Comparutions :
Me Vincent Dionne
|
|
Me Michel Lamarre
|
L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.
Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 2018.
Traduction certifiée conforme
ce 22e jour de mars 2019.
Mario Lagacé, jurilinguiste
ENTRE :
IBERVILLE DEVELOPMENTS LIMITED,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
Introduction
[1]
La seule question dont la Cour est saisie en l’espèce est de savoir si, après le transfert par roulement de biens à une société de personnes en application du paragraphe 97(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), le prix de base rajusté, pour le cédant, de sa participation dans la société de personnes est augmenté à la fois de la juste valeur marchande des biens et du montant choisi, comme l’affirme l’appelante, ou uniquement du montant choisi, comme le fait valoir l’intimée.
[2]
En l’espèce, le contribuable, qui est commanditaire, a transféré par roulement des centres commerciaux d’une valeur de 130 M$, à un prix de base de 14 M$, et a reçu une contrepartie autre qu’en actions ou une soulte de 8,5 M$. Plus tard, lorsqu’il a procédé à une réorganisation interne par laquelle les actifs de la société de personnes sont devenus la propriété d’une société affiliée, le contribuable a déclaré une perte en capital de 122 M$. Le ministre du Revenu national a établi, dans une nouvelle cotisation concernant l’opération, que le contribuable avait réalisé un gain en capital de 140 000 $.
[3]
Cette différence importante est fondée entièrement sur une interprétation et une application appropriées du paragraphe 97(2) de la Loi. Les deux parties admettent qu’aux termes de l’alinéa 97(2)b), il est ajouté au prix de base rajusté, pour le cédant, de sa participation dans une société de personnes, un montant égal au montant choisi (sous‑alinéa 97(2)b)(i)) et il doit être déduit toute contrepartie autre qu’en actions ou soulte (sous‑alinéa 97(2)b)(ii)).
[4]
Le contribuable soutient qu’il ressort clairement de l’alinéa 97(2)b) que celui-ci s’applique en tout temps après le transfert des biens, et n’exclut pas les règles habituelles relatives au prix de base rajusté prévues à l’article 54 qui s’appliquent au moment du transfert (ou immédiatement après celui-ci). Ainsi, le coût de la participation dans la société de personnes équivaut à la valeur du bien transféré pour lequel la participation dans la société de personnes, ou la participation accrue dans la société de personnes, a été reçue à titre de contrepartie. En d’autres termes, au moment du transfert, les règles prévues à l’article 54 établissent que le coût de la participation dans la société de personnes ou de la participation accrue dans la société de personnes constituait la juste valeur marchande des centres commerciaux transférés et, selon l’alinéa 97(2)b), immédiatement après ce moment, il fallait ajouter un montant égal au montant choisi, moins toute soulte.
[5]
Le contribuable estime qu’il s’agit de la seule façon d’interpréter le texte de l’alinéa 97(2) et qu’on ne saurait faire aucune autre interprétation raisonnable de cette disposition.
[6]
L’avocat de l’appelante a, à plusieurs reprises, franchement et gracieusement fait valoir dans ses plaidoiries, les points suivants :
i) les résultats de l’interprétation du contribuable sont absurdes;
ii) ce n’est certainement pas le résultat visé par le législateur;
iii) s’il s’agissait d’une affaire visée par la disposition générale anti‑évitement (« DGAÉ »), le contribuable devrait perdre sa cause, puisque le résultat des opérations en question est abusif;
iv) si le libellé du paragraphe 97(2) permet toute autre interprétation raisonnable, le contribuable devrait perdre sa cause.
[7]
Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits complet et ont annexé les ententes sous‑jacentes et d’autres documents pertinents. Aucun élément factuel n’est contesté.
[8]
Les transferts par roulement à une société de personnes ont eu lieu en 2003 et en 2004. La société de personnes a vendu les centres commerciaux à des tiers non liés, chaque fois au cours du mois où le transfert précis à la société de personne a eu lieu. La société de personnes a réalisé des gains en capital de 100 M$ au cours de l’exercice et a attribué le gain à l’appelante qui l’a inclus dans sa part des revenus provenant de la société de personnes pour son année d’imposition 2005. L’appelante cherche à effectuer un report rétrospectif à l’année d’imposition 2005 la perte en capital de 120 M$ déclarée pour 2008, et qui est en cause en l’espèce, afin de compenser entièrement ses gains en capital attribuables à la vente des centres commerciaux par la société de personnes. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a déterminé que la perte en capital pour 2008 était nulle, de telle sorte qu’il n’y avait pas de montant à reporter rétrospectivement.
Résumé des faits
[9]
L’appelante, Iberville Developments Limited, et toutes les entités en cause dans la réorganisation interne (le « Groupe Iberville ») sont liées et contrôlées directement ou indirectement par Sylvan Adams et les membres de sa famille.
[10]
Realty Developments Limited Partnership (la « société de personnes ») est une société en commandite constituée en vertu des lois du Québec le 15 décembre 2003 entre Iberville, agissant à titre de commanditaire, et une autre société membre du Groupe Iberville, agissant à titre de commandité.
[11]
Le 15 décembre 2003, Iberville a également transféré un centre commercial d’une valeur de 8 M$ à la société de personnes. La contrepartie reçue par l’appelante a été décrite dans la convention d’achat‑vente comme étant une somme d’environ 700 000 $ versée au moyen d’un billet à ordre (ce qui constitue le prix de base rajusté d’Iberville) et de parts supplémentaires dans la société de personnes
[1]
. Le montant choisi du roulement était égal au montant du billet à ordre. La société de personnes a vendu le centre commercial plus tard au cours du même mois à un acheteur avec lequel elle n’avait pas de lien de dépendance, a réalisé un gain en capital et a attribué ce gain à Iberville.
[12]
Le 1er février 2004 et le 1er mai 2004, Iberville a transféré à la société de personnes des centres commerciaux dont la valeur est estimée à 17 M$ et à 106 M$ (environ 121 M$ au total). La contrepartie totale reçue par l’appelante a été décrite de la même façon comme étant une somme d’environ 8 M$ versée au moyen de billets à ordre et de parts dans la société de personnes. Le montant choisi du roulement était d’environ 13 M$, ce qui représente le prix de base rajusté total d’Iberville. Une fois encore, la société de personnes a vendu chaque centre commercial au cours du mois où elle l’a acquis à un acheteur qui n’avait pas de lien de dépendance avec elle, a réalisé un gain en capital et a attribué ce gain à Iberville.
