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Dossier : 2011-1884(IT)I

ENTRE :

ANNITA EMOND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 20 juillet 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Richard Venor

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Messore

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009 sont accueillis avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que les montants de 11 894 $, pour chacune des années d’imposition 2006 et 2009, et de 11 895 $, pour chacune des années d’imposition 2007 et 2008, qui ont été ajoutés au revenu de l’appelante à titre de revenu de pension en application du sous‑alinéa 56(1)a)(i) de la LIR doivent être supprimés. Le crédit d’impôt non remboursable pour chacune de ces années d’imposition doit, par conséquent, faire l’objet d’un nouveau calcul.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’août 2012.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’octobre 2012.

 

M.-C. Gervais


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 304

Date : 20120824

Dossier : 2011-1884(IT)I

ENTRE :

ANNITA EMOND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]      Il s’agit d’appels de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009.

 

[2]      Pour établir les nouvelles cotisations de l’appelante, le ministre a ajouté au revenu de l’appelante, à titre de revenu de pension, les montants de 11 894 $ pour chacune des années d’imposition 2006 et 2009 et les montants de 11 895 $ pour chacune des années d’imposition 2007 et 2008, et a prévu 2 000 $ à titre de montant pour revenu de pension dans le calcul des crédits d’impôt non remboursables de l’appelante pour chacune des années d’imposition en question.

 

[3]      Le ministre s’est appuyé sur les faits exposés au paragraphe 18 de la réponse à l’avis d’appel, qui est libellée ainsi :

 

[traduction]

 

18.       Afin d’établir les nouvelles cotisations et de les ratifier, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a.             l’appelante était mariée à JCR et, au cours de l’année 2001, il y a eu échec du mariage;

b.            au moyen d’une ordonnance sur consentement, rendue le 20 novembre 2001 par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, Division de la famille, circonscription judiciaire de Bathurst (ci-après le « consentement »), l’appelante et JCR ont convenu :

                                                                          i.      que soit annulée l’ordonnance, rendue par la Cour le 5 avril 2001, qui prévoyait le versement d’une pension alimentaire pour conjoint de 1 200 $ par mois ainsi que le paiement rétroactif au 15 octobre 2001;

                                                                        ii.      que JCR verse, chaque mois, 50 % de sa pension de retraite qu’il recevait depuis 1992 de la Sun Life du Canada, Compagnie d’assurance-vie, et qui était fournie par le régime de retraite de K‑Mart, Canada;

c.             selon le consentement, le partage proportionnel de la pension de retraite payée par JCR constitue une séparation des biens matrimoniaux;

d.            JCR a versé chaque mois les paiements exigés par le consentement pour les années d’imposition en question;

e.             le partage du revenu de pension selon la manière prévue par le consentement est autorisé par la loi de la province du Nouveau‑Brunswick et par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, Division de la famille, circonscription judiciaire de Bathurst;

f.             l’appelante n’avait pas inclus dans son revenu le revenu de pension reçu selon le consentement pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009;

g.            les montants reçus équivalaient à 50 % du revenu de pension auquel JCR avait droit.

 

[4]      L’ordonnance sur consentement en date du 20 novembre 2001, sur laquelle reposent les paiements reçus par l’appelante à la suite de l’échec du mariage, a été déposée en preuve sous les cotes A-1 et R-1, onglet 9. En voici les extraits pertinents :

 

[traduction]

 

LA COUR DU BANC DE LA REINE DU NOUVEAU-BRUNSWICK

DIVISION DE LA FAMILLE

CIRCONSCRIPTION JUDICIAIRE DE BATHURST

ENTRE :

 

ANNITA ROY,

 

requérante

 

- et -

 

JEAN-CLAUDE ROY,

 

intimé

 

ORDONNANCE SUR CONSENTEMENT

 

SUR CONSENTEMENT des parties et de leurs avocats;

 

1.                  En vertu de la Loi sur les services à la famille, LN-B 1980, ch. F-2.2 :

 

[…]

 

c)         L’ordonnance alimentaire au profit d’un époux, rendue par l’honorable juge G. W. Boisvert, de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, en date du 5 avril 2001, qui demande à l’intimé, JEAN‑CLAUDE ROY, de payer à la requérante, ANNITA ROY, une pension alimentaire de mille deux cents dollars (1 200 $) par mois est annulée. La pension alimentaire que l’intimé doit verser à la requérante pour le 15 octobre 2001 est rétroactivement annulée.

