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Dossier : 2011-524(IT)I

ENTRE :

VICTOR G.E. KREUZ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 février 2012, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimée :

Me John Grant

Me Leslie Ross

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel formé contre la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2007 est accueilli pour ce qui concerne les pénalités appliquées en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi, et il est rejeté pour ce qui concerne les frais afférents à un véhicule à moteur déduits par l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juillet 2012.

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2012.

 

S. Tasset


 

 

 

Référence : 2012 CCI 238

Date : 20120705

Dossier : 2011-524(IT)I

ENTRE :

VICTOR G.E. KREUZ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge D’Auray

 

 

[1]             Les points soulevés dans le présent appel sont les suivants :

 

a.                 L’appelant peut-il déduire la somme de 4 102 $ à titre de frais afférents à un véhicule à moteur pour son année d’imposition 2007?

 

b.                 L’appelant est-il tenu de payer une pénalité, aux termes du paragraphe 162(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), pour défaut répété de production de sa déclaration de revenus de 2007 dans les délais fixés par la Loi?

 

[2]             À mon avis, l’appelant n’a pas droit à la déduction de ses frais afférents à un véhicule à moteur étant donné qu’il ne répond pas aux exigences de l’article 8 de la Loi, plus précisément celles du paragraphe 8(10) et de l’alinéa 8(1)h.1).

 

[3]             Je suis également d’avis que l’appelant n’est pas tenu de payer la pénalité prévue par le paragraphe 162(2) de la Loi.

 

[4]             L’appelant travaille comme enseignant occasionnel pour deux conseils scolaires, à savoir le Conseil scolaire du district catholique de Peterborough Victoria Northumberland et Clarington (le « conseil des écoles catholiques ») et le Conseil scolaire du district Kawartha Pine Ridge (le « conseil des écoles publiques »).

 

[5]             En sa qualité d’enseignant occasionnel, l’appelant travaillait à diverses écoles pour les deux conseils.

 

[6]             L’appelant n’était pas remboursé par l’un ou l’autre des conseils des frais de déplacement qu’il supportait pour se rendre aux diverses écoles.

 

[7]             Pour l’année visée par l’appel, aucun des conseils n’a remis à l’appelant le formulaire prescrit (le « formulaire T2200 ») dont parle le paragraphe 8(10) de la Loi, un formulaire attestant qu’il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi.

 

 

Appels antérieurs de l’appelant se rapportant à ses frais afférents à un véhicule à moteur

 

[8]             Ce n’est pas la première fois que l’appelant fait appel à la Cour à propos de ses frais afférents à un véhicule à moteur. Il avait aussi fait appel pour ses années d’imposition 2005 et 2006.

 

[9]             Le 17 août 2009, le juge McArthur a rendu un jugement portant sur l’année d’imposition 2005 de l’appelant.

 

[10]        Il a conclu que l’appelant n’avait pas droit à la déduction de ses frais afférents à un véhicule à moteur engagés pour enseigner dans les écoles du conseil des écoles publiques.

 

[11]        Selon le juge McArthur, l’appelant ne remplissait pas la condition du paragraphe 8(10) de la Loi, c’est-à-dire qu’il ne disposait pas du formulaire T2200 signé par le conseil des écoles publiques et attestant qu’il remplissait les conditions énoncées à l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi.

 

[12]        S’agissant du conseil des écoles catholiques, le juge McArthur a conclu, après analyse de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi, que l’appelant était fondé à déduire ses frais afférents à un véhicule à moteur. Selon lui, il répondait aux conditions énoncées au paragraphe 8(10) de la Loi. L’appelant disposait d’un formulaire T2200 signé par un représentant du conseil des écoles catholiques, formulaire qui attestait qu’il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi (voir les paragraphes 8 à 18 des motifs du jugement rendu par le juge McArthur).

 

[13]        Le 16 mars 2011, j’ai instruit l’appel de l’appelant concernant ses frais afférents à un véhicule à moteur pour son année d’imposition 2006.

 

[14]        La question des frais se rapportant au conseil des écoles catholiques a été résolue à la faveur d’un jugement convenu (voir le recueil de jurisprudences et de doctrine de l’intimée, onglets 7 et 8).

 

[15]        L’appelant ne disposait pas d’un formulaire T2200 pour ses frais afférents à un véhicule à moteur se rapportant au conseil des écoles publiques. Il n’a pas non plus apporté la preuve de circonstances exceptionnelles justifiant l’absence du formulaire. Je suis donc arrivée à la conclusion que l’appelant n’avait pas droit à la déduction de ses frais afférents à un véhicule à moteur puisqu’il ne disposait pas d’un formulaire T2200 signé par son employeur. Étant donné que le formulaire T2200 est une condition préalable à la déduction de frais afférents à un véhicule à moteur, je ne me suis pas demandé si l’appelant remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi.

 

[16]        J’ai donc accueilli l’appel conformément au jugement convenu en ce qui concerne le conseil des écoles catholiques, et j’ai rejeté l’appel en ce qui concerne le conseil des écoles publiques.

 

 

Le présent appel

 

[17]        Les conditions d’emploi de l’appelant pour l’année d’imposition 2007 sont les mêmes que pour les années d’imposition 2005 et 2006, mais il y a deux distinctions importantes dans les faits par rapport aux deux audiences antérieures.

 

[18]        La première distinction est que le conseil des écoles catholiques n’a pas, pour l’année d’imposition 2007, fourni de formulaire T2200 en application du paragraphe 8(10) de la Loi, comme il l’avait fait pour les années d’imposition 2005 et 2006. Par conséquent, l’appelant n’avait pas, pour l’année visée par l’appel, un formulaire T2200, délivré par le conseil des écoles catholiques ou par le conseil des écoles publiques, attestant qu’il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1).

 

[19]        La deuxième distinction est que, contrairement aux deux années antérieures, où aucune des parties n’avait appelé de témoins, Mme Terry Smith, du conseil des écoles catholiques, a témoigné pour l’intimée dans le présent appel.

 

 

Le témoignage de Mme Terry Smith

 

[20]        Mme Smith est la contrôleuse des finances du conseil des écoles catholiques. Elle occupe ce poste depuis 2005.