[13]
Les gains totalisaient environ 100 M$ (les sommes individuelles et totales réelles ne sont pas précisées dans l’exposé conjoint des faits). La différence entre les justes valeurs marchandes totales utilisées quelques jours auparavant pour effectuer les roulements et les sommes totales choisies devraient faire état d’un gain brut d’environ 117 M$. Les revenus de la société de personnes tirés des gains en capital ont été attribués à Iberville pour l’année d’imposition 2005.
[14]
En mars 2005, l’appelante a disposé de la plus grande partie de sa participation dans la société de personnes en faveur d’une autre société membre du Groupe Iberville pour des parts valant 120 M$ à la suite d’une opération de roulement effectuée conformément à l’article 85. L’appelante a disposé du solde de sa participation dans la société de personnes en faveur de la même société en novembre 2007 pour des parts valant 30 M$ à la suite d’une opération de roulement effectuée conformément à l’article 85. Le même jour, l’appelante a transféré à la même société la totalité des parts qu’elle détenait dans la société agissant à titre de commandité de la société de personnes. Le même jour, la société bénéficiaire du transfert a liquidé la société agissant à titre de commandité de la société de personnes, de telle sorte que la société bénéficiaire du transfert était l’unique associée de la société de personnes.
Dispositions légales applicables
[15]
Les dispositions pertinentes des articles 53 (rajustements du prix de base), 54 (définition du prix de base rajusté) et 97 (transferts à une société de personnes) sont les suivantes :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[16]
La version antérieure du paragraphe 97(2) a été ajoutée dans le contexte de la réforme fiscale de 1972, qui introduisait la notion d’imposition des gains en capital. La version de 1972 du paragraphe 97(2), qui est demeurée en vigueur jusqu’en 1982, était ainsi libellée :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[17]
Les notes explicatives de 1982 du ministère des Finances
[2]
, qui accompagnaient la version modifiée du paragraphe 97(2) que nous reconnaissons aujourd’hui, étaient ainsi rédigées :
|
|
|
|
Jurisprudence pertinente portant sur le paragraphe 97(2) et le prix de base rajusté de la participation dans une société de personnes
[18]
L’exactitude de l’interprétation précise du paragraphe 97(2) adoptée par l’appelante en l’espèce ne semble pas avoir été examinée auparavant par les tribunaux. Toutefois, il existe plusieurs décisions où il a beaucoup été question du paragraphe 97(2) et dans lesquelles les tribunaux se sont prononcés sur son objet et son effet.
[19]
Dans la décision Banque continentale du Canada c. Canada
[3]
, l’ancien juge en chef Bowman, de la Cour, a formulé les observations suivantes :
95 Quels sont donc « l’objet et l’esprit » du paragraphe 97(2)? Je ne sais pas avec certitude quel est son esprit, si tant est qu’il existe — la notion d’« esprit » est assez floue — mais son objet semble assez clair. Il vise à permettre au contribuable de transférer des éléments d’actif à une société en contrepartie d’une participation dans la société sans déclencher le résultat fiscal immédiat qu’un tel transfert entraînerait normalement. L’impôt n’est pas évité, mais différé, et l’impôt éventuel est conservé au sein de la société jusqu’à la disposition des éléments d’actif, sauf si, évidemment, un second transfert libre d’impôt est par la suite effectué en faveur d’une corporation en vertu de l’article 85. Ce report n’est pas obtenu sans un certain coût caché. Les éléments d’actif détenus au sein de la société et la participation dans la société ont, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, un coût de base inférieur à celui qu’ils auraient eu si aucun formulaire de choix n’avait été produit en vertu du paragraphe 97(2). Il peut s’ensuivre éventuellement une double imposition, mais les contribuables en sont normalement informés par leurs conseillers et sont prêts à l’accepter. La prémisse sur laquelle les dispositions relatives aux transferts libres d’impôt de l’article 85 et du paragraphe 97(2) semblent reposer est que lorsqu’un contribuable transfère des éléments d’actif à une corporation ou à une société et qu’il reçoit en contrepartie des actions ou une participation dans une société, selon le cas, pour la partie de la valeur des éléments d’actif qui excède le « coût indiqué », la véritable situation économique du contribuable ne s’est pas améliorée. L’intérêt dans les éléments d’actif est simplement détenu par quelqu’un d’autre.
[Non souligné dans l’original.]
[20]
Dans l’arrêt Canada c. Oxford Properties Group Inc.
[4]
, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes :
55 Le paragraphe 97(2) permet le transfert de biens – y compris des immobilisations non amortissables, des immobilisations amortissables et des biens à porter à l’inventaire – à une société de personnes, avec report d’impôt, si les associés en font conjointement le choix. En l’espèce, puisque le PBR a été choisi relativement aux terrains – c.-à-d. les immobilisations non amortissables – et que la FNACC a été choisie relativement aux immeubles érigés sur les terrains – c.-à-d. les immobilisations amortissables – le gain en capital accumulé et la récupération qui auraient autrement découlé du transfert aux termes du paragraphe 97(1) ont été reportés. Cette dernière disposition prévoit que les associés qui font un apport de biens dans une société de personnes sont réputés avoir reçu un produit égal à la juste valeur marchande du bien transféré.
56 Ces roulements, y compris celui visé au paragraphe 97(2), reportent les conséquences fiscales des transferts entre certains groupes, comme les actionnaires et les sociétés (paragraphe 85(1)) et les associés et les sociétés de personnes (paragraphe 97(2)). La prémisse est qu’il ne devrait y avoir aucune conséquence fiscale, étant donné qu’il n’y a pas de changement fondamental sur le plan de la propriété – c.-à-d. que, au lieu de détenir le bien transféré, l’auteur du transfert détient une participation dans la société de personnes ou des actions de même valeur (Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 9e éd. (Toronto : Thomson/Carswell, 2006), p. 1112).
