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Dossier : 2016-2107(EI)

ENTRE :

LEAH HENDRIKS,

appelante,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée,

et

UPRISE.FM INC.,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 28 novembre 2016 et le 11 septembre 2017, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable Juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Élise Robert-Breton

Avocates de l’intimée :

Me Amelia Fink

Avocat de l’intervenante :

Me Samuel Julien

JUGEMENT

  L’appel interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi est accueilli et la décision rendue par la ministre du Revenu national le 21 avril 2016 est modifiée au motif que Leah Hendriks exerçait un emploi assurable auprès d’Uprise.FM Inc. du 3 septembre 2014 au 12 décembre 2014 au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’AE, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Edmonton, Alberta, ce 8e jour de mars 2018.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


Référence : 2018 CCI 50

Date : 20180308

Dossier : 2016-2107(EI)

ENTRE :

LEAH HENDRIKS,

appelante,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

défenderesse,

et

UPRISE.FM INC.,

intervenante.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

Introduction

[1]  Le présent appel demande que je décide du qualificatif qu’il convient d’attribuer au travail exécuté par l’appelante, Leah Hendriks, pour Uprise.FM Inc., qui s’appelait auparavant Live in your City Inc., à savoir s’il s’agissait d’un travail exécuté en tant qu’employée ou en tant qu’entrepreneure indépendante aux fins de la Loi sur l’assurance emploi. — c’est‑à‑dire, exécuté aux termes d’un contrat de louage de services ou d’un contrat d’entreprise.

[2]  La période de travail était du 3 septembre 2014 au 12 décembre 2014. Il s’agissait d’un travail à plein temps au commencement, mais qui avait été réduit considérablement durant cette période. Aucune retenue n’a été effectuée à la source et aucune taxe de vente fédérale ni provinciale n’a été imposée dans les factures relatives à son travail. Elle a reçu environ 18 000 $ au cours de cette période. Il semble que toute la question du qualificatif ait possiblement été évitée par l’appelante du fait d’avoir totalement omis de déclarer ce revenu à des fins fiscales.

[3]  Dans une décision rendue à l’origine par l’Agence du revenu du Canada (ARC), il a été établi que ce travail était un emploi. Uprise.FM a présenté une opposition et à l’issue d’une nouvelle qualification, l’ARC a déterminé qu’il s’agissait d’une entrepreneure indépendante. L’appelante a interjeté appel devant notre Cour et, étrangement, l’intimée a soutenu que l’appelante était une employée jusqu’à ce qu’elle présente sa requête en modification de sa réponse à l’ouverture lors de la première journée d’audience. Uprise.Fm a participé à titre d’intervenante.

[4]  La cour a entendu le témoignage de l’appelante, Leah Hendriks, ainsi que celui d’une agente des appels de l’ARC en matière de RPC et de l’A.‑E. chargé de ce dossier, et de celui de Gary Silverman, le président et chef de la direction de Uprise.FM et propriétaire de Gary Silverman & Associates Inc., une firme de courtiers d’assurances de Montréal.

[5]  Durant la période en cause, Uprise.FM exploitait une entreprise de diffusion de musique en continu. L’entreprise est exploitée à partir de Montréal, où le travail est par ailleurs effectué.

[6]  Le résultat de cette affaire repose essentiellement sur une analyse factuelle. Il existe des écarts importants entre les témoignages de Mme Hendriks et de M. Silverman, eu égard aux faits pertinents. Non seulement il y a incohérence entre leurs témoignages, dans une certaine mesure, il y a incohérence dans leurs témoignages respectifs, mais aussi incohérence entre leurs témoignages et un nombre considérable de documents déposés en preuve. Considérant les problèmes de crédibilité des témoignages des deux témoins, l’importance des documents sera un élément important de mon appréciation des faits. En l’espèce, les documents ponctuels sont souvent les meilleurs éléments de preuve, sauf si les parties conviennent qu’un élément déposé au dossier ne décrit pas adéquatement la réalité. Ce qui, par ailleurs, ne s’est pas produit. Si seule une partie ne souscrit pas à l’exactitude du document ponctuel, je considère que le document en question est l’élément qui correspond le mieux à la réalité et je rejette l’autre version d’un témoin. Lorsque la preuve documentaire ponctuelle corrobore un témoignage d’un témoin relatif à un point important, j’accepterai le témoignage de ce témoin en ce qui a trait à des questions liées à ce point précis.

