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Dossier : 2010-3553(GST)G

 

ENTRE :

 

BOISSONNEAULT GROUPE IMMOBILIER INC.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 mai 2012, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Dominique Gilbert

Avocat de l’intimée :

Me Philippe Morin

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en date du 31 août 2009 couvrant la période du 1er juillet au 30 septembre 2008 en vertu de la Loi sur la taxe d’accise est accueilli avec dépens en faveur de l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2012.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

Référence : 2012 CCI 362

Date : 20121016

Dossier : 2010-3553(GST)G

 

ENTRE :

 

BOISSONNEAULT GROUPE IMMOBILIER INC.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]             Il s’agit d’un appel où la question en litige est de déterminer si l’intimée était justifiée de refuser à l’appelante le remboursement au titre de la TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles à l’égard d’un immeuble.

 

[2]             Boissonneault Groupe Immobilier Inc. (ci-après « l’appelante ») est une entreprise familiale incorporée en vertu de la Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C‑38, œuvrant principalement à titre de propriétaire foncier et de gestionnaire immobilier.

 

[3]             En 2005, l’appelante fait l’acquisition d’un immeuble constitué de 26 unités d’habitation, situé à proximité du Cégep de Drummondville. À la suite de cette acquisition, l’appelante réalise qu’il y avait là un potentiel fort intéressant dans ce genre de logements locatifs.

 

[4]             Après de longues négociations avec la direction du Cégep de Drummondville et des représentants du ministère de l’Éducation, l’appelante obtient en juillet 2007 l’autorisation d’entreprendre la construction d’un immeuble de 78 unités d’habitation sur un terrain adjacent au Cégep de Drummondville appartenant au ministère de l’Éducation, l’occupation et la jouissance des lieux étant rendu possible grâce à un bail emphytéotique.

 

[5]             Une fois les autorisations de construire obtenues, l’appelante a recours aux services d’une firme de géologues pour l’analyse de la qualité du sol. Les tests effectués ont d’abord indiqué que le terrain était adéquat pour l’érection de l’immeuble projeté. Le terrain étant alors boisé, les tests effectués devaient faire l’objet d’une analyse plus approfondie une fois défriché.

 

[6]             Les nouveaux examens géologiques ont démontré que la capacité portante du terrain ne permettait pas d’ériger un immeuble de 40 000 pieds carrés. Pour remédier au problème, il fallait utiliser des pieux pour sécuriser l’érection de l’immeuble et le rendre conforme aux règles de l’art.

 

[7]             Dès lors, il est devenu manifeste qu’un retard ne permettrait pas de recevoir les premiers locataires étudiants pour la rentrée à l’automne 2009. Pour remédier à la situation, l’appelante a alors offert des baux de onze mois avec l’objectif de faire revenir sa clientèle l’année suivante au 1er juillet.

 

[8]             L’appelante a également mis de l’avant la politique suivante : faire payer le douzième mois à moitié prix, c’est-à-dire qu’elle offrait à ses locataires un bail de douze mois, dont le douzième mois était à moitié prix.

 

[9]             Au moment d’entreprendre la réalisation de son projet, le taux de rétention des locataires de l’immeuble constitué de 26 unités d’habitation situé dans le même arrondissement était de l’ordre de 90 %. La gestion des 26 unités d’habitation offertes dans cet immeuble locatif qui datait déjà de quelques années a permis de constater un très vif intérêt pour un autre immeuble du même genre.

 

[10]        Il était alors réaliste, raisonnable et plus que probable de penser que tous les logements seraient rapidement loués compte tenu de la demande élevée. Des baux de location de douze mois pour faciliter et simplifier la gestion et réduire les coûts d’exploitation n’étaient donc pas surréalistes; au contraire, il s’agissait là d’un objectif fort rationnel.

 

[11]        En 2010, il est toutefois arrivé à l’appelante de renouveler des baux de onze mois; elle a justifié cette pratique par souci d’équité, les étudiants ayant initialement souscrit à des baux de onze mois pouvaient en demander la reconduction pour un terme identique.

 

[12]        Présentement, plus de 70 % des locataires de l’appelante résidant dans le nouvel immeuble de 78 unités ont signé des baux de douze mois.

