Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2012 CCI 273

Date : 20120723

Dossier : 2007-1806(IT)G

 

ENTRE :

VELCRO CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

Le juge en chef adjoint Rossiter

 

[1]     Après avoir rendu mon jugement dans le présent appel, j'ai invité les deux parties à présenter des observations orales ou écrites sur les dépens, et les deux parties l'ont fait.

 

Les thèses des parties

 

[2]     a) La thèse de l'appelante

 

L'appelante soutient que l'adjudication de dépens plus élevés est justifiée dans les circonstances de l'espèce, principalement pour les raisons suivantes :

 

·                    l'appelante a eu entièrement gain de cause dans l'appel;

 

·                    le montant en litige dépassait 9 millions de dollars;

 

·                    les questions soulevées dans l'appel avaient une importance nationale et internationale;

 

·                    la nouveauté des questions soulevées a fait que l'appelante a dû consacrer beaucoup de temps et de ressources à la préparation et à la présentation de l'appel.

 

L'appelante estime que la Cour devrait lui accorder des dépens sous la forme d'une somme forfaitaire selon un montant supérieur à ce qui est prévu au tarif et elle a fourni à cette fin des précisions concernant ses frais sur la base procureur‑client, y compris les débours.

 

b)      La thèse de l'intimée

 

L'intimée soutient pour sa part que l'officier taxateur devrait taxer les dépens de l'appelante conformément au tarif B de l'annexe II des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »). Elle estime que la question a déjà été tranchée dans la décision Prévost Car Incc. Canada, 2008 CCI 231, décision confirmée par la Cour d'appel fédérale (2009 CAF 57) (« Prévost Car Inc. »), et que l'appelante n'a pas présenté d'éléments de preuve établissant le travail et les efforts consacrés à l'appel. L'intimée affirme qu'il n'existe pas de circonstances exceptionnelles qui justifieraient que la Cour, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, adjuge des dépens dépassant ce qui est prévu au tarif, et elle invoque à cet égard une décision rendue par l'ancien juge en chef Bowman : Banque continentale du Canada c. La Reine, [1994] A.C.I. no 863 (QL) (« Banque continentale »).

 

Analyse

 

[3]     Au cours des dernières années, les dépens ont joué un rôle plus important dans les litiges fiscaux, lesquels sont de plus en plus complexes, nécessitent une plus longue préparation et une gestion détaillée et portent sur des sommes plus élevées, de sorte que davantage de ressources semblent être consacrées à la présentation des appels. L'application du tarif par opposition à l'adjudication de dépens selon un montant supérieur à ce qui y est prévu, l'adjudication d'une somme forfaitaire, les circonstances dans lesquelles le tarif n'est pas appliqué et l'analyse effectuée pour l'adjudication et la fixation des dépens sont des questions qui sont constamment soulevées dans les litiges.

 

[4]     L'intimée semble être quelque peu confuse en ce qui a trait au pouvoir dont jouit la Cour canadienne de l'impôt en vertu des Règles en matière d'adjudication des dépens. L'intimée semble avancer que, dans la décision Banque continentale, l'ancien juge en chef Bowman a voulu dire que la Cour ne peut adjuger de dépens dépassant ce qui est prévu au tarif, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme une inconduite ou un retard excessif. Dans l'appel Banque continentale, l'appelante a sollicité une ordonnance de dépens entre parties ainsi que des dépens dépassant les montants prévus au tarif B de l'annexe II à l'égard des services et débours payés raisonnablement. Au cours de l'évaluation qu'il a faite de la demande de l'appelante pour des dépens excédant ceux prévus au tarif, l'ancien juge en chef Bowman a examiné le rôle du tarif et des montants qui y sont prévus et s'est exprimé de la sorte :

 

