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Dossier : 2009-2880(IT)G

ENTRE :

9101-2310 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 juin 2012, à Val-d'Or (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Simon Corbeil

Avocat de l'intimée :

Me Simon Olivier de Launière

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation portant le numéro 46859, établie par le ministre du Revenu national en date du 5 février 2008, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, est accueilli et la cotisation annulée, le tout avec dépens en faveur de l’appelante.

 

Signé à Magog, Québec, ce 18e jour d’octobre 2012.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


 

 

 

Référence : 2012 CCI 365

Date : 20121018

Dossier : 2009-2880(IT)G

 

ENTRE :

9101-2310 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Archambault

 

[1]             La société 9101-2310 Québec Inc. (2310) interjette appel d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). Par cette cotisation, le ministre tient 2310 solidairement responsable avec M. Alain-Guy Garneau du paiement d’une somme de 63 433,46 $ au titre de la dette fiscale qu’avait M. Garneau en vertu de la Loi pour les années d’imposition 1993 à 1995, 1998 et 1999. Les deux principaux arguments invoqués par 2310 pour justifier la non‑application du paragraphe 160(1) et l’annulation de la cotisation sont tout d’abord qu’il n’y a pas eu de transfert au sens de l’article 160 de la Loi et, ensuite, qu’il n’existait aucun lien de dépendance entre M. Garneau et 2310. En outre, même si l’article 160 de la Loi était applicable, le montant de la cotisation devrait être diminué, selon 2310, puisque le ministre a reçu un paiement partiel de la dette fiscale de M. Garneau après l’établissement de la cotisation.

 

 

Contexte factuel

 

[2]             2310 est une société de gestion qui a été constituée le 19 février 2001, mais qui était peu active au cours des années 2002 et 2003 (voir la pièce A-1). Notamment, il n’y avait pas de salariés employés par 2310 et les états financiers[1] indiquent un revenu brut de 22 $ en 2002 et aucun revenu en 2003 (voir la pièce A‑5). L’actionnaire unique et le seul administrateur de 2310 était M. Daniel Pratte.

 

[3]             M. Pratte est une connaissance d’affaires et un ami de M. Garneau. Quoiqu’ils n’aient pas fait partie ensemble d’un conseil d’administration[2], MM. Pratte et Garneau se sont rencontrés à plusieurs reprises lors d’activités sociales et d’événements sportifs, artistiques ou autres. M. Pratte connaît M. Garneau depuis le début des années 90 quand il s’est installé à Val-d’Or, où habitait M. Garneau. M. Pratte était alors représentant de la Brasserie Molson, laquelle commanditait plusieurs activités et événements dans la région. M. Pratte a estimé qu’ils pouvaient se voir environ deux fois par semaine, soit dans des bars ou lors d’activités sociales ou sportives. M. Pratte a un intérêt particulier pour le financement de l’exploration par des sociétés minières et M. Garneau est un ingénieur impliqué dans le financement d’activités d’exploration par l’émission d’actions accréditives.

 

[4]             M. Pratte a quitté la Brasserie Molson au début des années 2000 pour se consacrer à ses propres entreprises. Par l’intermédiaire de l’une de ses sociétés, il s’occupe de cuisines et de surveillance de chantiers miniers.

 

[5]             À la suite d’une contestation judiciaire portant sur le droit de recevoir une indemnité pour des dommages subis lors d’un incendie, M. Garneau a reçu une somme de 305 441,32 $. Au moment de la réception de cette somme, M. Garneau avait des problèmes financiers, dont, notamment, un litige avec la Banque fédérale de développement (BFD). Si M. Garneau avait déposé cette somme dans son propre compte bancaire, la somme aurait été saisie par la BFD. Pour rendre service à un ami, M. Pratte, qui était au courant de cette situation, a offert à M. Garneau la possibilité que la somme soit déposée dans le compte bancaire d’une de ses sociétés de gestion, soit 2310. Cette dernière n’a pas été rémunérée pour ce service. Le but était d’offrir plus de temps à M. Garneau pour qu’il puisse négocier un règlement avec la BFD.

 

[6]             La somme de 305 441,32 $ a été déposée par M. Pratte le 19 mars 2002 dans le seul compte bancaire de 2310[3]. Le solde du compte avant ce dépôt s’élevait à 1 795,70 $. Le même jour, un retrait de 28 879,71 $ a été effectué pour acquitter des honoraires des avocats et des experts retenus par M. Garneau relativement à la contestation judiciaire susmentionnée. Un peu moins d’un mois plus tard, soit le 12 avril 2002, M. Garneau donnait à 2310 la directive de verser une somme de 150 004,50 $ à la BFD. Des sommes supplémentaires ont par la suite été versées à celle-ci, soit 10 000 $ le 12 novembre 2002 et 15 004,50 $ le 27 décembre 2002. Il y aurait également eu, le 27 décembre 2002, versement d’une somme de 1 668,29 $ (et non de 1 663,29 $ tel qu’il est indiqué dans la conciliation de chèques préparée par M. Pratte, pièce A‑4). La conciliation de chèques révèle que des sommes ont également été versées à M. Garneau, à certains de ses enfants et à des créanciers de M. Garneau, notamment l’équipe de hockey Les Foreurs, une pourvoirie de chasse, Télébec et la SAAQ (voir également les copies de chèques, pièce I-1, onglet 17).

 

[7]             De façon générale, M. Garneau indiquait à M. Pratte qui devaient être les bénéficiaires des chèques de 2310 et M. Pratte s’exécutait sans obtenir de précisions quant au motif du paiement demandé par M. Garneau. Selon les dires de M. Pratte, sauf pour une période de 10 à 15 jours durant laquelle M. Pratte n’était pas disponible, M. Garneau n’avait pas accès à la carte de guichet automatique, et c’est M. Pratte qui signait les chèques et qui était le seul autorisé à le faire. À part le retrait du 19 mars 2002 et les retraits pour le paiement des frais bancaires, j’ai constaté qu’il n’y a aucun autre retrait dans les relevés bancaires de 2310 avant le 3 février 2003, soit une date postérieure à l’épuisement de la somme de 305 441,32 $, qui s’est produit le 27 décembre 2002. Tous les retraits du compte sont décrits comme des « chèques ». En outre, je n’ai trouvé aucun des retraits au guichet dans la conciliation de chèques[4].

 

[8]             Avant d’accepter le dépôt d’argent appartenant à M. Garneau, M. Pratte avait consulté son conseiller à la Banque Nationale pour s’assurer que cela ne poserait aucun problème à sa société. En outre, une lettre a été demandée à M. Garneau confirmant l’entente intervenue entre lui et 2310. Cette lettre (pièce A‑2), signée le 23 mars 2002, dit ce qui suit :

 

Par la présente, je vous demande par l’entremise de votre société, de gérer l’argent que je dépose dans votre compte dont le but est de payer mes comptes déjà dus et ceux à venir.

 

Je vous relève donc de la responsabilité des impôts et autres implications des retombées qui pourraient en découler.

 

[Je souligne.]

 

[9]             Voici comment M. Pratte a décrit la situation lors de l’interrogatoire préalable:

 

Q.  [72] Donc il n’y a aucun écrit qui disait comme quoi la compagnie ou la société devait de l’argent à monsieur Garneau?

 

R.  Monsieur Garneau m’a donné le mandat de gérer pour lui à sa demande un montant déposé de trois cent cinq mille (305 000).

 

Q.  [73] Mais il n’y avait aucun document qui disait que la compagnie devait de l’argent?

 

R.     La compagnie ne devait pas d’argent, la compagnie gérait son argent pour lui. Je ne comprends pas la subtilité dans votre question, maître. La compagnie n’a pas emprunté de l’argent, la compagnie a géré à sa demande un chèque d’un règlement d’assurance[5].

 

[Je souligne.]

 

[10]        M. Pratte a déclaré qu’il n’était pas au courant, à cette époque, des difficultés financières de M. Garneau avec le fisc fédéral. Il a affirmé n’avoir pris connaissance de l’existence de la dette fiscale que sur réception de la cotisation établie le 5 février 2008 en vertu de l’article 160 de la Loi (voir la pièce I-1, onglet 1 pour une copie de l’avis de cotisation). Lors de son témoignage, l’agente des oppositions a confirmé l’existence de la dette fiscale de 63 433,46 $ au moment du dépôt du chèque de 305 441,32 $. Elle a reconnu, toutefois, que le ministre avait reçu un paiement partiel de 17 948,76 $ en août 2009, soit après la cotisation de 2008, ce qui laissait un solde de dette fiscale de 45 484,70 $ (voir la pièce I‑1, onglet 18, 4e feuille). L’agente a aussi reconnu, lors de son témoignage, que 2310 avait bien collaboré avec les représentants du ministre.

 

[11]        M. Pratte a affirmé qu’aucune partie de la somme remise par M. Garneau n’avait été utilisée au bénéfice de 2310 ou à des fins propres à celle-ci[6]. La somme avait été utilisée uniquement au bénéfice de M. Garneau. Toutefois, mon analyse des opérations bancaires de 2310 révèle que pendant deux périodes distinctes les retraits ou chèques faits par cette société à son propre bénéfice excèdent le montant des dépôts de ses propres fonds effectués par 2310. Le déficit s’élève à 415.55 $ le 27 mars 2002, début de la première période, et à 6 323.42 $ le 9 mai 2002, fin de cette période. La deuxième période commence le 2 octobre 2002, date à laquelle le déficit est de 13 599.54 $, et se termine le 13 décembre 2002, le déficit s’élevant alors à 6 345.54 $.

 

[12]        Pour cette analyse, j’ai utilisé les relevés bancaires de 2310 de même que la conciliation de chèques que M. Pratte a préparée à la demande de l’intimée, que cette dernière a produits en preuve (voir la pièce I-1, onglets 15 et 16; ces documents ont aussi été produits par 2310 sous les cotes A‑3 et A‑4). Cette analyse m’a permis de concilier les sommes appartenant à M. Garneau et celles appartenant à 2310. Elle m’a aussi permis de constater que la somme de 305 441,32 $ reçue par M. Garneau et déposée le 19 mars 2002 dans le compte bancaire de 2310 avait été entièrement déboursée au bénéfice de M. Garneau au 27 décembre 2002. En fait, avec le versement d’une somme de 15 004,50 $ à la BFD le solde restant de la somme détenue par 2310 pour M. Garneau a été dépassée de 7 183,86 $. Autrement dit, cette dernière somme pourrait constituer un prêt ou une avance de 2310 en faveur de M. Garneau.

 

[13]        Cette conclusion tient pour acquis que les sommes indiquées sur la conciliation de chèques faite par M. Pratte, qui a identifié tous les versements faits au bénéfice de M. Garneau, ont véritablement été payées au bénéfice de M. Garneau. Je signale que cette conciliation apparaît à la pièce I‑1, onglet 16, produite par l’intimée, et elle est corroborée en partie par les chèques produits à l’onglet 17 de la même pièce. Certains de ces chèques mentionnent le nom de M. Garneau ou celui d’un des membres de sa famille dans l’espace désigné pour décrire l’objet du paiement. Il y a, par exemple, la mention : « pour paiement final et total, loge 120 Alain Guy Garneau » sur le chèque de 1 799,77 $ portant le numéro 117 et payable à « Les Foreurs de Val‑d’Or » (voir la pièce I‑1, onglet 17; voir également les chèques nos 24, 69, 71 et 124). Je fais remarquer que le chèque de 2 160,94 $ portant le numéro 24 a été mentionné par M. Pratte, dans sa conciliation, comme faisant partie des sommes versées au bénéfice de M. Garneau alors que seulement 1 660,94 $ en faisait partie. En effet, une somme de 500 $ avait trait à une dépense de M. Pratte (voir la pièce I‑1, onglet 17). Finalement, en contre-interrogatoire l’intimée n’a pas attaqué la valeur probante de la conciliation.

 

[14]        Je fais remarquer que le montant des prêts ou des avances se serait élevé à 11 102,15 $ au 28 février 2003, à 22 492,93 $[7] au 28 février 2004 et à 28 195,10 $ au 28 février 2005, mais ces montants ne se trouvent pas au bilan de 2310. On n’y trouve que des avances à des sociétés (voir le bilan de 2004 avec le comparatif pour 2003 et le bilan de 2005, à la pièce A‑5). Il en est d’ailleurs de même pour le solde bancaire au 28 février 2003, qui ne correspond pas au montant indiqué comme « encaisse ». Il faut souligner que le bilan de 2003 a été préparé par M. Pratte lui‑même. À l’audience, tenue le 12 juin 2012, M. Pratte a déclaré que les avances ou prêts en question avaient été remboursés en totalité ou presque par M. Garneau, soit en argent ou en services[8].