[7]  Concernant ces deux témoins, alors que le témoignage de M. Silverman relatif à un point important n’est corroboré par aucun document ponctuel et ne concorde pas avec le témoignage de Mme Hendriks (qui en soi n’est pas incohérent en ce qui a trait à des documents ponctuels pertinents), j’accepte la version des évènements de Mme Hendriks plutôt que celle de M. Silverman. Mes réserves à l’égard de la crédibilité M. Silverman porte notamment sur le fait qu’il a indiqué à l’ARC à l’étape des appels qu’aucune entente écrite n’avait été produite, ni créée, ni signée. En fait, il avait lui-même envoyé par courriel une version préliminaire de [TRADUCTION] « notre emploi typique » à Mme Hendriks au tout début de leurs discussions. Je n’accepte pas son témoignage sous serment selon lequel il aurait simplement oublié l’existence d’un tel document en raison de son manque de pertinence. Cet élément est très important et je considère que le témoignage de M. Silverman n’est pas entièrement véridique. J’ai de sérieux doutes quant à sa crédibilité en raison d’autres préoccupations, présentées ci-dessous :

  Il a indiqué qu’à l’audience, il avait entendu parler pour la première fois de l’application Todoist, conçue pour faciliter la création, la gestion et le suivi du rendement relatifs aux éléments inscrits à la liste à faire. Toutefois, il y avait antérieurement fait allusion dans ses communications relatives aux appels de l’ARC.

  Il a déclaré que le lieu de travail de Mme Hendriks lui importait peu, qu’elle pouvait travailler de son domicile si elle le désirait. Cette affirmation ne concorde pas avec l’offre d’emploi affichée sur Indeed soulevée ultérieurement dans les présents motifs sous la rubrique [TRADUCTION] « Subordination et contrôle ».

  Il a déclaré qu’elle avait été embauchée en fonction d’une entente selon laquelle elle devait fournir son propre ordinateur et ses propres outils connexes, mais qu’une fois le travail entamé, elle s’était plainte de la situation et avait revendiqué d’Uprise.FM un nouvel ordinateur et un meilleur forfait téléphonique. En fait, il lui avait indiqué dans deux courriels envoyés le 2 septembre 2014, avant le début de son travail, qu’il allait lui livrer un ordinateur de la Société, le soir même. Dans l’un de ces courriels, il laisse entendre qu’Uprise.FM allait lui fournir un forfait téléphonique amélioré afin qu’elle n’ait pas à assumer la moindre dépense liée au service téléphonique.

  Il a déclaré qu’aucune discussion relative à l’indemnité de congé annuel ou aux avantages sociaux n’avait eu lieu. Néanmoins, dans la page de présentation du courriel relatif au contrat d’emploi typique, l’ajout d’avantages sociaux après la période d’essai est soulevé — ce qui, ainsi que l’indemnité de congé annuel, est indiqué dans l’entente qu’il lui a fait parvenir.

  Il a indiqué qu’après qu’elle eut commencé à travailler, elle a commencé à présenter d’autres demandes, comme exiger un contrat d’emploi. Une fois de plus, elle avait demandé par écrit une copie numérisée du contrat d’emploi typique d’Uprise.FM, le 4 septembre 2014.

De façon générale, je conclus que M. Silverman se souciait davantage de pouvoir raconter son histoire de la manière qui lui soit le plus favorable possible au détriment de l’exactitude.

[8]  Durant la période en question, l’entreprise Uprise.FM était un site en démarrage de diffusion de musique en continu. Le travail pour lequel l’appelante avait été embauchée comprenait deux volets principaux : premièrement, elle devait être l’adjointe du président-directeur général, Gary Silverman. Deuxièmement, elle devait contribuer à la liaison avec les artistes en arts médiatiques, les agents, le public, entre autres, dans des fonctions de relations avec les médias. J’estime que dans sa fonction d’adjointe du PDG, ses tâches étaient établies, déléguées et supervisées par M. Silverman, ainsi que selon les besoins de ce dernier comme le percevaient les autres au sein de Uprise.FM. J’estime également que les activités de Mme Hendrik en matière de relations avec les médias faisaient l’objet d’une supervision complète de la part de Lisa Mac, au nom d’Uprise.FM, et également de la part de M. Silverman, à l’occasion. Que le personnel de supervision ait lui‑même été constitué d’employés ou d’entrepreneurs indépendants n’a aucune importance. La supervision, le contrôle et les exigences relevaient d’Uprise.FM.

