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Dossier : 2010-832(IT)G

ENTRE :

TRANSALTA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]  

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 28 novembre 2011, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge T.E. Margeson

 

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Robert D. McCue et MTodd J. Marr

Avocates de l’intimée :

Me Bonnie F. Moon et

Me Mary Softley

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 de l’appelante sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

          Signé à Toronto (Ontario), ce 4e jour d’avril 2012.

 

 

« T.E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2012.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 86

Date : 20120404

Dossier : 2010-832(IT)G

 

ENTRE :

 

TRANSALTA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge Margeson

[1]              Il s’agit d’appels se rapportant aux années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 de l’appelante. Au cours de ces années, l’appelante a accordé des gratifications à ses employés ainsi qu’aux employés de certaines de ses filiales en vertu de son régime d’actionnariat (le « RAFR »).

 

[2]              En calculant son revenu en vertu de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu dans ses déclarations de revenus pour chaque année d’imposition pertinente, l’appelante a déduit, conformément au paragraphe 9(1) et à l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la « Loi »), le montant des gratifications qu’elle accordait aux employés participant au RAFR.

 

[3]              Pour les années d’imposition 2001 et 2002, les gratifications ont été payées au moyen d’actions du capital-actions de l’appelante (les « actions ») et, pour les années d’imposition 2003 et 2004, elles l’ont été en partie au moyen d’un paiement en argent et en partie au moyen de l’émission d’actions. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les déductions relatives à ces gratifications pour le motif que les déductions étaient prohibées par le paragraphe 7(3) de la Loi et que les dispositions du paragraphe 7(1) de la Loi s’appliquaient.

 

[4]              Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits qui est rédigé ainsi :

           

            [traduction]

 

            EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

Les parties, par leurs avocats respectifs, s’entendent sur les faits ci‑après énoncés. La présente entente est conclue pour les besoins de cet appel seulement; elle ne peut être utilisée contre l’une ou l’autre partie dans aucun autre cas. L’une ou l’autre partie pourra soumettre tout élément de preuve additionnel pertinent relativement aux questions en litige dans la mesure où il n’est pas incompatible avec la présente entente. Il est également convenu que la reconnaissance de ces faits n’emporte aucunement concession quant au poids ou au degré de pertinence à leur attribuer. Il sera fait mention, dans le présent exposé conjoint des faits, du recueil conjoint de documents des parties (le « recueil conjoint de documents ») déposé dans la présente affaire.

 

1.                  Au cours des années d’imposition 2001, 2002, 2003 et 2004 de l’appelante (les « années d’imposition pertinentes »), l’appelante a accordé des gratifications (les « gratifications »), en vertu de son régime d’actionnariat fondé sur le rendement (le « RAFR »), à certains cadres supérieurs et à certains de ses employés ayant beaucoup de potentiel ainsi qu’à des employés similaires de certaines de ses filiales, lesquels étaient désignés par l’appelante des participants au RAFR (les « participants »).

 

2.                  Pendant les années d’imposition pertinentes, l’appelante et ses filiales, TransAlta Utilities Corporation, TransAlta Energy Corporation et TransAlta Energy Marketing Corporation (les « filiales ») résidaient toutes au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

3.                  Pendant les années d’imposition pertinentes, les participants comprenaient des employés de l’appelante et de chacune des filiales.

 

4.                  Pendant les années d’imposition pertinentes, l’appelante et les filiales avaient entre elles un lien de dépendance pour l’application de la Loi.

 

            5.         Pendant les années d’imposition pertinentes, l’appelante était une « société publique » pour l’application de la Loi et ses actions étaient cotées (notamment) à la Bourse de Toronto et à la Bourse de Montréal.

 

            6.         L’exercice de l’appelante pour toutes les années d’imposition pertinentes prenait fin le 31 décembre.

 

            7.         L’appelante a été constituée en personne morale en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »); elle a continué à exister pendant toutes les années d’imposition pertinentes.

 

            8.         L’appelante a mis sur pied 1e RAFR en 1997. La résolution du conseil d’administration de l’appelante concernant le RAFR figure à l’onglet 1 du recueil conjoint de documents.

 

            9.         Le RAFR a été modifié à plusieurs reprises, avant ou pendant les années d’imposition pertinentes. Les versions applicables au cours des années d’imposition pertinentes sont datées du 1er avril 1999 et du 22 juillet 2004. Le RAFR daté du 1er avril 1999 figure à l’onglet 2 du recueil conjoint de documents. Le RAFR daté du 22 juillet 2004 figure à l’onglet 3 du recueil conjoint de documents.

 

            10.       Les employés de l’appelante qui sont devenus participants au RAFR après sa création en ont été informés par lettre. Une copie d’un exemple typique de pareille lettre figure à l’onglet 4 du recueil conjoint de documents.

 

            11.       Les nouveaux employés qui devaient participer au RAFR en étaient informés dans leur lettre d’offre d’emploi. Une copie d’un exemple typique d’une lettre d’offre d’emploi figure à l’onglet 5 du recueil conjoint de documents.

 

            12.       Le RAFR est mis en œuvre par cycles successifs de trois ans (chacun constituant une « période de rémunération »). Une nouvelle période de rémunération commence au début de chaque année civile.

 

            13.       En ce qui concerne les gratifications, on passe par les étapes ci‑après décrites :

 

                        a)         Le comité des ressources humaines (le « comité ») avise chaque participant, vers le début de chaque période de rémunération, du nombre d’unités auquel celui‑ci pourra avoir droit pour cette période de rémunération ainsi que de son admissibilité éventuelle. Ainsi :

 

                                    (i)         en 1999, un participant aurait été avisé du nombre d’unités auquel il pouvait avoir droit pour la période de rémunération allant de l’année 1999 à l’année 2001 inclusivement, la gratification y afférente pouvant être payée en 2002;

 

                                    (ii)        en l’an 2000, le même participant aurait été avisé d’un nombre d’unités possible auquel il pouvait avoir droit pour la période de rémunération allant de l’année 2000 à l’année 2002 inclusivement, la gratification y afférente pouvant être payée en 2003;

 

                                    (iii)       ce processus pouvait être repris pour chaque période de rémunération successive.

 

                                    Une copie d’un avis typique figure à l’onglet 6 du recueil conjoint de documents.

