Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2011-580(IT)I

ENTRE :

PETER CURTIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 23 avril 2012, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Michael Ashmore

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Christopher M. Bartlett

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 de l’appelant sont rejetés, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Kelowna (Colombie‑Britannique), ce 12e jour de juillet 2012.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2012.

 

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 248

Date : 20120712

Dossier : 2011‑580(IT)I

ENTRE :

PETER CURTIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]             Le point en litige dans les présents appels concerne la question de savoir si les règles relatives aux pertes agricoles restreintes, prévues à l’article 31 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») s’appliquent aux pertes agricoles qu’a subies M. Curtis, de 2005 à 2007.

 

[2]             L’agriculture est un type particulier d’activité. Il peut parfois être difficile de discerner si l’activité qu’exerce une personne constitue une entreprise. Si l’activité agricole qu’exerce une personne constitue bel et bien une source de revenu tiré d’une entreprise, les pertes seront alors restreintes, par application de l’article 31 de la Loi, à moins que l’agriculture ne constitue, du moins en partie, la principale source de revenu du contribuable pour l’année visée.

 

[3]             En l’espèce, l’intimée n’a pas nié que les activités agricoles du contribuable constituaient une entreprise et n’a pas contesté les dépenses d’entreprise déduites par le contribuable. Par conséquent, la seule question en litige est de savoir si les règles relatives aux pertes agricoles restreintes, prévues à l’article 31 de la Loi, s’appliquent aux pertes agricoles de M. Curtis. Cette question sera tranchée en établissant si son revenu, pour les années visées, provient principalement de l’agriculture ou d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source.

 

I. Les faits

 

[4]             M. Peter Curtis a grandi dans la campagne cornouaillaise. Il a toujours aimé l’agriculture et le travail avec les animaux. Ses parents n’étaient pas des agriculteurs, mais ses voisins l’étaient. Lorsqu’il jouait avec ses amis qui vivaient sur les fermes avoisinantes, il finissait naturellement par participer aux travaux de la ferme. Dans sa jeunesse, il était membre du Young Farmers’ Club (« YFC »), une sorte d’équivalent britannique des clubs 4-H. Il appréciait les démonstrations de techniques agricoles du YFC, y compris celle sur la tonte de moutons. Son lien avec les fermes a commencé lorsqu’il avait huit ans, et a continué jusqu’au moment où il a immigré au Canada en 1962, alors qu’il était âgé de 16 ans. À son arrivée au Canada à l’âge de 16 ans, il a travaillé pendant environ un an à une ferme agricole, dans le sud de l’Ontario.

 

[5]             M. Curtis a reçu une formation de mécanicien et a fait son apprentissage chez Mercedes‑Benz. Il a ensuite travaillé pendant un certain temps comme mécanicien chez des concessionnaires Mazda et Toyota. En 1976, il a commencé à travailler chez CP Air en tant qu’ouvrier d’équipement au sol et a travaillé comme mécanicien de moteurs à essence, de moteurs diesel et de moteurs électriques. Il a gardé cet emploi à temps plein chez Air Canada jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite, en 2008.

 

[6]             En 1994, alors qu’il travaillait à temps plein chez Air Canada, il a acheté une ferme de 230 acres à Dundalk, en Ontario. De cette superficie, environ 150 acres étaient arables, quoique la ferme n’ait pas été exploitée et que les champs n’aient pas servi à la production agricole depuis quelques années. Selon sa description, la ferme était délabrée à ce moment-là. M. Curtis et sa famille vivaient dans une grande maison de ferme en brique, située sur le terrain.

 

[7]             La ferme était à environ 100 km de son lieu de travail, à l’aéroport Pearson, situé à Mississauga. Il a estimé qu’il lui fallait plus d’une heure en voiture pour se rendre à son travail et pour en revenir.  