 

2.                  En vertu de la Loi sur les biens matrimoniaux, LN-B 1980, ch. M-1.1 :

 

a)         Une répartition des biens matrimoniaux doit être effectuée en parts égales de la manière suivante :

           

i)       La requérante, ANNITA ROY, et l’intimé, Jean‑Claude Roy, reconnaissent que l’intimé a confié l’administration de son régime de retraite offert par K Mart Canada limitée à la Sun Life du Canada, Compagnie d’assurance-vie, en achetant une rente. La rente a commencé à lui être versée le 1er janvier 1992, laquelle était de mille neuf cent quatre-vingt-deux dollars quarante-sept cents (1 982,47 $) par mois. La requérante, ANNITA ROY, a été nommée à titre de bénéficiaire de la rente réversible pour le régime susmentionné. La requérante et l’intimé reconnaissent que la répartition susmentionnée constitue un partage des biens matrimoniaux et ne doit pas être considérée comme une pension alimentaire par la requérante ou l’intimé. À compter du 1er octobre 2001 et le premier jour de chaque mois par la suite, et conformément à l’article 112, l’intimé, JEAN-CLAUDE ROY, doit payer à la requérante, ANNITA ROY, la moitié du montant mensuel net de la rente susmentionnée. Ce montant doit être payé directement par l’intimé à la requérante par un dépôt dans le compte de cette dernière à la Caisse populaire de Beresford Limitée. L’intimé doit signer tous les documents nécessaires afin de s’assurer que la Caisse populaire de Beresford Limitée transfère une fois par mois ce montant du compte de l’intimé à celui de la requérante. La requérante, ANNITA ROY, continuera d’être la bénéficiaire survivante de la rente réversible, et ce, de manière irrévocable.

 

[5]      L’appelante a témoigné que, lors de la séparation en 2001, elle a reçu une pension alimentaire provisoire de 1 200 $ par mois. Elle n’avait pas d’autres sources de revenus.

 

[6]      Son avocat a ensuite négocié l’ordonnance sur consentement avec l’avocate de son ex-époux. Dans cette ordonnance sur consentement, la pension alimentaire provisoire était annulée et il y avait un partage égal des biens matrimoniaux entre les conjoints. La rente que son ex-époux a achetée auprès de la Sun Life du Canada, Compagnie d’assurance-vie, (la « Sun Life ») en 1992 avec les fonds de son régime de retraite faisait partie des biens matrimoniaux.

 

[7]      L’ordonnance sur consentement précisait que, à compter du 1er octobre 2001 et le premier de chaque mois par la suite, l’ex-époux devait verser à l’appelante la moitié du montant mensuel net de la rente susmentionnée. L’ordonnance précisait également que ce montant devait être versé directement par l’ex-époux à l’appelante par voie d’un dépôt dans le compte de cette dernière. À cet égard, l’ex-époux devait signer tous les documents nécessaires afin de s’assurer que la Caisse populaire transfère une fois par mois ce montant de son compte à celui de l’appelante.

 

[8]      L’avocat de l’appelante l’avait avisée que le montant en question n’était pas imposable parce qu’il représentait la partie des biens matrimoniaux à laquelle elle avait droit; l’appelante ne l’a donc pas déclaré dans ses déclarations de revenus. Aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour quant au montant exact que l’ex‑époux a versé à l’appelante et qui représente la part des prestations de retraite de la Sun Life attribuée à l’appelante.

 

[9]      M. Jean-Claude Roy, l’ex-époux, a également témoigné. Il a affirmé que, même s’il avait reçu les feuillets T4 de la Sun Life relatifs au montant total de la rente, il n’a déclaré que la moitié du montant brut qui y était indiqué. Dans son esprit, il n’avait qu’à déclarer la moitié de ce montant puisqu’il versait l’autre moitié à l’appelante. Encore une fois, le montant exact remis à l’appelante n’a pas été révélé à la Cour.

 

[10]        M. Roy a également réclamé à titre de crédit le montant total retenu à la source par la Sun Life sur le paiement de la rente.

