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Dossier : 2008-3997(ATA)G

ENTRE :

HOPE AIR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 novembre 2010 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Eric Noble

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels relatifs aux cotisations qui portent les numéros 2007905SOR104, 2007905SOR102, 20071203SOR111, 20071203SOR101, 20071203SOR102, 20071203SOR104, 20071203SOR104, 20071203SOR105, 20071203SOR106 et 20071203SOR107 et qui ont été établies sous le régime de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien est rejeté sans frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mai 2011.

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juillet 2011.

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 248

Date : 20110506

Dossier : 2008-3997(ATA)G

ENTRE :

HOPE AIR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]              Hope Air est un organisme de bienfaisance enregistré conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Elle reçoit à l’occasion des points de transport aérien afin d’exercer ses activités de bienfaisance. Hope Air utilise ces points pour donner des billets d’avion aux personnes qui ont besoin de soins médicaux qui ne sont pas dispensés dans leur région et qui ne pourraient autrement assumer le coût du transport. En l’espèce, il faut rechercher si Hope Air est tenue, selon l’article 11 de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien (la « Loi »), de verser à la Couronne un droit relativement au service de transport aérien qu’elle acquiert et dont elle fait ensuite don aux personnes en question à titre gratuit. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’encontre de l’appelante en tenant pour acquis que celle‑ci était tenue de verser le droit susmentionné pour les périodes allant du 4 janvier 2002 au 30 juin 2007[1].

 

[2]              Le paragraphe 11(1.1) de la Loi dispose :

 

Quiconque acquiert d’un transporteur aérien autorisé tout ou partie d’un service de transport aérien qui comprend un embarquement assujetti doit payer à Sa Majesté le droit déterminé selon la présente loi relativement au service.

 

Every person who acquires from a designated air carrier all or part of an air transportation service that includes a chargeable emplanement shall pay to Her Majesty a charge as determined under this Act in respect of the service.

 

(1.1) Aucun droit n’est exigible relativement au service de transport aérien qui, selon le cas:

[…]     

(1.1) No charge is payable in respect of an air transportation service that is acquired:

b) est acquis par un organisme de bienfaisance enregistré d’un transporteur aérien à titre gratuit, si l’organisme fait don du service à un particulier à titre gratuit et dans le cadre de la poursuite de ses fins de bienfaisance.

 

(b) by a registered charity from an air carrier for no consideration, if the service is donated by the charity to an individual for no consideration and in pursuit of its charitable purposes.

 

 

[3]              Il faut donc rechercher si Hope Air a acquis le service de transport aérien à titre gratuit (« for no consideration »), suivant l’alinéa 11(1.1)b) de la Loi. Il est constant que Hope Air a fait don du service de transport à un particulier à titre gratuit aux fins de ses activités de bienfaisance.

 

[4]              L’appel a été instruit en fonction du témoignage de M. Douglas Keller‑Hobson, directeur administratif de Hope Air, et de Mme Michele Meier, directrice générale, Affaires publiques – Groupe Aeroplan, et sur l’exposé conjoint des faits partiel suivant :

 

[traduction]

L’APPELANTE

 

1.         L’appelante est un organisme de bienfaisance ayant pour objet d’organiser des services de transport aérien pour les personnes qui ont besoin de soins médicaux, mais qui ne peuvent assumer le coût du transport nécessaire. Ces personnes sont les patients et, le cas échéant, leurs accompagneteurs du service de santé (collectivement, les « clients »).

 

2.         L’appelante exerce ses activités depuis plus de 24 ans. Elle organise actuellement environ 2 500 vols par année un peu partout au Canada, en utilisant principalement les services des transporteurs aériens commerciaux.

 

DONS D’AIR CANADA À HOPE AIR

 

3.         Les membres d’Aéroplan peuvent donner ou céder leurs points Aéroplan, également appelés milles Aéroplan, à des organismes de bienfaisance approuvés comme la Stephen Lewis Foundation, Médecins sans Frontières et Horizons Enfance, le programme de dons de bienfaisance d’Air Canada.

 

4.         Air Canada a donné des points Aéroplan à l’appelante à différentes occasions au cours des périodes visées par le présent appel, soit entre le 1er avril 2002 et le 30 juin 2007 (collectivement, la « période pertinente »).

 

5.         Chaque année au cours de la période pertinente, Air Canada a donné les points Aéroplan à l’appelante en un seul versement annuel. Pour chacune des années en question, la démarche suivie peut être résumée ainsi :

 

a) L’appelante communiquait avec Air Canada à l’été ou à l’automne pour avoir une idée du soutien que celle-ci lui offrirait au cours de l’année civile à venir. À cette fin, l’appelante remplissait un questionnaire dont un modèle représentatif figure à l’onglet 8 du recueil conjoint de documents[2].

 

b) Après avoir examiné la demande de soutien de l’appelante, Air Canada confirmait, à l’automne de chaque année, le soutien qu’elle lui offrirait pour l’année à venir (sous forme de laissez-passer et de points Aéroplan) et l’informait en conséquence. Le degré de soutien que l’appelante a obtenu d’Air Canada a varié au fil des années.

 

c) Dans ces communications avec Air Canada, l’appelante a traité avec les personnes suivantes : (1) Lyse Charette, directrice des relations avec le gouvernement provincial et des relations publiques, jusqu’en 2004; et (2) Micheline Villeneuve, directrice du programme Horizons Enfance, de 2005 jusqu’à ce jour.

 

6.         Les points Aéroplan donnés par Air Canada sont déposés dans le compte Aéroplan de Hope Air. Lorsque l’appelante réserve un vol pour un client à l’aide des points Aéroplan, le nombre de points correspondant au vol en question est débité du compte Aéroplan de l’appelante. Air Canada fait don des points Aéroplan à l’appelante à la condition que celle-ci utilise les points en question uniquement pour offrir des vols aux clients. À toutes les dates pertinentes, l’appelante a utilisé les points Aéroplan uniquement pour réserver des vols pour les clients.

 

7.         L’appelante n’a versé aucune somme d’argent à Air Canada en échange des points Aéroplan. Cependant, elle reconnaît le soutien d’Air Canada et du programme Horizons Enfance de celle-ci (ainsi que d’autres donateurs) dans son matériel publicitaire. L’appelante ne donne pas de reçus d’impôt à Air Canada à l’égard des points Aéroplan.