 

[15]        Selon les données du ministre, M. Garneau aurait fait faillite le « 2007 09 10 » et M. Pratte n’a pas fait de réclamation (voir la pièce I-1, onglet 18, 3feuille). Ce dernier n’est pas certain si M. Garneau lui devait de l’argent à cette époque.

 

 

Position de l’intimée

 

[16]        L’avocat de l’intimée soutient que toutes les conditions énoncées au paragraphe 160(1) sont réunies. Notamment, il y a eu un transfert et ce transfert a été fait en faveur d’une personne avec laquelle M. Garneau avait un lien de dépendance de fait. Selon l’avocat, le chèque de 305 441,32 $ remis par M. Garneau à 2310 constituait un transfert. À cet égard, il se base en très grande partie sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Livingston c. Canada, 2008 CAF 89, [2008] A.C.F no 360 (QL), 2008 3 C.T.C. 230, et en particulier sur le paragraphe 21 :

 

21   Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d’une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l'intimée permettait à cette dernière de les en retirer n'importe quand. Le bien transféré était le droit d'exiger de la banque qu'elle remette à l'intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.

 

[Je souligne.]

 

L’avocat de l’intimée soutient également que le contrat de mandat qu’invoque 2310 n’est pas valide puisqu’il est contraire à l’ordre public. Par conséquent, le contrat serait nul.

 

[17]        À l’appui de sa position selon laquelle il existait un lien de dépendance de fait entre M. Garneau et 2310, l’avocat de l’intimée a cité plusieurs décisions, dont celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada c. McLarty, 2008 CSC 26, [2008] A.C.S. no 26 (QL), 2008 2 R.C.S. 79, [2008] 4 C.T.C. 221, où, dans le contexte de l’achat de données sismiques, la Cour s’était fondée en partie sur le Bulletin d’interprétation IT-419R2 de l’Agence du revenu du Canada intitulé « Sens de l’expression  "sans lien de dépendance"» (paragraphe 62 de la décision). Il a également cité une autre décision de la même cour soit, Swiss Bank Corp. et al. v. M.N.R., [1974] R.C.S. 1144.

 

 

Analyse

 

[18]        Quand il s’agit de traiter d’une question portant sur l’application de dispositions de la Loi, il est toujours utile de citer ces dispositions. La disposition clé ici est l’article 160 de la Loi[9]. Voici les passages les plus pertinents de cet article :  

Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance

 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

cune personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés [sic] du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[…]

Tax liability re property transferred not at arm’s length

 (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

(a) the person’s spouse or common-law partner or a person who has since become the person’s spouse or common-law partner,

(b) a person who was under 18 years of age, or

(ca person with whom the person was not dealing at arm’s length,

the following rules apply:

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor’s tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted therefor, and

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

[…]

*Extinction de l’obligation

(3) Dans le cas où un contribuable donné devient, en vertu du présent article, solidairement responsable, avec un autre contribuable, de tout ou partie d’une obligation de ce dernier en vertu de la présente loi, les règles suivantes s’appliquent :

a) tout paiement fait par le contribuable donné au titre de son obligation éteint d’autant l’obligation solidaire;

b) tout paiement fait par l’autre contribuable au titre de son obligation n’éteint l’obligation du contribuable donné que dans la mesure où le paiement sert à réduire l’obligation de l’autre contribuable à une somme inférieure à celle dont le contribuable donné est solidairement responsable en vertu du présent article.

Discharge of liability

(3) Where a particular taxpayer has become jointly and severally liable with another taxpayer under this section in respect of part or all of a liability under this Act of the other taxpayer,

(a) a payment by the particular taxpayer on account of that taxpayer’s liability shall to the extent of the payment discharge the joint liability; but

(b) a payment by the other taxpayer on account of that taxpayer’s liability discharges the particular taxpayer’s liability only to the extent that the payment operates to reduce that other taxpayer’s liability to an amount less than the amount in respect of which the particular taxpayer is, by this section, made jointly and severally liable.

 

[19]        Comme l’alinéa 160(1)d) renvoie aux articles 74.1 à 75.1 de la Loi et à l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés [sic] du Canada de 1952 (Loi de 1952), lesquels articles édictent des règles que l’on décrit communément comme les « règles d’attribution »[10], il est utile de reproduire certaines dispositions de ces articles :

 

Transfert ou prêt à l’époux ou au conjoint de fait

 (1) Dans le cas où un particulier prête ou transfère un bien — sauf par la cession d’une partie d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi —, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à une personne qui est son époux ou conjoint de fait ou qui le devient par la suite ou au profit de cette personne, le revenu ou la perte de cette personne pour une année d’imposition provenant du bien ou d’un bien y substitué et qui se rapporte à la période de l’année tout au long de laquelle le particulier réside au Canada et tout au long de laquelle cette personne est son époux ou conjoint de fait est réputé être un revenu ou une perte, selon le cas, du particulier pour l’année et non de cette personne.

 

Transfert ou prêt à un mineur

(2) Lorsqu’un particulier transfère ou prête un biendirectement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen — à une personne de moins de 18 ans qui a un lien de dépendance avec le particulier ou […]

Transfers and loans to spouse or common-law partner

 (1) If an individual has transferred or lent property (otherwise than by an assignment of any portion of a retirement pension under section 65.1 of the Canada Pension Plan or a comparable provision of a provincial pension plan as defined in section 3 of that Act), either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to or for the benefit of a person who is the individual’s spouse or common-law partner or who has since become the individual’s spouse or common-law partner, any income or loss, as the case may be, of that person for a taxation year from the property or from property substituted therefor, that relates to the period in the year throughout which the individual is resident in Canada and that person is the individual’s spouse or common-law partner, is deemed to be income or a loss, as the case may be, of the individual for the year and not of that person.

Transfers and loans to minors

(2) If an individual has transferred or lent property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to or for the benefit of a person who was under 18 years of age […] and who

(a) does not deal with the individual at arm’s length, or

[…]

Transfert ou prêt à une fiducie.

 (1) Lorsqu’un particulier prête ou transfère un bien — appelé « bien prêté ou transféré » au présent article —, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à une fiducie dans laquelle un autre particulier — qui, à un moment donné, est, en ce qui concerne le particulier, une personne désignée — a un droit de bénéficiaire à un moment donné, les règles suivantes s’appliquent :

[…]

Transfers or loans to a trust

3 (1) Where an individual has lent or transferred property (in this section referred to as “lent or transferred property”), either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to a trust in which another individual who is at any time a designated person in respect of the individual is beneficially interested at any time, the following rules apply:

[…]

Gain ou perte présumés pour l’auteur du transfert

 (1) Lorsque :

a) les paragraphes 73(3) ou (4) s’appliquent au transfert de biens d’un contribuable à son enfant;

b) le transfert a été fait pour une somme inférieure à la juste valeur marchande que les biens transférés avaient immédiatement avant le transfert;

c) au cours d’une année d’imposition, le bénéficiaire des biens transférés en a disposé et n’a pas, avant la fin de cette année, atteint l’âge de 18 ans,

les règles suivantes s’appliquent :

[…]

Gain or loss deemed that of transferor

 (1) Where

(a) subsection 73(3) or (4) applied to the transfer of property (in this subsection referred to as “transferred property”) by a taxpayer to a child of the taxpayer,

(b) the transfer was made at less than the fair market value of the transferred property immediately before the time of the transfer, and

(c) in a taxation year, the transferee disposed of the transferred property and did not, before the end of that year, attain the age of 18 years,

the following rules apply:

[…]

 

[Je souligne.]

[20]        Les articles 74.1 à 74.5 remplacent dans une grande mesure, depuis 1986, le paragraphe 74(1) de la Loi[11]. Ce paragraphe, dans sa version applicable avant 1975, était rédigé comme suit:

 

(1) Lorsqu’une personne a transféré des biens, directement ou indirectement, le 1er août 1917 ou après, par un acte de fiducie ou par tout autre moyen que ce soit à son conjoint, ou à une personne qui est depuis devenue son conjoint, le revenu, pour une année d’imposition, tiré des biens ou de biens y substitués, est réputée [sic], durant la vie de l’auteur du transfert, tandis qu’il réside au Canada et que le bénéficiaire du transfert est son conjoint, être le revenu de l’auteur du transfert et non de celui à qui le transfert a été fait.

(1) Where a person has, on or after August 1, 1917, transferred property either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever to his spouse, or to a person who has since become his spouse, the income for a taxation year from the property or from property substituted therefor shall, during the lifetime of the transferor while he is resident in Canada and the transferee is his spouse, be deemed to be income of the transferor and not of the transferee.

 

[Je souligne.]

 

[21]        Dans l’arrêt Livingston, précité, la Cour d’appel fédérale rappelle le principe d’interprétation qui doit guider les tribunaux dans l’application du paragraphe 160(1) de la Loi. Voici ce qu’écrit le juge Sexton au paragraphe 15 :

 

15   Le point de vue de la Cour suprême du Canada sur l'interprétation des lois demeure fondé sur le principe contemporain formulé par Elmer A. Driedger à la page 67 de The Construction of Statutes, Toronto, Butterworths, 1974 :

 

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, à la page 41; et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, au paragraphe 26.

 

[Je souligne.]

 

[22]        Il est également utile de rappeler les propos de la juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale, qui a écrit, au paragraphe 14 de l’arrêt Medland c. Canada, [1998] A.C.F. no 708 (QL), 98 DTC. 6358, (227 N.R. 183, [1999] 4 C.T.C. 293, que « la politique fiscale qui sous-tend le paragraphe 160(1), ou son objet et son esprit consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». (Je souligne.)

 

[23]        Il existe également un autre principe d’interprétation, soit celui selon lequel on doit présumer qu’une expression employée dans une loi a le même sens partout dans cette loi. Le juge Corey de la Cour suprême du Canada écrit dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, à la page 400 : « [À] moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et le même sens tout au long d’un texte législatif »[12].

 

[24]        Cette présomption devrait être encore plus forte lorsque l’expression se trouve dans le libellé de deux dispositions interreliées. C’est le cas ici en ce qui a trait à la notion de transfert que l’on trouve au paragraphe 160(1) de la Loi[13]. En effet, à l’alinéa 160(1)d), on renvoie à l’article 74 de la Loi de 1952[14] et aux articles 74.1 à 75.1 de la Loi, où l’on retrouve la même notion de transfert. On utilise non seulement le même verbe transférer, mais également, à peu de chose près, le même libellé élargi : « transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de tout autre façon » (« transferred property,  either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever »). Il m’apparaît donc tout à fait approprié d’adopter une interprétation jurisprudentielle du verbe « transférer » qui soit la même pour les articles édictant les règles d’attribution et pour ceux édictant la règle de recouvrement de l’impôt au paragraphe 160(1) de la Loi. C’est d’ailleurs la démarche qu’ont adoptée les tribunaux. Ils ont utilisé la même interprétation jurisprudentielle de la notion de « transfert » tant aux fins des règles d’attribution qu’aux fins de l’application de l’article 160, comme on le verra plus loin.

 

[25]        Appliquons ces principes d’interprétation pour définir la portée du paragraphe 160(1) de la Loi. La jurisprudence décrit de façons diverses les conditions d’application du paragraphe 160(1). Dans Tétrault c. Canada, 2004 CCI 332, [2004] A.C.I. no 265 (QL), [2004] 4 C.T.C. 2234, 2004 DTC 2763, une décision que j’ai rendue le 11 mai 2004, je décris ces conditions aux paragraphes 29 à 35. Essentiellement, on peut affirmer que le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique lorsqu’il existe deux conditions préalables, à savoir le transfert d’un bien et le fait que ce transfert s’est effectué en faveur de certaines personnes désignées, dont, notamment, une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance. Quand ces deux conditions préalables sont réunies, il y a deux règles distinctes qui peuvent s’appliquer. Je les ai résumées ainsi dans la décision Tétrault :

 

32   Quand les deux conditions susmentionnées sont réunies, les deux règles suivantes s'appliquent. S'applique tout d'abord la règle énoncée à l'alinéa 160(1)d) (règle de l'alinéa 160(1)d)) [15], selon laquelle le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt sur le revenu tiré de biens transférés au bénéficiaire ou sur le gain en capital résultant de la disposition de ces biens, lorsque ce revenu ou ce gain sont assujettis aux règles d'attribution énoncées aux articles 74.1 à 75.1 de la Loi et à l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chap. 148, S.R.C. 1952 (Loi de 1952). Il faut souligner que, dans ce cas, il n'est pas question de déterminer s'il existe un excédent de la juste valeur marchande (JVM) des biens transférés sur la JVM de la contrepartie. La responsabilité solidaire est applicable dès qu'il y a un impôt à payer sur le revenu ou sur le gain en capital assujettis aux règles d'attribution. […]

 

33   Selon la deuxième règle, la règle de l'alinéa 160(1)e)[16], le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables à l'égard de toute somme que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la Loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés. Toutefois, la responsabilité du bénéficiaire est limitée au moins élevé des deux montants suivants : i) l'excédent éventuel de la JVM des biens au moment du transfert sur la JVM à ce moment de la contrepartie donnée pour ces biens et ii) le montant de la dette fiscale de l'auteur du transfert.