 

[8]             M. Curtis avait l’intention d’exploiter une entreprise vache-veau. Il n’avait pas réfléchi à un plan d’affaires officiel et n’en avait pas préparé. Pour reprendre ses mots, avoir sa propre ferme était un rêve d’enfance. Son objectif était de développer la ferme pour qu’elle puisse compter 40 vaches et produire suffisamment de récoltes pour nourrir les vaches et leurs veaux, jusqu’à leur vente. Il espérait, estimait ou prévoyait que 40 vaches produiraient annuellement environ 32 à 35 veaux, lesquels pourraient être vendus environ 700 $ lorsqu’ils auraient atteint 700 livres, ce qui prendrait de 12 à 18 mois. Cela étant, le revenu brut tiré de son entreprise vache‑veau, une fois celle‑ci pleinement développée, se situerait entre 22 500 $ et 24 500 $. Il ne prévoyait pas produire régulièrement un surplus de foin ou d’aliments pour animaux pouvant être vendu et s’attendait à ce que, de temps à autre, une année de récolte faste puisse lui rapporter un petit revenu supplémentaire.

 

[9]             Il n’a jamais développé ses activités au niveau qu’il visait, quoiqu’en 1996 et en 1999, ses revenus tirés des ventes de veaux se situaient dans la fourchette qu’il désirait atteindre ou étaient près de celle-ci.

 

[10]        Il a subi plusieurs revers imprévus et imprévisibles qui ont nui à ses activités agricoles. Ses vieilles granges d’origine ont été rasées par les flammes en 1996 en raison d’une défaillance électrique. Il a dû liquider son troupeau, étant donné qu’il n’avait ni grange, ni fourrage entreposé. Il a reconstruit de nouvelles granges avec le produit de l’assurance.

 

[11]        Plus tard en 1996 ou au début de 1997, il a subi un grave accident, qui l’a empêché de travailler à la ferme pendant au moins un an.

 

[12]        Les activités de son entreprise vache‑veau sont revenues à la normale seulement après que les granges ont été reconstruites et qu’il s’est rétabli de son accident. Dans l’intervalle, soit pendant environ deux ans, il a pu vendre une plus grande quantité de ses récoltes, et ses revenus tirés de la vente de récoltes ont augmenté, car il avait moins de bovins à nourrir. Les ventes de son entreprise vache‑veau ont reprises en 1999, et cette année-là fut l’une de ses meilleures années sur le plan des revenus.

 

[13]        En 2003, les effets néfastes de la maladie de la vache folle ont fait leur apparition et ont fait chuter de manière importante le prix du bœuf sur le marché jusqu’en 2007. Le prix du veau n’était qu’une fraction de ce qu’il était auparavant. Les prix sur le marché ont commencé à reprendre de la vigueur en 2008 et en 2009, et sont maintenant revenus au niveau où ils étaient précédemment.

 

[14]        Chaque année, les activités agricoles de M. Curtis se sont soldées par des pertes. En 2005, en 2006 et en 2007, ses pertes étaient respectivement d’environ 15 500 $, 28 000 $ et 104 000 $. Il a arrêté d’exploiter l’entreprise agricole en 2010, après avoir conclu que les nouvelles cotisations d’impôt l’empêchaient effectivement de continuer à le faire. Il a mis en vente ses biens agricoles et prévoit réaliser un gain en capital excédant ses pertes d’entreprise.

 

[15]        En plus de son revenu provenant de l’entreprise agricole, deux éoliennes ont été construites à sa ferme, sur des parties arables de la terre. On ne sait pas à quel moment elles ont été construites, ni à quel moment les baux immobiliers ont été signés. Les éoliennes n’ont pas été en fonction avant 2008. M. Curtis était en discussion avec les opérateurs lors des années visées. L’exploitation des éoliennes lui permet maintenant de recevoir un revenu locatif d’environ 18 000 $ par année.