 

[21]        Elle est comptable agréée, et, avant de travailler pour le conseil des écoles catholiques, elle avait travaillé durant 17 ans au cabinet de comptables agréés BDO Dunwoody, à Peterborough, en tant que directrice responsable des vérifications, de la comptabilité et de l’impôt.

 

[22]        Au conseil des écoles catholiques, elle était chargée de la paie, du budget et de la comptabilité.

 

[23]        Elle a expliqué la procédure suivie par le conseil des écoles catholiques en 2007 pour le recrutement d’enseignants occasionnels. Elle a déclaré que le conseil des écoles catholiques utilisait un service appelé [traduction] « Postuler pour enseigner ». Le service des ressources humaines établissait une liste d’enseignants occasionnels qui étaient disposés à travailler. La liste était appelée la « liste des occasionnels ». Le conseil disposait d’un système automatisé de prise de contact dans lequel la liste des occasionnels était enregistrée. Si, dans une école, un enseignant régulier devait s’absenter et qu’un enseignant occasionnel était requis, alors l’enseignant régulier faisait appel au système automatisé de prise de contact. Le système appelait le premier enseignant occasionnel sur la liste. Si celui-ci acceptait l’affectation, alors elle lui était offerte. Sinon, l’enseignant occasionnel, dont le nom était le suivant sur la liste était appelé et se voyait offrir l’affectation.

 

[24]        Elle a aussi expliqué que, lorsque des enseignants occasionnels sont inscrits sur la liste, ils indiquent la région géographique où ils sont disposés à travailler. Le conseil compte quatre régions, et les enseignants occasionnels sont autorisés à choisir une ou plusieurs d’entre elles. Les enseignants peuvent aussi choisir les jours ou périodes où ils souhaitent travailler; par exemple, certains souhaitent travailler uniquement le matin.

 

[25]        Mme Smith a indiqué que les enseignants occasionnels ne sont pas tenus d’avoir un permis de conduire ou de disposer d’un véhicule quand ils travaillent pour le conseil des écoles catholiques. Dans ses annonces destinées aux enseignants occasionnels, le conseil des écoles catholiques n’a jamais imposé de telles exigences. D’ailleurs, ces exigences ne font pas partie de la convention collective des enseignants occasionnels.

 

[26]        Mme Smith a déclaré qu’elle avait découvert en 2006 que l’un de ses employés du service de comptabilité délivrait des formulaires T2200 aux enseignants occasionnels.

 

[27]        Elle a dit qu’elle s’était alors demandé si c’était une pratique légitime. Elle avait d’abord pensé que non. Avant de se prononcer, elle avait relu les dispositions de la Loi, ainsi que le bulletin d’interprétation se rapportant aux frais afférents à un véhicule à moteur. Elle avait aussi discuté de la question avec le service des ressources humaines pour s’assurer de bien comprendre les modalités et conditions de travail régissant l’emploi des enseignants occasionnels. Elle avait passé en revue la convention collective applicable aux enseignants occasionnels. Elle avait également discuté de la question avec le surintendant du conseil, lui aussi comptable agréé. Elle avait prié également BDO Dunwoody d’exprimer un avis sur la question de savoir si un formulaire T2200 devrait être remis aux enseignants occasionnels (voir la pièce A-27). En conclusion de sa recherche et de ses interrogations, elle avait conclu que le formulaire T2200 ne devrait pas être délivré aux enseignants occasionnels.

 

[28]        Se conformant à ses instructions, le conseil a cessé durant l’année d’imposition 2007 de remettre le formulaire T2200 aux enseignants occasionnels.

 

[29]        Autrement dit, elle était d’avis que l’appelant ne remplissait pas les conditions de l’alinéa 8(1)h.1).

 

[30]        Elle a déclaré qu’elle ne croyait pas que l’appelant était tenu, aux termes de son contrat d’emploi, d’acquitter ses frais afférents à un véhicule à moteur. Selon elle, ce n’était pas une condition explicite, ni une condition implicite, du contrat d’emploi de l’appelant.

 

[31]        Elle a aussi déclaré que l’appelant n’était pas tenu de se déplacer pour le conseil des écoles catholiques. Il n’était pas tenu de se déplacer d’une école à une autre. Les déplacements de l’appelant, depuis son domicile vers une école où il enseignait chaque jour, représentaient, selon Mme Smith, une dépense personnelle.

 

 

La position de l’appelant

 

[32]        L’appelant est d’avis qu’il remplit les conditions de l’alinéa 8(1)h.1).

 

[33]        Selon lui, il était clair qu’il travaillait à différents endroits durant la semaine, et que le bon sens devrait l’emporter. Au cours d’une semaine, par exemple, il pouvait travailler à plusieurs écoles; il pouvait se trouver à une école différente chaque jour. Il avait besoin d’une voiture pour se rendre à l’école où il enseignait chaque jour. Il a déclaré qu’on l’informait, à court préavis, de l’endroit où il devait travailler, et il n’y avait aucun autre moyen de transport.

 

[34]        Selon l’appelant, il était clair aussi que son contrat d’emploi renfermait une condition implicite selon laquelle il devait acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur engagés par lui dans l’accomplissement des fonctions de son emploi.

 

[35]        Il a aussi déclaré que les enseignants occasionnels devaient se tenir disponibles ou bien donner une explication raisonnable en cas de refus d’une affectation. Un enseignant occasionnel qui refusait deux affectations au cours d’une période de soixante jours ouvrables était retiré de la liste des occasionnels, c’est-à-dire qu’il était congédié (voir la pièce A-16, article 13.07 de la convention collective).

 

[36]        L’appelant a aussi déclaré qu’il ne déduisait pas ses frais afférents à un véhicule à moteur quand il enseignait à Peterborough parce que son lieu de travail se trouvait alors à proximité de son domicile. Il ne déduisait que les frais entraînés par des affectations à l’extérieur de Peterborough.

