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Dossier : 2011-1876(EI)

ENTRE :

DIANE JACQUES,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 octobre 2011, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Représentants de l'appelante :

Maude Caron-Morin

Maxime Dupuis

 

Avocat de l'intimé :

Me Emmanuel Jilwan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mars 2012.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2012 CCI 82

Date : 20120329

Dossier : 2011-1876(EI)

 

ENTRE :

DIANE JACQUES,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) selon laquelle l’emploi exercé par Mme Diane Jacques (l’appelante) auprès de Gestion Sergili inc. (le payeur), du 1er septembre 2005 au 29 janvier 2006, du 18 janvier 2007 au 25 janvier 2008 et du 11 janvier 2010 au 25 juin 2010, n’était pas un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). Le ministre a déterminé que l’appelante et le payeur avaient un lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi. L’alinéa 5(2)i) de la Loi prévoit que, dans une telle situation, l’emploi n’est pas assurable. Il est admis que l’appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]              Le ministre a donc procédé à l’analyse des circonstances prévues au paragraphe 5(3) de la Loi et il a été convaincu qu’il n’était pas raisonnable de conclure que l’appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des dites circonstances.

 

[3]              Au début de l’audition, les représentants de l’appelante ont soutenu, en guise de moyen préliminaire, que la décision du ministre était prescrite ou que la période de cotisation, soit celle du 29 janvier 2006 au 18 janvier 2007, était prescrite en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi. Ce moyen préliminaire n’a cependant pas été plaidé dans l’avis d’appel déposé par l’appelante, et les parties ont été invitées à me présenter leurs arguments respectifs par écrit.

 

[4]              Il est évident, à la lecture de l’avis d’appel, que le délai de prescription n’a pas été soulevé par l’appelante comme moyen sur lequel elle avait l’intention de s’appuyer et qu'elle ne l’a pas mentionné dans ses allégations de faits. L’argument de l'appelante repose principalement sur le fait que ce dossier est entendu sous le régime de la procédure informelle et qu’à ce titre la Cour doit appliquer les règles qui régissent cette procédure et accorder à l'appelante le redressement recherché. L’appelante soutient que la Commission sur l’assurance‑emploi ne détenait pas, en vertu des dispositions de la Loi, le pouvoir de procéder au réexamen de la cotisation au-delà de la période de 36 mois après la période du 29 janvier 2006 au 18 janvier 2007.

 

[5]              Je tiens tout d’abord à préciser que la première période en question s’étend du 1er septembre 2005 au 29 janvier 2006 et non du 29 janvier 2006 au 18 janvier 2007. En deuxième lieu, il ne s’agit pas ici de l’appel d’une cotisation provenant de la Commission sur l’assurance‑emploi. Il s’agit d’un appel d’une décision du ministre du Revenu national portant sur la question de savoir si l’appelante détenait durant les périodes en question un emploi assurable. Le délai de 36 mois soulevé par les représentants de l’appelante et qui est prévu à l’article 52 de la Loi n’a pas d’application sur la question portant sur le fait qu’un emploi est assurable ou non. Il est question à l’article 52 de la Loi du pouvoir de la Commission d’examiner toute demande au sujet de prestations et de rendre des décisions au sujet du droit à ces prestations. L’appel dont la présente Cour est saisie résulte d’une décision du ministre du Revenu national rendue en vertu de l’article 90, Partie IV, de la Loi.

 

[6]              Le paragraphe 18.29(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (LCCI) dispose qu’un appel devant la Cour est régi par la procédure informelle prévue aux articles 18.1 à 18.28 de ladite LCCI. De ce fait, il est prévu au paragraphe  18.15(3) que, la Cour n’est pas liée par les règles de preuve lors de l’audition d’un appel régi par la procédure informelle. Le règlement DORS 90‑690 de la CCI (Règles de procédure de la CCI à l'égard de la Loi sur l'assurance-emploi) prévoit également la procédure à suivre et dispose qu’un appel peut être interjeté en utilisant la formule que l’on retrouve à l’annexe 5. Il va de soi que la forme particulière de l’avis d’appel est sans importance mais elle doit contenir un exposé des allégations de faits que l’on a l’intention d’établir et les motifs d’appel sur lesquels on fonde l’appel. À mon avis, la Cour dispose d'une certaine marge de manœuvre mais cette marge de manœuvre ne peut s’appliquer sur des questions qui visent les délais de prescription. Dans de telles circonstances, une partie a l'obligation d’alléguer ce moyen d’appel dans son avis d’appel afin d’en informer la partie adverse et d'éviter de la prendre par surprise ou de lui faire subir un préjudice. Il s’agit d’une question d’équité.

