés financières de NSD, c’est‑à‑dire à la fin de l’été 2006. L’intimée soutient que l’appelant aurait dû intervenir beaucoup plus tôt en prenant des mesures importantes pour empêcher les défauts de versement.

 

[15]         L’intimée avance que, lorsque l’appelant s’est rendu compte qu’il n’avait pas les renseignements nécessaires pour remplir les déclarations de TPS, il aurait pu prendre les mesures qui s’imposaient pour les obtenir et faire en sorte qu’il n’y ait aucun autre défaut. NSD aurait pu obtenir de tels renseignements en consultant un simple état des déboursés ou des rajustements établis au moment de la vente.

 

[16]         L’intimée soutient que l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve étayant l’assertion selon laquelle, pour verser la TPS due, NSD avait seulement reçu une très petite partie du produit de la vente du terrain puisque les créanciers hypothécaires avaient fait vendre le terrain conformément à une ordonnance de vente. Au contraire, les réponses données par l’appelant lors de l’interrogatoire préalable révèlent que NSD s’était servie de sa part du produit de la vente pour rembourser des dettes garanties par des privilèges de construction et des jugements enregistrés à l’égard de biens immeubles. C’est l’appelant qui a le fardeau d’établir que les ventes avaient été faites sous la contrainte, et l’intimée soutient qu’en l’espèce, l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau à cet égard.

 

[17]         L’intimée souligne aussi que l’appelant, à titre d’administrateur et de dirigeant de NSD, n’avait rien fait pour que NSD conserve la TPS perçue dans un compte distinct de son compte général. Elle avance que l’appelant était au courant des difficultés financières de NSD et que le fait qu’il n’avait pas ordonné aux avocats de conserver la TPS dans un compte distinct et qu’il n’avait pas veillé à ce que les sommes reçues servent à verser la TPS due plutôt qu’à rembourser d’autres créanciers démontre que l’appelant n’a pas fait preuve de diligence raisonnable.

 

[18]         Selon l’intimée, l’appelant a parié que NSD aurait droit à un remboursement de TPS, tout en espérant que le terrain de Nanaimo lui serve de « police d’assurance » pour rembourser une dette éventuelle de TPS. L’intimée affirme qu’un tel pari démontre que l’appelant n’a pas agi avec le soin nécessaire pour s’assurer que NSD remplisse ses obligations en matière de TPS.

 

VI.     ANALYSE

 

[19]         Le paragraphe 323(1) de la LTA établit la responsabilité des administrateurs d’une société qui ne verse pas la taxe nette dont elle est redevable :

 

Responsabilité des administrateurs

 

323(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

[20]         L’appelant invoque la défense de diligence raisonnable qui est prévue au paragraphe 323(3) de la LTA pour les administrateurs à l’égard desquels une cotisation a été établie relativement au défaut de versement d’une société. Le paragraphe 323(3) est ainsi rédigé :

 

Diligence

 

323(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[21]         Dans l’arrêt Buckingham c. Canada[1], la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il faut appliquer une norme objective à la défense de diligence raisonnable que peuvent invoquer les administrateurs en vertu des paragraphes 323(3) de la LTA et 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu[2] (la « LIR »). Avant l’arrêt Buckingham, la décision de principe sur la norme applicable était l’arrêt Soper c. Canada[3], où la Cour d’appel fédérale avait conclu que le critère applicable était une norme objective subjective.

 

[22]         Dans l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a expliqué de manière générale comment s’applique la norme objective et elle a rappelé la raison fondamentale que la Cour suprême du Canada avait invoquée pour justifier l’imposition d’une telle norme dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise[4] :

 

[38]      Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci : Magasins à rayons Peoples, aux paragraphes 59 à 62. Si l’on qualifie cette norme d’objective, il devient évident que ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l’administrateur qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers : Magasins à rayons, au paragraphe 63. L’apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d’administration au moyen de l’établissement de bonnes règles de régie d’entreprise : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 64. Des normes plus strictes empêchent aussi la nomination d’administrateurs inactifs choisis pour l’apparence ou qui ne remplissent pas leurs obligations d’administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction : Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e édition (Markham, Ontario: LexisNexis Canada, 2007), à la page 11.9.