 

[13]        À la suite de la construction de l’immeuble, l’appelante s’est autocotisée sur la juste valeur marchande de l’immeuble et a également présenté une demande de remboursement au titre de la TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles.

 

[14]        Lors de la vérification de la demande de remboursement au titre de la TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles de l’appelante, l’intimée a jugé inadmissibles 38 des 78 unités d’habitation. Ce chiffre est ensuite passé à 42 unités sur 78.

 

[15]        Par avis de cotisation en date du 28 août 2009, l’intimée a établi le montant de remboursement de TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles à 18 190,84 $.

 

[16]        Le 13 janvier 2010, l’appelante s’est opposée à cet avis de cotisation dans les délais légaux.

 

[17]        En date du 29 juin 2010, l’intimée émettait un avis de nouvelle cotisation à la suite d’une décision sur opposition rendue le 22 juin 2010 afin de modifier le montant du remboursement de TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles et a établi le montant à 17 161,80 $.

Prétentions des parties

Prétentions de l’appelante

[18]        L’appelante soutient que le sous-alinéa (iii) de la définition d’« habitation admissible » figurant au paragraphe 256.2(1)a) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) (ci-après « la Loi ») exige que la première utilisation de l'habitation soit, ou que la personne puisse raisonnablement s'attendre au moment donné à ce que cette première utilisation soit l'une de celles décrites aux divisions (A) et (B).

 

[19]        Dès lors, l’appelante avance que c'est l'utilisation prévue des unités d’habitation de son immeuble qui devrait déterminer le droit au remboursement au titre de la TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles.

 

[20]        L’appelante est d’avis qu’elle pouvait raisonnablement s'attendre, au moment donné, à ce que la première utilisation de son immeuble soit conforme à ce qu'envisage la division (B) du sous-alinéa (iii) de la définition d’« habitation admissible » figurant au paragraphe 256.2(1)a) de la LTA.

 

Prétentions de l’intimée

[21]        L’intimée, quant à elle, soutient que 42 des 78 unités d’habitation n’étaient pas occupées de façon continue sur une période de douze mois, comme l’exige la Loi sur la taxe d’accise.

 

[22]        L’intimée est également d’avis qu’il faut que ce soit la même personne qui habite l’unité d’habitation pendant douze mois, selon la Loi.

 

Question en litige

[23]        La question est de déterminer si l’intimée était justifiée de refuser à l’appelante le remboursement au titre de la TPS pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles à l’égard de l’immeuble en question.

 

Disposition législative pertinente

[24]        Dans la présente affaire, l'unique question en litige porte sur l'interprétation du sous-alinéa a)(iii) de la définition d'« habitation admissible » se trouvant au paragraphe 256.2(1) de la Loi, à savoir si l'appelante a satisfait aux exigences de l’alinéa. L'« habitation admissible » est définie de la façon suivante:

 

256.2(1) LTA

« habitation admissible » S'agissant de l'habitation admissible d'une personne à un moment donné:

 

a) l'habitation dont la personne est propriétaire, copropriétaire, locataire ou sous-locataire au moment donné ou immédiatement avant ce moment ou dont elle a la possession, au moment donné ou immédiatement avant ce moment, en tant qu'acheteur dans le cadre d'un contrat de vente, ou l'habitation qui est située dans un immeuble d'habitation dont elle est locataire ou sous-locataire au moment donné ou immédiatement avant ce moment, dans le cas où, à la fois:

(i)  au moment donné, l'habitation est une résidence autonome,

 

(ii) la personne détient l’habitation :

(A) soit en vue d'en effectuer des fournitures exonérées incluses aux articles 5.1, 6, 6.1 ou 7 de la partie I de l'annexe V,

(B) soit à titre de lieu de résidence habituelle pour elle‑même, si l'immeuble dans lequel l'habitation est située comprend une ou plusieurs autres habitations qui seraient des habitations admissibles de la personne compte non tenu de la présente division,

 

(iii) la première utilisation de l'habitation est ou sera, ou la personne peut raisonnablement s'attendre au moment donné à ce que cette première utilisation soit, selon le cas:

(A) de servir de lieu de résidence habituelle à la personne ou à l'un de ses proches, ou à un bailleur de l'immeuble ou à l'un de ses proches, pendant une période d'au moins un an, ou pendant une période plus courte au terme de laquelle l'habitation sera utilisée tel qu'il est prévu à la division (B),

