Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2011-124(EI), 2011‑113(EI),

2011-106(EI), 2011-107(EI),

2011-99(EI), 2011-125(CPP),

2011-105(CPP), 2011-79(CPP),

2011-80(CPP), 2011-98(CPP)

ENTRE :

A&T TIRE & WHEEL LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 10 et 11 janvier 2012, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocates de l’intimé :

Me Cenobar Parker et Me Jasmeen Mann

____________________________________________________________________

JUGEMENT

Les appels se rapportant aux décisions que le ministre du Revenu national a rendues en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, selon lesquelles, au cours de la période allant du 1er janvier 2007 au 1er août 2009, Edgar Ganopolsky, Vladimir Mozhar, Hassan Sahly, Jason Smeskal et Michael Young exerçaient auprès de l’appelante un emploi assurable et ouvrant droit à pension, sont rejetés et les décisions du ministre sont confirmées, conformément aux motifs du jugement ci‑joints. Chaque partie supportera ses propres dépens.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2012.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juin 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 150

Date : 20120508

Dossiers : 2011-124(EI), 2011-113(EI),

2011-106(EI), 2011-107(EI),

2011-99(EI), 2011-125(CPP),

2011-105(CPP), 2011-79(CPP),

2011-80(CPP), 2011-98(CPP)

 

ENTRE :

A&T TIRE & WHEEL LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

 

[1]             Il s’agit d’appels de décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon lesquelles, au cours de la période allant du 1er janvier 2007 au 1er août 2009, Edgar Ganopolsky, Vladimir Mozhar, Hassan Sahly, Jason Smeskal et Michael Young (les « travailleurs ») étaient des employés d’A&T Tire & Wheel Ltd. (l’« appelante »), plutôt que des entrepreneurs indépendants.

 

[2]             L’appelante a demandé un examen des décisions, qui ont été confirmées. L’appelante affirme que les cinq travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants qui lui fournissaient des services dans le cours des activités des entreprises que ceux‑ci exploitaient pour leur propre bénéfice.

 

[3]             L’appelante a appelé à témoigner Michael Young et Vladimir Mozhar (deux des travailleurs ici en cause), Anna Mozhar (la fille de M. Mozhar) et Mathew Foster, Dennis Le Course et Kyle Izzard (des anciens travailleurs de l’appelante) pour qu’ils témoignent au sujet de l’intention des travailleurs d’avoir une relation d’entrepreneur indépendant avec l’appelante.

 

[4]             L’intimé a appelé Hassan Sahly et Jason Smeskal à témoigner pour qu’ils établissent que ces travailleurs n’avaient pas l’intention de devenir des entrepreneurs indépendants et que les relations que les travailleurs entretenaient de fait avec l’appelante n’étaient pas compatibles avec une conclusion militant en faveur du statut d’entrepreneur indépendant.

 

I.       Les faits

 

[5]             L’appelante exploite une petite entreprise de vente, d’installation et d’entretien de pneus. Dan Smith est l’unique actionnaire de l’appelante.

 

[6]             Les appels se rapportent à cinq personnes, à savoir Michael Young, gérant de l’atelier; Vladimir Mozhar, qui trie et entrepose les pneus; Edgar Ganopolsky, qui travaille dans l’atelier et qui exécute des tâches générales telles que l’installation et l’enlèvement de pneus; ainsi que Jason Smeskal et Hassan Sahly, qui ne travaillent plus pour l’appelante, mais dont les responsabilités étaient semblables à celles de M. Ganopolsky.

 

[7]             Parmi les personnes au sujet desquelles une preuve a été présentée à l’instruction, M. Young était la seule personne qui possédait une expérience professionnelle pertinente avant de commencer à travailler pour l’appelante. MM. Mozhar, Sahly et Smeskal ont reçu une formation en cours d’emploi de M. Young et des autres travailleurs à l’atelier. M. Sahly et M. Smeskal avaient respectivement 20 et 19 ans lorsqu’ils ont commencé à travailler pour l’appelante. M. Mozhar, qui s’est adressé à la Cour par l’entremise d’un interprète, était avocat en Russie avant d’immigrer au Canada et il n’avait jamais travaillé dans un atelier d’installation de pneus avant d’être embauché par l’appelante. M. Ganopolsky n’était pas disponible pour témoigner à l’instruction et aucune preuve n’a été présentée au sujet de son niveau d’expérience lorsqu’il avait initialement été embauché.