 

[37]        L’appelant invoque le principe de l’autorité de la chose jugée et le principe de l’abus de procédure. À son avis, l’intimée devrait être empêchée de persister dans le présent appel compte tenu de la décision rendue en 2009 par le juge McArthur pour l’année d’imposition 2005 de l’appelant. Accueillant son appel pour l’année d’imposition 2005 se rapportant au conseil des écoles catholiques, le juge McArthur avait fait les constatations suivantes :

 

a.                 l’appelant détenait, comme l’exigeait le paragraphe 8(10), un formulaire T2200 signé par un représentant du conseil des écoles catholiques, mais il lui avait été impossible d’en obtenir un du conseil des écoles publiques;

b.                 l’appelant remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1); le lieu d’affaires de l’employeur était le conseil des écoles catholiques de Peterborough;

c.                  l’appelant devait se rendre à diverses écoles. Il devait, à court préavis, parcourir entre 10 et 60 kilomètres depuis son domicile, et il avait pour cela besoin d’un véhicule. Il devait entretenir le véhicule à ses propres frais. Son véhicule était un instrument de travail nécessaire. Soit qu’il n’y avait pas d’autres moyens de transport possibles, soit que ceux‑ci n’étaient pas pratiques;

d.                 il existait un contrat implicite entre l’appelant et son employeur; l’appelant devait acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur engagés par lui dans l’accomplissement de ses fonctions pour le conseil;

e.                  la déduction demandée par l’appelant pour ce qui concerne le conseil des écoles publiques avait un fondement différent étant donné que l’appelant n’avait pas obtenu le formulaire T2200 de son employeur.

 

[38]        L’appelant est d’avis que l’intimée doit se conformer aux conclusions suivantes tirées par le juge McArthur pour son année d’imposition 2007 :

 

                         i.                  l’appelant devait se rendre à différentes écoles;

                       ii.                  il y avait dans son contrat d’emploi une condition implicite selon laquelle il devait acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur engagés par lui dans l’accomplissement de ses fonctions;

                    iii.                  il avait engagé des frais afférents à un véhicule à moteur pour pouvoir se déplacer dans l’accomplissement des fonctions de son emploi.

 

[39]        L’appelant affirme que le fait de ne pas recevoir un formulaire T2200 du conseil des écoles catholiques ou du conseil des écoles publiques ne devrait pas le priver de la possibilité de déduire ses frais afférents à un véhicule à moteur. Il affirme que l’interprétation des conditions de la convention collective par le juge McArthur représente l’état du droit et que cette interprétation l’emporte sur la manière dont Mme Smith considère la convention collective. Selon lui, compte tenu des motifs exposés par le juge McArthur dans sa décision, le conseil des écoles catholiques et le conseil des écoles publiques ont tous les deux eu tort de ne pas lui remettre un formulaire T2200.

 

[40]        L’appelant fait valoir que sa situation entre dans les circonstances exceptionnelles évoquées dans la décision Brochu c. R, 2010 CCI 274, où le juge Boyle, s’exprimant à propos du formulaire T2200, écrivait au paragraphe 11 de ses motifs que, dans des circonstances exceptionnelles, un contribuable pouvait déduire ses frais afférents à un véhicule à moteur sans avoir de formulaire T2200 :

 

[11]  Je tiens également à faire remarquer que le libellé du paragraphe 8(10) exige un formulaire T2200 dûment rempli et signé et qu’un tel formulaire n’a pas été fourni à M. Brochu. Bien qu’il soit possible que dans des circonstances exceptionnelles, on puisse obtenir une déduction fondée sur l’alinéa 8(1)h.1) si l’employeur a refusé sans motif valable de remplir et de signer le formulaire T2200 ou s’il n’a pas pu le faire, il est évident que tel n’est pas le cas en l’espèce. Selon le témoignage d’un cadre d’Abitibi, Abitibi n’a pas rempli et signé un formulaire T2200 dans le cas de M. Brochu parce qu’elle ne croyait pas que M. Brochu remplissait les conditions requises et parce qu’elle avait obtenu auparavant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») un avis écrit selon lequel l’ARC estimait que les employés d’Abitibi qui se trouvaient dans des circonstances pareil[le]s à celles de M. Brochu n’avaient pas droit à la déduction. La Cour est arrivée à la même conclusion. En l’espèce, l’absence du formulaire T2200 commande le rejet des appels.

 

[41]        L’appelant a prétendu que, puisque le juge McArthur avait conclu que ses conditions d’emploi répondaient aux exigences de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi, et puisque selon la preuve ses conditions d’emploi n’avaient pas changé, l’intimée ne pouvait pas remettre en cause ses conditions d’emploi. Au soutien de sa position, l’appelant a invoqué un arrêt de la Cour d’appel fédérale, 742190 Ontario Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2010 CAF 162, où l’on a jugé que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique aux appels relevant de la procédure informelle. Au paragraphe 44, la juge Sharlow, de la Cour d’appel fédérale, s’exprimait ainsi :

 

[44]  Je suis d’accord avec l’avocat de Van Del Manor quant au sens à donner à l’article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. Dire qu’un jugement n’a aucun caractère jurisprudentiel signifie qu’il n’énonce pas le droit de manière à lier les affaires futures. Un jugement peut, pour d’innombrables raisons, n’avoir aucun caractère jurisprudentiel mais, néanmoins, il lie les parties et peut empêcher une partie de tenter de remettre en litige une question déjà tranchée en faveur de l’autre partie avec les mêmes faits.

 

[42]        Il a aussi fait valoir que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») avait agi d’une manière déraisonnable et, pour reprendre les termes employés par lui qui sont reproduits à la page 147 de la transcription, [TRADUCTION] « ma ligne de défense est cette partie de mon argument adressée au Canada, et ce qui rend la présente affaire différente des autres, c’est que, contrairement à ce qui m’a toujours été dit, Revenu Canada aurait pu exiger ce formulaire de mon employeur, et mon argument selon lequel Revenu Canada s’est montré intransigeant dans sa manière de me traiter, en me refusant tout bonnement la déduction de mes frais du seul fait que je n’ai pas ce formulaire ».

 

[43]        De l’avis de l’appelant, il était déraisonnable pour l’ARC de ne pas expliquer à ses employeurs, en langage simple, les motifs du jugement du juge McArthur. L’ARC aurait également agi d’une manière déraisonnable en n’expliquant pas aux employeurs de l’appelant qu’ils devaient se conformer à la décision du juge McArthur. Il était donc déraisonnable pour l’ARC de ne pas contraindre ses employeurs à lui délivrer un formulaire T2200.

