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Dossier : 2010‑898(IT)G

ENTRE :

BRUCE ELLIOTT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Larry Dysert (2010‑899(IT)G) et de Todd Pickett (2010‑900(IT)G) les 12, 13 et 14 mars 2012, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Kurt G. Wintermute

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Mark Heseltine

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 de l’appelant est accueilli avec dépens, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2013.

 

 

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

Dossier : 2010‑899(IT)G

ENTRE :

LARRY DYSERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Bruce Elliott (2010‑898(IT)G) et de Todd Pickett (2010‑900(IT)G) les 12, 13 et 14 mars 2012, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

 

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Kurt G. Wintermute

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Mark Heseltine

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 de l’appelant est accueilli avec dépens, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2013.

 

 

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

Dossier : 2010‑900(IT)G

ENTRE :

TODD PICKETT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Bruce Elliott (2010‑898(IT)G) et de Larry Dysert (2010‑899(IT)G) les 12, 13 et 14 mars 2012, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Kurt G. Wintermute

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Mark Heseltine

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 de l’appelant est accueilli avec dépens, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2013.

 

 

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

Référence : 2013 CCI 57

Date : 20130221

Dossier : 2010‑898(IT)G

ENTRE :

BRUCE ELLIOTT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2010‑899(IT)G

ET ENTRE :

LARRY DYSERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2010‑900(IT)G

ET ENTRE :

TODD PICKETT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]             Les trois contribuables, M. Dysert, M. Elliott et M. Pickett, sont citoyens américains et ont été assujettis à l’impôt canadien sur le revenu au titre de leurs revenus tirés de la fourniture de services d’experts‑conseils à Syncrude Canada Ltd. (« Syncrude »), à Edmonton et à Fort McMurray (Alberta), en 2005 et en 2006, en vertu d’un contrat d’une durée de deux ans (plus tard portée à quatre ans) conclu entre Syncrude et leur cabinet professionnel ayant son siège aux États‑Unis[1].

 

[2]             Les contribuables soutiennent que, durant les années en question, ils n’étaient pas résidents au Canada, ni n’étaient réputés tels. Ils soutiennent également que, en tout état de cause, selon les « règles décisives », comme on les appelle, énoncées à l’article IV de la Convention entre le Canada et les États‑Unis en matière d’impôts sur le revenu (la « Convention »), ils sont réputés avoir résidé aux États-Unis et non au Canada, la conséquence étant qu’ils ne sont pas non‑résidents au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») du Canada. La thèse des contribuables en ce qui concerne les règles décisives de la Convention est la suivante : au cours des années en question, (i) les appartements des contribuables à Edmonton n’étaient pas des foyers d’habitation permanents, ou (ii) le centre des intérêts vitaux de chacun d’eux se trouvait aux États‑Unis parce que c’était avec les États‑Unis que leurs liens personnels et économiques étaient les plus étroits, ou (iii) ils séjournaient de façon habituelle aux États‑Unis.

 

[3]             L’intimée soutient que les contribuables étaient (i) résidents au Canada, ou des personnes réputées avoir résidé au Canada, étant donné qu’elles y avaient séjourné, et (ii) réputées avoir résidé au Canada, en vertu des règles décisives de la Convention, étant donné que a) au cours des années en question, elles avaient des foyers d’habitation permanents à Edmonton ainsi qu’aux États‑Unis, et b) c’était avec le Canada que leurs liens personnels et économiques étaient les plus étroits (centre des intérêts vitaux), ou bien elles avaient séjourné de façon habituelle au Canada durant les années en question[2].

 

[4]             Peu avant la semaine de l’instruction, l’intimée a renoncé, dans ses réponses, à la thèse selon laquelle la société à responsabilité limitée constituée par les contribuables aux États‑Unis, Conquest Consulting Group (« CCG »), exerçait des activités au Canada par l’intermédiaire d’une base fixe. Je n’ai donc pas à rechercher si la présence des contribuables au Canada et les activités qu’il y ont menées en tant qu’associés actifs de CCG représentaient une base fixe ou un établissement stable pour l’application de la Convention[3].

 

I.       Les faits

 

[5]             Les trois appels ont été instruits ensemble sur preuve commune au cours d’une période de trois jours. Chacun des contribuables a témoigné. Leur expert‑comptable canadien a lui aussi été appelé à témoigner. L’intimée n’a pas convoqué de témoins. Tous les témoins se sont exprimés d’une manière très crédible, et leur crédibilité n’a pas été mise en doute. Il n’y a aucun désaccord substantiel concernant les faits.

 

[6]             Les contribuables sont tous trois des professionnels agréés de l’estimation des coûts ayant de belles et longues carrières dans le domaine de l’évaluation des coûts menées au sein d’importantes sociétés internationales, dont Fluor Engineering, Eastman Kodak et Intel. Ils se connaissent et sont collègues de longue date. Deux d’entre eux ont été, au service, ensemble au début de leurs carrières, de Fluor, et ils ont tous les trois été au service chez Eastman Kodak. Avant d’effectuer des travaux pour Syncrude en 2004, ils avaient tous exercé leurs professions exclusivement aux États‑Unis.

 

[7]             L’évaluation des coûts, en tant que service professionnel, comprend plusieurs activités interdépendantes, notamment l’estimation des coûts, la planification et l’ordonnancement de projets, le suivi et la gestion de projets, ainsi que d’autres aspects, tels que le règlement des différends. Dans le monde des affaires, c’est une fonction particulièrement importante pour les grands projets et les mégaprojets. L’agrément professionnel et l’enseignement supérieur professionnel des spécialistes de la gestion des coûts relèvent d’AACE International, Inc., l’Association for the Advancement of Cost Engineering International (« AACE »). Les certificats délivrés par l’AACE sont reconnus de manière indépendante par le Council of Engineering and Scientific Specialty Boards, le même conseil qui autorise, entre autres choses, l’emploi de la désignation d’ingénieur (abréviation : ing.) au Canada. Eastman Kodak a été l’un des premiers chefs de file dans le domaine et, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, cette société disposait de l’un des plus importants services au monde en matière d’estimation de coûts et de gestion de projets. Chacun des contribuables a exercé des rôles importants au sein de l’AACE, en siégeant à ses conseils et comités.

 

[8]             Les contribuables sont tous trois nés aux États‑Unis et ils ont toujours été citoyens des États‑Unis. À l’exception des années 2004 à 2008, au cours desquelles ils ont assuré des services à Syncrude, ils ont toujours vécu uniquement aux États‑Unis. En 2004, tous trois étaient mariés et avaient des enfants. Ils avaient tous acquis de larges demeures familiales aux États‑Unis. Leurs enfants adultes et les membres de leurs familles vivaient tous aux États‑Unis, souvent à proximité les uns des autres, et leurs enfants à charge vivaient avec eux ou, s’ils étaient à l’université, ils considéraient la maison de leurs parents comme leur domicile. Leurs familles élargies, leurs frères et sœurs, leurs parents, etc. vivaient également aux États‑Unis. Les trois contribuables possédaient les biens personnels auxquels on s’attendrait que possèdent des professionnels prospères et bien établis : plusieurs voitures, une motocyclette, une autocaravane, un vaste terrain pour l’élevage de chevaux, des chenils pouvant abriter huit chiens de concours English Mastiff, des œuvres d’art, du matériel récréatif et d’athlétisme, et ainsi de suite. Ils avaient aussi les avoirs financiers auxquels on s’attendrait, notamment des comptes de retraite et d’autres comptes d’investissement bien garnis auprès d’importantes institutions financières américaines. Tous ces biens n’ont jamais été situés ailleurs qu’aux États‑Unis.

