Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2011-1396(IT)G

ENTRE :

OM P. MITTAL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 14 novembre 2012, à Toronto (Ontario).

 

Par : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

MErnesto Caceres

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2006 et 2007 sont accueillis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les pertes de 35 226 $ et de 23 659 $ que l’appelant a subies en 2006 et en 2007, respectivement, sont des pertes d’entreprise. Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2012.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30jour de janvier 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 417

Date : 20121128

Dossier : 2011-1396(IT)G

 

ENTRE :

 

OM P. MITTAL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

 

[1]             M. Mittal affirme être un commerçant en valeurs mobilières et, à ce titre, a demandé la déduction de pertes d’entreprise de 35 226 $ et de 23 659 $ pour 2006 et 2007, respectivement, à l’égard de cette activité. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les déductions demandées à titre de pertes d’entreprise, et les a considérées comme des pertes en capital, étant donné que M. Mittal n’était ni un commerçant en valeurs mobilières ni une personne participant à un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

Les faits

 

[2]             Les pertes de M. Mittal pour 2004 et 2005 ont été imputées au capital, mais M. Mittal et l’intimée ont conclu une entente de règlement dans laquelle l’intimée a accepté que les pertes de M. Mittal pour 2005 étaient des pertes d’entreprise. Outre le fait de mentionner qu’il avait effectué une centaine d’opérations portant sur 49 591 actions en 2005 pour plus d’un million de dollars d’achats et de ventes, l’appelant n’a présenté aucun autre élément de preuve concernant les circonstances entourant ses opérations de négociation en 2005.

 

[3]             M. Mittal est un ingénieur qui a travaillé à Shaw Canada de 1998 à 2012. En 2006 et en 2007, il a travaillé en moyenne 32 heures par semaine à Shaw Canada.

 

[4]             M. Mittal a précisé qu’il avait son propre compte de titres dès 2000, mais il a soutenu qu’il avait réellement commencé à faire des opérations de négociation en 2004. Il a fourni un plan d’affaires préparé en 2005 qu’il convient de reproduire ci‑après :

 

[traduction]

 

Plan d’affaires — Opérations sur des valeurs mobilières

 

1.         Épanouissement personnel

Garder une bonne attitude positive et réduire les influences négatives. Faire un effort pour tourner le dos au négativisme et éviter de lire ou d’écouter des commentaires négatifs, tout en recherchant aussi des commentaires positifs

a.                   Lire des documents portant sur l’attitude positive;

b.                  Automotivation positive;

c.                   Faire de l’exercice pour conserver une bonne santé physique et mentale;

d.                  Pratiquer le YOGA environ 5 jours par semaine.

 

2.                  Énoncé de mission

a.                   Consacrer du temps à la recherche dans les journaux et les livres à caractère financier ainsi qu’à l’égard du marché financier;

b.                  Regarder des émissions télévisées choisies portant sur les affaires comme celles diffusées par la BNN;

c.                   Porter attention aux fluctuations de prix relativement aux conditions existantes sur le marché concernant les opérations de négociation;

d.                  Enrichir l’esprit au moyen de nouvelles idées;

e.                   Effectuer des opérations boursières « en ligne » à la Bourse de Toronto;

f.                   Éviter d’effectuer des opérations sur des contrats à terme standardisés, sur des marchandises ou sur devises;

g.                  Limiter les risques.

 

3.                  Détermination des objectifs

a.                   Essayer d’effectuer en moyenne trois opérations de négociation par semaine;

b.                  Conserver un état mental et émotionnel solide;

c.                   Améliorer mes connaissances et mes compétences.

 

4.                  Engagement financier

a.                   Approvisionner mon compte au moyen de mes économies pour une somme minimale de 100 000 $;

b.                  Utiliser le compte sur marge lorsque cela est nécessaire pour de courtes périodes;

c.                   Emprunter environ 50 000 $ à Veenu Mittal et à Neil Mittal;

d.                  Utiliser la ligne de crédit TD Canada Trust pour de courtes périodes.

 

5.                  Engagement concernant le temps

a.                   Consacrer à l’activité une moyenne de 25 heures pas semaine;

b.                  Effectuer une analyse quotidienne des opérations;

c.                   Effectuer une analyse quotidienne du marché;

d.                  Regarder des émissions télévisées choisies portant sur les affaires lorsque cela est nécessaire;

e.                   Tenir des registres relatifs aux transactions sur une base hebdomadaire;

f.                   Lire des journaux et des livres à caractère financier.