[9]  Il a été beaucoup question du fait que Mme Hendriks a possiblement poursuivi ses activités d’instructrice de yoga et a conservé son centre de yoga alors qu’elle travaillait pour le compte d’Uprise.FM, et qu’en ce qui a trait à ces faits, elle se soit montrée moins franche à l’égard de l’ARC et de la Cour. Cet élément n’est simplement pas pertinent parce que, étant donné la nature de ses activités liées au yoga et la période de temps qu’elle y consacrait, il n’y a aucune incohérence entre celles-ci et le fait qu’elle a été une employée. M. Silverman était somme toute au courant de ces activités et n’estimait pas que l’enseignement du yoga était à ce point important pour le considérer pertinent en ce qui a trait au poste qu’elle occupait chez Uprise.FM, lequel devait dans une très large mesure corresponde à une semaine de travail de 37,5 heures. La preuve ne permet pas de conclure que les cours de yoga avaient été donnés durant sa journée de travail chez Uprise.FM. Peu importe ce qui les motive, il n’est pas inhabituel pour les Canadiens de faire preuve de créativité dans le but d’essayer d’étoffer leur curriculum vitae. Considérant ces faits, l’existence d’activités liées au yoga offertes en dehors des heures de travail chez Uprise.FM n’est ni importante ni pertinente heures de travail à condition qu’elles aient eu lieu. L’existence de ces faits ne permettra pas d’établir si la relation de travail correspond à celle d’un emploi ou à celle d’une entrepreneure indépendante. Elle est pertinente en ce qui a trait à la crédibilité de Mme Hendriks portant sur les éléments pertinents et elle constitue un des motifs sur lesquels j’ai appuyé ma décision de ne pas simplement accepter sa version des évènements.

Le droit applicable

[10]  Dans Romanza Soins Capillaires et Corporels Inc. c. M.R.N. [1] , j’ai établi le droit applicable aux situations comme celle en l’espèce de la manière présentée ci‑dessous :

18 L’expression « emploi assurable » est définie ainsi à l’alinéa 5(1)a) de la Loi :

EMPLOI ASSURABLE

5.(1) Sens de « Assurance emploi » — Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[19] L’article 2085 du Code civil du Québec (le « Code civil ») définit l’expression « contrat de travail » de la manière suivante :

CHAPITRE SEPTIÈME

DU CONTRAT DE TRAVAIL

Art. Art. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

[20] Par comparaison, l’article 2098 définit ainsi l’expression « contrat d’entreprise ou de service » :

CHAPITRE HUITIÈME

DU CONTRAT D’ENTREPRISE OU DE SERVICE

SECTION I

DE LA NATURE ET DE L’ÉTENDUE DU CONTRAT

Art. 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige а lui payer.

[21] L’article 2099 prévoit ce qui suit :

Art. 2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[22] L’article 1425, qui est pertinent pour l’interprétation du contrat, est ainsi libellé :

Art. 1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

[23] Il ressort de plusieurs arrêts de la Cour d’appel fédérale, et notamment de l’arrêt Le Livreur Plus inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 68, que les lignes directrices ou les critères traditionnels de la common law mentionnés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N, [1986] 3 C.F. 553, 87 DTC 5025, sont des points de repère lorsqu’il s’agit de décider s’il existe entre les parties un lien de subordination qui est caractéristique d’un contrat de travail ou s’il existe plutôt un degré d’indépendance qui indique l’existence d’un contrat d’entreprise aux termes du Code civil. De plus, l’intention mutuelle ou la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles doivent être prises en considération et peuvent être un instrument utile d’interprétation de la nature du contrat aux fins de sa qualification en vertu du Code civil. Voir, par exemple, les arrêts de la Cour d’appel fédérale dans les affaires D & J Driveway Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 453, et Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592, lesquels enseignent que l’intention des parties constitue un facteur important à prendre en considération pour qualifier un contrat en vertu du Code civil. Les observations formulées par la Cour d’appel fédérale au sujet de l’intention des parties dans ces arrêts ayant trait au Québec sont conformes а ses observations plus récentes formulées à l’égard de l’importance de l’intention en common law dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (M.R.N.), 2013 CAF 85.

[24] Les lignes directrices ou critères traditionnels de la common law relatifs au contrat de louage de services ou au contrat de travail par opposition à un contrat d’entreprise ou d’entrepreneur indépendant sont bien établis. On établit l’emploi assurable en recherchant si l’intéressé exploite vraiment une entreprise à son compte. Voir les décisions Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., précité.

[25] Pour trancher la question, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes ainsi que d’un certain nombre de critères ou de lignes directrices utiles, notamment : 1) l’intention des parties; 2) le contrôle exercé sur les activités; 3) la propriété des instruments de travail; 4) la possibilité de profit ou le risque de perte. Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents; leur importance relative et leur pertinence dépendent des faits et des circonstances propres à chaque affaire.

