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Dossier : 2011-555(IT)G

ENTRE :

COLIN J. HINE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 juin 2012 à Ottawa, Canada,

motifs du jugement rendus par conférence téléphonique le 5 juillet 2012

et motifs rejetant la requête en dépens majorés de l’appelant.

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Susan G. Tataryn

 

Avocat de l’intimée :

Me Hong Ky (Eric) Luu

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel relatif à la cotisation établie en vertu de la Loi sur l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2006 est accueilli avec dépens, suivant le tarif applicable, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs exposés dans les motifs du jugement ci-joints.

 

La requête en dépens majorés de l’appelant est rejetée.

 

Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 15e jour d’août 2012.

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d’octobre 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2012 CCI 295

Date : 20120815

Dossier : 2011-555(IT)G

ENTRE :

COLIN J. HINE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(rendus le 5 juillet 2012 par conférence téléphonique)

et MOTIFS DU REJET DE LA REQUÊTE EN DÉPENS MAJORÉS DE L’APPELANT

 

Le juge Hershfield

 

[1]   L’appelant, M. Colin J. Hine, a omis de faire état d’un revenu d’entreprise de 157 965 $ dans sa déclaration de revenus pour 2006. Cette somme a fait l’objet d’une cotisation et le ministre du Revenu national (le « ministre ») a également imposé la pénalité pour faute lourde que prévoit le paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1]. Seule la pénalité pour faute lourde est en litige dans le présent appel.

 

[2]   Trois personnes ont témoigné à l’audience : l’appelant, sa conjointe de fait (la « conjointe ») ainsi qu’un ancien employeur de cette dernière. Hormis le fait d’avoir à évaluer l’importance à accorder au témoignage intéressé de l’appelant et de sa conjointe, j’ai trouvé les trois témoins sincères et dignes de foi.

 

 


Le contexte

 

[3]     L’appelant travaillait comme entrepreneur général depuis la fin des années 1990. En 2005, il s’est lancé dans une nouvelle entreprise commerciale : acheter une maison, la rénover et, ensuite, la revendre (« achat et revente de maisons »). Il exécutait lui-même la majeure partie des travaux de rénovation, mais il avait aussi recours aux services de sous-traitants.

 

[4]     La première maison que l’appelant a ainsi achetée et revendue a été désignée à l’audience comme la maison Tedwyn; celle-ci a été achetée en février 2005 et revendue à profit au mois de juin de la même année. Ensuite, au mois d’août 2005, l’appelant a fait l’acquisition d’une deuxième maison, désignée à l’audience comme la maison Greyrock; cette dernière a été revendue en avril 2006. C’est aussi en avril 2006 qu’a été achetée la troisième maison; celle-ci a été désignée à l’audience comme la maison Pinhey. Le revenu d’entreprise qui a été sous-estimé est imputé uniquement à la vente de la maison Greyrock.

 

[5]     Je signale à ce stade que l’appelant n’a jamais touché d’argent par suite de la vente de la maison Greyrock. Le produit a été versé dans le compte en fiducie de son avocat. Celui-ci a utilisé le produit de la vente de la maison Greyrock pour l’achat de la maison Pinhey. Selon l’état de compte en fiducie de l’avocat (pièce A‑1, onglet 4), le produit reçu de l’acheteur à la clôture de la vente de la maison Greyrock s’élève à 161 035,12 $, soit 157 965 $ de moins que le prix de vente réel de 319 000 $. L’avocat n’a pas témoigné, mais je n’ai aucune raison de ne pas ajouter foi aux témoignages que j’ai entendus à l’audience. Plus précisément, il a été dit que la différence entre le produit de vente reçu qui était consigné dans l’état de compte de l’avocat et le prix de vente réel était le montant de la charge hypothécaire grevant la maison Greyrock qui a été payée au créancier hypothécaire. À cet égard, il a été dit que l’état de compte était erroné.

 

[6]     La conjointe de l’appelant, qui tenait les registres comptables et établissait les déclarations de revenus, a déclaré qu’elle n’avait reçu l’état de compte de fiducie de l’avocat que quelques jours avant la date limite de production de la déclaration concernant l’année d’imposition 2006 de l’appelant, soit le 30 avril 2007. Elle a considéré que cet état de compte indiquait bel et bien le montant net à déclarer pour la vente de la maison Greyrock. Cela correspondait, pensait-elle, avec ce qu’elle avait compris à la suite d’une conversation avec un représentant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), à savoir que les paiements hypothécaires réduisaient le gain imposable.

 

[7]     La conjointe de l’appelant, que je devrais appeler Mme Diane Prevost, a de l’expérience en comptabilité générale. En plus du travail qu’elle exerce à plein temps au gouvernement fédéral, elle s’occupe des registres comptables de l’appelant et établit ses déclarations de revenus. L’ancien gestionnaire (maintenant à la retraite) de Mme Prevost, M. Bruce Shorkey, a déclaré que Mme Prevost était une employée organisée, méticuleuse et diligente. Il n’avait aucun doute quant à ses compétences en comptabilité et en gestion financière, ainsi qu’à son honnêteté et à son intégrité. La preuve établit également que Mme Prevost a été récompensée pour son efficacité et son efficience dans l’exercice de ses fonctions.