[9]        Il est manifeste que les montants prévus au tarif ne sont nullement censés compenser entièrement une partie des frais juridiques que celle‑ci a engagés dans la poursuite d'un appel. Le fait que les montants prévus au tarif paraissent excessivement bas par rapport aux dépens réels d'une partie n'est pas une raison pour adjuger des dépens supplémentaires à ceux que prévoit le tarif. Je ne crois pas que, chaque fois que la présente Cour est saisie d'une cause de nature fiscale importante et complexe, nous devrions user de notre pouvoir discrétionnaire pour hausser les dépens adjugés à un montant qui corresponde davantage à celui que les avocats des contribuables factureront vraisemblablement. Il doit avoir été évident aux membres des comités de rédaction des règles qui ont fixé le tarif que les dépens entre parties qui peuvent être recouvrés sont de peu d'importance par rapport aux frais réels qu'une partie peut avoir engagés. Nombreuses sont les causes importantes et complexes dont la Cour est saisie. Les litiges de nature fiscale sont un aspect complexe et spécialisé du droit, et les rédacteurs des Règles auxquelles nous sommes soumis devaient le savoir.

 

[10]      Il faut habituellement respecter le tarif, à moins de circonstances exceptionnelles, dont une inconduite de la part de l'une des parties, un retard abusif, une prolongation inutile de l'instance, des querelles procédurales inutiles, pour n'en citer que quelques‑unes. Aucun de ces éléments n'est présent en l'espèce.

 

[5]     Dans la décision Capital générale électrique du Canada Inc. c. La Reine, 2010 TCC 490 (« Générale électrique »), le juge Hogan a cité ces remarques et a souligné que le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) avait accordé des dépens sous la forme d'une somme forfaitaire dans la décision Lau c. La Reine, 2003 CCI 74, laquelle a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (2004 CAF 10). Le juge Hogan a précisé que, dans Générale électrique, l'avocat de l'intimée a soutenu vigoureusement que la Cour ne devrait pas s'écarter du tarif, sauf dans des circonstances spéciales justifiant l'adjudication des dépens sur la base procureur‑client et se rapportant à la conduite des parties pendant le litige. Le juge Hogan a cité les remarques que le juge Bowman avait formulées dans McGorman c. La Reine, no 86‑355(IT)I, 21 avril 1999, [1999] A.C.I. no 219 (QL) (C.C.I.), aux paragraphes 13 et 14 (« McGorman ») :

 

[TRADUCTION]

 

[23]      L'avocat de l'intimée a soutenu avec conviction que je devrais respecter le principe énoncé précédemment dans certains jugements par mes collègues et anciens collègues, selon lequel la Cour ne devrait pas s'écarter du tarif, sauf dans des circonstances spéciales justifiant l'adjudication des dépens sur la base procureur‑client et se rapportant à la conduite des parties ou de leur avocat au cours du litige. Comme l'a souligné le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision McGorman c. La Reine, no 86‑355(IT)I, 21 avril 1999, [1999] A.C.I. no 219 (QL) (C.C.I.) :

 

[13]      J'essaierai d'énoncer brièvement mes points de vue quant à savoir comment les dépens devraient être adjugés dans ces causes. Évidemment, la Cour a des pouvoirs discrétionnaires assez vastes concernant les frais, mais ces pouvoirs doivent être exercés suivant des principes appropriés et non pas d'une manière capricieuse. Par exemple, le simple fait qu'une affaire soit nouvelle, unique en son genre, complexe ou difficile ou qu'elle implique beaucoup d'argent n'est pas une raison de s'écarter de ce que prévoit le tarif, qui doit de façon générale être respecté en l'absence de circonstances exceptionnelles. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit au sujet de l'adjudication de dépens sur une base procureur‑client dans l'affaire Continental Bank of Canada et al. v. The Queen, 94 D.T.C. 1858, à la page 1874.

 

[14]      Existe‑t‑il ici des circonstances exceptionnelles justifiant l'adjudication de dépens sur une base procureur‑client? Il est vrai que les causes étaient importantes et difficiles et qu'elles soulevaient une grande variété de questions juridiques et ecclésiastiques exigeant l'aide d'experts. En soi, cela ne justifie pas l'adjudication de dépens sur une base procureur‑client.