 

[11]        Mme Maryse Landry, l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a également témoigné. Elle a affirmé avoir pris la décision, conjointement avec son superviseur, d’imposer l’appelante pour la moitié de la rente. À cet égard, il semble que l’ARC ait changé d’idée quelques fois, et a établi des cotisations et des nouvelles cotisations à l’égard de la rente, dans le cas des deux époux ou de l’ex-époux uniquement. Mme Landry a mentionné que la décision finale avait été prise après avoir lu et interprété l’ordonnance sur consentement. Elle a vu une contradiction dans ce document étant donné que les ex-époux avaient convenu de répartir les biens matrimoniaux en parts égales, sans toutefois préciser les montants à répartir.

 

[12]        Elle a constaté que l’ordonnance n’indiquait pas clairement ce que les ex‑époux voulaient exactement partager ni quelle était leur intention. Plus précisément, elle ne pouvait clairement établir qui devait payer l’impôt sur les montants. Évidemment, chacun des époux avait un point de vue différent sur la question, puisque l’époux n’avait déclaré que la moitié de la rente à titre de revenu de pension, alors que l’appelante n’avait déclaré aucun montant de la part de la rente qui lui était attribuée.

 

[13]        Mme Landry a également constaté que les montants retenus à la source par la Sun Life sur la rente versée à l’époux avaient diminué au fil des ans. Pendant les années en cause, la Sun Life a retenu environ la moitié du montant qu’elle avait retenu en 2001 et les années subséquentes.

 

[14]        Mme Landry, avec son équipe de l’ARC, a finalement décidé que l’appelante devait déclarer la moitié de la rente à titre de revenu de pension.

 

[15]        Selon Mme Landry, lorsque l’ARC a finalement décidé d’imposer l’appelante à l’égard de la moitié de la rente, la Sun Life aurait dû en être avisée et aurait dû réduire en conséquence le montant retenu à la source sur le montant versé à l’ex‑époux. J’ai également cru comprendre que ce dernier avait fait une telle demande à la Sun Life.

 

[16]        L’avocate de l’intimée s’est fondée sur le sous-alinéa 56(1)a)(i) de la LIR et sur la définition de « prestation de retraite ou de pension » du paragraphe 248(1) de la LIR pour faire valoir que la moitié de la pension reçue par l’appelante de son ex‑époux était imposable.

 

[17]        Voici les extraits pertinents de ces dispositions :

 

(1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

a) a toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

(i) d’une prestation de retraite ou de pension […]

 

(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

« prestation de retraite ou de pension » Sont compris dans les prestations de retraite ou de pension les sommes reçues dans le cadre d’une caisse ou d’un régime de retraite ou de pension, et, notamment, tous versements faits à un bénéficiaire dans le cadre de la caisse ou du régime, ou à un employeur ou un ancien employeur du bénéficiaire :

a) conformément aux conditions de la caisse ou du régime;

b) par suite d’une modification apportée à la caisse ou au régime;

c) par suite de la liquidation de la caisse ou du régime.

 

[18]        L’avocate de l’intimée a soutenu que l’ordonnance sur consentement visait à répartir en parts égales la source de revenu (la rente) entre les époux et que chacun paierait l’impôt sur le revenu provenant de cette source.

 

[19]        L’avocate de l’intimée a également invoqué le paragraphe 11 du Bulletin d’interprétation IT-499R (« IT 499R »), qui est libellé ainsi :

 

11. Si la répartition des prestations de pension survient lors de la dissolution d’un mariage, la législation relative aux prestations de pension d’une province fournit, en général, les modalités en vertu desquelles une partie des prestations de pension d’un membre d’un régime de pension peut être versée à un conjoint ou à un ex-conjoint conformément à un contrat de mariage, à un accord de séparation écrit ou à un décret de divorce ou à une ordonnance du tribunal en vertu d’une loi provinciale sur la famille relative à la répartition des biens lors de la dissolution du mariage. Dans de telles circonstances, lorsqu’il y a eu répartition des prestations de pension, la partie que chaque conjoint ou ex-conjoint reçoit, à une période autorisée selon la législation sur les prestations de pension de la province, est incluse dans le revenu du conjoint ou de l’ex-conjoint comme prestations de pension conformément au sous-alinéa 56(1)a)(i). Le traitement fiscal ci-dessus s’applique même si l’administrateur du régime de pension émet un chèque au membre du régime qui est tenu de répartir les paiements.