 

[8]     Dans son témoignage, Mme Prevost a déclaré qu’en 2005, cela faisait déjà plusieurs années qu’elle s’occupait de la comptabilité et des déclarations de revenus de l’appelant. Quand celui-ci a lancé sa nouvelle entreprise en 2005, elle a téléphoné plusieurs fois à l’ARC pour savoir comment déclarer les revenus générés. L’appelant et Mme Prevost ont également rencontré un comptable ou un conseiller en affaires du centre pour les entreprises de l’Hôtel de Ville, en plus de poser des questions à d’autres spécialistes, comme le comptable de leur agent immobilier. Cependant, la plupart de ces personnes n’ont pas pu les aider. Cela est compréhensible, selon moi, car les questions posées mèneraient forcément à des questions liées aux stocks par opposition aux immobilisations. Il aurait été difficile d’obtenir des réponses directes et catégoriques à de telles questions sans reconnaître d’une certaine façon les zones grises, qui dépendraient des faits de chaque cas. Sa persistance a toutefois porté fruit et elle a finalement pu s’entretenir avec un agent de l’ARC, qu’elle a nommé par son prénom. Cet agent a confirmé que l’activité décrite consistait à faire le commerce d’éléments de stock et que les gains réalisés étaient un revenu d’entreprise. Il a examiné les dépenses liées à ce type d’entreprise et a décrit celles qu’il était possible de déduire lors du calcul des profits. Mme Prevost a pris des notes lors de cette conversation et, en s’y reportant, a témoigné sur ce qui lui avait été dit.

 

[9]     L’appelant se fiait entièrement à sa conjointe pour tenir des registres appropriés et établir ses déclarations. Pour chacune des maisons, l’appelant avait une enveloppe distincte dans laquelle se trouvaient tous les reçus, ainsi que d’autres documents relatifs au projet en question. Sa conjointe consignait tout dans un tableau de ventilation Excel qu’elle avait programmé dans son ordinateur personnel. Les tableaux de ventilation Excel présentaient de manière méticuleuse la totalité des chiffres relatifs aux revenus, aux dépenses et aux opérations. À partir de ces données, elle établissait à la fois les déclarations de TPS et de revenus. Il n’y a eu aucun problème avec l’une quelconque des années antérieures, y compris l’année 2005, dans laquelle le gain réalisé à la vente de la maison Tedwyn a été correctement déclaré.

 

[10]   Le revenu d’entreprise de 157 965 $ qui n’a pas été déclaré dans l’année 2006 découle du fait que la conjointe de l’appelant avait, d’après ses registres, inclus dans le coût de la maison Greyrock le prix d’achat total, lequel comprenait la fraction financée au moyen d’un emprunt garanti par une hypothèque grevant la maison. Elle a également utilisé le produit net de la vente, lequel n’incluait pas le montant appliqué pour éteindre l’hypothèque qui, dans l’état de compte en fiducie de l’avocat, était indiqué comme le produit réalisé à la clôture de la vente. L’effet net de cette situation est que la conjointe a soustrait deux fois le montant de l’hypothèque lorsqu’elle a calculé le revenu tiré de cette vente. Par ricochet, cette mesure a créé, à l’égard des activités commerciales générales de l’appelant pour l’année, une perte de 131 653 $.

 

[11]   Mme Prevost a déclaré qu’il s’agissait d’une erreur commise de bonne foi, exacerbée par le fait qu’elle avait dû courir pendant des mois après leur avocat pour obtenir les documents nécessaires et qu’elle ne les avait reçus que quelques jours avant l’échéance prévue pour la production de la déclaration de revenus de l’appelant. C’était le fait d’avoir à précipiter les choses pour éviter d’encourir des pénalités pour production tardive qui avait contribué à l’erreur commise.

 

[12]   Elle a cependant reconnu qu’elle savait qu’il y avait eu un gain important sur la vente de la maison Greyrock et qu’elle était consciente que la perte élevée déclarée ne reflétait pas le gain réalisé. Cependant, elle n’a pas voulu reconnaître qu’il s’agissait là d’un écart qui aurait dû lui faire prendre conscience qu’elle avait fait une déclaration inexacte. Elle était au courant des activités commerciales et des gains de l’appelant et avait déclaré comme il le fallait le profit réalisé sur la vente de la maison Tedwyn. Cependant, elle a persisté à dire qu’elle pensait que l’appelant se trouvait dans une situation déficitaire pour le calcul de l’impôt. Cette impression découlait d’une combinaison de facteurs : n’avoir pas vu d’argent à la suite de la vente de la maison Greyrock; avoir utilisé l’argent tiré de cette vente pour l’achat de la maison Pinhey; avoir mal compris la déduction hypothécaire qui, selon elle, avait été réglée dans l’état de compte en fiducie de l’avocat qu’elle avait reçu quelques jours à peine avant d’avoir à produire la déclaration, ce qui ne lui avait pas laissé le temps voulu pour penser à éclaircir l’état de compte. À ce moment-là, elle s’était dit qu’étant donné que l’hypothèque était déductible, elle ne déduirait tout simplement pas l’hypothèque à titre de dépense distincte et que, en tout état de cause, les chiffres mèneraient de toute façon au même résultat. C’est-à-dire qu’elle n’avait pas compris, avant de s’entretenir avec un représentant de l’ARC à la suite d’une vérification, qu’elle avait en fait déduit le montant de l’hypothèque à deux reprises en l’incluant dans le coût de la maison.

 

[13]   Il convient de signaler que Mme Prevost a déclaré que la vérification de l’année d’imposition 2006 de l’appelant a débuté en avril 2008 et que, malgré son entière collaboration, le fait qu’elle avait reconnu volontiers son erreur et le fait que l’ARC lui avait assuré qu’il n’y aurait pas de pénalités, il a fallu un temps considérable pour que l’on traite la nouvelle cotisation, qui a été établie, avec pénalités, en juin 2009. Le montant d’impôt établi par la nouvelle cotisation était inférieur à 5 200 $, et la pénalité pour faute lourde s’élevait à 28 111 $.