57 Le raisonnement qui sous-tend les roulements, comme le révèle le mécanisme utilisé pour leur donner effet – c.-à-d. le fait que le produit de disposition réputé de l’auteur du transfert devient le coût réputé du destinataire du transfert (le PBR ou la FNACC, selon le cas) –, établit clairement que l’impôt ainsi reporté sera payé lors de la disposition ultérieure donnant lieu à un changement dans la situation économique de l’auteur du transfert. Ainsi qu’il a été déclaré dans un passage où l’on fait directement référence au paragraphe 97(2) : « [l]’impôt n’est pas évité, mais différé [...] » (Banque Continentale du Canada et al. c. Canada, [1994] A.C.I. no 585, conf. par [1996] A.C.F. no 765 (C.A.F.). Ce constat découle tant du libellé du paragraphe 97(2) que de son objet et de son esprit.
[...]
59 Dans ce contexte, force est de reconnaître que l’objet et l’esprit des paragraphes 97(2) et 97(4) consistent à assurer le suivi des attributs fiscaux des biens amortissables afin de veiller à ce que la récupération et les gains reportés soient imposés ultérieurement.
[Non souligné dans l’original.]
[21]
Dans la décision Oxford Properties Group Inc. c. La Reine
[5]
, le juge D’Arcy, de la Cour, a formulé les observations suivantes :
113 Une fois le transfert terminé, le cédant reçoit une participation dans la société de personnes qui est normalement une immobilisation non amortissable. Dans des situations comme celle dont je suis saisi, lorsque le cédant a choisi un montant inférieur à la juste valeur marchande du bien cédé, le prix de base rajusté de la participation dans la société de personnes est inférieur à sa juste valeur marchande. Autrement dit, le cédant reçoit une immobilisation non amortissable qui présente un gain en capital imposable cumulé, lequel sera réalisé si le cédant vend subséquemment la participation et que la participation a conservé sa juste valeur marchande.
[...]
124 À mon avis, le but du paragraphe est d’éviter d’avoir à payer ou de réduire l’impôt qui serait autrement dû lors du transfert de biens à la société de personnes et de l’émission d’une participation dans la société de personnes au cédant. Cet impôt est différé en ce qui concerne les biens acquis par le cédant et par la société de personnes lors du transfert en franchise d’impôt.
125 Si le cédant reçoit une participation dans une société de personnes à titre de contrepartie d’une partie de l’actif transféré et choisit un montant qui lui permet d’éviter d’avoir à payer en totalité ou en partie l’impôt qu’il aurait à payer au moment du transfert, le cédant se retrouve alors avec une immobilisation non amortissable (la participation dans la société de personnes) dont le prix de base rajusté est inférieur à sa juste valeur marchande. L’un des objectifs de la disposition est de préserver ce gain potentiel jusqu’à ce qu’il soit réalisé lors de la vente subséquente de la participation dans la société de personnes. Toutefois, comme je l’aborderai sous peu, le gain potentiel peut être réduit ou éliminé à la suite de la majoration prévue aux alinéas 88(1)c) et d) ou au paragraphe 98(3).
[Non souligné dans l’original.]
Analyse et conclusion
Création de la société de personnes
[22]
Avant d’analyser le paragraphe 97(2) et de l’appliquer aux transferts effectués par l’appelante, il faut d’abord trancher la question de savoir si la société de personnes a été créée avant que l’un ou l’autre centre commercial lui soit transféré ou au moment du transfert initial d’un centre commercial à la société de personnes en 2003.
[23]
Il ressort d’un examen du contrat de société en commandite conclu [TRADUCTION] « en date du 15e jour de décembre 2003 »
, mais n’indiquant aucune autre date, et de la convention d’achat-vente conclue [TRADUCTION] « le 15 décembre 2003 à 14 h »
entre l’appelante et la société de personnes que l’interprétation appropriée est manifestement la suivante : la société de personnes a été créée en vertu du contrat de société en commandite le 15 décembre 2003 et avant que le premier centre commercial soit transféré à la société de personnes plus tard le même jour. Cette pratique est autorisée par les articles du Code civil du Québec (le « Code civil
[6]
») applicables aux sociétés en commandite et énoncés ci‑après.
[24]
Selon le premier alinéa du préambule du contrat de société en commandite, [TRADUCTION] « le commandité et le commanditaire ont convenu de créer entre eux une société en commandite »
(non souligné dans l’original). La clause 1 du contrat stipule que [TRADUCTION] « le préambule du présent contrat en fait partie intégrante »
.
[25]
L’« apport initial en capital »
est défini à la clause 2.1.10 et il semble qu’aucun apport initial en capital n’ait été prévu pour l’application du contrat. Autrement dit, il n’est pas précisé que le centre commercial est un apport en capital d’Iberville.
[26]
La clause 2.1.13 définit la société en commandite comme étant [TRADUCTION] « la société créée en vertu du présent contrat »
(non souligné dans l’original).
[27]
La clause 3.1 stipule que [TRADUCTION] « les associés forment par le présent contrat la société en commandite à compter de la date qui y est indiquée »
(non souligné dans l’original).
[28]
Le point 4.1 de la clause 4 portant sur la durée précise que [TRADUCTION] « la société en commandite commence à la date du présent contrat »
.
[29]
Il est indiqué que le contrat d’achat‑vente du centre commercial a été conclu « à 14 h »
à la même date. La société en commandite y est décrite comme étant [TRADUCTION] « une société en commandite, qui agit et est représentée par Sylvan Adams ». Selon cet énoncé,
la société de personnes existait au moment où elle a conclu le contrat d’achat‑vente.
[30]
Le premier alinéa du préambule du contrat d’achat‑vente précise que [TRADUCTION] « le vendeur [...] a accepté de vendre [...] à l’acheteur les actifs achetés, et l’acheteur a accepté d’acquérir auprès du vendeur les actifs achetés sous réserve des modalités énoncées dans le présent contrat »
(non souligné dans l’original). Ce contrat n’aborde aucunement la constitution de la société en commandite.
