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Dossier : 2010-383(GST)G

 

ENTRE :

LA VILLE DE WHITEHORSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 26 janvier 2012 à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L. Cook

 

Avocate de l’intimée :

Me Sara Fairbridge

 

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel relatif à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 20 février 2009, est rejeté et les dépens sont accordés à l’intimée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’août 2012.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur.


 

 

 

Référence : 2012 CCI 298

Date : 20120816

Dossier : 2010-383(GST)G

 

ENTRE :

LA VILLE DE WHITEHORSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]             En l’espèce, il faut rechercher si, en conformément aux articles 259 et 174 de la Loi sur la taxe d’accise, l’appelante a droit à un remboursement de TPS de 137 399,80 $ à l’égard d’une indemnité (l’indemnité de déplacement de bonification du Yukon, ci‑après l’« IDBY ») payée à ses employés pour des billets d’avion aller-retour et les frais de déplacement connexes entre Whitehorse et une ville canadienne du Sud désignée[1] (les vols du Yukon).

 

[2]             Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits :

 

[traduction]

 

Les parties au présent appel conviennent, aux seules fins de cet appel, de l’exposé des faits ci-après. Il leur est loisible de produire des éléments de preuve additionnels ou différents, sauf s’ils sont incompatibles avec le présent exposé.

 

1.                  L’appelante est une municipalité constituée en vertu des lois du Yukon.

 

2.                  L’appelante est située à Whitehorse (Yukon).

 

3.                  L’appelante s’est inscrite pour l’application de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la « LTA ») le 1er janvier 1991 et elle s’est vu attribuer un numéro d’inscription aux fins de la taxe sur les produits et services (la « TPS »).

 

4.                  Pendant toute la période pertinente, l’appelante était tenue de produire trimestriellement des déclarations de TPS.

 

5.                  Tout au long de la période pertinente, l’appelante a effectué des fournitures taxables et des fournitures exonérées.

 

6.                  Tout au long de la période pertinente, l’appelante a demandé des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») à l’égard de ses fournitures taxables.

 

7.                  L’appelante a présenté des demandes de remboursement de TPS/TVH pour organismes de services publics et a demandé des remboursements à titre de municipalité au taux de 100 % sur la TPS qui est devenue payable après le 31 janvier 2004 à l’égard de ses fournitures exonérées.

 

8.                  En octobre 2008, l’appelante a demandé le remboursement pour organismes de services publics d’un montant total de 400 741,35 $ pour la période du 1er juillet 2008 au 30 septembre 2008 (la « période »).

 

9.                  Sur la demande de remboursement pour organismes de services publics qui s’appliquait à la période, laquelle demande totalisait 400 741,35 $, une somme de 137 399,80 $ avait trait au paiement, par l’appelante, d’une indemnité de déplacement de bonification du Yukon (l’« IDBY ») à certains de ses employés de 2004 à 2007 (le « remboursement »).

 

10.              Le 20 février 2009, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation à l’endroit de l’appelante afin de refuser le remboursement et il a délivré l’avis de cotisation corrélatif, portant le numéro 0830450851237003 et daté du 20 février 2009.

 

11.              Durant les années 2004 à 2007, l’appelante a payé à ses employés les sommes suivantes au titre de l’indemnité de déplacement de bonification du Yukon :

 

a.                   547 201,42 $ en 2004;

b.                  545 635,69 $ en 2005;

c.                   577 974,54 $ en 2006;

d.                  586 361,04 $ en 2007.

 

12.              L’appelante a calculé le remboursement de la manière suivante :

 

Année

IDBY payée

Taux de TPS

Remboursement demandé

2004

547 201,42 $

7/107

35 798,22 $

2005

545 635,69 $

7/107

35 695,79 $

2006

577 974,54 $

6/106

32 715,54 $

2007

586 361,04 $

6/106

33 190,25 $

Total du remboursement

 

137 399,80 $

 

13.              L’appelante a payé l’indemnité de déplacement de bonification du Yukon aux employés en se fondant sur celui des groupes suivants auquel ils appartenaient :

 

a.                   l’Alliance de la fonction publique du Canada, Section locale Y022 (la « Section locale Y022 »);

 

b.                  l’Alliance de la fonction publique du Canada, Section locale Y023 (la « Section locale Y023 »);

 

c.                   l’Association internationale des pompiers, Section locale 2217 (la « Section locale 2217 »);

 

d.                  les employés occupant des postes de direction ou de confiance (plus tard appelé de direction et de direction [sic]) (le « groupe de la direction »).