 

[6]     À l'instar du juge Hogan, je souligne que, dans la décision McGorman, l'ancien juge en chef Bowman semble avoir examiné la question des dépens sur la base procureur‑client, comme l'avait fait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, où la juge McLachlin a décidé qu'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de l'une des parties doit être établie pour qu'une ordonnance de dépens sur la base procureur‑client puisse être rendue. Si l'ancien juge en chef Bowman a voulu dire que la Cour canadienne de l'impôt peut s'écarter du tarif uniquement dans des circonstances exceptionnelles, je ne partage pas son opinion. À mon avis, les circonstances exceptionnelles dont il a fait mention dans Banque continentale comprenaient des circonstances pouvant justifier l'adjudication des dépens sur la base procureur‑client, ce qui n'est certainement pas prévu au tarif. À mon sens, il n'est pas nécessaire d'établir des circonstances exceptionnelles pour s'écarter du tarif, loin de là. Le pouvoir de la Cour canadienne de l'impôt est tout à fait clair.

 

[7]     Les Règles sont établies par le comité des règles de la Cour canadienne de l'impôt, organisme d'origine légale constitué en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. 1985, ch. T‑2. Les Règles doivent recevoir l'approbation du gouverneur en conseil.

 

[8]     Le tarif annexé aux Règles est uniquement un point de repère que la Cour peut utiliser si elle le désire. Il est intéressant de souligner que la première des deux mentions du tarif à l'article 147 des Règles se trouve au paragraphe 147(4), qui accorde en soi un pouvoir extrêmement large à la Cour relativement à l'adjudication des dépens.

 

[9]     Malgré les commentaires que l'ancien juge en chef Bowman a formulés au paragraphe 9 de la décision Banque continentale, je suis d'avis que :

 

1.       Le tarif n'est nullement censé compenser entièrement les frais juridiques supportés par une partie lors d'un appel.

 

2.       Le tarif n'est pas censé non plus être dérisoire au point d'être négligeable et de jouer un rôle minime dans la façon dont les parties poursuivent les litiges. La Cour peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire pour fixer des montants appropriés.

 

3.       La Cour doit adjuger les dépens à son entière discrétion, après avoir examiné les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles.

 

4.       La Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des principes.

 

5.       Les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles constituent les éléments clés dont la Cour doit tenir compte pour adjuger les dépens, en fixer le montant et décider si elle devrait s'écarter ou non du tarif.

 

6.       Habituellement, la Cour devrait appliquer les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles en se fondant sur des principes et sur les observations des parties au sujet des dépens et invoquer le tarif uniquement s'il lui semble souhaitable de le faire.

 

7.       La façon dont le tarif est mentionné à l'article 147 des Règles montre le peu d'importance qu'il a dans les considérations ayant trait aux dépens.

 

[10]   Un examen attentif de la structure et du texte de l'article 147 des Règles permet de comprendre pourquoi le tarif est un élément que la Cour canadienne de l'impôt ne prend en compte que si elle choisit de le faire. Il semblerait que le comité des règles savait exactement ce qu'il faisait lorsqu'il a structuré les Règles de la façon dont il l'a fait.

 

[11]   Le paragraphe 147(1) des Règles est ainsi libellé :

 

La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

 

Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 147(1) est extrêmement large : cette disposition accorde à la Cour une discrétion absolue quant à la fixation des frais et dépens, à leur répartition et à la désignation des personnes qui doivent les supporter.

 

[12]   Le paragraphe 147(3) des Règles énonce les facteurs que la Cour prend en compte lors de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Après avoir énuméré une liste de facteurs, cette disposition précise que la Cour peut tenir compte « de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens », accordant ainsi à la Cour un pouvoir discrétionnaire encore plus large qui lui permet d'examiner d'autres facteurs qu'elle estime pertinents dans chaque affaire. Ces autres facteurs susceptibles d'être pertinents pourraient comprendre :

 

1.       les frais réels qu'une partie a supportés et leur répartition, y compris l'expérience des avocats, les honoraires exigés et le temps consacré à l'appel;

 

2.       le montant des dépens que la partie perdante pourrait raisonnablement s'attendre à payer relativement à l'instance pour laquelle les dépens sont fixés;

 

3.       la question de savoir si les frais supportés pour la présentation du témoignage d'un témoin expert étaient justifiés.

 

[13]   Les facteurs dont la Cour doit tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire en matière d'adjudication des dépens sont extrêmement larges; ces facteurs dépendent des faits de chaque appel; de plus, comme je l'ai souligné, la Cour peut tenir compte de tout autre élément pertinent quant à la question des dépens.

