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Dossier : 2011-643(IT)I

ENTRE :

LAIRD STEVENS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 21 mars 2012 à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Représentants de l’appelant :

M. Guillaume Lavoie (stagiaire en droit)

M. Jean‑François Perrouty (stagiaire en droit)

 

Avocate de l’intimée :

Me Amelia Fink

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies le 13 janvier 2011 au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour les années d’imposition 2007 et 2008, sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2012.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7jour de novembre 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 312

Date : 20120925

Dossier : 2011-643(IT)I

ENTRE :

LAIRD STEVENS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]             Il s’agit d’appels interjetés sous le régime de la procédure informelle et portant sur les années d’imposition 2007 et 2008.

 

[2]             La Cour est appelée à trancher la question de savoir si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à juste titre la déduction des dépenses suivantes :

 

 

2007

2008

 

Prestation de services (messagerie et taxi)

 

869,00 $

 

1 075,00 $

Frais de repas

500,00 $

  500,00 $

Frais de divertissement

583,22 $

  693,11 $

Frais de déplacement

15 418,98 $ (ramenés à 14 327,58 $ à l’audience)

Néant

 

[3]             Durant les années d’imposition 2007 et 2008, l’appelant était professeur d’anglais à temps partiel à l’Université Concordia, à Montréal, et exerçait l’activité d’écrivain.

 

[4]             Dans sa déclaration de revenus pour 2007, l’appelant a inclus une perte de profession libérale de 21 368 $, laquelle perte a été déduite d’un revenu de profession libérale brut de 667 $.

 

[5]             Dans sa déclaration de revenus pour 2008, l’appelant a inclus une perte de profession libérale de 5 699 $, laquelle perte a été déduite d’un revenu de profession libérale brut de 702 $.

 

[6]             L’appelant a témoigné à l’audience et s’est qualifié d’écrivain, de musicien et de philosophe. En 2010, il a publié un roman intitulé The Death Fairy et, en 2011, il a publié un livre pour des enfants âgés de trois ans à huit ans intitulé Millie the Mouth. De 2002 à 2007, il a travaillé sur un livre qui porte le titre de Paradise Lost, lequel n’était pas encore publié au moment de l’audience.

 

[7]             Pour ce qui est de sa demande de déduction à l’égard des frais de déplacement supportés en 2007, l’appelant a expliqué que la demande concernait un séjour de trente jours à Paris, en France, et un séjour de sept jours à Londres, en Angleterre. L’appelant était accompagné de son épouse, de sa belle‑mère ainsi que de son fils âgé de trois ans. Les précisions concernant les frais de déplacement (tels qu’ils ont été révisés durant la vérification) se présentent de la manière suivante :

 

Frais de déplacement (révisés)

          Paris et Angleterre

 

          Paris

 

          Frais de retour par avion                               1 192,04 $

          Hébergement**                                  10 272,00 $

          Indemnités journalières (30 jours)       3 000,00 $

 

                   Total                                        14 464,04 $

 

          Angleterre

 

          Frais de retour par avion                                254,94 $

          Hébergement                                                           0 $

          Indemnités journalières (7 jours)                     700,00 $

 

                   Total                                                      954,94 $

 

          Paris et Angleterre                                      14 464,04 $

                                                                       954,94 $

 

                    Total général                           15 418,98 $

                                              (15 116,98 $ avant révision)

 

          **      L’hébergement comprend les éléments suivants :

 

                   Loyer                                                      4 800 €

                   Frais d’agence                                         1 476 €

                   Assurance obligatoire                               144 €

 

                   Total                                                                 6 420 €

 

                   Conversion en dollars canadiens                       x 1,6

                   Total en dollars canadiens                   10 272 $

                                                          (réduit à 9 180,60 $ à l’audience)

 

[8]             L’appelant a expliqué que l’objet de son séjour à Paris était d’effectuer des recherches pour son livre intitulé Paradise Lost pour lequel une partie de l’histoire se déroule à Paris. L’appelant a renvoyé la Cour à certains extraits de son livre qui comportent des descriptions de lieux. L’appelant a souligné que les recherches principales concernant le livre ont été faites en 2001, et qu’il était retourné à Paris chaque année, de 2007 à 2011. L’appelant n’a demandé la déduction d’aucuns frais de déplacement pour le voyage de 2008.