 

14.              Pour ce qui était des employés des Sections locales Y022, Y023 et 2217, le droit à l’IDBY était prévu par des conventions collectives conclues entre les groupes et l’appelante.

 

15.              Pour ce qui était des employés du groupe de la direction, le droit à l’IDBY était prévu par règlement municipal.

 

16.              L’IDBY visait le remboursement des sommes payées par les employés  pour les déplacements qu’ils faisaient entre Whitehorse et une ville canadienne du sud (soit Edmonton, soit Vancouver).

 

17.              Des conventions collectives et des règlements municipaux remontant à 1992 montrent que, au départ, le montant de l’IDBY était fondé sur l’équivalent du prix de deux billets d’avion retour pour adulte depuis Whitehorse jusqu’à Edmonton ou Vancouver. Le montant de l’IDBY a augmenté au fil des ans. En 1996, le montant a été majoré à 2 474,70 $ pour refléter la hausse du prix des billets d’avion.

 

18.              Pour recevoir l’IDBY, les employés devaient compter au moins deux années de service s’ils faisaient partie de la Section locale Y022 et de la Section locale Y023, au moins une année de service s’ils appartenaient au groupe de la direction, et au moins une ou deux années de service (selon la date de leur embauche) s’ils étaient membres de la Section locale 2217.

 

19.              L’IDBY était un revenu tiré d’un emploi versé aux employés au sens de l’article 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »), dans sa version modifiée.

 

20.              Selon la LIR, les employés de l’appelante avaient droit à la déduction d’impôt sur le revenu pour les frais de déplacement qu’ils engageaient pour se rendre à Whitehorse et en revenir, relativement à l’utilisation qu’ils faisaient de l’IDBY, à condition de répondre aux critères applicables et d’avoir rempli le formulaire T2222(E) de l’Agence du revenu du Canada.

 

21.              Pour recevoir l’IDBY, les employés devaient remplir un formulaire de demande et le transmettre au Service de la rémunération l’appelante. Le paragraphe 3 de ce formulaire offrait l’option suivante aux employés :

 

« Je choisis que l’on ne retienne PAS à la source la taxe et l’impôt et, par ailleurs, j’atteste et conviens que les fonds demandés seront dépensés pour des déplacements et que je serai responsable envers Revenu Canada de tout montant de taxe ou d’impôt à payer sur ces fonds. »

 

22.              Le formulaire de demande offrait aussi l’option de faire prélever les montants de taxe et d’impôt à la source à un taux de 25 %, auquel cas l’employé n’était pas tenu d’attester et de convenir que les fonds demandés seraient dépensés pour des déplacements.

 

23.              L’appelante remettait aux employés qui recevaient l’IDBY des feuillets T4 où cette indemnité était inscrite à la case 14, « Revenus d’emploi » et à la case 32, « Voyages dans une zone visée par règlement ».

 

24.              Les cotisations au Régime de pensions du Canada et les primes d’assurance-emploi étaient déduites des sommes payés aux employés au titre de l’IDBY.

 

25.              Les employés vivaient et travaillaient à Whitehorse ou dans les environs.

 

26.              Les déplacements que l’IDBY visait à financer étaient les déplacements personnels des employés.

 

27.              L’IDBY n’était pas destinée aux déplacements professionnels.

 

28.              Les employés étaient remboursés de leurs frais s’ils devaient se déplacer à des fins professionnelles.

 

29.              La manière de dépenser l’IDBY était laissée à la discrétion des employés qui la recevaient.

 

Les textes législatifs

 

[3]             La Ville de Whitehorse étant une municipalité, sa demande de recouvrement de la taxe payée à l’égard de l’IDBY est régie par le paragraphe 259(4) de la Loi sur la taxe d’accise lequel, dans certains cas, autorise le paiement d’un remboursement :

 

259(4) […] le ministre rembourse relativement à un bien ou à un service, sauf un bien ou un service visés par règlement, la personne qui […] est désignée comme municipalité pour l’application du présent article relativement aux activités précisées dans la désignation. Le montant remboursable est égal au total des montants suivants :

 

a) le total des montants représentant chacun le montant obtenu par la formule suivante :

 

A × B × C

 

A     représente le pourcentage établi,

 