 

[14]   Il n'est fait mention du tarif qu'au paragraphe 147(4) des Règles, dont voici le libellé :

 

La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

 

[15]   Le paragraphe 147(5) va encore plus loin :

 

Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

 

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question ou d'une partie de l'instance particulière;

 

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés jusqu'à et y compris une certaine étape de l'instance;

 

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur‑client.

 

Il n'est pas fait mention du tarif au paragraphe 147(5).

 

[16]   Selon les Règles, la Cour canadienne de l'impôt n'est même pas tenue de mentionner l'annexe II, tarif B, lorsqu'elle adjuge les dépens. Elle peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et elle peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés. Les Règles ne donnent même pas à penser que la Cour doit suivre le tarif ou y faire référence. Si le comité des règles de la Cour canadienne de l'impôt avait pensé que le tarif était si important, il aurait été facile d'énoncer dans les Règles l'obligation pour la Cour d'appliquer le tarif en tout temps, à moins qu'elle ne soit d'avis contraire. Le comité des règles ne l'a pas fait, loin de là. En fait, il est difficile d'imaginer comment le pouvoir discrétionnaire dont la Cour canadienne de l'impôt jouit en matière d'adjudication des dépens pourrait être plus large, eu égard au libellé des paragraphes 147(1), (3), (4) et (5) des Règles. Ces dispositions de l'article 147 font de la mention du tarif B de l'annexe II une question laissée à l'entière discrétion de la Cour.

 

[17]   J'estime que, dans tous les cas, le juge devrait examiner la question des dépens à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et appliquer ces facteurs en se fondant sur des principes avant même de décider s'il doit se tourner vers le tarif B de l'annexe II. Dans sa sagesse, le comité des règles a mentionné brièvement le tarif, mais seulement après avoir accordé à la Cour canadienne de l'impôt un pouvoir discrétionnaire très large et très important sur toutes les questions relatives aux dépens. Comme l'a expliqué mon collègue le juge Hogan dans la décision Générale électrique :

 

[TRADUCTION]

 

[26]      [...] à mon avis, le comité des règles savait pertinemment qu'il existe de nombreux facteurs pouvant justifier un écart du tarif et l'adjudication des dépens entre parties sur un fondement différent, y compris l'adjudication d'une somme forfaitaire. Le paragraphe 147(3) des Règles confirme cette réalité en énumérant des facteurs précis, puis en ajoutant l'alinéa j), disposition fourre‑tout qui renvoie à « toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens ». Si l'inconduite était le seul cas où la Cour pouvait s'écarter du tarif, le paragraphe 147(3) serait superflu. Les mots que comporte un texte légal ne sont généralement pas considérés comme des mots superflus. Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans Hills c. Canada (PG), [1988] 1 R.C.S. 513 :

 

[108] [...] en lisant un texte législatif, on doit « présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne « parle pas pour ne rien dire » » (P.‑A. Côté, Interprétation des lois (1982), aux pp. 228 et 229).

 

[27]      Il a été affirmé à maintes reprises que les commentaires qu'a formulés la juge McLachlin dans Young c. Young au sujet de l'inconduite portaient uniquement sur la possibilité d'obtenir des dépens sur la base procureur‑client. Il est vrai qu'« en général, le plaideur qui l'emporte a droit aux frais et dépens entre parties », conformément au tarif. Il est vrai aussi que pour qu'une partie soit tenue de verser des dépens à l'autre partie sur la base procureur-client, il faut que sa conduite soit dans une certaine mesure répréhensible. Il faut éviter de confondre les deux règles, ce qui rendrait impossible toute solution mitoyenne.

 

[28]      La Loi d'interprétation s'applique à la LIR et aux Règles de la Cour. Selon l'article 12 de la Loi d'interprétation, tout texte « est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Il est raisonnable de conclure que l'article 147 des Règles visait à permettre au juge de s'écarter du tarif afin d'accorder un dédommagement juste et raisonnable dans les circonstances, en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II. Une interprétation restrictive de cette disposition qui obligerait le contribuable qui sollicite une indemnité partielle ou une somme forfaitaire au lieu ou en sus des dépens prévus au tarif à satisfaire au même critère qui s'applique à l'obtention de dépens sur la base procureur‑client irait à l'encontre d'au moins un des objets de l'article en question.