 

[9]             L’hébergement de l’appelant à Paris consistait en un appartement de trois chambres avec cuisine, situé dans le Quartier latin (5arrondissement), proche du 6arrondissement. L’appelant a trouvé l’hébergement en consultant le Guide Michelin; il a estimé qu’il était plus économique de louer un appartement que de louer une chambre d’hôtel. Les frais d’agence correspondaient à 30 % du montant du loyer, et l’indemnité journalière déduite était de 100 $.

 

[10]        L’appelant a expliqué que l’objet de son séjour à Londres était de montrer le manuscrit de son livre à son ex‑épouse. Celle‑ci, une ancienne éditrice, a pris un congé d’une semaine pour lire le manuscrit de l’appelant. Durant cette semaine, l’appelant et sa famille ont séjourné dans la maison de son ex-épouse et aucuns frais d’hébergement n’ont été déduits. L’appelant a déduit des indemnités journalières de 100 $ et il a payé des frais de repas de son ex‑épouse pour cette semaine‑là. L’appelant a déclaré qu’il avait apporté des modifications à la rédaction de son manuscrit par suite de la révision effectuée par son ex‑épouse.

 

[11]        Concernant sa demande de déduction pour des frais de prestation de services supportés en 2007 et en 2008, l’appelant a expliqué qu’il ne possédait pas de voiture et qu’il n’avait pas de permis de conduire. Habituellement, il utilisait une carte d’abonnement d’autobus pour se rendre au centre‑ville de Montréal, mais pour les journées où il donnait des cours à l’Université Concordia (les lundis et les mercredis, de 20 h à 22 h), il prenait un taxi afin de pouvoir travailler à la bibliothèque de l’université avant d’aller enseigner. Son travail à la bibliothèque de l’Université Concordia consistait à réécrire le manuscrit intitulé Paradise Lost, qu’il a rédigé pendant cinq ans et qui compte 650 pages. L’appelant a également déclaré qu’il prenait occasionnellement un taxi pour se rendre à des librairies afin de voir ce qu’elles avaient à offrir, et c’est apparemment ainsi qu’il avait écrit le livre portant le titre Millie the Mouth. L’appelant a reconnu qu’aucun de ses reçus pour frais de taxi ne mentionnait le point de départ ou la destination du voyage. L’appelant a mentionné le fait que, dans les vérifications concernant les années 2002 et 2004, tous ses reçus pour frais de taxis avaient été acceptés par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[12]        Concernant ses demandes de déduction pour frais de repas supportés en 2007 et en 2008, l’appelant a expliqué que les repas en question avaient été pris avec son épouse et son fils pour qu’ils puissent discuter du contenu philosophique et des illustrations de son livre intitulé Millie the Mouth. L’ARC avait accepté, dans une vérification antérieure, des frais de repas de 500 $ par année.

 

[13]        Quant à ses demandes de déduction pour des frais de divertissement supportés en 2007 et en 2008, l’appelant a expliqué que les dépenses concernaient des CD de musique, parce qu’il aime écouter de la musique, principalement le piano, lorsqu’il écrit, et des films pour enfants, parce qu’il avait l’intention d’écrire un scénario pour un film et une série de dessins animés.

 

[14]        Lors du contre‑interrogatoire, l’appelant a confirmé que son livre intitulé Paradise Lost avait été achevé durant la semaine de relâche en 2007.