B     […] un montant réputé avoir été payé […] à un moment donné par la personne,

 

C   le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne avait l’intention, au moment donné, de consommer, d’utiliser ou de fournir le bien ou le service dans le cadre des activités précisées;

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[4]             L’expression « un bien ou un service visés par règlement » qui figure au paragraphe 259(4) est définie à l’alinéa 4(1)g) du Règlement sur les remboursements aux organismes de services publics (TPS/TVH) (DORS/99-367) (le Règlement sur les remboursements), dont voici les passages pertinents :

 

4(1) Pour le calcul du remboursement payable à une personne en application de l’article 259 de la Loi, les biens et les services suivants sont visés :

 

[…]

 

g) le bien ou le service […] que la personne acquiert […] exclusivement pour la consommation ou l’utilisation personnelles […] d’un particulier donné qui est […] le salarié […].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]             Si l’on revient à la formule de calcul du remboursement énoncée au paragraphe 259(4), là où il est question des indemnités, la référence faite à l’élément B à « un montant réputé avoir été payé » appelle la prise en compte de l’article 174. Lorsque les conditions de cet article sont réunies, l’employeur est réputé avoir reçu la fourniture d’un bien ou d’un service pour lequel l’indemnité a été payée; toute consommation ou utilisation du bien ou du service en question par ses employés est réputée être celle de l’employeur; de plus, ce dernier est réputé avoir payé la taxe selon la formule énoncée à l’article 174. La seule disposition pertinente en l’espèce est le sous-alinéa 174a)(i), qui exige que la fourniture à l’égard de laquelle l’indemnité a été payée ait été acquise « relativement à » des activités que l’employeur exerce :

 

174. Pour l’application de la présente partie, une personne est réputée avoir reçu la fourniture d’un bien ou d’un service dans le cas où, à la fois :

 

a) la personne verse une indemnité à l’un de ses salariés […] :

 

(i) soit pour des fournitures […] que le salarié […] a acquis au Canada relativement à des activités qu’elle exerce,

 

(ii) soit pour utilisation au Canada d’un véhicule à moteur relativement à des activités qu’elle exerce;

 

b) un montant au titre de l’indemnité est déductible dans le calcul du revenu de la personne pour une année d’imposition en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou le serait si elle était un contribuable aux termes de cette loi et l’activité, une entreprise;

 

c) lorsque l’indemnité constitue une allocation à laquelle les sous‑alinéas 6(1)b)(v), (vi), (vii) ou (vii.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliqueraient si l’indemnité était une allocation raisonnable aux fins de ces sous-alinéas, les conditions suivantes sont remplies :

 

(i) dans le cas où la personne est une société de personnes et où l’indemnité est versée à l’un de ses associés, ces sous-alinéas s’appliqueraient si l’associé était un salarié de la société,

 

(ii) si la personne est un organisme de bienfaisance ou une institution publique et que l’indemnité est versée à l’un de ses bénévoles, ces sous-alinéas s’appliqueraient si le bénévole était un salarié de la personne,

 

(iii) la personne considère, au moment du versement de l’indemnité, que celle-ci est une allocation raisonnable aux fins de ces sous-alinéas,

 

(iv) il est raisonnable que la personne l’ait considérée ainsi à ce moment.

 

De plus :

 

d) toute consommation ou utilisation du bien ou du service par le salarié, l’associé ou le bénévole est réputée effectuée par la personne et non par l’un de ceux-ci;

 

e) la personne est réputée avoir payé, au moment du versement de l’indemnité et relativement à la fourniture, une taxe égale au résultat du calcul suivant :

 

A × (B/C)

où :

 

A            représente le montant de l’indemnité;

 

B :

 

(i) dans les circonstances prévues par règlement relativement à une province participante, le pourcentage déterminé selon les modalités réglementaires,

 

(ii) dans les autres cas, le taux fixé au paragraphe 165(1),

 

C            représente la somme de 100 % et du pourcentage déterminé selon    l’élément B.

