Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2009-3693(IT)G

 

ENTRE :

JAGMOHAN SINGH GILL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 2 mai 2012, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tokumbo Omisade

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2005 est rejeté, et les dépens sont adjugés à l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2012.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de décembre 2012

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

Référence : 2012CCI302

Date : 20120906

Dossier : 2009-3693(IT)G

ENTRE :

JAGMOHAN SINGH GILL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

I.  Introduction

 

[1]             L’appelant, M. Gill, a interjeté appel d’un avis de nouvelle cotisation établi à son égard et daté du 27 juin 2008, lequel incluait un montant de 75 175 $ dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2005. L’appelant a reçu ce montant au moment du rachat du régime d’épargne-retraite individuel ou Individual retirement arrangement (l’« IRA ») de sa sœur, mais il ne l’a pas déclaré à titre de revenu dans sa déclaration de revenus pour 2005. Cet IRA a été légué à l’appelant au décès de sa sœur.

 

[2]             En l’espèce, la question est de savoir si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus à juste titre le montant provenant de l’IRA dans le calcul du revenu de l’appelant en application de la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (du Canada) (la « Loi »).

 

II.  Le contexte

 

[3]             Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits et aucun fait additionnel n’a été présenté à l’audience.

 

[4]             La sœur de l’appelant, citoyenne des États‑Unis (É.‑U.), est décédée le 17 novembre 2004. Au jour de son décès, elle détenait un IRA auprès de la société de fiducie OFI. L’appelant était le bénéficiaire désigné de l’IRA. Pendant l’année d’imposition 2005, l’appelant a reçu une somme forfaitaire de 75 175 $ au titre du rachat de l’IRA. Dans sa déclaration de revenus pour 2005, il n’a pas inclus ce montant dans le calcul de son revenu.

 

[5]             Les parties ont convenu que l’appelant n’avait pas reçu le montant en cause à titre d’allocation ou de pension en raison de son âge, ni en contrepartie de services rendus. Les parties ont également convenu du fait que le montant que l’appelant a reçu ne correspondait pas à une « prestation de retraite » dans le sens courant du terme.

 

[6]             Les parties s’entendent pour dire que l’IRA était un « mécanisme de retraite étranger » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi et de l’article 6803 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »). Les parties reconnaissent également que la somme forfaitaire que l’appelant a reçue serait assujettie à l’impôt des États‑Unis si celui‑ci était un résident des États‑Unis.

 

[7]             Le 27 juin 2008, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, laquelle incluait la somme forfaitaire en cause dans le calcul de son revenu à titre de [traduction] « revenu de retraite des É.‑U. ». Le 16 septembre 2009, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation en partant du principe que le montant reçu par l’appelant devait être inclus dans le calcul de son revenu en application de la division 56(1)a)(i)(C.1).

III.  La question de procédure : l’intimée peut-elle invoquer la division 56(1)a)(i)(C.1) pour appuyer la nouvelle cotisation?

 

[8]             Aux dires de l’appelant, l’intimée n’a pas le droit de s’appuyer sur la division 56(1)a)(i)(C.1) pour prétendre que le montant qu’il a reçu devrait être inclus dans le calcul de son revenu. L’appelant soutient que le ministre a établi la nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la somme forfaitaire qu’il a reçue était un revenu de retraite, et que permettre à l’intimée d’avancer qu’il est tenu de payer de l’impôt sur cette somme en application de la division (C.1) équivaudrait à établir une toute nouvelle cotisation.

 

[9]             Le paragraphe 152(9) est pertinent en l’espèce. Il est ainsi rédigé :

 

*       Le ministre peut avancer un nouvel argument à l’appui d’une cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

*        

*             a)         d’une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n’est plus en mesure de produire sans l’autorisation du tribunal;

*              

*             b)         d’autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

 

*        

[10]        L’argument de l’appelant est fondé sur l’opinion selon laquelle il existe une distinction entre le fondement d’une cotisation et un argument à l’appui d’une cotisation. Il prétend que le fondement d’une cotisation correspond à la définition de la nature du montant en cause. Selon cet argument, le fait que le montant forfaitaire ait été décrit comme un [traduction] « revenu de retraite des É.‑U. » dans l’avis de nouvelle cotisation indique que la nouvelle cotisation en cause est fondée sur l’idée que le montant que l’appelant a reçu était une prestation de retraite.