 

La question en litige

 

[14]   La question qui se pose en l’espèce consiste à savoir s’il est justifié que le ministre impose dans les circonstances la pénalité pour faute lourde que prévoit le paragraphe 163(2).

 

L’argumentation de l’intimée

 

[15]   L’intimée invoque les décisions suivantes : 1) Lacroix c. La Reine, 2008 CAF 241; 2) Zhou c. La Reine, 2006 CAF 211; 3) Panini c. La Reine, 2006 CAF 224; 4) Venne v. The Queen, [1984] C.T.C. 223 (C.F. 1re inst.); 5) Labow c. La Reine, 2010 CCI 408; 6) Hougassian c. La Reine, 2007 CCI 293; 7) Brygman v. Minister of National Revenue, [1979] C.T.C. 3117 (Commission de révision de l’impôt).

 

[16]   Dans mon analyse, je traiterai de ces précédents jurisprudentiels le cas échéant. Il a été question de ces précédents à l’audience quand l’avocat de l’intimée l’a jugé nécessaire. Il s’agit, il va sans dire, de précédents jurisprudentiels dont les faits et les conclusions étayent censément la thèse de l’intimée selon laquelle le ministre s’est acquitté du fardeau que la Loi impose à la Couronne pour ce qui est de justifier l’imposition de la pénalité.

 

[17]   Selon l’avocat de l’intimée, la perte déclarée en 2006 est élevée et fait nettement contraste avec l’année précédente et, selon lui, il est difficile de souscrire à l’affirmation selon laquelle une erreur a été commise de bonne foi en 2006, étant donné que la conjointe de l’appelant a été capable de produire correctement sa déclaration de revenus pour 2005. Les deux savaient qu’ils avaient réalisé un gain important en 2006 et que la déclaration d’une perte considérable aurait dû – a dû – avertir M. Hine ou Mme Prevost que quelque chose clochait. Ils ont reconnu dans leur témoignage qu’ils savaient qu’ils avaient eu une année très profitable en 2006 et que la vente très payante de la maison Greyrock était une opération qu’on n’oublie pas – qui [traduction] « reste gravée dans la mémoire ».

 

[18]   De plus, si l’on compare l’année 2005 et l’année 2006, ce qui s’est passé dans chacune d’elles est relativement semblable. En 2005, deux maisons ont été achetées, mais une seule a été revendue. Dans le même ordre d’idées, en 2006, la maison Greyrock a été revendue et une autre maison a été achetée, mais, là encore, celle-ci n’a pas été revendue en 2006. La vente conclue en 2006 était encore plus payante que celle conclue en 2005. Cependant, le profit réalisé en 2005 a été déclaré comme il faut, tandis que, lorsqu’ils ont déclaré une opération semblable mais plus payante l’année suivante, l’appelant et sa conjointe ont fait état d’une perte élevée. Il ne pouvait pas s’agir d’une erreur commise de bonne foi – soit ils savaient, ou auraient dû savoir, qu’ils déclaraient faussement le revenu tiré de la vente de la maison Greyrock, soit ils ont volontairement fermé les yeux sur des circonstances qu’il fallait éclaircir davantage, sinon rectifier.

 

[19]   Il est allégué que M. Hine, même s’il s’est peut-être bien fié à Mme Prevost, a une certaine responsabilité à assumer. Il était au courant de ses affaires et savait qu’il avait connu une bonne année en 2006. De plus, il n’est pas question d’une planification fiscale compliquée. Le régime fiscal canadien est un régime d’autocotisation; si quelqu’un ne paie pas sa juste part, c’est quelqu’un d’autre qui la paiera. En l’espèce, le fait que la conjointe de M. Hine tenait méticuleusement ses registres comptables met la puce à l’oreille. L’aspect important de l’argument qu’invoque l’avocat de l’intimée est que le tableau de ventilation que Mme Prevost a établi pour 2006, contrairement à celui qui l’avait été pour 2005, ne reflète pas le produit de la vente. Comment une personne si méticuleuse peut-elle ne pas avoir vu que la différence dans la façon dont des faits quasi identiques sont consignés mènera à un faux énoncé dans une déclaration de revenus? Cela ajoute de sérieux doutes quant aux affirmations peu crédibles selon lesquelles il s’agissait d’une erreur commise de bonne foi.

 

[20]   En conclusion, l’intimée soutient que M. Hine était au courant de la faute lourde commise par Mme Prevost. Subsidiairement, elle prétend qu’il y a eu, à tout le moins, aveuglement volontaire, c’est-à-dire que M. Hine a fait preuve d’aveuglement volontaire en ne se renseignant pas davantage sur la perte subie. En gros, l’appelant et sa conjointe ont réalisé un profit en 2006 et le bon sens aurait dû les amener à conclure qu’ils ne pouvaient pas subir une perte élevée. Les deux attirent peut-être la compassion, mais ils savaient ce qu’ils faisaient. La pénalité pour faute lourde a été imposée de façon à assurer la cohésion du régime fiscal en faisant subir aux contribuables les conséquences d’une déclaration inexacte de leur revenu.