(B) de servir de lieu de résidence à des particuliers qui peuvent chacun occuper l'habitation de façon continue, en vertu d'un ou de plusieurs baux, pendant une période d'au moins un an tout au long de laquelle l'habitation leur sert de lieu de résidence habituelle, ou pendant une période plus courte se terminant au moment où l'habitation, selon le cas:

(I) est vendue à un acquéreur qui l'acquiert pour qu'elle lui serve de lieu de résidence habituelle ou serve ainsi à l'un de ses proches,

(II) sert de lieu de résidence habituelle à la personne ou à l'un de ses proches, ou à un bailleur de l'immeuble ou à l'un de ses proches,

(iv) sauf en cas d'application de la subdivision (iii)(B)(II), si, au moment donné, l'intention de la personne à l'égard de l'habitation, après qu'elle a été utilisée tel qu'il est prévu au sous-alinéa (iii), est de l'occuper pour son propre usage ou de la fournir par bail pour qu'elle soit utilisée à titre résidentiel ou d'hébergement par un particulier qui est l'un de ses proches, de ses actionnaires, de ses associés ou de ses membres ou avec lequel elle a un lien de dépendance, la personne peut raisonnablement s'attendre à ce que l'habitation soit son lieu de résidence habituelle ou celui de ce particulier;

b) l'habitation de la personne, visée par règlement.

 

Analyse

[25]        Le sous-alinéa (iii) de la définition d'« habitation admissible » exige que la première utilisation de l'habitation soit, ou que la personne (l'appelante) puisse raisonnablement s'attendre au moment donné à ce que cette première utilisation soit l'une de celles qui sont décrites aux divisions (A) et (B). En l'espèce, c'est la division (B) qui s'applique. Elle exige que la première utilisation de l'habitation soit:

 

de servir de lieu de résidence à des particuliers qui peuvent chacun occuper l'habitation de façon continue, en vertu d'un ou de plusieurs baux, pendant une période d'au moins un an tout au long de laquelle l'habitation leur sert de lieu de résidence habituelle (...)

 

[26]        En ce sens, les notes explicatives émises en février 2001 vis-à-vis l’article 256.2 de la LTA spécifient notamment ce qui suit:

 

Afin de s'assurer que le remboursement soit accordé aux personnes qui louent des habitations à long terme, une condition prévoit que ces personnes doivent raisonnablement s'attendre à ce que la première utilisation des habitations soit de servir de lieu de résidence habituelle de particuliers, y compris éventuellement le bailleur ou l'un de ses proches (au sens du paragraphe 256(1)). De plus, chacun de ces particuliers doit utiliser l'habitation à titre de lieu de résidence habituelle pendant une période d'au moins un an visée par un ou plusieurs baux (à titre d'exemple, le particulier pourrait occuper l'habitation pendant un an en vertu de douze baux mensuels consécutifs).

[Je souligne.]

 

[27]        Conséquemment, les exigences du sous-alinéa (iii) de la définition d'« habitation admissible » seront remplies autant par la première utilisation effective que par l'attente raisonnable d'une première utilisation conforme aux exigences des divisions (A) ou (B).

 

[28]        L'attente raisonnable d'une première utilisation consiste essentiellement en une attente raisonnable que l'utilisation satisfasse aux critères de la première utilisation effective. À cet effet, le paragraphe 16 dans la décision Melinte v. R., [2009] 1 C.T.C. 2046, est fort intéressant mais aussi pertinent.

 

16.  Puisque les exigences du sous-alinéa (iii) de la définition d’« habitation admissible » seront remplies autant par la première utilisation effective que par l’attente raisonnable d’une première utilisation prévue aux divisions (A) et (B), il faut d’abord décider de la première utilisation qui satisfera aux critères. L’attente raisonnable d’une première utilisation consiste simplement en une attente raisonnable que l’utilisation satisfasse aux critères de la première utilisation effective.

 

[29]        En l'espèce, c'est l'utilisation prévue de l'habitation qui détermine le droit de l'appelante au remboursement. Le critère est donc satisfait si l'appelante peut raisonnablement s'attendre, au « moment donné », à ce que la première utilisation soit conforme à ce qu'envisage la division (B).