 

[23]         Cependant, pour faire cette évaluation, la Cour doit tenir compte des circonstances propres à NSD et à l’appelant. Dans l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a affirmé que les facteurs contextuels font partie de l’analyse objective :

 

[39]      Une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérés au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ». Comme l’a souligné la Cour dans Magasins à rayons Peoples au paragraphe 62 :

Le texte de l’al. 122(1)b) de la LCSA qui énonce l’obligation de diligence reprend presque mot à mot celui que propose le Rapport Dickerson. La principale différence réside dans le fait que la version qui a été adoptée comprend les mots « en pareilles circonstances », ce qui modifie la norme légale en exigeant qu’il soit tenu compte du contexte dans lequel une décision donnée a été prise. Le législateur n’a pas introduit un élément subjectif relatif à la compétence de l’administrateur, mais plutôt un élément contextuel dans la norme de diligence prévue par la loi. Il est clair que l’al. 122(1)b) est plus exigeant à l’égard des administrateurs et des dirigeants que la norme traditionnelle de diligence prévue par la common law et expliquée, par exemple, dans la décision Re City Equitable Fire Insurance, précitée. [[1925] 1 Ch. 407].

 

[24]         En l’espèce, ce contexte inclut les conditions économiques qui existaient dans le marché de l’habitation et qui ont finalement mené à la disparition de NSD ainsi que l’expérience malheureuse de NSD avec deux avocats négligents. Pour décider ce qu’une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances, la Cour ne peut pas faire abstraction des problèmes auxquels la société de l’appelant devait faire face.

 

[25]         Dans l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a souligné expressément que, lorsqu’on applique le critère prévu aux paragraphes 227.1(3) de la LIR et 323(3) de la LTA, il faut tenir compte des mesures prises par l’administrateur pour empêcher le défaut de versement :

 

[40]      L’objectif de l’examen prévu aux paragraphes 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise différera toutefois de celui qu’exige l’alinéa 122(1)b) de la LCSA, car les premières dispositions requièrent que l’administrateur s’acquitte de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versement. Pour invoquer ces moyens de défense, l’administrateur doit par conséquent démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

 

[26]         Pour l’administrateur, il n’est pas suffisant de prendre des mesures après coup pour remédier au défaut par la société de verser la taxe nette. La défense de diligence raisonnable repose sur les mesures qui ont été prises pour empêcher que ces défauts surviennent. Un administrateur ne peut pas, comme ce qu’a fait l’appelant en l’espèce, prétendre avoir fait preuve d’une diligence raisonnable parce qu’il détenait un autre actif qui lui aurait servi de « police d’assurance » pour rembourser une éventuelle dette envers la Couronne. Une société ne peut pas parier avec les sommes qu’elle détient pour la Couronne. Contrairement à d’autres, la Couronne est un créancier involontaire qui ne peut pas réduire son exposition au risque en fonction de l’évolution de la situation financière d’une société. Comme il a été expliqué dans l’arrêt Buckingham :

 

[49]      L’approche traditionnelle est celle voulant que l’administrateur a le devoir de prévenir les défauts de versement, et non de les avaliser dans l’espoir qu’il sera ensuite possible de remédier aux problèmes : Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173 (C.A.), au paragraphe 35, Ruffo c. Canada, 2000 D.T.C. 6317, [2000] 4 C.T.C. 39 (C.A.F.). Contrairement aux fournisseurs d’une société qui peuvent limiter leurs risques financiers en exigeant des paiements comptants en avance, la Couronne est un créancier involontaire. Le niveau des risques encourus par la Couronne à l’égard d’une société peut donc accroître si la société poursuit ses activités en versant aux employés les salaires nets sans effectuer les versements des retenues à la source sur ces salaires,; ou si la société décide de percevoir la TPS/TVH des clients sans déclarer et verser ces montants en temps opportun. Une société qui fait face à des difficultés financières pourrait s’hasarder à réaffecter les versements dus à la Couronne afin de payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite de ses activités. C’est précisément une telle conjoncture que les articles 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323 de la Loi sur la taxe d’accise visent à éviter. Le moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne devrait pas servir à encourager de tels défauts de versement en permettant aux administrateurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable lorsqu’ils financent les activités de leur société à l’aide de remises dues à la Couronne, en espérant remédier plus tard à ces défauts.

 

[…]

 

[56]      L’administrateur d’une société qui avalise la poursuite des activités de sa société en réaffectant à d’autres fins des retenues à la source sur les salaires ne peut établir une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Tout le régime de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, lu dans son ensemble, est précisément conçu pour éviter de telles situations. En l’espèce, l’intimé avait une attente raisonnable (mais erronée) que la vente de la division de production de cours en ligne donnerait lieu à un paiement important pouvant servir à satisfaire les créanciers, mais il a consciemment fait assumer par la Couronne une partie des risques associés à cette transaction en continuant les activités tout en sachant que les retenues à la source ne seraient pas versées. Il s’agit précisément du méfait que le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu vise à éviter.

