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Dossier : 2010-578(EI)

ENTRE :

LAVIN ASSOCIÉS INC,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 10 juin 2011, à Sherbrooke (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Érica Gosselin

Avocat de l'intimé :

Me Simon Vincent

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L'appel est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est infirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 23e jour de mars 2012.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


 

 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 87

Date : 20120323

Dossier : 2010-578(EI)

ENTRE :

LAVIN ASSOCIÉS INC,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              L’appelante interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») datée du 23 novembre 2009, rendue en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »), selon laquelle Me Thomas Lavin,  Me Dominique Lavin et Me Érica Gosselin occupaient un emploi assurable quand ils étaient au service de Lavin Associés Inc. (le « payeur ») au cours des périodes suivantes : du 1er mars au 30 avril 2009 pour Me Thomas Lavin et Me Dominique Lavin et du 6 avril au 30 avril 2009 pour Me Érica Gosselin.

 

[2]              Dans les cas de Me Thomas Lavin et de Me Dominique Lavin, le ministre a décidé qu’ils étaient des employés du payeur pendant les périodes pertinentes aux termes de contrats de louage de services et que leur emploi n’était pas exclu à titre d’emploi assurable, car il était convaincu que ces personnes auraient conclu des contrats de travail à peu près semblables si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance avec le payeur. Dans le cas de Me Érica Gosselin, le ministre a décidé qu’elle était une employée du payeur pendant la période pertinente aux termes d’un contrat de louage de services et qu’elle n’avait pas de lien de dépendance avec le payeur de sorte que son emploi n’était pas exclu à titre d’emploi assurable.

 

[3]              La décision de l’intimé était fondée sur les faits suivants énoncés aux paragraphes 18, 19 et 20 de la Réponse à l’avis d’appel modifiée :

 

18)    Pour rendre sa décision, le ministre a déterminé que les travailleurs occupaient un emploi au terme d’un contrat de louage de service en s’appuyant sur les faits présumés suivants :

a)                  l’appelante a été incorporée le 26 juillet 2007; (admis)

 

b)                  l’appelant exploitait une entreprise d’activités professionnelles, tel une firme d’avocat; (admis)

 

c)                  les trois actionnaires principaux de l’appelante sont les trois travailleurs concernés par le présent litige qui détiennent chacun une part égale des actions avec droit de votes de l’appelante; (admis)

 

d)                  une convention d’actionnaire existe sans toutefois restreindre le droit de vote d’aucun des actionnaires; (admis)

 

e)                  la convention d’actionnaire spécifie aussi que toutes les décisions de conduite d’affaires doivent être approuvées à l’unanimité; (nié)

 

f)                    préalablement à l’incorporation de l’appelante, les trois actionnaires travailleurs exploitaient une étude légale comme société informelle en partage de dépenses; (admis)

 

g)                  les trois travailleurs avaient alors le statut de travailleurs autonomes; (admis)

 

h)                  l’appelante a acquis la bâtisse et les équipements de son siège social en décembre 2008; (admis)

 

i)                    la moitié de la bâtisse et le sous-sol sont utilisés par l’appelante et l’autre moitié comprend 2 logements loués; (admis)

 

j)                    les locaux de l’appelante offre un bureau à chacun des travailleurs et à une secrétaire et un espace pour la réception; (nié)

 

k)                  Thomas A. Lavin et Érica Gosselin ont chacun une secrétaire; (admis)

 

l)                    la secrétaire de Érica Gosselin a son bureau à la réception, Thomas A. Lavin et Dominique Lavin paient chacun un tiers de 20 % du salaire de la secrétaire de Érica Gosselin, il en est de même pour la secrétaire de Thomas A. Lavin qui consacre une journée par semaine à la tenue de livre; (admis)

 

m)                le but de l’incorporation était de réduire la paperasse et de faire qu’une seule comptabilité; (admis)

 

n)                  dans les faits, il y a les dépenses dites communes reliées à la bâtisse et à la papeterie et les dépenses inhérentes aux mandats de chacun des avocats et qui sont comptabilisées par avocat; (nié)

 

o)                  les heures d’affaires de l’appelante sont du lundi au vendredi de 8 h 30 à 17 h mais il arrive aux avocats d’amener du travail à leur domicile; (nié)

 

p)                  généralement, Érica Gosselin et Dominique Lavin travaillent 5 jours alors que Thomas A. Lavin travaille 4 jours; (nié)

 

q)                  la clientèle de l’appelante confie le mandat à l’appelante; (admis)

 

r)                   la facturation est faite au client au nom de l’appelante; (nié)