 

[8]             La preuve montre que les travailleurs avaient initialement été embauchés conformément à des ententes verbales. Après que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») eut commencé sa vérification, qui a abouti aux décisions qui sont ici en litige, on a demandé à Vladimir Mozhar, à Jason Smeskal et à Michael Young de signer des ententes écrites préparées par l’appelante, dans lesquelles ils étaient désignés à titre d’entrepreneurs indépendants.

 

[9]             M. Smeskal n’a jamais signé le contrat. Il était la seule personne en cause dans les présents appels qui a essayé de négocier les conditions du contrat. Le 27 avril 2009 au matin, en arrivant au travail, il avait remis à Michael Young une lettre adressée à Dan Smith, dans laquelle il demandait que le contrat renferme une disposition prévoyant qu’A&T lui fournirait une couverture de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents de travail ainsi qu’une assurance de responsabilité civile adéquate. À 17 h 50, le même jour, M. Smeskal a reçu une lettre de cessation d’emploi accompagnée de deux factures de clients laissant entendre qu’il était mis fin à son emploi à cause d’un [traduction] « travail mal fait ». M. Smeskal croit avoir été congédié parce qu’il avait tenté de négocier les conditions de l’entente qui lui avait été présentée.

 

[10]        M. Young a témoigné avoir été embauché par M. Smith pour gérer l’entreprise de l’appelante. Comme il l’a dit : [traduction] « Je m’occupe de mes propres affaires, mais, sur place, mes tâches consistent à faire en sorte que tout se passe bien à l’atelier ainsi qu’à poser de nouveaux pneus et à rappeler les gens. Je fais beaucoup de choses à l’atelier, mais si je décide de ne pas me présenter à un moment donné, l’atelier pourrait ne pas ouvrir[1]. »

 

[11]        M. Young a témoigné avoir consenti à travailler pour l’appelante à titre d’entrepreneur indépendant parce que M. Smith lui avait offert la possibilité de diriger une entreprise, tout en ayant droit à une partie de ses bénéfices.

 

[12]        M. Young a allégué avoir rencontré M. Smeskal, M. Ganopolsky et M. Sahly lorsqu’ils avaient présenté une demande en vue de travailler pour l’appelante. Le témoin a déclaré avoir clairement fait savoir à chacun de ces travailleurs qu’ils accompliraient leurs tâches à titre d’entrepreneurs indépendants plutôt qu’à titre d’employés.

 

[13]        M. Sahly ne se rappelait pas la même chose en ce qui concerne la conversation qu’il avait eue avec M. Young. Ce témoin affirme avoir été embauché comme manœuvre parce qu’il possédait peu d’expérience professionnelle étant donné qu’il venait de terminer ses études secondaires. M. Sahly a témoigné ne pas avoir été informé qu’il agirait comme entrepreneur indépendant. Il a ajouté qu’étant donné qu’il recevait ses instructions de M. Young, il croyait être un employé de l’appelante pendant qu’il travaillait à cet endroit.

                    

[14]        Le souvenir que M. Smeskal gardait des conversations qu’il avait eues avec M. Young était semblable à celui de M. Sahly. Il se rappelait qu’on lui avait dit, plus d’un an après qu’il eut commencé à travailler pour l’appelante, qu’il était embauché à titre d’entrepreneur indépendant. Il ne se rappelait pas qu’il en avait été question lorsque l’appelante l’avait initialement embauché.

 

[15]        M. Mozhar a témoigné avoir convenu de travailler à titre d’entrepreneur indépendant lorsqu’il avait initialement été embauché par l’appelante.

 

[16]        À l’exception de Michael Young, tous les travailleurs étaient rémunérés à l’heure pour leurs services pour une semaine normale de travail, soit de 8 à 18 h du lundi au vendredi, et de 8 à 13 h le samedi. Ils touchaient un montant horaire additionnel s’ils effectuaient des heures supplémentaires. M. Young gagnait généralement 850 $ par semaine. Il avait droit à une prime correspondant à 20 p. 100 des bénéfices de l’appelante, laquelle était fixée chaque trimestre.

 

[17]        La preuve montre que les travailleurs avaient droit à une ou deux semaines de vacances payées. Les congés de maladie n’étaient pas payés.

