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Dossier : 2011-2015(IT)G

ENTRE :

CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Requête entendue le 27 février 2012, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

 

Devant : L'honorable juge Steven K. D'Arcy

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bruce S. Russell

Avocate de l'intimée :

Me Melanie Petrunia

 

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

VU la requête présentée par l'avocat de l'appelante dans le but d'obtenir une directive autorisant l'appelante dans le présent appel à être remplacée par Clearwater Seafoods Incorporated, au titre de l'article 29 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale);

 

Conformément aux motifs d'ordonnance ci‑joints :

 

LA COUR ordonne ce qui suit :

 

1.       la requête est rejetée sans frais;

 

2.       si l'intimée croit que la Cour devrait rejeter l'appel, la requête appropriée doit être déposée dans les 30 jours de la présente ordonnance;

 

3.       si l'intimée ne dépose pas une telle requête, les parties soumettront par écrit à la Cour un calendrier dont elles auront mutuellement convenu, dans les 45 jours de la date de la présente ordonnance.

 

 

Signé à Antigonish (Nouvelle-Écosse), ce 1er jour de juin 2012.

 

« S. D’Arcy »

Juge D'Arcy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 

 

 

Référence : 2012CCI186

Date : 20120601

Dossier : 2011-2015(IT)G

ENTRE :

CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge D'Arcy

 

[1]             L'appelante, Clearwater Seafoods Holdings Trust (la « fiducie »), a présenté une requête en vue d'obtenir une directive de la Cour, conformément à l'article 29 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), en vue de permettre que l'appelante dans le présent appel soit remplacée par Clearwater Seafoods Incorporated (« Seafoods Inc. »).

 

[2]             La question soulevée par la requête se pose lorsque, dans le cadre de la mise en œuvre d'un plan d'arrangement, une société a acquis l'actif et pris en charge le passif d'une fiducie de revenu. Il s'agit de savoir si la société peut devenir l'appelante dans un appel interjeté par la fiducie de revenu avant la mise en œuvre de ce plan.

 

[3]             Selon la position que l'appelante a prise, Seafoods Inc., en sa qualité de remplaçante en titre et en droit de la fiducie, devrait avoir le droit de remplacer la fiducie à titre d'appelante dans le présent appel. L'avocat de l'appelante a soutenu que [traduction] « [...] la directive demandée en vertu de l'article 29 des Règles est conforme à l'objectif du législateur et du ministère fédéral des Finances, soit de faciliter la conversion des fiducies de revenu en sociétés publiques rapidement et sans incidence fiscale »[1].

 

[4]             Selon la position que l'intimée a prise, Seafoods Inc. ne peut pas prendre la place de la fiducie à titre d'appelante dans l'appel. L'intimée fait valoir qu'un contribuable ne peut pas transférer une obligation fiscale. De plus, elle soutient que l'appelante dans le présent appel a été éteinte et qu'elle ne possède donc plus la capacité légale de poursuivre l'appel.

 

Le résumé des faits

 

[5]             La fiducie a interjeté appel devant la Cour le 10 juin 2011 à l'égard de nouvelles cotisations établies pour ses années d'imposition 2002 et 2003.

 

[6]             Les nouvelles cotisations avaient pour effet d'augmenter l'imt sur le revenu que la fiducie devait payer. La fiducie n'a pas payé les impôts additionnels établis par le ministre.

 

[7]             La fiducie prenait part à un plan d'arrangement qui avait été dressé en vertu de l'article 192 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[2] et dont la mise en œuvre a été complétée le 2 octobre 2011 (le « plan d'arrangement »).

 

[8]             Les parties n'ont pas informé la Cour des activités réellement exercées par la fiducie avant la mise en œuvre du plan d'arrangement. L'article 2.5 de la déclaration de fiducie prévoit que la fiducie est une fiducie à but restreint. L'article 4.1 de la déclaration de fiducie énonce les objets de la fiducie, qui semblent se rapporter principalement à l'achat et à la détention de titres et à la détention d'argent.

 

[9]             Avant la mise en œuvre du plan d'arrangement, toutes les parts de la fiducie étaient détenues par Clearwater Seafoods Income Fund (le « fonds »), une fiducie de placement à capital variable, non constituée en personne morale et régie par les lois de l'Ontario.