 

[9]             Comme de raison, ils avaient aussi des engagements personnels et sociaux au sein de leurs communautés aux États-Unis. Par exemple, ils avaient des cercles d’amis de longue date et ils exerçaient des rôles depuis longtemps dans des organismes de bienfaisance locaux, dans des manifestations locales, et ainsi de suite. Ils occupaient des postes au sein d’AACE International, une organisation des États‑Unis. L’un d’eux au moins avait de très bons amis personnels dans d’autres régions des États‑Unis depuis l’époque où il avait vécu et travaillé dans d’autres états.

 

[10]        En bref, ils étaient « de vrais Américains », bien établis aux États‑Unis et seulement aux États‑Unis, que ce soit dans leurs vies personnelles ou dans leurs carrières professionnelles. Leurs vies n’étaient en aucune façon rattachées au Canada avant que ne débutent leurs activités en Alberta.

 

[11]        À la fin de 2003, Syncrude avait besoin de renforcer ses capacités d’estimation des coûts et ses capacités de gestion et de suivi des projets. L’entreprise avait décidé de se lancer, à Fort McMurray, dans la construction d’une autre importante installation de traitement. Son installation antérieure avait accusé du retard et les coûts estimés avaient été très largement dépassés – dans une proportion de 100 p. 100, en milliards de dollars. Syncrude n’était pas satisfaite de la manière dont le cabinet Independent Project Analysis (« IPA »), un cabinet d’analyse comparative s’adressant aux entreprises qui lancent des projets, avait évalué et classé ses capacités d’estimation. Syncrude et IPA projetaient de tenir une séance de schématisation en mars 2004 destinée à cerner ses lacunes et les améliorations requises, ainsi qu’à examiner la manière dont il faudrait s’y prendre pour combler les lacunes et apporter les améliorations.

 

[12]        En 2004, M. Elliott était encore le chef de longue date du Service d’estimation des projets d’investissement à l’échelle mondiale d’Eastman Kodak, un groupe qu’il avait lancé et développé. Cependant, la situation d’Eastman Kodak connaissait déjà un déclin depuis quelque temps. Le groupe de M. Elliott, qui comptait 23 estimateurs dix ans auparavant, avait été ramené à huit en 2004, mais son équipe et lui étaient encore considérés comme des chefs de file dans le domaine. Le déclin d’Eastman Kodak a conduit à des tentatives régulières pour débaucher les membres du groupe. M. Dysert avait quitté le groupe au début de 2003 pour devenir estimateur principal chez Intel, en Oregon.

 

[13]        En novembre 2003, Syncrude a prié IPA de communiquer avec M. Elliott pour savoir s’il serait disposé à collaborer avec Syncrude en ce qui concerne l’amélioration des capacités de Syncrude en matière d’estimation de coûts et de suivi de projets. À l’époque, M. Elliott n’avait jamais entendu parler de Syncrude, même si bon nombre de ses fondateurs, participants ou bailleurs de fonds ne lui étaient pas inconnus. Il a fait savoir à Syncrude qu’ils devraient en reparler après la période de novembre‑décembre, c’est‑à‑dire celle des congés de l’Action de grâces (aux États‑Unis) et de Noël.

 

[14]        Un représentant de Syncrude lui a téléphoné durant la deuxième semaine de janvier 2004 pour l’inviter à Fort McMurray au début de février afin de discuter plus en profondeur de la situation de Syncrude. M. Elliott s’est donc rendu à Fort McMurray pour une journée et demie au début de février. Syncrude lui a parlé de son intention de renforcer ses capacités d’estimation des coûts et de suivi de projets. M. Elliott ne s’intéressait qu’à l’aspect de l’estimation des coûts. La gestion par Syncrude du projet de l’installation de traitement de Fort McMurray était une sorte de coentreprise entre Syncrude et Colt Engineering, un cabinet d’experts‑conseils en génie, qui intervenait en tant que section de Syncrude sous l’appellation CoSyn. CoSyn était dirigée par la personne‑ressource de M. Elliott chez Syncrude, et ses bureaux se trouvaient à Edmonton. Après la journée et demie de rencontres à Fort McMurray, M. Elliott est allé rencontrer d’autres membres de l’équipe CoSyn, aux bureaux d’Edmonton de CoSyn. Il a été invité à participer à la séance de schématisation de Syncrude prévue en mars, qui serait animée par IPA, et qui porterait sur les sujets de préoccupation de Syncrude. Il a fait savoir que M. Dysert et M. Pickett devraient eux aussi assister à cette séance. Sa proposition a été bien accueillie, car ils étaient tous trois bien connus dans le secteur de l’évaluation des coûts.

 

[15]        Cela a mené à de nouvelles discussions entre les trois appelants sur la création de leur propre cabinet d’experts‑conseils. Ils ont tous trois assisté en mars à la séance de schématisation en Alberta.

 

[16]        Une fois de retour aux États‑Unis, ils ont reçu de Syncrude une trousse d’information décrivant les travaux que Syncrude voulait confier à leur cabinet. CCG a présenté une proposition, puis des projets de contrats ont été échangés entre les deux parties. CCG a notamment réduit la portée et la durée des travaux que Syncrude voulait leur confier. Le contrat contenait une stipulation obligeant Syncrude à assumer les coûts de leur retour chez eux aux États‑Unis une fois les travaux achevés.

 

[17]        C’est en 2004 que les appelants ont établi CCG comme leur cabinet professionnel. Les appelants ont d’abord constitué le cabinet en tant que société par actions à responsabilité limitée (s.a.r.l.) des États‑Unis, mais l’ont ensuite transformé en société à responsabilité limitée (s.r.l.) suivant les conseils qu’ils avaient reçus de leurs conseillers américains pour être sûrs que CCG elle‑même puisse se prévaloir des avantages de la Convention. Les locaux de CCG, ses dossiers et ses comptes bancaires, ainsi que tout le reste, étaient tous situés aux États‑Unis. Toutes les activités de CCG, qu’il s’agisse de gestion, d’opérations, de finances, de négociations de contrats ou encore de développement de clientèle, étaient toujours menées par les appelants lorsqu’ils se trouvaient aux États‑Unis. Syncrude payait CCG aux États‑Unis selon les termes du contrat. CCG avait, durant la période en question, d’autres clients très importants qui généraient de très appréciables honoraires professionnels au titre de projets menés de par le monde. Comme les trois appelants s’étaient engagés à se consacrer principalement au contrat conclu avec Syncrude, ils avaient pris des dispositions pour que CCG embauche d’autres estimateurs professionnels qui se chargeraient pour le compte de CCG, de la plupart de ces autres projets au cours des années en question. Les appelants se chargeraient des autres travaux de CCG quand ils se rendraient en visite chez eux selon ce que prévoyait le contrat conclu avec Syncrude, ou quand ils retourneraient aux États‑Unis à l’occasion de voyages d’affaires liés aux travaux effectués par CCG pour Syncrude.

 

[18]        Les appelants sont arrivés à Edmonton en avril et en mai 2004. Ils sont arrivés uniquement avec leurs valises et leurs mallettes de documents. Ils ont obtenu leurs premiers permis de travail canadiens à l’aéroport d’Edmonton. Le premier arrivé a loué un véhicule pour une brève période. Ils ont rempli des fiches dans un hôtel de la ville pour de courtes périodes afin de commencer leur travail pour Syncrude et de trouver un logement de longue durée qui convienne. Ils laissaient donc pour ainsi dire tous leurs biens aux États‑Unis. Chacun d’eux a loué un modeste appartement de deux chambres dans le même immeuble. Ils ont négocié des baux qui les autorisaient à partir moyennant des préavis réduits de beaucoup au cas où leur travail dans la région se terminerait avant l’expiration du bail (cette stipulation était exigée par Syncrude selon les conditions de l’indemnité d’hébergement). Ils ont meublé leurs appartements comme le feraient des hommes demeurant seuls : un lit acheté chez The Brick, deux ou trois meubles peu couteux chez IKEA, un bureau ou une table, puis un téléviseur de bonne taille. Quand ils ont terminé leur travail pour Syncrude en 2008, 90 p. 100 de leur ameublement canadien a abouti chez Goodwill ou à la poubelle, et ils n’ont rapporté chez eux aux États‑Unis que leurs vêtements, leurs livres et manuels techniques ainsi que leurs classeurs.

