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Dossier : 2016-3503(IT)I

ENTRE :

Jean-Claude Hébert,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 8 janvier 2018, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Sylvain Ouimet


Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

JUGEMENT

  L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2011 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2018.

« Sylvain Ouimet

Juge Ouimet

 


Référence : 2018 CCI 48

Date : 20180315

Dossier : 2016-3503(IT)I

ENTRE :

Jean-Claude Hébert,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Ouimet

I. Introduction

[1]  Monsieur Jean-Claude Hébert (« M. Hébert ») interjette appel d’une nouvelle cotisation établie le 23 mars 2015 par laquelle le ministre du Revenu national (« ministre ») a refusé à M. Hébert une perte au titre d'un placement d'entreprise (« PTPE ») de 274 114 $ pour l’année d’imposition 2011. Le ministre a également refusé à M. Hébert des reports de pertes autres que des pertes en capital au montant de 25 720 $ et de 6 736 $ pour les années d’imposition 2012 et 2013 respectivement.

[2]  Le ministre a refusé à M. Hébert la PTPE au motif que la société de M. Hébert, Radio Progressive Montréal inc. (« Radio Progressive »), n’était pas une société exploitant une petite entreprise au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Selon le ministre, Radio Progressive n’a pas exploité activement une entreprise au cours de l’année d’imposition 2011, ni au cours des douze mois précédents.

[3]  M. Hébert a été le seul témoin entendu lors de l’audience.

II. Question en litige

[4]  La question en litige est la suivante :

1. Est-ce à bon droit que le ministre a refusé à M. Hébert la PTPE de 274 114 $ pour l’année d’imposition 2011 ?

[5]  Afin de répondre à cette question, je devrai répondre en premier lieu à la question suivante :

1. Est-ce à bon droit que le ministre a déterminé que Radio Progressive n’a pas été activement exploitée au cours de l’année d’imposition 2011 ou dans les douze mois précédents?

III. Les dispositions législatives pertinentes

Loi de l’impôt sur le revenu

Sous-section — Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles

38 Sens de gain en capital imposable et de perte en capital déductible — Pour l’application de la présente loi :

[…]

c) [perte déductible au titre d'un placement d'entreprise] — la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise d'un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien est égale à la moitié de la perte au titre d'un placement d'entreprise que ce contribuable a subie, pour l'année, à la disposition du bien.

[…]

39 (1) Sens de gain en capital et de perte en capital [et de perte au titre d’un placement d’entreprise] — Pour l’application de la présente loi :

[…]

c) une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977:

[…]

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A) une société exploitant une petite entreprise,

PARTIE XVII — INTERPRÉTATION

248 (1) Définitions — Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« entreprise exploitée activement »  Relativement à toute entreprise exploitée par un contribuable résidant au Canada, toute entreprise exploitée par le contribuable autre qu'une entreprise de placement déterminée ou une entreprise de prestation de services personnels.

[…]

« société exploitant une petite entreprise » Sous réserve du paragraphe 110.6(15), société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont :

a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

b) soit constitués d'actions du capital-actions ou de dettes d'une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise rattachées à la société au moment donné, au sens du paragraphe 186(4) selon l'hypothèse que les sociétés exploitant une petite entreprise sont, à ce moment, des sociétés payantes au sens de ce paragraphe;

c) soit visés aux alinéas a) et b).

Pour l'application de l'alinéa 39(1)c), est une société exploitant une petite entreprise la société qui était une telle société à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné; par ailleurs, pour l'application de la présente définition, la juste valeur marchande d'un compte de stabilisation du revenu net est réputée nulle.

IV. Les faits

A. Contexte

[6]  Radio Progressive a été constituée le 23 avril 1991. Les activités commerciales de Radio Progressive consistaient en la vente et la réparation d’équipements de radio télécommunication. La clientèle de Radio Progressive se composait essentiellement d’amateurs s’adonnant à la radio télécommunication de manière récréative.

[7]  Selon le témoignage de M. Hébert, en 1991, la radio télécommunication était un domaine spécialisé puisque l’obtention d’un permis du gouvernement fédéral était nécessaire afin d’acheter et utiliser un tel équipement. Au milieu des années 90, l’essor des micro‑ordinateurs et d’Internet a fait en sorte que la clientèle de Radio Progressive a délaissé la radio télécommunication au profit des micro‑ordinateurs. Par conséquent, les ventes de Radio Progressive ont grandement diminué, mais l’entreprise était encore en mesure de générer des revenus de ses activités de réparation.

[8]  Dans les années qui ont suivi, comme pour plusieurs types d’appareils électriques et électroniques, il est rapidement devenu moins onéreux pour la clientèle de Radio Progressive d’acheter de l’équipement neuf que de faire réparer leur équipement en cas de défectuosité. Ainsi, vers la fin des années 90, M. Hébert a constaté qu’il n’était plus rentable d’exploiter Radio Progressive à partir d’un point de vente dans un local commercial, et il a donc décidé de transférer ces activités à son domicile. M. Hébert souhaitait continuer à faire de la réparation d’équipements de radio télécommunication et ainsi écouler le stock de Radio Progressive.

[9]  Pour ce faire, M. Hébert a maintenu ouvert le site Internet de Radio Progressive, où était affiché le stock. M. Hébert a également mis en service des lignes téléphoniques résidentielles et cellulaires pour Radio Progressive. Ces lignes téléphoniques étaient distinctes de celles utilisées pour son usage personnel. Le site Internet et les lignes téléphoniques distinctes ont été maintenus en service par M. Hébert jusqu’à la dissolution de la société le 26 août 2011.

[10]  De 2000 à 2007, M. Hébert a été en mesure de vendre une partie du stock de Radio Progressive. Par contre, à compter de 2007, Radio Progressive n’a fait aucune vente.