 

[10]        Par suite de changements apportés à l'imposition des fiducies de revenu, le fonds et la fiducie (conjointement avec certaines personnes qui avaient effectué des placements dans le fonds) ont mis sur pied le plan d'arrangement. L'objet du plan était de convertir la fiducie de revenu en une société.

 

[11]        Le 2 octobre 2011, dans le cadre de la mise en œuvre du plan d'arrangement, Seafoods Inc. a acquis toutes les parts du fonds, et tous les détenteurs de parts du fonds sont devenus des actionnaires de Seafood Inc. Immédiatement après, les événements suivants se sont produits :

 

-          la fiducie a remis son actif au fonds et le fonds a pris en charge le passif de la fiducie;

 

-          le fonds a ensuite remis son actif à Seafoods Inc. et Seafoods Inc. a pris en charge le passif du fonds.

 

[12]        Le plan d'arrangement prévoit qu'après que la fiducie aura remis son actif au fonds et que le fonds aura pris en charge le passif de la fiducie, [traduction] « [...] 1a fiducie sera dissoute, conformément au droit applicable et à la déclaration de fiducie [de la fiducie] »[3].

 

[13]        L'article 14 de la déclaration de fiducie énonce la marche à suivre aux fins de l'extinction de la fiducie.

 

Le droit

 

[14]        L'article 29 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) est ainsi libellé :

 

*                   29. (1) Lorsque l’intérêt ou la responsabilité d’une partie à l’instance est transféré ou transmis à une autre personne en raison d’une cession, d’une faillite, d’un décès ou de toute autre cause, à tout moment de l’instance, nulle autre procédure ne peut être engagée avant que le greffier ne soit avisé du transfert ou de la transmission, ainsi que des modalités qui s’y rapportent.

*                    

*                   (2) Sur réception de l’avis dont il est fait mention au paragraphe (1), le greffier consulte les parties concernant les circonstances dans lesquelles l’instance doit être continuée et fait rapport de ces consultations au juge en chef.

*                    

*                   (3) Le juge en chef ou un juge désigné par lui pour traiter de l’affaire peut donner une directive de continuer l’instance ou toute autre directive qui lui semble appropriée.

 

[15]        Je dois examiner la question de savoir si l'appelante a transféré ou transmis à Seafoods Inc., en raison d'une cession, d'une faillite, d'un décès ou de toute autre cause, l'intérêt ou la responsabilité qu'elle avait à l'égard de l'objet de l'appel.

 

[16]        Afin de trancher la question, la Cour doit examiner la common law ainsi que toute disposition légale pertinente. L'article 29 n'autorise pas lui-même la cession ou la dévolution d'un intérêt dans une instance.

 

[17]        J'examinerai d'abord les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu[4] (la « Loi »).

 

[18]        L'obligation de payer l'impôt sur le revenu est une obligation prévue par la loi. L'impôt sur le revenu est établi en vertu de la Loi, sur le revenu imposable d'une personne[5].

 

[19]        Par conséquent, la personne qui gagne un revenu imposable est le contribuable à l'égard de ce revenu, c'est-à-dire que c'est elle qui est tenue de payer l'impôt sur le revenu[6]. Cette obligation prend naissance au moment où le revenu est gagné, et ce, quel que soit le moment où l'Agence du revenu du Canada établit une cotisation[7].

 

[20]        Comme la juge Sharlow l'a fait remarquer dans l'arrêt Fundy Settlement c. Canada, 2010 CAF 309, 2010 DTC 5189, au paragraphe 5, « [...] le contribuable peut être un individu, une société ou une fiducie. Bien qu'une fiducie ne constitue pas une personne en droit, la Loi de l'impôt sur le revenu considère les fiducies comme des personnes aux fins de l'impôt sur le revenu ».

 

[21]        C'est le contribuable qui fait l'objet de la cotisation selon l'article 152 de la Loi et c'est le contribuable qui a le droit de déposer un avis d'opposition en vertu de l'article 165 de la Loi. En outre, c'est le contribuable qui a le droit, après avoir signifié l'avis d'opposition, d'interjeter appel de la cotisation (ou de la nouvelle cotisation) devant la Cour.