[Je souligne et les notes infrapaginales sont omises.]

 

[26]        Ici nous nous intéressons à la deuxième règle, à savoir la règle de l’alinéa 160(1)e) qui s’applique dans un cas où il y a eu transfert d’un bien à un moment où l’auteur du transfert était endetté envers le ministre.

 

[27]        Aux fins du règlement du litige dans Tétrault, j’ai analysé comme suit la notion de transfert, aux paragraphes 36 à 40 :

 

36  Avant de trancher la question de savoir s'il y a eu transfert, il est important de préciser l'étendue de cette notion. Dans de nombreuses décisions portant sur l'application de l'article 160 de la Loi, on a cité l'affaire Fasken Estate v. M.N.R., [1948] Ex. C.R. 580. Dans l'affaire Raphael, mon collègue le juge Mogan n'a pas fait exception et je citerai donc la traduction qu'on trouve au paragraphe 14 de ses motifs :

14 En appliquant le paragraphe 160(1) à des circonstances particulières, de nombreux juges ont cité l'affaire Fasken Estate v. M.N.R., [1948] Ex. C.R. 580, dans laquelle le président Thorsen [sic], de la Cour de l'Échiquier, a déclaré :

[TRADUCTION]

Le mot "transfert" n'est pas un terme technique et n'a pas de sens technique. Il n'est pas nécessaire qu'un transfert de biens d'un mari à sa femme revête une forme particulière ou qu'il soit fait directement. Il suffit que le mari se départisse [sic] des biens en faveur de sa femme, c'est-à-dire qu'il lui cède les biens. Le moyen par lequel il parvient à ce résultat, que ce soit directement ou indirectement, peut à juste titre être appelé un transfert. [...]

 

[Je souligne.]

 

37  Une autre décision pertinente, que l'on a citée moins souvent, est Dunkelman v. M.N.R., 59 DTC 1242, également de la Cour de l'Échiquier du Canada. Dans cette affaire, comme dans Fasken Estate, il s'agissait de déterminer si les règles d'attribution étaient applicables. Par contre, dans Dunkelman, il fallait aussi déterminer si un prêt consenti à une fiducie constituait un transfert aux fins du paragraphe 22(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap. 52[17]. Après avoir cité Fasken Estate et St. Aubyn v. Attorney-General, [1952] A.C. 15, le juge Thurlow dit à la page 1246 :

 

[...] I do not think it can be denied that, by loaning money to the trustees, the appellant, in the technical sense, transferred money to them, even though he acquired in return a right to repayment of a like sum with interest and a mortgage on the Butterfield Block as security, or even though he has since then been repaid with interest. But, in my opinion, it requires an unusual and unnatural use of the words "has transferred property" to include the making of this loan. [...] I also think that, if Parliament had intended to include a loan transaction such as the present one, the words necessary to make that intention clear would have been added, and it would not have been left to an expression which, in its usual and natural meaning, does not clearly include such a transaction. To apply the test used by Lord Simonds, I do not think this transaction was one which the language of the subsection, according to its natural meaning, "fairly" or "squarely" hits. I am, accordingly, of the opinion that the making of the loan in question was not a transaction within the meaning of the expression "has transferred property" and that s. 22(1) does not apply.

In reaching this conclusion, I have also considered the wide words "or by any other means whatsoever," but I think that they are directed to the means or procedure by which transfers may be accomplished, rather than to the scope of the expression "has transferred property" and that they do not expand that scope beyond the natural meaning of the expression.

[Je souligne.]

 

38  Dans la décision McVey v. The Queen, 96 DTC 1225, mon collègue le juge Rip a reconnu implicitement cette interprétation comme celle à retenir dans l'application du paragraphe 160(1) de la Loi lorsqu'il a conclu que la cotisation du ministre était valide, que l'on considère les sommes transférées comme l'ayant été à titre de don, auquel cas s'appliquerait le paragraphe 160(1) de la Loi, ou qu'on les considère comme un prêt, auquel cas s'appliquerait le paragraphe 224(4) de la Loi.

39  À mon avis, il ressort des décisions Fasken et Dunkelman que, pour qu'il y ait un transfert d'un bien aux fins des règles d'attribution, il est essentiel que l'auteur du transfert se soit départi de son droit de propriété et que le bien ait été dévolu au bénéficiaire.[18] La simple possession d'un bien prêté avec l'obligation de le rendre ne satisfait pas à cette condition. À mon avis, tel est le sens qu'il faut donner à l'expression "qu'il lui cède les biens". Il faut également retenir ce sens aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi. Comme le disait la juge Desjardins dans l'arrêt Medland (précité) au paragraphe 14 : "[...] la politique fiscale qui sous-tend le paragraphe 160(1), ou son objet et son esprit consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû." Or, le prêt d'argent ne constituerait pas une façon de faire échec à la perception de l'impôt dû par le prêteur. En vertu du paragraphe 224(4) de la Loi, le ministre pourrait saisir en mains tierces la somme prêtée. Cette notion de "transfert" est donc conciliable avec l'objet poursuivi par le paragraphe 160(1) de la Loi.

40  Il découle de l'analyse de la notion de transfert utilisée au paragraphe 160(1) de la Loi que des sommes versées à un mandataire pour être dépensées au bénéfice du mandant ne constituent pas non plus un transfert aux fins de ce paragraphe. Dans ces circonstances, le mandant ne se départ pas de son droit de propriété sur les sommes confiées au mandataire et elles ne sont pas dévolues au mandataire. Le mandant demeure le propriétaire de ces sommes. Aux fins de la présente analyse, on peut envisager au moins trois scénarios distincts. Premièrement, si les sommes confiées par le mandant (par exemple, le mari) n'ont pas encore été utilisées par le mandataire (par exemple, l'épouse) aux fins de l'achat de biens et de services pour la famille, le mandataire pourrait être tenu de rembourser au mandant toute somme qui n'a pas été ainsi utilisée. Un mandant peut en tout temps mettre fin au mandat et un créancier saisissant pourrait exiger que le mandataire lui remette les biens appartenant au mandant débiteur. Dans de telles circonstances, le ministre pourrait exercer une saisie en mains tierces en vertu de l'article 224 de la Loi.

 

[Je souligne et les notes infrapaginales sont omises.]

 

[28]        Le juge C. Miller de cette Cour a adopté cette interprétation, y compris l’aspect se rapportant à l’application de la décision Dunkelman[19]. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 20 de la décision Merchant c. Canada, 2005 CCI 161, [2005] A.C.I. no 101 (QL), [2005] 2 C.T.C. 2169, 2005 DTC 377 :

 

20  (i) Transfert de biens. Dans la décision Tétrault c. La Reine, le juge Archambault se demandait si un prêt constituait un transfert de biens pour l'application de l'article 160 de la Loi; en se fondant sur les décisions Dunkelman v. M.N.R. et McVey v. The Queen, le juge a tiré une conclusion négative. Je souscris à cette conclusion. Comme le juge Archambault l'a dit au paragraphe 39 :

[...] Or, le prêt d'argent ne constituerait pas une façon de faire échec à la perception de l'impôt dû par le prêteur.

[Je souligne et les notes infrapaginales sont omises]

 

[29]        Il est à noter que les décisions Fasken Estate[20] et Dunkelman ont été rendues par la Cour de l’Échiquier du Canada et qu’elles ont été appliquées dans plusieurs arrêts de la Cour d’appel fédérale. En ce qui a trait à la décision Fasken Estate, elle a été ainsi appliquée - notamment dans Sachs c. Canada, [1980] A.C.F. no 611 (QL), [1980] C.T.C. 358, 80 DTC 6291, Boger Estate v. Canada (M.N.R.), [1993] F.C.J. No 545 (QL), [1993] 2 CTC 81, 93 DTC 5276, Canada c. Kieboom [1992] 3 C.F. 488, [1992] 2 C.T.C. 59, 92 DTC 6382 et Paxton c. Canada (M.N.R.), [1996] A.C.F. No 1634 (QL), 97 DTC 5012, 1996 CarswellNat 2400 - relativement à l’application des règles d’attribution et des paragraphes 70(6) et (9), et 73(5) de la Loi. En ce qui a trait à l’application de l’article 160, la décision Fasken Estate a été appliquée dans les arrêts Medland[21], précité, 2753-1359 Québec Inc. c. La Reine, 2010 CAF 32, 2010 DTC 5031, [2010] 4 C.T.C. 202, Paxton, précité, et Yates c. Canada, 2009 CAF 50, [2010] R.C.F. 436, [2009] 3 C.T.C. 183, 2009 DTC 5062.

 

[30]        Quant à la décision Dunkelman, elle a été appliquée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sachs, précité. Voici ce que le juge Heald déclare dans Sachs :

 

25   Quant au premier de ces arguments, j’accepte qu’il faut qu’il y ait eu attribution aux enfants mineurs pour que le paragraphe 75(1) s’applique. Au sujet de l’article de l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenue équivalant au paragraphe 75(1), le juge Thurlow a exprimé, dans l’affaire Joseph B. Dunkelham [sic] c. le Ministre du revenu national, l’avis qu’il suffit, pour que l’article s’applique, [TRADUCTION] “que le contribuable ait agi envers le bien lui appartenant de façon à s’en départir et à l’attribuer à une personne de moins de dix-neuf ans”. Dans cette décision, le juge Thurlow cite et adopte l’opinion semblable exprimée par le président Thorson de la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Succession David Fasken c. le ministre du revenu national ((1948) R.C.É. 580) et par Lord Radcliffe dans l’affaire St. Aubyn c. le Procureur général ((1952) A.C. 15).

 

[Je souligne et les notes infrapaginales sont omises.]

 

[31]        La décision Dunkelman a été appliquée également par d’autres juges de la Cour de l’Échiquier, notamment le juge Noël dans la décision Robins v. Minister of National Revenue, [1963] R.C. de l’É. 171, [1963] C.T.C. 27, 63 DTC 1012, et le président Jackett dans Oelbaum v. Minister of National Revenue, [1968] 2 R.C. de l’É. 380, [1968] C.T.C. 244, 68 DTC 5176.

 

[32]        Aux décisions de cette Cour dans Tétrault et Merchant déjà mentionnées, et à celles de la Cour de l’Échiquier, ajoutons la décision de l’ancien juge en chef Couture de notre Cour dans l’affaire Béliveau c. Ministre du Revenu national, 91 DTC 662, [1991] 1 C.T.C. 2683. Voici ce qu’il écrit aux pages 668 et 669 (DTC) :

 

  Un prêt ne peut constituer légalement un "transfert de biens" comme l’exigent les dispositions de 56(2) et encore moins un paiement, et la jurisprudence a clairement confirmé cette interprétation. Ce que la Loi envisage par un "transfert de biens" n’est pas purement un transfert physique mais bien le transfert du droit de propriété rattaché à ces biens.

  La jurisprudence ne saurait être plus précise sur cette interprétation. Dans l’affaire de Joseph B. Dunkelman v. Minister of National Revenue 59 DTC 1242 il s’agissait pour la Cour d’interpréter les dispositions du paragraphe 22(1) de la Loi en vigueur à l’époque. Ce paragraphe se lisait :

  22(1) Lorsqu’un contribuable a, depuis 1930, transporté des biens à une personne qui avait moins de dix-neuf ans, directement ou indirectement, par voie de fiducie ou par tout autre moyen que ce soit, le revenu pour une année d’imposition provenant des biens ou de biens qui leur sont substitués est censé être, durant la vie du contribuable, tandis qu’il réside au Canada, le revenu du contribuable et non du cessionnaire, à moins qu’avant la fin de l’année, le cessionnaire n’ait atteint l’âge de dix-neuf ans.