 

[16]        Tout au long des années où il s’adonnait à l’agriculture, M. Curtis travaillait à temps plein chez Air Canada. Son salaire de base au cours des trois années était d’environ 60 000 $, mais son revenu d’emploi était sensiblement plus important en raison des heures supplémentaires et s’élevait à environ 75 000 $ en 2006 et à environ 100 000 $ en 2007. Au cours de ces années, il travaillait à temps plein, à raison d’un horaire de quatre jours de travail suivis de quatre jours de congé. Ses quatre quarts de travail en huit jours constituent l’équivalent d’une semaine de cinq jours de travail de huit heures, tous les sept jours, selon l’horaire de travail traditionnel de cinq jours de travail par semaine de sept jours.

 

[17]        La preuve de M. Curtis relative au temps qu’il consacrait au travail à la ferme n’est pas entièrement satisfaisante. Dans le questionnaire pour les agriculteurs de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») qu’il avait initialement rempli, on lui demandait explicitement d’estimer le temps qu’il consacrait au travail à la ferme, et il a choisi de ne pas répondre à cette question. Il a simplement mentionné que, après son retour du travail, il nourrissait les animaux, préparait leur litière et s’occupait d’eux au besoin; que, les fins de semaine, il nettoyait parfois la grange ou marchait le long de la clôture, et qu’il consacrait la totalité de ses vacances de cinq semaines à la fenaison.

 

[18]        M. Curtis a actualisé ses réponses au questionnaire peu avant l’instruction, et il semble évident, d’après son témoignage, qu’il a fait cela suivant les conseils du comptable qui le représentait. Il a estimé qu’il consacrait, pendant ses cinq semaines consécutives de vacances, 14 heures par jour à la fenaison, à raison de sept jours par semaine. Je crois que cette estimation est quelque peu élevée et peu fiable, compte tenu de sa description de ce qu’il faisait dans les faits, des contraintes de la météo, etc. Il a aussi estimé que, au printemps et à l’automne, il consacrait quatre heures par jour à raison de 5 jours par semaine et 8 heures par jour à raison de deux jours par semaine aux soins des bovins, au nettoyage de la grange et à la réparation de la clôture électrique, et ce, pendant 27 jours. Il a estimé qu’il consacrait 14 heures par semaine pendant 20 semaines en hiver au soin des bovins dans la grange et au nettoyage de la grange. Compte tenu de son témoignage, surtout lors du contre‑interrogatoire, quant à ce qu’il faisait, je soupçonne que ses estimations sont aussi quelque peu élevées et peu fiables en ce qui concerne le printemps et l’automne. Je juge non raisonnable son explication selon laquelle il a dû oublier de mentionner le temps consacré au vêlage lorsqu’il a produit ses estimations détaillées, ou les estimations qu’il a données à ce sujet lors de son témoignage. Ce serait un oubli étrange pour une personne qui exploite une entreprise vache‑veau. De plus, il avait précédemment témoigné qu’il n’était pas nécessaire qu’une personne soit présente pour le vêlage, et que le vêlage avait souvent lieu lorsqu’il était au travail ou qu’il dormait. Je soupçonne que ce n’est pas une coïncidence que ses nouvelles estimations s’élevaient à 1 742 heures travaillées à la ferme, en comparativement à 1 739 heures travaillées chez Air Canada (ce qui n’inclut pas le temps considérable qu’il consacrait à se déplacer). Comme je l’explique plus loin, je ne tranche pas la présente affaire en fonction de la question de savoir si les heures réellement consacrées au travail à la ferme étaient conformes ou non aux estimations. Au Canada, l’agriculture familiale est un processus qui exige beaucoup de travail, souvent pendant de très longues heures, et ce, pour un faible gain financier. Je reconnais que M. Curtis a consacré de nombreuses heures à travailler à sa ferme, mais, tout compte fait, je conclus que ce temps aurait été bien moindre que le temps qu’il a consacré à travailler chez Air Canada et à se rendre à son lieu de travail et en revenir.