[31]
La clause 4.2(a) du contrat d’achat‑vente est une déclaration et une garantie de la part de l’acheteur selon laquelle [TRADUCTION] « l’acheteur est une société en commandite constituée sous le régime des lois de la province de Québec »
(non souligné dans l’original).
[32]
Le contrat d’achat‑vente constitue, comme cela a été mentionné, l’intégralité du contrat.
[33]
Les dispositions pertinentes du Code civil se rapportant à la constitution d’une société envisagent la création d’une société en commandite avant tout apport de biens à cette société. Ces dispositions sont ainsi libellées :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[34]
Les deux parties ont déposé des observations sur cette question après l’audience et ont renvoyé à la doctrine portant sur le moment de la formation d’une société de personnes. La doctrine à laquelle l’intimée a renvoyé appuie l’interprétation que je fais du Code civil, et celle à laquelle renvoie l’appelante ne s’y oppose pas.
[35]
Dans ses observations supplémentaires déposées le 8 février 2018, l’intimée donne les précisions suivantes :
[TRADUCTION]
7. Une personne devient membre d’une société de personnes dès la constitution de celle‑ci. Selon certains juristes québécois, un membre d’une société de personnes détiendrait un intérêt dans la société4 dès sa constitution. Dans l’ouvrage Collection de droit 2016‑2017, Me Michelle Thériault formule les observations suivantes5 :Toute personne, physique ou morale, qui a la capacité de contracter peut devenir associé d’une société.
Une personne devient associée dès la formation de la société, si tous les éléments essentiels à la création de la société sont présents ou dès qu’elle agit à ce titre, si elle se joint à une société déjà formée.
À ce moment, l’associé est réputé détenir une part sociale dans la société. La part de chaque associé dans l’actif, dans les bénéfices et dans la contribution aux pertes est égale si elle n’est pas déterminée par le contrat (art. 2202 C.c.Q.). La part d’un associé dans l’actif ou dans les bénéfices de la société peut, à certaines conditions, faire l’objet d’une hypothèque (art. 2211 C.c.Q.).
[Non souligné dans l’original.]
8. Un autre auteur, Donald A. Riendeau, est également d’avis qu’un associé détient une part dans une société dès sa constitution, avant même l’apport de biens. Il a énoncé ce qui suit relativement à une discussion sur la distinction entre les termes « indivision » et « société » :
2.1 Détention de biens en commun
L’indivision est essentiellement un état des biens. Elle naît de l’acquisition (par succession ou autrement) d’un bien avec d’autres personnes. C’est un système centré sur le bien lui‑même : pas de biens, pas d’indivision. Au contraire, la société prend naissance dès la signature du contrat de société (du moins entre les parties) et avant même que les biens soient mis en commun : chaque associé détient une part sociale même en l’absence d’actifs sociaux. À ce sujet, il est intéressant de noter que le législateur n’a pas repris dans le nouveau Code civil les dispositions de l’article 1893 C.c.B.C. prévoyant la dissolution de la société « par la perte de la chose » mise en commun. N’est‑ce pas là une indication de la volonté du législateur de s’écarter davantage du concept de l’indivision en matière de société?6 [Non souligné dans l’original.]
4 Le Code civil utilise le terme « part ».
5 Me Michelle Thériault, Collection de droit 20162017, École du Barreau du Québec, Volume 9 – Entreprises et sociétés – Titre I – Les entreprises et les sociétés, Chapitre I – L’entreprise contractuelle, 1. La Société, I Qui peut être associé?, https://edoctrine.caij.qc.ca/collection-de-droit/2016/9/1350596918/ p. 16 de 43. [Onglet 1]
6 Donald A. Riendeau, La société en droit québécois, [2003] 63 R. du B. 127, p. 142. https://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/revue/2003-tome-63-1-p127.pdf [Onglet 2]
[36]
Dans ses réponses aux observations supplémentaires déposées par l’intimée le 12 février 2018, l’appelante formule les commentaires suivants :
[TRADUCTION]
6. Comme l’ont confirmé certains auteurs, l’apport de biens par un associé est obligatoire pour la constitution d’une société sous le régime du Code civil du Québec. Par exemple, dans son article intitulé Les sociétés de personnes « nouvelle génération » : l’abécédaire de leur fonctionnement1, Me Charlaine Bouchard confirme ce qui suit en ce qui concerne l’apport à une société de personnes :
1. Le droit individuel de l’associé
La mise en commun de biens, de connaissances ou d’activités – l’apport à la société – est l’une des conditions fondamentales pour être en présence d’une société. Le mécanisme de l’affectation de biens au but commun transforme le droit de l’associé (son apport), qu’il soit en propriété ou en jouissance, en droit personnel. L’affectation de biens au but commun a donc un pouvoir transformateur de droit, et nul besoin de recourir à la création d’un être moral pour expliquer le caractère mobilier de la part sociale – ou encore de faire de l’associé un étranger au regard de la société pour satisfaire le dogme de la personne morale et de l’unité patrimoniale.
[…]
A. La condition juridique de l’apport
La part sociale représente les droits personnels de chaque associé dans la société de personnes. La part sociale constitue donc une fraction du capital social dont l’appropriation donne à l’associé le droit de participer à la vie de la société et au partage des bénéfices.
La mise en commun d’apports est indispensable à la constitution d’une société. Sans cette injection d’argent, de biens ou de moyens, la société ne pourra pas réaliser les objets pour lesquels elle est formée. Il s’agit d’une obligation qui pèse sur chacun des associés, mais qui peut être variable en genre et en nombre. La seule condition étant la « réalité » de l’apport, aussi minime soitil! L’obligation d’effectuer un apport est donc étroitement liée à la constitution d’un patrimoine indépendant affecté à la réalisation du but commun des associés. […]
[…]
L’apport est translatif de propriété. L’apporteur reçoit en contrepartie la qualité d’associé, matérialisée par une part sociale – un droit personnel à caractère mobilier – avec les droits et obligations qui y sont rattachés : des droits pécuniaires, d’une part, qu’il s’agisse du « droit aux bénéfices réalisés, qu’ils soient distribués en fin d’exercice ou affectés aux réserves, droit au remboursement du capital au cours de la vie sociale ou lors de la liquidation et aux éventuelles plusvalues réalisées sur les différents éléments d’actifs », des droits sociaux, d’autre part, pensons notamment au droit de se renseigner sur les affaires de la société – ou encore de participer aux décisions importantes concernant celleci.