 

8.         À l’occasion, l’appelante a demandé à Air Canada de lui fournir une estimation de la valeur pécuniaire des vols à l’égard desquels celle‑ci lui donne des points et des laissez-passer. L’appelante a utilisé ces renseignements uniquement dans son matériel de publicité pour affirmer qu’elle affectait chaque année 90 p. 100 de l’ensemble des contributions qu’elle recevait (c.-à-d. les dons en espèces et en nature) à son œuvre de bienfaisance et 10 p. 100 seulement à l’administration et aux activités de financement.

 

DEMANDES DE REMBOURSEMENT ET ÉVÉNEMENTS SUBSÉQUENTS

 

9.         Depuis 2003, l’appelante a présenté dix demandes de remboursement des droits qu’elle avait versés en application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien (la « Loi ») en se fondant sur l’exception prévue par le paragraphe 11(1.1), selon laquelle le droit (le « droit ») prévu par la Loi ne s’applique pas aux organismes de bienfaisance enregistrés. Les demandes de remboursement, qui figurent dans le recueil conjoint de documents (onglets 10 à 19), couvraient la période pertinente et totalisaient une somme de 56 303,81 $. Les tableaux à l’appui des demandes ont été omis, parce qu’ils comportent des renseignements personnels concernant les clients.

 

10.       Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a évalué les dix demandes de l’appelante. Il a fait droit à la partie de la demande de remboursement de l’appelante qui concernait les services de transport aérien obtenus à l’aide des laissez-passer, lesquels avaient été donnés par Air Canada (et d’autres transporteurs aériens). Le ministre a refusé la partie de la demande de remboursement de l’appelante qui se rapportait aux services de transport aérien acquis au moyen de l’échange des points Aéroplan donnés par Air Canada.

 

11.       Cette partie représente un montant total de 41 657,83 $. Les détails des cotisations, qui figurent dans les actes de procédure, sont les suivants :

 

No

No de la demande

No de la cotisation

Date de la cotisation

Période visée

Demande de rembours. initiale

Demande de rembours. visée par l’appel devant la CCI

 

1

200307070201

2007905SOR104

2007-09-05

du 2002-04-01 au 2002-12-31

21 425,22 $

21 425,22

 

 

 

 

 

 

 

2

200307030302

2007905SOR102

2007-09-05

du 2003-01-01 au 2003-05-31

    7 016,02

    7 016,02

 

 

 

 

 

 

 

3

200708130401

20071203SOR111

2007-12-03

du 2003-10-06 au 2003-12-10

    3 709,51

    3 646,56

 

 

 

 

 

 

 

4

200711260602

20071203SOR101

2007-12-03

du 2004-01-01 au 2004-06-30

    2 953,08

    2 423,01

 

 

 

 

 

 

 

5

5200708130403

20071203SOR102

2007-12-03

du 2004-07-01 au 2004-12-31

    2 994,09

    2 002,88

 

 

 

 

 

 

 

6

200708130404

20071203SOR104

2007-12-03

du 2005-01-01 au 2005-06-30

    4 168,99

    1 435,66

 

 

 

 

 

 

 

7

200708130405

20071203SOR104

2007-12-03

du 2005-07-01 au 2005-12-31

    2 614,79

       752,30

 

 

 

 

 

 

 

8

200708130406

20071203SOR105

2007-12-03

du 2006-01-01 au 2006-06-30

    3 191,45

    1 400,78

 

 

 

 

 

 

 

9

200708130407

20071203SOR106

2007-12-03

du 2006-07-01 au 2006-12-31

    2 448,80

       654,30

 

 

 

 

 

 

 

10

200708130408

20071203SOR107

2007-12-03

du 2007-01-01 au 2007-06-30

    5 781,86

       901,10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TOTAL

56 303,81 $

41 657,83 $

 

12.       Le ministre a ratifié les cotisations. Les avis de ratification portent tous la date du 18 septembre 2008.

 

13.       Pour déterminer le remboursement auquel l’appelante avait droit en vertu de la Loi, le ministre a formulé les hypothèses suivantes :

 

a)         à toutes les époques pertinentes, l’appelante était un organisme de bienfaisance enregistré;

 

b)         à toutes les époques pertinentes, l’appelante organisait des services de transport aérien pour les personnes qui devaient se déplacer pour obtenir des soins médicaux, mais qui ne pouvaient assumer le coût des services en question;

 

c)         à toutes les époques pertinentes, l’appelante a fait don du service de transport aérien à un particulier à titre gratuit;

 

d)         à toutes les époques pertinentes, Air Canada était un « transporteur aérien » désigné au sens de la Loi;

 

e)         au cours de la période pertinente, Air Canada a fait don de services de transport à l’appelante en utilisant à la fois des laissez-passer et son programme de fidélisation de la clientèle Aéroplan;

 

f)          au cours de la période pertinente, des clients d’Air Canada ont fait don de leurs points Aéroplan par l’intermédiaire du programme de dons de bienfaisance désigné d’Air Canada et celle-ci donnait les points Aéroplan à différents organismes de bienfaisance enregistrés;

 

g)         au cours de la période pertinente, l’appelante a utilisé les points Aéroplan pour faire l’acquisition de services de transport aérien pour la poursuite de ses fins de bienfaisance;

 

h)         en échangeant les points Aéroplan pour faire l’acquisition de services de transport aérien, l’appelante a acquis lesdits services d’Air Canada à titre onéreux.

 

14.       Les faits énoncés aux alinéas 13 a) à g) qui précèdent sont vrais (ainsi que le fait que le ministre les a présumés lorsqu’il a déterminé le remboursement de l’appelante, selon l’allégation figurant au paragraphe 11 de la réponse).

 

15.       L’appelante rejette à l’allégation énoncée à l’alinéa 13h) qui précède. Plus précisément, tout en convenant qu’elle a acquis des services de transport aérien d’Air Canada, l’appelante soutient qu’elle l’a fait à titre gratuit.

 

LE PROGRAMME ET LES POINTS AÉROPLAN

 

16.       Le programme Aéroplan a été mis sur pied en 1984 et était exploité par Air Canada. Du 1er janvier 2002 jusqu’à 2005, le programme Aéroplan a été exploité par une société en commandite, une filiale ou une société affiliée appartenant en propriété exclusive à Air Canada. À l’heure actuelle, le programme est exploité par Aéroplan Canada Inc., dont la société mère est Groupe Aeroplan Inc., société ouverte. Le programme Aéroplan est exploité par une entité juridique distincte d’Air Canada depuis au moins le 1er janvier 2002 (ladite entité juridique distincte étant ci-après appelée « Aéroplan »).