 

6.                  Tenue de registres

a.                   Consigner toutes les opérations commerciales;

b.                  Assurer un suivi mensuel des profits et des pertes.

 

7.                  Méthodologie relative aux opérations

a.                   Examiner les recommandations et l’analyse des risques provenant d’institutions financières comme la TD Waterhouse et la BMO Ligne d’action;

b.                  Étudier les recommandations concernant les titres les plus recommandés par des émissions télévisées comme celles de la BNN;

c.                   Examiner les recommandations de la rubrique « Achats et ventes » de journaux financiers;

d.                  Vérifier si un titre a chuté ou s’il a connu une forte appréciation;

e.                   Vérifier s’il existe des nouvelles importantes concernant des titres telles qu’une offre publique d’achat;

f.                   Effectuer un examen approfondi en fonction des éléments suivants :

·         Évaluation des titres – BPA, RCB, RCI, ratio cours ventes, capitalisation boursière, BAIIA, valeur comptable d’une action, etc.

·         Volatilité;

·         Rendement, stabilité du revenu, ratio dividendes/bénéfice, perspectives d’affaires, liquidité, scénario concernant des taux d’intérêt, ratio capitaux/emprunts propres;

·         Antécédents de croissance, potentiel de gains, dividendes éventuels et occasions d’affaires;

·         Facteurs géopolitiques;

·         Valeurs cycliques;

·         Questions liées à la gestion, telles que les opérations d’initiés.

g.                  Moment de prise de décision – achat, vente, prix cible, financement.

h.                  Sortie – vendre les titres, s’il ressort de l’analyse qu’il faut vendre et prendre les pertes ou les profits.

 

8.                  Règles de retrait

a.                   Arrêter immédiatement les opérations lorsque le solde du compte affiche une diminution de plus de 50 % du capital de base et examiner les problèmes qui se sont posés. Par exemple :

·         Non-exécution d’une transaction lorsque les signaux sont donnés;

·         Exécution de transactions en l’absence de tout signal;

·         Fait de permettre que les pertes excèdent les montants prédéterminés;

·         Si l’une ou l’autre de ces possibilités devait se produire, mon plan d’intervention est le suivant : « Me tenir à l’écart des marchés pendant une semaine pour réévaluer les opérations de négociation que j’effectue, les conditions actuelles du marché, la gestion du risque que je mène ainsi que ma stabilité mentale et émotionnelle. Prendre des vacances si nécessaire. »

 

9.                  Rémunération

a.                   Je n’effectuerai aucun retrait de fonds de l’activité jusqu’à ce que je décide de prendre ma retraite de mon emploi. J’utiliserai tous les profits pour obtenir une meilleure expansion de mes activités.

 

[5]             M. Mittal s’est décrit comme étant un bourreau de travail. Il lit énormément (il a énuméré 16 livres liés à la finance) et a eu recours à diverses sources pour acquérir les connaissances financières qu’il estimait nécessaires pour entreprendre ses opérations de négociation. Il a étudié les renseignements contenus dans les sites Internet comme ceux de la TD Waterhouse et de la BMO Ligne d’action, il regarde des émissions télévisées liées à la finance et aux affaires et assiste à de nombreux séminaires sur la finance. Il a consigné dans un registre le temps qu’il consacre à ses activités liées aux opérations de négociation, y compris ces recherches, ainsi que les opérations de négociation effectuées, la tenue de ses registres, les opérations bancaires ainsi que toute autre activité accessoire. Il ressort de ses registres qu’il consacrait en moyenne 25 heures par semaine à cette activité. Il a tenu des registres détaillés de toutes ses opérations.