 

[11]        L’appelant soutient que la Couronne ne peut pas changer le fondement d’une cotisation. Il se fonde sur la décision que la juge Sharlow a rendue dans l’arrêt Canada v. Loewen [1]. Dans cet arrêt, la juge Sharlow s’est exprimée ainsi :

 

La base d'imposition utilisée pour établir la cotisation est un fait historique; elle est immuable. La base d'imposition – ou fondement – de la nouvelle cotisation comprend normalement tous les faits se rapportant à l'augmentation du revenu imposable du contribuable, tels que le ministre les a perçus lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation. Elle comprend aussi la façon dont le ministre a appliqué le droit aux faits de l'espèce lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation, ainsi que toute conclusion de droit qui a pu influencer l'application du droit aux faits. […][2].

 

[12]        Dans l’arrêt Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., le juge Rothstein (tel était alors son titre), a rejeté l’idée qu’il existait une distinction significative entre le fondement d’une cotisation et un argument à l’appui d’une cotisation dans le contexte de l’application du paragraphe 152(9) de la Loi[3]. Dans la décision Gould c. La Reine[4], le juge en chef Bowman de la Cour a également affirmé qu’il n’y avait pas lieu d’effectuer une telle distinction.

 

[13]        Dans l’arrêt Walsh c. Canada, la Cour d’appel fédérale a énoncé les circonstances dans lesquelles la Couronne pourrait proposer un nouvel argument en application du paragraphe 159(9) de la Loi[5]. Le juge en chef Richard les a ainsi décrites :

 

1) Le ministre ne peut pas inclure de transactions non comptées dans la nouvelle cotisation du contribuable;

2) Le droit du ministre de proposer un autre argument à l’appui d’une cotisation est assujetti aux alinéas 152(9)a) et b), qui ont trait au préjudice causé au contribuable;

3) Le ministre ne peut pas invoquer le paragraphe 152(9) pour établir une nouvelle cotisation au‑delà du délai prévu au paragraphe 152(4) de la Loi ou pour percevoir un impôt dépassant le montant de la cotisation contestée[6].

 

[14]        En l’espèce, aucune des conditions décrites ci‑dessus n’entre en ligne de compte. Il est question de la même transaction (le transfert de la somme forfaitaire venant de l’IRA de la sœur de l’appelant); les alinéas 152(9)a) et b) ne s’appliquent pas; et, pour finir, le ministre n’essaie pas d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant au‑delà du délai normal ou de percevoir un impôt dépassant le montant de la nouvelle cotisation en cause.

 

[15]        Au lieu de cela, l’intimée a fait valoir que le montant qui a été décrit comme un [traduction] « revenu de retraite des É.‑U. » dans l’avis de nouvelle cotisation devrait être inclus dans le calcul du revenu de l’appelant en application de la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi. Cette position est cohérente avec l’avis de ratification, lequel renvoie à la même disposition. En outre, le fait que le montant en cause soit décrit comme un [traduction] « revenu de retraite des É.‑U. » ne semble pas constituer une indication du fait que le ministre croyait que l’appelant touchait des revenus de retraite. Le terme est simplement utilisé pour désigner le paiement que l’appelant a reçu, lequel paiement fait l’objet de la cotisation en cause. Il aurait sans doute été mieux de décrire le montant comme un [traduction] « paiement d’IRA » assujetti à l’impôt en application de la division 56(1)a)(i)(C.1). Je crois cependant que le ministre a avisé l’appelant de sa position suffisamment à l’avance en décrivant le montant en cause comme un [traduction] « revenu de retraite des É.‑U. » assujetti à l’impôt en application de la division 56(1)a)(i)(C.1) dans son avis de ratification de la cotisation. En clarifiant dans l’avis de ratification la position qu’il avait adoptée dans la réponse à l’avis d’appel de l’appelant, le ministre n’a en aucun cas modifié la cotisation.

 

[16]        Les actions de la Couronne n’ont pas causé de préjudice à l’appelant. Dans sa première réponse à l’avis d’appel, le ministre a déclaré que la cotisation était fondée sur le fait que le montant que l’appelant avait reçu avait été [traduction] « inclus à juste titre dans le calcul du revenu de l’appelant en application de la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi »[7]. La réponse modifiée est encore plus explicite à cet égard parce que le ministre a présenté comme des hypothèses de fait les déclarations selon lesquelles l’IRA est un « mécanisme de retraite étranger » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi et de l’article 6803 du Règlement et la déclaration selon laquelle le montant en cause serait assujetti à l’impôt des États‑Unis si l’appelant était un résident des États‑Unis[8]. L’appelant a consenti au dépôt de la réponse modifiée[9]. D’ailleurs, ces mêmes hypothèses de fait sont énoncées dans l’exposé conjoint des faits que les parties ont déposé[10].