[11]  M. Hébert a mentionné lors de son témoignage que son intention a toujours été de poursuivre les activités commerciales de Radio Progressive, bien que celles-ci fussent minimes. Essentiellement, entre 2007 et 2011, les activités commerciales de Radio Progressive se sont résumées à répondre à des courriels et à des appels relatifs au stock restant. Pour tenter de vendre le stock de l’entreprise, M. Hébert a notamment contacté son principal compétiteur de la région de Toronto et il a aussi tenté de le vendre au marché aux puces, sans succès.

[12]  En 2011, compte tenu du fait que le stock de Radio Progressive n’avait plus aucune valeur commerciale et que les activités de réparation étaient inexistantes, M. Hébert a décidé de cesser son exploitation. Radio progressive a été dissoute le 26 août 2011.

V. Analyse

[13]  En vertu de l'alinéa 39(1)c) de la LIR, pour qu’une perte subie par un contribuable puisse être qualifiée de PTPE, la créance à l’origine de la perte doit être d’une créance sur une société privée sous contrôle canadien qui exploitait une petite entreprise.

[14]  La définition du terme « société exploitant une petite entreprise » se retrouve au paragraphe 248(1) de la LIR. En vertu de cette définition, pour qu’une société puisse être qualifiée de « société exploitant une petite entreprise», cette société doit être une société privée sous contrôle canadien dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont, entre autres, utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné.

[15]  La définition du terme « entreprise exploitée activement » se trouve aussi au paragraphe 248(1) de la LIR. En vertu de cette définition, toute entreprise exploitée par un contribuable résidant au Canada, autre qu'une entreprise de placement déterminée ou une entreprise de prestation de services personnels, est une entreprise exploitée activement.

[16]  Cette Cour est d’avis qu’en vertu de cette définition, il suffirait qu’une entreprise soit exploitée pour qu’elle soit exploitée activement.

[17]  C’est peut-être pour cette raison, comme le rappelait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Weaver [1] , que les tribunaux ont historiquement attribué à l’expression « entreprise exploitée activement » un sens tellement large qu’il n’y a que peu de choses qu’une société pouvait faire qui feraient en sorte que l’on puisse conclure, en se fondant sur l’accomplissement de ses choses, qu’elle n’était pas exploitée activement [2] .

[18]  Au final, selon la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Boulanger [3] , chaque cas est un cas d’espèce qui doit être étudié en fonction des éléments qui lui sont propres [4] . Dans ce même arrêt, la Cour d’appel fédérale a énoncé certains facteurs qui peuvent être considérés afin de déterminer si une entreprise est exploitée activement. Selon la Cour d’appel fédérale, l’absence de revenu n’est pas un facteur déterminant en soi, mais il peut être pertinent [5] . La Cour d’appel fédérale a donné de l’importance au fait que le peu d’éléments actifs que la société possédait n’était pas relié à ses activités commerciales. La Cour d’appel fédérale a conclu que ceci ne permettait pas à la société de rencontrer la définition de l’article 248 de la LIR. En vertu de cette définition, une société doit avoir des actifs dont la valeur marchande est attribuable à des éléments d’actifs utilisés principalement dans une entreprise que la société exploite au Canada [6] .

[19]  En l’espèce, la Cour est d’avis que Radio Progressive était exploitée activement au cours des douze mois précédant sa dissolution, soit au cours des années d’imposition 2010 et 2011, et ce, malgré le fait que ses activités étaient minimes. La Cour est d’avis que, bien que ses activités fussent minimes, compte tenu de la nature des activités commerciales de Radio Progressive depuis sa création, et notamment du marché dans lequel elle évoluait, elle était néanmoins exploitée activement.

[20]  Essentiellement, selon la preuve, Radio Progressive est demeurée active au cours des années précédant sa dissolution uniquement afin d’écouler le stock de matériel de radio communication invendu et de pièces. Puisque les activités commerciales de Radio Progressive ont toujours consisté depuis sa création en la vente de matériel de radio télécommunication et en la réparation de tels appareils, les éléments d’actif que la société possédait encore étaient reliés à ses activités commerciales.

[21]  Compte tenu de la nature des activités commerciales de l’entreprise et de ses revenus, il est difficile de concevoir ce que M. Hébert aurait pu faire de plus que ce qu’il a fait afin d’écouler le stock de Radio Progressive. Il a maintenu un site Internet sur lequel était affiché le stock encore disponible et il répondait aux courriels et aux appels de clients potentiels, tout cela dans l’intention de vendre les éléments d’actif restants.

[22]  Selon la preuve, le marché pour le stock de Radio Progressive était très restreint. Le ministre ne peut reprocher à M. Hébert de n’avoir pas fait plus pour écouler le stock de Radio Progressive; après tout, les revenus de l’entreprise étaient inexistants. La preuve démontre que M. Hébert a fait ce qu’il a pu pour tenter d’écouler le stock jusqu’à ce que ce dernier n’ait plus de valeur marchande.

[23]  La Cour est donc d’avis que, compte tenu de toutes les circonstances, Radio Progressive était exploitée activement durant l’année 2011 et dans les douze mois précédents, quoique de façon minime. Par conséquent, le ministre devait accorder à M. Hébert la PTPE de 274 114 $ pour l’année d’imposition 2011.

[24]  L’appel est accueilli, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2018.

« Sylvain Ouimet »

Juge Ouimet

 


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 48

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-3503(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Claude Hébert c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 janvier 2018

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 mars 2018

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Weaver c. La Reine, 2008 CAF 238.

[2] Id., par. 19.

[3] Boulanger c. La Reine, 2003 CAF 332.

[4] Id., par. 5.

[5] Id., par. 7.

[6] Id., par. 8.

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