 

[19]        Ils ont chacun loué une Toyota chez le même concessionnaire. Ils ont conservé leurs permis de conduire américains et n’ont pas cherché à obtenir de permis albertains. Ils ont gardé la protection AAA mais n’ont pas recherché la protection CAA.

 

[20]        Pour leurs téléphones cellulaires, ils ont conservé leurs abonnements auprès de leurs fournisseurs américains. Dans leurs appartements, ils disposaient de services téléphoniques conventionnels à fil, car ces services devaient permettre l’entrée d’invités par la porte principale de l’immeuble. Ils ont très peu recouru aux services conventionnels à fil.

 

[21]        Les appelants ont conservé la totalité de leurs polices d’assurance‑santé et d’assurance‑vie des États‑Unis. Ils ont obtenu l’assurance‑santé provinciale que l’Alberta met généralement à la disposition des travailleurs de l’extérieur de la province dans des circonstances professionnelles temporaires comme celles‑ci, assurance‑santé dont Syncrude informait tous les travailleurs venant de l’extérieur de la province. Au moins l’un des appelants s’est procuré une assurance aux États‑Unis qui se chargerait éventuellement du coût d’une ambulance aérienne vers un hôpital des États‑Unis s’il était hospitalisé durant son séjour au Canada.

 

[22]        Les appelants ont laissé intacte aux États‑Unis la totalité de leurs comptes bancaires, de leurs affaires financières, de leurs investissements, de leurs pensions et de leur épargne‑retraite. Les seules dispositions financières qu’ils ont chacun prises au Canada concernaient l’établissement d’un simple compte chèques pour leurs frais de subsistance quotidiens au Canada.

 

[23]        Pendant la durée de leur travail pour Syncrude, chacun des appelants a fait des visites chez lui aux États‑Unis, en général une fois par mois, comme le prévoyait le contrat conclu avec Syncrude. Les appelants se réservaient aussi du temps en dehors de leur travail pour Syncrude afin de se consacrer aux autres affaires de leur cabinet exigeant leur présence aux États‑Unis.

 

[24]        Les membres de leurs familles leur ont rendu visite en Alberta très rarement et pour de très courtes périodes. Il s’agissait en général de visiter Banff, de skier dans les Rocheuses et d’assister au Stampede, mais on il a aussi été fait état d’un séjour d’une durée de cinq jours à Edmonton en janvier.

 

[25]        Il n’est pas controversé que les appelants ont été effectivement présents au Canada durant plus de 183 jours en 2005 et en 2006.

 

[26]        Ces dispositions sont toutes demeurées inchangées à tous égards durant toute la période. Le contrat initial avec Syncrude a été reconduit pour une période de deux ans. Durant la négociation de la reconduction, les appelants ont insisté pour que soient modifiés certains aspects du contrat, notamment l’étendue des travaux à effectuer, les dispositions en matière de reddition de comptes et la durée du renouvellement, qu’ils voulaient plus brève que ce que souhaitait Syncrude.

 

II.      Le droit

 

          Les dispositions pertinentes de la LIR sont les articles 2, 248 et 250, reproduits ci‑après :

 

Impôt payable par les personnes résidant au Canada

2(1) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu’il est prévu par la présente loi, pour chaque année d’imposition, sur le revenu imposable de toute personne résidant au Canada à un moment donné au cours de l’année.

[…]

 

248(1) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« non-résident » Qui ne réside pas au Canada.

[…]

250(1) Personne réputée résider au Canada – Pour l’application de la présente loi, une personne est réputée, sous réserve du paragraphe (2), avoir résidé au Canada tout au long d’une année d’imposition si :

a) elle a séjourné au Canada au cours de l’année pendant une période ou des périodes dont l’ensemble est de 183 jours ou plus;

 

[…]

 

(3) Résident habituel -- Dans la présente loi, la mention d’une personne résidant au Canada vise aussi une personne qui, au moment considéré, résidait habituellement au Canada.

[…]

 

(5) Personne réputée non-résidente [en vertu d’un traité fiscal] -- Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf l’alinéa 126(1.1)a)), une personne est réputée ne pas résider au Canada à un moment donné dans le cas où, à ce moment, si ce n’était le présent paragraphe ou tout traité fiscal, elle résiderait au Canada pour l’application de la présente loi alors que, en vertu d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, elle réside dans ce pays et non au Canada.

Tax payable by persons resident in Canada

2(1) An income tax shall be paid, as required by this Act, on the taxable income for each taxation year of every person resident in Canada at any time in the year.

[…]

 

248(1) Definitions – In this Act,

 

[…]

 

“non-resident” means not resident in Canada

 

[…]

 

250(1) Person deemed resident -- For the purposes of this Act, a person shall, subject to subsection (2), be deemed to have been resident in Canada throughout a taxation year if the person

 

(a) sojourned in Canada in the year for a period of, or periods the total of which is, 183 days or more;

 

[…]

 

(3) Ordinarily resident -- In this Act, a reference to a person resident in Canada includes a person who was at the relevant time ordinarily resident in Canada.

[…]

 

(5) Deemed non-resident [by treaty] -- Notwithstanding any other provision of this Act (other than paragraph 126(1.1)(a)), a person is deemed not to be resident in Canada at a time if, at that time, the person would, but for this subsection and any tax treaty, be resident in Canada for the purposes of this Act but is, under a tax treaty with another country, resident in the other country and not resident in Canada.

 

 

 

Les dispositions pertinentes de la Convention sont celles de l’article IV :

 

Convention entre
le Canada et les États-Unis d’Amérique

 

En matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune

 

Article IV

 

Résidence

 

1. Au sens de la présente Convention, le terme « résident » d’un État contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de sa citoyenneté, de son siège de direction, de son lieu de constitution ou de tout autre critère de nature analogue […]

 

2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

 

a) Cette personne est considérée comme un résident de l’État contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États ou ne dispose d’un tel foyer dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l’État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

 

b) Si l’État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, elle est considérée comme un résident de l’État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

 

c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l’État contractant dont elle possède la citoyenneté; et

 

d) Si cette personne possède la citoyenneté des deux États ou si elle ne possède la citoyenneté d’aucun d’eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d’un commun accord.

 

 

Convention Between Canada and the United States of America

 

With Respect to Taxes on Income and on Capital

 

Article IV

 

Residence

 

1. For the purposes of this Convention, the term "resident" of a Contracting State means any person that, under the laws of that State, is liable to tax therein by reason of that person’s domicile, residence, citizenship, place of management, place of incorporation or any other criterion of a similar nature […]

 

2. Where by reason of the provisions of paragraph 1 an individual is a resident of both Contracting States, then his status shall be determined as follows:

 

 

(a) he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has a permanent home available to him; if he has a permanent home available to him in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State with which his personal and economic relations are closer (centre of vital interests);

 

 

 

(b) if the Contracting State in which he has his centre of vital interests cannot be determined, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has an habitual abode;

 

(c) if he has an habitual abode in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State of which he is a citizen; and

 

 

(d) if he is a citizen of both States or of neither of them, the competent authorities of the Contracting States shall settle the question by mutual agreement.

 

 

 

III.     La matrice ou grille analytique servant à déterminer la résidence des appelants

 

A.      Le premier point à décider est celui de savoir si les appelants étaient des résidents du Canada pour l’application de la LIR. Cette question est susceptible de comporter deux volets :

 

(i)      Étaient‑ils de fait des résidents du Canada selon le sens donné à ce mot pour l’application de la LIR?

 

(ii)     S’ils n’étaient pas de fait des résidents du Canada, sont‑ils réputés avoir résidé au Canada selon l’alinéa 250(1)a) de la LIR, applicable aux personnes qui séjournent au Canada durant au moins 183 jours au cours d’une année?