 

[44]        Il a aussi affirmé que, selon le paragraphe 220(2.1) de la Loi, le ministre du Revenu national (le « ministre ») était à même de le dispenser de l’obligation de produire un formulaire prescrit. Il a aussi invoqué le paragraphe 162(5) de la Loi pour dire qu’une pénalité aurait dû être imposée à ses employeurs pour refus de lui délivrer les formulaires T2200. Selon lui, ses employeurs auraient dû lui délivrer les formulaires même s’il s’agissait de formulaires T2200 selon lesquels il ne remplissait pas les conditions voulues.

 

 

La position de l’intimée

 

[45]        L’intimée a d’abord rappelé à la Cour que, même si le juge McArthur a accueilli l’appel de l’appelant pour l’année d’imposition 2005 se rapportant au conseil des écoles catholiques, son appel se rapportant au conseil des écoles publiques a été rejeté parce que l’appelant ne disposait pas d’un formulaire T2200 délivré par ce conseil.

 

[46]        Dans le présent appel, l’appelant n’a pas de formulaire T2200 délivré par le conseil des écoles catholiques ni par le conseil des écoles publiques. Le paragraphe 8(10) de la Loi énonce la condition préalable à une déduction au titre de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi. L’appelant ne saurait obtenir gain de cause s’il ne dispose pas de formulaires T2200 attestant qu’il remplit les conditions voulues ou s’il ne peut pas faire état de circonstances exceptionnelles justifiant l’absence des formulaires.

 

[47]        En réponse à l’argument de l’appelant selon lequel les conseils et l’ARC ont agi déraisonnablement en ne se pliant pas à la décision du juge McArthur, il convient de reproduire en particulier le paragraphe 10 des motifs du juge McArthur :

 

Dans la présente affaire, l’appelant ne veut pas déduire les frais de déplacement engagés, s’il y a lieu, pour se rendre aux bureaux des conseils scolaires, il veut seulement déduire ceux engagés pour ses déplacements entre sa résidence et les propriétés que les conseils possédaient. Les lieux d’affaires de ses employeurs étaient les bureaux des deux conseils à Peterborough et non chacune des salles de classe où l’appelant se rendait quotidiennement. Il n’est pas déraisonnable de conclure que l’appelant et ses employeurs avaient conclu un contrat tacite selon lequel l’appelant devait se rendre à diverses écoles avec sa voiture, à ses propres frais, et il est évident qu’il ne recevait pas d’allocation pour frais de déplacement.

 

L’intimée a fait valoir que, en l’absence d’une preuve directe produite par les conseils, le juge McArthur n’avait d’autre choix que de présumer l’existence d’une disposition implicite dans le contrat d’emploi. L’intimée a aussi fait valoir qu’il est excessif pour l’appelant d’affirmer que les conseils et l’ARC s’écartent du raisonnement apparaissant dans la décision du juge McArthur alors que ce raisonnement procédait d’une absence de preuve.

 

[48]        Selon l’intimée, le témoignage de Mme Smith a été franc, clair, cohérent et tout à fait crédible. Ce n’était pas la première fois qu’elle devait régler la question des formulaires T2200. Elle avait une expérience considérable des questions fiscales. Elle comprenait les conditions de délivrance du formulaire T2200. S’agissant des contrats d’emploi, elle reconnaissait que, dans certains cas, il pouvait y avoir des conditions de travail implicites. Cependant, elle ne croyait pas que la convention collective de l’appelant donnait à entendre qu’il devait acquitter ses frais afférents à un véhicule à moteur.

 

[49]        L’intimée a relevé que Mme Smith avait affirmé que, dans ses annonces destinées aux enseignants occasionnels, le conseil des écoles catholiques n’exigeait jamais que les candidats possèdent un permis de conduire ou disposent d’un véhicule. Les enseignants occasionnels étaient libres de choisir la zone géographique où ils souhaitaient travailler. Selon Mme Smith, le paiement par l’appelant des frais afférents à un véhicule à moteur engagés par lui n’était pas une condition explicite, ni une condition implicite, de la convention collective.

 

[50]        L’intimée a fait valoir qu’il n’était pas établi que l’emploi de l’appelant aurait été compromis, ou que son avancement en tant qu’enseignant occasionnel aurait été entravé, s’il avait simplement indiqué sa préférence pour des affectations dans des régions proches de son domicile.

 

[51]        De l’avis de l’intimée, si le juge McArthur avait entendu le témoignage de Mme Smith, sa conclusion aurait été autre.

 

[52]        S’agissant du principe de l’autorité de la chose jugée, l’intimée s’est référée aux deux décisions suivantes : General Electric Canada Co. c. R., 2011 CCI 564[1], et McFadyen c. La Reine, 2008 CCI 441.

 

[53]        L’intimée a invoqué en particulier le paragraphe 12 des motifs de la juge Campbell, dans la décision General Electric Canada Co., où, citant un arrêt de la Cour suprême du Canada, Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, elle expliquait la distinction entre la préclusion fondée sur l’identité des causes d’action (cause of action estoppel) et la préclusion fondée sur une question déjà tranchée (issue estoppel). L’intimée s’est également fondée sur le paragraphe 11 des motifs de la juge Campbell pour prétendre que le principe de l’autorité de la chose jugée et le principe de l’abus de procédure devraient s’appliquer uniquement selon l’appréciation exclusive de la Cour.

 

[54]        L’intimée a invoqué la décision McFadyen du juge en chef Rip pour prétendre que la préclusion fondée sur une question déjà tranchée ne s’applique pas au présent appel, étant donné que la nouvelle preuve produite par Mme Smith au cours de l’audience est concluante. L’intimée a cité le paragraphe 38 des motifs du juge en chef Rip, reproduit ci-après :

 

[38]  Aux dires de l’appelant, il existe de nouveaux éléments de preuve, à savoir une décision de la Cour supérieure de l’Ontario rendue sur consentement, justifiant une nouvelle audition de la présente affaire. En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve, Donald J. Lange, dans l’ouvrage intitulé The Doctrine of Res Judicata in Canada, résume bien la circonstance exceptionnelle que représente un nouvel élément de preuve :

 

                        [traduction] [...] Lorsque la fraude n’est pas en cause, la position en common law, pour ce qui est de la nouvelle preuve, est fort claire. Pour qu’une nouvelle preuve empêche l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de la préclusion fondée sur la cause d’action résultant d’un jugement qui a été enregistré, la nouvelle preuve doit être presque concluante. La nature incontestable de la nouvelle preuve est au cœur du critère. Il doit être presque impossible de contredire cette nouvelle preuve.