 

[6]             M. Mittal m’a permis d’examiner ses opérations en 2006. Elles étaient nombreuses et portaient sur les sociétés suivantes : Alcan, Banque de Montréal, Banque de la Nouvelle‑Écosse, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Enervest, ING, Loblaws, ISHARE, Banque Nationale, Riocan, Banque Royale du Canada, Shoppers Drug Mart, Sun Life, Group TSX, Teranet, Banque Toronto‑Dominion, PagesJaunes et Toronto-Dominion RR Bonds. Il avait acquis des actions de ces sociétés en 2006, et il les avait vendues le même jour, quelques jours plus tard ou certainement avant la fin de l’année : il s’agissait exclusivement de titres détenus à court terme. En 2006, il y a eu sept ventes d’actions (Advantex, Homeserve, Northgate Exploration, TS Telecom, TD Monthly Inc., TAL China et AGF Aggregate growth) que M. Mittal avait acquises avant 2005. En 2006, M. Mittal a effectué des opérations au cours d’une soixantaine de jours, ce qui représente 160 opérations, pour une valeur de 3 237 279 $.

 

[7]             Parmi les 27 actions ayant fait l’objet d’une opération en 2006, 19 actions ne donnaient pas droit à des dividendes. Bon nombre d’entre elles étaient des actions de premier ordre, et deux, à savoir Northgate Exploration et TALVEST China Plus, ont été qualifiées de spéculatives par M. Mittal. Le portefeuille d’actions consistait en 18 actions négociées sur le marché, en quatre fonds communs de placement, en quatre fonds à revenus fixes et en une obligation.

 

[8]             Le financement de ces activités provenait des économies de M. Mittal (environ 100 000 $), de prêts sans intérêts remboursables à vue contractés auprès de ses deux fils (un de 41 000 $ et un autre de 10 000 $ — un des fils a obtenu remboursement en 2008), d’une ligne de crédit utilisée occasionnellement pour des placements à court terme et d’un compte sur marge rarement utilisé.

 

[9]             M. Mittal a également fait des placements pour d’autres membres de la famille, y compris son épouse, ses fils et sa belle‑fille, pour plus de 700 000 $.

 

[10]        Le volume des opérations en 2007 était largement inférieur à celui de 2006 (29 opérations sur 10 jours). La plupart de ces opérations étaient des ventes et seulement une poignée représentait des achats. La majorité des opérations ont été effectuées dans les trois premiers mois de l’année.

 

[11]        M. Mittal a expliqué que, d’après ses recherches, le marché américain et l’endettement des ménages en 2007 et au début de 2008 suscitaient des inquiétudes. Il a donc fortement réduit ses activités. Il affirme que les événements de 2008 lui ont donné raison.

 

[12]        L’intention de M. Mittal était de faire de la négociation son activité de retraite.

 

La question en litige

 

[13]        M. Mittal était‑il un commerçant en valeurs mobilières en 2006 et en 2007 ou était-il une personne participant à un projet comportant un risque de caractère commercial, ce qui lui donnerait le droit de déduire des pertes d’entreprise de 35 226 $ et de 23 659 $, respectivement?

 

L’analyse

 

[14]        Une perte autre qu’une perte en capital ou une perte d’entreprise est la perte subie par un contribuable à l’égard d’une entreprise, l’entreprise étant définie à l’article 248 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») comme comprenant les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit […] et les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial.

 

[15]        Il existe une jurisprudence abondante concernant ce qui constitue le fait d’entreprendre des activités boursières, qui permet aux contribuables de déduire des pertes subies à l’égard de cette activité. L’arrêt de principe, Her Majesty the Queen v. Vancouver Art Metal Works Ltd.[1], énonce les facteurs suivants, souvent cités, qu’il faut examiner pour résoudre cette question :

 

a)       la fréquence des transactions;

 

b)      la durée de détention des actions;

 

c)       l’intention d’acquérir des actions en vue de les revendre à profit;

 

d)      la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues;

 

e)                 le temps consacré à l’activité.

 

[16]        Dans le récent arrêt Baird c. Canada[2], la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur un arrêt de longue date rendu par la Cour suprême du Canada, à savoir Irrigation Industries Ltd. v. Minister of National Revenue[3], pour définir ce qu’est un projet comportant un risque de caractère commercial, au moyen de principes positifs et négatifs :

 

[…]

[traduction]

           

Les critères positifs qui ressortent de la jurisprudence et qui indiquent l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial sont les suivants : (1) la personne a-t-elle agi lors de l’achat des biens de la manière dont agit habituellement un négociant et (2) la nature et la quantité des biens qui ont fait l’objet de la transaction peuvent-elles exclure la possibilité que leur vente ait été la réalisation d’un placement, ou ait été de la nature d’un capital ou qu’elle ait pu avoir lieu autrement qu’à titre de transaction commerciale?