 

s)                   l’appelante reçoit tous les revenus qui sont comptabilisées dans les livres de l’appelante sous le nom du travailleur qui a généré ledit revenu; (admis)

 

t)                    les chèques de l’appelante requièrent la signature de deux ou trois actionnaires travailleurs; (admis)

 

u)                  chacun des actionnaires bénéficie d’une voiture fourni par l’appelante; (admis)

 

v)                  les travailleurs essaient de s’organiser afin de ne pas laisser le bureau vide lorsque vient le temps des vacances; (admis)

 

w)                de la date d’incorporation au 28 février 2009, aucun salaire ne fut versé aux travailleurs actionnaires, car ils prenaient des avances selon leurs besoins respectifs et à la fin de l’année, le comptable convertissait les avances en dividendes; (nié)

 

x)                  en janvier 2009, les actionnaires travailleurs ont convenu verbalement de se verser du salaire et ce à compter du 1er mars 2009; (admis)

 

y)                  depuis le 1er mars 2009, Thomas A. Lavin et Dominique Lavin reçoivent un salaire; (admis)

 

z)                   bien que les salaires versés étaient sur une base annuelle, ils différaient selon les travailleurs, en effet Dominique Lavin recevait un salaire annuel de 32 000 $, Thomas A. Lavin de 10 000 $ et Érica Gosselin de 42 000 $; (admis)

 

aa)               le montant des salaires a plusieurs fois changé pour se fixer à un salaire égal basé sur le maximum de la rémunération du Régime de rentes du Québec; (nié)

 

bb)              Érica Gosselin a été en congé de maternité du 28 juin 2008 au 5 avril 2009; (admis)

 

cc)               elle a donc commencé à recevoir un salaire de l’appelante à son retour le 6 avril 2009; (admis)

 

dd)              seule, des trois travailleurs actionnaires, Érica Gosselin a choisi de souscrire à une assurance salaire dont elle paie elle-même la prime; (nié)

 

ee)               l’appelante est propriétaire des polices d’assurances et en paie les primes; (nié)

 

19)         L’appelante et 2 des travailleurs sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

a)             les actionnaires de l’appelante étaient, à part égale, Thomas A. Lavin, Dominique Lavin et Érica Gosselin; (admis)

 

b)            Thomas A. Lavin est le père de Dominique Lavin; (admis)

 

c)             il n’y a aucun lien de dépendance entre Thomas A. Lavin, Dominique Lavin et Érica Gosselin; (nié)

 

d)            l’appelante reconnaît que les trois travailleurs actionnaires forment un groupe lié aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. (admis)

 

20)         Le ministre a déterminé que l’appelante et les travailleurs étaient réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de ces emplois, car il a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure que l’appelante et les travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

a)             les trois travailleurs actionnaires, incluant les travailleurs liés, exerçaient les mêmes fonctions d’avocats; (admis)

 

b)            les conditions de travail étaient les mêmes pour les travailleurs actionnaires liés que pour Érica Gosselin; (nié)

 

c)             les trois travailleurs, incluant les travailleurs actionnaires liés, ont vécu la même fluctuation salariale, les mêmes modalités de rémunération et la même fixation du montant du salaire; (nié)

 

d)            les tâches accomplies par les travailleurs actionnaires correspondent aux besoins et aux attentes de l’appelante et son essentielles à celle-ci; (nié)

 

[4]              Je note que chacun des travailleurs a témoigné à l’appui de la position du payeur et que seule madame Lyne Courcy, l’agente des appels (qui a révisé la décision de l’agent d’assurabilité ayant déterminé que les travailleurs occupaient un emploi assurable quand ils étaient au service du payeur pendant les périodes pertinentes) a témoigné à l’appui de la décision de l’intimé.

 

[5]              Le témoignage des travailleurs, qui m’ont paru fort crédibles, pourrait se résumer ainsi :

 

1)                 Après la constitution (ou incorporation) du payeur en personne morale, chacun d’eux a continué à gérer sa pratique d’avocat de la même façon qu’il le faisait lorsqu’il pratiquait le droit dans le cadre de la société nominale. À cet égard, ils ont expliqué que :

 

i)                   le payeur ne supervisait pas leur travail. Chacun d’eux déterminait son horaire de travail et pouvait modifier ses heures de travail à sa guise. Chacun d’eux pouvait s’absenter quand il le voulait et planifier son travail en fonction de ses préoccupations familiales et personnelles. Chacun d’eux déterminait lui-même la date et la durée de ses vacances;

 

ii)                 chacun d’eux avait le choix d’accepter ou de refuser un mandat;