 

[20]        L’avocate de l’intimée a soutenu que l’appelante avait reçu les prestations de retraite en guise de la pension alimentaire qui lui était versée initialement. À son avis, il est évident que les parties voulaient répartir en parts égales le revenu provenant de la rente de l’ex-époux et que, par conséquent, les deux parties devraient partager le fardeau fiscal relatif à ce revenu.

 

[21]        L’intimée a invoqué la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Walker v. R., 1999 CarswellNat 2307, et la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans Lane c. La Reine, 2007 CCI 674.

 

[22]        Dans ces affaires, l’ex-époux avait cédé la moitié du montant brut de son revenu de pension et avait soit voulu que le montant soit réparti directement à la source par l’administrateur de la pension ou soit tenté sans succès que cela soit fait ainsi. Dans ce dernier cas, c’était donc l’ex-époux qui avait cédé lui-même la moitié du montant brut à son ex-épouse.

 

[23]        Comme les accords conclus dans ces affaires prévoyaient que les montants devaient être divisés à la source, il était prévu que chacune des parties supporterait les conséquences fiscales entraînées par la réception de la moitié du montant brut des pensions.

 

[24]        Dans la décision Andrews c. La Reine, 2005 CCI 246, l’ex-époux voulait que l’administrateur de la pension verse directement à son ex-épouse, selon la clause sur l’égalisation de la pension prévue dans l’accord de séparation, la moitié de la pension qu’il avait accumulée. L’administrateur de la pension avait avisé l’ex-époux qu’il était interdit conformément à la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario de verser à l’ex-épouse le montant total demandé. Il a donc fixé la portion de la pension qui serait versée directement à l’ex-épouse. Le reste devait donc être versé directement à cette dernière par l’ex-époux.

 

[25]        Le juge en chef Bowman a conclu que le reste versé directement à l’ex-épouse par l’ex-époux ne constituait pas des prestations de retraite ou de pension pour l’ex‑épouse au sens de la définition figurant au paragraphe 248(1) de la LIR (paragraphes 12 à 14). Selon le raisonnement du juge en chef Bowman, le montant versé chaque mois par un ex-époux à son ex-épouse dans le cadre du partage d’un bien familial, à savoir la pension de l’ex-époux, ne constitue ni une pension alimentaire ni une prestation de pension pour la bénéficiaire (paragraphe 18).

 

[26]        Le juge en chef Bowman a ensuite analysé la décision rendue dans l’arrêt Walker, précité. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la question dans cette affaire était de savoir si l’ex-épouse était tenue d’inclure dans son revenu la partie du produit brut du revenu de pension de son ex-époux qui lui avait été versée conformément à un accord de séparation. En première instance, le juge Mogan de la Cour de l’impôt a jugé que l’ex-épouse était obligée de le faire. Le juge en chef Bowman a résumé ainsi, aux paragraphes 25 et suivants de la décision Andrews, le raisonnement énoncé dans l’arrêt Walker :

 

25  Lorsqu’on analyse le raisonnement du juge Mogan et celui de la Cour d’appel fédérale, on est obligé de se demander pourquoi MmeWalker était imposable à l’égard du partage de biens familiaux. S’il y avait eu, comme le fait remarquer le juge Mogan, un calcul actuariel de la valeur courante de la pension du mari et qu’une somme forfaitaire avait été versée à Mme Walker par son ex-époux, cette somme n’aurait de toute évidence pas été imposable, ni comme prestation de pension ni comme pension alimentaire. Je crois que même la majorité des juges de la Cour suprême dans l’arrêt Tsiaprailis c. Canada, 2005 C.S.C. 8, ne l’auraient pas imposée sur la somme forfaitaire. Il est clair que le montant versé à Mme Walker par son ex-époux ne constituait pas une pension parce qu’il n’a pas été versé dans le cadre d’une caisse ou d’un régime de retraite ou de pension. Il est évident aussi que les parties n’avaient pas l’intention de le considérer comme une pension alimentaire et, comme je l’ai souligné auparavant, le juge Mogan a rejeté l’argument indiquant qu’il s’agissait d’une pension alimentaire. Alors, pourquoi était-il imposable?