 

B.      Si les appelants n’étaient pas des résidents du Canada au cours des années en question, l’analyse tout entière s’arrête là et les appelants obtiennent gain de cause.

 

C.      Si l’on conclut que les appelants ont résidé au Canada pour l’application de la LIR, l’analyse doit alors porter sur la Convention, et en particulier sur son article IV. S’il est conclu qu’ils sont imposables aux termes de la LIR parce qu’ils ont résidé au Canada ou parce qu’ils sont réputés avoir résidé au Canada, cela en fera des résidents du Canada pour l’application de la Convention, en vertu du paragraphe 1 de l’article IV. Cependant, les paragraphes suivants de l’article IV contiennent ce que l’on appelle les « règles décisives », lorsque l’intéressé est résident dans deux pays signataires de la Convention. Il est admis en l’espèce que chacun des appelants est résident aux États‑Unis pour l’application du paragraphe 1 de l’article IV de la Convention. Par conséquent, les règles décisives du paragraphe 2 de l’article IV de la Convention devront être examinées et appliquées.

 

(i)        Selon la hiérarchie des règles décisives du paragraphe 2 de l’article IV, on commence par considérer un double résident comme un résident du pays où il disposait d’un « foyer d’habitation permanent ». Il est admis que chacun des appelants disposait d’un foyer d’habitation permanent aux États‑Unis. Le premier point à trancher au regard de la Convention est de savoir si les appelants disposaient également de foyers d’habitation permanents au Canada. Si leurs conditions de logement en Alberta ne constituaient pas des foyers d’habitation permanents, alors ils sont réputés avoir résidé aux États‑Unis, non au Canada, pour l’application de la Convention, et la recherche aux termes de Convention s’arrête là.

 

(ii)       Si l’on conclut que leurs conditions de logement en Alberta constituaient aussi des foyers d’habitation permanents dont ils disposaient, alors, vu l’alinéa 2a) la Cour est tenue de rechercher ensuite si le « centre de leurs intérêts vitaux », c’est‑à‑dire le pays avec lequel leurs « liens personnels et économiques [étaient] les plus étroits », peut être déterminé. Si le centre des intérêts vitaux de chacun des appelants peut être déterminé, alors les appelants sont réputés avoir résidé dans le pays concerné, et non dans l’autre, et la recherche aux termes de la Convention s’arrête là.

 

(iii)      Si le centre des intérêts vitaux de chacun des appelants ne peut pas être déterminé, la Cour doit rechercher s’ils « séjourn[aient] de façon habituelle » dans l’un ou l’autre des pays ou dans les deux. S’ils séjournaient de façon habituelle dans un pays et non dans l’autre, ils sont réputés avoir résidé dans le premier, et non dans le second, et la recherche aux termes de la Convention s’arrête là.

 

(iv)      S’ils séjournaient « de façon habituelle » à la fois au Canada et aux États‑Unis, ou s’ils ne séjournaient dans aucun de ces deux pays, les appelants sont réputés avoir résidé aux États‑Unis, et non au Canada, pour l’application de la Convention, vu qu’ils possèdent seulement la citoyenneté des États‑Unis, et il n’est pas nécessaire d’aller plus loin.

 

D.      Si l’on conclut, selon les règles décisives de la section « C » ci‑dessus, que les appelants étaient résidents au Canada pour l’application de la Convention, après que l’on a conclu d’abord, selon la section « A » ci‑dessus, qu’ils résidaient au Canada pour l’application de la LIR, alors ils demeurent validement imposables en tant que résidents au Canada pour l’application de la LIR, et ils n’auront pas gain de cause.

 

E.      Si l’on conclut, selon les règles décisives de la section « C » ci‑dessus, que les appelants étaient des résidents des États‑Unis pour l’application de la Convention, alors, selon le paragraphe 250(5), ils sont réputés ne pas avoir résidé au Canada pour l’application de la LIR, et ils auront gain de cause.

 

IV.     Analyse

 

A.      Les appelants étaient‑ils de fait des résidents au Canada aux termes de la LIR?

 

[27]        La question de savoir si l’on est ou non résident au Canada, notamment résident habituel du Canada, est une question de fait fortement tributaire de la situation personnelle de l’intéressé. En outre, les mots « résident » et « résident habituel » ne sont pas définis dans la LIR, que ce soit par des critères précis ou autrement. Il existe plusieurs arrêts de principe, souvent cités, qui portent sur le sens à donner à ces mots, et des passages de certains de ces arrêts sont cités ci‑après. Outre ceux qui donnent des définitions générales du mot « résident » et des mots « résident habituel » ou qui indiquent les critères factuels à prendre en compte, sont également discutés ci‑après plusieurs précédents où sont appliquées ces notions juridiques à des cas particuliers. Les faits de ces affaires sont semblables à ceux qui concernent les appelants dans la présente affaire, ou ce sont des affaires dans lesquelles la Cour fut appelée à se prononcer sur des questions analogues.

 

[28]        L’arrêt de principe au Canada sur le sens des mots « résident habituel » est un arrêt de la Cour suprême du Canada, Thomson c. Ministre du Revenu national, [1946] R.C.S. 209. Les paragraphes suivants de cet arrêt portent sur la question de la résidence de fait :

 

Le juge Rand

 

[TRADUCTION]

 

47        La progression par degrés en ce qui concerne le temps, l’objet, l’intention, la continuité et les autres circonstances pertinentes montre que, dans le langage ordinaire, le terme « résidant » ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d’en donner une définition précise et applicable à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de différentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d’une même matière. Dans un cas donné, on y retrouve certains éléments, dans un autre cas, on en trouve d’autres, dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.

 

48        L’expression « résidence habituelle » a un sens restrictif et, alors qu’à première vue elle implique une prépondérance dans le temps la jurisprudence relative à la loi anglaise a rejeté ce point de vue. Elle enseigne qu’il s’agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence habituelle, il faut donc examiner le mode général de vie.

 

49        Aux fins de la législation de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire de supposer que chaque personne a, en tout temps, une résidence. Il n’est pas nécessaire à cet effet qu’elle ait une maison ni un endroit particulier où elle demeure, ni même un abri. Elle peut dormir en plein air. Ce qui importe seul, c’est de déterminer dans l’espace les limites dans lesquelles elle passe sa vie ou auxquelles se rattache ce mode de vie ordonné ou coutumier. La meilleure façon d’apprécier la résidence habituelle est d’en examiner l’antithèse, la résidence occasionnelle, temporaire ou extraordinaire. Cette dernière semble nettement être non pas seulement temporaire et exceptionnelle quant à ses circonstances, mais s’accompagne également d’une notion de provisoire et de retour.

 

50        Mais dans les différentes situations de prétendues « résidences permanentes », « résidences temporaires », « résidences habituelles », « résidences principales » et ainsi de suite, les adjectifs n’influent pas sur le fait qu’il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu’elle soit limitée en durée dès le début ou qu’elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur le plan inférieur, les expressions comportant le mot « résidence » doivent être distinguées, comme elles le sont, je crois, dans le langage ordinaire, du concept de « séjour » ou de « visite ».

 

 

Le juge Estey

 

[TRADUCTION]

 

71        D’après le dictionnaire et d’après l’interprétation que la jurisprudence donne de ces termes, l’on est « résident habituel » du lieu où, dans sa vie de tous les jours, il habite d’une manière régulière, normale ou habituelle. On « séjourne » dans un endroit que l’on visite ou dans un lieu où l’on demeure exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence. Dans le premier cas, c’est le caractère permanent qui prédomine, et dans le second, le caractère temporaire. La différence ne peut être exprimée d’une manière claire et nette, chaque cas devant être déterminé compte tenu de tous les facteurs pertinents, mais ce qui précède indique d’une façon générale la différence essentielle. Ce n’est pas la longueur de la visite ou du séjour qui est décisive. Même la période de 183 jours prévue à l’alinéa 9b) de la présente loi ne permet pas de décider si la personne séjournait ou non en un lieu; elle permet simplement de savoir si la personne ayant séjourné doit ou non payer de l’impôt.