7. Dans la même veine, la professeure Michelle Thériault, dans l’ouvrage Sociétés de personnes et associations2, a écrit ce qui suit :
12. Forme et valeur des apports à fournir – Les parties doivent contribuer à la société par la mise en commun d’apports. Le Code civil est très flexible en ce qui concerne la nature et la quotité des apports à être fournis par chacun des associés. En effet, l’apport peut être d’une quantité ou d’une valeur inégale entre les parties et peut prendre plusieurs formes différentes : l’apport peut être en argent, en biens (en propriété, en usufruit ou en jouissance), en connaissance ou en activités.
13. Apport réel et non fictif – L’apport doit être réel et non fictif. L’associé doit se départir de ce qu’il fournit à la société. La remise d’un bien par un associé à la société, en contrepartie du paiement d’un loyer, ne peut constituer un apport au sens du Code civil ni le prêt d’une somme d’argent par un associé à la société.
[…]
32. Part sociale d’une société en nom collectif ou en commandite – Une fois la société créée, les associés forment la société. La société en nom collectif ou en commandite possédant son propre patrimoine, les apports fournis par les associés deviennent la propriété de la société, lesquels sont exploités pour en faire des profits. En cours d’exploitation, la société peut acquérir d’autres actifs dont elle est propriétaire.
En contrepartie, les associés détiennent une part sociale dans la société. Cette notion, plutôt abstraite, n’est pas définie dans le Code civil. Elle n’est pas aussi familière ni aussi tangible, vu l’absence de remise d’un certificat, que celle des actions formant le capital-actions d’une société par actions. Ce qu’on peut en dire, c’est que la part sociale d’une société est de nature capitale. Elle constitue un bien meuble incorporel.
En détenant une part sociale dans la société, l’associé partage les profits (pertes) et les actifs de la société en cas de liquidation selon les pourcentages prévus dans le contrat de société ou, à défaut, en parts égales. La part sociale peut être hypothéquée, tant sur les profits que sur les actifs. En ce qui concerne la société en commandite, la part d’un associé commanditaire est cessible. À l’égard des tiers, le commanditaire qui vend sa part demeure responsable des obligations qui en découlent.
1 Me Charlaine Bouchard, Les sociétés de personnes « nouvelle génération » : l’abécédaire de leur fonctionnement, Cours de perfectionnement du notariat, Chambres des notaires, 2009 [Onglet 1].
2 Michelle Thériault, Sociétés de personnes et associations, JurisClasseur Québec, Fascicule 2, Collection Droit des affaires (mise à jour avril 2017) [Onglet 2].
Situation des dispositions portant sur la définition du prix de base rajusté et des dispositions relatives au roulement
[37]
Il est utile d’indiquer où se trouvent, dans la Loi, les dispositions portant sur le prix de base rajusté d’une société de personnes et celles portant sur les transferts par roulement à une personne morale ou à une société de personnes.
[38]
Les rajustements au prix de base prévus au paragraphe 53(1) et la définition du prix de base rajusté énoncée à l’article 54 figurent dans la sous‑section C de la Partie I de la Loi, qui porte sur les gains et les pertes en capital. Le prix de base rajusté d’un bien dont a disposé un contribuable est utilisé pour calculer les gains en capital qu’il a réalisés ou les pertes en capital qu’il a subies. En règle générale, si le produit que le contribuable tire de la disposition du bien est supérieur au prix de base rajusté du bien, l’excédent est considéré comme un gain en capital. De même, si le produit obtenu par le contribuable est inférieur au prix de base rajusté du bien, la différence représente une perte en capital.
[39]
L’article 85 se trouve à la sous‑section H de la Partie I de la Loi, qui énonce les règles particulières applicables aux sociétés résidant au Canada et à leurs actionnaires. Le paragraphe 85(1) porte sur un roulement facultatif dont peut se prévaloir une personne qui transfère des biens admissibles à une société et qui reçoit des actions de la société en contrepartie du bien transféré. Les biens admissibles peuvent comprendre les immobilisations et des biens qui ne sont pas des immobilisations. L’article 85 énonce les règles qui s’appliquent lorsque ce type de roulement est choisi.
[40]
Le produit de disposition du cédant et les coûts de la société correspondent aux montants les moins élevés faisant l’objet du choix, ce qui permet un report du gain en capital ou du gain imputable au revenu. Les alinéas 85(1)g) et h) précisent que le coût des actions reçues par le cédant est le moins élevé des montants visés par le choix. Les alinéas 85(1)g) et h) s’appliquent pour déterminer les coûts à tous égards et pas seulement pour la définition du prix de base rajusté.
[41]
L’article 97 se trouve à la sous‑section J de la Partie I de la Loi, qui établit les règles particulières applicables aux sociétés de personnes et à leurs associés. Le paragraphe 97(1) est une règle générale de calcul du revenu qui s’applique au transfert de tout bien par un contribuable qui, immédiatement après le transfert, fait partie de la société de personnes. L’opération est réputée être une acquisition par la société de personnes du bien à sa juste valeur marchande, et une disposition par le cédant à cette même valeur. Il n’existe aucune disposition directement comparable au paragraphe 97(1) à l’article 85. La disposition réputée visée au paragraphe 97(1) révèle qu’une société de personnes n’est pas une personne au sens de la Loi, bien que le revenu d’une société de personnes soit calculé comme celui d’une personne.
[42]
Le paragraphe 97(2) permet un roulement facultatif lorsque la personne transfère des biens admissibles à une société de personnes dont elle fait partie immédiatement après le transfert pour éviter les conséquences liées à la reconnaissance de l’existence du revenu prévues au paragraphe 97(1) qui seraient par ailleurs applicables.