[Je souligne.]

 

[33]        Dans Harvey c. Canada, [1994] A.C.I. no 391 (QL), 1994 CarswellNat 1243, [1995] 1 C.T.C. 2507, 94 DTC 1910, le juge Bowman reconnaît au paragraphe 10 (QL fr.) que Dunkelman reflète bien l’état du droit :

 

L’arrêt Dunkelman énonce toujours l’état du droit au Canada et a été suivi à de nombreuses reprises. L’appelant invoque également les paragraphes 3 et 4 du bulletin d’interprétation IT-260-R :

"Aux fins du paragraphe 75(1), un transfert ne comprend pas un prêt authentique consenti par un contribuable à une fiducie au profit d’un mineur. Aucun exposé exhaustif ne peut être fait en vue d’établir "l’authenticité" d’un prêt, mais la reconnaissance écrite et signée d’un emprunt par l’emprunteur et son accord en vue de le rembourser dans un délai raisonnable constituent habituellement une preuve acceptable de l’authenticité du prêt. Si, en plus, il existe des preuves que l’emprunteur a garanti son emprunt, qu’il a payé des intérêts sur cet emprunt ou qu’il a effectué des versements pour le rembourser, l’authenticité du prêt est reconnue. Le fait qu’aucun intérêt ne soit exigé ne signifie pas en soi qu’un prêt authentique n’a pas été consenti.

4.  Lorsqu’un prêt satisfait à certaines exigences d’authenticité (voir le numéro 3 ci-dessus), et qu’il n’y a aucune preuve que le mineur ne respecte pas les conditions du prêt, le Ministère estime que ce prêt consenti directement à un mineur ne constitue pas un transfert de biens aux fins du paragraphe 75(1).

[Je souligne.]

 

[34]        Il est tout à fait justifié que la Cour d’appel fédéral ait  appliqué la décision Fasken Estate et que la Cour canadienne de l’impôt ait appliqué Dunkelman relativement à la notion de transfert dans le contexte de l’article 160 puisque la même notion se retrouve aux articles édictant les règles d’attribution, à savoir l’article 74 de la Loi de 1952  et les articles 74.1 à 75.1 de la Loi. Comme on l’a vu plus haut, l’article 160 s’applique non seulement dans un contexte de transfert de biens lorsque l’auteur du transfert est endetté envers les autorités fiscales (la règle de l’alinéa 160(1)e)), mais également lorsqu’il y a application des règles d’attribution (la règle de l’alinéa 160(1)d)).

 

[35]        Dans l’affaire Dunkelman, le juge Thurlow avait indiqué que si le Parlement désirait qu’un prêt donne lieu à l’application de la règle d’attribution édictée par le paragraphe 22(1) de la Loi de 1948, il serait nécessaire de l’indiquer clairement. Le législateur n’a décidé de suivre ce conseil qu’en 1986, 27 ans plus tard, lorsqu’il a modifié les règles d’attribution par l’ajout des nouveaux articles 74.1 à 74.5 de la Loi, qui étendaient aux prêts l’application de la règle d’attribution. Il faut souligner, par contre, qu’il n’en a pas fait autant aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi. En édictant, à l’article 74.1, que la règle d’attribution s’applique quand il y a un transfert ou un prêt, le législateur canadien cautionnait l’interprétation, adoptée de façon constante par la jurisprudence, selon laquelle un prêt ne constitue pas un transfert.

 

[36]        Il faut souligner également que l’interprétation adoptée le 26 octobre 1959 par la Cour de l’Échiquier dans Dunkelman n’a été rejetée par aucune décision subséquente, y compris celle dans l’affaire Livingston, et les autorités fiscales l’ont même acceptée publiquement aux fins des règles d’attribution[22]. Adopter aujourd’hui l’interprétation de l’intimée irait à l’encontre d’une jurisprudence constante de plus d’une soixante années. Or, les tribunaux n’ont pas l’habitude de renverser un courant jurisprudentiel aussi constant; bien au contraire[23].

 

[37]        Dans ces circonstances, il apparaît tout à fait justifié d’adopter une interprétation de la notion de « transfert » qui soit harmonieuse, à la fois aux fins des règles d’attribution de l’article 74 de la Loi de 1952 et des articles 74.1 à 75.1 de la Loi et aux fins des dispositions de l’alinéa 160(1)e), qui vise le cas où il y a transfert de biens au moment où l’auteur du transfert est débiteur du ministre. L’existence d’un « transfert » constitue une condition préalable à l’application à la fois de la règle de l’alinéa 160(1)e) (lorsqu’il existe une dette fiscale exigible de l’auteur du transfert) et de celle de l’alinéa 160(1)d) (lorsqu’il y a application des règles d’attribution). Or, il ressort clairement de l’analyse précédente qu’il ne peut y avoir transfert lorsqu’une somme est prêtée par un prêteur à un emprunteur. Par conséquent, le montant qui sera déposé dans le compte bancaire de l’emprunteur ne constituera pas un transfert aux fins de l’application des règles d’attribution ni pour l’application de la règle de l’alinéa 160(1)e). À mon avis, cette interprétation est conforme aux enseignements de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré qu’ « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global[24]».

 

[38]        Il va de soi qu’il n’y a pas non plus de transfert lorsqu’une somme est remise par un mandant à son mandataire, comme je l’expliquais au paragraphe 40 de la décision Tétrault, précitée. Cette conclusion de droit est conforme à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Victuni c. Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 R.C.S. 580. Dans cet arrêt, la question en litige portait sur le calcul de la taxe sur le capital versé[25] d’une société qui avait acquis comme mandataire un immeuble situé à Montréal. Voici ce qu’écrit le juge Pigeon aux pages 584 et 585 [26] :

 

  En vertu des principes généraux du mandat il est clair que l'obligation d'un mandataire envers son mandant n'est pas une dette. Celui qui a acheté un im-meuble pour le compte d'un tiers qui veut rester inconnu, n'est pas plus débiteur du prix payé qu'il n'est propriétaire de l'immeuble. Le vrai propriétaire c'est le mandant et l'obligation du mandataire prête-nom c'est de rendre compte au man-dant et de lui remettre ce qu'il perçoit pour lui (C.c., art. 1713). Ce qu'il reçoit, même si c'est de l'argent, ne lui appartient pas, il est obligé de le tenir à part de ses biens. C'est un crime pour lui que de s'en emparer de façon à se constituer débiteur au lieu de mandataire: R. c. Légaré [[1978] 1 R.C.S. 275].

[Je souligne.]

 

[39]        Il est aussi intéressant de noter qu’aux fins de la Loi autorisant les municipalités à percevoir un droit sur les mutations immobilières (L.R.Q. 1977, ch. M-39), les tribunaux ont décidé qu’il n’y avait pas de transfert donnant lieu à des droits de mutation en faveur des municipalités lorsqu’un mandant transmettait la propriété d’un bien immeuble à un mandataire tout en conservant son propre droit de propriété sur ce bien. Notamment, dans Miracle Mile Industrial Park Corporation c. Ville de Montréal, [1987] J.Q. no 422 (QL), 10 Q.A.C. 5, [1987] R.D.I. 239, [1987] R.L. 6, 3 A.C.W.S. (3d) 438, la société appelante avait acheté à l’un de ses dirigeants un immeuble situé sur le territoire de la ville de Montréal. Les faits mis en preuve ont démontré qu’il n’y avait pas eu un réel transfert de propriété, tel qu’il appert d’une contre-lettre notariée intervenue entre les mêmes parties. Voici comment la Cour d’appel du Québec s’est exprimée sur la question de l’absence de transfert quand il y a mandat :

 

11     Par ailleurs, l'examen de l'ensemble des dispositions de la loi fait voir que le droit de mutation est essentiellement lié au transfert du droit de propriété.

 

12                Est ici fondamentale la définition que le législateur a choisi de donner au terme "transfert":

 

        "transfert": le transfert du droit de propriété d'un immeuble ainsi que le contrat de louage d'un immeuble, pourvu que la période qui court à compter de la date du transfert jusqu'à celle de l'arrivée du terme du contrat de louage, y compris toute prolongation ou tout renouvellement y mentionné, excède 40 ans; le mot transfert ne comprend pas le transfert fait dans le seul but de garantir le paiement d'une dette ni la rétrocession faite par le créancier." (je souligne)

 

13     En l'absence de "transfert du droit de propriété", comme c'est le cas ici où il n'y a eu que changement de nom du propriétaire ou prête-nom, aucun droit n'est imposé.

 

14     Si tant est qu'il faille pousser plus loin l'analyse, les articles 17 et suivants de la loi, coiffés du titre "exonérations", sont indicatifs du souci du législateur d'exempter, outre les transferts qu'il privilégie pour des raisons de politique législative (art. 17 et 20), d'autres transferts, ceux-là réels, mais qu'on pourrait qualifier de purement techniques (art. 18 et 19).

 

15     À [sic] fortiori peut-on en déduire qu'il n'a pas voulu imposer de droits lorsqu'il n'y a pas eu de transfert dans les faits.

 

[Je souligne.]

 

[40]        Ainsi, lorsqu’une somme est remise à un mandataire, cette somme n’appartient pas au mandataire; c’est le mandant qui continue d’en être le véritable propriétaire. On ne peut donc conclure qu’il y a eu dessaisissement de la part du mandant. La conclusion appropriée, dans ces circonstances, est que le mandant n’abandonne pas de son droit de propriété sur les sommes confiées au mandataire et qu’elles ne sont pas dévolues au mandataire. En d’autres mots, l’argent ne sort pas du patrimoine du mandant et n’entre pas dans celui du mandataire. Par conséquent, si les sommes reçues par le mandataire sont déposées dans un compte bancaire, on ne peut conclure que ces sommes constituent un transfert aux fins de l’article 160 et des règles d’attribution. Si un prêt d’argent ne constitue pas un transfert aux fins de ces règles, la remise d’argent à un mandataire devrait encore moins en constituer un.

 

[41]        À mon avis, l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Livingston n’aide pas la cause de l’intimée et cette dernière en interprète mal la portée. Tout d’abord, les faits sont différents. Contrairement à ce qui a été le cas dans Livingston, ici, il n’y a pas eu de dépôt fait par le débiteur fiscal dans le compte du contribuable visé par la cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi. Voici ce qu’écrit le juge Sexton au paragraphe 5 de Livingston :

 

5          Cependant, ce compte n'était utilisé que par Mme Davies. Celle-ci y déposait des chèques et demandait à ses débiteurs d'y verser les sommes qui lui étaient dues. […]

 [Je souligne.]

 

[42]        Ici, c’est 2310, par l’intermédiaire de son administrateur, qui a déposé le chèque de 305 441,32 $ dans le compte de 2310 (voir la pièce I‑1, onglet 14).

 

[43]        En outre, le juge Sexton n’a pas conclu à l’existence d’un mandat, comme je le fais ici. Il avait, à mon avis, la conviction que les sommes déposées par Mme Davies dans le compte de Mme Livingston appartenaient à Mme Livingston par suite du dépôt et qu’il n’y avait pas de mandat valide. C’est pourquoi il a conclu, au paragraphe 21 que « [l]e bien transféré était le droit d'exiger de la banque qu'elle remette à l'intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.»

 

[44]        Au paragraphe 28, le juge Sexton ajoute : « Pourquoi Mme Davies donnerait-elle de l’argent à l’intimée en contrepartie de la possibilité de le retirer, alors que l’intimée conserve le pouvoir d’en prendre possession? ». Un peu plus loin, au paragraphe 29, il écrit : « En fait, contrairement à la conclusion du juge de la Cour de l’impôt, il n’y a pas même eu convention. Je crois plutôt que l’action de l’intimée était simplement déterminée par un sentiment d’obligation morale envers Mme Davies. Une telle action ne constitue pas une convention ayant force obligatoire ». Une explication semblable a été fournie par le juge Sexton dans Raphael c. Canada, 2002 CAF 23, [2002] A.C.F. no 82 (QL), 2002 DTC 6798, [2002] 2 C.T.C. 75, 33 C.B.R. (4th) 288, 286 N.R. 389 :

 

7            L’appelante a soutenu devant nous qu’il n’y avait pas eu transfert d’argent au sens du paragraphe 160(1) de la Loi. Elle a affirmé que puisqu’elle avait témoigné croire qu’elle avait une obligation morale d’utiliser les fonds de la façon dont son mari le voulait, témoignage qui a été retenu par le juge de la Cour de l’impôt, et puisqu’elle avait en outre témoigné avoir de fait utilisé les fonds en vue d’effectuer certains paiements de la façon dont son mari le voulait, il n’y avait pas transfert de fonds au sens du paragraphe 160(1).