 

[22]        En l'espèce, le ministre avait établi une cotisation à l'égard de la fiducie relativement à un revenu imposable censément gagné par la fiducie. En outre, c'est la fiducie qui a déposé l'avis d'opposition et qui a interjeté appel devant la Cour.

 

[23]        L'avocat de l'appelante ne m'a renvoyé à aucune disposition de la Loi autorisant la fiducie à céder ses droits d'appel à un tiers, tel que Seafoods Inc., et il n'existe à ma connaissance aucune disposition de ce genre.

 

[24]        L'avocat de l'appelante a confirmé que la fiducie, le fonds et Seafoods Inc. se fondaient sur les dispositions de l'article 88.1 de la Loi afin d'éviter d'avoir à payer l'impôt sur le transfert, en faveur du fonds, des actifs de la fiducie ainsi que sur le transfert subséquent des actifs du fonds en faveur de Seafoods Inc.

 

[25]        L'avocat de l'appelante n'a pas soutenu que, compte tenu de l'article 88.1 de la Loi, Seafoods Inc. maintenait la fiducie ou que cette disposition prévoyait le transfert des droits d'appel de la fiducie en faveur de Seafoods Inc. De fait, l'avocat de l'appelante a reconnu que l'article 88.1 incorpore les dispositions relatives à la liquidation figurant au paragraphe 88(1) de la Loi.

 

[26]        En résumé, je suis d'avis que la cession et la prise en charge de toute dette fiscale éventuelle de la fiducie ne donnent pas lieu à l'acquisition par Seafoods Inc. des droits de l'appelante en l'espèce. Comme il en a cidessus été fait mention, le ministre a établi une cotisation à l'égard de la fiducie et c'est la fiducie qui a exercé ses droits d'appel en interjetant appel devant la Cour. Aucune disposition de la Loi ne permet à la fiducie de substituer Seafoods Inc. à titre d'appelante dans le présent appel.

 

[27]        J'examinerai maintenant la common law.

 

[28]        L'article 2.2 de l'entente de transfert de prise en charge conclue entre la fiducie et le fonds prévoit ce qui suit :

 

            [traduction]

           

Le fonds prend en charge et s'engage à payer et à acquitter les dettes, obligations, contrats et engagements existants de la fiducie, de quelque nature ou genre que de soit, et il indemnisera la fiducie à cet égard, ainsi qu'en ce qui concerne toute responsabilité afférente aux impôts, aux intérêts ou aux pénalités pour lesquels la fiducie a fait l'objet ou peut à juste titre faire l'objet d'une cotisation au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada)[8].

 

[29]        À mon avis, une entente par laquelle une partie prend en charge l'obligation fiscale d'une autre partie ne peut pas lier le ministre.

 

[30]        Dans l'ouvrage intitulé : The Law of Contracts in Canada[9], Fridman fait une distinction entre la cession de charges ou d'obligations en vertu d'un contrat et la cession des avantages d'un contrat. En ce qui concerne les charges ou obligations, il dit ce qui suit[10] :

 

            [traduction]

 

Strictement parlant, et sur le plan du droit, il est inexact de parler de la cession des obligations ou charges imposées par contrat à une partie au contrat. Comme il a clairement été dit dans l'arrêt National Trust Co. c. Mead, une partie à un contrat peut céder des droits, mais elle ne peut pas céder d'obligations en vue de se libérer d'une obligation contractuelle. La partie à qui incombe une obligation aux termes d'un contrat est toujours personnellement tenue d'en assurer l'exécution, et elle sera tenue responsable de toute inexécution de l'obligation. [...]

 

[Renvois omis.]

 

[31]        Dans l'arrêt National Trust Co. c. Mead[11], la juge Wilson a écrit ce qui suit :

 

Voilà longtemps que la common law reconnaît que si l'on peut être libre de céder à un tiers les avantages découlant d'un contrat, il n'en va pas de même des obligations contractuelles. C'est là un principe qui procède de la fusion de deux principes fondamentaux du droit des contrats: 1) celui selon lequel les parties peuvent contracter avec qui elles veulent (la liberté contractuelle); et 2) celui selon lequel les parties ne sont pas tenues de s'acquitter d'obligations contractuelles à la création desquelles elles n'ont pas participé (effets relatifs du contrat). [...]