 

[19]        M. Curtis avait besoin d’équipement agricole pour exploiter la ferme, surtout pour la fenaison. Il a acheté deux tracteurs (39 000 $), un chargeur à direction à glissement (8 000 $), une botteleuse mécanique (18 500 $), une moissonneuse-lieuse (5 000 $), un andaineur et une remorque pour le foin (1 000 $) ainsi qu’un épandeur de fumier (2 500 $). Le coût de cet équipement s’élève presque à 75 000 $.

 

[20]        De plus, il a passé en charges les dépenses liées à l’usage de sa camionnette à des fins agricoles (lesquelles s’élevaient à plus de 25 000 $ pour les trois années visées); il utilisait aussi un véhicule tout‑terrain (« VTT ») à la ferme.

 

[21]        Ses dépenses moyennes comprenaient des frais d’intérêts annuels d’environ 7 500 $ au cours des années visées, des frais d’assurance d’environ 2 000 $ à 3 000 $, des taxes foncières d’environ 1 500 $ et des frais d’électricité qui s’approchaient de 2 000 $. Ces quatre coûts d’exploitation sont relativement fixes et prévisibles; à eux seuls, ils excédaient de manière importante son revenu global tiré de l’agriculture au cours des trois années visées. La moyenne de ces montants, de 2005 à 2007, aurait aussi excédé les revenus tirés de ses ventes de bovins lors de chacune de ses 17 années d’exploitation, à l’exception de trois d’entre elles. Il y avait aussi, évidemment, toutes les autres dépenses liées à l’exploitation d’une ferme, que je n’ai pas besoin d’énumérer.

 

[22]        Bien que le montant des dépenses déduites dans le calcul des pertes n’ait pas été contesté, je dois faire remarquer que M. Curtis avait de la difficulté à se remémorer et à expliquer la nature et la qualification des déductions ainsi que les montants en question.

 

[23]        Dans sa déclaration de revenus, M. Curtis a décrit l’entreprise agricole comme une société de personnes qu’il exploitait avec son épouse. Il a déduit 100 % — ou, comme on le décrit parfois, 99,99 % — des pertes subies au cours des années visées. Selon M. Curtis, son épouse n’a jamais travaillé à la ferme; son emploi n’était qu’à temps partiel. Il a dit qu’elle lui avait prêté un montant d’argent pour les besoins de la ferme, montant qu’il n’a pas précisé. M. Curtis était le seul témoin; son épouse n’a pas témoigné. Il a néanmoins décrit la société de personnes comme étant à parts égales. Il a fait preuve de franchise en affirmant que les pertes avaient été réparties entre eux, en fonction des décisions fiscales prises par la personne qui établissait sa déclaration de revenus. L’appelant a déduit la totalité des pertes lors des années visées. Lors de certaines des autres années, les pertes étaient réparties en parts égales. Dans tous les cas, l’intimée ne conteste pas l’existence de la société de personnes et le caractère raisonnable de la répartition des pertes entre les associés.

 

 

II. Le droit

 

[24]        L’arrêt de principe quant aux pertes agricoles restreintes est l’arrêt Moldowan c. La Reine[1] rendu par la Cour suprême du Canada en 1978. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada devait, entre autres, se pencher sur la question de savoir à quel moment une source de revenu constituait la « principale source » de revenu, et quels étaient les critères pour que la principale source de revenu d’une personne, si ce n’était pas l’agriculture, soit une « combinaison de l’agriculture et de quelque autre source ».

 

[25]        La Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit quant au sens de « principale source » de revenu :

 

Déterminer si une source de revenu est la principale « source » de revenu d’un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n’est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d’en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu’il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale « source » de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l’égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d’un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas[2].

 

[26]        Dans le cas de M. Curtis, il était évident que l’agriculture ne constituait pas sa principale source de revenu, et cet argument n’a pas été mis de l’avant.