 

17.       Air Canada et Aéroplan exploitent leurs entreprises respectives distinctes depuis au moins le 1er janvier 2002.

 

18.       La popularité des points Aéroplan a grandi depuis le lancement du programme en 1984. L’usage des points de grand voyageur, non seulement ceux d’Aéroplan, mais également ceux d’autres transporteurs aériens, est répandu un peu partout aujourd’hui.

 

19.       Les conditions générales d’Aéroplan en vigueur le 14 novembre 2010 sont jointes à l’annexe A du présent exposé[3]. À l’exception des dispositions concernant l’expiration des points Aéroplan, les parties croient que les conditions sont les mêmes que celles qui étaient en vigueur au cours de la période pertinente.

 

20.       Depuis le 1er janvier 2002, Aéroplan et Air Canada suivent des ententes commerciales stipulant les conditions qui régissent leurs opérations relatives au programme Aéroplan. Selon ces ententes :

 

a)         Le revenu d’Aéroplan provient de la vente de points Aéroplan et de la commercialisation de services auprès de différents partenaires. Air Canada, des banques, des compagnies pétrolières, des agences de location de véhicules automobiles et des chaînes hôtelières (« partenaires d’Aéroplan ») figurent parmi les partenaires avec lesquels Aéroplan a conclu des ententes commerciales. La principale source de revenu d’Aéroplan est la vente de points Aéroplan à ses partenaires, y compris Air Canada, qui est le plus important partenaire d’Aéroplan. Avant 2002, Air Canada (par l’intermédiaire du programme Aéroplan) a conclu des ententes similaires avec les partenaires d’Aéroplan.

 

b)         En conséquence, Air Canada verse à Aéroplan des sommes d’argent en échange de points Aéroplan qu’elle utilise pour offrir aux membres du programme Aéroplan des primes sous forme de produits ou de services.

 

c)         Le prix auquel chaque partenaire achète à Aéroplan des points Aéroplan est négocié séparément avec chacun d’eux et constitue un renseignement sensible sur le plan commercial.

 

d)         Les membres Aéroplan accumulent des points Aéroplan. Lorsque les membres échangent leurs points, Aéroplan achète auprès de ses partenaires les produits et les services pour lesquels les membres Aéroplan ont échangé les points en question.

 

e)         En conséquence, Aéroplan verse à Air Canada une somme d’argent à l’égard de chaque vol pour lequel les membres Aéroplan ont échangé des points Aéroplan. Aéroplan est tenue d’acheter chaque année un nombre minimal de places d’avion sur les vols d’Air Canada et des sociétés affiliées de celle-ci, lequel nombre est généralement fondé sur le nombre de places achetées au cours des années précédentes.

 

f)          Tradionnellement, les points Aéroplan que les membres Aéroplan ne prévoient pas échanger représentent environ 17 p. 100 des points Aéroplan achetés par les différents partenaires d’Aéroplan (« montant restant »).

 

DISPOSITIONS DIVERSES

 

21.       Lorsque l’appelante utilise des points Aéroplan pour faire l’acquisition de vols d’Air Canada, son statut d’organisme de bienfaisance enregistré n’est pas pertinent quant aux conditions qu’elle doit respecter pour avoir le droit d’utiliser des points Aéroplan à cette fin.

 

22.       Lors du processus de réservation, les membres Aéroplan peuvent utiliser le site web d’Aéroplan pour acheter des milles Aéroplan afin de combler le manque à gagner entre leur solde de milles Aéroplan et le nombre de milles Aéroplan nécessaire pour obtenir un vol prime, jusqu’à concurrence de 50 p. 100 de la distance totale requise. Selon le site web d’Aéroplan, le prix unitaire actuel de ces milles s’élève à 0,03 $ (CAN) (auquel montant s’ajoutent les taxes applicables).

 

23.       Air Canada a fourni des « laissez-passer promotionnels » à des organismes de bienfaisance (comme l’appelante) ou à d’autres personnes (comme les personnes mentionnées dans la lettre du 12 novembre 2003 qu’elle a envoyée à l’appelante). Ces laissez-passer pouvaient être utilisés pour des vols, sous réserve de certaines conditions concernant, par exemple, les catégories de vols (semblables aux conditions rattachées aux réservations de vols à prix régulier). Lorsqu’un laissez-passer promotionnel avait été utilisé pour faire l’acquisition d’une place sur un vol donné, cette place n’était pas disponible par la suite pour être vendue d’une autre façon par Air Canada.

 

[5]              M. Keller‑Hobson a confirmé bon nombre des faits constants. Il a rappelé que, par le passé, Hope Air avait eu recours aux principaux transporteurs aériens nationaux du Canada, actuellement WestJet et Air Canada, ainsi qu’à des transporteurs aériens régionaux plus petits, pour qu’ils lui fassent don de places non occupées qu’elle donnait à des personnes dans le besoin. Au début de chaque année, les transporteurs aériens nationaux ont des discussions avec Hope Air au sujet des besoins que celle-ci prévoit pour l’année. Les transporteurs aériens prennent une décision et donnent à Hope Air une subvention annuelle sous forme de laissez-passer promotionnels ainsi que, dans le cas d’Air Canada, de points Aéroplan.

 

[6]              Dans le cas des transporteurs aériens régionaux, M. Keller‑Hobson a expliqué que Hope Air peut obtenir de l’espace lorsqu’il y a des places non occupées sur les vols de ces transporteurs au moment requis. Avant 2010, Hope Air a parfois dû acheter des places sur des vols commerciaux. M. Keller‑Hobson a ajouté que ces cas sont [traduction] « très très rares »; il s’agit habituellement de situations où une personne est immobilisée à un endroit et ne peut retourner chez elle. Cependant, depuis 2010, le gouvernement de la Colombie-Britannique verse des fonds qui permettent à Hope Air d’acheter des vols commerciaux à l’intérieur de cette province. Dans toutes les autres provinces, Hope Air utilise uniquement les laissez‑passer ou les points qu’elle reçoit en dons.