 

Thèse de l’appelante

 

[6]             Les deux parties ont cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale ExxonMobil Canada Ltd. c. R., 2010 CAF 1 lequel enseigne que, en application du sous-alinéa 174a)(i), c’est la fourniture, et non l’indemnité que l’on utilise pour l’acquérir, qui doit être acquise « relativement à » des activités de l’employeur :

 

[50]      […] Si on veut attribuer un sens aux termes du sous-alinéa 174a)(iv) [sic], il faut tenir compte des biens ou services particuliers qu’on envisage d’acquérir ainsi que de leur utilisation prévue. En appliquant ces critères, on constate que les biens ou services que l’employeur destine à l’utilisation personnelle exclusive des employés et qui se prêtent à une telle utilisation n’ont aucun rapport avec les activités de l’employeur. Par contre, les biens ou services que les employés peuvent utiliser dans le cadre de leurs activités professionnelles, et qui sont destinés à une telle utilisation, sont en rapport avec les activités de l’employeur[2].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]             Les biens ou les services en cause dans l’affaire ExxonMobil étaient certains frais accessoires de déménagement pour lesquels ses employés avaient reçu une indemnité :

 

[8]        […] non seulement les appelantes [ExxonMobil et al] payaient ou remboursaient les frais directs de déménagement engagés par les employés réinstallés, mais elles leur versaient également une indemnité de déménagement d’un maximum de 15 pour cent de leur salaire. L’objet de l’indemnité de déménagement était de dédommager les employés réinstallés pour les frais accessoires du déménagement qui n’étaient pas remboursables au titre de frais de déménagement.

 

[9]        Les appelantes affirment, et l’intimée admet, qu’il s’agit de frais tels que les suivants : [traduction] « les frais liés à l’achat de rideaux, de stores et de tapis pour le nouveau logement, à l’installation de nouveaux luminaires, au débranchement et au rebranchement des services publics (par exemple, l’électricité, l’eau et le gaz), à la reprogrammation de téléphones cellulaires et de téléavertisseurs, au paiement de pénalités pour rupture de contrat de services, au premier nettoyage du nouveau logement, à la réexpédition du courrier, à l’enregistrement de véhicules et à l’obtention de permis de conduire dans une autre province, à l’achat d’uniformes et de livres scolaires pour les enfants, au désassemblage et au réassemblage d’articles expédiés, à l’expédition d’articles non couverts, au remplacement d’articles qui ne peuvent pas être expédiés (par exemple, les produits dangereux et les aliments et les plantes provenant de l’étranger) et à la souscription d’assurance supplémentaire pour les biens de valeur expédiés. » […] [Appelés dans les présents motifs du jugement les « frais accessoires de déménagement ».]

 

[8]             Vu ces faits[3], la Cour d’appel fédérale a conclu que les frais accessoires de déménagement étaient destinés à l’utilisation personnelle « exclusive » des employés et que, de ce fait, ils n’étaient pas « relatifs » aux activités de l’employeur, contrairement aux exigences du sous‑alinéa 174a)(i).

 

[9]             Tout en reconnaissant que, à l’instar des frais accessoires de déménagement, les vols du Yukon étaient destinés à l’utilisation personnelle des employés de l’appelante, l’avocate de celle-ci a soutenu qu’ils ne l’étaient pas exclusivement, comme l’exige le critère consacré par la jurisprudence ExxonMobil.

 

[10]        En outre, l’avocate de l’appelante a soutenu que la détermination de la nature « exclusive » d’une fourniture destinée à une utilisation personnelle appelait l’application du critère consacré dans un arrêt antérieur de la Cour d’appel fédérale : Midland Hutterian Brethren c. Canada, [2000] A.C.F. no 2098. Dans cette affaire, la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») avait fait droit à la demande d’une colonie huttérite concernant des CTI liés à la TPS payée sur du tissu utilisé pour confectionner des vêtements de travail (le « tissu de travail »). En infirmant la conclusion du juge de la CCI selon laquelle le tissu de travail n’avait pas été acquis pour « consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales », la Cour d’appel fédérale, dans une décision majoritaire, a statué :

 

[25]      Rien dans la rédaction du paragraphe 169(1) ne vient indiquer que l’utilisation en cause doit être exclusivement commerciale […]. Une fois qu’un article est jugé avoir été acquis et utilisé dans le cadre des activités commerciales d’un inscrit à la TPS, et que cet article contribue directement ou indirectement à la production d’articles ou à la fourniture de services imposables, il y a alors un droit au CTI en vertu de la formule énoncée au paragraphe 169(1). […]

 

[26]      En l’instance, la preuve est claire. Le tissu de travail est fourni par la colonie à ses membres parce qu’il est solide et durable. L’aspect durable du tissu de travail fait faire des économies à la colonie à long terme, en comparaison avec d’autres tissus. De cette façon, il contribuait non seulement aux activités commerciales de la colonie, mais aussi à son bilan. Étant donné qu’un témoin de la Couronne a admis que le ministre accorde des CTI pour certains articles, comme les gants et les bottes de travail, acquis par d’autres agriculteurs inscrits pour utilisation par leurs employés, je suis d’avis que le lien avec le tissu de travail en cause ici n’est pas trop indirect.