 

L’argumentation de l’appelant

 

[21]   L’appelant soutient qu’il s’agissait d’une nouvelle entreprise en 2005 et que sa conjointe et lui ont essayé d’être très détaillés et organisés. Ils ont même commencé à faire des recherches sur la façon dont il fallait déclarer ces revenus en téléphonant à l’ARC ainsi qu’au centre pour les entreprises de l’Hôtel de Ville. Ils ont donc été en mesure de produire correctement leur déclaration de revenus pour 2005. Comment ont-ils fait pour être si minutieux une année et tout à fait insouciants l’année suivante, de sorte qu’il soit justifié de leur imposer la pénalité pour faute lourde?

 

[22]   De plus, même si l’intimée soutient qu’en examinant la déclaration, la perte élevée aurait dû sauter aux yeux de l’appelant et de sa conjointe, l’avocate de ce dernier a fait valoir que lorsqu’on examine la déclaration de revenus (pièce R-12), la ligne du revenu net – la ligne 236 – n’indique aucune perte nette; elle a été laissée en blanc, ce qui dénote un revenu nul. De ce fait, à part soulever quelques soupçons, cela n’aurait mis la puce à l’oreille de personne. Même le montant d’impôt exact qui a été établi en fin de compte dans la nouvelle cotisation est passé d’un montant nul, tel qu’il avait été déclaré, à une simple somme de 5 200 $. Cela dénote que, si l’appelant était à la recherche de signes d’erreur, il n’en aurait peut-être pas vu un seul. Le montant en litige n’aurait peut-être pas été aussi évident que la perte de 131 000 $ qui apparaît ailleurs dans la déclaration.

 

[23]   Il a été allégué de plus que l’état de compte en fiducie de l’avocat a causé une bonne part de la confusion. Selon ce document, le produit de vente, après déduction de l’hypothèque, était le produit total à la clôture. Mme Prevost a cru honnêtement que le fait de déclarer ce montant menait au même résultat que le fait d’indiquer le produit total et de déduire séparément le même montant.

 

[24]   Il ressort de l’argument qu’avec du recul, les choses deviennent évidentes, mais que le produit de la vente de la maison Greyrock a servi à payer la maison Pinhey. Ce produit n’est pas passé par leur compte bancaire. La perte semble découler du fait que l’argent a été affecté à la maison Pinhey, qui n’était pas encore vendue. La comparaison avec les chiffres de l’année précédente ne leur a pas sauté aux yeux à cause de la confusion suscitée par la réception, à la dernière minute, de l’état de compte en fiducie, qui semblait uniquement confirmer que l’hypothèque était déductible. La conjointe de l’appelant a déclaré qu’elle croyait honnêtement, lorsqu’elle a produit la déclaration en question, que le fait de déclarer le produit de la vente après déduction de l’hypothèque, comme il était indiqué dans l’état de compte en fiducie, aurait le même effet que le fait de déclarer le prix de vente brut moins le montant de l’hypothèque qui, pensait-elle, était déductible. À l’époque, elle ne s’était pas rendu compte dans la confusion que cela entraînerait une double déduction du montant du financement hypothécaire sur la maison en question. Comme M. Shorkey l’a déclaré, Mme Prevost avait toujours été honnête et n’était pas du genre à ne pas faire de son mieux pour porter une attention convenable aux détails.

 

[25]   Il a été dit que la Cour se devait également de tenir compte de facteurs atténuants, comme cela a été fait dans la décision Venne. M. Hine et Mme Prevost ne se sont pas comportés comme s’ils tentaient délibérément de dissimuler des revenus. Leurs registres étaient à l’entière disposition du vérificateur de l’ARC et ils ont collaboré pleinement avec lui. Comme l’a déclaré le juge Strayer (qui, à l’époque, siégeait à la Section de première instance de la Cour fédérale), pour que la pénalité pour faute lourde s’applique, il faut qu’il y ait un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Et le fait qu’une personne raisonnable ne prenne pas conscience d’une erreur ne crée pas une faute lourde.

 

[26]   De plus, comme l’a fait remarquer le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Farm Business Consultants Inc. v. Canada, 1994 CarswellNat 1107, il convient de faire preuve d’une prudence extrême lorsqu’on impose une pénalité. Il a en outre souligné ce qui semble être vrai de nos jours : il est admis par la présente Cour que, dans les affaires mettant en cause une pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2), la norme de preuve requise est plus rigoureuse qu’une simple probabilité d’inconduite. Le contribuable devrait se voir accorder le bénéfice du doute. Je note ici toutefois qu’il se peut que l’on mette en doute la validité du recours à une norme de preuve plus rigoureuse, compte tenu de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, où elle a clairement mentionné que, dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Il s’agit là d’une affaire que l’intimée n’a pas invoquée. En fait, cette dernière a expressément admis la norme de preuve énoncée dans l’affaire Farm Business Consultants. Cependant, il serait peut‑être utile de mentionner qu’il me semble qu’il y a des distinctions à faire à l’égard de la norme de preuve qui s’applique au paragraphe 163(2). On pourrait dire qu’il s’agit d’une disposition de nature quasi pénale qui doit être considérée de manière différente et qui, en tout état de cause, exige que l’on fasse une distinction entre la négligence et la négligence grave (faute lourde). Cela étant, il est peut-être moins question de changer la norme de preuve que de changer ce sur quoi on met l’accent. L’accent est mis sur le fait de déterminer le caractère suffisant de la preuve pour ce qui est d’établir si la conduite d’un appelant est « grave ». Il m’apparaît que les affaires qui mettent en cause le paragraphe 163(2) font ressortir à peine plus que ce qui est évident, à savoir que, pour pouvoir invoquer cette disposition prévoyant une pénalité, la Couronne a besoin de preuves meilleures que celles dont elle aurait besoin pour établir l’existence d’une simple négligence. Dans ce contexte, je ne m’écarterai pas de la façon dont la Cour considère depuis toujours le paragraphe 163(2), à savoir qu’il exige une norme de preuve plus rigoureuse.