 

26  Le juge Mogan a fondé sa décision sur le fait que, comme les règles ne permettaient pas que la pension soit partagée par l’administrateur et versée directement à l’ex-épouse, l’ex-mari recevait une partie de la pension à titre de mandataire de son ex-épouse. Le raisonnement semble être, par conséquent, que la pension était non pas déductible par l’ex-mari en vertu d’une disposition de la Loi mais bien qu’il avait reçu la partie versée à son ex-épouse à titre de mandataire de celle-ci et que cette partie n’avait jamais fait partie de son revenu. Autrement dit, en acceptant de lui verser une partie de la pension qu’il recevait, l’ex-mari faisait ce que l’administrateur ne pouvait pas faire, c’est-à-dire partager la pension à la source pour que lui-même soit imposé seulement sur la partie qu’il conservait, et l’ex-épouse recevait en fait sa partie de son ex-mari qui la recevait directement de l’administrateur du régime de pension.

 

27  Cette analyse n’a pas été adoptée par la Cour d’appel fédérale dans son jugement oral. La substance de la décision de la Cour d’appel fédérale semble se trouver au paragraphe 5 des motifs :

 

[5] Nous croyons qu’au moment où l’accord de séparation a été signé, les parties voulaient que chacune paie l’impôt sur le revenu sur le montant brut reçu, de sorte que chacune aurait sa part de la pension (soit le bien en l’espèce) après impôt.

 

Il y a, je suppose, une certaine forme de justice à obliger des ex-époux à assumer les conséquences fiscales de leur accord, mais j’ai toujours eu l’impression que les conséquences fiscales des transactions devaient être déterminées conformément aux textes de loi et non pas aux ententes quelconques intervenues entre les parties. Après tout, si le ministre du Revenu national n’est pas lié par les ententes prises entre ses fonctionnaires et les contribuables (Cohen v. The Queen, 80 DTC 6250; Consoltex Inc. v. The Queen, 97 DTC 724; cf. Smerchanski et al. v. M.N.R., 76 DTC 6247), il est difficile de justifier que l’incidence fiscale d’une transaction donnée entre deux parties lie le ministre si cette transaction n’est pas conforme à la Loi.

 

28 Bien que j’éprouve quelques difficultés à accepter le raisonnement juridique énoncé dans l’arrêt Walker, je suis quand même tenu par la règle du précédent de suivre la décision de la Cour d’appel fédérale parce que ce litige ne peut pas en pratique être distingué du présent appel. En outre, le résultat n’est pas dénué d’équité.

 

29 Les parties ont convenu ici que chacun paierait de l’impôt sur une partie de la pension de l’époux et ils ont intégré cette entente à l’ordonnance rendue sur consentement. [À ma connaissance, la cour supérieure d’une province n’a pas le pouvoir de décider de ce que devraient être les conséquences d’une transaction sur l’impôt fédéral.] La raison expliquant pourquoi l’appelant payait à son ex-épouse une partie de sa pension était la même que dans l’affaire Walker, soit parce que l’administrateur du régime de pension ne croyait pas qu’il avait le droit de partager la pension d’une manière qui différait de ce que permet le législateur.

 

30 Je vais tenter de résumer les motifs m’amenant à conclure que l’appelant devrait avoir gain de cause. Ici, nous avons une entente entre des époux indiquant qu’ils vont se diviser la pension du mari. Une partie de ce partage doit se faire avant que l’argent quitte les mains de l’administrateur du régime de pension et 444,00 $ sont versés directement par l’administrateur à l’ex-épouse. On semble poser l’hypothèse que ce montant appartient dès le début à l’ex-épouse en vertu du sous‑alinéa 56(1)a)(i) de la Loi et ne fait jamais partie du revenu de l’ex-mari. Par conséquent, la question de la déductibilité par celui-ci ne se pose jamais.

 

31 Les parties ont également convenu qu’une autre portion de la pension de l’ex‑époux (556,00 $) serait versée par ce dernier à son ex-épouse :

 

[traduction]

[…] aux fins de l’égalisation de la pension de l’intimé. Cette somme sera déductible pour l’intimé et imposable pour la requérante.