 

                        b)         Au plus tard 120 jours après la fin de chaque période de rémunération, le comité détermine pour cette période de rémunération :

 

                                    (i)         le montant de la gratification accordé à chaque participant;

 

                                    (ii)        si la gratification doit être payée en argent ou au moyen de l’émission d’actions et la mesure dans laquelle elle doit l’être.

 

                        c)         Une fois que le comité a pris sa décision, les actions nécessaires sont émises et/ou les paiements en argent sont effectués.

 

                        d)         Chaque participant est avisé de la gratification qui lui est accordée sous forme d’actions au moyen d’une note de service de l’appelante :

 

                                    (i)         l’informant qu’il a été décidé du nombre d’actions;

 

                                    (ii)        indiquant le montant de la gratification, compte tenu du nombre d’actions émises en acquittement de ce montant;

 

                                    (iii)       indiquant le montant de l’impôt versé au receveur général à cet égard.

 

                                    Une copie d’une note de service typique figure à l’onglet 7 du recueil conjoint de documents.

 

            14.       La relation existant entre l’appelante et ses actionnaires est régie entièrement par la LCSA.

 

            15.       Toutes les actions que l’appelante a émises dans le cadre du RAFR au cours des années d’imposition pertinentes étaient des actions non émises.

 

            16.       La circulaire de la direction concernant la sollicitation de procurations pour l’assemblée annuelle des actionnaires de l’appelante du 1er mai 2002 décrit le RAFR et renferme des renseignements au sujet des unités du RAFR attribuées en 2001. Une copie de cette circulaire figure à l’onglet 8 du recueil conjoint de documents.

 

            17.       Au cours de chaque année d’imposition pertinente, l’appelante a constaté par régularisation dans ses livres comptables, conformément à son interprétation des principes comptables applicables, un montant à titre de charge pour les gratifications futures. Ce montant est estimé de la même façon, que les gratifications soient payées en argent ou qu’elles le soient au moyen de l’émission d’actions.

 

            18.       Les montants constatés par régularisation, dans les états financiers vérifiés de fin d’exercice de l’appelante à l’égard des années d’imposition pertinentes, à titre de charges faisant partie des frais d’exploitation, d’entretien et d’administration étaient les suivants :

 

Année d’imposition

pertinente

Charges comptables constatées par régularisation par l’appelante

 

2001

4 800 000 $

2002

5 300 000 $

2003

Néant

2004

3 400 000 $

 

            19.       Les montants constatés par régularisation à titre de charges à l’égard de gratifications futures n’étaient pas déduits dans le calcul de l’impôt sur le revenu et ils étaient rajoutés sur le formulaire T2(S)1 rempli par l’appelante, lequel était joint à la déclaration de revenus de celle‑ci pour chaque année d’imposition pertinente.

 

            20.       Les montants des gratifications futures constatés par régularisation se rapportant à une période de rémunération étaient rajustés par l’appelante, conformément à la façon dont celle‑ci interprétait les principes comptables applicables, à la fin de chaque année, jusqu’à la fin de la période de rémunération pertinente, et il était tenu compte de ces montants estimés rajustés dans les états financiers vérifiés de l’appelante.

 

            21.       L’appelante a accordé des gratifications au cours de chacune des années d’imposition pertinentes ou a émis des actions en faveur des participants au cours des années d’imposition pertinentes, comme il est indiqué ci‑dessous :

 

Année d’imposition pertinente

Valeur marchande des actions émises par l’appelante au moment de l’émission

Montant des gratifications en argent ou de l’impôt retenu à la source payés conformément au RAFR

 

Gratifications globales

2001

1 827 694 $

0 $

1 827 694 $

2002

1 848 755 $

0 $

1 848 755 $

2003

1 425 263 $

907 504 $

2 332 767 $

2004

1 112 576 $

1 166 121 $

2 278 697 $

 

22.       Dans le cadre des émissions d’actions susmentionnées, l’appelante augmentait des montants suivants, qui correspondaient à la juste valeur marchande des actions au moment de leur émission pour chacune des années d’imposition pertinentes, son compte de capital déclaré à l’égard de ses actions ordinaires :

 

Année d’imposition pertinente

Augmentation du capital déclaré de l’appelante par suite de l’émission d’actions dans le cadre du RAFR

2001

1 827 694 $

2002

1 848 755 $

2003

1 425 263 $

2004

1 112 576 $

 

            23.       L’appelante croit comprendre que le montant ajouté au compte de capital déclaré était ajouté conformément aux paragraphes 25(3) et (4) de la LCSA en tenant pour acquis que la valeur des services non rémunérés antérieurement rendus à l’appelante par les participants était au moins égale à la juste valeur marchande globale des actions au moment de leur émission.

 

            24.       Les augmentations susmentionnées du capital déclaré de l’appelante étaient approuvées par ses vérificateurs et elles ont été acceptées par les conseillers juridiques externes de l’appelante lors de leur examen des dossiers d’entreprise de l’appelante relatifs à divers financements et à d’autres questions similaires.

 

            25.       L’appelante :

 

                        a)         a produit ses déclarations de revenus et ses déclarations de renseignements pour les années d’imposition pertinentes en tenant pour acquis que les gratifications étaient imposées à titre de revenu d’emploi entre les mains des participants;

 

                        b)         a inclus les gratifications à titre de revenu d’emploi des participants sur les feuillets de renseignements T4 envoyés aux participants;

 

                        c)         a versé au receveur général du Canada, en argent, certains montants au titre des retenues à la source relatives aux gratifications.

 

            26.       En calculant son revenu en vertu de la partie I de la Loi dans ses déclarations de revenus pour chaque année d’imposition pertinente, l’appelante a déduit certains montants à l’égard des gratifications accordées en argent ou au moyen de l’émission d’actions, y compris les versements effectués au cours de l’année en faveur du receveur général pour le compte des employés. Des copies des déclarations de revenus de l’appelante pour les années d’imposition pertinentes figurent aux onglets 9 à 12 inclusivement du recueil conjoint de documents.

 

            27.       Le ministre du Revenu national a établi, comme il est indiqué ci-dessous, des nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante, lui refusant certaines de ses déductions à l’égard des gratifications ainsi que certaines autres déductions se rapportant aux années d’imposition pertinentes :

 

Année d’imposition pertinente

Déductions demandées par l’appelante qui ont été refusées

2001

1 827 694 $

2002

1 848 755 $

2003

2 356 791 $

2004

2 302 338 $

            28.       Le ministre a délivré des avis de détermination de perte pour chacune des années d’imposition pertinentes; il s’agit des avis visés par le présent appel. Des copies de ces avis figurent aux onglets 13 à 16 inclusivement du recueil conjoint de documents.