 

[27]        La question à trancher en ce qui concerne M. Curtis est de savoir si sa principale source de revenu était une combinaison de ses activités agricoles et de son emploi chez Air Canada.

 

[28]        La Cour suprême du Canada a mentionné ce qui au sujet de cette question dans l’arrêt Moldowan :

 

Il est clair que le mot « combinaison » utilisé à l’art. 13 ne vise pas la simple addition des deux sources de revenu d’un contribuable. En ce cas en effet, un contribuable pourrait combiner les pertes provenant de son exploitation agricole et sa plus importante source de revenu, constituant de ce fait sa principale source. Je ne pense pas que ce soit la bonne interprétation du par. 13(1). En réalité, cela signifierait que la limite prévue à cet article ne serait jamais applicable et que, dans chaque cas, le contribuable pourrait déduire l’intégralité des pertes provenant de son exploitation agricole.

 

À mon avis, la Loi de l’impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d’agriculteur :

 

(1) le contribuable qui peut raisonnablement s’attendre à tirer de l’agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l’agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

 

(2) le contribuable qui ne considère pas l’agriculture, ou l’agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l’exploitation d’une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d’une exploitation agricole;

 

(3) le contribuable qui ne considère pas l’agriculture, ou l’agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

 

Le paragraphe 13(1) suppose l’existence d’un contribuable qui tire son revenu de l’agriculture et de quelqu’autre source et il renvoie donc à la 1e catégorie. Il vise une personne dont l’agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d’un investissement, d’un emploi ou d’une entreprise secondaire. L’article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n’est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l’agriculture soit pertinente, elle n’est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s’il s’agit ou non d’un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d’appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu’elle reçoit un héritage. D’autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l’agriculture avec l’espoir d’en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d’établissement[3].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]        Il existe toutefois une certaine incertitude au sujet de l’analyse de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moldowan quant au sens de l’expression « combinaison de l’agriculture et de quelque autre source », à la suite de l’arrêt Gunn c. Canada[4] de la Cour d’appel fédérale et, plus récemment, de l’arrêt Canada c. Craig[5]. La Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’interjeter appel de l’arrêt Craig, et cet ultime appel est toujours pendant. La question en litige concernant l’article 31 soumises aux tribunaux dans les affaires Gunn et Craig était de savoir si la question de la combinaison s’entendait nécessairement d’une combinaison de sources de revenu dans laquelle l’agriculture prédomine.

 

[30]        La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit dans l’arrêt Gunn :

 

83        À mon avis, la question de la combinaison doit être interprétée de manière à n’exiger qu’un examen de l’effet cumulatif du total du capital investi dans l’agriculture et dans une deuxième source de revenu, du total du revenu tiré de l’agriculture et d’une deuxième source de revenu, et du total du temps consacré à l’agriculture et à la seconde source de revenu, compte tenu du mode de vie ordinaire du contribuable, de son expérience de l’agriculture, enfin de ses intentions et de ses attentes. On évitera ainsi d’appliquer le critère jurisprudentiel selon lequel l’agriculture doit être l’élément prédominant de la combinaison de l’agriculture et de la seconde source de revenu, un critère qui à mon avis a été mis à mal par la jurisprudence ultérieure. Il y aurait une réponse positive à la question de la combinaison si, par exemple, le contribuable a investi une somme appréciable dans une entreprise agricole, s’il consacre la quasi-totalité de son temps de travail à la fois à l’agriculture et à l’autre activité principale lucrative, et si ses activités quotidiennes combinent l’agriculture et l’autre activité lucrative, le temps consacré à chacune étant important.