[43]
Contrairement au paragraphe 85(1), il n’est pas obligatoire que le cédant reçoive des parts dans la société de personnes dès le transfert. Alors que la Loi traite habituellement chaque part d’une société de personnes comme un bien distinct, elle ne tient généralement compte que de la participation d’un associé dans la société de personnes. Les exceptions, où la Loi tient compte des parts d’une société de personnes au lieu de la participation globale dans une société, se trouvent dans la Partie IX.1 de la Loi, qui porte sur les sociétés de personnes intermédiaires de placement déterminées, dans la définition de placements admissibles pour les régimes de participation différée aux bénéfices, dans la partie X, et dans la définition des biens exclus et des biens déterminés pour les sociétés étrangères affiliées et leur revenu étranger accumulé tiré de biens (« REATB ») à la sous‑section I applicable aux sociétés non résidentes et à leurs actionnaires.
[44]
La notion exceptionnelle de parts d’une société de personnes est absente de la sous‑section C, qui porte sur les gains et les pertes en capital, et de la sous‑section J, qui traite des sociétés de personnes. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’avoir un paragraphe 97(2) équivalent, pour la participation dans la société de personnes, aux alinéas 85(1)g) et h), qui traitent du coût des parts reçues par le cédant dans le contexte d’une opération de roulement visant une société.
[45]
Par définition, les règles prévues au paragraphe 97(2)b), qui portent sur le prix de base ajusté de la participation du cédant dans la société de personnes, s’appliquent à une participation uniquement lorsqu’il s’agit d’une immobilisation. Cette règle contraste avec les règles prévues aux alinéas 85(1)g) et h) qui portent sur les parts du cédant dans le contexte d’un roulement visant une société.
[46]
Le paragraphe 85(1) a manifestement pour but de permettre le report d’un gain réalisé lors du transfert d’un bien à une société dont la contrepartie comprend des parts. Il est également évident que le gain reporté sera plutôt réalisé ultérieurement lors de la vente du bien par la société ou de la vente des parts par l’actionnaire cédant en raison des coûts réputés de ces deux biens.
[47]
Le but manifeste du paragraphe 97(2) est de permettre le report d’un gain réalisé lors du transfert d’un bien à une société de personnes dont on est ou dont on devient associé. Il est aussi évident que le gain reporté sera plutôt réalisé ultérieurement par la société de personnes lors de la vente du bien en raison de l’incorporation par renvoi de la règle liée au coût réputé pour le cédant énoncée à l’article 85.
[48]
Il est également manifeste, puisque le centre d’intérêt de l’alinéa 97(2)b) est le prix de base rajusté de la participation du cédant dans la société de personnes, que cet alinéa est pertinent quant au calcul d’un gain ou (ou d’une perte) au moment de la disposition ultérieure, par le cédant, de sa participation dans la société de personnes. Si le paragraphe 97(2) doit servir d’équivalent aux règles sur les roulements visant une société énoncées à l’article 85, il est tout à fait logique de s’attendre à ce que le gain reporté soit de la même manière incorporé dans la participation du cédant à la société de personnes.
[49]
Il est très clair que c’était le cas selon la version du paragraphe 97(2) datant d’avant 1993, compte tenu du renvoi, dans l’ancien sous‑alinéa 97(2)b)(ii), au calcul du coût de la participation à la société d’une personne si elle n’était pas déjà associée avant le transfert.
[50]
Il reste à savoir si la Loi applicable depuis les modifications de 1982 exige maintenant, selon le nouveau libellé, et du moins dans certaines circonstances, que la perte ou le gain incorporé dans la participation du cédant à la société soit complètement différent du montant du gain reporté réalisé lors du transfert et du gain incorporé dans le bien de la société de personnes.
Calcul du prix de base rajusté de la participation d’Iberville à la société de personnes après le transfert des centres commerciaux à la société de personnes
[51]
À la lumière des faits particuliers de l’espèce et des opérations réalisées par l’appelante et d’autres membres du Groupe Iberville, dont la société de personnes et le commandité, je ne vois pas comment, même si l’interprétation du paragraphe 97(2) privilégiée par l’appelante était appliquée, les résultats seraient différents de ceux obtenus en appliquant l’interprétation de l’intimée.
[52]
Cela s’explique par le fait que l’interprétation de l’appelante, en plus d’ajouter la somme choisie sous forme d’augmentation des coûts de base aux termes de l’alinéa 97(2)b) et du sous‑alinéa 53(1)e)(x), cherche également à reconnaître l’existence des coûts des centres commerciaux calculés à leur juste valeur marchande comme étant le « coût »
aux fins de la définition du prix de base rajusté à l’article 54.
[53]
Toutefois, l’appelante ne conteste pas le fait que la définition du prix de base rajusté énoncée à l’article 54 intègre le « coût »
d’un bien dans son prix de base rajusté uniquement au moment où le bien particulier est acquis pour la première fois, et que par la suite ce coût de base n’est modifié qu’en raison des rajustements prévus à l’article 53.
[54]
En l’espèce, la société de personnes a été valablement créée et établie avant le transfert des centres commerciaux. Le bien concerné du contribuable dont le prix de base rajusté doit être établi en l’espèce est la participation d’Iberville dans la société de personnes. Cette participation avait déjà été acquise avant le transfert des centres commerciaux. Il n’y a donc aucune possibilité de présenter un argument convaincant selon lequel le « coût »
lié à l’augmentation de la participation à la société devrait être visé par l’article 54, en plus du rajustement prévu au paragraphe 97(2).
[55]
Le contribuable soutient que le « coût »
déclaré était la différence entre la valeur des centres commerciaux et le montant des billets à ordre, qui se traduit par les parts supplémentaires reçues dans la société de personnes. Non seulement le capital de la société n’a pas été divisé en parts, comme nous l’avons précisé précédemment, mais les sous-sections C et J, qui portent sur les gains et les pertes en capital, sur les associés et sur les sociétés de personnes, respectivement, ne reconnaissent pas non plus (i) les changements liés à la participation dans une société de personnes comme l’acquisition de biens distincts ni (ii) l’émission de parts supplémentaires dans une société de personnes.
[56]
C’est la raison pour laquelle l’appel doit être rejeté. L’alinéa 97(2)b) s’appliquerait de la même manière en l’espèce, que le capital de la société de personnes ait été divisé en parts ou non.