 

iii)               chacun d’eux obtenait du payeur (sous forme de salaire, de boni ou de dividende, et ce, à son choix) le bénéfice net qu’il générait au sein du payeur, le bénéfice net étant essentiellement le résultat obtenu en soustrayant des horaires qu’il avait facturés la somme des deux montants suivants :

 

a)     sa part des dépenses communes (telles les dépenses liées à la bâtisse); et

 

b)    les dépenses inhérentes liées à sa pratique du droit (tels les frais d’huissiers, les frais de cour, les frais de sténographie, les frais d’expertise, le salaire de sa secrétaire, les dépenses liées à la location d’une automobile mise à sa disposition par le payeur et le paiement de primes d’assurance‑invalidité dont il était le bénéficiaire;

 

iv)               chacun d’eux pouvait exiger du payeur qu’il loue une automobile qui serait mise à sa disposition, ou encore qu’il embauche une secrétaire ou encore un avocat, à titre d’employé qui serait mis exclusivement à sa disposition, les dépenses ainsi encourues par le payeur étant comptabilisées comme des dépenses propres à ce travailleur dans le calcul du bénéfice net généré par sa pratique;

 

v)                 les travailleurs travaillaient quasi exclusivement sur les dossiers des clients qu’ils avaient recrutés.

 

2)                 Les travailleurs avaient convenu, lors de la constitution du payeur, que celui-ci ne leur donnerait aucune directive ou ne superviserait d’aucune façon leur pratique. Ils ont expliqué qu’ils étaient assujettis à seulement deux règles : celle qu’un travailleur ne doit pas obtenir du payeur un montant plus élevé que le bénéfice net généré par sa pratique du droit et celle qu’un travailleur doit indemniser le payeur dans le cas où les honoraires générés par sa pratique du droit seraient inférieurs à la somme de sa part des dépenses communes et des dépenses propres à sa pratique du droit.

 

3)                 Les travailleurs n’étaient pas liés entre eux ou envers le payeur par quelque clause de non-concurrence que ce soit. Les travailleurs ont expliqué qu’ils avaient convenu que chaque travailleur demeurait toujours propriétaire de la clientèle qu’il recrutait et qu’il pouvait la conserver s’il décidait de pratiquer le droit ailleurs qu’au sein du payeur.

 

[6]              La preuve a par ailleurs révélé que :

 

i)                   Me Thomas A. Lavin et Me Dominique Lavin n’ont aucun lien de parenté avec Me Érica Gosselin.

 

ii)                 Me Dominique Lavin, MÉrica Gosselin et Me Thomas A. Lavin détiennent 400 actions de catégorie A‑1, 400 actions de catégorie A‑2 et 400 actions de catégorie A‑3, respectivement. Les trois catégories d’actions en question comportent toutes des actions de type ordinaire assorties du droit de vote. Ces actions de catégories distinctes permettent, par exemple, au payeur de verser un dividende au détenteur des actions de catégorie A‑1 sans être obligé d’en verser un aux détenteurs d’action des autres catégories. C’est ce qui explique qu’en 2009 les travailleurs ont reçu des dividendes inégaux. En effet, Me Érica Gosselin, Me Thomas A. Lavin et Me Dominique Lavin ont reçu au cours de cette année des dividendes de 32 000 $, de 10 000 $ et de 19 000 $, respectivement. Il convient aussi de souligner que les feuillets de renseignements pour l’année 2009 établis par le payeur indiquent des revenus d’emploi de 32 000 $, de 61 964 $ et de 60 372 $ à l’égard de Me Érica Gosselin, de Me Thomas Lavin et de Me Dominique Lavin, respectivement.

 

iii)               Le conseil d’administration du payeur est composé de deux personnes. Pendant les périodes pertinentes, Me Dominique Lavin et MÉrica Gosselin étaient les deux administrateurs du payeur. Il convient de souligner qu’aux termes de la convention entre actionnaires signée par les travailleurs (pièce I‑1, onglet 6), ces derniers se sont engagés à prendre les mesures nécessaires et à utiliser les droits de vote rattachés à leurs actions qu’ils possédaient pour élire au conseil d’administration du payeur et y maintenir en place « au moins » Me Dominique Lavin et Me Érica Gosselin ou leurs représentants. Je note aussi qu’aux termes de cette convention, toute décision concernant la rémunération des travailleurs et la déclaration de dividendes devait être approuvée par le vote unanime des actionnaires du payeur. Je note toutefois que l’allégué du ministre au paragraphe 18 e) de la Réponse est inexact en ce que seulement les décisions concernant les matières décrites au paragraphe 9.1 de la convention entre actionnaires devaient être approuvées par le vote unanime des actionnaires.