IV.  La thèse de l’appelant quant à l’interprétation de la division 56(1)a)(i)(C.1)

 

[17]        L’appelant soutient que la division 56(1)a)(i)(C.1) ne vise pas le montant en cause en l’espèce. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

a) toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

*         

(i) d’une prestation de retraite ou de pension, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

*      

[…]

 

(C.1) tout paiement fait dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger prévu par la législation d’un pays, sauf dans la mesure où le paiement serait exclu du calcul du revenu du contribuable aux fins de l’impôt sur le revenu dans ce pays s’il y résidait,

 

[…] 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]        Cette disposition prévoit que les prestations de retraite ou de pension doivent être incluses dans le calcul du revenu d’un contribuable, les prestations en question étant énumérées dans les divisions (A) à (C.1). La division (C.1) vise tout paiement fait dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger prévu par la législation d’un pays étranger, sauf dans la mesure où ledit paiement serait exclu du calcul du revenu du contribuable aux fins de l’impôt sur le revenu dans ce pays s’il y résidait.

[19]        Le paragraphe 248(1) de la Loi définit un « mécanisme de retraite étranger » comme un « régime ou mécanisme visé par règlement ». Par ailleurs, l’article 6803 du Règlement[11] définit un « régime ou mécanisme visé » comme « le régime ou mécanisme auquel s’appliquent les alinéas 408a), b) ou h) de la loi des États‑Unis intitulée Internal Revenue Code of 1986, et leurs modifications successives. ».

 

[20]        L’appelant se fonde sur l’expression « sans préjudice de la portée générale de ce qui précède » employée au sous‑alinéa 56(1)a)(i). L’appelant soutient que cette formulation laisse entendre que l’intention du législateur était que les éléments décrits dans les divisions (A) à (C.1) ne soient assujettis à l’impôt que s’ils constituent des prestations de retraite ou de pension dans le sens courant de ces termes[12].

 

[21]        L’appelant se fonde sur les motifs prononcés dans la décision Re Law Society of Upper Canada and Attorney General of Ontario[13]; cette affaire portait sur la question de savoir si le Barreau du Haut‑Canada avait compétence pour instaurer un système régional d’élection de ses conseillers. Le juge Borins s’était penché sur la formulation du paragraphe 62(1) de la Loi sur la Société du Barreau, ainsi rédigé :

 

Sous réserve de l’article 63, le Conseil peut établir des règles relatives aux affaires du Barreau et peut notamment :

[…]

 

6. prévoir la date, le mode et la procédure d’élection des conseillers;

 

[22]        Le juge Borins a conclu que l’établissement d’un système régional d’élection des conseillers ne tombait pas sous le coup de l’expression les « affaires du Barreau »[14]. Il s’est alors penché sur la question de savoir si l’alinéa 6 du paragraphe 62(1) accordait la compétence voulue à cette fin, mais avant cela, il a laissé entendre qu’un tel examen n’était peut-être pas nécessaire :

 

[traduction]

 

Étant parvenu à cette conclusion, il n’est peut-être pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si l’alinéa 6 du paragraphe 62(1) accorde au Conseil le pouvoir d’approuver les règles relatives à l’élection régionale des conseillers. Cela s’explique par le fait qu’il semblerait que le mot « notamment » ait été employé pour traduire le fait que la référence faite à des sujets précis ne visait pas à altérer la portée générale de la disposition […][15].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]        Suivant cette interprétation, le Conseil pouvait établir des règles en application de l’alinéa 6, mais seulement dans la mesure où ces règles avaient trait aux affaires du Barreau, qui ont été définies indépendamment de l’alinéa en tant que tel. Il convient de souligner qu’en dépit de l’affirmation reproduite ci‑dessus, le juge Borins s’est ensuite penché sur la portée de l’alinéa 6 et a conclu que cette disposition n’accordait pas au Conseil la compétence voulue pour instaurer un système régional d’élection des conseillers.

 

[24]        L’appelant laisse entendre que l’expression « sans préjudice de la portée générale de ce qui précède » employée au sous‑alinéa 56(1)a)(i) exige qu’un montant soit une prestation de retraite ou de pension pour qu’il soit inclus dans le calcul du revenu en application de ladite disposition. Ainsi, même si un montant tombe sous le coup d’une des divisions inclusives du sous‑alinéa 56(1)a)(i), il ne devrait être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable que s’il s’agit d’une prestation de retraite ou de pension tels que ces termes sont généralement définis.