 

32 Peu importe que l’accord puisse ou non déterminer les conséquences fiscales de cet arrangement, la clause en question témoigne au moins clairement de l’intention des parties, ce qui la rend conforme au paragraphe 5 du jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Walker, précité.

 

33 Je ne connais aucune disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui permettrait la déduction des paiements mensuels de 556,00 $ faits au titre de l’égalisation. Par conséquent, pour être compatible avec l’arrêt Walker, si l’on veut faire droit à l’appel, ça doit être parce que la partie de la pension que l’appelant recevait et qu’il versait à son ex-épouse ne faisait pas partie de son revenu à lui. Comme on le constate clairement à la lumière de mes remarques antérieures dans les présents motifs, je conclus que le raisonnement énoncé dans l’arrêt Walker est difficile à concilier avec certains concepts que j’ai toujours considérés comme étant solidement établis dans les règles de droit fiscal :

 

a) En l’absence de fraude, la forme d’une transaction prévaudra sur les notions de « substance » et de « réalité économique ».

b) Les conséquences fiscales d’une transaction doivent être déterminées en fonction de ce qui a été fait et non pas de ce qui aurait pu être fait.

c) Les parties à une transaction ne peuvent obliger la Cour ni le ministre à respecter une entente relative aux conséquences fiscales de la transaction.

 

34 Je pourrais peut-être distinguer le présent appel de l’arrêt Walker pour divers motifs.

 

a) L’accord dont il était question dans l’affaire Walker visait une « cession » et non pas une entente de versement.

b) Le juge Mogan a conclu que le mari était le mandataire de son ex-épouse. Je ne sais pas quelles preuves avaient été présentées au juge Mogan qui justifieraient cette conclusion. C’était indubitablement une solution commode à un problème assez épineux qui a permis au juge Mogan de parvenir à un résultat équitable. Ce n’était pas, il faut le mentionner, le fondement de la décision de la Cour d’appel fédérale.

c) L’arrêt Walker portait sur l’inclusion d’un montant dans le revenu et le présent appel traite de la déductibilité, dont les règles sont différentes. L’argument serait que, dans l’arrêt Walker, un principe analogue au principe de la substitution dont il a été question récemment dans l’arrêt Tsiaprailis était la principale hypothèse tacite sur laquelle reposait le jugement, alors que les questions tournant autour de la déductibilité ne soulèvent rien qui soit contraire au principe de la substitution.

 

35 Je ne crois pas que ces distinctions plutôt subtiles justifient que je déroge à l’arrêt Walker. Selon le principe que je déduis de cette décision, il y a lieu d’appliquer les ententes conclues entre les parties. C’est ce principe que je suis obligé de suivre.

 

36 Les appels sont accueillis et les cotisations relatives aux années d’imposition 2000, 2001 et 2002 sont renvoyées au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et qu’il établisse de nouvelles cotisations compte tenu du fait que la portion de la pension versée par l’appelant à son ex-épouse au titre de l’égalisation des biens familiaux prévue dans la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario ne doit pas être incluse dans son revenu.

 

 

[27]        Dans la décision St-Jacques c. Canada, [1999] A.C.I. n° 929 (QL), 1999 CarswellNat 3121, le juge Dussault de la Cour de l’impôt a distingué l’affaire dont il était saisi de l’arrêt Walker. Dans cette affaire, l’époux et l’épouse avaient convenu, dans une convention de séparation, d’une répartition égale des prestations de retraite que le mari recevrait de l’administrateur de sa pension. Le plein montant de la pension a été versé au mari qui, de son côté, devait remettre à son épouse sa part de la prestation de retraite.

 

[28]        Dans la convention de séparation, il a été convenu que le fonds de pension du mari serait partagé en parts égales. L’épouse a ensuite demandé à l’administrateur de la pension de recevoir directement la moitié de la pension de son mari, demande à laquelle l’administrateur de la pension a répondu que la pension du mari était incessible et insaisissable.