 

8            L’appelante a également soutenu qu’une fiducie avait été créée pour son mari, de sorte qu’il n’y avait pas transfert de biens. Toutefois, l’intention des conjoints en l’espèce, à savoir mettre l’argent du mari à l’abri de ses créanciers, n’est pas conforme à la création d’une fiducie. Si de fait une fiducie a été établie, le mari aurait droit à ces fonds à titre de bénéficiaire et ces fonds ne seraient pas protégés contre une saisie-arrêt effectuée par les créanciers du mari. L’intention des parties n’était donc clairement pas de prendre des dispositions pour que le mari continue à être propriétaire bénéficiaire des fonds. Par conséquent, aucune fiducie n’a été créée.

 

[Je souligne.]

 

[45]        Il est à noter également que, dans Livingston, Mme Davies, l’auteure du transfert, n’avait pas déclaré au moment de sa faillite qu’elle était bénéficiaire de fonds fiduciaires détenus par Mme Livingston (voir le paragraphe 7 de la décision). Tout cela laisse clairement entendre que Mme Davies n’avait pas confié un mandat à Mme Livingston, mais lui avait plutôt donné les sommes en cause.

 

[46]        Notons également que, dans cette affaire, Mme Davies avait transféré plusieurs fois ses fonds à de nouveaux comptes bancaires ou de courtage avant que l’Agence du revenu du Canada ne puisse localiser et recouvrer les sommes dues. Ici, M. Pratte ne connaissait pas l’existence de dettes fiscales de M. Garneau. M. Garneau désirait mettre à l’abri d’une saisie par la BFD la somme de 305 441,32 $ afin de se donner le temps de négocier un règlement. Par la suite, la BFD a reçu des versements de sommes importantes faits par M. Garneau.

 

[47]        Le seul commentaire que le juge Sexton fait par rapport à un possible mandat dans Livingston c’est en parlant de l’affaire Leblanc c. Canada, [1999] A.C.I. no 60 (QL), 99 DTC 410, à l’égard de laquelle il affirme, au paragraphe 23, que la conclusion du juge de première instance « est en soi suspecte : il y avait certainement eu transfert de biens ». Il n’a pas affirmé cependant qu’il y a dans tous les cas transfert aux fins de l’article 160 quand un mandant remet des fonds à un mandataire pour qu’ils soient déboursés au bénéfice du mandant. La Cour d’appel fédérale n’a pas analysé la notion de transfert dans un contexte de mandat en appliquant les précédents jurisprudentiels, tels les décisions Fasken Estate et Dunkelman, qu’elle a elle-même appliqués par le passé.

 

[48]        Ici, il existait un contrat de mandat conforme aux dispositions du Code civil du Québec (Code ou C.c.Q). Voici comment l’article 2130 définit ce type contrat :

 

2130. Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.

 

[Je souligne.]

 

[49]        Selon le professeur Claude Fabien, « le terme [acte juridique] doit être entendu ici dans son sens classique le plus large : toute manifestation de volonté destinée à créer des effets de droit. […] Enfin la définition ne doit pas être entendue strictement. Elle couvre aussi l’hypothèse où le mandataire accomplit un acte unilatéral comme un paiement ou un enregistrement »[27]. (Je souligne.) Ici, M. Garneau a donné le mandat à 2310 d’effectuer le paiement de ses dettes, et le paiement, en droit, constitue un des modes d’extinction des obligations[28]. Il y a ainsi un effet de droit.

 

[50]        Voici certaines des règles du Code qui sont pertinentes ici :

 

2132. L'acceptation du mandat est expresse ou tacite; elle est tacite lorsqu'elle s'induit des actes et même du silence du mandataire.

2133. Le mandat est à titre gratuit ou à titre onéreux. Le mandat conclu entre deux personnes physiques est présumé à titre gratuit, mais le mandat professionnel est présumé à titre onéreux.

2146. Le mandataire ne peut utiliser à son profit l'information qu'il obtient ou le bien qu'il est chargé de recevoir ou d'administrer dans l'exécution de son mandat, à moins que le mandant n'y ait consenti ou que l'utilisation ne résulte de la loi ou du mandat.

Outre la compensation à laquelle il peut être tenu pour le préjudice subi, le mandataire doit, s'il utilise le bien ou l'information sans y être autorisé, indemniser le mandant en payant, s'il s'agit d'une information, une somme équivalant à l'enrichissement qu'il obtient ou, s'il s'agit d'un bien, un loyer approprié ou l'intérêt sur les sommes utilisées.

[Je souligne.]

 

[51]        Le professeur Fabien reconnaît que les « pouvoirs du mandataire sont d’abord déterminés par le contrat […]. À titre supplétif, on a recours aux règles du mandat et à celles de l’administration des biens d’autrui énoncés au Code[29][30] (Je souligne.)

 

[52]        Ici, l’étendue du mandat était bien décrite dans une lettre qui précisait que 2310 devait utiliser les fonds en cause pour payer les créanciers de M. Garneau. Selon l’article 2146 C.c.Q., 2310 n’avait pas le droit d’utiliser à ses propres fins l’argent déposé dans son compte, à moins que le mandant n’y ait consenti. Ici, la lettre de mandat ne reconnaissait pas l’existence d’un tel droit. Il est vrai que, dans les faits, il semble que 2310 se soit approprié de façon temporaire des sommes appartenant à M. Garneau et qu’elle les a utilisées à des fins autres que celles prévues par le contrat de mandat. Toutefois, ces sommes ont été remboursées par 2310 et le plein montant de la somme de 305 441,32 $ a été utilisé pour le paiement des dettes de M. Garneau ou remis à ce dernier. En fait, un montant supérieur à cette somme a été versé par 2310.

 

[53]        Ici, le contrat de mandat est régi par le Code et la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Victuni, précité, a clairement confirmé que le mandataire ne devient pas le propriétaire des sommes d’argent qui lui sont remises; par conséquent, en pareil cas il n’y a pas de cession de biens qui pourrait constituer un transfert, selon ce que nous enseigne la jurisprudence constante en la matière.

 

[54]        Je me répète : si un prêt ne constitue pas un transfert aux fins des règles d’attribution et du paragraphe 160(1) de la Loi, alors la remise d’une somme d’argent à un mandataire pour qu’elle soit versée aux débiteurs de M. Garneau n’en est pas un non plus. Pour éviter toute ambiguïté, ici, même si M. Garneau avait lui‑même déposé l’argent dans le compte bancaire de 2310 dans le cadre du mandat qu’il donnait de payer ses créanciers, il n’y aurait pas eu de transfert aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi.

 

[55]        Dans Livingston, la Cour d’appel fédérale a considéré que le bien qui avait été transféré était le droit d’exiger de la banque qu’elle remette à Mme Livingston la totalité des sommes déposées[31]. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes. Ici, je ne peux conclure à l’existence d’un tel transfert. En effet, le droit d’exiger de la Banque Nationale que toutes les sommes déposées dans le compte bancaire de 2310 lui soient remises existait bien avant que la somme de 305 441,32 $ soit déposée dans ce compte. Ce droit avait été créé en vertu de l’entente entre 2310 et la Banque Nationale. En effet, le compte avait été ouvert avant le 19 mars 2002 et il existait un solde de 1 795,79 $ (pièce A‑3) avant le dépôt du chèque appartenant à M. Garneau. Par conséquent, M. Garneau n’a transféré aucun bien à 2310.

 

[56]        En outre, même si on pouvait considérer qu’il y avait eu transfert d’un tel droit en vertu du contrat de mandat qui autorisait 2310 à gérer l’argent de M. Garneau déposé dans le compte de cette société, je ne peux pas conclure que la valeur de ce droit représentait la valeur totale de la somme remise par M. Garneau, soit 305 441,32 $, puisque le seul droit qu’avait 2310 était celui de retirer cette somme au bénéfice de M. Garneau. Aucun mandataire sain d’esprit ne verserait 305 441,32 $ pour le droit de retirer cette somme au seul bénéfice de son mandant. À moins que le mandant lui permette de conserver les revenus d’intérêt – ce qui n’est pas le cas ici[32] –, un mandataire ne verserait rien pour un tel droit. Au contraire, on pourrait s’attendre à ce qu’il exige d’être rémunéré pour le service qu’il rend au mandant[33].

 

[57]        Par conséquent, non seulement le patrimoine de 2310 n’a pas augmenté, mais, fait encore plus significatif, celui de M. Garneau n’a pas diminué. Le ministre aurait pu exercer une saisie en mains tierces en vertu de l’article 224 de la Loi pour recouvrer l’impôt impayé de M. Garneau et demander à 2310 de lui remettre une partie du solde des 305 441,32 $ détenus par 2310, mais il ne l’a pas fait.

 

[58]        À mon avis, l’avocat de l’intimée donne en outre une portée trop large à l’arrêt Livingston. Il est possible qu’un dépôt dans le compte bancaire d’un tiers puisse constituer un transfert, mais tout dépôt d’une somme dans un compte bancaire n’est pas nécessairement un transfert. Il faut limiter la portée de l’affirmation dans l’affaire Livingston aux faits de cette affaire-là.

 

[59]        Ajoutons également que la position que j’adopte est conforme à celle énoncée dans Livingston par le juge Sexton, qui écrit au paragraphe 27 :

 

[…] L’objet même du paragraphe 160(1) est d’assurer la conservation de la valeur des biens existants dans le patrimoine du contribuable aux fins de recouvrement par l’ARC. Dans le cas où le contribuable s’est entièrement dessaisi de ces biens, le paragraphe 160(1) prévoit la possibilité pour l’ARC d’exercer ses droits sur lesdits biens contre le bénéficiaire de leur transfert. […]

 

[Je souligne.]

 

Or, ici, en raison de l’existence d’un contrat de mandat, les biens n’ont pas quitté le patrimoine de M. Garneau. M. Garneau ne s’est aucunement dessaisi de ces biens puisque, comme mandant, il continuait d’être le propriétaire de la somme en cause. Par conséquent, il n’y a pas de raison d’appliquer l’article 160. Le ministre aurait pu saisir les sommes détenues par 2310 et appartenant à M. Garneau. Ses efforts de recouvrement n’ont pas été contrés par un transfert de biens à un tiers.

 

[60]        Cette interprétation est également conforme au but visé par le législateur en édictant les règles d’attribution, à savoir les articles 74.1 à 75.1 de la Loi et l’article 74 de la Loi de 1952. En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux règles d’attribution pour imposer les revenus d’intérêt qui auraient pu être générés par la somme de 305 441,32 $. À titre de mandataire, 2310 n’aurait pas eu à déclarer ces revenus. C’est plutôt le mandant, le véritable propriétaire de la somme en cause, qui aurait eu à déclarer les revenus d’intérêt, s’il y en avait eu. Ne s’étant pas dessaisi de cette somme, M. Garneau en demeurait le véritable propriétaire et c’est lui qui aurait eu l’obligation de déclarer les revenus qui pouvaient en être tirés.

 

[61]        Tant aux fins des règles d’attribution qu’aux fins des règles de recouvrement du paragraphe 160(1) de la Loi, l’interprétation du terme « transfert » qu’une jurisprudence constante a retenue et que j’adopte ici est conforme à l’enseignement de la Cour suprême du Canada selon lequel « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » (voir le paragraphe 21 ci-dessus).

 

[62]        Il n’y a pas de doute que l’expression « transfert » peut avoir un sens très large; il peut signifier le déplacement d’un lieu à un autre, comme par exemple, le transfert de capitaux d’un pays à un autre, où transfert est synonyme de virement. Transfert peut aussi avoir le sens d’un acte par lequel une personne transmet un droit à une autre, notamment dans le sens de transfert de propriété. Il s’agit là d’un sens analogue à celui d’aliénation, de cession ou de transmission (voir le Petit Robert). Aux fins de l’article 160 et à celles des règles d’attribution, il est clair que la notion de virement n’est pas celle qui a été retenue par la jurisprudence et ce n’est pas non plus le sens qui correspond au but recherché par le législateur.