 

[7]              M. Keller-Hobson a expliqué que trois conditions doivent être réunies pour que les particuliers puissent obtenir un vol auprès de Hope Air. Le particulier doit être une personne dans le besoin et doit se rendre à un lieu pour un rendez-vous médical approuvé, et Hope Air doit avoir des places disponibles pour l’itinéraire demandé (ce qui n’est pas toujours le cas). Il est « rare » que Hope Air refuse la demande d’une personne parce que celle-ci ne répond pas aux critères.

 

[8]              Le revenu moyen du ménage des personnes qui obtiennent gratuitement des vols de Hope Air est inférieur au seuil de pauvreté et s’élève à environ 22 000 $. Ces personnes vivent dans les régions rurales et les grands centres du Canada, sont souvent issues de familles monoparentales et, dans bien des cas, sont des patients qui sont atteints de cancer ou qui sont en attente d’une greffe d’organe. Hope Air offre des services de transport aérien à un nombre élevé de personnes qui doivent aller à Toronto pour être traitées par des spécialistes. M. Keller‑Hobson a précisé qu’aux époques pertinentes, aucun des gouvernements provinciaux n’offrait le transport aérien pour l’obtention de soins médicaux, de sorte que [traduction] « les personnes qui doivent franchir de longues distances pour obtenir des soins médicaux et qui n’ont pas les moyens de payer les frais de transport s’adressent à nous pour obtenir de l’aide ».

 

[9]              De plus, toute personne âgée de moins de 18 ans obtient une place gratuite pour un accompagnateur du service de santé, qu’il s’agisse d’un membre de sa famille ou d’un travailleur social. Si un médecin atteste qu’un spécialiste médical doit accompagner le patient, Hope Air offre également la place de cette personne.

 

[10]         Selon M. Keller‑Hobson, chaque année, Air Canada donne en moyenne à Hope Air environ 100 laissez-passer promotionnels pour des vols aller-retour. De plus, Hope Air reçoit environ 3 000 000 de points Aéroplan. Hope Air ne donne rien à Air Canada, que ce soit de l’argent ou des biens, en échange des points ou des laissez-passer; elle ne donne pas non plus de reçus d’impôt à Air Canada à l’égard des points ou des laissez-passer. Cependant, elle reconnaît publiquement le don de points d’Air Canada.

 

[11]         Lorsque Hope Air échange des points Aéroplan afin de réserver un vol pour un patient, elle le fait par l’intermédiaire du site web d’Aéroplan. Elle ne traite pas directement avec Air Canada. Hope Air décide ensuite si l’utilisation du nombre de points requis pour le vol représente une utilisation efficace des points, afin de maximiser le nombre de vols qu’elle peut offrir à l’aide des points reçus en dons. Le nombre de points requis pour un vol dépend de nombreux facteurs, y compris l’heure du vol. Si l’utilisation des points pour le billet d’avion ne représente pas une utilisation efficace (court vol entre deux villes rapprochées), Hope Air peut décider de payer le coût du vol en question.

 

[12]         Hope Air soutient qu’elle ne verse aucune somme d’argent à Air Canada à l’égard des points Aéroplan qu’elle reçoit, lesquels constituent plutôt un don qu’elle utilise pour faire l’acquisition d’une place sur un vol d’Air Canada. Selon elle, dans la version anglaise de la Loi, le mot « consideration » figurant à l’alinéa 11(1.1)b) signifie une contrepartie en nature ou en argent, soit une contrepartie exigible ou susceptible d’être payée. Il n’y a aucune contrepartie échangée entre Air Canada et Hope Air et celle‑ci ne verse aucune contrepartie pour obtenir les points.

 

[13]         Mme Meier a témoigné pour la Couronne. Dirigeante chez Groupe Aeroplan, elle est en charge de la responsabilité sociale de l’entreprise. Elle a expliqué que le site web d’Aéroplan comporte une liste des différents organismes de bienfaisance ou programmes auxquels les membres d’Aéroplan peuvent donner leurs points. Horizons Enfance fait partie de ces programmes, bien qu’il ne constitue pas un organisme de bienfaisance. Les membres donnent leurs points au programme en ligne et la seule fonction d’Aéroplan, selon ce qu’a expliqué ce témoin, se limite à veiller à ce que le programme soit disponible et à gérer ensuite le transfert des points du compte d’un membre à celui du programme ou de l’organisme de bienfaisance. Selon Mme Meier, Air Canada n’achète pas elle-même de points Aéroplan pour en faire don aux organismes de bienfaisance.

 

[14]         Aéroplan traite les points donnés à Hope Air de la même façon qu’elle traite les points accumulés par les membres Aéroplan. Mme Meier a donné l’explication suivante : [traduction] « Nous savons, lorsque nous faisons notre suivi, ce qui se passe dans les comptes de nos membres. Nous savons si des milles ont été transférés à un organisme de bienfaisance. C’est comme un échange [...] du point de vue d’un don ... nous avons fait le suivi des entrées dans les comptes des membres [ainsi que] [...]des sorties ».

 

La thèse des parties

 

[15]         L’appelante soutient principalement qu’elle n’a pas fait l’acquisition des vols en cause moyennant une contrepartie, puisqu’elle les a obtenus sans frais. Selon elle, une interprétation textuelle de l’article 11 et une interprétation fondée sur l’objet visé et sur le contexte montrent que l’intention était d’exonérer les vols obtenus du paiement du droit. L’avocat de l’appelante a formulé plusieurs arguments au soutien de la thèse de celle-ci.

 

[16]         D’abord, il a fait valoir que, dans la version anglaise de la Loi, le mot « consideration » (contrepartie) est foncièrement ambigu et qu’il faut donc l’interpréter de façon à donner effet dans la mesure du possible à l’objet de l’exemption. Selon une analyse contextuelle du mot au regard du texte, la « contrepartie » doit être considérée comme quelque chose qui est « payé ou exigible », ce qui signifie de l’argent. Il ne convient pas d’appliquer à ce texte législatif le concept de la contrepartie au sens de la common law, car cela donnerait lieu à un résultat absurde. L’avocat de l’appelante a ajouté que, étant donné que l’appelante a obtenu les points Aéroplan au moyen de dons, les vols qu’elle a acquis n’ont rien coûté. Puisque rien n’a été échangé, aucune contrepartie n’a été versée, de sorte que les vols répondent aux exigences de l’exemption.