 

                        [Note de bas de page omise.]

 

[55]        Selon l’intimée, le témoignage de Mme Smith devrait être admis dans son intégralité et, s’il l’est, il fait obstacle à l’application du principe de la préclusion fondée sur l’identité des causes d’action.

 

[56]        L’intimée a fait valoir que le présent appel concerne le paragraphe 8(10) de la Loi. L’appelant n’a pas droit à une déduction parce que le formulaire T2200 est une condition préalable à la déduction. Il n’y a pas de circonstances exceptionnelles susceptibles d’autoriser la Cour à contourner la condition préalable et à admettre la déduction des frais afférents à un véhicule à moteur malgré l’absence d’un formulaire T2200.

 

[57]        L’intimée a fait valoir que, au vu de la preuve, Mme Smith, du conseil des écoles catholiques, avait agi avec diligence. Elle avait pris une décision rationnelle fondée sur l’information qu’elle avait passée en revue, et sur son expérience de comptable agréée. Elle avait agi raisonnablement en concluant que le conseil ne pouvait pas délivrer de formulaire T2200 à l’appelant.

 

[58]        S’agissant du conseil des écoles publiques, l’intimée a fait valoir que les raisons qu’avait le conseil de ne pas délivrer de formulaire T2200 étaient les mêmes que celles du conseil des écoles catholiques. La preuve documentaire montrait que le conseil des écoles publiques avait agi raisonnablement en ne remettant pas à l’appelant un formulaire T2200 (voir les pièces A-13, A-14 et A-15).

 

[59]        L’intimée a aussi fait valoir que, selon le témoignage de Mme Smith, d’une part, l’appelant ne remplissait pas la condition du paragraphe 8(10) de la Loi, et d’autre part, il ne remplissait pas au moins deux des conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi. D’abord, selon son contrat d’emploi, l’appelant n’était pas tenu d’acquitter ses frais afférents à un véhicule à moteur, et ensuite, les frais n’étaient pas engagés par l’appelant pour lui permettre de se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi. Selon l’intimée, les déplacements entre le domicile de l’appelant et l’école où il enseignait chaque jour étaient des dépenses personnelles, et donc des dépenses non déductibles. L’intimée s’est fondée sur la décision O’Neil v. S.M.Q., 2000 DTC 2409.

 

[60]        L’intimée a donc prétendu que l’appel se rapportant aux frais afférents à un véhicule à moteur pour l’année d’imposition 2007 de l’appelant devrait être rejeté.

 

[61]        S’agissant de l’argument de l’appelant selon lequel l’ARC aurait dû imposer une pénalité à ses employeurs en application du paragraphe 162(5) de la Loi et aurait dû le dispenser, lui, de l’obligation de produire le formulaire T2200 en application du paragraphe 220(2.1) de la Loi, l’intimée a affirmé que, selon elle, l’appelant ne comprenait pas l’objet des dispositions. L’ARC n’imposerait pas une pénalité aux termes du paragraphe 162(5) de la Loi à un employeur qui ne délivre pas un formulaire T2200 selon lequel le contribuable ne remplit pas les conditions voulues. L’intimée a aussi fait valoir que l’ARC ne peut pas forcer un employeur à délivrer un formulaire T2200 attestant que les conditions voulues sont remplies. Elle a fait observer que Mme Smith aurait délivré à l’appelant un formulaire T2200 selon lequel il ne remplissait pas les conditions voulues, mais que l’appelant n’avait demandé ce formulaire que deux jours avant l’audience. En outre, l’intimée a fait valoir qu’un formulaire T2200 selon lequel les conditions voulues ne sont pas remplies n’aurait pas permis à l’appelant de déduire des frais afférents à un véhicule à moteur aux termes de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi. Elle a aussi ajouté que le ministre ne dispenserait pas un contribuable, selon le paragraphe 220(2.1) de la Loi, de l’obligation de produire un formulaire T2200 alors que le formulaire est l’une des conditions préalables à une déduction.

 

 

La pénalité prévue par le paragraphe 162(2) de la Loi.

 

[62]        Selon l’intimée, l’appelant devrait être tenu de payer à une pénalité aux termes du paragraphe 162(2).

 

[63]        L’appelant a prétendu que la pénalité ne devrait pas s’appliquer parce que les mises en demeure que lui a signifiées le ministre pour qu’il produise ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2006 et 2007 ne lui ont pas été signifiées en main propre ou par courrier recommandé.

 

[64]        L’intimée a fait valoir que l’appelant n’avait pas soulevé cette question durant la partie de l’audience consacrée à la preuve; il ne l’avait soulevée qu’au cours de son argumentation. L’intimée a donc fait valoir qu’elle n’avait pas eu la possibilité de contre‑interroger l’appelant sur cet aspect. Elle a aussi déclaré que l’appelant n’avait pas apporté de preuve montrant que les mises en demeure du ministre ne lui avaient pas été signifiées en main propre ou par courrier recommandé pour ses années d’imposition 2006 et 2007.

 

[65]        Par ailleurs, l’intimée a relevé que l’appelant avait déclaré durant son témoignage que, s’il n’avait pas produit ses déclarations à temps, c’est parce qu’il était occupé à traiter avec l’ARC pour tenter de régler la question du formulaire T2200. De l’avis de l’intimée, ce n’était pas là une défense valide de diligence raisonnable susceptible de justifier la non-application des pénalités à l’appelant.