 

            29.       La Couronne et l’appelante ont réglé certains points litigieux concernant la déduction par l’appelante des gratifications payées en argent ainsi que de certaines dépenses connexes, de sorte que la seule question litigieuse qu’il reste à régler est celle de savoir si l’appelante a le droit de déduire la juste valeur marchande des actions qu’elle a émises en vertu du RAFR, les montants en cause étant les suivants :

 

Année d’imposition pertinente

Déduction demandée

2001

1 827 694 $

2002

1 848 755 $

2003

1 425 263 $

2004

1 112 576 $

 

 

[5]              Les parties ont également soumis un recueil conjoint de documents, sans aucune restriction.

 

[6]              Lors de la présentation de la preuve, Benjamin Park a témoigné qu’il était responsable du RAFR. Ce régime prévoyait que, dans les 120 jours suivant la fin d’une période, les employés devaient être avisés du montant qu’ils allaient recevoir sous forme de gratification. Le formulaire d’avis a été produit sous la cote R‑2, onglet 7.

 

[7]              M. Park a indiqué que personne n’avait jamais renoncé à ces actions ou à l’argent. Une estimation du montant à payer était effectuée, et les montants étaient inscrits dans les livres de l’appelante à titre de charges constatées par régularisation. Les estimations étaient prudentes, de façon à ne pas sous-estimer la charge ou la dette. Selon le principe du rapprochement des produits et des charges, il fallait comptabiliser ces montants au cours de la période où ils étaient gagnés. Il importait peu que ces montants soient payés en argent ou sous forme d’actions. Les montants étaient inscrits dans les livres de l’appelante à titre de frais d’exploitation, d’entretien et d’administration, comme il en est fait mention au paragraphe 18 de l’exposé conjoint des faits. Si les montants n’étaient pas payés, il n’y avait pas de charges constatées par régularisation. Le paiement pouvait être plus élevé ou moins élevé. C’est ce qui est arrivé par le passé.

 

[8]              En ce qui concerne le traitement des dépenses au bilan, un rajustement est effectué pour toute modification des montants au 31 décembre 2004. La charge à payer est purement une fonction comptable et n’a rien à voir avec les employés.

 

[9]              Le comité de rémunération est composé de personnes qui ne sont pas des cadres supérieurs de la société.

 

[10]         Si la Couronne a gain de cause en l’espèce, l’effet sur les employés sera de l’ordre de 73 à 81 p. 100.

 

[11]         Lors du contre-interrogatoire, le témoin a indiqué qu’il participait au RAFR.

 

[12]         Le témoin avait reçu un document semblable, mais pas tout à fait identique, à celui qui figure à l’onglet 5 du recueil conjoint de documents. Le terme [traduction] « récompense » est utilisé plutôt que le terme [traduction] « gratification ».

 

[13]         L’avis est donné à la fin d’une période de rémunération.

 

[14]         L’avis donné aux actionnaires est décrit d’une façon plus complète aux onglets 8 et 9 du recueil conjoint de documents.

 

Arguments présentés pour le compte de l’appelante

 

[15]         Lors de l’argumentation, l’avocat de l’appelante a dit qu’il n’existait aucune convention exécutoire en droit qui prévoyait l’émission des actions. Il y avait des périodes de trois ans. L’avis pouvait se rapporter à un éventail de gratifications à la fin d’une période. Le conseil d’administration décidait si les gratifications devaient être payées et si elles devaient l’être en argent ou sous forme d’actions. Dans le cas où des actions étaient émises, il n’était pas nécessaire d’aviser les bénéficiaires.

 

[16]         L’avocat a déclaré que, dans ses livres comptables, l’appelante ne reconnaissait jamais l’existence d’un passif. Personne n’a jamais tenté de rendre l’argent ou les actions.

 

[17]         Les actions étaient émises pour services passés, comme l’indique le paragraphe 23 de l’exposé conjoint des faits. Cette considération n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un contrat exécutoire en droit. La validité des actions émises pour services passés n’est pas mise en question.

 

[18]         L’avocat a également soumis un long plaidoyer écrit qui, selon lui, était plus complet que l’argumentation orale présentée à l’instruction et qui traitait de l’argument relatif à la convention exécutoire en droit et des questions concernant le contrat unilatéral d’une façon plus approfondie que cela n’avait été fait lors de l’argumentation orale présentée à l’instruction.

 

[19]         L’avocat a soutenu que l’appel devrait être accueilli, et ce, pour les motifs suivants :

 

a)                 La jurisprudence et les principes d’interprétation des lois appuient l’interprétation restrictive selon laquelle l’article 7 ne s’applique qu’aux conventions exécutoires en droit. En l’espèce, il existe un ensemble de faits qui montrent que, selon les intentions et attentes expresses et implicites des parties, le RAFR était un régime de gratification discrétionnaire qui ne créait pas de droits ou d’obligations juridiques. Le sens clair du mot « convention » a amené les parties à s’attendre à certaines conséquences fiscales du fait que l’article 7 ne s’appliquerait pas. Si la présente cour devait étendre la portée de l’article 7 pour qu’il s’applique à des ententes non exécutoires en droit, les contribuables feraient face à une incertitude considérable et il en résulterait dans bien des cas un degré élevé de double imposition puisque l’article 7 s’appliquerait, alors que l’alinéa 110(1)d) ne s’appliquerait pas. Pour qu’il y ait un résultat aussi draconien, il faut que la Loi le prévoie en termes clairs, ce qui n’est pas le cas ici. Le sens ordinaire du mot « convention » figurant à l’article 7 ainsi que l’interprétation contextuelle et téléologique de ce mot étayent la position prise par l’appelante.

 

b)                La question du contrat unilatéral : Un contrat unilatéral fait naître une obligation exécutoire en droit, laquelle, selon ce qu’a supposé la Couronne dans sa réponse, n’existait pas dans ce cas‑ci[1]. En outre, un contrat unilatéral constitue une offre qui peut être acceptée au moyen de l’exécution. Or, le RAFR ne comporte pas une telle offre. En effet, il n’y a rien que les participants puissent faire pour obliger contractuellement l’appelante à émettre les actions puisque l’émission d’actions en faveur d’un participant relève uniquement du pouvoir discrétionnaire de l’appelante selon les termes clairs du RAFR. Par conséquent, le RAFR n’entraîne pas la création d’un contrat unilatéral.