 

[17]         L’avocat de l’appelante a également fait état des différences entre les versions française et anglaise de la Loi. Ainsi, les mots « à titre gratuit » figurent dans la version française, tandis que les mots « for no consideration » sont utilisés dans la version anglaise. De plus, dans d’autres dispositions de la Loi, comme le paragraphe 11(2), le mot « contrepartie » est employé en français de la même façon que le mot « consideration » est utilisé en anglais. Selon l’avocat de l’appelante, pour résoudre l’ambiguïté inhérente à ce mot, il convient d’examiner la version française de la Loi, ainsi que l’emploi du mot « contrepartie » qui montre que le mot « consideration » devait signifier de l’argent.

 

[18]         L’appelante a ajouté que l’objet sous-jacent de l’exemption est d’empêcher que le droit pour la sécurité s’applique aux vols acquis et donnés aux particuliers à des fins de bienfaisance. Étant donné que les vols en question ont été acquis et donnés dans ces circonstances, ils sont compatibles avec l’objet de l’exemption et l’appel doit être accueilli.

 

[19]         Pour sa part, l’intimée répond que le droit pour la sécurité que prévoit la Loi joue chaque fois qu’une personne fait l’acquisition d’un service de transport aérien. L’exemption prévue à l’alinéa 11(1.1)b) vise les organismes de bienfaisance uniquement dans des circonstances limitées, soit lorsqu’un vol est acquis et donné à titre gratuit. Le sens du mot « consideration » selon la Loi n’est pas différent de celui qui est consacré par la common law. Il consiste en [traduction] « un droit, un intérêt ou un avantage qui échoit à partie, ou un délai, un inconvénient, une perte ou une obligation pour l’autre partie »[4]. Les points de grand voyageur ont une certaine valeur, de sorte que, lorsque l’appelante échange des points Aéroplan contre des vols, elle acquiert ces vols moyennant une contrepartie, soit la valeur des points : Johnson c. Canada[5].

 

[20]         L’avocat de l’intimée a ajouté qu’il n’y avait aucune différence entre les versions française et anglaise de l’alinéa 11(1.1)b) de la Loi. À son avis, les expressions « à titre gratuit » et « no consideration » ont le même sens.

 

[21]         L’avocat de l’intimée s’oppose également au sens restreint que l’appelante donne au mot « consideration ». À son avis, l’argument de l’appelante repose sur une disposition, le paragraphe 11(2) de la Loi, qui porte uniquement sur la date d’exigibilité du droit.

 

Analyse

 

[22]         Dans l’affaire Johnson, l’appelant s’était rendu en avion de Thunder Bay à Chicago pour y subir un traitement médical en utilisant ses points Aéroplan. Il a tenté de déduire la valeur du vol à titre de frais médicaux aux fins de l’impôt. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction, affirmant que, étant donné que le prix du billet d’avion avait été payé à l’aide de points Aéroplan, qui n’ont aucune valeur, le billet n’avait pas de valeur non plus. Après avoir examiné le sens des mots « frais payés » du paragraphe 118.2(2) de la LIR et du mot « montant » de l’article 248 de celle‑ci ainsi que la jurisprudence pertinente quant au sens des mots « frais payés », le juge Paris a fait les observations suivantes :

 

[…] l’expression « frais payés » englobe les paiements faits au moyen du transfert d’un droit ou d’une chose lorsque la valeur du droit ou de la chose peut être exprimée sous forme d’une somme due, et ne se restreint pas au transfert ou à la remise d’argent seulement[6].

 

[23]         Le juge Paris a également relevé les observations formulées par le juge Bowie dans la décision Hallett[7] :

 

Si la valeur des paiements en nature n’était pas un paiement aux fins de la Loi, les profits tirés d’un grand nombre d’opérations commerciales seraient exempts d’impôt; c’est pour cette raison que le Parlement a défini le terme « montant » comme il l’a fait.

 

[24]         Le juge Paris a écarté la jurisprudence Blais[8] quant au sens donné aux mots « frais payés ». Selon lui, il ne convenait pas de limiter le sens du mot « payer » à un transfert d’argent ou à un décaissement de fonds. En ce qui concerne les points Aéroplan, le juge Paris a décidé qu’ils avaient une valeur qui pourrait constituer des « frais payés » :

 

Je conclus, d’une part, que les points utilisés par l’appelant pour l’achat du billet constituaient un droit parce qu’ils pouvaient être échangés contre des services de transport aérien à sa demande et, d’autre part, que ces points avaient une valeur susceptible d’être exprimée en argent puisque les services contre lesquels ils pouvaient être échangés étaient offerts à un prix fixe à des parties sans lien de dépendance […] Quand il a échangé ses points, l’appelant a remis ce qui était dû pour les services et il a donc « payé » ceux‑ci selon le sens ordinaire de ce terme.

 

[25]         Même s’il a été décidé, dans l’affaire Johnson, que les points avaient une valeur aux fins de l’application de la LIR, il ne serait pas déraisonnable de conclure qu’ils ont aussi une valeur aux fins de la Loi. Les points Aéroplan ont une valeur commerciale; il est possible de recevoir des services de transport aérien en échange des points, lesquels sont donnés en contrepartie du vol. Ils représentent la « contrepartie » que l’intéressé donne au transporteur aérien afin que celui-ci lui fournisse un service de transport aérien. En l’espèce, un contrat onéreux existe entre Hope Air et Air Canada à l’égard des vols.

 

[26]         Par l’arrêt Québec c. Notre-Dame de Bonsecours[9], la Cour suprême du Canada a déclaré que les principes ordinaires d’interprétation législative s’appliquent à l’interprétation des lois fiscales. L’ambiguïté de la loi ne doit plus jouer en faveur de la partie en défaut, mais plutôt être « résolue ouvertement en tenant compte de l’intention du législateur »[10]. La Cour est allée plus loin, reconnaissant que plusieurs objets et politiques peuvent sous-tendre les lois :

 

En soumettant la loi fiscale à une interprétation téléologique, on constate que rien n’empêche qu’une politique générale de levée de fonds soit assujettie à une politique secondaire d’exemption des œuvres sociales. Il s’agit là de deux buts légitimes qui expriment également l’intention du législateur et, à ce titre, on voit difficilement pourquoi l’un devrait primer l’autre[11].