 

21.       Dans la décision Taylor, le président Thorson a également formulé des critères qu’il a décrits comme des critères négatifs. Le juge Cartwright a énoncé ces critères dans les motifs dissidents qu’il a rédigés dans Irrigation Industries, au paragraphe 49 :

 

                        [traduction]

 

(i)         La conclusion d’une seule transaction isolée ne peut pas constituer un critère lorsqu’il s’agit de savoir s’il s’agissait d’un projet comportant un risque de caractère commercial – c’est la nature de la transaction, et non son caractère unique ou isolé, qu’il faut établir;

 

(ii)        Pour qu’une transaction soit un projet comportant un risque de caractère commercial, il n’est pas essentiel qu’une organisation soit créée afin de mener la transaction à bonne fin;

 

(iii)       Le fait qu’une transaction est tout à fait différente, quant à sa nature, des autres activités du contribuable et que le contribuable n’a jamais auparavant, ni depuis lors, conclu une transaction de ce genre n’empêche pas en soi la transaction d’être un projet comportant un risque de caractère commercial;

 

(iv)       L’intention de vendre le bien acheté en réalisant un bénéfice ne constitue pas en soi un critère permettant de déterminer si le bénéfice est assujetti à l’impôt puisque l’intention de réaliser un bénéfice peut tout aussi bien se rapporter à une transaction conclue à titre de placement qu’à une transaction commerciale. Les considérations qui ont amené la conclusion de la transaction peuvent être d’une nature commerciale telle que la transaction revêt le caractère d’un projet comportant un risque de caractère commercial même en l’absence de l’intention de réaliser un bénéfice au moment de la vente du bien acheté.

 

[17]        Dans une décision de la Cour, Rajchgot c. Canada[4], le juge en chef Rip a résumé de manière succincte la tâche du juge dans ces affaires de la manière suivante :

 

[…] Ce n’est ni l’absence ni l’existence de l’un au moins de ces critères qui permet de déterminer si une opération est imputable au capital ou au revenu; c’est l’effet combiné de tous ces facteurs qui est important. Il n’y a pas de formule magique pour déterminer quels sont les facteurs qui sont plus ou moins importants. Certains facteurs se complètent. Chaque cas est différent. Le juge doit soupeser tous ces facteurs. […]

 

 

[18]        Enfin, dans la récente décision Zsebok c. Canada[5], la juge Sheridan a conclu que, pour être qualifié de « commerçant » (en valeurs mobilières), l’appelant devait prouver, hormis les facteurs susmentionnés, qu’il possédait « […] une connaissance particulière ou spéciale du marché sur lequel il négocie ». La juge Sheridan s’est fondée sur les observations faites par le juge Noël dans la décision Kane v. Canada[6]. Dans cette décision, toutefois, le juge Noël devait se pencher sur la question de savoir si le contribuable tombait sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 39(4) de la Loi[7], qui empêche les « commerçants » d’exercer le choix. Le juge Noël s’était cependant exprimé de la manière suivante :

 

[…] Les facteurs sur lesquels la Cour d’appel a mis l’accent ont toujours été appliqués sans distinction pour désigner tant les personnes qui exploitent une entreprise au sens véritable du terme que celles qui exploitent une entreprise du fait qu’elles se sont engagées dans un projet comportant un risque ou des risques de caractère commercial. Étant donné qu’ils indiquent l’existence d’un commerce, il doit être jugé qu’ils existent dans une certaine mesure en vertu d’une analyse ou de l’autre avant qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une entreprise à des fins fiscales. Habituellement, la distinction importe peu puisque le traitement fiscal des bénéfices et des pertes découlant d’une entreprise est généralement le même, et ce, qu’il soit conclu que l’entreprise existe en tant que telle ou que son existence soit fondée sur la définition du mot, "entreprise" au sens large. Par conséquent, les tribunaux n’en ont pas tenu compte ou en ont peu tenu compte. […]

 