 

[7]              À mon avis, un appelant doit invoquer dans son avis d’appel ou dans un avis d’appel modifié les moyens sur lesquels il entend se fonder pour faire valoir sa position, particulièrement lorsqu’il s’agit de délais de prescription.

 

[8]              La seule question en litige consiste donc à savoir si, à la lumière de l’ensemble des faits, la décision du ministre rendue en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi est raisonnable. Les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour prendre sa décision se trouvent au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel. L’appelante a admis les paragraphes suivants et nié les autres, tel qu’indiqué ci-après :

 

a) depuis environ 18 ans, le payeur exploite un bar d’une capacité de 140 places avec 3 machines à sous de Loto Québec et un motel appartements; (admis)

 

b) le motel comprend 5 chambres et 7 appartements de 2 pièces et demi, de plus, en haut du bar, il y a 3 appartements de 2 pièces et demi et 1 de 3 pièce et demi pour l’actionnaire et l’appelante en plus de leur résidence de St-Georges; (admis)

 

c) les heures d’ouverture du payeur étaient de 8 h à 3 h à raison de 7 jours par semaine; (admis)

 

d) les heures d’ouverture étaient divisées en 3 quarts de travail, soit de 8 h à midi, de midi à 18 h et de 18 à 3 h; (admis)

 

e) le payeur embauchait 6 filles incluant la gérante pour combler les heures d’ouverture; (nié)

 

f) l’appelante travaille pour le payeur depuis l’ouverture du bar; (admis)

 

g) Les tâches de l’appelante étaient de compter l’argent pour les machines à sous, de vérifier les caisses des serveuses de la veille, de préparer les dépôts bancaires, de compléter les rapports de Loto Québec, de faire les achats de jus, lait, boisson et de faire l’inventaire du bar, de vérifier les heures travaillées par les serveuses chaque semaine et de les communiquer au service de paie de Desjardins et de faire le ménage du bar, soit les planchers, les vitres et les salles de toilettes; (nié)

 

h) lorsqu’il y avait une gérante en même temps que l’appelante, cette dernière aidait la gérante; (nié)

 

i) l’appelante enregistrait ses heures travaillées au registre de la caisse du payeur de 8 h à midi, alors que les autres heures de travail faites par l’appelante n’étaient pas comptabilisées; (admis)

 

j) l’appelante travaillait 40 heures par semaine; (admis)

 

k) l’appelante était rémunérée à salaire fixe par semaine au taux minimum pour 40 heures par semaine; (admis)

 

l) même lorsqu’il y avait une autre gérante, elle était payée le même salaire fixe par semaine; (admis)

 

m) l’appelante demeurait dans l’appartement en haut du bar, surtout lorsque l’unique actionnaire du payeur était à l’extérieur, ce qui lui permettait d’être disponible en tout temps pour les besoins du bar; (nié)

 

n) à une date inconnue, le payeur a émis à l’appelante un relevé d’emploi portant le numéro A81336764 indiquant comme premier jour de travail le 1 septembre 2005 et comme dernier jour de travail le 29 janvier 2006; (admis)

 

o) le 28 janvier 2008, le payeur a émis à l’appelante un relevé d’emploi portant le numéro A84894438 indiquant comme premier jour de travail le 18 janvier 2007 et comme dernier jour de travail le 25 janvier 2008; (admis)

 

p) le 28 juin 2010, le payeur a émis à l’appelante un relevé d’emploi portant le numéro A88362110 indiquant comme premier jour de travail le 11 janvier 2010 et comme dernier jour de travail le 25 juin 2010; (admis)

 

q) l’analyse des périodes d’emploi de l’appelante et des autres gérantes engagées par le payeur démontre une rotation dans l’embauche des gérantes qui sont toutes différentes, sauf l’appelante qui revient régulièrement; (nié)

 

r) pendant les périodes de mise à pied, l’appelante restait disponible au payeur pour aider la gérante au besoin, pour continuer de signer les chèques du payeur et lui communiquer les montants de factures à payer qu’il se chargeait de payer par Internet, même lorsqu’il travaillait à l’extérieur; (nié)