[26] Aux paragraphes 27 à 46 de l’arrêt Grimard, et en particulier au paragraphe 43, la Cour d’appel fédérale expose en détail les différences en matière d’emploi assurable, pour les besoins de l’assuranceemploi, entre le droit civil et la common law :

33 Pour importante qu’elle soit, l’intention des parties n’est pas à elle seule déterminante de la qualification du contrat : voir D&J Driveway Inc. c. M.R.N., 2003 CAF 453; Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248. De fait, le comportement des parties dans l’exécution du contrat doit refléter et actualiser cette intention commune, sinon la qualification du contrat se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non de ce que prétendent les parties.

[]

36 Dans l’affaire Wolf c. Canada, 2002 CAF 96, [2002] 4 C.F. 396, notre collègue, le juge Décary, citait l’extrait suivant de feu Robert P. Gagnon tiré de son volume Le droit du travail au Québec, 5e éd., Cowansville : Yvon Blais, 2003, aux pages 66 et 67 et précisant le contenu de la notion de subordination en droit civil québécois :

Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.C.; art. 1463 C.c.Q). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

37 On retrouve dans cet extrait la notion de contrôle sur l’exécution du travail aussi présente dans les critères de la common law, à cette différence que la notion de contrôle est, en vertu du droit civil québécois, plus qu’un simple critère comme en common law. Elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail : voir D&J Driveway, au paragraphe 16 de cette décision; et 90416868 Québec Inc. c. M.R.N., 2005 CAF 334.

38 Mais on peut également noter dans l’extrait de Me Gagnon que le concept juridique de subordination ou contrôle, pour que l’on puisse conclure à sa présence dans une relation de travail, fait aussi appel en pratique à ce que l’auteur appelle des indices d’encadrement, que notre Cour a qualifié de points de repère dans l’affaire Livreur Plus Inc. c. M.R.N., 2004 CAF 68, au paragraphe 18; et dans l’affaire Canada (Procureur général c. Charbonneau, [1996] A.C.F. no 1337 (C.A.) (QL), au paragraphe 3.

39 Par exemple, l’intégration du travailleur dans l’entreprise apparaît en droit civil québécois comme un indice d’encadrement qu’il importe ou qu’il est utile de rechercher en pratique pour déterminer l’existence d’un lien de subordination juridique. N’estce pas là également un critère ou un facteur recherché en common law pour définir la nature juridique de la relation de travail existante?

40 De même, en règle générale, un employeur, et non l’employé, encaisse les profits et subit les pertes de l’entreprise. En outre, l’employeur est responsable des faits et gestes de son employé. Ne sont-ce pas là des indices pratiques d’encadrement, révélateurs d’une subordination juridique aussi bien en droit civil québécois qu’en common law?

41 Enfin, le critère de la propriété des instruments de travail, mis de l’avant par la common law, n’estil pas aussi un indice dencadrement quil convient dexaminer? Car, selon les circonstances, il peut révéler une intégration du travailleur à l’entreprise et son assujettissement ou sa dépendance à celle-ci. Il peut contribuer à établir l’existence d’un lien de subordination juridique. Plus souvent qu’autrement dans un contrat de travail, l’employeur fournit à l’employé les instruments nécessaires à l’exécution de son travail. Par contre, il m’apparaît beaucoup plus difficile de conclure à une intégration dans l’entreprise lorsque la personne qui exécute le travail possède son propre camion, par exemple, arborant de la publicité à son nom et quelque 200 000 $ d’outils pour accomplir les fonctions qu’il exerce et qu’il commercialise.

42 Il va de soi, aussi bien en droit civil québécois qu’en common law, que ces indices d’encadrement (critères ou points de repère), lorsque chacun est pris isolément, ne sont pas nécessairement déterminants. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt Vulcain Alarme Inc. c. Canada M.R.N., [1999] A.C.F. no 749 (C.A.) (QL), le fait que l’entrepreneur devait se servir d’un coûteux appareil spécial de détection fourni par le donneur d’ouvrage pour vérifier et calibrer des détecteurs de substances toxiques ne fut pas jugé suffisant en soi pour transformer ce qui était un contrat d’entreprise en un contrat de travail.

43 En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour lexistence dun contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

[27] De même, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur la question, aux paragraphes 18 à 20 de l’arrêt Le Livreur Plus Inc. :

18 Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l’intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d’un véritable contrat, il s’agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s’il n’y a pas, plutôt, un degré d’autonomie révélateur d’un contrat d’entreprise : ibidem.