 

iv)               Me Dominique Lavin et Me Gosselin s’étaient portés cautions à l’égard de la marge de crédit du payeur qui était de 35 000 $.

 

v)                 Les trois travailleurs s’étaient portés cautions à l’égard du prêt hypothécaire contracté par le payeur.

 

Analyse et conclusion

 

[7]              La première question à laquelle il faut répondre dans la présente affaire est la suivante : Est-ce que les travailleurs étaient des employés du payeur pendant les périodes pertinentes aux termes de contrats de louage de services?

 

[8]              Quand les tribunaux ont à définir des notions de droit privé québécois aux fins de l'application d'une loi fédérale, telle la Loi sur l'assurance-emploi, ils doivent se conformer à la règle d'interprétation à l'article 8.1 de la Loi d'interprétation.  Pour déterminer la nature d'un contrat de travail québécois et le distinguer d'un contrat de service, il faut, tout au moins depuis le 1er juin 2001, se fonder sur les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« Code civil »). Ces règles sont incompatibles avec les règles énoncées dans des arrêts comme 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Contrairement à la situation qui existe dans les provinces de common law, au Québec les éléments constitutifs du contrat de travail ont été codifiés et les tribunaux n'ont plus, depuis l'entrée en vigueur de l'article 2085 et de l'article 2099 du Code civil, le 1er janvier 1994, la latitude qu'ont les tribunaux de common law pour définir ce qui constitue un contrat de travail. S'il est nécessaire de s'appuyer sur des décisions jurisprudentielles pour déterminer s'il existait un contrat de travail, il faut choisir celles où fut appliquée une approche conforme aux principes du droit civil.

 

[9]              Dans le Code civil, des chapitres distincts portent sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097) et sur le « contrat d'entreprise et de service » (articles 2098 à 2129).

 

[10]         L'article 2085 porte que le contrat de travail :

 

[...] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

(nos soulignés)

 

[11]         L'article 2098 porte que le contrat d'entreprise :

 

[...] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[12]         L'article 2099 suit, rédigé dans les termes suivants :

 

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[13]         On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. Il faut donc déterminer en l’espèce s'il y avait ou non un lien de subordination entre le payeur et les travailleurs.

 

[14]         Le payeur a le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir son droit à l'annulation de la décision du ministre. Il doit prouver le contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. S'il n'y a pas de preuve directe de cette intention, le payeur peut avoir recours à des indices conformément au contrat qui avait été convenu et aux dispositions du Code civil qui le régissaient. Le payeur doit en l’espèce prouver l’absence d'un lien de subordination s’il veut établir l’inexistence d'un contrat de travail et, pour ce faire, il peut utiliser, si nécessaire, des indices d’autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, précité, soient la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit. Je suis d’avis toutefois que, contrairement à l’approche qui a cours en common law, une fois qu’un juge est en mesure de conclure à l’absence d’un lien de subordination, son analyse s’arrête là pour déterminer s’il s’agit d’un contrat de service. Il ne lui est pas nécessaire de tenir compte de la pertinence de la propriété des outils ainsi que du risque de perte ou de la possibilité de profit, puisqu’en vertu du Code civil, l’absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tels la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l’absence d'un lien de subordination est un élément essentiel. À l’égard des deux formes de contrat, il faut décider s'il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que le travailleur se comportait comme un entrepreneur pourrait être un indice de l’absence de lien de subordination.

 

[15]         En l’espèce, la preuve a établi clairement que les travailleurs exerçaient leur profession, au sein du payeur, comme bon leur semblait. En d’autres termes, la preuve a établi clairement que les travailleurs ne travaillaient pas sous le contrôle ou la direction du payeur pendant les périodes pertinentes.

 

[16]         Puisque la preuve a révélé que le payeur n’avait pas en l’espèce exercé son contrôle sur les travailleurs pendant les périodes pertinentes, il faut maintenant répondre à la question suivante : est-ce que le payeur avait le pouvoir de contrôler l’exécution du travail des travailleurs? C’est du moins ce que la Cour d’appel fédérale nous demande de faire dans une telle situation. À cet égard, je reproduirai les propos du juge Noël dans l’arrêt Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc., 2002CAF144, [2002] A.C.F. no 572, par. 5 :

 

5     La question que devait se poser le premier juge était de savoir si la société avait le pouvoir de contrôler l'exécution du travail des travailleurs et non pas si la société exerçait effectivement ce contrôle. Le fait que la société n'ait pas exercé ce contrôle ou le fait que les travailleurs ne s'y soit pas senti assujettis lors de l'exécution de leur travail n'a pas pour effet de faire disparaître, réduire ou limiter ce pouvoir d'intervention que la société possède, par le biais de son conseil d'administration.