 

 

Analyse

 

[66]        Dans la décision General Electric Canada Co., la juge Campbell résumait succinctement la distinction faite dans l’arrêt de principe Angle c. Ministre du Revenu national entre le principe de l’autorité de la chose jugée et le principe de l’abus de procédure. Elle écrivait ce qui suit, aux paragraphes 11 et 12 de ses motifs :

 

[TRADUCTION]

[11]  Pour prévenir la remise en cause d’une question qui a déjà été soumise à la Cour, on peut recourir au principe de l’autorité de la chose jugée et à celui de l’abus de procédure. Le principe de l’abus de procédure s’intéresse à l’intégrité du processus juridictionnel par opposition à l’intégrité des parties. Tout comme le principe de l’autorité de la chose jugée, le principe de l’abus de procédure ne devrait être appliqué que selon l’appréciation exclusive de la Cour.

[12]  Le principe de l’autorité de la chose jugée, qui garantit le caractère définitif de la solution apportée à un litige, de même que l’équité pour les parties au litige, a deux branches : la préclusion fondée sur l’identité des causes d’action, et la préclusion fondée sur une question déjà tranchée. Dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 (C.S.C.), le juge Dickson expliquait ainsi la distinction, à la page 254 :

[...] Le premier, soit le «cause of action estoppel», empêche une personne d’intenter une action contre une autre lorsque la même cause d’action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent. […] La deuxième sorte d’estoppel per rem judicatam est connue sous le nom d’issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge Higgins de la Haute Cour d’Australie dans l’arrêt Hoystead v. Federal Commissioner of Taxation, [(1921), 29 C.L.R. 537], à la page 561 :

[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l’autorité de la chose jugée applicable lorsqu’une demande est intentée pour la même cause d’action que celle qui a fait l’objet d’un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non‑recevoir qu’on applique lorsqu’il arrive que la cause d’action est différente mais que des points ou questions de fait on déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l’«issue-estoppel»).

 

[67]        L’appelant a prétendu que le juge McArthur avait décidé qu’il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) et que l’intimée est donc empêchée de remettre en cause ses conditions d’emploi. L’appelant s’est également fondé sur la décision McFadyen, où le juge en chef Rip expliquait, au paragraphe 25 de ses motifs, la portée du principe de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée :

 

L’arrêt Henderson a non seulement pour effet d’empêcher que des questions qui ont déjà été tranchées d’une façon concluante par un tribunal compétent soient de nouveau débattues, mais il énonce aussi le principe selon lequel une question qui aurait pu ou aurait dû être soulevée ne peut être invoquée de nouveau, principe qui fait en sorte que les questions qui auraient à juste titre dû faire partie du litige initial, mais qu’une partie a omis de plaider, ne peuvent pas être soulevées dans un litige ultérieur.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

[68]        L’appelant a donc prétendu que l’intimée aurait dû soit appeler un représentant du conseil des écoles catholiques pour qu’il témoigne au cours de l’audience devant le juge McArthur, soit faire appel de la décision du juge McArthur.

 

[69]        L’intimée pour sa part a fait valoir qu’elle n’est pas empêchée de remettre la question en litige compte tenu des nouveaux éléments de preuve apportés par Mme Smith. Étant donné que la preuve de Mme Smith était presque concluante, le principe de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée ne s’applique pas.

 

[70]        Je suis d’avis que la preuve produite par Mme Smith, pour reprendre les termes employés dans la décision McFadyen, est presque concluante. Par conséquent, le principe de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée ne s’applique pas.

 

[71]        La preuve de Mme Smith était primordiale pour les questions en litige. Elle a témoigné que, en tant qu’enseignant occasionnel, l’appelant n’était pas tenu, selon sa convention collective, d’acquitter ses frais afférents à un véhicule à moteur. Les enseignants occasionnels n’avaient pas besoin de détenir un permis de conduire, ni de disposer d’un véhicule. Ils étaient à même de choisir la région ou les régions où ils étaient disposés à travailler. Leurs possibilités d’avancement ne dépendaient pas du nombre de régions qu’ils avaient choisies. Par conséquent, il n’y avait, dans le contrat d’emploi, aucune condition implicite obligeant l’appelant à acquitter ses frais afférents à un véhicule à moteur.

 

[72]        En outre, les frais afférents à un véhicule à moteur de l’appelant n’étaient pas engagés par lui pour lui permettre de se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi. L’appelant parcourait en véhicule la distance séparant son domicile de l’école où il devait enseigner. Bien qu’il ne fût pas rattaché à une école à laquelle il se présentait habituellement, il n’avait pas de bureau au sein des conseils. Il n’était pas tenu de se rendre au conseil des écoles catholiques ou au conseil des écoles publiques avant de se diriger vers l’école où il était affecté. Le lieu de travail de l’appelant était l’école où il devait enseigner, pour une journée ou pour plusieurs jours.

 

[73]        Dans la décision O’Neil v. H.M.Q., 2000 DTC 2409[2], M. O’Neil travaillait pour la Ville d’Ottawa. Il devait disposer d’un véhicule et se déplacer entre l’hôtel de ville et divers lieux de travail dans la municipalité, de même qu’entre divers lieux de travail dans la municipalité, pour accomplir ses fonctions au nom de la Ville. La Ville lui remboursait ses frais de déplacement. M. O’Neil avait déduit, aux termes de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi, ses frais de déplacement entre son domicile et l’hôtel de ville, ainsi qu’entre son domicile et divers lieux de travail dans la municipalité. Ces frais n’étaient pas remboursés par la Ville d’Ottawa. Le juge en chef Rip a estimé que M. O’Neil n’avait pas droit à la déduction de ses frais afférents à un véhicule à moteur pour ses déplacements entre son domicile et l’hôtel de ville. Il écrivait, aux paragraphes 24 et 25, que, lorsque M. O’Neil se déplaçait en véhicule entre son domicile et l’hôtel de ville, il ne se déplaçait pas dans l’exercice des fonctions de son emploi :

 

[24] Le terme anglais course (exercice) est défini dans le Oxford comme [traduction] « la manière habituelle ou courante de procéder; [...] ». Les termes « [...] se déplacer dans l’exercice de [...] son emploi » ont été examinés dans la décision Luks [No. 2] v. M.N.R., et dans la décision Chrapko. Dans l’affaire Luks, il a été statué qu’une personne ne pouvait être réputée « se déplacer dans l’exercice de sa charge ou de son emploi [...] », à moins que le déplacement ne suppose dans les faits la prestation d’un service et qu’il ne consiste pas simplement à se rendre au lieu de travail. Dans l’arrêt Chrapko, la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que l’utilisation des termes « dans l’exercice de son emploi » n’empêche pas la déduction des frais dans de telles circonstances. Cependant, en appel, la Cour d’appel fédérale a semblé reconnaître qu’un contribuable peut déduire les frais de déplacement engagés pour se rendre de son domicile à un lieu de travail, s’il ne s’agit pas du lieu où il travaille « habituellement ». En établissant la cotisation à l’égard de M. O’Neil, le fisc a accepté le principe selon lequel l’appelant pouvait déduire les frais reliés à l’usage de son automobile engagés entre son domicile et un lieu de travail, qui n’était pas l’hôtel de ville.