19 Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l’ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, A37698, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l’affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N), précitée, suivie dans l’arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 FCA 394, « rares sont les donneurs d’ouvrage qui ne s’assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur ».

20 Je suis d’accord avec les prétentions de la demanderesse. Un sousentrepreneur nest pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co-contractants et les tiers. Ce nest pas un dilettante à l’attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il œuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l’extérieur de celui de l’entreprise de l’entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l’entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n’en est pas altérée pour autant. Et l’entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu’il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

[28] De plus, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes dans l’arrêt D & J Driveway Inc. :

2 Nous reconnaissons d’emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n’est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d’examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, [2003] 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l’interrogatoire des parties sur la question peuvent s’avérer un instrument utile d’interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

[29] Dans l’arrêt D & J Driveway Inc., la Cour d’appel a ensuite reconnu, au paragraphe 4, qu’il est possible de se référer aux critères de l’arrêt Wiebe Door Services pour apprécier l’existence d’un lien de subordination au titre du Code civil.

[11]  NCJ Educational Services Limited c. Canada (ministre du Revenu national) [2] , une décision de la Cour d’appel fédéral soulevée par l’avocate de l’intimée dans ses observations, s’harmonise pleinement avec le courant jurisprudentiel que j’ai cité dans Romanza Soins Capillaires et Corporels. Dans cette affaire, j’ai énoncé ce qui suit :

[55]  Dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553, notre Cour a souligné l’importance du critère du contrôle tant selon les règles du droit civil qui existaient à l’époque (le Code civil du Bas-Canada) que sous le régime de la common law traditionnelle. Voici ce que la Cour a déclaré au paragraphe 6 et à la note infrapaginale 1 :

En common law, le critère traditionnel qui confirme l’existence d’une relation employeur-employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina. v. Walker, (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la page 208 :

[TRADUCTION]

« À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante : ̶ un mandant a le droit d’indiquer au mandataire ce qu’il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

Ce critère est tout aussi important aujourd’hui, comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’affaire Hôpital Notre-Dame de l’Espérance et Théoret c. Laurent, 1977 CanLII 8 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 605, en souscrivant à l’énoncé suivant, à la page 613) : « le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail »1.

______________________

Même s’il s’agit d’une affaire de droit civil, la Cour estime qu’en l’espèce, les règles du droit à cet égard sont identiques à celles de la common law.

[Non souligné dans l’original.]

[56] On trouve un survol historique du concept de la subordination selon le Code civil du Québec dans l’ouvrage de Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec. Cet auteur, maintenant décédé, est souvent cité par notre Cour (Wolf c. La Reine, 2002 CAF 96 (CanLII), [2002] 4 C.F. 396, le juge Décary, 9041-6868 Québec Inc., paragraphe 12; Michel Grimard c. La Reine, 2009 CAF 47 (CanLII), paragraphe 36). Le survol historique qu’il dresse ressemble de façon frappante au récit de l’évolution des règles de droit applicable en common law (voir lord Wright dans l’arrêt Montreal (City) c. Montreal Locomotive Works Ltd., 1946 CanLII 353 (UK JCPC), [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.) aux pages 169 et 170 (l’arrêt Montreal Locomotive Works).

[57] La difficulté que soulève l’application du concept de la subordination à l’époque moderne est bien expliquée par Marie-France Bich dans son ouvrage Le Contrat de travail, Code civil du Québec, chapitre septième, articles 2085-2097, C.c.Q.) La Réforme du Code civil, Obligations, contrats nommés, 1983, Les Presses de l’Université Laval, p. 752.

[58] Bien que le critère du contrôle et la présence ou l’absence de lien de subordination constituent les éléments caractéristiques du contrat de travail, la multiplication des situations factuelles a contraint les tribunaux à élaborer des indices d’analyse dans leur recherche de la véritable nature d’une relation déterminée.

[59] Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Robert Gagnon (6e édition, mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), les indices suivants (ci-après soulignés) ont été ajoutés à ceux que l’on trouvait dans la 5e édition. Ces nouveaux indices sont les mêmes que ceux qui avaient été élaborés dans l’arrêt Montreal Locomotive Works et que notre Cour avait appliqués dans l’arrêt Wiebe Door.

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[Non souligné dans l’original.]

Discussion

L’intention des parties

[12]  Au départ, c’est un poste que sollicitait Mme Hendriks, dans la mesure où elle comprenait la différence entre un emploi et le travail comme entrepreneure indépendante. Selon le témoignage de M. Silverman, dans son esprit, il devait s’agir d’un travail à titre d’entrepreneure indépendante, ce à quoi avait par ailleurs consenti Mme Hendriks.