 

 

Le juge Kerwin

 

[TRADUCTION]

 

2.         Il n’existe dans la Loi aucune définition du mot « résident » ni de l’expression « résidant habituellement », mais on doit leur donner le sens que leur attribue l’usage courant. Lorsqu’on examine une loi fiscale, il est juste de déclarer, je pense, comme l’indique le Standard Dictionary, que les termes « reside » [résider] et « residence » [résidence] sont plus ou moins solennels et ne doivent pas s’employer sans distinction à la place de « vivre », « maison » ou « logis ». Le Shorter Oxford English Dictionary signale que le sens de « reside » [résider] est « habiter en permanence ou pendant un temps considérable, avoir son habitation fixe ou habituelle, vivre, dans un lieu ou en un endroit déterminé ». Selon ce même dictionnaire, « ordinarily » [habituellement] signifie: « 1. En conformité des règles; de façon habituelle. 2. Dans la plupart des cas, couramment, ordinairement. 3. Dans la mesure habituelle. 4. Comme il est normal ou habituel. » D’un autre côté, le sens du terme « sojourn » [séjourner] est donné comme étant « faire un séjour temporaire en un endroit; rester ou résider pendant un certain temps. »

 

[29]        Dans la décision The Queen v. Kenneth F. Reeder, 75 DTC 5160, le juge Mahoney, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a fait les observations suivantes :

13        Quoique le défendeur en l’espèce fût totalement étranger à cette vie de riche désœuvré, et à toute préméditation d’évasion fiscale, les éléments qui servaient dans ces arrêts à déterminer la question de fait de la résidence fiscale, s’appliquent aussi en l’espèce. Ces éléments sont notamment :

 

a)      le genre de vie passé ou présent;

 

b)      la régularité et la durée des séjours dans le ressort de la juridiction de la résidence;

 

c)      les liens dans le ressort de cette juridiction;

 

d)     les liens en d’autres lieux;

 

e)      le caractère permanent ou autre des séjours à l’étranger.

 

[30]        Dans la décision Gaudreau v. The Queen, 2005 DTC 66, la juge Lamarre a fait les observations suivantes:

 

33        Je souscris au raisonnement du juge Mahoney dans la décision Reeder, à la page 5163 :

 

Le défendeur en était à une époque de son existence où les déplacements sont fréquents. Il pouvait, désirait et même tenait à voyager. En cela il ne différait pas de ses contemporains, et c’est dans ce contexte qu’il faut considérer les faits de la cause. Il est constant qu’avant le 29 mars 1972 et après le 1er décembre 1972 il résidait au Canada. Ses attaches, quelles qu’elles soient, n’ont cessé un seul moment d’être au Canada, sauf les liens contractés pendant son absence et qui devaient permettre à lui et à sa famille de jouir en France d’un mode de vie acceptable, auquel il s’attendait. Son absence était temporaire quoique, strictement parlant, de durée indéterminée. Ses liens avec la France étaient temporaires et ont disparu à son retour au Canada.

 

Je suis convaincu que si, durant son séjour en France, on avait demandé au défendeur où il habitait d’une manière régulière, normale ou habituelle, il aurait répondu au Canada. Je conclus que le défendeur résidait au Canada durant toute l’année 1972.

 

34     À mon avis, on peut parvenir à la même conclusion ici. Tout au long de son séjour en Égypte, les liens de l’appelant étaient tous avec le Canada, sauf pour les liens contractés durant son absence et qui devaient permettre, à lui et à son épouse, de jouir en Égypte d’un mode de vie acceptable, auquel il s’attendait. De fait, les liens avec l’Égypte étaient temporaires et ont disparu à son retour au Canada. Comme l’a affirmé le juge Rip dans l’extrait cité plus haut de la décision Snow, l’absence temporaire d’une personne du Canada n’entraîne pas nécessairement la perte de la résidence canadienne lorsque des liens personnels et économiques étroits sont maintenus au Canada. Je conclus par conséquent que l’appelant résidait habituellement au Canada durant les années en cause.

 

D’autres aspects de la décision Gaudreau ont été examinés et confirmés par la Cour d’appel fédérale : 2005 CAF 388.

 

[31]        Dans la décision Mahmood c. La Reine, 2009 CCI 89, le juge Hogan, examinant un entrelacs de faits similaire, a fait les observations suivantes :

 

[60]      Il ressort bien de la preuve montre de fait qu’au cours des années en question, l’appelant avait certains liens avec le Canada. Sa mère vivait dans un condominium qui appartenait à l’appelant. L’appelant restait dans le condominium lorsqu’il venait au Canada. L’un de ses fils vivait également à cet endroit et sa sœur y restait également de temps à autre. L’appelant utilisait le système financier canadien pour déposer de l’argent, pour conclure des opérations de change et, en fin de compte, pour payer les fournisseurs étrangers de son entreprise. L’appelant fréquentait la mosquée locale, près du condominium qu’il possédait au Canada. Il avait une voiture à sa disposition, qu’il garait au condominium. Il faisait du camping avec des amis et il a visité Niagara Falls au moins sept fois.

 

[61]      À mon avis, ces faits ne sont pas suffisants pour faire de l’appelant un résident du Canada aux fins de la Loi. Le condominium, même s’il appartenait à l’appelant, était en fait la résidence de sa mère et non la sienne. La mère vivait en tout temps à cet endroit. L’appelant habite la maison familiale, au Guyana, avec sa femme et ses trois enfants.

 

[62]      Les activités auxquelles l’appelant se livrait au Canada sont comparables aux activités d’autres non‑résidents qui font des affaires au Canada. Un particulier peut être un non‑résident du Canada tout en possédant des biens immeubles au Canada. L’article 116 et la partie XIII de la Loi visent ces cas. L’article 116 joue lorsqu’un non‑résident vend un bien et la partie XIII s’applique lorsqu’un non‑résident reçoit, entre autres choses, un revenu de location.

 

[63]      Si je me trompe, et donc si le Canada est le pays de résidence de l’appelant au même titre que le Guyana, je conclus que, compte tenu des règles décisives figurant à l’alinéa 4(2)a) de la convention, l’appelant est résident du Guyana aux fins de la Loi. Les intérêts familiaux et financiers de l’appelant ont un lien plus étroit avec le Guyana qu’avec Canada.

 

[32]        Toutes aussi pertinentes sont les décisions du juge Paris, McFadyen v. The Queen, 2000 DTC 2473, et Johnson v. The Queen, 2007 DTC 1022, qui portaient sur des affectations internationales.

 

[33]        Au vu des faits présentés, tels qu’ils sont résumés ci‑haut, et compte tenu des significations attribuées au mot « résident » et à l’expression « résident habituel », je conclus qu’aucun des appelants n’était, en l’espèce, un résident ou un résident habituel au Canada. Tous ont continué de conserver avec les États‑Unis des liens familiaux, personnels, professionnels et financiers très étroits et très étendus. Aucun d’eux n’a renoncé à ses liens avec les États‑Unis, hormis à sa présence physique dans notre pays, puisqu’il devait être à Edmonton pour remplir ses obligations envers Syncrude. D’ailleurs, ils n’ont pour ainsi dire noué avec le Canada que les liens qui étaient raisonnablement nécessaires pour l’exécution du contrat entre CCG et Syncrude d’une manière économiquement raisonnable et à la fois sensée et pratique, comme l’attestent par exemple les dispositions suivantes : (i) ils ont loué des appartements dont les baux comportaient des clauses de résiliation anticipée, (ii) ils utilisaient des véhicules loués dans la région, (iii) ils ont acheté des meubles peu couteux qu’ils ont donnés presque intégralement à des magasins d’occasion du voisinage avant de quitter le Canada; et (iv) ils avaient chacun ouvert un seul compte‑chèques auprès dans une institution financière de la région pour leurs frais de subsistance. Ils n’ont jamais eu l’intention de rester au Canada au‑delà de la période prévue par le contrat avec Syncrude, contrat qu’ils ont accepté de proroger une fois, mais en veillant à ce que ce soit pour une période déterminée.