 [57]     Une fois que le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que les efforts déployés par l’intimé après le mois de février 2003 ne visaient plus à éviter les défauts de versements, le moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être retenu.

 

[27]         L’appelant soutient qu’il ne devrait pas être tenu de rembourser la dette de TPS de NSD parce que le défaut de NSD de verser la TPS est survenu sans qu’il le sache et pour des raisons qui échappaient à son contrôle. Lorsqu’il a découvert les défauts de versement, il était trop tard pour faire quoi que ce soit.

 

[28]         Selon l’appelant, NSD a accumulé sa dette de TPS de 364 697,21 $ pendant la période du 31 mai 2006 au 30 avril 2007. L’appelant affirme que, pendant cette période, il ne pouvait pas remplir les déclarations de TPS mensuelles de NSD parce que les avocats de cette dernière étaient négligents par rapport à la transmission des documents constatant la conclusion des ventes ainsi que des renseignements nécessaires pour remplir les déclarations. L’appelant dit avoir seulement découvert l’arriéré de TPS à verser lorsqu’il a pu remplir les déclarations de TPS pour la période de déclaration du 1er au 31 mai 2006, c’est‑à‑dire en février 2007. L’ampleur du problème est seulement devenue évidente lorsque toutes les déclarations de TPS en retard ont finalement été produites.

 

[29]         À mon avis, ce serait une erreur de conclure que l’appelant n’avait pas connaissance de la dette de TPS de NSD à cause de la conduite prétendument négligente des avocats de NSD. D’ailleurs, la preuve révèle qu’un état des déboursés était établi avant la vente de chaque immeuble. Cet état montrait le prix de vente, la TPS (lorsqu’elle n’était pas incluse dans le prix), le montant du remboursement de TPS, la cession du remboursement de TPS au vendeur et tous les autres déboursés liés à la conclusion de la vente. Les avocats ne pouvaient pas remettre le produit de la vente sans ces renseignements. La pièce R‑3 est un bon exemple du genre d’état sur lequel les dirigeants de NSD auraient pu se fonder pour remplir les déclarations de TPS mensuelles de NSD.

 

[30]         Les états des déboursés renfermaient tous les renseignements dont NSD avait besoin pour remplir ses déclarations de TPS mensuelles. Après la conclusion de chaque vente, rien n’empêchait l’appelant de retourner au bureau avec cet état en main. Si l’appelant avait demandé ces états, il aurait pu connaître le montant de TPS à verser de NDS peu après la fin de chaque mois.

 

[31]         L’appelant affirme aussi que NSD avait cessé de produire ses déclarations de TPS à temps sur la recommandation de Mme Welch, la comptable interne de NSD. Selon l’appelant, Mme Welch a essayé, en vain, d’obtenir les renseignements nécessaires pour remplir les déclarations de TPS, puis elle a recommandé à l’appelant de ne pas produire les déclarations avant qu’elles puissent être remplies correctement. L’appelant n’a pas expliqué pourquoi Mme Welch n’avait pas été appelée à témoigner pour corroborer cette allégation. Par conséquent, je tire une conclusion défavorable de l’absence de Mme Welch à l’audience.

 

[32]         La preuve révèle aussi que NSD avait cessé de faire les paiements hypothécaires pour le terrain de Nanaimo en mars 2006. Cela aura dû faire comprendre à l’appelant que NSD commençait à être dans une situation financière précaire. C’est à ce moment‑là que l’appelant aurait dû prendre des mesures pour s’assurer que la TPS perçue auprès des acheteurs des résidences de NSD et détenue en fiducie par NSD soit conservée dans un compte distinct des autres fonds de NSD.

 

[33]         Bien qu’il ne fasse aucun doute que les avocats de NSD ont fait preuve d’une certaine négligence en n’accomplissant pas les formalités de conclusion de chaque vente dans les délais, cela n’explique pas le fait que l’appelant n’a pas pris de mesures décisives pour veiller à ce que NSD continue à verser la TPS. En fait, certains éléments de preuve démontrent que l’appelant a plutôt utilisé les montants perçus pour rembourser des dettes à d’autres créanciers, donnant priorité à ces dettes sans prendre les mesures nécessaires pour déterminer le montant de TPS que NSD devait verser à la Couronne et pour veiller à ce que cette somme soit versée.