 

II.      Analyse

 

[18]        L’appelante affirme avoir présenté un nombre suffisant d’éléments de preuve pour permettre à la Cour de conclure que les travailleurs avaient l’intention d’être considérés comme des entrepreneurs indépendants pendant qu’ils travaillaient pour elle. Selon l’appelante, la preuve insuffisante présentée par l’intimé ne permet pas de faire abstraction du choix des parties à cet égard.

 

[19]        Je ne souscris pas à l’assertion de l’intimé lorsqu’il affirme que la preuve démontre que Jason Smeskal, Edgar Ganopolsky et Hassan Sahly avaient convenu d’être considérés comme des entrepreneurs indépendants pendant qu’ils travaillaient pour l’appelante. Premièrement, la preuve démontre que ces travailleurs n’avaient pas conclu d’ententes écrites avec l’appelante lorsqu’ils avaient été embauchés. M. Young a témoigné qu’ils avaient verbalement convenu d’être considérés comme des entrepreneurs indépendants, mais M. Sahly a témoigné qu’il n’en avait pas été question lorsqu’il avait été embauché. Il croyait avoir été embauché à titre de manœuvre.

 

[20]        On avait demandé à M. Smeskal de signer une entente écrite dans laquelle il déclarait être entrepreneur indépendant après que l’ARC eut entrepris la vérification qui a abouti aux décisions visées par les appels. M. Smeskal a tenté de négocier les conditions de l’entente écrite qui lui avait été présentée pour signature. Dans une lettre en date du 27 avril 2009 adressée à Dan Smith, M. Smeskal propose d’apporter les modifications suivantes à la disposition intitulée : [traduction] « Fournitures et matériel » :

 

[traduction]

 

Je souscris également au point 3; toutefois, la disposition suivante devrait être ajoutée :

 

            3. Fournitures et matériel : (Énoncé initial). PLUS : A&T assurera la formation de l’entrepreneur à l’égard du matériel utilisé dans l’atelier. A&T garantit que les outils et la machinerie fixe sont en bon état et qu’ils sont adéquatement entretenus. Dans le cas où des blessures seraient subies ou dans le cas où un accident surviendrait en milieu de travail, A&T couvrira l’entrepreneur auprès de la CSPAAT. De plus, A&T souscrira une assurance de responsabilité civile adéquate couvrant l’entrepreneur lorsqu’il déplace les véhicules des clients.

 

 

[21]        Le sigle « CSPAAT » s’entend de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail établie en Ontario en vue d’administrer le programme d’assurance sans faute au lieu de travail, lequel est financé par les employeurs et vise à assurer, entre autres, l’indemnisation et la réadaptation médicale des travailleurs qui se blessent au travail. Les entrepreneurs indépendants ou les travailleurs autonomes ne sont pas automatiquement couverts par ce programme pour les blessures qu’ils subissent au travail.

 

[22]        M. Smeskal a également demandé à être couvert, aux termes de la police d’assurance de l’appelante, pour les dommages qu’il causait aux véhicules des clients. Ces demandes montrent que M. Smeskal hésitait à accepter la caractérisation unilatérale que l’appelante faisait de leur relation. Les parties n’ont pas signé d’entente étant donné que l’appelante a renvoyé M. Smeskal le jour même où celui‑ci avait remis à Dan Smith la lettre dans laquelle il demandait la modification du projet de contrat qu’il avait reçu de l’appelante. Je retiens le témoignage de M. Smeskal lorsqu’il déclare que la demande qu’il avait faite en vue de négocier les conditions du contrat préparé par l’appelante avait contribué à son renvoi et que le renvoi n’était pas attribuable aux motifs que M. Young avait allégués dans son témoignage.

 

[23]        Quoi qu’il en soit, la jurisprudence a établi que la déclaration des parties, quant à leur intention de créer une relation d’entrepreneur indépendant, n’est pas en soi déterminante. Dans l’arrêt TBT Personnel Services c. Canada, 2011 CAF 256, la juge Sharlow, qui a rédigé les motifs de la décision rendue à l’unanimité par la cour, dit bien qu’il faut néanmoins appliquer les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) pour déterminer si les faits sont réellement compatibles avec la description que les parties donnent de leur relation. Voici ce que la juge a dit :  

 