 

[32]        Le fait que Seafoods Inc. est peut-être maintenant légalement tenue, envers la fiducie, de payer une dette fiscale de la fiducie ne change rien au fait que la Couronne est néanmoins créancière de la fiducie. En outre, la prise en charge et la cession d’une telle dette n'entraînent pas le transfert par la fiducie de ses droits d'appel à l'égard des cotisations pertinentes.

 

[33]        Pour les motifs susmentionnés, la requête est rejetée sans frais.

 

[34]        Les parties ont soulevé une autre question. Au cours de son argumentation, l'avocate de l'intimée a déclaré que la fiducie était éteinte. L'avocat de l'appelante a fait remarquer que, si la Cour rejette l'appel pour le motif que la fiducie a été éteinte, le ministre se verra obligé d'établir une cotisation de tiers au titre du paragraphe 160(1) de la Loi, [traduction] « de sorte que le litige au fond reviendra à son point de départ ».

 

[35]        Le problème que posent ces arguments, selon moi, est que la Cour n'est pas saisie de la question de savoir si l'appel doit être rejeté ou abandonné.

 

[36]        En outre, il n'est pas possible, compte tenu de la preuve restreinte dont je dispose, de savoir si la fiducie a qualité pour mener à bien l'appel. De plus, avant de se prononcer, la Cour doit examiner certaines questions de droit que les parties n'ont pas soulevées au cours de l'audition de la requête. Ainsi, compte tenu de la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire 460354 Ontario Inc. et al. v. The Queen, 92 DTC 6536, les parties doivent, à mon avis, traiter de la question de savoir si, eu égard à la situation factuelle qui existe dans ce casci, la Cour doit refuser à un contribuable le droit d'en appeler d'une cotisation validement établie.

 

[37]        Si l'intimée croit que la Cour doit rejeter l'appel, la requête appropriée doit être déposée dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance. Si une telle reqte n'est pas déposée, les parties soumettront par écrit à la Cour un calendrier dont elles auront mutuellement convenu, dans les 45 jours de la date de la présente ordonnance.

 

 

Signé à Antigonish (Nouvelle-Écosse), ce 1er jour de juin 2012.

 

« S. D’Arcy »

Juge D'Arcy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


RÉFÉRENCE :                                 2012CCI186

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-2015(IT)G

 

INTITULÉ :                                      CLEARWATER SEAFOODS HOLDINGS TRUST

                                                          c.

                                                          LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 février 2012

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    L’honorable juge Steven K. D'Arcy

 

DATE ET MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                         Le 1er juin 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bruce S. Russell

Avocate de l'intimée :

Me Melanie Petrunia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Bruce S. Russell

 

                   Cabinet :                        McInnes Cooper

                                                          Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Observations écrites de l'appelante, par. 11.

[2]           L.R.C. 1985, ch. C-44.

[3]           Alinéa 3.1j) du plan d'arrangement produit à titre d'annexe A de l'entente relative à l'arrangement modifiée et révisée contenue dans la pièce B jointe à l'affidavit de Robert Wight.

[4]           L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).

[5]           Voir le paragraphe 2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[6]           Le terme « contribuable » est défini au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu comme incluant « toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l'impôt ». Ce terme peut inclure une personne qui a fait l'objet d'une cotisation à l'égard d'un montant qui n'était pas un revenu de cette personne, par exemple dans le cas d'une personne qui fait l'objet d'une cotisation en vertu du paragraphe 160(1) [voir Gaucher v. The Queen, 2000 DTC 6678 (C.A.F.)].

[7]           Voir La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] C.F. 396 (C.F. 1re inst.).

.[8]           Pièce B jointe à l'affidavit de Robert Wight.

[9]           G.H.L Fridman, The Law of Contract in Canada, 5e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2006), p. 175.

[10]          Ibid., p. 694.

[11]             [1990] 2 R.C.S. 410 , p. 426.

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