 

c)                 La question des dépenses : La Couronne se fonde uniquement sur une remarque incidente renvoyant, dans la décision Placer Dome Inc. c. Canada, [1992] A.C.F. no 634 (QL), [1992] 2 C.T.C. 99, à l’arrêt Lowry (Inspector of Taxes) v. Consolidated African Selection Trust Limited, [1940] AC 648 (C.L.), que la Cour d’appel fédérale a expressément rejeté. En outre, cette idée a été écartée par l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, 98 DTC 6100. La décision qui a été rendue dans l’affaire Canderel étaye la prétention selon laquelle l’appelante a droit aux déductions demandées.

 

[20]         L’avocat a ensuite examiné en détail les faits clés sur lesquels il se fondait à l’appui de sa conclusion. Il suffit de dire que tous ces faits ne seront pas réitérés ici, mais que la Cour en tient compte en rendant sa décision.

 

[21]         Parmi les faits clés que l’appelante a invoqués dans son plaidoyer il y a le fait que le RAFR constitue un régime d’actionnariat discrétionnaire qui n’oblige pas l’appelante à émettre des actions et qui ne donne pas aux participants le droit d’exiger que des actions soient émises en leur faveur, contrairement à ce que la Couronne a supposé dans sa réponse[2].

 

[22]         Le comité des ressources humaines de l’appelante, lequel faisait partie du conseil d’administration, déterminait selon une formule établie les gratifications à accorder pour des périodes de rémunération de trois ans, ou prévoyait à sa discrétion le paiement d’un montant supérieur ou inférieur à celui que dictait la formule. Dans le cas où il était décidé d’émettre des actions, les employés en étaient avisés et on les informait que ces actions avaient été placées dans leur compte.

 

[23]         Les documents financiers de l’appelante sont compatibles avec les droits et obligations juridiques créés par le RAFR. L’appelante constatait des dettes dans chacune des trois années de chaque période de rémunération relativement au montant susceptible d’être imposé dans le cadre du RAFR. Toute personne consultant les états financiers aurait été mise au courant des dépenses futures auxquelles pouvait donner lieu le RAFR. Cette charge à payer était établie à des fins comptables et ne résultait pas d’une obligation juridique envers les participants. Une telle dette n’a jamais été reconnue à des fins juridiques ou comptables.

 

[24]         Peu de temps après la fin de la période de rémunération, le conseil d’administration exerçait son pouvoir discrétionnaire en émettant les actions ou en payant les gratifications. Les charges constatées par régularisation dans les livres de l’appelante étaient ensuite radiées étant donné que les principes comptables n’exigeaient pas leur maintien.

 

[25]         Si les arguments de l’intimée l’emportent, le taux d’imposition combiné payé par l’appelante et par ses employés sera de l’ordre de 73 à 81 p. 100 étant donné que les employés paieront l’impôt à leur taux d’imposition et que l’appelante paiera l’impôt à son taux d’imposition.

 

[26]         Dans toutes les décisions rendues jusqu’à ce jour où l’article 7 a été appliqué, il a été conclu à l’existence d’une convention exécutoire en droit ou de quelque chose qui s’en rapprochait.

 

[27]         La position que l’appelante a prise au sujet de l’interprétation de l’article 7 est étayée par l’historique de cette disposition, et l’emploi de termes tels que « arrangement » dans des dispositions connexes concernant le revenu d’emploi montrent clairement que le législateur a voulu que l’article 7 s’applique aux conventions exécutoires en droit qui prévoient l’émission d’actions.

 

[28]         L’article 143.3 qui a récemment été proposé indique, du point de vue de la politique générale, le genre de déductions auxquelles peuvent donner lieu, selon la Couronne, les arrangements non exécutoires en droit entre employeurs et employés portant sur l’émission d’actions, mais cette disposition, si elle avait été en vigueur au cours de la période ici en cause, n’aurait pas empêché les déductions demandées.

 

[29]         Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour suprême du Canada a conclu que la Loi devrait, dans la mesure du possible, être interprétée de manière à favoriser l’uniformité, la prévisibilité et l’équité des conséquences fiscales. Or, une interprétation simple du mot « convention » à l’article 7 aboutirait à ce résultat. Dans ce cas‑ci, les employés s’attendaient à être imposés et ont été imposés au plein taux d’imposition applicable au revenu d’emploi, et l’appelante s’attendait à avoir le droit de déduire le montant des gratifications versées aux participants.

 

[30]         Selon l’appelante, l’intimée n’a pas établi que le mot « convention » figurant à l’article 7 doit manifestement s’appliquer à des arrangements expressément non exécutoires en droit tels que le RAFR, et l’appel devrait donc être accueilli.

 

[31]         L’avocat a fait valoir que l’intimée n’avait pas mentionné l’arrêt Lowry dans son argumentation, mais s’était appuyée sur la remarque incidente qui avait été faite dans la décision Placer Dome et qui est le seul fondement de l’argument avancé par la Couronne relativement à la question des dépenses. La remarque incidente en question était la suivante :

 

Par conséquent, [Placer Dome] n’est pas en mesure de parler de déductibilité, puisqu’il est bien établi qu’un employeur doit avoir subi une dépense, un débours ou une perte pécuniaire pour pouvoir réclamer une déduction applicable à son revenu imposable [...].

 

[32]         L’avocat a fait une distinction à l’égard de l’arrêt Lowry en affirmant que, dans ce cas‑ci, les actions étaient émises à leur juste valeur marchande et que l’appelante a inscrit un montant identique à titre de capital déclaré. Or, l’arrêt Canderel exige que la Cour tranche le présent appel en se fondant sur des principes similaires qui s’appliquaient au Canada au cours des années d’imposition pertinentes. La seule preuve dont dispose la Cour à cet égard montre que l’appelante a suivi pareils principes, qu’elle a effectué une dépense conformément à ces principes et qu’elle a droit à la déduction demandée.