 

[31]        Le juge Hershfeld de la Cour canadienne de l’impôt a écrit ce qui suit dans la décision Craig c. La Reine[6] :

 

53        Le défi, selon l’arrêt Gunn, consiste à évaluer jusqu’à quel point la contribution apportée par l’agriculture en tant que source doit être prise en compte dans la formule de l’adjonction des revenus. D’autres jurisprudences enseignent que la contribution n’a pas à être importante sur le plan quantitatif (voir les décisions Taylor c. Canada et dans Kroeker). Toutefois, à mon avis, l’arrêt Gunn enseigne que l’agriculture doit contribuer d’une façon appréciable à la formule de l’adjonction, de façon à indiquer qu’elle est une source principale ou qu’elle peut le devenir.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

[32]        Dans l’arrêt Craig, la Cour d’appel fédérale a seulement tranché les questions de savoir si le juge de la Cour de l’impôt aurait dû appliquer l’arrêt Gunn, étant donné que l’on peut prétendre que celui-ci n’est pas compatible avec l’arrêt Moldowan de la Cour suprême du Canada, et si le juge de la Cour de l’impôt a mal appliqué l’arrêt Gunn à la situation factuelle précise de M. Craig.

 

[33]        Indépendamment de la réponse à la question de savoir si l’agriculture doit être une source prédominante, et non secondaire, de revenu dans la combinaison en ce qui concerne une affaire de perte agricole restreinte, je suis d’avis que les appels interjetés par M. Curtis ne peuvent être accueillis. S’il est nécessaire que le revenu agricole soit prédominant dans la combinaison, M. Curtis ne répondait pas au critère, et ce, lors de chacune des années visées. S’il n’est pas nécessaire que le revenu agricole de M. Curtis soit prédominant, comme je l’explique ci‑dessous, je suis convaincu que, compte tenu des faits en preuve et exposés ci-dessus, une fois que l’on tient compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Moldowan et dans l’arrêt Gunn, soit l’expectative raisonnable de revenu, les habitudes et la façon coutumière de travailler, le temps consacré, les capitaux engagés, la rentabilité présente et future, le mode de vie ordinaire du contribuable, son expérience de l’agriculture et ses intentions et ses attentes, M. Curtis est assujetti aux règles relatives aux pertes agricoles restreintes prévues à l’article 31 de la Loi, puisqu’il n’est pas une personne dont l’agriculture constitue la principale source de revenu ou dont la principale source de revenu est une combinaison de l’agriculture ou de quelque autre source.

 

[34]         La rentabilité reste l’un des éléments importants de l’analyse menée par les cours d’appel dans les arrêts Moldowan, Gunn et Craig pour établir si une activité fait partie de la principale source de revenu d’une personne.

 

[35]        Dans la présente affaire, si l’on tient compte des considérations relatives à l’agriculture en tant qu’activité secondaire qui sont exposées dans les arrêts Moldowan et Gunn, il est manifeste que M. Curtis a investi une quantité importante de capitaux dans son entreprise agricole, que son mode de vie était axé sur la ferme sur laquelle il vivait et qu’il consacrait du temps à ses activités agricoles sur une base régulière. Tout cela, sans égard au fait qu’il n’avait pas une grande expérience de l’agriculture avant de démarrer son entreprise agricole à Dundalk. Cependant, M. Curtis ne répond pas au critère de la principale source de revenu, compte tenu de ses intentions et de ses attentes, de son revenu effectif tiré de ces activités, ainsi que de la rentabilité présente et future.

 

[36]        Comme nous l’avons vu dans l’arrêt Moldowan, la rentabilité présente et future des activités agricoles d’une personne est pertinente pour déterminer sa principale source de revenu et pour juger si une source de revenu peut faire partie d’une combinaison de revenus qui, ensemble, constituent sa principale source de revenu.

 

[37]        Dans la même veine, dans l’arrêt Gunn, la Cour d’appel fédérale a pris en considération le potentiel de rentabilité pour déterminer la principale source de revenu d’une personne. La juge Sharlow a écrit ce qui suit aux paragraphes 85 et 86 :

 

85        La réponse du juge à la question principale était fondée sur les principes de l’arrêt Moldowan servant à déterminer quelle est la principale source de revenu d’un contribuable, ainsi que sur le commentaire de l’arrêt Morrissey c. Canada (précité) selon lequel, s’il est improbable que les activités agricoles du contribuable soient jamais rentables, nonobstant le temps et l’argent que le contribuable est disposé et apte à consacrer à l’agriculture, alors il faut en conclure que l’agriculture n’est pas une source principale du revenu du contribuable.