9. Dans les arrêts Wolf c. Canada, 2002 CAF 96, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.), et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national – M.N.R.), 2006 CAF 87, [2007] 1 R.C.F. 35, la Cour a ajouté que lorsqu’il est établi que les parties avaient l’intention commune d’établir une relation juridique entre elles, il est nécessaire de tenir compte de cette preuve, mais il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[24]        En appréciant la pertinence des contrats que les personnes en cause dans l’affaire TBT Personnel Services avaient signés, la juge Sharlow a ajouté ce qui suit :

 

35. De telles clauses d’intention sont pertinentes, mais elles ne sont pas déterminantes. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door doivent également être examinés afin de déterminer si l’intention des parties contractantes qui semble découler des clauses d’intention se concilie avec les autres modalités du contrat et avec la relation contractuelle qui existait véritablement entre les parties. […]

 

[25]         Il faut appliquer les facteurs de l’arrêt Wiebe Door pour déterminer si les intentions déclarées des travailleurs, le cas échéant, sont conformes à la nature véritable de la relation qu’ils entretiennent avec l’employeur. Lorsque ces critères sont appliqués, la preuve montre‑t‑elle qu’un travailleur particulier fournit ses services dans le cours des activités d’une entreprise qu’il exploite pour son propre bénéfice?

 

III.     Application des facteurs de l’arrêt Wiebe Door

 

A.  Le contrôle

 

[26]        Dans les réponses aux avis d’appel, le ministre a supposé que M. Young supervisait les autres travailleurs en sa qualité de gérant de l’atelier de l’appelante. Les tâches de M. Young consistaient à assurer la supervision. M. Young nie la chose, mais il n’a pas réussi à me convaincre que ce n’était pas le cas.

 

[27]        M. Sahly avait été embauché à titre de manœuvre. Il ne possédait pas d’expérience professionnelle pertinente lorsqu’il avait commencé à travailler pour l’appelante. Il a témoigné que M. Young lui disait quoi faire et le supervisait dans l’exécution des tâches qui lui étaient confiées. La situation de M. Smeskal était semblable à celle de M. Sahly. En effet, M. Smeskal avait également commencé à travailler comme manœuvre. Lorsqu’il se présentait au travail, M. Young lui assignait des tâches. Il est difficile d’imaginer comment des travailleurs non qualifiés sauraient quoi faire et comment faire le travail si personne ne leur expliquait leurs tâches et ne leur indiquait ce à quoi on s’attendait d’eux.

 

[28]        M. Smeskal allègue que M. Young et le personnel désigné par M. Young assuraient sa formation en ce qui concerne le matériel que l’on utilisait pour poser les pneus sur les jantes et pour enlever les pneus des jantes et en ce qui concerne le matériel que l’on utilisait pour équilibrer les roues. Je ne puis concevoir qu’il en aurait été autrement puisque M. Smeskal ne possédait aucune expérience antérieure dans ce domaine. M. Young a nié qu’il supervisait les autres travailleurs, mais il a admis qu’il se pouvait que l’entreprise reste fermée s’il décidait de prendre un jour de congé. Il admettait ainsi que l’on ne pouvait pas se fier aux travailleurs de l’appelante pour qu’ils accomplissent leurs tâches de leur propre chef sans qu’il les supervise.

 

[29]        M. Young a reconnu que c’était lui qui traitait avec les clients. Les clients se présentaient le matin et il s’en occupait selon le principe du premier arrivé, premier servi. Si le service qui leur était fourni ne leur plaisait pas, ils se plaignaient à M. Young, qui veillait à ce que le travail soit repris conformément à leurs vœux. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer comment l’atelier pouvait bien fonctionner si M. Young ne supervisait pas les travailleurs.

 

[30]        M. Mozhar était lui aussi un travailleur non qualifié lorsqu’il avait été embauché par l’appelante pour travailler à la section des pneus usagés. Il ne parlait pas l’anglais et sa fille avait agi comme interprète lorsqu’il avait été embauché. Dans ces conditions, il semble fort peu vraisemblable qu’il ait pu exécuter ses tâches sans une formation et sans une supervision appropriées. Je ne doute aucunement qu’il ait bien vite appris comment accomplir ses tâches, ce qui lui a permis d’être plus autonome dans l’exercice de ses fonctions. Toutefois, la jurisprudence a établi que ce n’est pas l’exercice réel d’un contrôle qui importe, mais que c’est plutôt la capacité de l’employeur d’exercer un contrôle[2].