 

[30]        Dans le cas du remboursement, le « moment donné » est celui prévu au paragraphe 256.2(3) de la Loi. Ce paragraphe est en partie rédigé de la façon suivante :

 

256.2 (3) Remboursement pour fonds et bâtiment loués à des fins résidentielles—Sous réserve des paragraphes (7) et (8), le ministre rembourse une personne (sauf une coopérative d'habitation) dans le cas où, à la fois:

a) la personne, selon le cas:

(i) (…)

 

(ii) est le constructeur d'un immeuble d'habitation ou d'une adjonction à un immeuble d'habitation à logements multiples qui transfère la possession ou l'utilisation d'une habitation de l'immeuble ou de l'adjonction à une autre personne aux termes d'un bail conclu en vue de l'occupation de l'habitation à titre résidentiel et, par suite de ce transfert, elle est réputée par l'article 191 avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable (appelée «achat présumé» au présent paragraphe) de l'immeuble ou de l'adjonction;

b) à un moment donné, la taxe devient payable pour la première fois relativement à l'achat auprès du fournisseur ou la taxe relative à l'achat présumé est réputée avoir été payée par la personne;

c) au moment donné, l'immeuble ou l'adjonction, selon le cas, est une habitation admissible de la personne ou comprend une ou plusieurs telles habitations;

d) la personne ne peut inclure, dans le calcul de son crédit de taxe sur les intrants, la taxe relative à l'achat auprès du fournisseur ou la taxe relative à l'achat présumé.

 

Le montant remboursable est égal au [...]

 

[31]        Le « moment donné » mentionné dans la définition d'« habitation admissible » est donc celui où la taxe prévue par la Loi devient payable pour la première fois ou est réputée avoir été payée.

 

[32]        L’appelante ayant fait construire son immeuble par un intermédiaire à un moment où elle avait un droit sur le terrain où se situe l'immeuble, il en résulte qu’elle en est le « constructeur » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA.

 

[33]        Le paragraphe 191(3) de la Loi crée la présomption absolue selon laquelle dans certaines circonstances, le constructeur d'un immeuble d'habitation à logements multiples est réputé avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l'immeuble.

 

[34]        Cette règle est connue comme étant la « fourniture à soi-même d'un immeuble d'habitation à logements multiples ». Le paragraphe 191(3) de la Loi prévoit, en partie, ce qui suit:

 

191. (3) Fourniture à soi-même d'un immeuble d'habitation à logements multiples—Pour l'application de la présente partie, lorsque les conditions suivantes sont réunies:

a) la construction ou les rénovations majeures d'un immeuble d'habitation à logements multiples sont achevées en grande partie,

b) le constructeur, selon le cas:

(i) transfère à une personne, qui n'est pas l'acheteur en vertu du contrat de vente visant l'immeuble, la possession ou l'utilisation d'une habitation de celui-ci aux termes d'un bail, d'une licence ou d'un accord semblable conclu en vue de l'occupation de l'habitation à titre résidentiel,

(i.1) (…)

(ii) (…)

 

c) le constructeur, la personne ou tout particulier qui a conclu avec celle-ci un bail, une licence ou un accord semblable visant une habitation de l'immeuble est le premier à occuper une telle habitation à titre résidentiel après que les travaux sont achevés en grande partie,

 

le constructeur est réputé :

d) avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l'immeuble le jour où les travaux sont achevés en grande partie ou, s'il est postérieur, le jour où la possession ou l'utilisation de l'habitation est transférée à la personne ou l'habitation est occupée par lui;

e) avoir payé à titre d'acquéreur et perçu à titre de fournisseur, au dernier en date de ces jours, la taxe relative à la fourniture, calculée sur la juste valeur marchande de l'immeuble ce jour-là.

[Je souligne.]

 

[35]        Dès lors, le « moment donné » qu’il convient de considérer afin de savoir si, à ce moment, l'appelante pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la première utilisation soit conforme à ce qu'envisage la division (B) est le moment où les travaux étaient achevés en grande partie ou, s'il était postérieur, le jour où la possession de l'habitation a été transférée à un tiers au terme d'un bail ou que l'habitation a été occupée par lui.