 

s) selon le payeur, l’appelante a toujours rendu des services au bar; (admis)

 

t) depuis septembre 2006, l’unique actionnaire du payeur travaillait de longues périodes à l’extérieur; (admis)

 

u) durant ces périodes, l’appelante était responsable du bar. Or durant certaines de ces périodes elle n’était pas inscrite au livre de paie du payeur; (nié)

 

 

[9]              Le rôle de la Cour en ce qui concerne la décision du ministre est de vérifier si les faits sur lesquels reposent les hypothèses du ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus et, après cette vérification, la Cour doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable (voir Légaré c. Canada, 1999 CanLII 8105 (CAF). Le rôle du juge a aussi été défini dans Perusse c. Canada, 2000 CanLII 15136 (CAF) par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 15, et je cite :

 

15        Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l"interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s"enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours "raisonnable" (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

 

 

[10]         La question de savoir si l’appelante exécutait une prestation de travail n’est pas en cause dans le présent litige.

 

[11]         L’appelante et son conjoint ont fait l’acquisition, par l’entremise d’une compagnie à numéros, d’un restaurant le 30 septembre 1991 (A-1 onglet 10). À cette époque, l’appelante était vice-présidente de cette compagnie. La preuve ne révèle pas comment le payeur en est devenu le seul propriétaire, sauf que le conjoint de l’appelante est maintenant le seul administrateur. Selon l’appelante, elle n’a rien investi dans l'entreprise. L'entreprise est en affaires depuis 1991. Ce n’est qu’en 1997 que l’appelante aurait été embauchée par le payeur. Ses tâches consistaient à ouvrir le bar le matin, à faire le ménage, à vérifier les rapports de la veille et, si la clientèle était suffisante, à travailler dans l’après-midi. Elle s’occupait de passer les commandes de boisson, de faire les dépôts, d'obtenir de la monnaie et, jusqu'à ce que les chambres de motel soient converties en logements, de faire le ménage dans les chambres. Elle a dit qu’il y avait toujours quelque chose à faire, y inclus ouvrir les machines de loto-poker et faire les rapports. Selon son conjoint, la conversion des chambres de motel en logements a eu lieu en 1995 et l’appelante y a travaillé. Durant toute cette période l’appelante n’était pas rémunérée.

 

[12]         L’appelante a commencé à être rémunérée à partir du 1er septembre 2005. Selon son témoignage, elle effectuait les mêmes tâches qu’avant cette date. Elle était payée pour 40 heures de travail par semaine, mais ses heures n’étaient pas comptabilisées, sauf celles du matin qui étaient de 8 h à midi. Le soir, une gérante exerçait les fonctions que l'appelante exerçait le jour. La gérante s’occupait de la comptabilité, elle recrutait les barmaids et elle était présente le soir. Selon l’appelante, la formation des gérantes était assurée par son conjoint, mais il lui arrivait aussi de leur donner des instructions.

 

[13]         Les horaires de travail étaient préparés par la gérante en fonction. Cette dernière avait un horaire de travail de 40 heures et plus par semaine et était payée à l'heure, tout comme les barmaids. Quoiqu'il n'y avait pas de contrôle, les heures étaient comptabilisées dans un livre de paie (pièce I-5). On constate cependant dans ce livre de paie que, jusqu'au 26 janvier 2008, l'appelante était la seule qui travaillait 40 heures par semaine. Ce n'est qu'à partir du 26 octobre 2008 que les gérantes ont commencé à être payées 40 heures par semaine, et ce, jusqu’au 7 août 2010.

 

[14]         L’appelante, tout comme les barmaids, recevait le salaire minimum et les augmentations de salaire coïncidaient avec la hausse du salaire minimum. Au cours des périodes en question, l’appelante occupait un logement au dessus du commerce, à raison de trois à quatre jours par semaine, et elle partait habiter chez elle par après.

 

[15]         Durant les périodes en question, le conjoint de l'appelante fut absent à cause de son métier de travailleur de la construction. Il a été en mesure de travailler au bar les weekends durant un certain temps et, par après, une fois par mois et ensuite à tous les trois mois. Cependant, on pouvait communiquer avec lui en tout temps. L’appelante et son conjoint se téléphonaient à tous les jours. Elle lui faisait un compte rendu et, parfois, il l'autorisait à effectuer des dépenses. Les factures de l’entreprise étaient payées par le conjoint de l’appelante via internet. L’appelante avait une procuration qui lui permettait de signer les chèques de paie du payeur et d’effectuer les dépôts.