 

[27]         Plus tard, dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.[12], qui portait sur la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario (la « LNE »)[13], la Cour suprême du Canada a retenu le passage suivant de Elmer Driedger on Construction of Statutes[14] :

 

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[28]         La question en litige dans Rizzo était de savoir si les employés de l’employeur failli pouvaient présenter une réclamation prouvable en matière de faillite à l’égard d’une indemnité de licenciement et d’une indemnité de cessation d’emploi fondée sur la LNE. La Cour suprême du Canada a conclu que l’exclusion des employés qui avaient perdu leurs emplois par suite de la faillite de leur employeur allait à l’encontre de l’objet de la LNE.

 

[29]         La Cour suprême du Canada dit que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. De plus, l’article 12 de la Loi d’interprétation du Canada, qui est semblable à l’article 10 de la Loi d’interprétation de l’Ontario, dispose que tout texte de loi est censé apporter une solution de droit et s’interprète « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

 

[30]         Par l’arrêt Daoust[15], la Cour suprême du Canada a également formulé la démarche à suivre pour interpréter des lois bilingues, notamment lorsque des différences existent entre les versions française et anglaise de la loi en cause. L’ancien juge Michel Bastarache a résumé la démarche ainsi dans l’ouvrage intitulé Le droit de l’interprétation bilingue :

 

1.         La première étape consiste à examiner les deux versions pour déterminer s’il existe une antinomie entre elles. « Antinomie » a ici le même sens que « contradiction » dans de nombreux arrêts antérieurs : la notion importante à cet égard est simplement que les deux versions sont différentes. Si les deux versions sont identiques, la question ne se pose pas. S’il y a une antinomie, l’interprète doit passer à l’étape suivante.

 

2.         La deuxième étape consiste à déterminer la nature de l’antinomie ainsi que le sens commun. Il y a alors trois possibilités :

 

a.         Les versions sont « absolument contradictoires ». Chaque version est claire et on ne peut dégager aucun sens commun.

b.         Une version est ambiguë et l’autre claire. Le sens commun est celui de la version claire.

c.         Une version a un sens large et l’autre un sens restreint. Le sens commun est celui de la version au sens restreint.

[…]

 

3.         La troisième étape consiste à faire appel à des méthodes extrinsèques visant à déterminer l’intention du législateur à l’égard de la disposition. Il y a alors deux possibilités :

 

a.         La preuve extrinsèque de l’intention permet de choisir entre les deux versions contradictoires pour déterminer laquelle renferme le véritable sens de la disposition.

b.         La preuve extrinsèque de l’intention est examinée afin de s’assurer que le sens commun n’est pas incompatible avec celle-ci[16].

 

[31]         Tel qu’il est mentionné plus haut, l’avocat de l’appelante a soutenu que le mot « consideration » dans la version anglaise de la Loi est ambigu et doit être interprété en fonction de cette ambiguïté. Selon l’avocat de l’appelante, ce n’est pas le sens consacré par la common law qu’il convient de donner au mot « consideration », mais plutôt le sens suivant : quelque chose qui peut être payé, c’est‑à‑dire de l’argent.

 

[32]         En ce qui concerne l’ambiguïté du mot « consideration », l’appelante semble confondre l’ambiguïté avec la portée. La définition de « consideration » selon la jurisprudence Currie donne à penser que ce mot peut viser à peu près tout ce qui a une valeur, ce qui est le cas depuis plus d’un siècle[17]. Cependant, cela ne signifie pas que le mot est ambigu; mais simplement qu’il a une portée tellement large qu’il peut englober beaucoup de choses. Si le législateur voulait que les droits pour la sécurité deviennent exigibles lorsque n’importe quoi est donné en échange de services de transport aérien, l’utilisation du mot « consideration » pour communiquer cette intention était tout à fait appropriée.

 

[33]         Cependant, l’appelante a ajouté qu’il est possible de résoudre l’ambiguïté que comporte le mot « consideration » par l’examen de la version française de la Loi. Dans la version française, le mot « contrepartie » est utilisé; de l’avis de l’appelante, cet emploi permet de dire que le mot « consideration » couvre uniquement ce qui est payé ou exigible, c’est-à-dire de l’argent. Je rejette cette thèse.

 

[34]         L’avocat de l’appelante estime que sa thèse est appuyée par l’emploi du mot « contrepartie » dans la version française des alinéas 11(2)b) et c)[18] et que, étant donné que les mots « aucune contrepartie » figurent aux alinéas 11(2)b) et c) et non « à titre gratuit », le législateur a forcément voulu que les expressions « à titre gratuit » et « aucune considération » aient un sens différent, de sorte que l’expression « à titre gratuit » ne signifie pas « for no consideration ».

 

[35]         J’ai du mal à retenir ce raisonnement. La différence observée dans le texte français en est une de sémantique. L’expression « à titre gratuit » est employée à l’alinéa 11(1.1)b) parce qu’elle s’harmonise avec la structure linguistique de cette disposition. Il convient en effet d’utiliser cette expression pour décrire le service de transport aérien en question, soit « un service de transport aérien [...] acquis [...] à titre gratuit ». Le législateur a prévu une exception au paiement d’un droit lorsqu’un organisme de bienfaisance a fait l’acquisition d’un service de transport aérien d’un transporteur sans contrepartie; l’emploi de l’expression « à titre gratuit » convient tout autant que celui des mots « no consideration » dans ce contexte. Il n’y a aucune contradiction entre les deux versions officielles de l’alinéa 11(1.1)b) de la Loi. Les deux versions appuient le sens ordinaire du mot anglais « consideration ».

 

[36]         Afin de résoudre ce problème, il est également utile d’examiner le Code civil du Québec (le « Code civil »), qui opère une distinction entre le contrat à titre onéreux et le contrat à titre gratuit. L’article 1381 dispose :

 

Le contrat à titre onéreux est celui par lequel chaque partie retire un avantage en échange de son obligation.

 

A contract is onerous when each party obtains an advantage in return for his obligation.

 

Le contrat à titre gratuit est celui par lequel l’une des parties s’oblige envers l’autre pour le bénéfice de celle-ci, sans retirer d’avantage en retour.

When one party obligates himself to the other for the benefit of the latter without obtaining any advantage in return, the contract is gratuitous.