 

[29]        Ainsi que l’a déclaré le juge Dussault au paragraphe 16, en fait, tout ce que les parties avaient convenu de faire, c’était de partager entre elles en parts égales le revenu provenant du régime de retraite du mari. Il s’est exprimé ainsi aux paragraphes 16 et 17 :

 

16  En réalité, tout ce que les parties ont convenu de faire à l’article 4. d) de la convention, c’est de se partager entre elles à parts égales les revenus provenant de trois régimes distincts de retraite, soit le revenu provenant du régime de pension de monsieur Roberge auprès de la Mutuelle-Vie, le revenu provenant de la Régie des rentes du Québec au profit de monsieur Roberge de même que le revenu provenant de la Régie des rentes du Québec au profit de l’appelante. Une entente de partage de revenus provenant de différentes sources n’est pas une cession de droits à ces revenus. Un contribuable qui a un emploi et qui convient simplement de partager son revenu d’emploi avec sa conjointe ne procure pas à celle-ci une somme que l’on pourrait qualifier de revenu au titre d’un « emploi ». Il partage tout simplement avec une autre personne son propre revenu d’emploi. C’est la même chose dans le cas présent.

 

17  Compte tenu de ce qui précède, j’en viens donc à la conclusion que le sous-alinéa 56(1)a)(i) de la Loi n’est pas applicable en l’espèce.

 

[30]        Le juge Dussault a ensuite distingué cette affaire de l’arrêt Walker pour les motifs suivants (paragraphes 18 et 19) :

 

18  En terminant, j’ajouterai un bref commentaire sur la décision de cette Cour dans l’affaire Walker c. Canada, (1994) A.C.I. no. 982 sur laquelle s’appuie l’avocate de l’intimée au soutien de sa position que le sous-alinéa 56(1)a)(i) est applicable en l’espèce. Comme le souligne l’avocat de l’appelante, dans cette affaire, il était clair que l’intention des parties était de procéder à une cession de la moitié des droits du mari à son épouse. L’extrait suivant de l’article 14 de l’accord de séparation dans l’affaire Walker, auquel se réfère l’avocat de l’appelante et qui est reproduit à la page 3 de la version française du jugement, ne peut être plus clair à cet égard. Le texte se lit :

Le mari cédera la moitié du produit brut de son revenu de pension de service militaire et, jusqu’à ce que les paiements résultant de la cession soient effectués et parviennent à l’épouse, il paiera à l’épouse la somme de quatre cent dix-huit dollars et quarante-deux cents (418,42 $) par mois le premier jour de chaque mois à compter du premier jour d’avril 1988. L’épouse peut choisir de déduire les sommes payables au mari pour l’entretien de l’enfant du revenu de pension jusqu’à l’exécution de la cession, mais elle doit aviser le mari d’un tel choix avant le vingt-cinq du mois précédent. Le mari garantit qu’il veillera à cette cession avec toute la diligence voulue.

 

19  On comprendra aisément que céder des droits à un revenu brut de pension n’a pas le même effet que d’en partager le revenu net avec une autre personne.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]        En ce qui a trait au paragraphe 11 du bulletin d’interprétation IT-499R, le juge Dussault a affirmé ce qui suit au paragraphe 20 :

 

20  Je ferai également remarquer que le paragraphe 11 du Bulletin d’interprétation IT-499 R en date du 12 janvier 1992 et portant sur les Prestations de retraite ou d’autres pensions traite de la répartition des prestations de pension selon la législation provinciale applicable en cas de séparation ou de divorce. J’estime que l’opinion exprimée à ce paragraphe selon laquelle chaque conjoint doit inclure dans son revenu la part qui lui revient lorsqu’il y a eu répartition des prestations même si l’administrateur du régime de pension n’émet qu’un seul chèque au membre du régime, qu’elle soit fondée ou non pour le cas visé, n’est pas applicable à la présente situation vu qu’il n’y a jamais eu ici répartition des prestations en vertu de l’article 107 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite puisque cette répartition ne pouvait être faite compte tenu des termes de la convention signée par les parties le 26 et le 28 mars 1992 et entérinée par le jugement de divorce du 21 octobre 1992.