 

[18]   Une comparaison du pouvoir discrétionnaire accordé à l'article 147 des Règles avec celui qui est prévu au paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles des Cours fédérales »), illustre à quel point l'approche des comités des règles peut être différente.

 

[19]   Selon le paragraphe 147(4) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt :

 

La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

Le paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales est ainsi libellé :

 

La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

À mon avis, une différence de taille existe entre ces deux dispositions en ce qui a trait au libellé ainsi qu'à l'importance donnée au tarif. Malgré cette différence, dans l'arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451, 2002 CAF 417, la Cour d'appel fédérale a conclu que les Règles des Cours fédérales accordent à la Cour fédérale un pouvoir discrétionnaire en matière d'adjudication des dépens :

 

[8]        Une adjudication de dépens partie‑partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat‑client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie‑partie.

 

[9]        Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat‑client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui‑même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a « entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

 

[10]      Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie‑partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.

 

[20]   Il y a également lieu de consulter les Règles de procédure civile de l'Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les « Règles de l'Ontario »), notamment l'article 57.01 et les tarifs. Voici le texte du paragraphe 57.01(3) de ces Règles :

 

Fixation des dépens : tarifs

 

(3) Lorsque le tribunal adjuge les dépens, il fixe ceux-ci conformément au paragraphe (1) et aux tarifs.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

Les Règles de la Cour canadienne de l'impôt ne comportent aucune disposition semblable au paragraphe 57.01(3) des Règles de l'Ontario : aucune disposition ne donne à entendre de la moindre façon que la Cour doit fixer les dépens conformément au tarif.

 

[21]   Même si le paragraphe 57.01(3) des Règles de l'Ontario semble accorder au tribunal un pouvoir discrétionnaire minime, il est intéressant de souligner que ce pouvoir discrétionnaire a été accru par suite de récentes modifications. Auparavant, les Règles de l'Ontario comportaient une « grille de dépens » au tarif A (partie I). Le tribunal devait suivre la grille de dépens et sa seule marge de manoeuvre était la possibilité, dans un cas exceptionnel, de prescrire le renvoi des dépens pour leur liquidation conformément au paragraphe 57.01(3.1). Le 1er juillet 2005, la grille de dépens a été abrogée. Bien que les tarifs prévoient encore des montants au titre des débours (tarif A, partie II) et des honoraires d'avocat pour l'approbation des comptes sans audience (tarif C), ils ne prévoient plus de taux fixes pour les honoraires des avocats. Le tribunal se fonde désormais sur l'article 131 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, et sur les facteurs de nature discrétionnaire énoncés au paragraphe 57.01(1) des Règles. Les parties qui sollicitent des dépens doivent présenter un « sommaire des dépens » (à l'aide de la formule 57B) à l'audience. Le sous‑comité des dépens du comité des règles de procédure civile a également publié une liste des taux horaires maximaux dont le tribunal tiendra normalement compte pour l'adjudication de dépens d'indemnisation partielle. (Voir le professeur Garry D. Watson, c.r., et Michael McGowan, Ontario Civil Practice 2012 (Toronto, Carswell, 2011), aux pages 1200 à 1203; James J. Carthy, W. A. Derry Millar et Jeffrey G. Cowan, Ontario Annual Practice (Aurora (Ontario), Thomson Reuters, 2011), aux pages 1197 et 1198.)

 

[22]   J'examine maintenant l'appel dont je suis saisi en l'espèce.

 

[23]   J'estime qu'il s'agit d'un appel pour lequel il y a lieu d'accorder des dépens sous la forme d'une somme forfaitaire sans tenir compte du tarif B de l'annexe II.

 

[24]   Comme je l'ai mentionné plus haut, la Cour dispose d'un large pouvoir discrétionnaire en matière d'adjudication des dépens. Je me reporte au paragraphe 147(3) des Règles.

 

1.       Le résultat de l'instance : l'appelante a obtenu entièrement gain de cause dans l'instance. La position de l'intimée a été entièrement rejetée.