 

[31]        Fort peu d’éléments de preuve ont été présentés au sujet des conditions de travail de M. Ganopolsky. Je suppose que, comme l’affirme le ministre, la situation de M. Ganopolsky était analogue à celle des quatre autres travailleurs non qualifiés. L’appelante n’a pas prouvé le contraire et il lui incombait de le faire.

 

[32]        M. Young a nié avoir été assujetti à la direction et au contrôle de M. Smith, l’unique actionnaire de l’appelante. MM. Sahly et Smeskal ont affirmé le contraire. Ils ont témoigné qu’ils avaient remarqué que M. Young demandait des instructions de M. Smith. Le témoignage de M. Smeskal est corroboré par les circonstances entourant la cessation de ses services. Selon ce témoin, M. Young lui aurait dit que la décision de le congédier avait été prise par M. Smith. M. Young n’était pas autorisé à ne pas tenir compte des vœux de M. Smith à cet égard. C’était M. Smith qui avait signé la lettre de cessation d’emploi. Cela donne à penser, selon moi, que M. Smith avait joué un rôle essentiel dans la décision et que M. Young avait été chargé d’annoncer la mauvaise nouvelle à M. Smeskal.

 

[33]        M. Smith voulait que ses travailleurs soient des entrepreneurs indépendants et M. Young était chargé de convaincre les travailleurs d’accepter ce statut. Après la vérification effectuée par l’ARC, M. Smith voulait que les travailleurs signent des contrats, et M. Young a tenté de faire en sorte qu’ils le fassent. M. Smeskal a essayé de négocier l’entente écrite que l’appelante lui avait présentée et, après avoir discuté de la question avec M. Smith, M. Young a informé M. Smeskal qu’il était congédié. M. Young a témoigné qu’il transmettait le courrier à M. Smith, comme il l’avait fait lorsqu’il avait reçu les lettres de l’ARC concernant les questions qui sont ici en litige. À mon avis, le fait que M. Young ne rendait pas compte tous les jours à M. Smith ne change rien au fait que c’était M. Smith qui exerçait le contrôle ultime sur l’entreprise de l’appelante. M. Young était obligé de se conformer à la philosophie d’entreprise de M. Smith. Cet aspect du critère indique donc l’existence d’une relation employeur‑employé.

 

[34]        Je tiens à faire remarquer que les conclusions que j’ai tirées au sujet des rôles respectifs de M. Smith et de M. Young sont conformes aux conclusions tirées par le juge suppléant Weisman qui, dans la décision A&T Tire & Wheel Limited c. Ministre du Revenu national, 2009 CCI 640, a conclu que Justin Bunn, un travailleur engagé par l’appelante à partir du milieu de l’année 2006 jusqu’au mois de septembre 2008, était un employé de l’appelante. Dans cette décision, le juge suppléant Weisman a accordé de l’importance au fait que M. Smith avait admis avoir embauché M. Young pour que celui‑ci gère l’entreprise d’une façon conforme à sa philosophie d’entreprise. M. Smith a témoigné que M. Young était chargé, entre autres, de veiller à ce que les travailleurs respectent les normes de sécurité strictes qu’il avait adoptées aux fins de l’enlèvement et de l’installation des roues et des pneus. L’appelante n’a pas appelé M. Smith à témoigner dans les présents appels. Étant donné qu’il est l’unique actionnaire de la société, M. Smith est particulièrement bien placé pour donner des renseignements pertinents au sujet des faits, et notamment au sujet de l’intention de l’appelante en ce qui concerne la nature de la relation qu’elle entretient avec les travailleurs et des raisons pour lesquelles M. Smeskal a été congédié. Une déduction défavorable peut être tirée du fait que M. Smith n’a pas été appelé à témoigner. La preuve dans son ensemble montre que le rôle joué par M. Smith dans l’entreprise était plus important que celui que M. Young a décrit.

 

          La propriété des instruments de travail

 

[35]        M. Smeskal et M. Sahly fournissaient leurs propres chaussures de travail. L’appelante fournissait l’uniforme, les outils, le matériel et les locaux utilisés aux fins de l’installation et de l’enlèvement des roues et des pneus. L’appelante n’a présenté aucun élément de preuve précis au sujet des outils ou du matériel utilisés par M. Ganopolsky et par M. Mozhar. Je suppose que leur situation était analogue à celle de M. Smeskal et de M. Sahly. Dans le cas de ces travailleurs, ce critère milite en faveur de l’existence d’une relation employeur-employé.