 

[34]        Pour savoir si l’intéressé est, ou non, un résident, il faut examiner sa situation globale[4]. Le fait que, à première vue, les appelants aient pu sembler, aux autres habitants d’Edmonton, vivre dans cette ville de la même manière qu’eux n’est tout simplement pas le critère pertinent. Pareillement, même si l’on peut supposer qu’un professionnel d’âge moyen n’aura sans doute pas le même mode de vie ni tout à fait les mêmes habitudes qu’un jeune diplômé universitaire qui quitte le domicile de ses parents pour commencer son premier emploi, cela ne veut pas dire que je dois passer outre à de telles différences lorsqu’elles existent (même si des facteurs différents seront sans doute appréciés différemment selon le cas).

 

B.      Les appelants étaient‑ils réputés résider au Canada selon la LIR?

 

[35]        L’alinéa 250(1)a) de la LIR dispose qu’une personne est réputée résider au Canada pour l’application de la Loi si elle a séjourné au Canada au cours de l’année pendant une période d’au moins 183 jours. Le verbe « séjourner » n’est pas défini dans la LIR, mais sa signification pour l’application de la LIR a été examinée par la jurisprudence canadienne comme on le verra ci‑après.

 

[36]        Il ressort clairement des observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thomson (en particulier aux paragraphes 2, 49 et 71 cités plus haut) que le verbe « séjourner » signifie en général « faire un séjour temporaire en un endroit; visiter, rester ou résider pendant un certain temps ». Un séjour est par nature quelque chose d’inhabituel et d’intermittent, et il s’accompagne d’un élément transitoire, puisque celui qui fait le séjour a l’intention de retourner à son lieu habituel de résidence.

 

[37]        Dans l’arrêt Dixon c. La Reine, 2001 CAF 216, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi :

 

6          Il y a bien des années, la Cour suprême du Canada a défini le terme séjourner dans l’arrêt Thomson v. Minister of National Revenue (1946) 2 DTC 812, à la p. 813, comme suit :

 

[TRADUCTION]

D’après le dictionnaire et d’après l’interprétation que les tribunaux donnent de ces termes, un individu est « résident habituel » du lieu où, dans sa vie de tous les jours, il habite d’une manière régulière, normale ou habituelle. On « séjourne » à un endroit que l’on visite ou dans un lieu où l’on demeure exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence. Dans le premier cas, c’est le caractère permanent qui prédomine, et dans le second, le caractère temporaire. La différence ne peut être exprimée d’une manière claire et nette, chaque cas devant être déterminé compte tenu de tous les facteurs pertinents, mais ce qui précède indique d’une façon générale la différence essentielle. Ce n’est pas la longueur de la visite ou du séjour qui détermine la question.

 

Bien que cette déclaration soit probablement obiter, cette définition du terme séjourner a résisté au passage du temps.

 

7          Dans leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law, 2nd ed. (Scarborough, Ont.: Carswell, 1997), les professeurs Hogg et Magee expliquent le terme séjourner comme suit, à la p. 120.

 

[TRADUCTION]

Le terme « séjourner » implique quelque chose de moins fixe qu’une résidence. Une personne qui fait un séjour est physiquement présente au Canada, mais de façon plus temporaire qu’un résident. Une personne qui fait un séjour n’a pas un domicile au Canada qui le transformerait en résident. Un résident d’un autre pays qui vient au Canada en vacances ou par affaires constitue un bon exemple d’une personne qui fait un séjour. Dans la plupart des cas, il va de soi qu’une personne qui fait un séjour ne demeure au Canada que pendant une courte période, mais si cette personne reste au Canada pendant une période de 183 jours, ou pendant diverses périodes pour un total de 183 jours, alors l’alinéa 250(1)a) fait qu’il est imposé comme s’il était résident pendant toute l’année. Cette disposition est sans doute fondée sur le fait qu’une personne qui passe autant de temps au Canada a un intérêt dans le pays qui ne se distingue pas de façon fondamentale de celui d’un résident et qui suppose qu’il contribue au financement du gouvernement. Il y a aussi un intérêt administratif en ce que l’alinéa 250(1)a) vient éliminer les discussions portant sur la question de savoir si une personne est un résident ou non.

 

Malheureusement, M. Dixon ne faisait pas un séjour au Canada lorsqu’il y est revenu, mais il a repris sa résidence et il ne peut donc se prévaloir de l’avantage prévu à l’article 250.

 

La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision Dixon de la Cour canadienne de l’impôt, qui s’était elle aussi fondée sur la définition consacrée par l’arrêt Thomson du verbe « séjourner ».

 

[38]        L’exemple de la personne en voyage d’affaires figure encore dans l’édition actuelle de l’ouvrage du professeur Hogg.

 

[39]        Dans son ouvrage traité « Fundamentals of Income Tax Law », le professeur Krishna, reprenant les notions de la jurisprudence Thomson, à savoir le fait de visiter un endroit ou de demeurer en un lieu exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence, affirme que cela suppose un séjour temporaire dans un endroit, par opposition à une résidence habituelle[5].

 

[40]        Dans le traité intitulé « International Taxation in Canada[6] », il est observé : [TRADUCTION] « Celui qui séjourne au Canada est une personne qui est physiquement présente au Canada, mais qui ne considère pas le Canada comme son pays ou qui n’a pas l’intention d’y demeurer ».

 

[41]        Dans le Canada Tax Service[7], le commentaire signale notamment : [TRADUCTION] « Un “séjour” (c’est‑à‑dire le fait pour un voyageur de demeurer temporairement dans un pays étranger (Webster)) au Canada se distingue nettement d’une période de “résidence” au Canada […] »

 

[42]        L’avocat des appelants, se fondant sur la jurisprudence R&L Food Distributors Ltd. v. MNR, 77 DTC 411, soutient que le résident des États‑Unis qui se rend chaque jour au Canada pour y travailler et qui retourne chaque soir aux États‑Unis ne séjourne pas au Canada. Je retiens cette thèse et conviens qu’une excursion d’une journée n’est pas un séjour, même si l’on parle d’une série d’excursions régulières d’une journée. Cependant, il y a tout un abîme entre le navetteur qui se rend quotidiennement dans le pays qui borde sa localité et l’homme d’affaires qui vient vivre à Edmonton.

 

[43]        Eu égard aux circonstances de la présente affaire, où les appelants ont séjourné à Edmonton durant plusieurs années pour leur travail, occupant des appartements qu’ils avaient loués pour la durée de leur séjour, conduisant des véhicules qu’ils avaient loués également pour la durée de leur séjour, exerçant leurs activités professionnelles, faisant leurs courses, dormant et menant leur vie comme le fait tout Canadien la majorité du temps, la Cour conclut que les appelants séjournaient au Canada lorsqu’ils s’y trouvaient. Manifestement, ils visitaient un endroit ou demeuraient dans un lieu à titre temporaire ou par intermittence, répondant ainsi à la définition du verbe « séjourner » consacrée par la Cour suprême du Canada par la jurisprudence Thomson et tenue par la Cour d’appel fédérale comme la définition qui avait fait ses preuves. Le voyage d’affaires est l’un des exemples précis donnés par les professeurs Hogg et McGee pour le verbe « séjourner ». Il est franchement difficile d’imaginer un exemple plus évident de cette notion, ou une situation plus pertinente pour l’application de la LIR.

 

[44]        Il n’est pas controversé que les appelants passaient de la sorte au Canada 183 jours ou davantage chaque année, quelle que soit la manière de les compter.

