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Dossier : 2010-1632(GST)G

ENTRE :

ALLAN A. CHELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels

d’Allan A. Chell (2010-1633(IT)G et 2010-1634(IT)G)

les 9 et 10 octobre 2012, à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

Avocate de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie à l’endroit de l’appelant en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 5 mai 2008 et porte le numéro 677649, est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

Dossier : 2010-1633(IT)G

ENTRE :

ALLAN A. CHELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels

d’Allan A. Chell (2010-1632(GST)G et 2010-1634(IT)G)

les 9 et 10 octobre 2012, à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

Avocate de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard des cotisations établies à l’endroit de l’appelant en vertu de l’article 227.1 et du paragraphe 227(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005 en ce qui a trait à la responsabilité de cDemo Inc. relativement aux retenues à la source de l’impôt fédéral sur les traitements et salaires des employés de cDemo Inc. est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 

 

 


 

 

 

Dossier : 2010-1634(IT)G

ENTRE :

ALLAN A. CHELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels

d’Allan A. Chell (2010-1632(GST)G et 2010-1633(IT)G)

les 9 et 10 octobre 2012, à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

Avocate de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard des cotisations établies à l’endroit de l’appelant en vertu de l’article 227.1 et du paragraphe 227(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004 et 2005, en ce qui a trait à la responsabilité de Global Autolink Corp. relativement aux retenues à la source de l’impôt fédéral sur les traitements et salaires des employés de Global Autolink Corp. est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 

 


 

 

 

Référence : 2013CCI29

Date : 20130128

Dossiers : 2010-1632(GST)G

2010-1633(IT)G

2010-1634(IT)G

ENTRE :

ALLAN A. CHELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

[1]             L’appelant, Allan A. Chell, interjette appel de trois cotisations établies à son égard le 5 mai 2008 relativement à sa responsabilité d’administrateur. La première cotisation a trait au fait que cDemo Inc. (« cDemo ») a omis de verser des retenues à la source prélevées sur le salaire de ses employés (les « retenues à la source ») pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005. Cette cotisation s’élève à 53 768,95 $. La deuxième cotisation a trait au fait que cDemo a omis de verser certains montants de taxe sur les produits et services (« TPS ») en 2005. Cette cotisation s’élève à 3 289,39 $. La troisième cotisation a trait au fait que Global Autolink Corp. (« Global ») a omis de verser des retenues à la source prélevées sur le salaire de ses employés. Cette cotisation s’élève à 239 838,42 $. Ces appels ont été entendus sur preuve commune.

 

Le contexte

 

[2]             L’appelant est consultant dans l’industrie de l’automobile. En 2001, il est devenu administrateur de cDemo, société de conception de logiciels à la fondation de laquelle il a contribué. Cette société a conçu une technologie facilitant les inspections de voitures au moyen d’applications pour téléphones intelligents.

 

[3]             En 2000, l’appelant est devenu administrateur de Global, société dont il était cofondateur. Au départ, cette société achetait des voitures au Canada pour les revendre à l’étranger. Autour de 2003, du fait de la vigueur du dollar canadien, Global a modifié son modèle opérationnel et s’est dès lors consacrée à fournir des solutions technologiques à des clients souhaitant vendre des voitures en ligne. Pour ce faire, Global a obtenu une licence d’exploitation de technologie de cDemo. Dans l’ensemble, la clientèle de Global était constituée de constructeurs automobiles, d’entreprises de location de voitures, d’entreprises de crédit-bail de parcs de véhicules et d’entreprises de vente aux enchères de véhicules.

 

[4]             L’appelant était chargé du développement des affaires pour les deux sociétés.

 

[5]             Au milieu des années 2000, cDemo et Global sont toutes deux devenues insolvables. À l’époque, les deux sociétés avaient pris du retard dans leurs versements à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[6]             Après la démission de tous les autres administrateurs, l’appelant s’est retrouvé seul administrateur de cDemo et de Global. La preuve montre qu’en janvier 2006, l’appelant a posté une lettre adressée aux bureaux de cDemo et de Global, dans laquelle il faisait part de son intention de démissionner de son poste d’administrateur et de dirigeant de chacune des deux sociétés. Quatre à six semaines plus tard, l’appelant a remis une copie de cette lettre à l’avocat qui avait agi pour le compte des deux sociétés. Apparemment, comme cDemo et Global avaient des dettes envers l’avocat, celui‑ci n’a entrepris aucune démarche relativement à la lettre. Aucun changement n’a été apporté au registre des sociétés de l’Alberta pour faire savoir que l’appelant n’était plus administrateur des deux sociétés.