 

[27]   Quoi qu’il en soit, le fait d’omettre de déclarer un montant élevé ne signifie pas en soi qu’il y a eu faute lourde, comme l’illustrent les décisions Hyndman c. R., 2004 CCI 641 et Gallery c. R., 2008 CCI 583. Dans la décision Hyndman, le juge Angers a conclu qu’il n’y avait eu ni omission intentionnelle ni aveuglement volontaire, et ce, même si le contribuable avait omis de se renseigner. Contrairement à cette affaire, M. Hine et Mme Prevost ont bel et bien fait de nombreuses recherches.

 

[28]   Dans une affaire comme celle-ci, où un appelant se fie à un spécialiste en déclarations, il faut d’abord en venir à conclure qu’il y a eu faute lourde de la part de ce spécialiste. L’appelant prétend que cela n’a pas été le cas de Mme Prevost et que, même si c’était le contraire, on ne peut pas imputer au contribuable la faute lourde commise par un mandataire. Il se fonde à cet égard sur l’arrêt Findlay v. R., 2000 DTC 6345 (CAF) et la décision Gallery.

 

[29]   L’appelant a également cité la décision Down v. Minister of National Revenue, [1993] 2 C.T.C. 2027 (C.C.I.), qu’il considère comme fort semblable à la présente affaire, en ce sens qu’il y était également question de l’achat et de la revente de maisons. Dans l’affaire Down, le contribuable avait fait remplir sa déclaration de revenus par un comptable, et il l’avait simplement signée une fois le travail terminé. Le fait que le contribuable ne passe pas en revue sa déclaration et n’en prenne pas connaissance constitue simplement une conduite négligente et non un cas de négligence grave. La pénalité prévue au paragraphe 163(2) ne s’appliquait donc pas.

 

[30]   Les décisions telles que Hougassian, sur laquelle se fonde la Couronne, peuvent être écartées. Dans cette affaire, par exemple, il a été conclu que le contribuable avait été non seulement négligent (ce qui n’aurait pas suffi pour justifier l’imposition de la pénalité), mais aussi qu’il avait été indifférent quant au fait de savoir s’il se conformait à la Loi. C’est cette indifférence qui avait condamné ce contribuable. Dans le cas présent, aucune indifférence n’a été établie.

 

[31]   L’appelant souhaite que la Cour se prononce en sa faveur et, si l’appel est accueilli, il demande qu’on lui accorde la possibilité de plaider la question des dépens.

 

Analyse

 

[32]   Pour les motifs qui suivent, je fais droit à l’appel.

 

[33]   L’avocat de l’intimée a brossé avec succès et compétence un tableau de la situation qui a soulevé des soupçons logiques quant au fait de savoir si la conjointe de l’appelant et ce dernier lui-même savaient ce qu’ils faisaient quand ils ont déclaré erronément le revenu dans l’année en question. Il a été allégué, à partir de ces soupçons logiques, que la déclaration erronée avait été faite sciemment ou que des questions évidentes qu’il aurait fallu poser ne l’avaient pas été à dessein. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces soupçons logiques sont suffisants pour contrebalancer la preuve dont je dispose qui m’amène à croire que les observations de l’avocate de l’appelant sont exactes. J’admets que ni la conjointe de l’appelant ni l’appelant lui-même n’ont fait preuve d’indifférence à l’égard de la déclaration des revenus de l’appelant en 2006. Il y a suffisamment d’éléments qui dénotent qu’ils entendaient faire preuve de diligence et d’exactitude dans la façon dont ils déclaraient les revenus tirés de la vente de leurs maisons. Aucune indifférence n’a été établie en l’espèce. Une simple probabilité ne suffit pas. Les soupçons invoqués sont logiques et n’ont peut-être pas été élevés de manière déraisonnable, mais cela ne suffit pas en l’espèce. J’admets qu’il y a eu une confusion honnête dans le cas présent et qu’à cause de cette confusion une erreur a été commise.

 

[34]   Cela dit, il y a certains aspects de la présente affaire qui méritent de plus amples commentaires.

 

[35]   L’un des principaux points en litige est le fait que M. Hine s’est entièrement fié à Mme Prevost pour tenir les registres appropriés et faire correctement état de son revenu dans sa déclaration de revenus. Les décisions que les avocats des deux parties ont citées avaient trait à des contribuables et à leurs représentants, qui étaient des spécialistes en déclarations de revenus. Les distinctions évidentes sont les suivantes : 1) l’existence d’une relation conjugale, et 2) Mme Prevost ne se fait pas passer pour une spécialiste en déclarations professionnelle. C’est donc dire que les affaires invoquées sont utiles, mais qu’elles ne tiennent pas compte des circonstances particulières de l’espèce.

 

[36]   Avant d’examiner plus en détail en quoi l’analyse devrait être différente en l’espèce, il est possible de faire brièvement état des décisions qui mettent en cause des contribuables et leurs représentants dans le contexte du paragraphe 163(2). Les décisions applicables que l’intimée a citées sont : Panini, Hougassian et Brygman; celles que l’appelant a citées sont : Findlay, Gallery et Down.