 

[16]         L’appelante a été remerciée de ses services en trois occasions entre 2005 et 2010. La première fois fut le 29 janvier 2006, soit cinq mois après qu'elle a commencé à être rémunérée. Le relevé d’emploi identifie le code A comme motif de mise à pied mais le formulaire ne donne pas de détails. Elle a commencé à recevoir des prestations d’assurance-emploi à partir de mars 2006 jusqu’au 16  décembre 2006 et elle a reçu toutes les prestations auxquelles elle avait droit. Le motif invoqué était un manque de travail dû à l’ouverture de la route 173. Entre sa mise à pied et la réception de ses prestations, l’appelante a reçu, le 11 février 2006, une indemnité de vacances de 1 674,81 $ correspondant à plus de 19% de la rémunération versée pour cette période. Personne n’a été capable d’expliquer le paiement de cette somme à l’appelante.

 

[17]         Le 18 janvier 2007, l’appelante reprend son travail rémunéré jusqu’au 25 janvier 2008, date où elle est à nouveau mise à pied. Le relevé d’emploi indique que la raison de la mise à pied est le manque de travail/fin de saison ou de contrat. À l’audience, l’appelante et son conjoint ont expliqué que l’achalandage avait diminué en raison de l’interdiction de fumer dans les endroits publics. L’appelante a touché toutes ses prestations d’assurance-emploi, soit jusqu’au 18 octobre 2008. Elle a repris le travail le 10 janvier 2010.

 

[18]         Cette dernière période de travail s’est terminée le 20 juin 2010. À ce moment, elle avait accumulé 960 heures et elle était donc de nouveau admissible à l'assurance-emploi, le nombre minimum d'heures étant 910. Le relevé d’emploi indique le même motif de mise à pied que le relevé d'emploi précédent et la raison invoquée à l’audience était que la route devant leur établissement était fermée en raison de travaux de construction. L’appelante a obtenu des prestations jusqu’à la fin septembre 2010 quand les prestations ont été interrompues et que l'enquête a été lancée.

 

[19]         L’appelante a effectué des tâches pour le payeur même durant les périodes où elle recevait des prestations d’assurance-emploi et même durant les périodes où elle n’était pas rémunérée. Dans ses premières entrevues avec les enquêteurs (pièce  I‑4), et selon le témoignage de Mme Jany Gilbert, l’appelante a reconnu qu’en 2008 et 2009, après avoir reçu toutes ses prestations, elle a continué à travailler pour le payeur sans être rémunérée. L’appelante a expliqué à Mme Gilbert que, dans une entreprise, il y a des hauts et des bas…, il y a des périodes où le volume de travail et les revenus diminuent. L'appelante a donc continué à s’occuper de l’entreprise mais, vu que cela ne lui prenait pas beaucoup de temps, elle n'était pas payée. Elle a admis avoir travaillé en 2009, mais ne sait pas pourquoi aucun relevé d’emploi n'a été rempli. Finalement, elle a confirmé avoir travaillé sans revenu car il s'agissait de l’entreprise de son conjoint. Cependant, à l’audience, l'appelante a nié avoir tenu de tels propos.

 

[20]         L’appelante, lors de son témoignage, a reconnu avoir accompli des tâches pour le payeur durant ses périodes de chômage. Elle a expliqué que ça fait 20 ans que le bar existe, que c’est son milieu et qu’elle s'y rendait régulièrement. Elle faisait des courses, pliait le linge à vaisselle et faisait ce qu’elle a qualifié de travail bénévole. Elle a affirmé que les autres employés en faisaient également. Elle a dit que cela ne se produisait pas plus qu’une fois par mois. En ré-interrogatoire, elle est revenue sur le sujet pour dire qu’elle ne faisait pas plus qu’une heure de travail bénévole par semaine pour le payeur.