 

[45]        Chacun des appelants est réputé avoir résidé au Canada pour l’application de la LIR durant chacune des années en question.

 

C.      Les appelants disposaient‑ils de foyers d’habitation permanents au Canada pour l’application de la Convention?

 

[46]        Puisque les appelants résidaient à la fois au Canada et aux États‑Unis pour l’application de la Convention, il faut maintenant examiner et appliquer les règles décisives de la Convention.

 

[47]        Comme je l’observais plus haut, la Cour doit pour cela rechercher d’abord si les conditions de logement des appelants au Canada constituaient pour eux des foyers d’habitation permanents. Il est admis, et évident, que, pour l’application de la Convention, ils disposaient de foyers d’habitation permanents aux États‑Unis.

 

Interprétation de la Convention

 

[48]        La Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu’un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de la Convention dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Elle autorise aussi la prise en compte, dans certaines circonstances et à certaines fins, de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application de la Convention, de même que le recours à des moyens complémentaires d’interprétation lorsque l’interprétation issue de la méthode susdite conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

 

[49]        Comme l’observaient explicitement la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale, la méthode requise d’interprétation des traités fiscaux est sensiblement différente de celle qui concerne l’interprétation des lois fiscales. (Il semble parfois que certains fiscalistes, comptables et théoriciens choisissent de négliger ou d’oublier cette distinction lorsqu’elle se révèle peu pratique.)

 

[50]        Dans l’affaire The Queen v. Crown Forest Industries Limited, et al., 95 DTC 5389, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de se pencher sur l’article IV de la Convention. Elle est partie du principe suivant :

 

22        L’interprétation d’un traité vise d’abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l’intention des parties. […]

 

[51]        La Cour suprême a ensuite cité, et retenu, les observations du juge Addy dans la décision Succession Gladden v. The Queen, 85 DTC 5188, à la page 5191 :

 

Contrairement à une loi fiscale ordinaire, un traité ou une convention en matière d’impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l’objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l’étude est visé.

 

[52]        La Convention de Vienne sur le droit des traités, tout comme la Cour suprême du Canada par l’arrêt Crown Forest, confirment que « l’interprétation littérale n’a aucun rôle à jouer en matière d’interprétation des traités » : arrêt Coblentz v. The Queen, 96 DTC 6531 (CAF).

 

[53]        Par l’arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada enseigne aussi que, pour dégager l’objet d’un article d’un traité, un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique, notamment les conventions modèles et les commentaires officiels portant sur de telles conventions, sans qu’il soit nécessaire d’avoir préalablement décelé une ambiguïté.

 

[54]        Selon le préambule de la Convention entre le Canada et les États‑Unis, l’objet de la Convention est de réduire ou d’éliminer la double imposition du revenu gagné par le résident d’un pays de sources situées dans l’autre pays, et de prévenir l’évitement ou l’évasion fiscal. Par l’arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada enseigne que l’objet de la Convention comprend aussi la promotion du commerce international entre le Canada et les États‑Unis et la réduction des complexités administratives engendrées par l’obligation de se conformer à deux régimes fiscaux non coordonnés.

 

[55]        La présente affaire ne laisse apparaître en l’espèce aucun risque de double non‑imposition ou d’évasion fiscale. En l’occurrence, l’objectif est d’éviter la double imposition en aménageant entre les deux pays le droit d’opérer une fonction fiscale.

 

[56]        Dans l’arrêt La Reine c. Prévost Car Inc., 2009 CAF 57, 2009 DTC 5053, la Cour d’appel fédérale a observé :

 

10     La reconnaissance mondiale des dispositions du Modèle de Convention et leur intégration dans la plupart des conventions bilatérales ont fait des Commentaires sur les dispositions du Modèle de Convention de l’OCDE un guide largement reconnu en matière d’application et d’interprétation des conventions fiscales bilatérales (voit l’arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, Klaus Vogel, Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, 3e éd. (La Haye, Kluwer Law International, 1997) à la page 43. Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 10(2) du Traité fiscal trouve son pendant au paragraphe 10(2) du Modèle de Convention.

 

11     Il en va de même en ce qui concerne les Commentaires ultérieurs, lorsqu’ils représentent une interprétation juste des termes du Modèle de Convention et ne contredisent pas les Commentaires qui existaient lors de l’entrée en vigueur d’un traité déterminé et, évidemment, lorsque ni l’un ni l’autre des signataires du traité ne s’est opposé aux nouveaux Commentaires. Ainsi, dans l’introduction des Commentaires sur le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (2003), l’OCDE invite ses membres à interpréter leurs traités bilatéraux en conformité avec les Commentaires « tels que modifiés de temps à autre » (au paragraphe 3) et « dans l’esprit des Commentaires révisés » (au paragraphe 33). L’introduction précise, au paragraphe 35, que les modifications apportées aux Commentaires ne doivent pas être prises en compte « lorsque les dispositions […] diffèrent, quant au fond, des articles modifiés » et, au paragraphe 36, que « plusieurs modifications ont pour objet de simplement clarifier, et non de changer, la portée des articles ou des Commentaires ».

 

[57]        Les États‑Unis ont émis une explication technique de la Convention, à laquelle les autorités canadiennes souscrivent de manière générale. L’explication technique ne contient pas d’observations particulières portant sur les règles décisives.

 

[58]        L’article IV de la Convention modèle de l’OCDE correspond à l’article IV de la Convention. Les commentaires de l’OCDE sur l’article IV comprennent les observations suivantes :

 

4.         Les conventions de double imposition ne se préoccupent pas en général des législations internes des États contractants ayant pour objet de définir les conditions dans lesquelles une personne est reconnue, au point de vue fiscal, comme « résident » d’un État et est par conséquent assujettie intégralement à l’impôt dans cet État. Ces conventions ne précisent pas les critères auxquels doivent répondre les dispositions des législations internes sur la « résidence » pour que les États contractants reconnaissent à l’un d’entre eux le droit d’assujettissement intégral. À cet égard, les États arrêtent leur position en se fondant uniquement sur leur législation interne.

 

5.         On peut facilement s’en rendre compte lorsqu’il y a conflit non pas entre deux résidences, mais entre la résidence et la source ou le situs. Toutefois, les mêmes considérations s’appliquent en cas de conflit entre deux résidences. Dans ce dernier cas, il faut cependant noter que l’on ne peut parvenir à une solution du conflit en se référant à la notion de résidence adoptée par la législation interne des États considérés. Des clauses spéciales doivent être insérées dans la Convention pour déterminer à laquelle des deux notions de résidence il convient d’accorder la préférence.

 

6.         Un exemple permettra de mieux comprendre la situation. L’intéressé possède un foyer d’habitation permanent dans l’État A où vivent sa femme et ses enfants. Il a séjourné plus de six mois dans l’État B où, en vertu du droit interne dudit État, il est, en raison de la durée de son séjour, imposable, car considéré comme étant un résident de cet État. Deux États revendiquent alors le droit de l’assujettir intégralement à l’impôt. Ce conflit doit être tranché par la Convention.

 

7.         Dans ce cas particulier, l’article (en vertu des dispositions du paragraphe 2) donne la préférence à l’État A. Il ne faut toutefois pas en déduire que l’article pose des règles spéciales sur la « résidence » et qu’on ne tient pas compte de la législation interne de l’État B du fait qu’elle est incompatible avec ces règles. En réalité, dans un conflit de ce genre, il importe évidemment de faire droit à l’une des deux revendications, et c’est à ce sujet que l’article propose des règles spéciales.