 

[11]        S’exprimant par une vive dissidence, le juge Evans a rejeté la conclusion de la majorité, mais il a souscrit à l’analyse de celle-ci selon laquelle : « […] pour que les biens soient acquis pour utilisation “dans le cadre des activités commerciales”, il doit y avoir un lien fonctionnel entre les besoins de l’entreprise et les biens[4] ». Selon son interprétation des faits, un tel lien n’existait pas :

 

[68]      Bien sûr, il ne sera pas toujours facile de tirer la ligne entre un bien consommé dans le cadre de l’activité commerciale […] et un bien qui ne donne pas ce droit […] parce qu’il répond à un besoin personnel de l’inscrit et qu’il n’a qu’un lien ténu avec ses activités commerciales.

 

[69]      Lorsqu’il s’agira de déterminer si un bien a été acquis pour utilisation « dans le cadre de ses activités commerciales », il faudra souvent examiner tout le contexte et pondérer les divers facteurs qui indiquent jusqu’à quel point le bien est intégré de façon fonctionnelle dans l’activité commerciale. Dans la mesure où cet exercice implique des conclusions de fait, la Cour devrait hésiter à intervenir en l’absence d’une erreur « manifeste et dominante » de la part du juge de la Cour de l’impôt.

 

[12]        Dans l’affaire ExxonMobil, la Cour d’appel fédérale n’a pas examiné l’arrêt Midland Hutterian Brethren. Cependant, en l’espèce, l’avocate de l’appelante a fait valoir que le critère de la jurisprudence ExxonMobil est compatible avec le critère du « lien fonctionnel » de la jurisprudence Midland Hutterian Brethren, car elles exigent que l’on conclue à une utilisation personnelle « exclusive » avant que l’on puisse écarter que la fourniture avait été acquise « relativement » aux activités du demandeur.

 

[13]        En appliquant le critère énoncé par le juge Evans dans l’arrêt Midland Hutterian Brethren aux faits dont il est question en l’espèce, l’avocate de l’appelante a fait valoir que, indépendamment de la nature personnelle des vols du Yukon, le fait d’« examiner tout le contexte et [de] pondérer les divers facteurs qui indiquent jusqu’à quel point le bien est intégré de façon fonctionnelle dans l’activité commerciale[5] » montre que ces vols n’étaient pas destinés à l’utilisation personnelle exclusive des employés. Comme ces vols amélioraient les chances que l’appelante recrute des employés et les garde à son service, ils lui procuraient un avantage indirect et, de ce fait, étaient « utilisés » relativement à ses activités. À l’appui de cet argument, l’avocate a signalé, d’une part, l’obligation qu’avait l’appelante, en vertu des règlements municipaux[6], d’assurer la bonne administration de la municipalité et, d’autre part, le fait qu’elle soit située dans une « zone prescrite par règlement » aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle a également renvoyé la Cour à la politique fédérale qui reconnaît les difficultés économiques auxquelles font face les employeurs du nord, dont leur capacité de recruter des employés et de les garder à leur service, et qui justifie l’octroi d’un traitement fiscal spécial afin de répondre à ces problèmes[7]. L’avocate de l’appelante a fait valoir que, dans ce contexte, les vols du Yukon qu’acquéraient les employés de l’appelante grâce à l’IDBY faisaient partie intégrante de la stratégie qu’employait l’appelante pour gérer ses activités. À cet égard, ils étaient nettement distincts des frais accessoires de déménagement, de nature strictement personnelle, dont il était question dans l’affaire ExxonMobil. Eu égard aux faits de la présente espèce, les vols du Yukon étaient acquis « relativement à » des activités de l’appelante, comme l’exige le sous-alinéa 174a)(i), et elle a droit à un remboursement en vertu du paragraphe 259(4) de la Loi.