 

[33]         Dans l’affaire Lowry, les bénéficiaires n’avaient rien versé en contrepartie de la plus-value des actions émises en leur faveur, alors que dans ce cas‑ci une contrepartie a été versée conformément aux conclusions qui ont été tirées dans la décision Teleglobe Canada Inc. c. Canada, [2000] A.C.I. no 598 (QL), 2000 DTC 2493, confirmée par 2002 CAF 408, 2002 DTC 7517. L’appelante en l’espèce, comme cela avait été fait dans cette affaire‑là, a fait état de la contrepartie véritable dans le compte de capital déclaré, ce qui constitue une preuve prima facie de la valeur reçue pour les actions ainsi que du montant de la dépense à laquelle l’émission de ces actions a donné lieu.

 

[34]         L’appelante a présenté une preuve à l’appui de cette valeur en faisant ressortir le rendement passé équivalant à la valeur des actions au moment de leur émission, ainsi que la juste valeur marchande des services rendus.

 

[35]         La Couronne n’a présenté aucune preuve contraire, de sorte que l’appelante devrait avoir gain de cause sur ce point.

 

[36]         En l’an 2000, la Cour canadienne de l’impôt a écarté l’arrêt Lowry dans l’affaire Teleglobe, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Canderel, la cour a également rejeté le principe énoncé dans l’arrêt Lowry et a formulé le principe selon lequel, en l’absence d’une règle applicable du droit fiscal (qu’elle soit énoncée dans un texte législatif ou ailleurs), les déductions permises selon les « principes commerciaux reconnus » sont également autorisées en matière d’impôt sur le revenu.

 

[37]         En l’espèce, l’appelante s’est conformée aux principes mentionnés dans l’arrêt Canderel, et si l’article 7 ne s’applique pas de manière à restreindre la déduction par l’appelante du montant des gratifications accordées au moyen de l’émission d’actions, les déductions devraient être permises.

 

[38]         En résumant ce qui ressort de la jurisprudence, l’avocat a soutenu qu’il en résulte ce qui suit : la jurisprudence étaye la thèse selon laquelle l’article 7 devrait s’appliquer uniquement aux affaires dans lesquelles il est conclu à l’existence de conventions exécutoires en droit prévoyant l’émission d’actions.

 

[39]         Si la jurisprudence est interprétée de la manière qui favorise le plus la Couronne, la norme requise devrait se rapprocher énormément de la norme de la convention exécutoire en droit, norme qui comporte la création d’un degré élevé d’attente, à savoir l’attente de l’émission d’un nombre précis d’actions, comme le montre la décision McAnulty c. Canada, [2001] A.C.I. no 701 (QL), 2001 DTC 942.

 

[40]         Les faits de la présente affaire se situent à l’extrémité opposée du spectre. Le RAFR est expressément discrétionnaire et ne crée pas de droits qu’on peut faire valoir juridiquement ni d’obligations exécutoires. En l’espèce, les parties s’attendaient raisonnablement à ce que les employés paient l’impôt aux pleins taux, l’appelante ayant de son côté droit à une déduction d’impôt. La jurisprudence indique que les attentes de ce genre devraient être respectées. L’appel devrait être tranché en faveur de l’appelante.

 

[41]         Lorsque le principe établi dans l’arrêt Canderel est appliqué à la présente affaire, il existe un bon nombre d’éléments de preuve montrant que l’appelante a suivi les principes commerciaux reconnus, lesquels donnaient une image fidèle de ses affaires financières. Il n’y a pas d’autres dispositions de la Loi, à part l’alinéa 7(3)b), ni d’autres principes de droit qui interdisent les déductions demandées. La Couronne n’a soumis aucune preuve en vue de contester la façon dont la contribuable a comptabilisé les opérations.

 

[42]         Selon une interprétation raisonnable de la jurisprudence, lorsque des actions sont émises autrement que par suite d’une option d’achat d’actions, comme c’est ici le cas, la déduction d’une dépense sera permise jusqu’à concurrence de la juste valeur marchande des services rendus ou des biens transférés en contrepartie de l’émission des actions. Dans ce cas‑ci, la valeur des services passés non encore rémunérés était égale à la juste valeur marchande des actions au moment de leur émission et il s’agit là du montant que l’appelante cherche à déduire en l’espèce, lequel est inscrit à titre de capital déclaré pour ce qui est des actions.

 

[43]         L’appelante devrait également avoir gain de cause en ce qui a trait à la convention concernant les dépenses.

 

[44]         L’appel devrait être accueilli.

 

Arguments présentés pour le compte de l’intimée

 

[45]         L’avocate de l’intimée soutient que l’appelante a convenu d’émettre des actions et que l’alinéa 7(3)b) de la Loi interdit la déduction de la juste valeur marchande des actions qui ont été émises.

 

[46]         En outre, en émettant les actions, l’appelante n’a pas déboursé d’argent ni n’a subi de perte de la valeur de ses actifs. La déduction demandée par l’appelante est d’un type que le législateur n’avait pas l’intention d’admettre.

 

[47]         L’avocate a soutenu que ni le nom « convention » ni le participe « convenue », qui figurent un peu partout à l’article 7 de la Loi, ne sont définis dans la législation. Il faut donc avoir recours aux principes d’interprétation des lois afin de déterminer le sens de ces mots pour l’application du paragraphe 7(3).

 

[48]         Selon un principe fondamental d’interprétation des lois, il faut interpréter les mots selon leur sens ordinaire ou leur sens courant[3], ce qui est conforme à la méthode moderne d’interprétation des lois fiscales, à savoir qu’il faut interpréter les mots dans leur contexte, eu égard à l’esprit général de la loi en cause[4], comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué au paragraphe 10 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada.

 

[49]         Le Concise Oxford English Dictionary attribue aux équivalents anglais de ces mots toute une gamme de sens[5].

 

[50]         L’objet fondamental de l’article 7, à savoir inclure la valeur d’avantages tels que ceux qui sont ici en cause dans le revenu de l’employé de façon que ces avantages puissent être imposés, n’a pas changé au fil des ans.

 

[51]         L’article 7 s’applique aux avantages obtenus dans un cas précis et il l’emporte sur les dispositions de la Loi qui traitent d’une façon plus générale de la possibilité de déduire des dépenses et de la disposition du revenu d’emploi.

 

[52]         Il existe une présomption voulant que ce qui est précis l’emporte sur ce qui est de nature générale.