[19]        Compte tenu de ces principes, M. Mittal était‑il un commerçant en valeurs mobilières, qui exploitait une entreprise, ou s’agissait-il d’une personne participant à un projet comportant un risque de caractère commercial? Suivant les observations du juge Noël, il n’est pas nécessaire, pour trancher la question de savoir si M. Mittal a le droit de déduire des pertes d’entreprise, d’établir une distinction entre les deux. Il suffit à M. Mittal de répondre à l’exigence la moins lourde des deux, à savoir participer à un projet comportant un risque de caractère commercial. J’analyserai les facteurs habituels, mais il convient de prendre du recul et d’avoir une impression générale de ce que faisait M. Mittal : l’impression générale est celle d’une personne qui consacre beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, d’une manière très organisée et professionnelle, à faire des placements sur le marché boursier, au point où elle entendait se consacrer entièrement à cette activité après sa retraite. Malheureusement pour M. Mittal, il s’est avéré que cette activité n’était pas aussi rentable qu’il l’avait espéré. Toutefois, le fait que cette activité ne soit pas rentable n’en fait pas moins un projet comportant un risque.

 

[20]        J’examine à présent les facteurs permettant d’appuyer l’impression générale qui m’amène à conclure que M. Mittal participait, à tout le moins, à un projet comportant un risque de caractère commercial.

 

a)       La fréquence des transactions

 

[21]        Je souscris à l’idée selon laquelle il n’existe pas de formule magique, ou de critère de démarcation nette, qui justifie que, si vous effectuez par exemple 50 opérations, cela doit constituer un projet comportant un risque. À une extrémité se trouve l’achat d’un seul titre, détenu pendant une longue période, et à l’autre extrémité se trouvent l’achat et la vente au quotidien, tout au long de l’année, de dizaines de titres, dont certains, s’il en est, sont détenus pendant une longue période. Où se situe M. Mittal entre ces deux extrémités quant à la fréquence des transactions ? Je conclus qu’il ressemble beaucoup plus à un spéculateur à très court terme compte tenu de ses 160 opérations éparpillées tout au long de l’année, plutôt qu’à une personne qui effectue simplement des opérations occasionnelles isolées. L’intimée soutient que le fait d’effectuer des opérations pendant seulement 60 jours au cours de l’année, avec une moyenne d’environ trois opérations par semaine uniquement, n’est pas suffisant pour justifier le statut de « projet comportant un risque ». Dès lors, est‑il suffisant de procéder à des opérations pendant 100 jours, avec une moyenne de cinq opérations par semaine? Comme cela a déjà été souligné, le critère ne peut pas être réduit à une telle formule mathématique. Je conclus que le nombre d’opérations effectuées par M. Mittal et le nombre de jours de transactions boursières constituent la preuve qu’une personne participe à un projet comportant un risque. Toutefois, ce facteur à lui seul n’est pas déterminant.

 

b) et c)        La durée de détention des actions et l’intention d’acquérir des actions en vue de les revendre à profit

 

[22]        Il ressort clairement de l’examen des opérations effectuées par M. Mittal que la grande majorité des opérations concernaient des titres détenus à court terme. Oui, il y a des titres qui ont été vendus en 2006 ou en 2007, qui avaient été acquis en 2005 ou auparavant, mais ils ne sont pas nombreux (environ 7) si l’on tient compte du nombre total d’opérations effectuées. Cette situation traduit l’intention de M. Mittal de les revendre à profit. Cela est regrettable pour M. Mittal, vu qu’il ne semble pas avoir joué à la bourse avec autant d’efficacité qu’il l’aurait souhaité, mais il n’y a aucun doute que jouer à la bourse était bien ce qu’il faisait.

 

[23]        L’intention de M. Mittal à cet égard a été confirmée par la preuve qu’il a produite selon laquelle le commerce de valeurs mobilières serait sa seule activité après sa retraite. Selon l’interprétation de l’intimée, cette preuve laisse entrevoir que l’activité boursière constituait le fond de retraite de M. Mittal : effectuer des placements maintenant pour obtenir des bénéfices à la retraite. Telle n’est pas l’interprétation que j’ai faite de l’intention de M. Mittal. Son intention n’était pas de faire des placements maintenant pour réaliser des bénéfices à la retraite. Son intention était de devenir suffisamment bon en tant que commerçant de valeurs mobilières pour tirer des bénéfices continus de son activité boursière, une activité à laquelle il pourrait consacrer tout son temps pendant sa retraite, et non simplement une partie de son temps.