 

[32]        J’estime que la présente affaire est semblable à la situation dans la décision St‑Jacques. Selon le libellé de la convention de séparation, l’ex-mari de l’appelante devait remettre à cette dernière la moitié du montant mensuel net de sa rente de retraite. Il ne s’agit pas d’une cession des droits à un revenu brut de pension, cette cession n’ayant pas le même effet que le partage du revenu net de pension avec une autre personne. En outre, j’estime qu’il ne ressort pas clairement, en l’espèce, que l’intention des parties en signant l’accord était de céder la moitié des prestations de l’ex-époux, sur laquelle l’appelante serait tenue de payer de l’impôt. À tout le moins, cela ne ressort pas de l’accord lui-même. Par conséquent, à la lumière des commentaires formulés par le juge en chef Bowman dans la décision Andrews, l’arrêt Walker se distingue pour les motifs suivants :

 

a.                 l’accord dont il était question dans l’arrêt Walker visait une « cession » et non pas une entente de versement, comme c’est le cas en l’espèce;

 

b.                 il n’existe aucune preuve montrant une intention claire de céder la moitié des prestations de retraite du mari à l’appelante. Plutôt, le libellé utilisé précisait clairement que l’ex-époux devait verser à l’appelante la moitié du montant mensuel net de sa rente.

 

[33]        M. Roy a reconnu devant la Cour que, même s’il aurait préféré que la rente soit versée directement à l’appelante par l’administrateur de la pension, il a accepté de signer l’accord tel qu’il avait été rédigé par son avocate et l’avocat de l’appelante. J’ajouterais que le fait de partager en parts égales avec son ex-épouse le produit net de sa pension n’était pas, après tout, un résultat dénué d’équité. Chaque mois, la Sun Life devait verser à M. Roy le plein montant de la rente moins la totalité de l’obligation fiscale; M. Roy devait ensuite verser la moitié du montant net à son ex‑épouse, l’appelante, conformément à l’ordonnance sur consentement. Comme l’a déclaré la juge Sheridan dans la décision O’Brien c. La Reine, 2005 CCI 661, au paragraphe 14, le paiement auquel l’appelante avait droit et qui était tiré d’une caisse de retraite est simplement accessoire. Ce fait ne suffit pas, en soi, pour transformer les montants reçus en « prestations de pension » au sens de l’alinéa 56(1)a) de la LIR.

 

[34]        En ce qui a trait au bulletin d’interprétation IT-499R (que ce soit fondé ou non en droit), celui-ci s’applique au partage des prestations de retraite selon les modalités prévues dans la loi provinciale. En l’espèce, l’accord de séparation prévoyait un partage égal des biens matrimoniaux en vertu de la Loi sur les biens matrimoniaux du Nouveau-Brunswick de manière à ce que l’ex-époux verse à l’appelante la moitié du montant mensuel net de la rente qu’il avait achetée avec les fonds de son régime de retraite. Il n’existe aucune preuve devant moi qu’il s’agit d’un partage des prestations de retraite en vertu de la loi provinciale. Comme c’était le cas dans l’affaire St‑Jacques, l’accord de séparation ne prévoyait pas un partage de la valeur du régime ou de la rente. Je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que l’ex‑époux a cédé les droits au titre de son régime de retraite à l’appelante. Par conséquent, cette dernière n’a pas acquis de droits au titre de ce régime et n’a reçu aucune somme de la Sun Life. Comme le juge Dussault l’a affirmé au paragraphe 16 de ses motifs dans la décision St‑Jacques, une entente de partage de revenus provenant de différentes sources n’est pas une cession de droits à ces revenus. Le paragraphe 11 du bulletin d’interprétation IT 499R n’est donc pas applicable à la présente situation étant donné qu’aucun partage des prestations de retraite de l’ex‑époux n’a été effectué selon les modalités de l’accord de séparation. En tout état de cause, je ne suis pas liée par l’interprétation donnée dans un bulletin d’interprétation (voir l’arrêt Nowegijick v. The Queen et al., 83 DTC 5041, à la page 5044 (CSC)).

 

[35]        Pour tous ces motifs, je suis d’avis que les sommes reçues par l’appelante conformément à l’accord de séparation ne sont pas imposables à titre de revenu de retraite en vertu de l’alinéa 56 (1)a)(i) de la LIR.

 

[36]        Les appels sont accueillis pour cette raison.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’août 2012.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’octobre 2012.

 

M.-C. Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 304

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1884(IT)I

 

INTITULÉ :                                      ANNITA EMOND c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 24 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Richard Venor

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Messore

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                    

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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