 

[63]        Si le législateur désire que tout virement de fonds d’un compte d’une personne au compte d’une autre personne soit visé par l’article 160 aux fins de l’application des règles de l’alinéa 160(1)d) et de l’alinéa 160(1)e), il faudrait qu’il modifie la Loi par l’ajout d’une nouvelle règle élargissant la notion de transfert pour l’application de ces règles. En l’absence d’une telle modification, rendre une personne responsable de  l’impôt d’un tiers juste parce qu’elle a touché de l’argent ou que de l’argent a été déposé dans son compte bancaire constituerait un grave abus. Ici, 2310 a reçu 305 441,32 $ et a entièrement déboursé cette somme pour le compte et au bénéfice de M. Garneau comme mandataire de celui-ci. La société 2310 ne s’est aucunement enrichie. Le but de l’alinéa 160(1)e) n’est pas d’octroyer au ministre un outil pour corriger son manque de diligence en n’exerçant pas en temps opportun des procédures de saisie en mains tierces, mais plutôt de permettre au ministre de rendre responsable le bénéficiaire d’un transfert lorsque le débiteur fiscal s’est dessaisi d’une partie de son patrimoine au détriment des intérêts du ministre. S’il n’y a pas dessaisissement, appauvrissement ou diminution du patrimoine, il n’y a aucune raison d’appliquer la règle de l’alinéa 160(1)e).

 

[64]        Comme illustration de l’abus qui pourrait avoir lieu si on adoptait l’interprétation du ministre, voici l’exemple décrit par le juge Boyle dans la décision Gambino c. Canada, 2008 CCI 601, [2008] A.C.I. no 538 (QL), [2009] 3 C.T.C. 2129, au paragraphe 30 :

 

30   La thèse avancée par le ministre est totalement dépourvue de sens commun. Signe de son évidente inexactitude, elle aurait pu être invoquée par le ministre contre Mme Gambino même si Francesco Gambino avait utilisé les fonds pour payer l'ARC afin de réduire sa dette fiscale. Plus ridicule encore, les arguments techniques présentés par la Couronne auraient pu être avancés même si le fils de Mme Gambino avait remis à cette dernière les chèques endossés de Manulife et lui avait demandé de les apporter au bureau fiscal de l'ARC pour que les sommes en cause soient appliquées au crédit de sa bien plus importante dette fiscale.

 

[Je souligne.]

 

[65]        Il faut mentionner que dans l’affaire Gambino, le ministre se fondait dans une grande mesure – comme c’est le cas en l’espèce – sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Livingston. Au paragraphe 24, le juge Boyle écrit : « [c]omme il a été mentionné précédemment, la Couronne s'appuie en très grande partie sur l'arrêt Livingston de la Cour d'appel fédérale. »

 

[66]        Le juge C. Miller, dans la décision Pearson c. La Reine, 2009 CCI 338, aux paragraphes 14 et 16, a aussi souscrit à ce raisonnement du juge Boyle.

 

[67]        Il n’y a pas de doute que, si M. Garneau avait prétendu auprès des autorités fiscales que la somme remise à 2310 ne se trouvait plus dans son patrimoine parce qu’il y avait eu transfert de propriété et s’il leur avait remis un contrat apparent ou un document appuyant cette description de l’opération alors qu’en vertu d’une contre‑lettre il existait un contrat de mandat, la situation aurait été différente. Le ministre aurait pu alors se prévaloir du contrat apparent pour recouvrer les sommes qui lui étaient dues en établissant une cotisation en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi et, en vertu de l’article 1451 et suiv. du Code, ne pas tenir compte du contrat occulte. À cet égard, voir notamment la décision que j’ai rendue dans l’affaire Bolduc c. La Reine, [2002] A.C.I. no 664 (QL), 2003 DTC 221, décision que la Cour d’appel fédérale a confirmée à 2003 CAF 411, 2003 DTC 5735, [2004] 2 C.T.C. 173. Notons ici qu’il n’a été allégué dans la réponse à l’avis d’appel aucune simulation dans la remise par M. Garneau de la somme de 305 441,32 $ à 2310. La preuve présentée à l’audience n’a pas non plus révélé l’existence d’une telle simulation.

 

[68]        Il est important de noter que la somme déposée dans le compte bancaire de 2310 a servi à acquitter des dettes de M. Garneau ou de certains membres de sa famille. Dans un tel cas, il est difficile de comprendre comment un tiers aurait pu croire que les paiements effectués par 2310 étaient des paiements pour son compte, étant donné que le créancier savait pertinemment que le débiteur était M. Garneau ou l’un des membres de sa famille et non pas 2310. Donc, il n’y a pas lieu ici de conclure à l’existence d’une simulation.

 

[69]        L’avocat de l’intimée a tenté d’attaquer la validité du contrat de mandat en faisant valoir qu’une des conditions pour l’existence du contrat n’était pas remplie puisque son objet était contre l’ordre public. L’avocat n’a cité aucune jurisprudence pour appuyer ses prétentions à cet égard. Je ne vois rien d’illégal ni rien qui aille à l’encontre de l’ordre public dans le fait que M. Garneau a donné à 2310 le mandat de gérer ses fonds et de débourser la somme qu’il lui avait confiée. On trouve de tels contrats dans le monde commercial, notamment lorsque certains employeurs ont recours aux services de sociétés se spécialisant dans le paiement des salaires aux employés de tels employeurs[34]. Même si le contrat de mandat avait pu être invalide, cela n’avancerait pas la cause de l’intimée puisque l’annulation du mandat ne donnerait pas naissance à un don équivalent à un transfert ou à quelque autre opération que ce soit de même nature. M. Garneau n’a jamais eu l’intention de transférer à 2310 la propriété de l’indemnité. L’intention des parties était claire : M. Garneau confiait à 2310 le mandat de débourser le montant de l’indemnité, à savoir la somme de 305 441,32 $, et c’est ce que 2310 a fait; en effet, elle a déboursé en entier cette somme entre les mois de mars et de décembre 2002. Ajoutons également que cette intention des parties est reflétée dans la lettre du 23 mars 2002, dans laquelle M. Garneau confie à 2310 le mandat de gérer son argent et de faire les déboursements selon ses directives. Un argument semblable avait d’ailleurs été avancé sans succès dans l’affaire Victuni. Voici comment le juge Pigeon de la Cour suprême du Canada décrit la situation à la page 586 :

 

     Au surplus c'est à bon droit que le juge de la Cour provinciale a écrit:

 

     ... si le contrat R-10 est frappé de nullité, comme le prétend le savant procureur de l'intimé, il ne s'ensuit pas automatiquement que Victuni est en conséquence devenue propriétaire absolu du terrain en formant l'objet. Si le contrat est nul, il ne produit pas de fruit et chaque partie au contrat est remise dans son état antérieur: Victuni reprend la débenture R-13 et Place Victoria le terrain R‑12.

[Je souligne.]

 

[70]        Appliquant strictement l’interprétation du mot transfert adoptée dans la jurisprudence, je ne peux conclure qu’il y a eu transfert de biens ou que M. Garneau s’est dessaisi de la somme en cause en faveur de 2310. Comme mandant, il gardait le pouvoir de donner des directives quant au déboursement de cette somme. Comme l’indiquait le juge Pigeon de la Cour suprême du Canada dans Victuni, cela aurait été un crime pour 2310 de s’en emparer.

 

[71]        À bien des égards, les faits de cet appel ressemblent à ceux dans la décision Armenti c. La Reine, 2007 CCI 389, rendue par le juge Bédard. J’adopte sa conclusion, qu’il a formulée ainsi :

 

[17]   Dans un premier temps, j’examinerai la question de savoir s'il y a eu un transfert des deux premiers chèques entre la société et l'appelant, soit la première des conditions d'application du paragraphe 160(1) de la Loi énoncée dans l'arrêt Raphael, précité. L'intimée soumet que c'est plutôt la société, par l'entremise de son représentant autorisé, M. Enzo Armenti, qui a remis les deux premiers chèques endossés en blanc à l'appelant, et non le père à titre personnel qui a remis à son fils les deux chèques. Autrement dit, l'intimée prétend qu'il n'y a pas eu de transfert entre la société et le père. La question de savoir qui, de la société ou du père, a remis les deux chèques à l'appelant mériterait une détermination si la remise de ces deux chèques endossés en blanc constituait un transfert au sens du paragraphe 160(1) de la Loi. Or, à mon avis, la remise d'un chèque endossé en blanc ne constitue pas automatiquement, aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi, un transfert. L'intimée soutient que, en s'appuyant sur les dispositions pertinentes de la LLC, la remise d'un chèque endossé en blanc constitue un transfert étant donné que la personne qui a le chèque en sa possession à la suite de la remise en devient automatiquement propriétaire ou obtient le droit de l'encaisser. À mon avis, les dispositions pertinentes de la LLC permettent tout simplement aux tiers de présumer que la personne qui a un chèque endossé en blanc en sa possession en est le propriétaire et qu'elle a aussi le droit de l'encaisser. La LLC ne permet pas pour autant de qualifier la nature de la transaction intervenue en l'espèce entre la personne qui a remis le chèque endossé en blanc et la personne qui a reçu le chèque. En l’espèce, la preuve a révélé que le père, peu importe que ce soit à titre personnel ou à titre de représentant autorisé par la société, n'a jamais voulu transférer la propriété de ces deux chèques à l'appelant, pas plus qu'il n'a voulu que la propriété de ces deux chèques soit dévolue à l'appelant. En aucun temps l'appelant n'a eu le droit d'utiliser, de jouir ou de disposer à sa guise de ces deux chèques. Ainsi, contrairement à la disposition de l'entreprise à l'effet qu'il ne pouvait s'agir en l'espèce d'un mandat, je suis d'avis que la transaction intervenue entre le père, que ce soit à titre personnel ou à titre de représentant autorisé par la société, et le fils était de la nature d'un mandat au sens du Code civil du Québec. En effet, la preuve a révélé très clairement en l'espèce que le père, que ce soit personnellement ou à titre de représentant autorisé de la société, a tout au plus donné à l'appelant le mandat d'encaisser ces deux chèques et de lui remettre les sommes ainsi encaissées, mandat qui a été exécuté à titre gratuit par l'appelant. Puisqu'il n'y a jamais eu, en l'espèce, de transfert de propriété de ces deux chèques à l'appelant, je suis d'avis que, en ce qui concerne les chèques en question, l'appelant ne peut être solidairement tenu responsable des dettes fiscales de la société, à l'égard de ces deux chèques.

 

[Je souligne.]

 

[72]        Dans une décision très récente, Lapierre c. La Reine, 2012 CCI 299, le juge Angers adopte une conclusion similaire. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 22 :

 

[22] À mon avis, que ce soit à titre personnel ou à titre de représentant de 9077, le père n’a jamais voulu transférer la propriété de l’argent en question, soit les 100 000 $, et même plus, si l’on considère qu’il a exigé le retour de 114 000 $. Il n’a jamais voulu que la propriété de cette somme soit dévolue à l’appelante, sauf pour ce qui est des 10 000 $ qui étaient pour elle. Elle ne pouvait donc pas utiliser cet argent à sa guise et, à mon avis, elle agissait simplement à titre de mandataire de son père, qui représentait la société 9077. Ce qui s’est passé entre 9077 et l’appelante était de la nature d’un mandat au sens du Code civil du Québec.

 

[Je souligne.]

 

[73]        Quoique l’intimée ne l’ait pas invoqué dans sa plaidoirie, j’aimerais aborder un argument que certains pourraient avancer à l’appui de la position de l’intimée. Selon cet argument, on pourrait accepter que les sommes remises à un mandataire ne constituent pas un transfert tant que l’argent demeure consigné dans un compte en fiducie distinct des autres comptes bancaires du mandataire. Si l’argent remis par le mandant est déposé par le mandataire dans un compte commun où il est confondu avec les autres fonds du mandataire ou avec les fonds d’autres mandants, il y aurait alors pour le mandant perte du droit de propriété et, par conséquent, il y aurait transfert. Cet argument repose sur la nature même de l’argent, qui est un bien fongible. Dans de nombreuses décisions, on a reconnu que, lorsque des biens fongibles comme de l’argent sont confondus avec les biens d’autres personnes, le propriétaire de ces biens perd tout droit de les revendiquer. L’argument est fondé en partie sur cette déclaration de la juge Hesler de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt 9083-4185 Québec Inc.[35], au paragraphe 59, où elle cite une auteure pour affirmer qu’« à compter du moment où les fonds sont entremêlés avec tous les autres fonds dans un compte, ils ne sont plus identifiables et le mandant ne peut plus faire valoir son droit de propriété ».