 

[53]         Le sens approprié à attribuer au mot « convenue », dans le contexte de l’article 7 dans son ensemble, est le suivant : « consentir à »  l’attribution de titres à des employés ou « approuver » pareille attribution, et ce, peu importe que l’offre constitue ou non un contrat exécutoire en droit. C’est le sens qui correspond le mieux à la fonction de la disposition dans le cadre de la Loi, qui est d’inclure les avantages accordés aux employés que le législateur voulait que cette disposition inclue[6].

 

[54]         La mention d’une convention dans un texte législatif ne veut pas pour autant dire que la convention doit créer des droits ou des obligations de nature contractuelle. Le législateur aurait pu utiliser le mot « contrat » au paragraphe 7(1), mais il ne l’a pas fait parce qu’il voulait englober tous les titres émis en faveur d’employés en vertu d’une convention, en utilisant un libellé de large portée en vue d’éliminer les échappatoires qui permettaient antérieurement aux employés de recevoir des actions de leurs employeurs sans que l’une ou l’autre partie soit imposée sur leur valeur.

 

[55]         L’avocate a dit que les tribunaux ont rejeté l’idée exprimée au paragraphe 10 de la décision Fowler v. Minister of National Revenue, 63 DTC 600, à savoir que la « convention », pour l’application de l’article 7, devrait être une convention écrite formelle concernant un régime d’achat d’actions. Les termes « convenue » et « convention » ne sont pas des termes techniques et la jurisprudence moderne a rejeté une interprétation technique ou une interprétation stricte de ces mots. Le statut des parties peut permettre de conclure à l’existence d’une « convention »[7].

 

[56]         L’avocate a émis l’opinion selon laquelle le point culminant, en ce qui concerne le sens ordinaire des mots « convenue » et « convention », a été atteint aux paragraphes 22 et 36 de la décision McAnulty. Définir le terme « convenue » comme signifiant le fait de consentir à une attribution de titres en faveur d’employés ou d’approuver pareille attribution est conforme au raisonnement de la présente cour dans la décision McAnulty.

 

[57]         La façon dont l’avocate a interprété les faits de la présente affaire l’a amenée à conclure que l’appelante était « convenue » d’émettre des titres en vertu du RAFR dès qu’elle s’était engagée à attribuer certaines actions aux participants. Il importe peu que cela ait été qualifié de « gratification » relevant de la discrétion de l’employeur.

 

[58]         À titre subsidiaire, l’avocate a pris la position selon laquelle l’appelante était « convenue » d’émettre des actions en faveur des employés au moyen de contrats unilatéraux du genre dont il s’agit au paragraphe 33 de l’arrêt Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265.

 

[59]         En l’espèce, l’appelante a promis d’émettre un nombre variable d’actions en fonction de son rendement tel qu’il se manifestait dans le rendement obtenu par les actionnaires[8]. Les employés ont fourni une contrepartie en échange de l’exécution de la promesse de l’appelante puisqu’ils travaillaient en vue de permettre à l’appelante d’atteindre les objectifs de rendement nécessaires. L’appelante est donc « convenue » d’émettre des titres lorsqu’elle a conclu des contrats unilatéraux avec les employés qui participaient au RAFR.

 

[60]         Enfin, l’avocate a fait valoir que le présent appel devrait être rejeté parce que l’appelante n’a pas engagé de dépenses en émettant les actions dans le cadre du RAFR. Les actions en question étaient des actions non émises; or, comme il a été conclu dans la décision Placer Dome (paragraphe 19 QL, 22 C.T.C.), un employeur doit avoir subi une dépense, un débours ou une perte pécuniaire pour pouvoir réclamer une déduction applicable à son revenu imposable. Or, l’appelante n’a pas effectué de dépense ou déboursé d’argent et elle n’a pas subi de perte.

 

[61]         L’appelante a créé les actions elle-même sans utiliser ou sacrifier quelque autre ressource pour le faire. Elle ne peut donc pas déduire la « juste » valeur marchande des actions de son revenu imposable.

 

[62]         L’appelante a déduit à des fins comptables certains montants se rapportant aux actions, mais ces procédés comptables ne sont pas à eux seuls déterminants pour ce qui est du traitement fiscal. Le calcul du revenu effectué en vertu de l’article 9 est assujetti aux règles de la partie I de la Loi, et ce, peu importe que ces règles reflètent ou non les principes comptables généraux[9].

 

[63]         Le législateur a introduit ce qui allait devenir l’article 7 de la Loi en reconnaissant que les employeurs ne pouvaient pas déduire la valeur des actions émises en faveur des employés. Le législateur voulait que l’article 7 s’applique aux conventions d’options d’achat d’actions conclues avec les employés parce que les autres dispositions traitant de la rémunération en argent ne pouvaient pas s’y appliquer. Les déductions demandées devraient être refusées.

 

Analyse et décision

 

[64]         Quoiqu’elles l’aient exprimé d’une façon différente, les deux parties conviennent que les questions à trancher en l’espèce sont, en termes simples, de savoir, premièrement, si l’appelante est « convenue » d’émettre des actions, à l’égard de certaines gratifications versées aux employés qui participaient à un régime d’actionnariat des employés fondé sur le rendement (le « RAFR »), en émettant en faveur de ces employés des actions non émises.

 

[65]         Deuxièmement, l’article 7 exige‑t‑il qu’une convention exécutoire en droit soit conclue ou s’applique‑t‑il également à des engagements non contractuels, et notamment à ceux qui existent en l’espèce?

 

[66]         Troisièmement, au cas où une convention exécutoire en droit serait nécessaire pour que l’article 7 puisse s’appliquer, le paiement de gratifications au moyen de l’émission d’actions constitue‑t‑il un contrat unilatéral, qui est un contrat exécutoire en droit?

 

[67]         Quatrièmement, si l’article 7 ne s’applique pas aux opérations en question, l’appelante a‑t‑elle, en émettant les actions, déboursé de l’argent ou a‑t‑elle subi une perte à l’égard de la valeur des actifs, de sorte qu’elle a droit au type de déduction demandée?