 

[37]         Selon l’article 1553 du Code civil :

 

Par paiement on entend non seulement le versement d’une somme d’argent pour acquitter une obligation, mais aussi l’exécution même de ce qui est l’objet de l’obligation.

Payment means not only the turning over of a sum of money in satisfaction of an obligation, but also the actual performance of whatever forms the object of the obligation.

 

[38]         Je doute que le transport aérien qu’Air Canada fournit à Hope Air découle d’un « contrat à titre gratuit ». Comme je l’ai souligné plus haut, lorsque Hope Air obtient une place sur un vol pour un patient, elle donne des points, soit un élément de valeur, en échange du service de transport. En droit civil, il s’agit d’un paiement. Aéroplan achète un vol d’Air Canada pour Hope Air moyennant une contrepartie; Hope Air échange des points Aéroplan pour faire l’acquisition du vol d’Air Canada, vol qu’Aéroplan s’est obligée à fournir. Il n’y a pas de contrat à titre gratuit. En droit civil, le contrat conclu entre Aéroplan et Hope Air, détenteur de points Aéroplan, est un contrat à titre onéreux. Une contrepartie est échangée entre Aéroplan et Hope Air.

 

[39]         En fait, l’alinéa 11(1.1)b) dispose comme suit dans une langue comme dans l’autre : lorsque l’organisme de bienfaisance obtient gratuitement du transporteur aérien des services de transport sans condition, aucun droit n’est exigé. À la lumière des faits dont je suis saisi, aucun service de transport n’est fourni gratuitement lorsque les points Aéroplan sont utilisés.

 

[40]         Il reste à examiner le sens du mot « consideration » dans l’ensemble du texte législatif pour déterminer l’objet et la portée de l’exemption. À cette fin, il faut procéder à une interprétation textuelle et à une interprétation fondée sur le contexte et sur l’objet non seulement du terme, mais également de la disposition et de l’ensemble de la Loi. L’interprétation qu’il faudra retenir sera celle qui appuie non seulement l’objet de l’exemption, mais également celui de la Loi.

 

[41]         Le régime général de la Loi vise à assurer l’établissement, l’administration et la perception d’un droit sur le transport aérien. La Loi en cause en l’espèce s’apparente davantage à une loi fiscale comme la LIR. La question en litige concerne une exemption du paiement de ce droit à l’égard d’activités de bienfaisance précises. En conséquence, il n’y a pas lieu d’interpréter la disposition en cause de façon à viser le plus grand nombre possible de bénéficiaires, comme dans l’arrêt Rizzo[19]. Il y a plutôt lieu de suivre la jurisprudence Bonsecours[20] et de prendre en compte tous les objets et politiques sous‑jacents à une loi lors de l’interprétation de celle‑ci.

 

[42]         Il ressort de l’examen de l’ensemble de la Loi que le législateur a créé un régime technique aux fins de la perception du droit pour la sécurité. Le droit est destiné à s’appliquer à l’ensemble des services de transport aérien au Canada et, pour réaliser cet objet, dans la version anglaise de la Loi, le législateur a employé l’expression « no consideration » dans le sens très large donné au mot « consideration » en common law et dans le sens de l’expression « à titre gratuit » du droit civil.

 

[43]         Ce régime comporte l’exception restreinte qui énonce de manière très précise à quel moment elle s’applique : lorsqu’un organisme de bienfaisance enregistré (en vertu de la LIR) fait l’acquisition d’un service de transport aérien d’une « personne qui exploite une entreprise de transport aérien de particuliers » et en fait don à un particulier pour ses fins de bienfaisance, ce vol est exonéré du paiement du droit[21]. En conséquence, les deux opérations, soit le don de points à Hope Air et l’acquisition d’un service de transport aérien par celle-ci, doivent être effectuées « for no consideration » (à titre gratuit). Le sens de l’expression « no consideration » doit cadrer avec l’emploi de cette expression ailleurs dans la Loi, soit un élément de valeur donné en échange du billet.

 

[44]         L’appelante a réitéré que l’exemption devait viser tous les vols donnés à des fins de bienfaisance. Selon l’avocat de l’appelante, il n’est pas logique que l’exemption ne s’applique pas uniquement parce que des points Aéroplan ont été utilisés pour l’acquisition du vol. Au soutien de cet argument, l’avocat de l’appelante a cité le passage du Hansard où l’objet de l’exemption a été débattu. Lors de la deuxième lecture du texte législatif comportant l’exemption, le député James Bezan s’est exprimé ainsi :

 

Le projet de loi C-40 propose que le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien ne soit pas exigible dans le cas où le service aérien est acquis à titre gratuit par un organisme de bienfaisance enregistré, auprès d’un transporteur aérien, si l’organisme en fait don, également à titre gratuit, à un particulier dans la poursuite de ses activités de bienfaisance[22].

 

[45]         De plus, en troisième lecture, l’honorable Rick Dykstra a fait les observations suivantes :

 

La troisième et dernière partie porte sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien. Le projet de loi prévoirait une réduction du droit relatif aux vols donnés par un transporteur à un organisme de bienfaisance enregistré qui organise des vols gratuits dans le cadre de ses activités. Cela signifie que certains organismes de bienfaisance qui organisent des services de transport aérien gratuits pour des gens qui ont besoin d’aller suivre un traitement médical et ne pourraient se payer le transport autrement n’ont pas à payer le droit pour la sécurité des passagers[23].

 

[46]         Malheureusement, ces observations ne vont pas dans le sens de la thèse de l’appelante. Les deux députés renvoient au vol lui-même qui est offert sans frais et non pas aux vols acquis à l’aide de points Aéroplan donnés après avoir été échangés par l’intermédiaire du programme Aéroplan.

 

[47]         Je signale que l’exemption prévue au paragraphe 11(1.1) a été ajoutée à la Loi plusieurs années après la création de celle-ci[24]. Le mot « consideration » était déjà employé dans le régime et rien ne permet de croire que le législateur voulait que le sens de ce mot change lorsque l’exemption a été ajoutée.