 

[21]         Le conjoint lui aussi a reconnu que l’appelante effectuait des tâches durant ses périodes de chômage. Comme il était absent durant toutes les périodes en question, l'appelante lui transmettait les factures à payer qu'il acquittait par internet. Elle l’aidait à classer ses rapports de TPS et de TVQ et elle faisait des courses pour le bar. Dans son entrevue avec Mme Gilbert, le conjoint a reconnu que, même si l’appelante n’était pas payée lorsqu’il était absent, elle devait quand même s’assurer que le bar fonctionne. Le conjoint a reconnu n'avoir accordé une procuration qu'à l’appelante pour signer les chèques du payeur, y compris les chèques de paie.

 

[22]         L’agente des appels a fait une analyse assez détaillée des informations qu’elle a recueillies lors de son enquête et des rapports qu’elle a consultés. Son analyse a été faite en fonction des circonstances établies à l’alinéa 5(3)b) de la Loi. Voici ses conclusions sur chacune des circonstances.

 

Nature et importance du travail accompli

 

Les tâches de la travailleuse consistaient à ouvrir le bar le matin de 8 h à midi du lundi au vendredi. De plus, elle vérifiait les dépôts journaliers faits par les barmaids et remplissait les formulaires journaliers pour les rapports des machines de Loto Québec et le guichet automatique. Elle faisait aussi le ménage du bar ainsi que les achats, le contrôle des inventaires et aller chercher du change, les paies, les jus, le lait, etc.

 

Il est vrai que ces tâches étaient requises aux activités du payeur. Cependant, le payeur engageait également une gérante, et la travailleuse a confirmé que lorsqu’il y avait une gérante cette dernière effectuait de ces tâches. Nous sommes d’avis que si l’emploi de la travailleuse était requis à plein temps au cours des périodes en litige, il l’était tout autant entre celles-ci. D’ailleurs, la travailleuse avait indiqué qu’elle continuait à s’occuper de l’entreprise, mais vu que cela ne lui prenait pas beaucoup de temps, elle ne se faisait pas payer.

 

Il n’est donc pas raisonnable de croire qu’une personne non liée aurait ainsi travaillé pour le payeur.

 

Durée d’emploi

 

Les périodes d’emploi n’ont pas de corrélation avec les périodes d’emploi des gérantes du bar.

 

Comme l’unique actionnaire a travaillé certaines périodes à l’extérieur du Québec, la travailleuse devait alors voir aux activités du bar. Pourtant, la travailleuse n’était pas à l’emploi du payeur à la fin 2006 alors que l’unique actionnaire travaillait à Calgary ainsi qu’à la fin 2008 où il était en Ontario et pourtant en septembre et octobre 2008 il n’y avait pas de gérante. De plus, elle était aussi à l’emploi alors que l’unique actionnaire ne travaillait pas à l’extérieur.

 

La travailleuse a effectué bénévolement du travail pour le payeur par exemple en 2009 tel qu’elle l’avait mentionné à l’agent de décisions et à l’enquêtrice de Ressource Humaine Développement des compétences Canada. Le payeur avait alors spécifié la même chose.

 

Il n’est pas raisonnable de croire qu’une personne non liée aurait eu des périodes d’emploi semblables à celles de la travailleuse.

 

Modalités d’emploi

 

Il est vrai que la travailleuse pouvait demeurer dans un logement en haut du bar et ainsi qu’elle pouvait s’y présenter lorsqu’elle ne figurait pas au livre de paie. Elle continuait cependant à voir aux opérations du bar bénévolement ce qu’une personne non liée n’aurait pas fait d’une façon si régulière.

 

La travailleuse était toujours rétribuée, pour un nombre fixe d’heures par semaine peu importe s’il y avait une gérante. Pourtant, lorsqu’il y avait une gérante les tâches de la travailleuse devaient être bien moindres.

 

En 2010, la travailleuse a figuré au livre de paie que 6 mois pourtant elle a pris 3 semaines de vacances au cours de cette période qui lui ont été rétribuées par le payeur. De plus, le payeur lui a versé un 4% à sa cessation d’emploi.

 

Pour les deux premières périodes en litige, la travailleuse a retiré toutes les prestations d’assurance-emploi dont elle avait le droit avant de retourner d’être réengagée. En 2010, son relevé d’emploi affichait 960 heures alors qu’un minimum de 910 heures était requis pour la qualifier aux prestations d’assurance-emploi.

 

Il est raisonnable de conclure qu’une personne non liée n’aurait pas eu des modalités semblables à celles consenties à la travailleuse.