 

[7]             En dépit de sa lettre de démission, l’appelant a continué de jouer un rôle actif tant auprès de cDemo que de Global. Il a continué de rencontrer des représentants de l’ARC pour discuter, entre autres choses, des obligations financières de cDemo et de Global relatives aux retenues à la source et à la TPS. Ces rencontres ont eu lieu à plus ou moins quelques semaines d’intervalle tout au long de l’année 2006 et au début de l’année 2007.

 

[8]             En février 2007, l’appelant a informé l’ARC qu’un ancien employé de cDemo pourrait être intéressé par l’achat d’éléments d’actif de cDemo. Plusieurs jours plus tard, l’appelant a informé l’ARC qu’une entente avait été conclue, en vertu de laquelle l’employé en question achèterait certains outils dont cDemo était propriétaire. L’appelant a par la suite remis à l’ARC le produit de la vente, accompagné du contrat de vente afférent, lequel portait sa signature. En février, en avril et en mai 2007, l’appelant a parlé à l’ARC de la possibilité qu’un groupe d’investisseurs fasse l’acquisition d’autres éléments d’actif de cDemo. Cette vente ne s’est jamais concrétisée.

 

[9]             L’appelant a également apporté une modification relative aux administrateurs de cDemo dans le registre des sociétés de l’Alberta. À la demande de Gord Roberts, alors administrateur de cDemo, l’appelant a signé, en juin 2006, une déclaration solennelle en vertu de laquelle M. Roberts a été retiré de la liste des administrateurs dans le registre des sociétés de l’Alberta.

 

[10]        En 2006 et en 2007, l’appelant a poursuivi ses activités de développement des affaires pour le compte de Global. En 2006, Global menait un projet pilote aux États‑Unis. Ce projet avait pour but de présenter la technologie en ligne de Global aux utilisateurs potentiels établis aux États‑Unis.

 

[11]        Entre juin et septembre 2006, l’appelant a fait savoir à l’ARC qu’il entretenait des contacts réguliers avec un client américain pour discuter des résultats du projet pilote ainsi que de la mise en œuvre potentielle de la technologie et du tarif que Global exigerait pour ses services. Le 11 juillet 2006, l’appelant a informé l’ARC qu’il avait bon espoir que le client américain conclurait un contrat avec Global, ce qui permettrait à la société de disposer d’un revenu suffisant pour verser les montants impayés.

 

[12]        En septembre 2006, l’appelant a fourni à l’ARC des documents faisant état du montant approximatif de revenus que Global générerait si le client américain retenait ses services. Dans ce document, il s’est présenté comme le président-directeur général de Global.

 

[13]        En dépit de ces efforts, en octobre 2006, l’appelant a informé l’ARC que le projet pilote avait été annulé parce que le client américain ne souhaitait pas conclure d’entente à long terme avec Global.

 

[14]        L’appelant a reconnu n’avoir jamais informé l’ARC du fait qu’il n’était plus administrateur ni de cDemo ni de Global. L’appelant affirme que l’ARC n’a pas soulevé la question et qu’il n’avait aucune obligation de l’aviser de ce fait.

 

Les questions en litige

 

[15]        Il y a deux questions en litige en l’espèce :

 

1.       D’abord, l’appelant était‑il un administrateur de droit ou de fait de cDemo ou de Global dans les deux années qui ont précédé l’établissement des cotisations?

2.       Le cas échéant, l’appelant peut‑il invoquer la « défense de diligence raisonnable » prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »)?

 

La position des parties

 

[16]        L’appelant fait valoir qu’il a cessé d’être administrateur de cDemo et de Global le 11 janvier 2006, date à laquelle il a envoyé sa lettre de démission aux bureaux des deux sociétés. L’appelant soutient que, par conséquent, il n’est pas responsable des montants impayés de retenues à la source et de TPS, vu qu’il a présenté sa démission plus de deux ans avant l’établissement des cotisations. L’appelant affirme avoir continué d’agir pour le compte de cDemo et de Global uniquement à titre de créancier et d’actionnaire, et non à titre d’administrateur. Pour finir, dans le cas où une conclusion contraire serait rendue, l’appelant affirme avoir fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir le manquement de cDemo et de Global à leur obligation de verser les retenues à la source et la TPS.