 

[48]         Par ailleurs, il y a une autre raison pour laquelle les opérations en cause en l’espèce ne sont pas visées par l’exemption. Pour que l’exemption joue, le service de transport aérien doit avoir été acquis auprès d’un transporteur aérien. Le « transporteur aérien » est défini dans la Loi comme la personne qui fournit des services de transport aérien. Lorsque Hope Air utilise des points Aéroplan en échange de vols, elle le fait par l’entremise d’Aéroplan (entité juridique entièrement séparée d’Air Canada), et non par l’entremise du transporteur aérien, Air Canada. C’est Aéroplan qui achète le vol d’Air Canada au profit du passager de Hope Air. Aucune des parties n’a évoqué la possibilité que, dans ces circonstances, Aéroplan intervienne à titre de mandataire de Hope Air lorsqu’elle fait l’acquisition de ces vols. Cependant, je n’aurais pas rejeté l’appel pour cette seule raison. Tel qu’il a été soutenu, les services de transport n’ont pas été acquis de la façon exigée pour que l’exemption joue.

 

[49]         Hope Air offre un service précieux et essentiel aux personnes qui en ont besoin. Malheureusement, les points Aéroplan ont une valeur et l’alinéa 11(1.1)b) renvoie apparemment à un échange entre Hope Air et Aéroplan : Hope Air donne des points Aéroplan; elle retourne les points à Aéroplan pour obtenir un service de transport sur un vol d’Air Canada. Pour une raison ou pour une autre, le législateur n’a pas exonéré du paiement du droit l’utilisation de points en contrepartie de vols lorsqu’il a modifié la Loi. En conséquence, les fonds dont Hope Air dispose pour exercer ses activités de bienfaisance sont réduits dans la mesure où elle doit payer des droits sur les vols dont elle fait l’acquisition pour ses œuvres de bienfaisance. La Couronne souhaitera peut-être s’attarder à la question de savoir si, dans de telles circonstances, le remboursement des droits est juste ou si l’intérêt public justifie la remise du montant de ceux-ci à Hope Air en application du paragraphe 23(2.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

[50]         L’appel sera rejeté sans frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mai 2011.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juin 2011.

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 248

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3997(ATA)G

 

INTITULÉ :                                       HOPE AIR c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

Avocats de l’intimée :

Me Eric Noble

Me Laurent Bartleman

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                      Nom :                           Me Jacques Bernier

 

                      Cabinet :                       Bennett Jones

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Les périodes visées par les cotisations sont définies au paragraphe 11 de l’exposé conjoint des faits partiel intégré dans les présents motifs.

[2] Les onglets du recueil conjoint de documents ne sont pas inclus dans les présents motifs.

[3]               L’annexe A ne fait pas partie des présents motifs, à l’exception des dispositions suivantes :

 

                [traduction]

                3. Les milles ou les primes Aéroplan appartiennent au titulaire du compte, et ils ne peuvent être cédés, échangés, légués ou faire l’objet de toute autre forme de transfert (sans le consentement préalable d’Aéroplan Canada Inc. et le respect des modalités et conditions du programme Aéroplan). La cession ou le transfert de milles Aéroplan qui ne respecte pas cette règle sera déclaré nul, et Aéroplan Canada Inc. pourrait à son gré radier le membre du programme Aéroplan ou annuler la prime ou les milles Aéroplan, selon le cas.

 

9. Le membre Aéroplan est tenu d’acquitter les taxes, les frais de départ et de sécurité, les droits ou frais applicables aux primes, tels qu’ils sont imposés par toute autorité gouvernementale, les surtaxes exigées par tout transporteur aérien et tous les frais de service imposés par Aéroplan.

 

14. Les milles Aéroplan dans un compte appartiennent à la personne qui détient le compte et non à la personne ou à l’entreprise qui a payé le billet d’avion, le séjour à l’hôtel, la location du véhicule ou toute transaction effectuée avec un autre partenaire Aéroplan.

[4]           Currie v. Misa, (1875) L.R. 10 Ex, 153, à la page 162. Définition citée avec approbation dans Albert Pearl (Management) Ltd. c. J.D.F. Builders Ltd., [1975] 2 R.C.S. 846.

[5]           2010 CCI 321, 2010 DTC 1213.

[6]           Ibid., au paragraphe 15.

[7]           Hallett c. Canada, [2003] 1 C.T.C. 2400, au paragraphe 4 (C.C.I.).

[8]               Blais c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 2005, 92 D.T.C. 1497.

[9]           Québec c. Notre-Dame de Bonsecours (Corp.), [1994] 3 R.C.S. 3, [1995] 1 C.T.C. 241, 95 D.T.C. 5017.

[10]             Ibid., au paragraphe 32.

[11]             Ibid.,. au paragraphe 34.

[12]          [1998] 1 R.C.S. 27.

[13]          L.R.O. 1980, ch. 137, par. 7(5) et 40(1) et alinéa 40a), et Employment Standards Amendment Act, 1981, L.O. 1981, ch. 22, par. 2(3).

[14]          Driedger, Elmer, The Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983), p. 87.

[15]          R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S 217, 316 N.R. 203, 235 D.L.R. (4th) 216.

[16]          Michel Bastarache et al., Le droit de l’interprétation bilingue, 1re éd. (Montréal (Québec), LexisNexis, Canada, 2009), aux pages 50 et 51.

[17]          Décision citée avec approbation dans Albert Pearl (Management) Ltd. c. J.D.F. Builders Ltd., [1975] 2 R.C.S. 846.

[18]         

Le droit relatif au service de transport aérien est exigible au moment suivant :

The charge in respect of the air transportation service is payable

[…]

b)   si aucune contrepartie n’est payée ou exigible pour le service, le moment où un billet visant le service est délivré;

(b) if no consideration is paid or payable for the service, at the time a ticket is issued for the service; or

c)   si aucune contrepartie n’est payée ou exigible pour le service et si aucun billet n’est délivré pour le service, le moment de l’embarquement.

(c)  if no consideration is paid or payable for the service and no ticket is issued for the service, at the time of emplanement.

 

[19]          Arrêt Rizzo, précité, note 11.

[20]          Arrêt Bonsecours, précité, note 8.

[21]          Voir la définition de « transporteur aérien » à l’article 2 de la Loi.

[22]          Débats de la Chambre des communes, vol. 141, numéro 099 (30 janvier 2007), à la page 1245 (M. James Bezan).

[23]          Débats de la Chambre des communes, vol. 141, numéro 153 (14 mai 2007), à la page 1635 (Hon. Rick Dykstra).

[24]          L.C. 2007, ch. 18, article 145, mais réputée en vigueur le 1er avril 2002.

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