 

Rétribution

 

La travailleuse était payée au taux du salaire minimum lorsqu’elle figurait au livre de paie. Cependant contrairement aux autres employées, sauf la gérante, elle était payée pour un nombre fixe d’heures de travail par semaine.

 

De plus, la travailleuse a continué de travailler sans rémunération pour le payeur entre ses périodes d’emploi.

 

Le payeur et la travailleuse ne pouvaient pas expliquer pourquoi nous retrouvons au relevé d’emploi pour la période en litige du 1er septembre 2005 au 29 janvier 2010 une paie de vacances de 1 674,81 $ correspondant à plus de 19% de la rémunération versée pour cette période.

 

Il est raisonnable de conclure qu’une personne non liée n’aurait pas ainsi été rétribuée et n’aurait pas ainsi fait du travail bénévolement.

 

 

[23]         L’ensemble de la preuve entendue lors de l’audience de cet appel m’amène à conclure que la décision du ministre, dans les circonstances de l’espèce, était raisonnable. Malgré qu’il puisse y avoir certaines différences entre la preuve entendue et les faits retenus par le ministre, il n’en demeure pas moins que l’ensemble de la preuve avancée par l’appelante est insuffisante pour me convaincre que la décision est déraisonnable.

 

[24]         Il est réputé ne pas y avoir de lien de dépendance entre des personnes liées  si le ministre est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances énumérées ci-dessus, qu’elles auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance. Il est donc possible pour des personnes liées de conclure un contrat de travail et que l'emploi en question soit assurable selon les modalités de la Loi. Il faut donc s’assurer que la relation employeur-employé de personnes liées est à peu près semblable à celle qui existe entre des personnes n'ayant pas de lien de dépendance.

 

[25]         En l’espèce, il s’agit d’une entreprise achetée par une compagnie à numéros dont l’appelante était la vice-présidente. Par après, il semble y avoir eu un transfert du titre de propriété au conjoint mais l'appelante aurait laissé entendre lors de son témoignage que le bien leur appartenait en commun depuis 20 ans. Il est reconnu par la preuve que l’appelante y a travaillé à partir de 1997 sans rémunération et depuis 2005 avec rémunération. Il n’y a pas de preuve que l'appelante a cessé de travailler durant les périodes non rémunérées ni de preuve voulant que ses tâches aient été modifiées. Chose certaine, à partir de 2005, le conjoint de l'appelante s'est absenté du bar, soit, au début, durant la semaine, et, par la suite, pendant des périodes de plus en plus longues atteignant jusqu'à trois mois. Toutefois, l'appelante communiquait de façon quotidienne avec son conjoint au sujet de l'exploitation du bar.

 

[26]         De plus, elle était la seule à pouvoir signer les chèques de paie et à payer certaines factures de fournisseurs que son conjoint ne pouvait acquitter sur internet. L’appelante a tenté de minimiser son rôle durant les périodes où elle recevait des prestations d’assurance-emploi, mais il me paraît assez invraisemblable que son rôle ait diminué au point où elle le prétend. À mon avis, la présence de l’appelante était nécessaire en tout temps pour voir à la bonne marche de l’entreprise.

 

[27]         Je ne peux ignorer le fait qu’à partir de novembre 2008, l’appelante et une autre employée étaient les seules qui travaillaient 40 heures par semaine et qui n’avaient pas à comptabiliser leurs heures. L’appelante était présente au bar également les weekends, ce qui m'amène à penser que les heures travaillées étaient peu importantes pour l'appelante. Seules des personnes liées accepteraient de telles conditions de travail. Ses heures ne variaient pas non plus lorsqu’il y avait une gérante sur place.

 

[28]         Il est difficile de justifier les mises à pied de l'appelante étant donné que son conjoint était absent la plupart du temps. La présence de l'appelante était nécessaire et une personne non liée n’aurait pas accepté de telles conditions de travail.

 

[29]         Dans l'ensemble, les circonstances de l’espèce et la preuve avancée ne me permettent pas de conclure que le ministre a rendu une décision déraisonnable.

 

[30]         L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mars 2012.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 82

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2011-1876(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Diane Jacques et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 18 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 29 mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentants de l'appelante :

Maude Caron‑Morin

Maxime Dupuis

 

Avocat de l'intimé :

Me Emmanuel Jilwan

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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