 

[37]   Dans chacune des décisions que l’intimée a invoquées, même si le contribuable s’était peut-être fié à son spécialiste en déclarations, il avait quand même été conclu qu’il avait commis une faute lourde, de sorte que la pénalité pour faute lourde avait été imposée. La décision Brygman est relativement ancienne (1979) et critique particulièrement le fait que le contribuable avait cédé sa responsabilité à son comptable relativement à la production d’une déclaration de revenus exacte.

 

[38]   Dans l’arrêt Panini, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance, soit le rejet de l’appel. L’une des principales raisons pour lesquelles le juge de première instance s’était prononcé en faveur du ministre est décrite au paragraphe 44, où on a retenu la conclusion du juge, à savoir qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule raison pour laquelle les appelants n’avaient pas discuté de l’affaire avec leur comptable : ils ne voulaient pas savoir si le produit en question était imposable.

 

[39]   J’ai déjà mentionné que l’intimée se fondait sur la décision Hougassian, ainsi que les distinctions de fait que l’appelant a établies à l’égard de cette affaire.

 

[40]   Pour ce qui est des décisions que l’appelant a citées, toutes ont mené à la conclusion que les contribuables n’avaient pas commis de faute lourde. L’arrêt Findlay était un appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale; il y était question de savoir si : 1) le contribuable avait lui-même commis une faute lourde; 2) la faute lourde du représentant du contribuable pouvait être imputable au contribuable. La Cour a conclu que le juge de première instance avait appliqué à tort, notamment, les principes énoncés dans la décision Udell v. Minister of National Revenue, (1969), 70 DTC 6019 (C. de l’É.). Le passage pertinent de la décision Udell, qui a été cité au paragraphe 18 de l’arrêt Findlay, indique, en bref, que le fait d’imputer la négligence flagrante du préposé à un contribuable implique une connaissance délibérée et intentionnelle de son commettant quant à l’acte fait. Or, ce n’était pas le cas d’après les circonstances de cette affaire. L’appelant n’a pas été complice de la négligence flagrante de son comptable. De plus, il ne devrait y avoir aucun doute qu’il faut interpréter la loi de façon à donner à la partie visée par la pénalité le bénéfice du doute.

 

[41]   J’ai mentionné les décisions Gallery et Down plus tôt dans les présents motifs, sous la rubrique « L’argumentation de l’appelant ». Il n’y a rien d’autre à dire sur le sujet.

 

[42]   À l’évidence, toutes ces décisions reposent sur les faits qui leur sont propres. Les conclusions cruciales tournent en général autour de la question de savoir si le contribuable était au courant de la négligence de son spécialiste en déclarations ou s’il était raisonnable de conclure que le contribuable aurait dû se renseigner davantage. Dans le cas qui nous occupe, l’entreprise d’achat et de revente de maisons était bel et bien exploitée par l’appelant et par sa conjointe. Dans le cas d’au moins une des maisons mentionnées à l’audience, leurs deux noms apparaissaient sur une offre d’achat et de vente. Cela dit – et tout en reconnaissant qu’il n’est pas contesté que l’entreprise appartient à l’appelant – tous deux jouaient un rôle distinct dans l’exploitation de cette entreprise. La conjointe connaissait parfaitement l’entreprise, tandis que l’appelant comptait sur elle pour tenir convenablement les registres et établir comme il faut ses déclarations de revenus. Dans un tel cas, faut-il attribuer plus ou attribuer moins à l’appelant la négligence de sa conjointe, s’il y a eu négligence et si celle-ci était grave?

 

[43]   Je suis d’avis que, dans une affaire comme celle-ci, la question de l’attribution n’a pas à être appliquée différemment de la manière dont on procéderait dans la situation où le contribuable et le spécialiste en déclarations n’entretiennent pas de liens aussi étroits. Je dis « dans une affaire comme celle-ci » parce que je ne vois aucun élément, eu égard aux faits de l’espèce, qui mène à une réponse différente et, détail important, l’intimée n’a pas plaidé le contraire.

 

[44]   Après avoir appliqué le critère ordinaire qui est décrit dans la jurisprudence, je ne conclus pas que l’appelant a commis une faute lourde en ne mettant pas en doute la déclaration que sa conjointe avait établie. La confiance qu’il avait en elle était justifiée. Il n’était pas déraisonnable de croire qu’elle avait déclaré son revenu comme il le fallait. Les circonstances de l’espèce ne font pas en sorte que même une confiance aveugle en sa conjointe est déraisonnable. De plus, même si cette conclusion accorde à l’appelant le bénéfice du doute, ma décision de faire droit à l’appel ne dépend pas de cela, car je n’ai pas conclu que les gestes de la conjointe équivalaient à une faute lourde ou à un aveuglement volontaire. Comme je l’ai dit, j’ai souscrit au témoignage de Mme Prevost selon lequel il s’agissait d’une simple erreur.

 

[45]   Pour arriver à cette conclusion, j’ai également admis que les arguments de l’avocate de l’appelant, que j’ai résumés ou décrits dans les présents motifs, sont valables et suffisants pour justifier que je fasse droit à l’appel. Mme Prevost s’est informée de manière diligente et a tenu ses registres méticuleusement. Elle n’a pas reconnu la double comptabilisation de la déduction hypothécaire et, vu sa confusion et l’empressement qu’a causé l’état de compte en fiducie de l’avocat, je ne suis pas d’avis que le fait de ne pas avoir effectué d’autres recherches avant de produire la déclaration en question constitue une faute lourde. Il n’y a pas eu d’aveuglement volontaire. De plus, les parties ont pleinement collaboré avec le vérificateur et ont reconnu et accepté sans détour l’erreur commise. Je n’ai pas trouvé que la conjointe était une personne qui tenterait délibérément de dissimuler des revenus ou qu’elle était tout à coup devenue à ce point insouciante à l’égard de la déclaration des revenus qu’elle avait sciemment déformé la véritable situation.