[57]
Si mon interprétation du contrat de société de personnes s’avérait erronée et qu’Iberville avait d’abord acquis une participation dans la société de personnes dès le transfert des centres commerciaux d’Iberville à la société de personnes le 15 décembre 2003, j’envisagerais de tenir compte de l’interprétation que fait l’appelante du paragraphe 97(2). Quoi qu’il en soit, cela ne serait pertinent que pour le transfert du 15 décembre 2003, puisque mon analyse effectuée plus tôt ne changerait pas à la lumière des transferts ultérieurs, qui sont survenus bien après qu’Iberville avait acquis une participation dans la société de personnes.
Interprétation appropriée et sens de l’alinéa 97(2)b)
Principes de l’interprétation des lois
[58]
Dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances)
[7]
, la Cour suprême a formulé les observations suivantes :
21 Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, notre Cour a rejeté l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d’interprétation moderne s’applique autant à ces lois qu’aux autres lois. En d’autres termes, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11. Les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires. Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.
22 Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada, par. 10. De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. » La Juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».
23 Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation. Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [TRADUCTION] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.
24 Bien qu’il existe une présomption résiduelle en faveur du contribuable, elle demeure seulement résiduelle et ne s’applique donc que dans le cas exceptionnel où les principes d’interprétation ordinaires ne permettent pas de régler la question en litige : Notre-Dame de Bon-Secours, p. 19. Tout doute concernant le sens d’une loi fiscale doit être raisonnable et la présomption ne peut être invoquée que si l’application des règles d’interprétation habituelles n’a pas permis de déterminer le sens de la disposition en cause. J’estime qu’en l’espèce la présomption résiduelle n’est d’aucune utilité à PDC puisque l’application des règles ordinaires d’interprétation législative permet de dissiper l’ambiguïté de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière. Je reviendrai sur cette question plus loin.
[Non souligné dans l’original.]
[59]
Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada
[8]
, un cas assujetti à la DGAÉ, la Cour suprême a formulé les commentaires suivants :
47 La première partie de l’examen fondé sur le par. 245(4) exige que le tribunal aille au‑delà du simple texte des dispositions et adopte une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cela n’a rien de nouveau. Même lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. [TRADUCTION] « Après tout, le libellé ne peut jamais être interprété indépendamment de son contexte, et l’objectif législatif fait partie de ce contexte. Il semblerait alors que la prise en compte de l’objectif législatif permette non seulement de dissiper les ambiguïtés manifestes, mais aussi de relever, à l’occasion, des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair. » Voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (4e éd. 2002), p. 563. Pour relever et dissiper toute ambiguïté latente du sens des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée.
[Non souligné dans l’original.]
[60]
Dans l’arrêt Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.
[9]
, la Cour suprême s’est exprimée ainsi :
9 Comme notre Cour l’a maintes fois répété : [TRADUCTION] « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26). Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (par. 21).
10 Des mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode moderne d’interprétation. Qu’il s’agisse d’un règlement municipal plutôt que d’une loi ne modifie pas l’approche imposée par les règles modernes d’interprétation : P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 31.
[Non souligné dans l’original.]
[61]
Dans l’arrêt Silicon Graphics Ltd. c. Canada
[10]
, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes relativement à l’utilisation des Notes techniques du ministère des Finances, qui accompagnent parfois les modifications apportées à la législation fiscale :
50 Bien entendu, les notes techniques ne lient pas les tribunaux, mais elles peuvent être examinées. Voir Canada c. Succession Ast (C.A.), [1997] A.C.F. no 267 (C.A.), par. 27 :
Les interprétations administratives, comme les notes techniques, ne lient pas les tribunaux, mais elles peuvent avoir un certain poids et même constituer un facteur important dans l’interprétation des lois. Les notes techniques sont très largement acceptées par les tribunaux pour aider à l’interprétation des lois. L’importance accordée aux notes techniques au niveau de l’interprétation est particulièrement grande lorsque, au moment où une modification était à l’étude, le législateur était conscient que cette modification pouvait donner lieu à une interprétation administrative particulière, et qu’il a néanmoins décidé de l’adopter.
[Non souligné dans l’original.]
[62]
Dans l’arrêt Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d’assurance‑vie c. Canada
[11]
, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit relativement aux interprétations contradictoires d’une disposition législative :
9 Un des principes fondamentaux de l’interprétation législative veut qu’une loi ou une disposition d’une loi qui traite d’une matière d’une façon spécifique doit avoir préséance et l’emporter sur une loi ou une disposition à caractère général traitant de la même matière. Le principe tire son origine de la maxime latine generalia specialibus non derogant. La professeure Sullivan dans son volume intitulé Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition, Toronto, Butterworths, 2002, à la page 273, s’exprime ainsi à propos de ce principe d’interprétation :
When two provisions are in conflict and one of them deals specifically with the matter in question while the other is of more general application, the conflict may be avoided by applying the specific provision to the exclusion of the more general one. The specific prevails over the general; it does not matter which was enacted first.
10 « Il est bien établi », dit le juge Gonthier dans l’affaire Vidéotron Ltée c. Industries Microlec, [1992] 2 R.C.S. 1065, à la page 1080, « que les règles générales cèdent le pas aux règles spécifiques ». En l’espèce, l’article 2 l’emporte sur l’article 1 et le traitement fiscal des services financiers reliés à une police d’assurance est régi par l’article 2.
[Non souligné dans l’original.]
Application
[63]
Rien ne porte à croire que le paragraphe 97(1) devrait s’appliquer dans les circonstances décrites au paragraphe 97(2), et c’est le paragraphe 97(1) qui constituerait la règle précise selon laquelle le coût pour l’associé cédant de sa participation dans une société de personnes serait calculé à la juste valeur marchande. Le paragraphe 97(1) semble être une partie essentielle de la Loi puisque les sociétés ne sont pas des personnes proprement dites aux termes de la Loi, mais sont simplement tenues, en application de l’article 96, de calculer leur revenu comme si elles étaient des personnes.