 

[34]         Par ailleurs, le fait que le marché de l’habitation se soit effondré n’est d’aucun secours à l’appelant. Comme il a été souligné ci‑dessus, certains éléments de preuve donnent à penser que l’appelant avait eu connaissance des problèmes financiers de NSD dès le printemps 2006, lorsque NSD avait cessé de faire les paiements hypothécaires à l’égard du terrain de Nanaimo. C’est à ce moment‑là qu’une personne raisonnablement prudente aurait pris des mesures concrètes pour veiller à ce que la TPS soit versée.

 

[35]         Les connaissances et les antécédents de l’appelant ne renforcent pas du tout son recours à la défense fondée sur la diligence raisonnable. En tant qu’homme d’affaires chevronné qui connaissait très bien le secteur du logement, l’appelant savait, ou aurait dû savoir, dès le printemps 2006 que NSD ne construisait plus de résidences au même rythme que lors des années précédentes, ce qui a entraîné une diminution importante du montant de crédits de taxe sur les intrants auquel elle avait droit. J’ai beaucoup de difficulté à croire que, lorsque NSD s’est mise à liquider les résidences invendues et a dû arrêter ses activités de construction par manque de nouveau financement, l’appelant n’a pas compris que NSD allait rapidement être forcée de verser un montant net de TPS. Compte tenu de tous les éléments de preuve, je soupçonne que le fait que NSD ait arrêté de produire ses déclarations de TPS après avoir cessé de faire les paiements hypothécaires à l’égard du terrain de Nanaimo n’est pas une simple coïncidence. Dans les faits, il semble que NSD vendait ses immeubles résidentiels à un prix inférieur à leur coût. NSD détournait la TPS perçue et détenue en fiducie pour la Couronne afin de rembourser des créanciers hypothécaires et d’autres parties intéressées, tout en espérant que la vente du terrain de Nanaimo lui permette de régler sa dette de TPS.

 

[36]         L’appelant allègue que plus de 30 % des immeubles de NSD avaient été vendus sous la contrainte par les créanciers hypothécaires de NSD, en application d’ordonnances judiciaires autorisant ces derniers à conclure les ventes au nom de NSD sans l’intervention des administrateurs et des dirigeants de NSD. Selon l’appelant, le produit de ces ventes a été distribué à son insu et sans son intervention. Sauf pour ce qui est du terrain de Nanaimo, aucune preuve documentaire n’a été déposée pour étayer cette prétention, et ce, même si lors du contre‑interrogatoire, l’appelant a soutenu que NSD détenait des documents qui démontraient la véracité de cette assertion. L’appelant n’a pas précisé quels immeubles avaient été vendus en application de telles ordonnances, et, par ailleurs, il n’a pas quantifié le montant de TPS qui aurait été détourné par les créanciers de NSD. C’est l’appelant qui avait le fardeau d’établir le bien‑fondé de cette prétention. Je conclus qu’il ne s’en est pas déchargé.

 

[37]         Pour réussir à invoquer la défense de diligence raisonnable, l’administrateur doit démontrer qu’il a pris des mesures concrètes pour empêcher les défauts de versement. En l’espèce, les éléments de preuve présentés consistent principalement en un grand nombre de courriels dans lesquels l’appelant a exprimé sa frustration face à la compétence des avocats, et aucun de ces courriels ne porte expressément sur des préoccupations liées à la TPS. Lorsque la négligence des avocats et les problèmes financiers de NSD sont devenus évidents, l’appelant aurait pu s’assurer que la TPS perçue était conservée dans un compte distinct. Il aurait aussi pu exiger, pour chacune des ventes, de recevoir davantage de renseignements plus rapidement au sujet du montant de TPS perçu ou à percevoir et de la cession du remboursement de TPS par l’acheteur. Il s’agit du genre de mesure qu’une personne raisonnablement prudente aurait prise pour empêcher les défauts de versement. L’appelant n’a pris aucune de ces mesures. Suivant la norme objective énoncée dans l’arrêt Buckingham, je conclus que l’appelant n’a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente pour prévenir les défauts de versement de la TPS.

 

[38]         Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2012.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de février 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste



RÉFÉRENCE :

2012 CCI 22

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2009-3300(GST)G

 

INTITULÉ :

Harold David Babakaiff c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Dale Barrett

 

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] 2011 CAF 142.

[2] L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). Voir les paragraphes 30 à 40 de l’arrêt Buckingham.

[3] [1998] 1 C.F. 124.

[4] 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461.

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