 

[74]        À mon avis cet argument est séduisant, mais erroné. En effet, la question en litige que l’on doit décider ici n’est pas de savoir si une personne a le droit de revendiquer la propriété de certaines sommes dans le cadre d’une saisie avant jugement, d’une faillite ou d’un arrangement semblable, mais plutôt de savoir s’il y a eu transfert aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi. Ensuite, ce n’est pas parce qu’une personne ne peut revendiquer un bien fongible qu’il y a eu nécessairement transfert du droit de propriété.

 

[75]        Il faut préciser le contexte dans lequel un droit de revendication prend toute son importance. Par exemple, dans l’affaire 9083-4185 Québec Inc., voici comment la juge Hesler formulait la question en litige et l’enjeu de cette question :

 

20     L'unique question à trancher pour décider de ces appels est la suivante : le sous-ministre du Revenu est-il propriétaire des sommes d'argent perçues ou percevables à titre de TPS et de TVQ par le fournisseur failli lors de la date de sa faillite ou, au contraire, est-il simplement un créancier de la faillite, qui doit être colloqué selon les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité? Si le sous-ministre détient un droit de propriété dans cet argent, par opposition à une créance contre la faillite, les montants concernés ne tombent pas sous la saisine légale du syndic et ne sont pas un actif de la faillite. Au cas contraire, le sous-ministre n'est qu'un créancier non garanti du failli, auquel le syndic distribuera en temps et lieu sa part de la réalisation de l'actif.

 

[Je souligne et la note infrapaginale est omise.]

 

[76]        Elle précise comme suit sa pensée quant à la question de la revendication:

 

25     Il faut en deuxième lieu s'interroger sur les conditions d'existence d'un droit de revendication sur une somme d'argent.

 

26     En effet, l'argent est un bien fongible. Le détenteur d'un compte de banque, par exemple, n'est pas propriétaire de l'argent du compte. Il ou elle détient une créance contre la banque pour le montant déposé dans son compte. Il faut donc déterminer si le sous-ministre du Revenu est en droit de revendiquer les sommes perçues à titre de TPS et de TVQ par le débiteur failli à titre de réel propriétaire de ces sommes.

[Je souligne.]

 

[77]        Dans cette affaire, la juge Hesler a conclu que le sous-ministre n’était qu’un créancier non garanti. Dans Les Boutiques San Francisco incorporées c. Claudel Lingerie inc., [2004] J.Q. no 6606 (QL), J.E. 2004-1359, 2004 CanLII 639, le juge Gascon de la Cour supérieure du Québec devait décider si la partie qui fournit des biens en vertu d'un contrat de consignation dispose « d'un droit de revendication des sommes d'argent qui résultent de la vente des biens consignés [.] En d'autres mots, le consignateur est-il propriétaire ou créancier de ces sommes d'argent? »[36] Il a cité la réponse donnée dans un ouvrage canadien de doctrine :

 

52    Pour leur part, les auteurs Houlden et Morawetz écrivent ce qui suit sur la propriété du produit de la vente des biens consignés :

 

If there is a valid consignment agreement and the consignee goes into bankruptcy, the consignor will be entitled to the following remedies:

(a) possession of any goods which can be identified: Cocks v. Consort Trading Co., [1921] 3 W.W.R. 434, 65 D.L.R. 778 (Alta. K.B.). If the trustee sells the goods, the consignor will be entitled to the proceeds: Re Adanac Grain Co. (1922), 2 C.B.R. 376 (Man. Q.B.); Cocks v. Consort Trading Co., supra;

(b) amounts owing by customers of the bankrupt who purchased goods on credit: Cocks v. Consort Trading Co., supra;

(c) proceeds of the sale of consigned goods. If the proceeds have been kept in a trust account, the consignor will be entitled to the money in the account. If the proceeds have been used by the bankrupt but can be traced into some identifiable form, the consignor will be entitled to them in that form: Cotter v. Mason (1870), 30 U.C. Q.B. 181. If the proceeds have been so intermingled as not to be identifiable, the consignor will only be an unsecured creditor of the bankrupt estate: Oglivie [sic] Flour Mills Co. v. C.C.M.T.A. (1925), 7 C.B.R. 31 (Sask. C.A.); Re Yachting & Sports Pigeon Inc. (1995), 2 C.B.R. (4th) 236, 1995 CarswellQue 221 (Que. S.C.)

 

[Je souligne et la note infrapaginale est omise.]

 

[78]        Il poursuit ainsi son analyse :

 

56    […] Le droit de revendiquer les marchandises consignées avant leur vente n'emporte pas nécessairement le droit de revendiquer par la suite le produit de leur vente, car il s'agit de biens distincts.

57    La raison en est fort simple. Comme chacun sait, l'argent est un bien fongible. Pour en revendiquer la propriété, il faut qu'il soit clairement identifiable. Il ne suffit pas qu'il soit simplement quantifiable. Notre Cour l'a déjà dit à plus d'une reprise.

58    Dans l'affaire Chua c. Von Braun, le juge Croteau a souligné que pour qu'une personne puisse démontrer un droit dans une somme d'argent, il faut établir que l'argent revendiqué peut être identifié, car c'est un bien fongible. Or, dès lors que les sommes sont confondues dans la masse monétaire d'un compte particulier, l'argent déposé perd alors toute identité.

59    Dans l'affaire Yachting & Sports Pigeon inc., le juge Chaput a conclu dans le même sens. Appelé à déterminer si un créancier était propriétaire d'une somme d'argent placée dans un compte en fiducie, il a tenu les propos suivants :

[…] Entre ces dépôts et par la suite, d'autres dépôts sont faits dans le compte et de nombreux chèques sont tirés. Toutes les sommes sont confondues dans le compte dont le solde fluctue au gré des entrées et sorties de fonds.

(p. 7 du texte intégral)             

[...]

Qu'il s'agisse d'un trust ou d'un mandat, ce qui est important pour faire échec à la saisine du syndic, c'est que le bien soit tenu par le failli pour un tiers, qu'il soit identifiable comme tel entre ses mains et ne soit pas à sa disposition pour d'autres fins que l'exécution du mandat.

 

[Je souligne et notes infrapaginales omises.]

 

Aux paragraphes 4 et 5, le juge Gascon précise :

 

En l'espèce, la conséquence est de taille puisque BSF bénéficie actuellement de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Ainsi, si Claudel et Vanessa n'en sont que créancières, les sommes d'argent feront partie du plan d'arrangement que BSF doit soumettre à tous ses créanciers, et ils sont nombreux. Par contre, si elles en sont propriétaires, les sommes qui leur sont dues échappent alors aux mécanismes de la LACC.

 

[Je souligne et note infrapaginale omise.]

 

[79]        Dans les trois décisions Les boutiques San Francisco, Yachting & Sports Pigeon inc.[37] et 9083-4185 Québec inc., les revendicateurs n’ont pas eu gain de cause quant à la propriété du bien, mais ils ont été quand même été considérés comme des créanciers.

 

[80]        Dans l’affaire Chua[38] mentionnée dans le passage cité au paragraphe 78 plus haut, il s’agissait d’une saisie avant jugement selon le Code de procédure civile (C.p.c.). Pour qu’une telle saisie puisse être autorisée par un juge, il faut soit qu’on ait à craindre que, sans cette mesure, le recouvrement de la créance ne soit mis en péril[39], soit qu’il s’agisse d’un bien meuble que le demandeur est en droit de revendiquer[40]. Le juge a annulé la saisie parce que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer l’existence de son droit de revendication. Voici comment, il s’est exprimé:

 

24        Dans cet arrêt Montgomery, [1977] C.S. 862, précité, M. le juge Dugas écrit :

Pour avoir droit au bref de saisie avant jugement dont parle l’article 734, il faut s’attaquer à un bien meuble identifié (ou identifiable) et le bien qui a fait l’objet du dépôt a perdu toute identité lorsqu’il a été confondu dans la masse monétaire des institutions bancaires.

26        Ainsi, vu le défaut du demandeur de pouvoir identifier les biens meubles qu’il a revendiqués dans ses saisies-arrêts avant jugement, un fait juridique très pertinent pour avoir droit à tels recours, la Cour n’a d’autre choix que de déclarer que les deux affidavits au soutien des deux réquisitions sont insuffisants suivant l’article 738 C.p.c.

[Je souligne.]

 

[81]        Ainsi, ce n’est pas parce qu’une personne perd tout droit de revendiquer un bien dans le cadre d’une faillite ou d’une saisie avant jugement que cela signifie qu’il a transféré la propriété de ses biens à une autre personne. Tout ce que cela signifie c’est qu’elle devra être traitée comme tous les autres simples créanciers et partager au pro rata avec eux le reliquat de la masse d’une faillite ou attendre d’obtenir le jugement pour faire exécuter ses droits.

 

[82]        Pour qu’il y ait transfert aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi, il faut que le cédant ait eu l’intention de transférer le droit de propriété sur son bien en faveur du cessionnaire. Lorsqu’un mandant remet une somme d’argent à un mandataire pour qu’elle soit déboursée pour acquitter les dettes du mandant ou pour qu’elle lui soit remise sur demande, il n’y a clairement aucune intention de transférer la propriété de l’argent. En outre, dans les cas où des personnes ont un intérêt à revendiquer un bien et que cette revendication est rejetée, les tribunaux concluent au statut de simple créancier pour le revendicateur et non à un transfert de propriété. Dans ces circonstances, le revendicateur est dans la même situation qu’une personne qui a prêté de l’argent à un emprunteur. Dans les deux cas, il n’y a ni appauvrissement du patrimoine du prêteur ou du mandant ni enrichissement de celui de l’emprunteur ou du mandataire. Par conséquent, les autorités fiscales pourraient exercer une saisie en mains tierces pour obtenir le paiement du montant remis au mandataire, que ce dernier ait le statut de propriétaire ou bien celui de simple créancier. Il n’existe donc pas de distinction valable à faire aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi entre le cas où les fonds confiés au mandataire sont confondus avec les autres fonds du mandataire et celui où ils ne le sont pas. En outre, ici, j’ai été en mesure de retracer les fonds de M. Garneau dans le compte de 2310 grâce à la preuve présentée par 2310.

 

[83]        Étant donné la conclusion qu’il n’y avait pas eu de transfert entre M. Garneau et 2310, il n’est pas nécessaire de trancher la question de l’existence d’un lien de dépendance. De toute façon, comme il n’y a pas eu de transfert de propriété entre les deux parties, il est difficile de déterminer comment on pourrait établir l’existence d’un lien de dépendance de fait entre 2310 et M. Garneau. Il n’existait aucun lien de dépendance légale entre les parties, étant donné que M. Garneau et M. Pratte n’avaient aucun lien de parenté entre eux. En vertu du contrat de mandat, 2310 était tenue d’exécuter les directives données par M. Garneau, à savoir celles d’effectuer le paiement de ses dettes. Il n’y a aucune raison dans de telles circonstances de s’intéresser à la notion de lien de dépendance puisque, par définition, un mandataire doit toujours suivre les directives de son mandant et que, aux fins fiscales, il n’existe aucune cession qui a été faite entre les deux.

 

[84]        Pour tous ces motifs, je conclus que la cotisation du ministre est mal fondée et qu’elle doit être annulée en raison de l’absence de l’une des conditions essentielles à l’application du paragraphe 160(1) de la Loi, à savoir l’existence d’un transfert de biens.

 

[85]        Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

 

Signé à Magog, Québec, ce 18e jour d’octobre 2012.

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 365

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2009-2880(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9101-2310 QUÉBEC INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Val-d’Or (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 18 octobre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Simon Corbeil

Avocat de l'intimée :

Me Simon Olivier de Launière

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                           Me Simon Corbeil

 

                 Cabinet :                          Cain Lamarre Casgrain Wells

                                                          Val-d’Or (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           L’exercice financier se termine le 28 février. (Voir la pièce A-5.)

[2]           Contrairement à ce qui est allégué dans la Réponse à l’avis d’appel.

[3]           Voir le bordereau de dépôt produit (pièce I-1, onglet 14). La signature sur le bordereau ressemble à la signature apparaissant sur les chèques de 2310 se trouvant à l’onglet 17.

[4]           Cette question a été abordée lors de l’interrogatoire préalable et M. Pratte s’est engagé à fournir la date où M. Garneau aurait utilisé la carte de guichet automatique, mais cette information n’a pas été produite en preuve à l’audience. (Voir la pièce I‑2, p. 25.)

[5]           Pièce I-2, pp. 26 et 27.

[6]           Il n’a pas été mis en preuve que M. Garneau avait déposé d’autres sommes avant le 28 décembre 2002.