[13]  M. Silverman nous renvoie au courriel de Mme Hendriks de la fin du mois de septembre 2014, plusieurs semaines après le commencement de son emploi, dans lequel elle proposait une réduction de ses heures de travail sous la forme d’un contrat déterminé. Cet évènement se situe une fois la période d’emploi commencée et était une indication sans équivoque de l’insatisfaction exprimée par Uprise.FM à l’égard de son rendement au travail. Lors de son témoignage, M. Silverman a attribué sa demande au fait qu’il voulait réduire ses heures de travail ainsi que sa rémunération horaire. Il ne fait aucun doute qu’elle n’a pas commencé à travailler pour le compte d’Uprise.FM en vertu de cette proposition.

[14]  Le 22 septembre 2014, M. Silverman a communiqué par écrit avec Mme Hendriks lui indiquant que ses services juridiques lui feraient parvenir une copie de son contrat le jour même et qu’elle serait d’accord avec son contenu puisqu’il l’avait rédigé en fonction des besoins de cette dernière.

[15]  Le 6 septembre 2014, M. Silverman a envoyé un courriel à l’appelante, auquel était annexée la pièce jointe « notre contrat d’emploi typique » et qui précisait que son contrat entrait en vigueur le 3 septembre 2014. La pièce jointe en question était intitulée [TRADUCTION] « LIYC – emploi de Mme Hendriks.doc ».

[16]  Selon la description du poste indiqué dans le contrat de travail, il est question d’une [TRADUCTION] « adjointe du président-directeur général, Gary Silverman ». L’une des clauses d’introduction du document en question présente les [TRADUCTION] « modalités en conformité avec lesquelles l’employé doit exécuter les devoirs et obligations qui lui incombent en vertu du présent contrat de travail ». Il est prévu à l’article 1.1 une période d’essai du 1er septembre au 31 décembre 2014, au taux horaire de 25 $ et de 37,5 heures par semaine. À l’article 1.2 intitulé « Emploi », il est précisé qu’elle serait embauchée comme employée à plein temps à 26 $ l’heure et aurait droit à trois semaines de congé annuel si la durée de l’emploi se poursuivait après la période d’essai. M. Silverman mentionne précisément ces éléments sur la page de présentation en cinq points du courriel qu’il lui a envoyé. Tout au long de ce contrat de travail, la relation est décrite comme un emploi et Mme Hendriks comme une employée. M. Silverman n’a pu expliquer pourquoi il en était ainsi autrement qu’en attribuant la faute à son avocat.

[17]  Dans de telles circonstances, il me semble qu’autant de la part de M. Silverman et de Mme Hendriks il était voulu que cette relation soit celle d’un emploi, à moins que, pour ses propres intérêts, M. Silverman ait voulu faire croire à Mme Hendriks qu’il voulait l’embaucher en tant qu’employée.

[18]  Il est possible que cette entente n’ait jamais été signée par les parties. Ce fait ne m’empêche aucunement de conclure que dans l’entente sont établies les modalités sur lesquelles reposent l’entente relative à la relation de travail qui a été verbalement conclue au départ par Mme Hendriks et Uprise.FM.

[19]  Que ce contrat de travail ait été signé ou non, j’estime qu’il est le fondement sur lequel repose le commencement du travail de Mme Hendriks chez Uprise.FM. Cette entente est décrite sur la page de présentation du courriel envoyé par M. Silverman comme un contrat d’emploi typique, laissait ainsi entendre qu’aucune négociation n’aurait lieu à cet égard. Cette position est compatible avec le fait que, sur sa page de présentation du courriel, il est indiqué qu’ [TRADUCTION] « à compter du 1erjanvier 2015, vous et moi allons négocier un nouveau contrat comprenant notamment l’assurance collective », une négociation qui aurait lieu une fois la période d’essai terminée avec succès. Il n’est aucunement fait allusion à une négociation liée au présent contrat. De plus, le présent contrat est celui qui a été produit dans les quelques jours suivant le commencement du travail à la suite d’une demande continue visant la production dudit contrat.

[20]  Je conclus que M. Silverman a eu tort de prétendre qu’il n’avait jamais présenté ni créé de contrat de travail.

[21]  Je vais poursuivre mon appréciation du critère traditionnel de Wiebe Door puisqu’étant donné les circonstances, il me semble peu judicieux d’accorder trop d’importance à une intention commune qui aurait intentionnellement fait l’objet d’une représentation fausse de la part de M. Silverman, à des fins personnelles.