[25]  Les frais de déplacement de M. O’Neil entre son domicile et l’hôtel de ville ne sont pas déductibles dans le calcul de son revenu pour les années visées par l’appel.

 

[74]        Au soutien de son argument selon lequel il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi, l’appelant a invoqué les décisions suivantes : Chapman c. Sa Majesté la Reine, 2002 CCI 617, Healy v. H.M.Q., 79 D.T.C. 5060 et Chrapko v. M.N.R., 84 DTC 6544.

 

[75]        Chacun de ces précédents se distingue de la présente espèce. M. Chapman était consultant, et la question que devait trancher la Cour était de savoir si ses frais de déplacement étaient engagés aux fins de gagner un revenu. La juge Woods avait fait observer que les faits de l’affaire Chapman n’étaient pas assimilables aux circonstances débattues dans les situations d’emploi. L’affaire Chapman concernait des dépenses d’entreprise, non des dépenses d’emploi, et des principes différents s’appliquaient. Dans l’affaire Healy, la question que devait trancher la Cour d’appel fédérale était de savoir si M. Healy pouvait déduire ses repas en application du paragraphe 8(4). La réponse à la question dépendait de l’endroit où se trouvait l’établissement de l’employeur auquel devait se présenter ordinairement M. Healy. Le juge Urie, s’exprimant pour la Cour d’appel, avait estimé que l’établissement de l’employeur se trouvait à Toronto. M. Healy fut autorisé à déduire ses frais de repas lorsqu’il travaillait à Fort Erie. Dans l’affaire Chrapko, M. Chrapko devait se présenter à un endroit où il ne se présentait pas habituellement pour son travail. Selon moi, ces précédents ne valident pas la position préconisée par l’appelant.

 

[76]        Qui plus est, le conseil des écoles catholiques et le conseil des écoles publiques n’ont pas remis à l’appelant de formulaire T2200 attestant qu’il remplissait les conditions de l’alinéa 8(1)h.1) de la Loi. Pour pouvoir déduire ses frais afférents à un véhicule à moteur, l’appelant devait impérativement obtenir un formulaire T2200[3]. L’appelant n’a pas établi que le conseil des écoles catholiques ou le conseil des écoles publiques avait agi déraisonnablement ou de mauvaise foi en ne lui remettant pas de formulaire T2200.

 

[77]        Au contraire, la preuve a montré que Mme Smith avait pris une décision fondée sur les renseignements qu’elle avait passés en revue, ainsi que sur sa formation professionnelle de comptable agréée. Elle avait fait de nombreuses démarches avant de prendre la décision de ne pas délivrer de formulaire T2200. Elle avait examiné les dispositions de la Loi et le bulletin d’interprétation se rapportant aux frais afférents à un véhicule à moteur. Elle avait aussi consulté la section des ressources humaines du conseil pour s’assurer de bien comprendre la convention collective, et elle avait consulté le surintendant du conseil. Elle avait aussi obtenu l’avis du cabinet de comptables BDO Dunwoody. Elle a agi avec diligence.

 

[78]        S’agissant à nouveau du principe de l’autorité de la chose jugée, il est à mon avis difficile d’appliquer ce principe à des appels en matière d’impôt qui ne portent pas sur la même année d’imposition. Dans les appels de cette nature, l’objet de la procédure d’appel est la cotisation établie par le ministre, non les motifs justifiant la cotisation. Le juge Christie avait examiné cette question dans la décision Hagedorn c. Canada, [1993] A.C.I. n° 727 (C.C.I.), aux paragraphes 6 et 7 :

 

6. Lorsque l’appelant a interjeté appel devant cette Cour de la nouvelle cotisation du 16 octobre 1989 concernant son année d’imposition 1988, ce qui faisait l’objet de l’appel a été décrit par les tribunaux en différents termes, mais, à mon avis, l’essentiel du langage employé est le même. À l’occasion d’un appel devant cette Cour, ce qui est évident est le résultat d’une cotisation, et non le processus ni le raisonnement permettant d’y parvenir. Dans l’affaire Vineland Quarries and Crushed Stone Limited v. M.N.R., 70 D.T.C. 6043, le juge Cattanach a fait cette remarque à la page 6045 :

 

[TRADUCTION]

« Si je comprends bien le fondement de l’appel d’une cotisation du Ministre, c’est qu’il s’agit d’un appel du montant cotisé. »

 

7. Dans l’affaire Harris c. M.R.N., [1965] 2 R.C.É. 653 [64 DTC 5332], mon collègue le juge Thurlow s’est prononcé en ces termes à la page 662 :

            [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE]

« [...] Lors de l’appel que forme le contribuable, la Cour doit d’abord et avant tout juger si la cotisation est trop élevée. Cela peut être fonction des déductions que l’on peut ou non [sic] faire lors du calcul du revenu mais à mes yeux on ne décide de ces questions que dans le but de répondre à la question première [...] »

 

Dans l’affaire Midwest Oil Production Ltd. v. The Queen, 82 D.T.C. 6092 (C.F.1re inst.), le juge Mahoney a tenu les propos suivants aux pages 6094 et 6095 : [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] « Il faut souligner que c’est la cotisation du ministre, et non les motifs de celle-ci, qui fait l’objet de l’appel. » Lors de l’appel devant la Cour d’appel fédérale, le juge Ryan a déclaré au nom de la Cour : [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] « Je souscris aux motifs du jugement du savant juge de première instance et, en conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens. » L’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 24 novembre 1983 : [1983] 2 R.C.S. x., 52 N.R.