 

[25]        L’appelant se fonde sur les principes énoncés dans la décision Abrahamson v. M.N.R., prononcée par le juge Rip (tel était alors son titre), pour affirmer que les montants forfaitaires provenant de l’IRA, comme celui qu’il a reçu, ne sont pas des prestations de retraite ou de pension[16]. Je remarque que la décision Abrahamson a été rendue avant que la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi entre en vigueur.

V.  La thèse de l’intimée

 

[26]        L’intimée soutient que la division 56(1)a)(i)(C.1) doit être interprétée comme visant le montant reçu par l’appelant.

 

[27]        La Couronne renvoie à la décision Kaiser v. The Queen, rendue par le juge suppléant Rowe[17]. Dans cette affaire, le contribuable était un citoyen américain résidant au Canada. Au décès de son père, ce contribuable a reçu un montant forfaitaire en sa qualité de bénéficiaire des IRA de son père. La question à trancher était de savoir si ce montant devait être inclus dans le calcul du revenu du contribuable en application de la division 56(1)a)(i)(C.1).

 

[28]        Dans cette affaire, le contribuable avait soutenu que de tels montants ne devraient être inclus dans le calcul de son revenu en application de la division (C.1) que s’ils constituaient des prestations de retraite ou de pension[18]. Dans la mesure où le montant en cause ne lui avait pas été versé à titre de prestation de retraite ou de pension, le contribuable a affirmé qu’il ne devrait pas être inclus dans le calcul de son revenu[19].

 

[29]        Le juge suppléant Rowe a rejeté ce point de vue, et il a conclu qu’il ressortait d’une simple lecture de la disposition que le montant devrait être inclus dans le calcul du revenu du contribuable. Il s’est exprimé ainsi :

 

Il est bon d’examiner de nouveau le libellé précis de la division 56(1)a)(i)(C.1) et ses composants. La division parle d’une « prestation de retraite ou d’autres pensions, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, tout paiement fait dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger »[20].

 

[30]        Plus loin dans le jugement, le juge suppléant Rowe a souligné le fait que la disposition avait une large portée :

 

[…] Pour être imposable dans ce cas‑ci, il importe que les fonds représentent un paiement fait dans le cadre de ce mécanisme de retraite étranger, et non qu’une personne particulière reçoive la somme uniquement dans des circonstances où s’appliquent les définitions données, dans la loi et la common law, aux mots « prestation de retraite et d’autres pensions » […][21].

 

[31]        L’appelant fait valoir que le raisonnement adopté dans la décision Kaiser ne devrait pas s’appliquer en l’espèce étant donné que le juge suppléant Rowe n’a pas examiné l’effet de l’expression « sans préjudice de la portée générale de ce qui précède »[22]. Il soutient qu’il s’agissait d’une erreur d’interprétation de la Loi[23]. Pour cette raison, il affirme que la Cour ne devrait pas être liée par la décision rendue par le juge suppléant Rowe[24].

 

[32]        La Couronne renvoie également aux notes techniques qui accompagnent le paragraphe 56(12), dans lesquelles on peut lire que « [l]a division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi prévoit, de façon générale, que les paiements qu’un contribuable reçoit dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger (MRE) doivent être inclus dans le calcul de son revenu à titre de prestation de retraite ou de pension »[25].

 

VI.  Analyse

[33]        Je suis d’avis que le montant que l’appelant a reçu de l’IRA devrait être inclus dans le calcul de son revenu en application de la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi.

 

[34]        En ce qui a trait au libellé de la disposition, les éléments suivants ont attiré mon attention. Premièrement, la formulation de la division (C.1) a une portée très large. Elle est censée s’appliquer à « tout paiement fait dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger ». Rien ne laisse entendre dans cette disposition que le paiement doit être visé par la définition que la common law donne d’une prestation de retraite ou de pension pour qu’il soit possible de l’inclure dans le calcul du revenu du contribuable.

 

[35]        Deuxièmement, le législateur a employé l’expression « y compris » au sous‑alinéa 56(1)a)(i). Le professeur Sullivan a affirmé qu’une définition inclusive [traduction] « élargit la portée du sens ordinaire (ou technique)  des termes définis en incluant dans la définition des éléments qui ne seraient normalement pas considérés comme une extension du terme »[26]. Cette affirmation vient appuyer l’opinion selon laquelle les montants décrits à la division (C.1) devraient être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable, et ce, même s’ils ne sont pas visés par la définition courante d’une prestation de retraite ou de pension.