 

[68]         Ce sont les dispositions du paragraphe 7(3) de la Loi qui entrent en ligne de compte en l’espèce. Ce paragraphe prévoit ce qui suit :

 

            7(3) Lorsqu’une personne admissible donnée est convenue d’émettre ou de vendre de ses titres, ou des titres d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, à un de ses employés ou à un employé d’une personne admissible avec laquelle elle a un lien de dépendance, les présomptions suivantes s’appliquent :

 

                        a) l’employé est réputé ne pas avoir reçu d’avantage ni avoir bénéficié d’un avantage en vertu ou par l’effet de la convention, sauf indication contraire au présent article;

 

b) le revenu d’une personne pour une année d’imposition est réputé ne pas être inférieur à ce qu’il aurait été pour l’année si un avantage n’avait pas été accordé à l’employé par l’émission ou la vente des titres.

 

[69]         L’avocate de l’intimée dit qu’étant donné que ni le mot « convention » ni le verbe « convenir » ne sont définis dans la Loi, les principes d’interprétation des lois exigent que ces mots soient interprétés selon leur sens ordinaire et courant. Cela voudrait dire ici une interprétation qui est aussi large que l’indique la définition de ces mots dans les dictionnaires, ce qui est conforme à la jurisprudence moderne, dans laquelle une interprétation technique ou une interprétation stricte est rejetée.

 

[70]         Selon l’avocate, les mots en question ne sont pas des termes techniques.

 

[71]         La Cour n’est pas convaincue que les mots « convenue » et « convention » doivent se voir attribuer, dans le contexte de leur utilisation en matière fiscale, un sens aussi large que celui que justifient les définitions données dans les dictionnaires. Selon la présente cour, le sens ordinaire qui vient à l’esprit est quelque chose de plus que celui qu’envisage l’avocate de l’intimée.

 

[72]         L’emploi des mots en question donne à entendre qu’il y a accord de volonté, une promesse de faire quelque chose si l’autre partie fait quelque chose, l’octroi de droits aux parties et la création d’obligations entre les parties, l’octroi de droits  juridiques aux employés et la création d’obligations correspondantes pour l’appelante, éléments qui constituent le fondement du droit des contrats.

 

[73]         La jurisprudence soumise par les deux parties semblerait favoriser une telle position.

 

[74]         La Cour est convaincue que les participants s’attendaient à être imposés, et ont été imposés, aux pleins taux d’imposition applicables à leur revenu d’emploi, alors que l’appelante s’attendait à avoir droit aux déductions. Tels sont les résultats auxquels les parties s’attendraient selon une interprétation simple du mot « convention » figurant à l’article 7.

 

[75]         S’il avait voulu que l’article 7 s’applique à des arrangements non exécutoires en droit, le législateur aurait pu utiliser des mots suggérant quelque chose de moins, soit un mot comme « arrangement », qui figure dans d’autres dispositions de la Loi traitant du revenu d’emploi, comme l’a indiqué l’avocat de l’appelante.

 

[76]         La Cour est convaincue qu’en employant les mots « convenue » et « convention » à l’article 7 le législateur a dû vouloir exiger plus que le fait de consentir à une attribution ou de l’approuver, comme l’a soutenu l’avocate de l’intimée.

 

[77]         Cette conclusion est tirée malgré la position prise par l’intimée, qui faisait valoir que le législateur n’avait pas utilisé le mot « contrat ». Selon la Cour, le mot « convention », tel qu’il est utilisé dans le contexte de l’article 7, veut dire essentiellement la même chose.

 

[78]         La Cour ne retient pas l’argument de l’avocate de l’intimée voulant que l’appelante soit « convenue » d’émettre des titres en vertu du RAFR dès qu’elle s’est engagée à attribuer certaines actions aux participants. Tel est le résultat de la remarque incidente qui a été faite dans la décision McAnulty, mais cette remarque n’était pas pertinente quant à la décision rendue dans cette affaire‑là et elle ne lie pas la Cour.

 

[79]         Dans la décision McAnulty, l’ancien juge en chef Bowman a conclu à l’existence d’une convention exécutoire en droit.

 

[80]         La Cour retient le point de vue de l’avocat de l’appelante, selon lequel il n’existait aucune convention prévoyant l’émission d’actions et selon lequel il n’y a pas eu d’émission d’actions à la suite d’une telle entente. Comme on l’a soutenu, le RAFR est expressément discrétionnaire et aucun droit ni aucune obligation juridiques n’ont été créés.

 

[81]         En ce qui concerne les premier et deuxième points litigieux, l’appelante doit avoir gain de cause.

 

[82]         Le troisième point litigieux se rapporte à l’argument subsidiaire invoqué par l’intimée, à savoir que l’appelante est « convenue » de vendre ou d’émettre des titres au moyen de contrats unilatéraux. L’argument de l’intimée à cet égard est loin d’être convaincant.

 

[83]         Dans l’arrêt Sail Labrador Ltd., la Cour suprême du Canada a défini ce qu’est un contrat unilatéral. Il est intéressant de noter que l’appelante et l’intimée ont toutes deux estimé que cet arrêt étayait sa conclusion.

 

[84]         Selon l’arrêt Sail Labrador Ltd., un contrat unilatéral est un contrat par lequel une partie fait une promesse en contrepartie de l’exécution ou de la non-exécution d’un acte. Il n’y a aucune contre-promesse d’exécuter ou de ne pas exécuter l’acte. Ainsi, un contrat unilatéral est un contrat par lequel une seule partie fait une promesse. La promesse prend la forme d’une offre qui ne peut être acceptée qu’au moyen de l’exécution ou de la non-exécution de l’acte visé. Cette exécution ou non-exécution constitue la contrepartie fournie par l’autre partie, lui permettant de faire exécuter la promesse originale.

 

[85]         L’intimée fait valoir que, dans les lettres envoyées aux employés qui participaient au RAFR, l’appelante a promis d’émettre un nombre variable d’actions, en fonction de son rendement tel qu’il se manifestait dans le rendement global obtenu par les actionnaires. En travaillant afin de permettre à l’appelante d’atteindre les objectifs nécessaires sur le plan du rendement, les employés fournissaient une contrepartie en échange de l’exécution de la promesse de l’appelante.

 

[86]         La Cour est convaincue qu’il n’y avait rien que les bénéficiaires auraient pu faire qui puisse être considéré comme une acceptation d’une offre d’émission des actions, si ce n’est d’être mis au courant des intentions de l’appelante.

 

[87]         La Cour est convaincue que, comme l’a soutenu l’avocat de l’appelante, les participants n’avaient aucun droit à une gratification tant que les actions ne leur étaient pas livrées.