 

[15]        M. Serge Martin, un agent des appels de l’ARC, a témoigné à l’audience. Il a expliqué que, au stade de l’opposition, l’appelant n’avait fourni qu’une description générale des montants concernant les diverses dépenses déduites. L’appelant n’avait présenté aucun reçu à l’ARC, bien que le vérificateur se soit demandé si les dépenses déduites étaient des dépenses d’entreprise. Lors d’une rencontre avec l’appelant le 29 octobre 2010, M. Martin a demandé à ce dernier de fournir les reçus afin qu’il puisse être établi si les dépenses déduites avaient été supportées à des fins personnelles ou à des fins professionnelles. Dans une lettre datée du 9 novembre 2010, l’appelant a refusé de fournir les reçus à l’ARC. Malgré le fait que les activités de l’appelant n’aient généré aucun profit, M. Martin a accepté le fait que les activités de l’appelant étaient de nature professionnelle, compte tenu du Bulletin d’interprétation IT‑504R2, et il a autorisé une déduction de 871 $ pour 2007 et de 2 443 $ pour 2008 au titre de frais professionnels. Les reçus concernant les dépenses déduites ont été finalement présentés à l’ARC par les représentants de l’appelant peu de temps avant l’audition de l’affaire.

 

Position de l’appelant

 

[16]        Les représentants de l’appelant ont soutenu que le voyage effectué à Paris et à Londres n’était pas un voyage de vacances. La partie du voyage concernant Paris avait pour objet de faire des recherches pour le livre intitulé Paradise Lost, parce que l’appelant avait décidé de réécrire les deux chapitres du roman qui portaient sur Paris. L’appelant est une personne très méticuleuse et son livre se devait d’être exact et authentique. En effectuant le voyage, l’appelant exécutait une obligation professionnelle. La partie du voyage concernant Londres avait pour objet la révision du manuscrit de l’appelant par une ancienne éditrice.

 

[17]        Pour ce qui est des frais concernant les prestations de services (messagerie et taxi), il a été soutenu que l’appelant avait supporté ces frais afin d’effectuer des recherches pour son livre à l’Université Concordia, de surveiller la concurrence en vérifiant les ouvrages offerts en vente par les librairies et de travailler avec son épouse sur l’illustration de son livre.

 

[18]        Quant aux frais de divertissement, il a été avancé que la musique était importante et utile pour permettre à l’appelant d’écrire ses livres. Les DVD pour enfants n’étaient pas destinés à des fins purement personnelles.

 

[19]        Il a été soutenu que l’appelant avait supporté des frais de repas pour rencontrer d’autres auteurs et membres de l’association des écrivains ainsi que pour discuter d’idées avec son épouse et son fils pour l’illustration de ses livres.

 

[20]        Les représentants de l’appelant ont également soulevé la question concernant le caractère raisonnable des dépenses déduites et ont particulièrement mentionné l’indemnité journalière de 100 $ concernant le voyage Paris/Londres, les 160 € par jour pour le logement et les repas à Paris ainsi que 500 $ déduits au titre de frais de repas. Il a été également précisé que l’appelant n’avait demandé la déduction d’aucuns frais pour les voyages effectués à Paris dans les années d’imposition ultérieures.

 

Position de l’intimée

 

[21]        L’avocate de l’intimée a soutenu que c’est à juste titre que le ministre a refusé la déduction des frais concernant les prestations de services, à savoir les frais de messagerie et de taxi, des frais de repas et de divertissement ainsi que des frais de déplacement au titre des alinéas 18(1)a) et h) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), étant donné que ces frais n’étaient étayés par aucun reçu valide, qu’ils avaient été supportés à des fins personnelles et qu’ils n’avaient pas contribué à tirer un revenu de l’activité de l’appelant dans les années d’imposition 2007 et 2008.

 

[22]        Subsidiairement, l’avocate de l’intimée a soutenu que (i) si la Cour conclut que les frais de repas et de divertissement sont déductibles, l’appelant ne devrait se voir accorder que les montants prévus aux articles 67 et 67.1 de la Loi et, (ii) si la Cour conclut que les frais de déplacement ont été supportés relativement à l’activité professionnelle de l’appelant, ils devraient être considérés comme des dépenses en capital et, conformément à l’alinéa 18(1)b) de la Loi, ils ne seraient pas déductibles.