 

2.       Les sommes en cause : les sommes en cause sont toujours importantes pour les parties à un litige. Les sommes en cause en l'espèce étaient très élevées et dépassaient 9 000 000 $, soit un montant d'environ 8 600 000 $ au titre de l'impôt des non‑résidents ainsi que des pénalités d'environ 860 000 $; le montant annuel au titre de l'impôt des non‑résidents était d'environ 230 000 $ à environ 1 600 000 $. Même si la Cour a examiné des appels pour les années allant de 1995 à 2004 inclusivement, les sommes en cause étaient très élevées.

 

3.       L'importance des questions en litige : le litige dont la Cour a été saisie portait sur l'application du critère du « bénéficiaire effectif » et sur la détermination de la personne qui était le bénéficiaire effectif des redevances en cause. Bien que l'intimée souligne que ce n'était pas la première fois que le critère du « bénéficiaire effectif » était examiné et appliqué au Canada, c'est la première fois qu'il l'a été au Canada dans le cas de redevances. La décision Prévost Car Inc. que le juge en chef Rip a rendue en 2008 et que la Cour d'appel fédérale a confirmée en 2009 est certainement la décision clé sur le critère du « bénéficiaire effectif », mais le litige en l'espèce était quelque peu différent, puisqu'il portait sur des redevances, plutôt que sur les dividendes qui étaient en cause dans Prévost Car Inc. Des différences importantes existent quant à la façon de déterminer les dividendes par opposition aux redevances. Les paiements de dividendes sont déterminés par une décision prise à l'interne par le conseil d'administration de la société, tandis que les obligations liées aux redevances proviennent de l'extérieur et découlent de contrats. Comme l'illustrent les commentaires formulés après la décision et les discussions dont elle a fait l'objet, au Canada comme à l'étranger, la décision avait une certaine importance. La question dont la Cour était saisie était importante, parce qu'elle portait sur le critère du « bénéficiaire effectif » et sur l'application de ce critère dans un domaine que la Cour n'avait pas exploré auparavant. De plus, il s'agit de la première affaire dont la Cour est saisie sur cette question depuis l'arrêt Prévost Car Inc. de la Cour d'appel fédérale.

 

4.       Toute offre de règlement présentée par écrit : d'après le dossier, aucune des parties n'a présenté d'offre de règlement par écrit.

 

5.       La charge de travail : toute affaire portée devant la Cour canadienne de l'impôt nécessite une certaine préparation et un certain travail; cependant, les efforts exigés peuvent être beaucoup plus importants lorsque la somme en cause est élevée et que la question en litige est assez nouvelle et importante. Eu égard à la façon dont l'affaire a été débattue et à la présentation faite par les parties, il est permis de dire que les efforts faits ont été considérables.

 

6.       La complexité des questions en litige : la question elle‑même était relativement simple, mais les faits qui l'entouraient étaient plutôt complexes, en raison des divers contrats qui portaient sur le flux des redevances entre les parties aux différents accords, y compris des contrats de licence et de cession et des lettres s'y rapportant, qui comportaient tous certaines dispositions qui ont touché ou ont pu toucher l'interprétation de ces contrats et la détermination du bénéficiaire effectif des redevances en cause.

 

7.       La conduite des parties, la dénégation d'un fait par une partie ou son refus de l'admettre lorsque ce fait aurait dû être admis, et la question de savoir si une étape de l'instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection :

 

Je n'ai vu aucune conduite des parties qui constituerait une tentative de prolonger indûment la durée de l'instance et je n'ai constaté aucune dénégation d'un fait par une partie, ni négligence ou refus d'admettre un fait qui aurait dû être admis. De plus, je ne crois pas qu'une étape de l'instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou qu'elle a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection. À mon avis, l'appel lui‑même a été plaidé de façon très compétente et les deux avocates ont présenté des observations fort impressionnantes devant la Cour.

 

[25]   L'intimée affirme qu'aucun élément de preuve n'a été présenté en l'espèce au sujet de la question des dépens, mais elle n'a pas mentionné que les observations sont faites par l'avocate de l'appelante, qui est un fonctionnaire judiciaire. Il n'est pas nécessaire que les exposés des faits des fonctionnaires judiciaires soient présentés sous serment, car ils sont présumés être faits sous serment, puisqu'ils sont faits par un fonctionnaire judiciaire. Cet argument que l'intimée a soulevé m'a semblé technique et certainement mineur par rapport à l'importance de l'appel.