Subordination et contrôle

[22]  En ce qui a trait à sa fonction d’adjointe du PDG, il n’est pas étonnant de constater que les éléments de preuve soient grandement favorables à la notion voulant que le travail de Mme Hendriks ait été assujetti à la direction et à la supervision de M. Silverman, c’est-à-dire à savoir ce qui devait être fait, comment et quand il fallait le faire et également si le tout avait été accompli correctement. Les courriels présentés en preuve étayent amplement cet énoncé et sont favorables à la version des faits présentée par Mme Hendriks.

[23]  De même, en ce qui a trait à sa fonction en matière de relations avec les médias (ou comme dans l’offre d’emploi affichée sur Indeed ou d’assurer la liaison avec les artistes en arts médiatiques ou de services à la clientèle), les documents démontrent de manière évidente dans quelle mesure elle faisait l’objet d’une supervision et d’un contrôle de la part de Lisa Mac d’Uprise.FM, ainsi que de M. Silverman, à l’égard du travail de Mme Hendriks, notamment au sujet de ce qui devait être accompli et de quand ce devait se faire, l’ordre dans lequel il fallait s’en occuper, et l’approbation relative au caractère adéquat de l’affaire à acheminer à M. Silverman ou aux représentants ou clients d’Uprise.FM.

[24]  Une fois de plus, ces éléments concordent avec l’offre d’emploi affichée sur Indeed, lequel indique que selon les tâches liées à son poste elle devrait [TRADUCTION] « relever du producteur des médias numériques et PDG (nous sommes tous deux très en vogue) » ([non souligné dans l’original.]).

[25]  Aucun élément de preuve n’appuie la proposition voulant que tout travail réel accompli par Mme Hendriks doive être effectué à l’extérieur des installations d’Uprise.FM. Ce travail était pratiquement entièrement effectué dans les locaux partagés du loft de la coop La Commune qu’utilisait Uprise.FM à l’époque. J’estime que Mme Hendriks reconnaissait l’existence de deux exceptions tout à fait distinctes, l’une étant qu’en l’absence d’une connexion Internet dans l’espace du loft, elle se déplaçait dans un café; et l’autre étant lorsque se déroulaient des activités de construction au loft et que des appels devaient être effectués, elle travaillait alors à partir de son domicile. On s’attendait d’elle qu’elle effectue son travail durant les heures normales de bureau du lundi au vendredi, aux installations d’Uprise.FM.

[26]  De même, ces exceptions concordent avec l’offre d’emploi affichée sur Indeed indiquant [TRADUCTION] « Vous aurez la latitude des heures de travail souples et recevrez un salaire sur une base régulière. Chez Uprise, nous croyons dans l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, c’est pourquoi, bien que nous voulions que [vous] travailliez du bureau la plupart du temps, vous êtes toutefois autorisés à travailler de votre domicile à l’occasion ». [Non souligné dans l’original.] L’offre d’emploi affichée indique également [TRADUCTION] « Vous […] travaillez bien dans un environnement de bureau à aire ouverte, dans l’espace frais d’un loft ».

[27]   Lisa Mac exigeait de Mme Hendriks qu’elle ouvre une session dans Google Chat et dans Todoist afin de pouvoir gérer et superviser ses activités prévues et réalisées ainsi que son temps de travail. Je rejette la proposition de M. Silverman voulant que Lisa Mac ait probablement surveillé ces activités à des fins de connaissances personnelles comme si celles-ci étaient distinctes de celles d’Uprise.FM.

[28]  Ces considérations penchent vraiment en faveur d’une relation d’emploi.

Outils et fournitures

[29]  Les outils et fournitures dont avait besoin Mme Hendriks pour exécuter son travail étaient fournis par Uprise.FM. Il s’agit notamment de la location de l’espace du loft partagé dans La Commune, où on attendait d’elle qu’elle exécute son travail, et l’ordinateur dont elle avait besoin ainsi que deux écrans d’ordinateur et un casque d’écoute téléphonique, qui lui ont tous été procurés par Uprise.FM.

[30]  Mme Hendriks a utilisé son propre forfait téléphonique, qui, par ailleurs, lui était remboursé par Uprise.FM. Dans le courriel du 2 septembre 2014 qu’il lui a envoyé au sujet du contrat qu’elle lui réclamait, M. Silverman lui a communiqué par écrit qu’il voulait effectuer une mise à jour de son forfait téléphonique de manière à lui éviter de devoir assumer la moindre dépense.