 

Thèse de l’intimée

 

[14]        L’intimée a rejeté la thèse de l’appelante qui, selon elle, occultait la distinction entre les objectifs de l’IDBY et la nature de la fourniture que cette indemnité permettait d’acquérir : les vols du Yukon. Indépendamment de la philosophie du paiement de ces indemnités, l’avocate de l’intimée a cité les faits constant qui suivent à l’appui de la thèse de la Couronne selon laquelle les vols du Yukon eux-mêmes étaient destinés à l’utilisation personnelle « exclusive » des employés de l’appelante :

 

[traduction

 

16. L’IDBY visait le remboursement des sommes payées par les employés pour les déplacements qu’ils faisaient entre Whitehorse et une ville canadienne du sud (soit Edmonton, soit Vancouver).

 

 

[…]

 

25. Les employés vivaient et travaillaient à Whitehorse ou dans les environs.

 

26. Les déplacements que l’IDBY visait à financer étaient les déplacements personnels des employés.

 

27. L’IDBY n’était pas destinée à des déplacements professionnels.

 

28. Les employés étaient remboursés de leurs frais s’ils devaient se déplacer à des fins professionnelles.

 

29. La manière de dépenser l’IDBY était laissée à la discrétion des employés qui la recevaient.

 

[15]        Bien qu’elle ne se fonde pas sur la jurisprudence Midland Hutterian Brethren, l’avocate de l’intimée a soutenu que l’application du critère du « lien fonctionnel » ou du critère énoncé dans l’arrêt ExxonMobil aboutirait au même résultat : vu la nature purement discrétionnaire des vols du Yukon, leur fourniture était [traduction] « trop détachée » des activités de l’appelante pour qu’on la considère comme destinée à autre chose que l’utilisation personnelle « exclusive » des employés de cette dernière. À cet égard, les vols du Yukon s’apparentaient aux frais accessoires de déménagement dont il était question dans l’affaire ExxonMobil. Comme dans celle-ci, l’argument de l’appelante confondait l’objectif professionnel de l’indemnité et la nature exclusivement personnelle de la fourniture que cette indemnité permettait d’acquérir. En conséquence, même si l’IDBY était payée pour améliorer les chances de l’appelante de recruter des employés et de les garder à son service, cela n’atténuait pas la qualité exclusivement personnelle des vols du Yukon.

 

[16]        L’avocate de l’intimée soutient que, comme les conditions du sous‑alinéa 174a)(i) ne sont pas réunies, aucun montant n’était « réputé avoir été payé », comme l’exige l’élément B de la formule du paragraphe 259(4), et aucun remboursement n’était payable.

 

Analyse

 

[17]        Dans l’arrêt Midland Hutterian Brethren, le juge Evans a fait précéder sa formulation du critère du « lien fonctionnel » par la reconnaissance de la difficulté qu’il y a à rechercher où doit se situer exactement une fourniture particulière entre le point où elle est liée aux activités d’un employeur et celui où elle est destinée à l’utilisation personnelle exclusive de ses employés. Pour ce qui est d’une fourniture acquise à l’aide d’une indemnité aux termes du sous‑alinéa 174a)(i), la jurisprudence ExxonMobil est d’une certaine utilité pour procéder à cette recherche, car elle enseigne que c’est la fourniture, et non pas l’indemnité utilisée pour l’acquérir, qui doit être « liée aux » activités de l’employeur. Dans cet arrêt, après avoir expressément reconnu le lien qui existait entre l’objet qui sous‑tendait l’indemnité et les activités de l’entreprise, le juge Noël a rejeté la thèse d’ExxonMobil selon laquelle les frais accessoires de déménagement eux-mêmes étaient liés à ses activités :

 

[7]        Les appelantes [ExxonMobil] œuvrent dans l’industrie pétrolière et gazière. Elles exercent leurs activités dans presque chaque province et territoire du Canada. Dans le cadre de ces activités, les appelantes doivent réinstaller leurs employés un peu partout au pays, et parfois dans des régions éloignées. Il est admis que la réinstallation régulière des employés, particulièrement des spécialistes, est un volet essentiel des activités des appelantes et que la politique de réinstallation adoptée par celles-ci visait à faciliter les mutations en faisant en sorte qu’elles dérangent le moins possible les employés […].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]        En l’espèce, il n’est guère controversé que le paiement de l’IDBY était fondé sur des objectifs de gestion pareillement valables. La question consiste toutefois à savoir si les vols du Yukon acquis au moyen de l’IDBY étaient suffisamment rattachés aux activités de l’appelante pour qu’il soit possible de conclure, d’après le premier volet du critère de la jurisprudence ExxonMobil, qu’ils étaient destinés à l’utilisation personnelle exclusive des employés. Par souci de commodité, je rappelle le critère en question :