 

[17]        En réponse, le ministre du Revenu national (le « ministre ») soutient que l’appelant n’a pas cessé d’être l’administrateur de cDemo ou de Global plus de deux ans avant l’établissement des cotisations en cause. En outre, le ministre prétend que l’appelant n’a pas fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir le manquement de cDemo et de Global à leur obligation de verser les retenues à la source et la TPS. Par conséquent, il doit être tenu responsable du versement de ces montants.

 


Analyse

 

[18]        En application à la fois de la LIR et de la LTA, un administrateur peut être tenu responsable du défaut d’une société de verser certains montants perçus au nom de la Couronne. Le paragraphe 227.1(1) de la LIR est ainsi rédigé :

 

227.1(1) Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

 

La disposition correspondante de la LTA est le paragraphe 323(1), qui est ainsi libellé :

 

323(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

[19]        Nonobstant ces dispositions, si une personne démissionne de son poste d’administrateur d’une société qui a omis de verser les montants en cause, le ministre ne peut pas établir de cotisation à l’égard de cette personne plus de deux ans après sa démission. Le paragraphe 227.1(4) de la LIR est ainsi rédigé :

 

227.1(4) L’action ou les procédures visant le recouvrement d’une somme payable par un administrateur d’une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l’administrateur cesse pour la dernière fois d’être un administrateur de cette société.

 

La disposition correspondante de la LTA est le paragraphe 323(5), qui est ainsi rédigé :

 

323(5) L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

[20]        En l’espèce, il est par conséquent nécessaire d’établir si l’appelant était un administrateur dans les deux ans qui ont précédé l’établissement des cotisations au titre de la responsabilité d’administrateur.

 

[21]        Ni la LIR ni la LTA ne définissent le moment où un particulier cesse d’être administrateur pour l’application des dispositions relatives à la responsabilité des administrateurs; ce sont les dispositions applicables des lois sur les sociétés qui régissent cette question : voir l’arrêt Aujla c. Canada, 2008 CAF 304, [2009] 3 R.C.F. 93, aux paragraphes 23 à 25.

 

[22]        Les dispositions de la LIR et de la LTA relatives à la responsabilité des administrateurs s’appliquent aux administrateurs de droit ou de fait : voir la décision Mosier c. La Reine, [2001] G.S.T.C. 124 (CCI), au paragraphe 23. Un administrateur de droit est un particulier qui a été nommé administrateur en vertu de la loi sur les sociétés applicable dans le lieu où la société a été constituée ou est exploitée, selon le cas. Il existe deux sortes d’administrateurs de fait. Comme le juge en chef adjoint Bowman, tel était alors son titre, l’a fait remarquer dans la décision Mosier, au paragraphe 23 : « les administrateurs de fait peuvent être apparemment élus en bonne et due forme mais ne pas posséder toutes les capacités nécessaires en vertu de la loi sur les sociétés pertinente, et simplement assumer le rôle d'administrateur sans prétendre à aucune capacité juridique ». Les administrateurs de droit comme les administrateurs de fait peuvent être tenus responsables.

 

[23]        Si l’appelant était un administrateur de droit ou de fait dans les deux ans qui ont précédé l’établissement des cotisations relatives à sa responsabilité d’administrateur, il doit alors être tenu responsable du versement des montants impayés de retenues à la source et de TPS, sauf s’il est en mesure d’invoquer la défense de diligence raisonnable prévue tant par la LIR que par la LTA.

 

[24]        Comme il a été mentionné précédemment, les cotisations en cause ont toutes été établies en date du 5 mai 2008. Par conséquent, il est avant tout nécessaire d’établir si l’appelant était un administrateur de droit ou de fait le 5 mai 2006 ou après cette date, soit deux ans avant l’établissement des cotisations en cause.

 

L’appelant était‑il un administrateur de droit le 5 mai 2006, ou après cette date?

 

[25]        Le moment auquel un particulier devient administrateur de droit ou cesse de l’être est déterminé en application du droit des sociétés applicable dans le lieu où la société a été constituée ou dans le lieu où la société est ensuite exploitée. La société cDemo a été constituée au Delaware. Global a été constituée en Alberta.