 

[36]        De plus, dans sa note explicative émise en février 2001 vis-à-vis l’article 256.2 de la LTA, le législateur précise que dans le cas d’un immeuble à unités d’habitation multiples, le jour où la possession de l'habitation a été transférée à un tiers est le jour où une unité d’habitation est louée pour la première fois à un particulier à titre de lieu de résidence habituelle.

 

[37]        En terminant, il convient de souligner que les exigences de la division (B) du sous-alinéa a)(iii) de la définition d'« habitation admissible » se trouvent au paragraphe 256.2(1) de la Loi. La décision Melinte v. R., précitée, au paragraphe 17 indique en effet ce qui suit :

 

a) servir de lieu de résidence à des particuliers;

b) qui peuvent chacun occuper l'habitation de façon continue;

c) en vertu d'un ou de plusieurs baux;

d) pendant une période d'au moins un an;

e) tout au long de laquelle l'habitation leur sert de lieu de résidence habituelle;

f) ou pendant une période plus courte (comme l'envisage la division).

 

[38]        Au départ, il m’apparaît assez évident que le montage financier pris en compte par l’appelante quant à son nouvel immeuble de 78 unités d’habitation ciblait des baux d’une durée de douze mois. Il s’agissait là d’un objectif réaliste et tout à fait raisonnable d’autant plus que la société appelante exploitait déjà un complexe dans le même secteur qui visait en outre la même clientèle.

 

[39]        La planification quant à l’occupation des lieux par des tiers a été modifiée pour des motifs étrangers à la volonté de l’appelante qui a dû réviser ses objectifs étant donné un retard causé par un problème de qualité du sol.

 

[40]        En fait, dès le mois d’août 2007, l’appelante a dû constater que la construction de son immeuble prenait du retard et qu’il ne serait probablement pas prêt à temps pour la rentrée étudiante de l’automne 2009.

 

[41]        Pour atténuer l’impact du retard, l’appelante a offert, notamment par l’intermédiaire de ses publicités, des baux de onze mois avec l’objectif de ramener sa clientèle l’année d’ensuite au 1er juillet.

 

[42]        Le représentant de l’appelante a expliqué que l’offre de baux pour une période de onze mois s’expliquait et se justifiait en raison du retard causé par le vice caché affectant la qualité du sol sur lequel devait être érigé le bâtiment.

 

[43]        Appelé à expliquer comment et pourquoi il était toujours mention de la possibilité de baux de onze mois pour les années subséquentes à la première, il a affirmé que c’était là une question de justice et d’équité.

 

[44]        Dans un tel contexte avec des sentiments aussi louables, dois-je comprendre que les étudiants vont toujours payer le même montant de loyer que celui du début. La réponse n’est pas utile si ce n’est que l’argument d’équité ou de justice n’est pas très convainquant, il est même un peu simpliste.

 

[45]        À la lecture des dispositions législatives pertinentes, il est évident que le législateur a voulu viser les unités de logements louées sur une longue période en excluant toutes les locations à la journée, à la semaine et même au mois.

 

[46]        Au moment de rédiger les dispositions légales, le législateur avait-il alors à l’esprit la situation des étudiants qui fréquentent un collège à une distance telle qu’il est tout à fait impossible de faire le travail de façon quotidienne, étant de ce fait obligés de se loger à proximité du lieu où ils reçoivent leur enseignement. Ces mêmes étudiants dont la situation financière est souvent difficile sinon précaire ne sont donc pas en mesure d’assumer des dépenses non essentielles; dans un tel contexte, il est normal et tout à fait légitime qu’ils visent à obtenir un bail dont la durée correspond à leur calendrier scolaire.

 

[47]        Je ne peux répondre à cette question, par contre, je suis d’avis et satisfait de la preuve à savoir que les faits permettent de conclure que l’appelante rencontrait et respectait les conditions pour se prévaloir du remboursement. En effet, il n’y a aucun doute qu’il s’agissait d’unités de logements pour longue durée au sens de l’esprit de la loi.