 

[…] les biens ou services que l’employeur destine à l’utilisation personnelle exclusive des employés et qui se prêtent à une telle utilisation n’ont aucun rapport avec les activités de l’employeur. […][8]

 

[19]        Je conviens avec l’avocate de l’appelante qu’il ne faut pas tout à fait mettre sur le même pied les vols du Yukon et les frais accessoires de déménagement dont il est question dans l’affaire ExxonMobil; il est en quelque sorte illogique d’assimiler l’achat d’uniformes scolaires pour les enfants de dirigeants d’entreprise aux vols annuels que font des employés municipaux à partir d’une collectivité dont l’éloignement fait l’objet d’une reconnaissance officielle. Ce que les vols du Yukon ont toutefois en commun avec les frais accessoires de déménagement est leur rapport ténu avec les activités de l’employeur. En fait, les vols du Yukon visaient à accorder aux employés un temps d’arrêt par rapport à leurs fonctions professionnelles régulières dans le nord; ils leur permettaient de passer leur temps comme ils le voulaient dans des villes du sud fort éloignées de leur lieu de travail. À cet égard, les vols du Yukon ressemblaient peu aux déplacements financés qui sont plus souvent liés à des activités professionnelles, par exemple pour rencontrer des clients, assister à des conférences professionnelles ou passer des entrevues d’embauche.

 

[20]        L’avocate de l’appelante a répondu en donnant l’exemple des indemnités de repas ou des salles de repos des employés[9]. En ce qui concerne les indemnités de repas, elle a fait valoir que, même si les repas constituent une fourniture destinée à être consommée exclusivement par des employés, on accepte qu’ils sont « liés aux » activités d’un inscrit. Dans le même ordre d’idées, le mobilier confortable et le poste de télévision que l’on peut trouver dans une salle du personnel sont des fournitures destinées à procurer aux employés un endroit où se détendre pendant leurs pauses. Il me semble toutefois que cet argument fait abstraction du fait que, dans l’un ou l’autre de ces deux cas, les employés consomment les repas et utilisent les salles de repos pendant les périodes où ils sont tenus d’être présents au travail. Pour reprendre l’enseignement de l’arrêt Midland Hutterian Brethren, il existe un « lien fonctionnel » entre la fourniture et l’exécution de fonctions professionnelles; selon l’arrêt ExxonMobil, ce lien empêcherait de conclure que les repas sont destinés à l’utilisation personnelle « exclusive » des employés.

 

[21]        Pour ce qui est du second volet du critère consacré par la jurisprudence  ExxonMobil, en général, les vols et les frais de déplacement connexes se prêtent tout autant à des fins professionnelles qu’à des fins personnelles. En l’espèce, les vols du Yukon se prêtaient à une utilisation personnelle exclusive.

 

[22]        À mon avis, les faits de la présente affaire appartiennent à la catégorie des situations difficiles à trancher que le juge Evans a décrites dans l’arrêt Midland Hutterian Brethren. Cependant, tout bien considéré, il m’est impossible de conclure qu’il existe un lien suffisant entre les vols du Yukon et les activités de l’appelante. L’appel est donc rejeté et les dépens sont accordés à l’intimée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’août 2012.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e de janvier 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 298

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-383(GST)G

 

INTITULÉ :                                      LA VILLE DE WHITEHORSE c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 16 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L. Cook

 

Avocate de l’intimée :

Me Sara Fairbridge

 

AVOCATS INSCRITS AU
DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :                     Kimberley L. Cook

 

Cabinet :                 Thorsteinssons LLP Tax Lawyers
C.P. 49123
Centre Three Bentall
27e étage – 595, rue Burrard
Vancouver (C.-B.)  
V7X 1J2

 

Pour l’intimée                           Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada



[1] Exposé conjoint des faits; observations de l’appelante, paragraphe 6.

[2] Paragraphe 50.

[3] Paragraphe 52.

[4] Paragraphe 31.

[5] Midland Hutterian Brethren, paragraphe 69. 

[6] Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 5.

[7] Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglets 9 et 10.

[8] Paragraphe 50.

[9] Observations de l’appelante, paragraphe 65.

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