 

[88]         Les documents comptables de l’appelante n’indiquent aucune dette envers les participants en ce qui concerne le RAFR.

 

[89]         Les documents comptables et les documents d’entreprise de l’appelante indiquent que les actions ont été émises pour des services passés non rémunérés dont la valeur était égale à la valeur des actions. Ces services n’avaient pas été rendus conformément à une convention et ils ne créaient pas d’obligations en faveur des participants, ce qui cadre avec le fait qu’il n’existait aucun contrat en vertu duquel les actions ont été émises.

 

[90]         L’appelante n’a pas fait à quelque participant que ce soit d’offre qui eût pu être acceptée par le participant de façon à créer un contrat bilatéral imposant des conditions à l’une ou l’autre partie ou aux deux. Le fait pour les participants de ne pas agir ne pouvait constituer l’acceptation d’une offre[10].

 

[91]         L’appelante doit avoir gain de cause sur ce point.

 

[92]         Il reste à examiner la question des dépenses.

 

[93]         Selon la position que l’intimée a prise, l’appelante n’a engagé aucune dépense en émettant des actions en vertu du RAFR. Les actions en question étaient des actions non émises. Afin d’émettre ces actions, l’appelante n’a pas déboursé d’argent ni n’a subi de perte pour ce qui est de la valeur de ses actifs. À l’appui de sa position, l’avocate a cité la décision Placer Dome. Elle a soutenu qu’en édictant l’article 7 de la Loi, le législateur a reconnu que les employeurs ne pouvaient pas déduire la valeur des actions émises en faveur de leurs employés[11]. En outre, il a été soutenu que l’appelante avait émis les actions moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande.

 

[94]         L’avocat de l’appelante prend la position selon laquelle les actions ont été émises pour des services passés non rémunérés.

 

[95]         Il ressort clairement de la preuve, et cette preuve n’a pas été contredite, que, par suite de l’émission des actions, l’appelante a augmenté du même montant le capital déclaré de ses actions ordinaires. Il a été convenu que les vérificateurs et les conseillers juridiques externes de l’appelante avaient approuvé le montant du capital déclaré. Cela n’a pas été contesté par l’intimée, en ce qui concerne la preuve, et, comme l’a soutenu l’avocat de l’appelante, les hypothèses émises par la Couronne sur ce point ont été démolies.

 

[96]         La preuve présentée par M. Benjamin Park, laquelle n’a pas non plus été réfutée, indiquait que la procédure suivie par l’appelante pour ses rapports ou ses états financiers était conforme aux principes comptables applicables.

 

[97]         En fin de compte, les actions ont été émises, par suite de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, à l’égard de services passés non rémunérés; elles ne l’ont pas été en acquittement d’une charge courue qui existait en faveur des participants. L’appelante n’a jamais indiqué dans ses documents comptables l’existence d’une dette envers les bénéficiaires de la gratification payée dans le cadre du RAFR.

 

[98]         La Cour est convaincue que ni la décision Placer Dome ni l’arrêt Lowry n’empêchent l’appelante d’avoir gain de cause sur ce point.

 

[99]         La Cour est convaincue que dans la décision Alcatel Canada Inc. c. La Reine, 2005 CCI 149, 2005 DTC 387, on a écarté l’arrêt Lowry et qu’il est de toute façon possible de faire une distinction avec Alcatel puisque, en l’espèce, les participants ont fourni une contrepartie égale à la pleine valeur des actions et cette contrepartie consistait dans les services passés non rémunérés rendus à l’appelante.

 

[100]     La Cour retient l’argument de l’avocat de l’appelante selon lequel la preuve produite en l’espèce indique que l’appelante a satisfait aux exigences de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[12], qui prévoit que les services doivent être rendus par les personnes en faveur de qui les actions sont émises et que la valeur des services doit être au moins égale à la valeur des actions qui ont été émises en contrepartie de ces services[13]. La décision Teleglobe Canada Inc. s’applique dans ce cas‑ci ainsi que la décision Lockhart c. La Reine, 2008 CCI 156, 2008 DTC 3044.

 

[101]     En fin de compte, la Cour est convaincue qu’en l’absence d’une preuve contraire, et il n’en existe aucune en l’espèce, le montant indiqué par l’appelante à titre de contrepartie de l’émission des actions, lequel a été ajouté au montant du capital déclaré de l’appelante à l’égard de cette émission, représente à la fois la valeur de cette contrepartie et le montant de la dépense effectuée par l’appelante par suite de l’émission des actions.

 

[102]     Quant à la question de la double imposition, on serait porté à conclure que l’équité exige que la double imposition soit à éviter, bien qu’il n’existe aucune disposition de la Loi sur ce point et que cette question n’ait rien à voir avec la question qui est ici en litige.

 

[103]     L’appel est accueilli avec dépens et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu des conclusions qui ont été tirées dans ces motifs.

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 4e jour d’avril 2012.

 

 

« T.E. Margeson »

Juge Margeson

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2012.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 86

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-832(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              TRANSALTA CORPORATION

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge T.E. Margeson

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ : Le 4 avril 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Robert D. McCue et Me Todd J. Marr

 

Avocates de l’intimée :

Me Bonnie F. Moon et

Me Mary Softley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Robert D. McCue

                   Cabinet :                         Bennett Jones LLP

                                                          Calgary (Alberta)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Réponse, paragraphe 13e).

[2]           Réponse, paragraphe 13e).

[3]           Pharmascience c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513, par. 30.

[4]           Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578.

[5]           Concise Oxford English Dictionary, 9e éd., s.v. « agree » et « agreement ».

[6]           Ibid., s.v. « agreement ».

[7]           Mansfield v. R., [1983] C.T.C. 97, par. 7, confirmée par 84 DTC 6535 (C.A.F.).

[8]           Recueil conjoint de documents, onglet 6.

[9]           Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 73.

[10]          S.M. Waddams, The Law of Contracts, 6e éd., Aurora, Ont., Canada Law Book Inc., 2010, pp. 67 à 72.

[11]          Débats de la Chambre des communes, 21e législature, 7e session, vol. IV, 1952-53 (10 avril 1953), p. 3720 (Abbott).

[12]          Exposé conjoint des faits, par. 7.

[13]          Exposé conjoint des faits, par. 24.

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