 

[26]        Les administrateurs peuvent démissionner de manière semblable tant en application du Delaware Code qu’en application du Business Corporations Act (loi sur les sociétés par actions) de l’Alberta (« ABCA »). Dans le Delaware Code, l’alinéa 141b) du sous‑chapitre IV du chapitre 1 du titre 8, est ainsi libellé :

 

[traduction]

 

[…] Les administrateurs peuvent démissionner en tout temps sur avis transmis à la société par écrit ou par voie électronique. La démission entre en vigueur à la date à laquelle l’avis de démission est communiqué à la société, à moins que l’avis de démission ne précise une date d’entrée en vigueur ultérieure ou que la date d’entrée en vigueur dépende de la survenance d’un ou de plusieurs évènements. […]

 

De même, l’article 108 de l’ABCA est ainsi rédigé :

 

[traduction]

 

(1) Le mandat de l’administrateur d’une société prend fin quand :

a)  l’administrateur meurt ou démissionne,

b)  l’administrateur est destitué en application de l’article 109,

c)  l’administrateur devient inhabile aux termes du paragraphe 105(1).

 

(2) La démission d’un administrateur entre en vigueur à la plus tardive des dates suivantes : la date à laquelle l’avis écrit de démission est envoyé à la société ou la date qui est précisée dans l’avis écrit de démission.

 

Aux termes de chacune de ces dispositions, un administrateur peut démissionner en faisant parvenir à la société un avis de son intention de démissionner.

 

[27]        En envoyant sa lettre de démission aux bureaux de cDemo et de Global le 11 janvier 2006, l’appelant a fait parvenir aux sociétés un avis de démission adéquat au sens de la loi sur les sociétés du Delaware et de l’Alberta. Vu qu’il a cessé d’être administrateur de droit plus de deux ans avant l’établissement des cotisations, il est nécessaire d’établir si l’appelant était administrateur de fait de cDemo et de Global même s’il avait démissionné d’un point de vue légal.

 


L’appelant était‑il un administrateur de fait le 5 mai 2006, ou après cette date?

 

[28]        Après avoir démissionné d’un point de vue légal de ses fonctions d’administrateur de cDemo, l’appelant a continué de participer activement à l’administration de cette société. Comme il a été mentionné précédemment, l’appelant a négocié la vente de certains éléments d’actif de cDemo, apposant sa signature sur l’acte de vente correspondant. Seul un administrateur de cDemo aurait pu autoriser la vente des éléments d’actif de cDemo. Bien que cette vente ait eu lieu le 16 mai 2007, le titre d’administrateur de fait « doit être considéré comme valide au moins tant que [la] personne dirige ou supervise les activités commerciales et les affaires internes de la société en cause » : voir le paragraphe 8 de l’arrêt Bremner c. Canada, 2009 CAF 146.

 

[29]        L’appelant a continué d’agir à titre d’administrateur de fait de cDemo au moins jusqu’en juin 2006. Comme il a été mentionné précédemment, l’appelant a signé ce mois‑là une déclaration solennelle en vertu de laquelle le nom d’un de ses coadministrateurs a été retiré du registre des sociétés de l’Alberta. Une telle déclaration n’est valable que si elle est signée par un administrateur. Même si l’appelant a prétendu lors de l’audience qu’il n’était pas conscient du fait qu’il signait ce document en sa qualité d’administrateur, il est difficile de concevoir qu’il pensait pouvoir apporter ce changement à titre de créancier ou d’actionnaire. Cet élément de preuve donne à penser que l’appelant était un administrateur de fait de cDemo au moins jusqu’en juin 2006.

 

[30]        L’appelant a également continué de participer activement à la direction de Global après avoir démissionné d’un point de vue légal. Il a rencontré un client potentiel de Global dans l’espoir de conclure un contrat de services à long terme pour le compte de Global. À cet égard, l’appelant a semblé agir à titre d’administrateur de Global. La preuve montre qu’il a discuté de l’établissement d’un tarif et de la mise en œuvre de la technologie de Global avec ce client potentiel. L’appelant a également fourni des documents à l’ARC, lesquels faisaient état des revenus approximatifs que Global pourrait générer si elle concluait un accord à long terme avec ce client. Contrairement aux prétentions de l’appelant, un tel comportement n’est pas compatible avec le rôle de créancier ou d’actionnaire. Ce comportement porterait plutôt un tiers à croire que l’appelant était toujours administrateur de Global.