 

[17]         À mon avis, la question qu’il faut se poser maintenant est la suivante : est‑ce que le payeur a renoncé à son pouvoir de direction ou de contrôle ou est-ce que ce droit a été réduit, limité ou même annulé? La Loi sur les compagnies (voir les textes 123.91 à 123.93) prévoit que les actionnaires peuvent, si tous y consentent et font une convention écrite à cet effet, restreindre le pouvoir des administrateurs. En l’espèce, le payeur n’a pas fait la preuve qu’une convention unanime d’actionnaires restreignant ou annulant le pouvoir de son conseil d’administration à l’égard du travail des travailleurs existant pendant les périodes pertinentes. Tout au long du litige, la preuve a révélé que, pendant les périodes pertinentes, il existait une convention verbale entre les travailleurs selon laquelle le payeur ne contrôlerait ni ne dirigerait d’aucune façon leur travail. Or, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. v. Canada, [1998] A.C.S. no. 41, [1998] 1 R.C.S. 795 nous enseigne qu’une telle convention verbale ne pouvait avoir pour effet de restreindre ou d’annuler le pouvoir des administrateurs sur le travail des travailleurs. Toutefois, il ressort du témoignage crédible des travailleurs que ces derniers avaient en quelque sorte convenu verbalement, non seulement entre eux, mais aussi avec le payeur, que ce dernier, par le biais du conseil d’administration, n’exercerait aucunement son droit de direction ou de contrôle à l’égard de leur travail ou à l’égard de l’exercice de leur profession. À cet égard, je note particulièrement le témoignage de Me Dominique Lavin (qui a proposé la constitution du payeur) selon lequel les deux autres travailleurs avaient en quelque sorte accepté d’exercer leur profession au sein du payeur à la condition que la totale liberté qu’ils avaient au sein de la société nominale à l’égard de l’exercice de leur profession soit maintenue au sein du payeur. Je souligne que Me Thomas A. Lavin a essentiellement témoigné dans le même sans (voir les notes sténographiques dactylographiées, page 4, paragraphes 15 à 25 et page 5, paragraphes 1 à 16).

 

[18]          Puisqu’aux termes du contrat verbal intervenu entre les travailleurs et le payeur, ce dernier s’était engagé (engagement qui, faut-il le rappeler, a été respecté) à ne pas diriger ou contrôler le travail des travailleurs, je dois conclure que ce contrat est un contrat de service au sens de l’article 2098 du Code civil et non un contrat de travail au sens de l’article 2085 du Code civil. Je rappelle que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d’un contrat de travail est l’absence, dans le premier cas, d’un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l’employeur de diriger et de contrôler l’employé. 

 

[19]         Il ressort aussi des dispositions du Code civil, concernant le contrat de travail, que

 

i) les obligations de l’employeur en vertu de l’article 2087 du Code civil sont les suivantes : 1) fournir le travail, 2) rémunérer le salarié, 3) assurer la santé, la sécurité et la dignité du salarié.

 

ii) par ailleurs, en vertu de l’article 2088, le salarié a notamment l’obligation d’exécuter personnellement le travail convenu, tel que le lui fournit l’employeur.

 

[20]         En l’espèce, la preuve a révélé clairement que le payeur ne fournissait aucun travail aux travailleurs. Étant donné que le payeur ne fournissait pas de travail aux travailleurs, force est de conclure qu’ils n’avaient pas d’obligation d’exécuter du travail pour le payeur et qu’ainsi les travailleurs n’étaient pas liés au payeur en vertu d’un contrat de travail aux termes de l’article 2085 du Code civil. En fait, la preuve a révélé que les travailleurs ne travaillaient pas véritablement pour le compte du payeur. En effet, le mode de rémunération des travailleurs démontre très clairement que ces derniers travaillaient uniquement dans le but d’assurer la réussite de leur propre pratique.

 

[21]         Compte tenu de ma conclusion, selon laquelle les travailleurs n’étaient pas des employés du payeur pendant les périodes pertinentes aux termes d’un contrat de louage de services, il ne m’apparaît pas nécessaire d’examiner les autres questions qui ont donné lieu à la décision du ministre.

 

[22]         Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 23e jour de mars 2012.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 87

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-578(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LAVIN ASSOCIÉS INC ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 10 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 23 mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Érica Gosselin

Avocat de l'intimé :

Me Simon Vincent

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Érica Gosselin

                 Cabinet :                           Lavin Associés Inc.

                     Ville :                            Cowansville (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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