 

[36]        M. Young a témoigné que certains des outils qu’il utilisait pour accomplir ses tâches lui appartenaient. Toutefois, il a reconnu que l’appelante mettait à sa disposition tous les outils dont il avait besoin pour exécuter ses tâches. La valeur des outils et du matériel fournis par l’appelante était de beaucoup supérieure à la valeur des outils appartenant à M. Young. Au mieux, cet aspect du critère n’est pas concluant dans le cas de M. Young.

 

          La possibilité de profit; le risque de perte

 

[37]        En ce qui concerne quatre des cinq travailleurs, la preuve montre qu’ils étaient tous rémunérés à l’heure pour leurs services. Personne ne gagnait plus de onze dollars l’heure, sauf M. Young. Des dispositions avaient été prises avec M. Young aux fins du partage des bénéfices, mais ces dispositions incitatives n’empêchent pas pour autant de conclure que M. Young était un employé de l’appelante. Tous les travailleurs avaient droit à une paie de vacances. Le montant qui leur était versé était désigné comme étant une [traduction] « PV » dans les grands livres de l’appelante, ces lettres étant une abréviation de [traduction] « paie de vacances ».

 

[38]        On n’exigeait rien des travailleurs pour l’utilisation du matériel de l’appelante. Dans son témoignage, M. Young a soutenu que les travailleurs devaient payer s’ils endommageaient plus d’un pneu ou d’une roue par année. Toutefois, la preuve montre qu’aucun des travailleurs n’avait été tenu financièrement responsable des dommages, même si M. Smeskal a témoigné qu’il avait endommagé au moins deux jantes au cours de la même année.

 

[39]        L’appelante affirme que les travailleurs auraient pu embaucher des assistants pour les aider dans leurs tâches. Toutefois, aucun des travailleurs ne gagnait suffisamment d’argent pour qu’il soit pratique de le faire.

 

[40]        Les travailleurs fournissaient tous leurs services dans les locaux de l’appelante. L’appelante exerçait un contrôle sur le nombre maximum d’heures qu’ils pouvaient effectuer. L’atelier était ouvert durant les heures de travail régulières, ou pour les heures supplémentaires prévues à l’horaire, uniquement si M. Young était présent.

 

[41]        L’appelante a allégué que les travailleurs avaient la possibilité de faire un profit s’ils effectuaient un plus grand nombre d’heures. Quant à M. Smeskal, ce dernier avait demandé une augmentation qui lui avait finalement été accordée. Certains éléments de preuve ont été présentés en vue de démontrer que les travailleurs pouvaient utiliser les locaux de l’atelier afin d’assurer l’entretien de véhicules appartenant à des amis et à des membres de la famille et qu’ils pouvaient être directement rémunérés en nature ou au moyen d’une [traduction] « caisse de bière ». Cela ne suffit pas pour donner une possibilité réelle de faire un profit. Le fait d’effectuer des heures supplémentaires et de demander une augmentation de salaire est compatible avec une relation employeur-employé. L’utilisation des installations de l’atelier en vue de fournir des services à des amis et à des membres de la famille est assimilable à l’utilisation, au profit d’amis et de parents, d’une réduction accordée aux employés.

 

[42]        Compte tenu de la preuve et de l’application des critères de l’arrêt Wiebe Door, je conclus que les travailleurs étaient des employés de l’appelante pendant toute la période ici en cause. Par conséquent, les décisions du ministre sont confirmées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2012.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juin 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 150

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :         2011-124(EI), 2011-113(EI), 2011-106(EI), 2011-107(EI), 2011-99(EI), 2011-125(CPP), 2011-105(CPP), 2011-79(CPP), 2011‑80(CPP), 2011-98(CPP)

 

INTITULÉ :                                      A&T TIRE & WHEEL LTD. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Les 10 et 11 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 8 mai 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocates de l’intimé :

Me Cenobar Parker et Me Jasmeen Mann

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                        Leigh Somerville Taylor

 

                   Cabinet :                       

 

       Pour l’intimé :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Transcription, page 63, lignes 10 à 15.

[2] Gagnon c. Ministre du Revenu national, 2007 CAF 33, paragraphe 7.

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