[64]
Le paragraphe 97(2) établit précisément les règles qui s’appliquent lorsque l’ensemble des membres d’une société de personnes optent pour un roulement. Les versions française et anglaise du paragraphe commencent par la phrase « Malgré les autres dispositions de la présente loi... »
. La version française précise que « les règles ci-après s’appliquent
[12]
»
. Aucun élément des règles précises figurant au paragraphe 97(2) n’indique que les règles générales utilisées pour déterminer le coût de base à l’alinéa b) de la définition du prix de base rajusté à l’article 54 devraient donner lieu à un coût équivalent à la juste valeur marchande dans les circonstances où le paragraphe 97(2) s’applique
[13]
.
[65]
Le libellé du paragraphe 97(2), interprété dans son contexte, n’indique pas clairement qu’il existe un moment précis auquel l’associé cédant pourrait reconnaître un coût aux termes de la définition de prix de base rajusté de l’article 54, autre qu’immédiatement après l’acquisition de la participation par la société de personnes. Le paragraphe 97(1) comprend les mots « immédiatement après le moment de l’acquisition »,
ou, en anglais, « immediately after [...] the partnership [...] acquired the property ». On trouve également la phrase « immédiatement après la disposition »
au paragraphe 97(2).
[66]
De même, l’alinéa 97(2)c), qui porte sur le transfert du caractère des biens canadiens imposables si ces biens étaient transférés d’un associé à une société de personnes sur une base imposable ou sur une base de roulement, s’applique « à tout moment de la période de 60 mois suivant la disposition »
. Tout comme il s’ensuivrait un résultat absurde et sans doute involontaire si le moment de la disposition par l’appelante n’était pas postérieur à la disposition elle-même, un résultat tout aussi absurde et involontaire surviendrait si l’on décidait de renoncer au caractère imposable de biens canadiens en les transférant dans une société de personnes.
[67]
En résumé, on ne peut, à mon sens admettre l’interprétation que fait le contribuable du texte du paragraphe 97(2) et de la définition du prix de base rajusté à l’article 54, lorsqu’ils sont interprétés dans leur contexte et compte tenu de leur objet.
[68]
Si le contribuable avait raison et qu’il existait, lors de la disposition, un moment qui ne soit pas à tout le moins immédiatement après la disposition ou l’acquisition et où le coût du bien transféré pourrait, conformément à l’article 54, être ajouté au prix de base rajusté de la participation du cédant dans la société de personnes, je rejetterais quand même cette interprétation du texte de loi en faveur de l’interprétation que j’ai exposée plus tôt, pour les raisons suivantes :
i) L’appelante reconnaît que cette situation produit un résultat absurde et inattendu.
ii) Le libellé particulier de l’article 97 pour ces transactions précises devrait avoir préséance sur le libellé général.
iii) Les notes explicatives de 1982 confirment qu’aucun changement important n’était prévu dans les modifications de 1982.
iv) L’interprétation privilégiée exposée précédemment est plus cohérente avec l’objet des dispositions en question.
(v) Même si le contribuable avait raison et que son interprétation était la seule permise par le paragraphe 97(2), puisque la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Placer Dome et Hypothèques Trustco, précités, reconnaît la possibilité que le texte d’une disposition sans aucune ambiguïté évidente puisse présenter une ambiguïté latente, qui sera révélée ou résolue en fonction du contexte ou de l’objectif législatif, cette situation pourrait constituer un exemple de cette ambiguïté latente, auquel cas j’arriverais au même résultat pour les mêmes raisons, sur la base de l’interprétation et de la signification appropriées de ces dispositions et en tenant compte de cette ambiguïté latente. Il est malheureux de constater que, si les langues française et anglaise offrent un haut niveau de précision, il n’en est pas de même pour un grand nombre des personnes qui les utilisent, notamment les juges, les avocats, les rédacteurs et les législateurs. C’est peut-être pour cette raison que les tribunaux ont introduit la notion d’ambiguïté latente dans une interprétation textuelle.
[69]
L’appel est rejeté avec dépens.
Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 2018.
« Patrick Boyle »
Le juge Boyle
Traduction certifiée conforme
ce 22e jour de mars 2019.
Mario Lagacé, jurilinguiste
RÉFÉRENCE :
|
|
|
NO DU DOSSIER DE LA COUR :
|
|
|
INTITULÉ :
|
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
|
|
DATE DU JUGEMENT :
|
|
|
[EN BLANC]
|
||
Avocats de l’appelante :
|
Me Wilfrid Lefebvre, c.r.
Me Vincent Dionne
|
|
Avocats de l’intimée :
|
Me Janie Payette
Me Michel Lamarre
|
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
[EN BLANC]
|
|
Pour l’appelante :
|
Vincent Dionne
|
|
Cabinet :
|
Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Montréal (Québec)
|
|
Pour l’intimée :
|
Nathalie G. Drouin
Sous‑procureure générale du Canada
Ottawa, Canada
|
|
[1]
Il convient de noter que le capital de la société de personnes n’était pas divisé en parts et qu’aucun élément des états financiers de la société de personnes ou un autre élément de preuve présenté à la Cour ne démontre que des parts ont été émises ou qu’un registre des parts était tenu.
[2]
Notes explicatives relatives au projet de loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu publiées par l’honorable Marc Lalonde, ministre des Finances, décembre 1982, article 58, à la page 98.
[3]
[1994] A.C.I. no 585 (QL).
[4]
2018 CAF 30.
[5]
2016 CCI 204. La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Oxford Properties a été publiée après l’audience et avant que des observations écrites supplémentaires soient présentées en l’espèce. Aucune des deux parties n’a cherché à faire valoir d’arguments supplémentaires à cet égard.
[6]
Chapitre CCQ-1991, mis à jour le 1er janvier 2018.
[7]
2006 CSC 20.
[8]
2005 CSC 54.
[9]
2005 CSC 62.
[10]
2002 CAF 260.
[11]
2006 CAF 161.
[12]
La phrase « the following rules apply »
figurait également dans la version anglaise avant les modifications de 1982.
[13]
L’alinéa b) de la définition du prix de base rajusté à l’article 54 aurait pour effet que l’associé cédant conserverait le coût préexistant de la participation dans la société de personnes, par exemple, relativement aux transferts subséquents de centres commerciaux effectués par Iberville en l’espèce.