 

Analyse

 

[23]        Les alinéas 18(1)a), b) et h), l’article 67 et le paragraphe 67.1(1) de la Loi ainsi que la définition de l’expression « frais personnels ou de subsistance » au paragraphe 248(1) de la Loi sont ainsi libellés :

 

Article 18

 

(1)        Exceptions d’ordre général. Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) Restrictions générales les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

b) Dépense ou perte en capital une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[…]

 

h) Frais personnels ou de subsistance le montant des frais personnels ou de subsistance du contribuable — à l’exception des frais de déplacement engagés par celui-ci dans le cadre de l’exploitation de son entreprise pendant qu’il était absent de chez lu;

 

Article 67 Restrictions générales relatives aux dépenses

 

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

Paragraphe 67.1(1) Frais de représentation Sous réserve du paragraphe (1.1), pour l’application de la présente loi, sauf les articles 62, 63, 118.01 et 118.2, la somme payée ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes est réputée correspondre à 50 % de la moins élevée des sommes suivantes :

 

a) la somme réellement payée ou à payer;

 

b) la somme qui serait raisonnable dans les circonstances.

 

Article 248

 

(1) Définitions. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« frais personnels ou de subsistance » Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

 

a) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l’usage ou l’avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption, et non entretenus dans le but ou avec l’espoir raisonnable de tirer un profit de l’exploitation d’une entreprise;

 

b) les dépenses, primes ou autres frais afférents à une police d’assurance, un contrat de rentes ou à d’autres contrats de ce genre, si le produit de la police ou du contrat est payable au contribuable ou à une personne unie à lui par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption, ou au profit du contribuable ou de cette personne;

 

c) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par une succession ou une fiducie au profit du contribuable à titre de bénéficiaire.

 

[24]        En l’espèce, ce n’est pas l’existence d’une source de revenus qui est en cause, mais plutôt le lien entre les dépenses et la source à laquelle elles sont censées se rapporter. L’alinéa 18(1)a) de la Loi exige que les dépenses aient été effectuées en vue de tirer un revenu de l’entreprise du contribuable, et l’alinéa 18(1)h) de la Loi interdit expressément la déduction des frais personnels ou de subsistance. Dans l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 R.C.S. 645, la Cour suprême du Canada a établi une distinction claire entre l’existence d’une source de revenus et la déductibilité de dépenses en ces termes, au paragraphe 57 :

 

[...] Le fait qu’une dépense soit considérée comme faisant partie des frais personnels ou de subsistance n’influe aucunement sur la qualification de la source de revenu à laquelle le contribuable tente de rattacher la dépense; cela signifie simplement que la dépense ne peut être rattachée à la source de revenu en question. De même, si, dans les circonstances, la dépense est déraisonnable eu égard à la source de revenu, alors l’art. 67 de la Loi établit un mécanisme permettant d’en réduire ou d’en supprimer le montant. Là encore, toutefois, des dépenses excessives ou déraisonnables n’ont aucune incidence sur la qualification d’une activité comme étant une source de revenu.

 

[25]        Dans l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 736, le juge Iacobucci a fait les observations suivantes concernant le point de vue qu’adoptent les tribunaux lorsqu’ils sont appelés à examiner la déductibilité de dépenses :

 

Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. C’est pourquoi il n’est pas possible de formuler une liste fixe de circonstances qui permettront de prouver d’une façon objective que le contribuable visait à tirer un revenu ou à faire produire un revenu. […]

 

[26]        La majorité des dépenses que l’appelant a déduites, en l’espèce, pouvaient être décrites comme étant « limites », parce qu’elles comportent un élément personnel important et que les membres de la famille de l’appelant avaient reçu un avantage économique.