 

86        À mon avis, le principe de la jurisprudence Morrissey n’est pas pertinent au cas de M. Gunn. L’observation susmentionnée tirée de l’arrêt Morrissey se rapportait au cas où, selon le propre témoignage du contribuable, il doutait de la rentabilité future de sa ferme. Dans son témoignage, M. Gunn disait qu’il voyait un potentiel de gain dans sa ferme. L’intimée n’a produit aucune preuve en sens contraire, reconnaissant même les possibilités de profit pour l’avenir. Je ne vois dans le dossier aucun élément autorisant le juge à dire que les activités agricoles de M. Gunn ne laissaient espérer aucune possibilité de profit. C’est là un motif suffisant pour infirmer le jugement de la Cour de l’impôt. Cependant, il y a aussi un deuxième motif.

 

[38]        M. Curtis a témoigné que, dans son esprit et de manière totalement subjective, il avait toujours cru que sa ferme pouvait être rentable. Cependant, l’ensemble de son témoignage, plus particulièrement le point où il mentionnait que le nombre maximal de vaches qu’il avait l’intention d’avoir était de 40, rendait manifestement impossible, d’un point de vue économique, l’atteinte de la rentabilité, sans égard aux revers imprévus qu’avaient constitué les incendies à sa ferme, les problèmes de santé dont il avait souffert ainsi que la maladie de la vache folle. Il ne fait aucun doute à mes yeux, au vu de la preuve qu’il a produite, que ses activités agricoles n’auraient jamais pu, dans les faits, être rentables d’un point de vue économique. De plus, son comptable/représentant a reconnu qu’une personne pourrait difficilement atteindre la rentabilité si elle se met à exercer des activités agricoles en ne planifiant pas d’avoir plus de 40 vaches et en vendant entre 32 et 35 veaux par année.

 

[39]        Dans la décision Craig c. La Reine[7], le juge Hershfield a aussi traité de la question de la rentabilité future :

 

52        Selon mon interprétation de cette observation concernant le critère de la combinaison, il faut que les facteurs concernant la principale source qui sont pris en compte à l’égard de l’agriculture, et notamment la rentabilité future, soient examinés par rapport aux facteurs concernant la principale source qui sont pris en compte à l’égard de la seconde source incluse dans la combinaison, ce qui est compatible avec la jurisprudence Moldowan, laquelle préconise une évaluation de la rentabilité en termes relatifs.

 

53        Le défi, selon l’arrêt Gunn, consiste à évaluer jusqu’à quel point la contribution apportée par l’agriculture en tant que source doit être prise en compte dans la formule de l’adjonction des revenus. D’autres jurisprudences enseignent que la contribution n’a pas à être importante sur le plan quantitatif (voir les décisions Taylor c. Canada et dans Kroeker). Toutefois, à mon avis, l’arrêt Gunn enseigne que l’agriculture doit contribuer d’une façon appréciable à la formule de l’adjonction, de façon à indiquer qu’elle est une source principale ou qu’elle peut le devenir.

 

[...]