 

[31]        Le fait que les fonctions que l’appelant exerçait auprès de Global n’aient jamais changé après qu’il a démissionné d’un point de vue légal donne également à penser que l’appelant a continué d’agir à titre d’administrateur de Global. En dépit du fait qu’il a démissionné d’un point de vue légal, il a continué de s’efforcer de remplir les fonctions d’administrateur en rencontrant des clients. Vu que le comportement de l’appelant est demeuré inchangé après qu’il a démissionné d’un point de vue légal, un tiers ne se douterait pas du fait que son statut a changé.

 

[32]        En continuant d’agir pour le compte de Global, l’appelant a créé l’impression qu’il était toujours administrateur de la société. À mon avis, la preuve montre que l’appelant était administrateur de fait de Global au moins jusqu’en octobre 2006, lorsqu’il a cessé d’essayer de conclure un accord à long terme avec un client potentiel de Global.

 

[33]        Le comportement que l’appelant a adopté à l’égard de l’ARC après avoir démissionné d’un point de vue légal me conforte dans l’idée qu’il a continué d’agir comme administrateur de fait au moins jusqu’en octobre 2006. Quand il a rencontré des représentants de l’ARC pour la première fois pour discuter des retenues à la source et des montants de TPS impayés de cDemo et de Global, l’appelant n’avait pas encore démissionné de son poste d’administrateur de l’une ou l’autre des sociétés. Après avoir démissionné d’un point de vue légal, il a continué de rencontrer des représentants de l’ARC pour discuter de ces obligations. Le comportement de l’appelant à l’égard de l’ARC n’a changé en aucune manière après qu’il a démissionné d’un point de vue légal. En outre, de janvier 2006 jusqu’aux alentours d’août 2007, l’appelant n’a jamais avisé l’ARC du fait qu’il avait cessé d’être administrateur de l’une ou l’autre des deux sociétés. L’appelant a démissionné de façon occulte, mais il a pourtant continué de coopérer avec l’ARC comme si son statut n’avait pas changé. À mon avis, le comportement de l’appelant a créé l’impression qu’il était toujours un administrateur actif des deux sociétés.

 

[34]        Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, je conclus que l’appelant était administrateur de fait tant de cDemo que de Global le 5 mai 2006 ou après cette date, soit dans la période de deux ans qui a précédé l’établissement des trois cotisations en cause. Par conséquent, l’appelant est responsable à première vue à moins qu’il soit en mesure d’établir qu’il a fait preuve de diligence pour prévenir le manquement des sociétés à verser les sommes impayées.

 


L’appelant a‑t‑il fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir le manquement?

 

[35]        Le paragraphe 227.1(3) de la LIR prévoit une défense de diligence raisonnable en matière de responsabilité des administrateurs; cette disposition est ainsi rédigée :

 

(3) Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

Le paragraphe 323(3) de la LTA prévoit une défense de diligence raisonnable similaire :

 

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[36]        Dans l’arrêt Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il faut s’appuyer sur une norme objective pour établir si un administrateur a rempli les conditions requises pour se prévaloir de la défense de diligence raisonnable prévue aux paragraphes 227.1(3) de la LIR et 323(3) de la LTA. Le juge Mainville s’est ainsi exprimé :

 

[37]      […] je conclus que la norme de soin, de diligence et d’habileté exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est une norme objective […].

 

[38]      […] Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction […].

 

[39]      Une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ». […]

[Non souligné dans l’original.]

 

Il est clair que les paragraphes 227.1(3) de la LIR et 323(3) de la LTA impliquent de procéder à une analyse objective modifiée, qui exige d’étudier ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les mêmes circonstances que celles dans lesquelles s’est trouvé le particulier à l’égard duquel une cotisation a été établie.

 

[37]        Pour pouvoir invoquer la défense en question, l’administrateur ou l’ancien administrateur doit montrer qu’il a posé des gestes concrets pour prévenir le manquement de la société à son obligation de verser les montants en cause. Dans l’arrêt Buckingham, la Cour d’appel fédérale a comparé les dispositions susmentionnées avec l’alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, qui exige des administrateurs et des dirigeants qu’ils agissent « avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ». Le juge Mainville s’est exprimé de la manière suivante :

 

[40]      L’objectif de l’examen prévu aux paragraphes 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise différera toutefois de celui qu’exige l’alinéa 122(1)b) de la LCSA, car les premières dispositions requièrent que l’administrateur s’acquitte de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versement. Pour invoquer ces moyens de défense, l’administrateur doit par conséquent démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

[Non souligné dans l’original.]