[31]  Je conclus que cet élément penche en faveur d’une situation d’employée plutôt que celle d’une travailleuse indépendante.

Possibilités de bénéfice et risques de perte

[32]  Mme Hendriks touchait une rémunération selon un taux horaire ferme en fonction des heures travaillées. Elle ne pouvait augmenter sa rémunération que si elle augmentait son nombre d’heures travaillées ou si elle obtenait une hausse de salaire; deux éléments à l’égard desquels elle n’exerçait aucun contrôle. M. Silverman d’Uprise.FM contrôlait à la fois les heures et le taux de rémunération, un pouvoir qu’il a par ailleurs exercé à la baisse à deux reprises durant sa période de travail.

[33]  Selon le contrat de travail, Mme Hendriks était expressément tenue de demeurer loyale et de ne pas travailler pour qui que ce soit au sein du même secteur d’activités.

[34]  Rien ne porte à penser que Mme Hendriks était habilitée à confier à la sous-traitance la totalité de son travail, ou une partie, à qui que ce soit.

[35]  Cet élément d’appréciation penche également beaucoup en faveur d’une relation d’emploi.

Conclusion

[36]  Après avoir examiné tous les faits pertinents, dans la mesure où ils sont liés à l’intention des parties et les indices ou considérations ayant trait à la subordination et au contrôle, les outils et fournitures, et les possibilités de bénéfice et risques de perte, j’arrive à la conclusion que le lien entre Mme Hendriks et Uprise.FM était une relation d’emploi.

[37]  Considérant plus précisément la mesure dans laquelle Uprise.FM dirigeait l’exécution des tâches à effectuer et sa surveillance effective ainsi que ses droits en matière d’approbation et d’exigences en pratique, et tenant compte de l’absence quasi totale de risque de perte financière de la part de Mme Hendriks et de sa rémunération relativement ferme qu’elle n’aurait pu influencer à la hausse qu’en augmentant le nombre d’heures travaillées, ces circonstances et faits particuliers examinés dans leur ensemble penchent fortement en faveur d’une relation d’emploi, laquelle constitue un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance emploi.

[38]  La décision des appels de l’ARC en matière de RPC et de l’A.‑E. d’infirmer la décision établissant que cette relation était une relation d’emploi et les conclusions ou les préoccupations de l’agente des appels ne concordent pas avec les éléments de preuve dont notre Cour a été saisie. L’agente des appels s’inquiétait du fait que (i) Mme Hendriks peut avoir faussement déclaré ses activités liées au yoga et que (ii) les réponses fournies par Mme Hendriks à savoir si le contrat de travail avait été signé ou non étaient incohérentes. Ce sont là les préoccupations exprimées par l’agente des appels pour justifier qu’il choisisse plutôt de reconnaître la version des faits et des évènements présentée par M. Silverman. Cette position est plutôt surprenante considérant que selon le rapport des appels, M. Silverman avait induit l’ARC en erreur en affirmant qu’il n’avait ni élaboré ni signé de contrat, ni, pour emprunter les propos de l’agente des appels, n’en avait créé. Étant donné qu’une version numérisée non signée avait été fournie à l’agente des appels par Mme Hendriks, laquelle était accompagnée de sa page de présentation du courriel indiquant qu’il s’agissait d’un contrat d’emploi typique d’Uprise.FM, il est surprenant que l’agente des appels n’ait pas considéré que la crédibilité de M. Silverman puisse poser problème. L’agente des appels a rendu sa décision sans s’être penchée sur cet élément. Aucune explication satisfaisante n’a été présentée à cet égard.

[39]  L’appel est accueilli.

Signé à Edmonton, Alberta, ce 8e jour de mars 2018.

« Patrick Boyle »

Juge


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 50

NO DE DOSSIER DE LA COUR :

2016-2107(EI)

INTITULÉ :

LEAH HENDRIKS c. M.N.R. et UPRISE.FM INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DES AUDIENCES :

Le 28 novembre 2016 et le 11 septembre 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’Honorable Juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 mars 2018

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

Avocats de l’appelante :

Me Élise Robert-Breton

Avocate de l’intimée :

Me Amelia Fink

Avocat de l’intervenante :

Me Samuel Julien

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

Pour l’appelante :

Élise Robert-Breton

Cabinet :

Aide juridique de Montréal

Laval (Québec)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

Pour l’intervenante :

Samuel Julien

Cabinet :

Spiegel Sohmer Inc.

Montréal (Québec)

 



[2] 2009 CAF 131.

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