 

[48]        Le bail de onze mois constituait plutôt une formule très intéressante pour les étudiants du niveau CEGEP dont la durée des cours est généralement d’août à juin. L’explication basée sur l’équité m’apparaît quelque peu loufoque. Toutefois, tous les autres éléments sont raisonnables et probables puisqu’en plus d’être crédibles, ils sont validés pour un modèle ou un projet tout à fait similaire dont la pertinence ne fait aucun doute. La vocation, l’emplacement et la clientèle visée étaient des indices très probants.

 

[49]        Puisqu’au moment de signer les baux avec sa clientèle de 2009, ceux-ci étaient alors assujettis pour la plupart à un terme de onze mois, il pourrait sembler, à première vue, que l'appelante pouvait difficilement s'attendre, au « moment donné », à ce que la première utilisation soit conforme à ce qu'envisage la division (B).

 

[50]        Monsieur Boissonneault a indiqué que l’intention première des activités en immobilier de l’appelante est toujours de faire de la location à long terme, c’est‑à‑dire de la location de douze mois et plus. Eu égard à la vocation de l’appelante, il n’y a pas de doute que le projet ciblait des locations à long terme, plus stables et moins exigeantes quant à la gestion.

 

[51]        Compte tenu de la nature de l’investissement, monsieur Boissonneault a de plus affirmé que la rentabilité du projet de l’appelante reposait essentiellement sur la nécessité d’obtenir de la location à long terme. L’appelante misait beaucoup sur le renouvellement de ses baux.

 

[52]        Afin de fidéliser sa clientèle, l’appelante permettait à ses locataires de personnaliser leur logement et leur soumettait également l’offre du douzième mois à moitié prix.

 

[53]        En outre, les étudiants collégiaux avec lesquels l’appelante faisait affaires provenaient évidemment de l’extérieur de la MRC de Drummondville. Ces étudiants s’installaient ainsi, théoriquement, à Drummondville pour une période minimale de 2 à 3 ans, soit la durée d’un programme collégial complet.

 

[54]        Qui plus est, au moment d’entreprendre la réalisation de son projet, l’appelante avait un taux de rétention de 90% de ses locataires dans l’immeuble constitué de 26 unités d’habitation, également situé tout près du Cégep de Drummondville.

 

[55]        Les 26 unités d’habitation offertes dans cet immeuble étaient par ailleurs très similaires à celles envisagées dans la nouvelle construction de l’appelante. L’immeuble dont elle était déjà propriétaire pouvait certes servir de point de repère à l’appelante à l’aube de la réalisation de son projet.

 

[56]        Forte de l’expérience émanant de la gestion de l’immeuble similaire ou comparable, l’appelante disposait de données très utiles et pertinentes quant aux attentes et besoins; elle était en mesure d’évaluer et de planifier à partir de données réalistes et raisonnables.

 

[57]        L’approche de l’intimée s’appuie principalement sur la situation qui prévalait lors de l’arrivée du terme de la première série de baux et sur les circonstances ayant menées à la deuxième année de location.

 

[58]        Or, il me semble manifeste que l’appelante avait au « moment donné », c'est‑à-dire au moment où les travaux étaient achevés en grande partie ou, s'il était postérieur, au jour où la possession des unités d'habitation a été transférée à des tiers au terme de baux, une attente raisonnable de renouvellement des baux en question.

 

[59]        La prépondérance de la preuve est à l’effet que l’intention initiale de l’appelante, laquelle était raisonnable et fondée sur plusieurs prémisses rationnelles, raisonnables, voire même probables, était que la totalité des unités de logements soit occupée pour des périodes minimales d’un an.

 

[60]        Considérant tous ces faits d’ailleurs validés en très grande partie par l’écoulement du temps, je conclus que les 78 unités d’habitation étaient conformes à la définition d'« habitation admissible » se trouvant au paragraphe 256.2(1) de la Loi; conséquemment l’appel est accueilli en ce que l’appelante a droit au remboursement réclamé, le tout avec dépens.

 

[61]        L’appel est donc accueilli avec dépens en faveur de l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2012.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 362

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-3553(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            BOISSONNEAULT GROUPE IMMOBILIER INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 16 octobre2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Dominique Gilbert

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Philippe Morin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour :

 

                     Nom :                           Me Dominique Gilbert

 

                 Cabinet :                          Heenan Blaikie

                                                          Sherbrooke (Québec)

 

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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