[7]               À noter que j'ai exclu de la conciliation de chèques préparée par M. Pratte une somme de 1 250 $ pour deux motifs : premièrement, le chèque no 104 est de 250 $ et non de 1 250 $ (donc il y a eu erreur de traitement de données); deuxièmement, ce chèque a vraisemblablement été retourné. (Voir la pièce A-3.)

[8]           Lors de l’interrogatoire préalable tenu le 29 juin 2010, M. Pratte a affirmé que M. Garneau devait toujours de l'argent à 2310. (Voir la pièce I-2, p. 21.)

[9]           Le par. 160(1) est analogue  au par. 53(1), S.R.C. 1952, ch. 148, qui lui-même était semblable à l’art. 49A, qui a été édicté – et c’était la première fois qu’une telle disposition ait été adoptée – en 1951 par l’art. 17 du ch. 51 des Statuts du Canada de 1951. Le paragraphe 49A(1) était ainsi rédigé :

Impôt sur le revenu provenant de biens cédés entre mari et femme ou à des mineurs.

49A. (1) Lorsqu’une personne a, le ou après le premier mai mil neuf cent cinquante et un, transféré des biens directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon que ce soit,

a) à son conjoint ou à une personne qui, depuis, est devenu son conjoint, ou

b) à une personne qui était âgée de moins de dix-neuf ans, les règles suivantes s’appliquent :

(i) le cessionnaire et le cédant sont conjointement et solidairement tenus de payer une partie de l’impôt du cédant aux termes de la présente Partie, pour chaque année d’imposition, égale au montant par lequel l’impôt pour l’année est supérieur à ce qu’il aurait été, sauf l’application de l’article vingt et un ou vingt-deux, selon le cas, relativement au revenu provenant des biens ainsi transférés ou des biens y substitués; et

(ii) le cessionnaire et le cédant sont conjointement et solidairement tenus de verser le moindre des deux montants suivants :

(A) tout montant que le cédant était tenu de payer, en vertu de la présente loi, le jour du transfert, ou

(B) une partie de tout montant, que le cédant était ainsi tenu de payer, égale à la valeur des biens ainsi transférés;

mais rien au présent paragraphe n’est censé limiter la responsabilité du cédant sous le régime de toute autre disposition de la présente loi.

 [Je souligne.]

[10]             Les règles d’attribution sont des dispositions anti-évitement qui visent à contrer certaines planifications fiscales visant à fractionner le revenu d’un contribuable en le répartissant entre des personnes dont le taux d’imposition marginal est moins élevé que celui du contribuable.

[11]           Le par. 74(1) a été abrogé par S.C. 1986, ch. 6, par. 37(1), applicable aux transferts de biens effectués après le 22 mai 1985 et les nouvelles règles d’attribution se sont retrouvées dans les nouveaux paragraphes 74.1 à 74.5, qui ont été ajoutés par S.C. 1986, ch. 6, par. 38(1), applicable, pour ce qui est de l’art. 74.1, du par. 74.2(1), de l’art. 74.3 et des par. 74.5(1) à (11), aux transferts de biens effectués après le 22 mai 1985 et aux prêts non remboursés le 22 mai 1985 ou après; toutefois, dans le cas d’un prêt non remboursé le 22 mai 1985, l’art. 74.1 et le par. 74.2(1) ne s’appliquent pas aux prêts remboursés avant 1988; et si un prêt n’est pas remboursé avant 1988, l’article 74.1 ne s’applique pas à un revenu ou à une perte, selon le cas, qui se rapporte à une période se terminant avant 1988.

Le par. 74(1) était analogue au par. 21(1), S.R.C. 1952, ch. 148, modifié par S.C. 1955, ch. 54, par. 3(1). À ce propos, signalons que le par. 21(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, est ainsi rédigé :

Lorsqu’une personne a, le ou après le premier jour d’août mil neuf cent dix-sept, transporté des biens, directement ou indirectement, par voie de fiducie ou par tout autre moyen que ce soit, à son conjoint, ou à une personne qui est depuis devenue son conjoint, le revenu pour une année d’imposition tiré des biens ou de biens y substitués est réputé le revenu du cédant et non celui du cessionnaire.

[Je souligne.]

[12]           Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd. Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 382, par. 1235 et suivants.

[13]          Dont la version originale a été ajoutée à la Loi de l’impôt sur le revenu en 1951. Voir la note 9 plus haut.

[14]          Dont la version originale, qui n’était que légèrement différente de celle de la Loi de 1952, a été incluse dans la Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917.

[15]          J’utiliserai cette même désignation dans ces motifs.

[16]          Idem.

[17]          Ci-après appelée la Loi de 1948.

[18]          On pourrait le dire autrement comme suit: il faut que le bien quitte le patrimoine de l'auteur du transfert et qu’il entre dans celui du bénéficiaire.

[19]          Voir également la décision du juge Tardif dans l’affaire Lacroix c. La Reine, 2011 CCI 111, 2011 DTC 1101, en particulier les paragraphes 40 et 41.

[20]          Les dispositions en litige dans Fasken Estate sont énoncées aux pp. 586 et 587 de cette décision :

   The appeals involve the construction of the statutory enactments referred to by the Minister in his decision. Section 4(4) of the Income War Tax Act, 1917, Statutes of Canada, 1917, chap. 28, which will hereafter be referred to as the 1917 Act, provided as follows:

    4. (4) A person who, after the first day of August, 1917, has reduced his income by the transfer or assignment of any real or personal, movable or immovable property, to such person's wife or husband, as the case may be, or to any member of the family of such person, shall, nevertheless, be liable to be taxed as if such transfer or assignment had not been made, unless the Minister is satisfied that such transfer or assignment was not made for the purpose of evading the taxes imposed under this Act or any part thereof.

   By Section 7 of An Act to Amend the Income War Tax Act, 1917, Statutes of Canada, 1926, chap. 10, which will hereafter be referred to as the 1926 Act, it was provided:

    7. Subsection four of section four of the said Act is hereby repealed and the following substituted therefor: —

    (4) For the purposes of this Act, — 

(a)  Where a person transfers property to his children such person shall nevertheless be liable to be taxed on the income derived from such property or from property substituted therefor as if such transfer had not been made, unless the Minister is satisfied that such transfer was not made for the purpose of evading the taxes imposed under this Act.

(b)  Where a husband transfers property to his wife, or vice versa, the husband or the wife, as the case may be, shall nevertheless be liable to be taxed on the income derived from such property or from property substituted therefor as if such transfer had not been made.

   […] Finally section 32(2) of the Income War Tax Act, R.S.C. 1927, chap. 97, which will hereafter be referred to as the 1927 Revision, provides:

   32.(2) Where a husband transfers property to his wife, or vice versa, the husband or the wife, as the case may be, shall nevertheless be liable to be taxed on the income derived from such property or from property substituted therefor as if such transfer had not been made.                              [Je souligne.]

[21]          Voir en particulier le paragraphe 17 de cette décision.

[22]          Voir le Bulletin d’interprétation IT-260R, cité dans Harvey, précité, au paragraphe 10 (QL fr.)

[23]          À titre d'exemple, voir Nadeau c. MNR, 2003 CAF 400, [2004] 1 R.C.F. 587, 2003 DTC 5736, 312 N.R. 257, [2004] 1 C.T.C. 293, par. 30 à 34. Je reproduis ici les par. 29 et 30 de l’arrêt de la Cour d’appel fédéral:

[29] N’eut été de cette jurisprudence bien ancrée, la thèse développée par le juge Archambault serait fort défendable. Mais au point où nous en sommes, j’ai peu de difficulté à conclure qu’un revenu issu d’une pension alimentaire est un revenu de bien et qu’à ce titre, les dépenses encourues pour en obtenir le paiement peuvent être déduites en vertu des règles prévues à la sous-section b.

[30] Comme l’a rappelé  le juge Bowie dans l’affaire Sabour, supra, il s’agit là du traitement que prône et applique le ministre depuis plus de 40 ans. Il est loisible de croire que si ce traitement était en quelque point contraire aux vœux du Parlement, une modification aurait été apportée.

[Je souligne.]

[24]          Voir le par. 21 des présents motifs.

[25]          En vertu de la Loi de l’impôt sur les corporations, S.R.Q. 1964, ch. 67 et mod.

[26]          Une décision semblable, quoique fondée sur des motifs exprimés quelque peu différemment, a été rendue par la Cour d'appel fédérale dans l’affaire ADP Canada Co. c. R, 2009 CAF 117, 2009 CarswellNat 3906, [2009] 4 C.T.C. 277, 389 N.R. 55, 2009 DTC 5091. ADP versait, pour le compte de ses clients, aux employés de ceux-ci leurs salaires et versait aux autorités fiscales les retenues au titre des charges sociales y afférentes. La question en litige, qui comme dans Victuni, portait sur le calcul de la taxe sur le capital, était de savoir si une somme de 1,1 milliard de dollars reçue par ADP pour effectuer ces versements devait, en application de l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi, être ajoutée à son « capital imposable » et à son « capital imposable utilisé au Canada » à titre d'avances. Voici ce qu’écrit le juge Létourneau:

25  Les seules dettes que les clients avaient envers ADP étaient les frais imputables au contrat de services. Le montant de 83 milliards de dollars, dont faisait partie la somme de 1,1 milliard de dollars en litige, était une dette contractée par les clients envers leurs employés et le fisc. Les fonds visaient à payer les dettes de ces débiteurs, à savoir les clients d'ADP. ADP ne faisait qu'aider les débiteurs en question à payer leur dette. ADP n'était pas le créancier des fonds dus et, en conséquence, ces fonds ne pouvaient constituer une avance versée à ADP.

27    Je ne crois pas qu'on puisse douter que le montant de 1,1 milliard de dollars est une dépense engagée par les clients d'ADP, et non une dépense d'ADP, qui agissait comme simple intermédiaire pour s'assurer que les sommes dues aux employés des clients, au titre de leur salaire, et aux autorités fiscales, au titre de l'impôt, étaient versées à temps aux bénéficiaires prévus. Il n'est donc pas étonnant qu'ADP ne réclame pas cette dépense dans ses états financiers de 2001 et de 2002 […]

34  Aux termes du contrat de services qu'elle a conclu, ADP agissait comme intermédiaire pour s'assurer que les sommes dues par ses clients aux employés de ces derniers et au fisc soient versées à temps. La nature des services offerts par ADP impliquait le traitement et le transfert des fonds des clients aux personnes à qui ils étaient dus et qui en étaient les bénéficiaires prévus. Les fonds constituaient les biens à transférer. Ils ne constituaient pas des « avances » consenties à ADP parce qu'ils n'étaient pas un paiement fait à ADP avant qu'il soit dû, une somme à valoir sur le prix de services, versée avant que les services ne soient rendus, ou une somme payée à ADP au titre d'une dépense engagée par ADP.                                                             [Je souligne]

 

Ici, à mon avis, le mot « transférer » utilisé par le juge Létourneau a le sens de « virer ». Voir le Petit Robert et les commentaires plus bas au par. 62.

[27]          Dans La Reforme du Code civil, tome 2, Les Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy (Québec), 1993, à la page 887, au chapitre intitulé « Le nouveau droit du mandat ».

[28]          Voir notamment l'art. 1671 C.c.Q.

[29]          Aux articles 1299 à 1370.

[30]          La Reforme du Code civil, précité, p. 890.

[31]           Voir le par. 21 de cet arrêt reproduit précédemment.

[32]          En fait, le relevé du compte bancaire ne révèle aucun crédit pour des intérêts.

[33]          Comme cela était le cas dans l'affaire ADP Canada Co. mentionnée plus haut.

[34]           Voir notamment la décision ADP Canada Co., précitée.

[35]          La référence complète est Raymond Chabot inc., ès qualités de syndic à l'actif de 9083-4185 Québec inc., faillie, et Caisse populaire Desjardins de Montmagny, c. Sous-ministre du Revenu du Québec et 9083-4185 Québec inc., et l'Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation, [2007] J.Q. no 14712 (QL) 2007 QCCA 1837, J.E. 2008-155, [2008] R.J.Q. 39, [2008] R.D.F.Q. 5 (9083-4185 Québec Inc.).

[36]          Par. 1 de la décision.

[37]          [1995] J.Q. no 1872 (QL) EYB 1995-86811

[38]          [1993] J.Q. no 2603 (QL), J.E. 93-1872, (Cour supérieure du Québec).

[39]          Art. 733 C.p.c.

[40]          Alinéa 734(1) C.p.c.

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