 

[46]   En conclusion, je suis d’avis que le ministre n’était pas justifié d’imposer la pénalité pour faute lourde que prévoit le paragraphe 163(2) de la Loi. Je suis convaincu que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve que la Loi impose pour qu’il soit justifié de conclure que l’appelant avait l’intention de faire un faux énoncé ou que, dans des circonstances équivalant à faute lourde, il avait fait un tel énoncé.

 

[47]   Avant de finir, je signale qu’il n’est pas expressément prescrit dans la Loi que la personne qui fait sciemment un faux énoncé doive vouloir ou savoir que les conséquences d’un faux énoncé donneront lieu à une économie d’impôt. Si, par exemple, je surestime des dépenses sur une ligne d’une déclaration et si, ensuite, j’élimine de fait cette ligne en la soustrayant d’une autre à titre de dépense personnelle par exemple, j’ai donc fait, à strictement parler, une présentation erronée dans ma déclaration. Cependant, il n’y aura pas de pénalité parce qu’il n’y aura aucune différence entre l’impôt à payer si la présentation erronée n’avait pas eu lieu et l’impôt à payer si la déclaration avait été acceptée telle qu’elle.

 

[48]   Cependant, si le but n’est pas d’obtenir une réduction d’impôt, il serait dans ce cas plus ardu pour la Couronne d’établir que la présentation erronée, si elle n’est pas délibérée, a été faite dans des circonstances qui sont assimilables à une faute lourde. Cet aspect-là de la présente affaire me trouble.

 

[49]   La présentation erronée dont il est question en l’espèce, présentation erronée que la conjointe de l’appelant a faite en établissant la déclaration de l’appelant, a permis d’économiser un peu d’impôt. Cependant, il s’agit d’un montant relativement minime par rapport au montant d’impôt imputé et économisé à l’égard duquel la pénalité est imposée. La présentation erronée, par contre, représente un montant fort élevé, qui donne lieu à une perte considérable et crée en apparence un « abri » qui vise à protéger des montants élevés de revenus imposables dans d’autres années en faisant reporter des pertes sur des années antérieures et sur des années postérieures. Cependant, rien ne prouve que les pertes aient été utilisées de cette façon. Même si la cotisation a été établie d’une manière relativement rapide, rien ne prouve que l’appelant ait tenté de quelque manière d’utiliser cet abri. On pourrait dire que le fardeau de preuve de la Couronne consisterait à produire une preuve, si preuve il y a, que l’abri en question était plus qu’une simple erreur, comme l’illustreraient d’autres déclarations de revenus, telles que des déclarations modifiées se rapportant à des années antérieures ou à des années suivantes, qui feraient état de la cupidité découlant de la prétendue « erreur ». Il est toutefois possible que l’on n’ait pas donné suite à une intention cupide quelconque, si tant est que cette intention existât, car la vérification en question a débuté en avril 2008.

 

[50]   Cela étant le cas, je ne tire aucune inférence du fait que la Couronne n’a pas produit de preuves sur cet aspect-là de l’espèce. Toutefois, je tiens simplement à attirer l’attention sur le fait que la disposition de la Loi (paragraphe 163(2.1)) où il est réputé que le revenu déclaré ne peut être inférieur à un montant nul, est là pour garantir que la pénalité est imposée comme si le plein montant de la perte avait été disponible pour économiser de l’impôt dans l’année où la fausse déclaration avait été faite. On ne peut mettre en doute le principe et la sagesse de cette pénalité. La meilleure façon d’éviter que l’on crée des pertes non subies en déclarant de faux coûts ou de faux produits est peut-être de n’accorder aucun poids à la question de savoir si l’on a fait une tentative quelconque pour utiliser les pertes en question. Mais il est certain que l’absence d’une preuve dénotant que la réduction d’impôt obtenue grâce à la création d’une perte était un objectif que le contribuable visait pourrait éclairer convenablement la question de savoir si les circonstances de l’affaire étaient telles que l’établissement des faux énoncés équivalait à une faute lourde ou à une ignorance volontaire de la vérité de l’énoncé.

 

[51]   Cela dit, j’ai souscrit au témoignage de l’appelant et de sa conjointe selon lequel ils n’avaient pas fait sciemment un faux énoncé. L’appelant croyait que le produit de la vente de la maison Greyrock avait été déclaré comme il faut aux fins de l’impôt. Il se fiait à sa conjointe pour établir sa déclaration, et je suis convaincu que dans les circonstances de l’espèce cela n’équivalait pas à une faute lourde ou à un aveuglement volontaire.

 

[52]   En conséquence, l’appel est accueilli.

 

[53]   Pour ce qui est des dépens, après que j’ai rendu mon jugement et mes motifs par voie de conférence téléphonique, l’avocate de l’appelant a déposé une requête pour que j’accorde des dépens d’indemnisation majorés ou élevés. Des observations écrites sur cette requête m’ont été présentées.

 

[54]   Le fondement de la requête est qu’une offre de règlement de l’appel a été faite par écrit le 12 mars 2012, et l’appelant invoque les dispositions de l’alinéa 147(3)d) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). Cette disposition accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire de fixer le montant des dépens à accorder à une partie prenant part à l’instance. Parmi un certain nombre de facteurs dont la Cour peut tenir compte pour exercer ce pouvoir discrétionnaire figure, aux termes de l’alinéa qu’invoque l’appelant, « toute offre de règlement présentée par écrit ».