 

72        Je suis d’avis que le critère à suivre est donc le suivant : le mode d’exploitation du contribuable comporte-t-il dans une mesure suffisante un engagement, un degré de commercialité et des possibilités de profit pour être reconnu comme une principale source, selon les critères consacrés par l’arrêt Moldowan quant à l’engagement et à la rentabilité? L’examen du temps consacré, des capitaux investis et d’une possibilité réelle de profit par suite de la recherche de la rentabilité devrait facilement permettre de déterminer s’il est possible de considérer le contribuable comme un agent commercial engagé ayant des chances raisonnables de succès dans un secteur véritable de l’économie. Un tel critère n’aura pas pour effet de mettre dans une situation privilégiée les personnes pour qui l’agriculture est un divertissement.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

[40]        La Cour d’appel fédérale a aussi abordé la question de l’importance de la rentabilité future dans l’arrêt Watt c. Canada[8]. Elle a écrit ce qui suit, aux paragraphes 12 et 13 de cet arrêt :

 

12        L’appelant a soutenu que le juge de la Cour de l’impôt a, à tort, accordé trop d’importance à la rentabilité présente ou future de l’entreprise agricole et qu’il n’a pas accordé suffisamment d’importance aux autres facteurs auxquels a fait référence le juge Dickson dans l’arrêt Moldowan. Nous ne sommes pas de cet avis étant donné qu’il a effectivement tenu compte des autres facteurs. Le juge de la Cour de l’impôt a examiné en détail les faits relatifs à la rentabilité présente et future et a conclu que l’appelant ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à tirer un revenu ou un profit de l’exploitation de la ferme.

 

13        Nous estimons que le juge de la Cour de l’impôt a appliqué correctement la loi quant à cette question comme notre Cour l’a fait remarquer dans La Reine c. Morrissey :

 

Selon une bonne application du test proposé dans l’arrêt Moldowan, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, on considère improbable la rentabilité de l’entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l’agriculture n’est pas une source principale de revenu pour l’agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l’argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilité réelle ou possible, l’agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu’il s’adonnait à l’agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l’agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.

 

La demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada a été refusée dans l’affaire Morrissey.

 

[41]        Après un examen en bonne et due forme des facteurs, et suivant le cadre analytique établi par l’article 31 de la Loi ainsi que l’arrêt Moldowan et l’arrêt Gunn, et sans égard à la question de savoir si l’arrêt Craig sera maintenu par la Cour suprême du Canada quant à la question de savoir si le revenu agricole d’une personne a le potentiel d’être prédominant, les appels interjetés par M. Curtis doivent être rejetés, compte tenu des faits de la présente affaire, pour les motifs exposés ci-dessus. L’un des éléments importants dans la présente affaire est l’absence de rentabilité, même future, des activités agricoles de M. Curtis. Cela reste un facteur clé pour juger si une source de revenu peut faire partie de la principale source de revenu d’une personne, sans égard à l’issue ultime de l’affaire Craig. La non-rentabilité n’était pas causée par la maladie de la vache folle, par l’incendie ou par les blessures de l’appelant. L’entreprise n’était pas rentable avant que ces événements ne se produisent et ne l’était pas plus par la suite. Dans le meilleur scénario qu’il avait envisagé quant à la taille du troupeau, aux ventes et aux prix, ses activités agricoles n’auraient jamais pu être rentables de la manière dont il les exerçait ou qu’il planifiait de les exercer. 

 

[42]        Pour ces motifs, les appels interjetés par M. Curtis pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 sont rejetés.

 

Signé à Kelowna (Colombie-Britannique), ce 12e jour de juillet 2012.

 

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2012.

 

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 248

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011‑580(IT)I

 

INTITULÉ :                                      PETER CURTIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 12 juillet 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. Michael Ashmore

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Christopher M. Bartlett

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                             Nom :                  

 

                             Cabinet :                       

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] [1978] 1 R.C.S. 480, 77 D.T.C. 5213 [Moldowan].

[2] Ibid, p. 486.

[3] Ibid, p. 487-488.

[4] 2006 CAF 281, 2006 D.T.C. 6544 [Gunn].

[5] 2011 CAF 22, 2011 D.T.C. 5047 [Craig].

[6] 2009 CCI 617, 2010 D.T.C. 1032 [Craig c. La Reine].

[7] Ibid.

[8] 2001 CAF 72, 2001 D.T.C. 5237.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.