 

[26]   J'ai examiné tous les facteurs que j'estimais susceptibles d'influer sur la détermination des dépens en l'espèce, conformément au paragraphe 147(3) des Règles. À mon avis, les facteurs qui revêtent une importance particulière en l'espèce sont les suivants : a) le résultat de l'instance : l'appelante a eu entièrement gain de cause dans le litige, b) l'appelante a fait une excellente présentation à l'instruction, c) la somme en cause était fort élevée, d) la question en litige était importante à l'échelle tant nationale qu'internationale, e) la question était nouvelle, puisqu'elle n'avait jamais été examinée par la Cour canadienne de l'impôt. Ces facteurs jouent un rôle important lors de l'adjudication des dépens en l'espèce.

 

[27]   Les litiges fiscaux sont complexes et hautement spécialisés. La Cour est saisie d'un grand nombre d'affaires qui, indépendamment du montant en cause, sont parfois complexes et portent sur des questions importantes. L'intimée a soutenu en réalité qu'à moins que l'appel ne nécessite l'adjudication des dépens sur la base procureur‑client, la Cour doit s'en tenir au tarif. Cette thèse est erronée et va à l'encontre de l'article 147 des Règles qu'a rédigé le comité des règles de la Cour canadienne de l'impôt. Je me reporte de nouveau aux commentaires que mon collègue le juge Hogan a formulés au sujet de l'application de l'article 147 des Règles, notamment du paragraphe 147(3), et que j'ai cités plus haut. Je me reporte aussi à mon analyse de l'interprétation de l'article 147 des Règles et de l'intention claire et manifeste des rédacteurs quant au rôle discrétionnaire du tarif en matière d'adjudication des dépens.

 

[28]   Les dépens devraient traduire les efforts raisonnables des parties au cours du litige. En conséquence, la complexité ou l'ampleur du litige ou l'importance de la somme en cause joue un rôle en ce qui a trait aux efforts consacrés au litige et, à cet égard, les dépens adjugés doivent tenir compte des réalités des litiges fiscaux dans le contexte de chaque cas.

 

[29]   Eu égard à l'ensemble des facteurs dont j'ai fait mention visés au paragraphe 147(3) des Règles et au large pouvoir discrétionnaire dont la Cour jouit en matière d'adjudication des dépens, j'accorde des dépens de 60 000 $ à l'appelante, ainsi que ses débours mentionnés dans son mémoire des dépens, de même que toutes les taxes applicables. Je reconnais volontiers que la somme forfaitaire de 60 000 $ est nettement inférieure aux frais juridiques que l'appelante a déboursés au cours de l'appel et qu'elle ne correspond pas non plus au montant prévu au tarif. Comme l'ont souligné de nombreux juristes, les dépens ne visent pas à dédommager les parties au litige des frais qu'elles ont supportés. Cette somme forfaitaire est bien inférieure aux frais que l'appelante a effectivement payés. Afin de dédommager en partie l'appelante pour avoir dû justifier sa thèse devant la Cour avec autant de succès, il est juste de lui accorder une somme globale de 60 000 $. Cette adjudication reconnaît également les efforts importants que l'appelante a consacrés au litige et la présentation très efficace qu'elle a faite à l'audition de l'appel sur cette question nouvelle. À mon avis, l'octroi de cette somme globale traduit de façon juste et raisonnable le montant qui devrait être accordé au titre des dépens, eu égard aux motifs que j'ai énumérés plus haut.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juillet 2012.

 

 

« E. P. Rossiter »

Le juge en chef adjoint Rossiter

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d'octobre 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 273

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2007-1806(IT)G

 

INTITULÉ :                                      VELCRO CANADA INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    Le juge en chef adjoint E. P. Rossiter

 

DATE DE L'ORDONNANCE :        Le 23 juillet 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocates de l'appelante :

Me Louise Summerhill et Me Marni Pernica

 

Avocats de l'intimée :

Me Margaret Nott et

Me Amit Ummat

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                    Nom :                            Louise Summerhill

                    Cabinet :               Aird & Berlis

                                                 Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :               Myles J. Kirvan, c.r.

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

 

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