 

[36]        Troisièmement, une telle interprétation cadre avec l’expression « without limiting the generality of the foregoing » (« sans préjudice de la portée générale de ce qui précède »). Il faudrait porter une attention particulière au terme « limiting » (« préjudice ») tel qu’il est employé dans cette expression. Le Canadian Oxford Dictionary définit le verbe « limit » comme signifiant [traduction] « restreindre »[27]. De même, le Black’s Law Dictionary définit « limit » comme signifiant « une restriction ou une limitation »[28]. Le fait d’interpréter la division (C.1) comme visant la somme forfaitaire provenant de l’IRA ne porte pas atteinte à la portée du sous‑alinéa 56(1)a)(i); il en étend plutôt la portée. Les revenus tirés de prestations de retraite et de pension doivent toujours être inclus dans le calcul du revenu du contribuable du fait de l’inclusion générale de ces éléments. La division (C.1) n’impose aucune restriction à cet égard. Au contraire, elle traite comme une prestation de retraite ou de pension un montant qui ne serait pas habituellement considéré comme tel.

 

[37]        Le libellé de la disposition est précis et non équivoque, et de ce fait, dans le droit fil des indications que la Cour suprême du Canada a données dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada[29], elle devrait jouer un rôle primordial dans le processus d’interprétation.

 

[38]        Dans son esprit, l’article 56 de la Loi prévoit généralement l’inclusion dans le calcul du revenu d’un contribuable de revenus provenant d’une grande variété de sources autres qu’une charge, un emploi, un bien ou un gain en capital. Le fait d’inclure dans le calcul du revenu du contribuable les paiements faits dans le cadre de l’IRA va donc parfaitement dans le sens de l’esprit de cette disposition.

 

[39]        Pour l’ensemble des présents motifs, l’appel est rejeté et les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de septembre 2012.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de décembre 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 302

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2009-3693(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Jagmohan Singh Gill c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 6 septembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tokumbo Omisade

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                    

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Canada c. Loewen, 2004 CAF 146, [2004] 4 R.C.F. 3.

[2] Ibid., au paragraphe 7.

[3] Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, 2003 DTC 5512 (Anchor Pointe), au paragraphe 38.

[4] Gould c. La Reine, 2005 CCI 556, 2005 DTC 1311, au paragraphe 16.

[5] Walsh c. Canada, 2007 CAF 222, 2007 DTC 5441 (Walsh).

[6] Ibid., au paragraphe 18.

[7] Réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 13.

[8] Réponse à l’avis d’appel modifiée, au paragraphe 9A.

[9] Exposé conjoint des faits, au paragraphe 17.

[10] Ibid., au paragraphe 19.

[11] Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945, tel qu’il a été modifié.

[12] Transcription, aux pages 5 à 6.

[13] Re Law Society of Upper Canada and Attorney General of Ontario (1995), 21 O.R. (3e) 666 (C. Ont., Div. gén.) (Re Law Society of Upper Canada).

[14] Ibid., à la page 677.

[15] Ibid., aux pages 679 et 680.

[16] Abrahamson v. M.N.R., 91 DTC 213, 1990 CarswellNat 534 (CCI) (Abrahamson).

[17] Kaiser v. The Queen, 95 DTC 13, 1994 CarswellNat 1093 (CCI) (Kaiser).

[18] Ibid,, à la page 16 (DTC), au paragraphe 13 (CarswellNat).

[19] Ibid.

[20] Ibid., à la page 16 (DTC), au paragraphe 15 (souligné dans l’original).

[21] Ibid., pp. 18-19 (DTC), au paragraphe 20 (CarswellNat).

[22] Transcription, aux pages 20 à 22.

[23] Ibid.

[24] Ibid., aux pages 42 et 43.

[25] Canada, ministère des Finances, Notes explicatives sur les propositions législatives concernant l’impôt sur le revenu (juillet 2010).

[26] Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2007), à la page 70.

[27] Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Don Mills (Ont.) : Oxford University Press, 2004), sous l’entrée « limit ».

[28] Black’s Law Dictionary, 9e éd. (St Paul, MN : West, 2009), sous l’entrée « limit ».

[29] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, [2005] 5 CTC 215.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.