 

[38]        À l’audience, l’appelant a convenu qu’il était un administrateur interne qui connaissait très bien les affaires tant de cDemo que de Global. L’appelant a également décrit ses fonctions auprès des deux sociétés comme consistant à trouver de nouveaux clients en vue d’obtenir de nouveaux contrats. Un administrateur raisonnablement prudent ayant une telle connaissance des affaires de cDemo et de Global aurait été au fait des importantes difficultés financières auxquelles les deux sociétés étaient confrontées. La preuve montre que l’appelant n’a pris aucune mesure concrète pour s’assurer que les sociétés continuent de s’acquitter de leurs obligations en matière de versement. Au lieu de cela, les retenues à la source et la TPS ont été réaffectées au financement des affaires en déclin des sociétés.

 

[39]        Le législateur a donné aux administrateurs de sociétés le mandat de prendre des mesures raisonnables en vue d’éviter que leur société ne manque à ses obligations en matière de versement au regard de la LIR et de la LTA. L’appelant a affirmé qu’il n’avait jamais examiné les livres comptables de cDemo ou de Global et qu’il n’avait jamais été au courant des habitudes de versement des sociétés. L’appelant a déclaré qu’il avait délégué les tâches relatives aux impôts et aux taxes de cDemo et de Global à des employés clés, qui étaient chargés de s’acquitter des obligations de versement des deux sociétés. L’appelant ne peut pas se décharger de son obligation légale en déléguant ses responsabilités en matière de versement à un employé sans exercer aucune surveillance à cet égard.

 

[40]        La preuve montre que l’appelant n’a pas fait preuve du « degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ». Une personne raisonnable qui se serait trouvée dans des circonstances comparables à celles de l’appelant aurait anticipé le fait que les difficultés financières des sociétés pouvaient avoir une incidence sur la capacité de celles‑ci à s’acquitter de leurs obligations en matière de versement, et elle aurait pris des mesures afin de prévenir le manquement à l’obligation de versement. Le manque de surveillance de la part de l’appelant ainsi que son inaction ne peuvent pas servir de fondement à une défense de diligence raisonnable.

 

[41]        À l’audience, j’ai réservé mon jugement quant à l’admissibilité des trois éléments de preuve suivants : i) l’entrée faite par l’appelant dans son journal personnel, soit la pièce A-2, ii) les déclarations T4 de Global, soit les pièces R-4 et R‑5, iii) la déclaration T4 de cDemo.

 

[42]        Aucun de ces documents n’a eu d’influence sur la conclusion que j’ai rendue en l’espèce. Par conséquent, la question de leur admissibilité est théorique. Dans son témoignage oral, que j’ai accepté, l’appelant a déclaré qu’il avait démissionné en tant qu’administrateur de droit en envoyant une lettre de démission aux bureaux des deux sociétés. Les notes qu’il a portées à son journal personnel (pièce A-2) n’ajoutent rien à cette conclusion.

 

[43]        Les autres documents montrent que les sociétés ne s’étaient pas acquittées de leurs obligations en matière de versement. Ce fait n’est pas contesté en l’espèce. L’appelant a admis qu’il n’était pas au courant des mesures prises par les sociétés en matière de déclaration au fisc et de versements. Il a reconnu avoir délégué ces tâches à d’autres employés et n’avoir exercé aucune surveillance. Les pièces susmentionnées n’ajoutent rien à cette conclusion.


[44]        Pour l’ensemble de ces motifs, les appels sont rejetés, et j’accorde à l’intimée un seul mémoire de dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 29

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :       2010-1632(GST)G

                                                          2010-1633(IT)G

                                                          2010-1634(IT)G

 

INTITULÉS :                                    Allan A. Chell c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 9 et 10 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 janvier 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

Avocate de l’intimée :

Me Margaret M. McCabe

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

               Nom :                                 Lori G. Bokenfohr

 

               Cabinet :                            Dunphy & Bokenfohr Law Partnership

                                                          Calgary (Alberta)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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