 

Frais de déplacement

 

[27]        En l’espèce, les frais de déplacement ne sont pas des dépenses qui ont été effectuées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, mais sont, plutôt, des frais personnels ou de subsistance. La composante professionnelle du voyage semble n’avoir été qu’accessoire à ce qui était, essentiellement, un voyage personnel.

 

[28]        La réservation pour l’hébergement à Paris avait été faite le 23 octobre 2006. À ce moment‑là, le roman était censé avoir été achevé selon l’extrait suivant tiré de l’avis d’opposition de l’appelant concernant les années d’imposition 2007 et 2008 :

 

[traduction]

 

Pourquoi étais-je à Paris et pourquoi demandais-je cette déduction à titre de dépense? En 1998, j’ai visité Paris pour la première fois depuis l’époque où j’y avais vécu quand j’étais encore un jeune garçon. C’est là qu’est née l’idée d’écrire un roman. Je n’ai en fait commencé à écrire le roman qu’en 2002 et je ne l’ai terminé qu’en 2006. Toutefois, je suis retourné à Paris en 2001 et en 2004 pour faire des recherches concernant le roman. Et puis, en 2007, j’ai décidé qu’il fallait réécrire les deux chapitres du roman, qui concernaient Paris, et c’est ainsi que j’y suis encore retourné pour effectuer davantage de recherches. (Le roman est intitulé Paradise Lost. Il est divisé en six chapitres d’environ 100 pages chacun.).

 

[29]        Au cours de ce voyage à Paris et à Londres, l’appelant était accompagné par son épouse, par son fils ainsi que par sa belle‑mère. L’appelant s’est régulièrement rendu à Paris aussi bien avant qu’après son voyage de 2007. L’appelant a passé trente jours à Paris au cours de ce voyage, ce qui constitue un séjour long et cher pour un voyage d’affaires.

 

[30]        Pour ce qui est de la partie du voyage faite à Londres, je ne suis pas convaincu que l’appelant devait être présent pendant que son ex‑épouse lisait son manuscrit. Ici encore, la composante professionnelle du voyage effectué à Londres semble n’avoir été qu’accessoire à ce qui était essentiellement un voyage à caractère social.

 

[31]        Dans la décision Henrie c. La Reine, 2009 CCI 356, une affaire semblable à l’espèce, j’ai conclu, au paragraphe 10, que les frais de déplacement supportés par l’appelant (un écrivain) semblaient plus orientés vers la capacité de gagner un revenu en fournissant de l’inspiration pour l’écriture de nouveaux livres, plutôt que de générer des revenus additionnels. Les frais de déplacement ont été considérés comme étant de la nature d’une dépense en capital dont la déduction est interdite par l’alinéa 18(1)b) de la Loi. Le même raisonnement est applicable en l’espèce.

 

[32]        Il convient, dans le contexte qui nous occupe, de mentionner le [traduction] « critère dit "une fois pour toutes» adopté par le vicomte Cave, lord Chancelier, dans l’arrêt British Insulated and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C. 205, aux pages 213 et 214 :

 

[traduction]

 

[…] lorsqu’une dépense est faite non seulement une fois pour toutes, mais dans le but de créer un bien ou un avantage qui profite à une entreprise de façon durable, je crois que c’est un motif très valable (en l’absence de circonstances spéciales menant à une conclusion dans le sens opposé) pour considérer une telle dépense comme véritablement imputable non pas au revenu, mais au capital. […]

 

[33]        Par la suite, la Cour suprême du Canada a renvoyé au critère ci‑dessus dans l’arrêt Johns‑Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, aux pages 60 et 61.

 

[34]        Le livre intitulé Paradise Lost n’était pas encore publié au moment de la présente audience. L’écriture d’un livre comme Paradise Lost exige un investissement à long terme en temps et en argent, et les dépenses supportées par un écrivain au moment de la rédaction d’un livre sont généralement considérées comme étant de nature à créer un bien ou un avantage qui profite à une entreprise de façon durable.