 

[79]        Chaque année d’imposition est une cause d’action différente étant donné que ce qui est en litige est la question de savoir si le ministre a correctement calculé la somme due par un contribuable pour l’année, conformément à la Loi. C’est la raison pour laquelle, dans la décision Merrins v. R, 2006 D.T.C. 3216, le juge Paris avait instruit les mêmes points que ceux qui avaient été soulevés dans deux appels antérieurs interjetés par M. Merrins. Le juge Paris écrivait ce qui suit, aux paragraphes 8 et 9 de sa décision :

 

8          L’appelant a soulevé les mêmes questions dans deux appels interjetés précédemment devant la Cour, tout d’abord à l’encontre de l’année d’imposition 1998, puis à l’encontre des années d’imposition 2000 et 2001. Les deux appels ont été rejetés. L’appelant a appelé du jugement rendu dans la décision Merrins no 1 devant la Cour d’appel fédérale. Cet appel a aussi été rejeté. L’appelant a également fait appel du jugement rendu dans la décision Merrins no 2. L’appel en question est actuellement en instance devant la CAF.

 

9          Il n’y a pas de différences pertinentes entre les faits relatifs aux années d’imposition 2002 et 2003 de l’appelant et les faits sur lesquels la Cour s’est fondée pour statuer sur les appels précédents. Les sources de revenu de l’appelant étaient les mêmes pour toutes les années, et l’établissement de la nouvelle cotisation de l’appelant a été effectué de la même façon pour chacune des années, comme il est énoncé ci‑dessous. Toutefois, comme ces appels concernent des années d’imposition distinctes, il est nécessaire d’effectuer un examen indépendant des faits et des points en litige.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

[80]        À mon avis, étant donné que, dans les appels en matière d’impôt sur le revenu, nous avons souvent affaire à des questions récurrentes, ce raisonnement donne à un contribuable dont l’appel a été rejeté au cours d’une année d’imposition une deuxième chance de se présenter devant la Cour et de plaider la même cause pour une autre année d’imposition. Un contribuable serait en mesure de produire une preuve qu’il avait négligé de produire dans l’affaire se rapportant à l’année d’imposition antérieure. Cela vaut également pour l’intimée, qui ne devrait pas être empêchée de contester une déduction revendiquée par un contribuable du seul fait que la déduction avait déjà été autorisée, si la preuve montrait aujourd’hui que le contribuable n’avait pas droit à la déduction selon la Loi. À mon avis, comme on peut le lire dans la décision General Electric Canada Co., l’une ou l’autre des parties pourrait dans une nouvelle année d’imposition produire une preuve nouvelle ou faire valoir un angle juridique différent.

 

[81]        Il importe de noter que, dans les décisions McFadyen et 742190 Ontario Inc., le principe de l’autorité de la chose jugée a été appliqué à des appels portant sur les mêmes années d’imposition.

 

[82]        S’agissant du principe de l’abus de procédure, je suis d’avis qu’il ne s’applique pas dans le présent appel. Je n’ai pas affaire ici à une procédure « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

 

 

Les paragraphes 162(5) et 220(2.1) de la Loi

 

[83]        Je suis d’avis que les paragraphes 162(5) et 220(2.1) de la Loi n’ont pas l’application préconisée par l’appelant. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas compétence pour contraindre un ministre à appliquer aux employeurs de l’appelant une pénalité aux termes du paragraphe 162(5) de la Loi. C’est vrai également pour le paragraphe 220(2.1) de la Loi. Je ne puis contraindre le ministre à dispenser l’appelant de l’obligation de produire le formulaire T2200, ni ne puis le contraindre à forcer un employeur à délivrer ledit formulaire. J’ai du mal à comprendre la position de l’appelant quand il affirme que, si ses employeurs lui avaient délivré un formulaire T2200 selon lequel il ne remplissait pas les conditions voulues, il aurait sans doute été en meilleure position pour plaider sa cause dans le présent appel. Un formulaire T2200 selon lequel les conditions voulues n’étaient pas remplies n’aurait pas prouvé qu’il remplissait les conditions fixées par la Loi.

 

 

La pénalité pour défaut répété de production.

 

[84]        L’appelant affirme que les mises en demeure que lui a envoyées le ministre pour qu’il produise ses déclarations des années d’imposition 2006 et 2007 ne lui ont pas été signifiées en main propre ou par courrier recommandé. Je n’ai aucune raison de douter de sa crédibilité sur cet aspect. Dans la décision Taylor v. H.M.Q., 1994 2 C.T.C. 2230, une affaire dans laquelle l’intimée n’avait pas prouvé qu’elle s’était conformée aux exigences du paragraphe 150(2) de la Loi, le juge Sarchuk écrivait ce qui suit, au paragraphe 11 de ses motifs :

 

11 La preuve que l’appelante a présentée concernant sa connaissance de documents provenant de Revenu Canada et la réception de tels documents était vague, et, sincèrement, moins que convaincante. Néanmoins, je ne peux, sur la foi de la preuve, conclure que les dispositions du paragraphe 150(2) ont été respectées par le ministre. Ainsi, l’appelante a droit à des mesures de redressement partielles.

 

[85]        Il en va de même dans le présent appel, l’intimée n’a pas produit de preuve montrant que les exigences du paragraphe 150(2) de la Loi ont été observées.

 

[86]        L’appel sera donc accueilli pour ce qui concerne les pénalités établies en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi pour l’année d’imposition 2007 de l’appelant. L’appel sera rejeté pour ce qui concerne les frais afférents à un véhicule à moteur déduits par l’appelant pour son année d’imposition 2007. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juillet 2012.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2012.

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 238

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-524(IT)I

 

INTITULÉ :                                      VICTOR G.E. KREUZ c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Johanne D’Auray

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 5 juillet 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocats de l’intimée :

Me John Grant

Me Leslie Ross

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                       Nom :                        

 

                  Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Cette décision a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale.

[2] La décision O’Neil a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Hogg c. Canada, [2002] A.C.F. n° 704.

[3] Voir la décision Schnurr v. H.M.Q., 2004 D.T.C. 3531, au paragraphe 19.

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