 

[24]        Je conclus que ce facteur milite résolument en faveur d’une personne qui participe à un projet comportant un risque, sinon en effet, d’un véritable commerçant en valeurs mobilières.

 

d)      La nature et la quantité des valeurs mobilières détenues

 

[25]        M. Mittal avait certainement acquis certaines actions de premier ordre, mais ce fait est occulté par la revente rapide de la plupart de ces titres. Ils ne semblent pas avoir été acquis à long terme. Je suis d’avis que M. Mittal avait un portefeuille plutôt diversifié. Il ne se limitait pas simplement à une poignée d’actions bancaires, par exemple. Il ne disposait que d’une seule obligation et de quatre fonds communs de placement, des mises assez sécuritaires, et plaçait le plus gros de son argent dans des actions négociées sur le marché. L’intimée soutient que M. Mittal n’effectuait pas d’opérations sur des titres à risque élevé. J’admets que la majorité, quoique pas la totalité, de ses placements en valeurs mobilières était constituée d’actions de premier ordre, mais je conclus que ce facteur à lui seul ne constitue pas une manifestation claire du fait que M. Mittal ne participait pas à un projet comportant un risque. Je considère ce facteur comme étant neutre.

 

[26]        En ce qui concerne le risque, l’intimée avance que M. Mittal n’était pas fortement endetté, qu’il avait principalement compté sur ses propres fonds. Certes, mais il avait contracté des prêts auprès de sa famille et avait utilisé une ligne de crédit et un compte sur marge, quoique de manière modérée. Je considère ces dispositions prises pour le financement comme un facteur neutre.

 

e)       Le temps consacré à l’activité

 

[27]        Selon la preuve non contredite de M. Mittal, ce dernier consacrait environ 25 heures par semaine à ses activités boursières, en tenant compte du temps de recherche et d’étude. M. Mittal a manifestement tenté de maîtriser le marché autant que le temps le lui permettait, non seulement pour son propre compte, mais aussi pour le compte de membres de sa famille. Il ne s’agissait pas de faire des appels épisodiques, ou des vérifications occasionnelles d’inscriptions des titres à la cote dans les journaux; il s’agissait de suivre le marché avec assiduité, d’étudier le marché et, pour reprendre une expression que j’ai utilisée plus tôt, de jouer à la bourse. C’est là un exemple classique d’une participation à un projet comportant des risques.

 

[28]        Bien que j’aie principalement parlé de l’année 2006, mon opinion vaut également pour l’année 2007. Certes, il y a eu une baisse d’opérations, et une activité réduite, mais la plus grande partie de cette activité a eu lieu au cours des premiers mois de l’année. J’admets le témoignage de M. Mittal selon lequel ses recherches l’avaient amené à agir avec précaution dans la dernière moitié de 2007. Il serait illogique de considérer qu’en 2007, son activité constituait moins un projet comportant un risque qu’en 2006.


 

[29]        Les appels interjetés pour les années 2006 et 2007 sont accueillis et l’affaire est déférée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les pertes que M. Mittal a subies en 2006 et en 2007 sont des pertes d’entreprise. Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2012.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30jour de janvier 2013.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 417

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1396(IT)G

                                                         

INTITULÉ :                                      OM P. MITTAL c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 novembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

 

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

MErnesto Caceres

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                        s/o

      

            Nom :

 

            Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           93 DTC 5116 (CAF).

 

[2]           2010 CAF 35.

 

[3]           [1962] R.C.S. 346.

 

[4]           2004 CCI 548.

 

[5]           2012 CCI 99.

 

[6]           [1995] 1 C.T.C 1.

 

[7]           Sauf dans les cas prévus au paragraphe (5), lorsqu’un contribuable dispose d’un titre canadien au cours d’une année d’imposition et qu’il exerce un choix, selon le formulaire prescrit, dans sa déclaration de revenu produite pour l’année en vertu de la présente partie :

a)         chacun des titres canadiens qu’il possède au cours de l’année ou de toute année d’imposition ultérieure est réputé avoir été une immobilisation qu’il possédait au cours de ces années;

b)         chaque disposition par le contribuable d’un tel titre canadien est réputée être une disposition par lui d’une immobilisation.

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.