 

[35]        En l’espèce, tout comme dans la décision Henrie citée ci‑dessus, il n’y a pas de relation de cause à effet entre les dépenses supportées et le revenu généré par ces dépenses. Les frais de déplacement déduits pour 2007 sont manifestement déraisonnables, compte tenu du revenu professionnel brut de 667 $ que l’appelant a gagné pour 2007. Dans les circonstances, la déduction de frais de déplacement que l’appelant a demandée dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2007 est interdite par l’article 67 de la Loi.

 

Prestation de services

 

[36]        Dans l’arrêt Daniels c. La Reine, 2004 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a clairement fait observer que les frais de déplacement supportés par un contribuable pour faire le voyage aller‑retour de sa résidence à son lieu d’affaires sont considérés comme des frais personnels. Au paragraphe 7 de cet arrêt, la juge Desjardins a fait les observations suivantes :

 

 [7] Il est bien établi que les frais de déplacement encourus par un contribuable pour voyager aller-retour de sa résidence à son lieu d’affaires sont considérés comme des frais personnels. Ce ne sont pas des frais de déplacement assumés dans le cadre des fonctions du contribuable. Ils lui permettent plutôt d’accomplir ces fonctions […]

 

[37]        Selon les éléments de preuve produits en l’espèce, l’appelant n’avait pas de bureau à l’Université Concordia dans lequel il pouvait régulièrement exercer ses fonctions. L’explication fournie par l’appelant, selon laquelle, les jours où il devait enseigner, il prenait un taxi pour se rendre à l’Université Concordia afin de pouvoir travailler sur son livre avant de donner cours, n’est pas suffisante pour établir que les frais ont été supportés exclusivement pour des raisons professionnelles. Ces frais n’ont pas été supportés pour permettre à l’appelant de se rendre d’un lieu de travail à l’autre, et ils n’ont pas été engagés par l’appelant dans l’accomplissement des fonctions de sa charge.

 

[38]        Les frais de déplacement que l’appelant a supportés ne sont pas non plus acceptés, parce que les reçus pour les frais de taxi ne comportent pas les renseignements nécessaires en ce sens qu’ils ne précisent ni le point de départ ni le point de destination des voyages.

 

Frais de repas

 

[39]        Les frais de repas devraient être considérés comme des dépenses personnelles, étant donné qu’il s’agit d’une dépense qui devait de toute façon être supportée. La presque totalité, sinon la totalité, des repas ont été pris par l’appelant avec son épouse et son fils. Le fait que, au cours de telles rencontres informelles, un certain temps a été consacré à une discussion à caractère professionnel, telle que l’illustration d’un livre, n’est pas une raison suffisante pour permettre la déduction des frais en question pour des raisons fiscales.

 

[40]        L’épouse de l’appelant n’a pas témoigné à l’audience. Elle aurait pu ajouter d’autres éléments de preuve pertinents à l’égard des faits contestés en confirmant l’objet principal des rencontres susmentionnées. L’appelant n’a pas présenté cette preuve et, à cet égard, il y a lieu de tirer une déduction défavorable à son encontre.

 

Frais de divertissement

 

[41]        J’ai conclu que les frais de divertissement que l’appelant avait déduits étaient des frais personnels et de subsistance, étant donné qu’ils avaient été supportés pour le plaisir personnel de l’appelant. La preuve produite n’était pas suffisante pour établir que les frais avaient été supportés exclusivement à des fins professionnelles.

 

Conclusion

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations datées du 13 janvier 2011, pour les années d’imposition 2007 et 2008, sont par conséquent rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2012.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7jour de novembre 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 312

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-643(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      Laird Stevens c.

                                                          Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Réal Favreau

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 25 septembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentants de l’appelant :

 

M. Guillaume Lavoie (stagiaire en droit)

M. Jean‑François Perrouty (stagiaire en droit)

Avocate de l’intimée :

MAmelia Fink

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

      

             Nom :                                  

 

             Cabinet :                             

                                                         

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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