 

[55]   Un point litigieux au départ consiste à savoir s’il y a bel et bien eu « offre de règlement ». La lettre censée être une offre de règlement, datée du 12 mars 2012, énonce une série de faits et d’arguments et indique que les arguments en faveur de l’imposition de pénalités ne sont pas justifiés par la preuve et qu’il faudrait les rejeter. La lettre offre ensuite de régler l’affaire sans dépens, à la condition que le ministre convienne de modifier en conséquence la cotisation. La lettre indique que, si l’offre n’est pas acceptée, l’appelant demandera les dépens avocat-client s’il a gain de cause à l’instruction.

 

[56]   Le ministre a rejeté l’offre le 19 mars 2012. Le 26 juin 2012, l’avocate de l’appelant a écrit une nouvelle lettre demandant de reconsidérer la position du ministre et réitérant son intention de solliciter les dépens avocat-client s’il avait gain de cause à l’instruction.

 

[57]   L’intimée soutient que l’essence de l’« offre » était de renoncer à l’appel. Je suis d’accord. Une « offre » que l’on fait à la partie adverse pour qu’elle se retire de façon à éviter une menace de dépens majorés ne peut, dans ces circonstances, être considérée comme une « offre de règlement ».

 

[58]   Par ailleurs, et plus important encore, les mots « dans ces circonstances » que je précise visent à souligner que, même si la lettre en question peut être considérée par ailleurs comme une offre de règlement, ce qui est douteux[2], il n’était pas loisible à l’intimée de l’accepter telle quelle.

 

[59]   Il a été reconnu que la seule question en litige à l’instruction consistait à savoir si M. Hine a commis une faute lourde. Il s’agit du genre de question à laquelle on ne peut répondre que « par oui ou par non » que le juge Stratas a décrite dans l’arrêt CIBC World Markets Inc. c. R., 2012 CAF 3. Il n’y a pas de degré de faute lourde. Des facteurs objectifs étayaient l’opinion de l’intimée selon laquelle le fait d’avoir fait état d’une perte plutôt que de divulguer un gain élevé justifiait la tenue d’une audience pour évaluer l’importance et la probabilité de preuves intéressées.

 

[60]   La cotisation en litige n’était pas un cas d’imposition systématique de pénalités. En fait, au vu du dossier qu’a présenté l’avocat de l’intimée, je suis convaincu que la cotisation a été fondée sur la croyance mûrement réfléchie et non déraisonnable selon laquelle l’appelant devait certainement être au courant du faux énoncé en question. Avoir « réglé » l’affaire comme l’appelant le proposait serait revenu à renoncer aux responsabilités imposées au ministère de la Justice. Il y avait, dans ces circonstances, un obstacle au règlement qui était assimilable à un obstacle de nature juridique. Rien dans la jurisprudence, y compris la décision que j’ai rendue dans l’affaire Potash Corporation of Saskatchewan Inc. c. R., 2012 CCI 235, n’indique le contraire. On ne pouvait pas concéder le fait de déterminer si la conduite de l’appelant en l’espèce était délibérée, insouciante ou gravement négligente en fonction de ce qu’un tribunal était susceptible de conclure selon la prépondérance des probabilités. La preuve objective indiquait le contraire.

 

[61]   De plus, je signale qu’aucun des autres facteurs énumérés au paragraphe 147(3) ne justifie que j’accorde des dépens majorés en l’espèce. Le montant en litige, le tarif par opposition aux honoraires supportés ainsi que les circonstances de l’affaire ne sont pas de nature à m’indiquer qu’à cause d’une adjudication de dépens régie par le tarif applicable, l’appelant a été victime d’une grave injustice. Le droit est bien établi dans ce domaine. De plus, son importance ne s’applique qu’au présent appel et il n’existe aucun aspect complexe qui justifie un traitement spécial. Rien dans le temps de travail de l’avocate de l’appelant (une trentaine d’heures) ne donnerait à penser que le volume de travail était tel qu’il était justifié de s’attendre à une adjudication de dépens majorés. Quant à la conduite des parties, l’intimée n’a pas eu besoin d’interrogatoires préalables et l’appelant n’en a pas demandé. L’intimée ne s’est pas opposée à ce que l’appelant produise une liste modifiée de documents environ 45 jours avant l’audience. Il n’y a rien eu de refusé qui aurait dû être admis. Il n’y a pas eu de conduite que l’on pourrait, d’une façon ou d’une autre, qualifier d’inappropriée, et l’appelant n’a pas établi l’existence d’une circonstance exceptionnelle qui justifierait l’adjudication de dépens majorés.

 

[62]   En conséquence, la requête en dépens majorés est rejetée.

 

Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 15e jour d’août 2012.

 

 

« J. E. Hershfield »  

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d’octobre 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 295

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-555(IT)G

 

INTITULÉ :                                      COLIN J. HINE C. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DES MOTIFS DU

JUGEMENT :                                   Le 15 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Susan G. Tataryn

 

Avocat de l’intimée :

Me Hong Ky (Eric) Luu

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     Me Susan G. Tataryn

 

                          Cabinet :                 Susan G. Tataryn Professional Corporation

1101, promenade Prince-de-Galles, bureau 120

Ottawa (ON), K2C 3W7

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).

[2] Voir la décision LeRiche c. R., 2012 CCI 19.

 

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