 

[…]

 

9.         Le paragraphe vise le cas où, en vertu des dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants.

 

10.       Pour résoudre ce conflit, il faut établir des règles spéciales qui donnent la prépondérance aux liens rattachant le contribuable à un État plutôt qu’à l’autre. Dans la mesure du possible, le critère de référence doit être tel qu’il ne fasse pas de doute que l’intéressé ne remplit les conditions requises que dans un État seulement; en même temps, le critère devra être tel que le lien retenu fasse paraître normale l’attribution à l’État considéré du droit de lever l’impôt. Les faits auxquels s’appliqueront les règles spéciales sont ceux qui prévalent au cours de la période pendant laquelle la résidence du contribuable a une incidence sur son assujettissement à l’impôt, période qui peut être d’une durée moindre que celle d’une période d’imposition entière. Par exemple, au cours d’une année civile, un particulier réside dans un État A, selon la législation fiscale de cet État du 1er janvier au 31 mars, puis il se rend dans l’État B. Comme il réside dans l’État B plus de 183 jours, il est considéré par la législation fiscale de l’État B comme résident de cet État pendant l’année entière. Si l’on applique les règles spéciales pour la période du 1er janvier au 31 mars, le particulier était résident de l’État A. Par conséquent, l’État A comme l’État B devraient traiter ce particulier comme un résident de l’État A pour cette période, et comme un résident de l’État B du 1er avril au 31 décembre.

 

11.       L’article accorde la préférence à l’État contractant où l’intéressé dispose d’un foyer d’habitation permanent. Ce critère suffira souvent pour résoudre le conflit résultant du fait qu’une personne qui a un foyer permanent dans un État contractant a seulement effectué un séjour d’une certaine durée dans l’autre État contractant.

 

12.       L’alinéa a) veut donc dire que, pour l’application de la Convention (donc lorsqu’il y a conflit entre les législations des deux États) on considère que la résidence de la personne physique se trouve là où celle‑ci a la possession ou la jouissance d’un foyer d’habitation, à condition que ce dernier soit permanent, c’est‑à‑dire que la personne l’ait aménagé et réservé à son usage d’une manière durable, par opposition au fait du séjour à un certain endroit dans des conditions telles que ce séjour apparaisse comme devant être limité à une courte durée.

 

13.       Au sujet de la notion de foyer d’habitation, il faut observer que toute forme d’habitation peut être prise en considération (maison ou appartement qui est la propriété de l’intéressé ou pris en location, chambre meublée louée). Mais la permanence de l’habitation est essentielle, ce qui signifie que l’intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour qui, compte tenu des raisons qui le motivaient, est nécessairement lié à une courte durée (voyage d’agrément, voyage d’affaires, voyage d’études, stage dans une école, etc.).

 

14.       Si la personne physique possède un foyer d’habitation permanent dans les deux États contractants, le paragraphe 2 donne la préférence à l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits, c’est‑à‑dire à l’État dans lequel se trouve le centre des intérêts vitaux de l’intéressé. Lorsqu’il est impossible de déterminer la résidence en se référant aux dispositions mentionnées ci‑dessus, le paragraphe 2 prévoit des critères secondaires qui sont d’abord le séjour habituel, ensuite la nationalité. Si une personne physique possède la nationalité des deux États ou n’a la nationalité d’aucun d’eux, la question devra être tranchée d’un commun accord entre les administrations intéressées, conformément aux dispositions de l’article 25.

 

15.       Lorsque la personne physique a un foyer d’habitation permanent dans les deux États contractants, il y a lieu de rechercher dans les faits celui des deux États avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits. Seront ainsi pris en considération les relations familiales et sociales de l’intéressé, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires, le lieu d’où il administre ses biens, etc. Les circonstances doivent être examinées dans leur ensemble ; mais il est évident cependant que les considérations tirées du comportement personnel de l’intéressé doivent spécialement retenir l’attention. Si une personne qui a une habitation dans un État établit une deuxième habitation dans un autre État, tout en conservant la première, le fait que l’intéressé conserve cette première habitation dans le milieu où il a toujours vécu, où il a travaillé et où il garde sa famille et ses biens peut, avec d’autres éléments, contribuer à démontrer qu’il a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier État.

 

Foyer d’habitation permanent

 

[59]        La Cour a eu l’occasion de rechercher, dans l’affaire Wolf c. La Reine, 2000 DTC 2595, si un résident des États‑Unis disposait d’un foyer d’habitation permanent au Canada pour l’application de la Convention. Dans cette affaire, la juge Lamarre a conclu que M. Wolf disposait de foyers d’habitation permanents dans les deux pays compte tenu des éléments de fait exposés ci‑après :

 

[10]      L’appelant a témoigné qu’il avait loué son unité condominiale de la Floride, avec tous ses meubles, lorsque, en 1990, il était venu au Canada. Un préavis de 30 jours était requis pour la résiliation du bail (pièce A‑10). L’appelant avait mandaté un agent de location de la Floride pour la conclusion des arrangements locatifs. Il était venu au Canada avec ses vêtements, sa chaîne stéréophonique et ses appareils vidéo. Durant les années en question, il louait une chambre à Dollard‑des‑Ormeaux (Québec), pour 375 $ par mois. Il n’avait pas d’entrée particulière ni de ligne téléphonique privée. Il a toujours gardé son assurance américaine pour sa voiture, qui était immatriculée aux États‑Unis. Son assurance‑maladie et son assurance de biens étaient souscrites aux États‑Unis. Il avait laissé ouverts tous ses comptes bancaires américains et avait ouvert un compte bancaire au Canada pour le dépôt direct de ses chèques de paye. Il virait toutes ses économies sur ses comptes bancaires américains, par télégraphe. Il faisait affaire avec un courtier des États‑Unis. Il n’a jamais demandé le statut d’immigrant reçu au Canada ni la citoyenneté canadienne. Il voyageait avec son passeport américain. Il détenait quelques cartes de crédit américaines, ainsi qu’une carte canadienne MasterCard pour ses dépenses au Canada, et il était membre de clubs et d’associations professionnelles aux États‑Unis, mais pas au Canada.

 

[60]        La juge Lamarre concluait ensuite que M. Wolf disposait de foyers d’habitation permanents à la fois au Canada et aux États‑Unis, mais qu’il était un résident aux États‑Unis compte tenu du fait que le centre de ses intérêts vitaux se trouvait davantage aux États‑Unis qu’au Canada. Dans l’arrêt Wolf c. La Reine, 2002 CAF 96, la Cour d’appel fédérale n’est pas revenue sur la conclusion de la juge Lamarre selon laquelle M. Wolf était un résident des États‑Unis.

 

[61]        Je suis d’avis moi aussi que, en l’espèce, il faut considérer clairement comme des foyers d’habitation permanents les appartements loués par les appelants à Edmonton pour une durée qui devait correspondre à la durée de leur affectation dans cette ville, appartements dont ils ont disposé tout au long de cette période, qu’ils ont meublés à cette fin comme il le fallait, qui comprenaient des espaces de stationnement pour leurs véhicules, outre les espaces qui leur servaient à dormir, à cuisiner, à se reposer, à se divertir et à travailler.

 

[62]        On est très loin de l’exemple donné au paragraphe 6 des Commentaires susmentionnés de l’OCDE, étant donné que, dans ledit exemple, l’intéressé possède un foyer d’habitation permanent dans un pays où vit sa famille et il séjourne tout simplement plus de six mois dans l’autre pays. Cette différence est manifeste à la lecture du paragraphe 11 des Commentaires.

 

[63]        La notion de foyer d’habitation permanent est examinée aux paragraphes 12 et 13 des Commentaires de l’OCDE. Pour ce qui est du cas des appelants, l’idée de permanence de l’habitation signifie que l’intéressé doit pouvoir disposer du logement en tout temps, d’une manière continue, plutôt qu’occasionnellement durant la période considérée.

 

[64]        Cette conclusion n’est pas incompatible avec la mention incidente du voyage d’affaires, au paragraphe 13 des Commentaires de l’OCDE. Ladite mention sert à donner un exemple du lieu où l’on pourrait devoir loger occasionnellement lorsque le séjour, compte tenu des raisons qui le motivent, par exemple un voyage d’affaires, est nécessairement d’une courte durée. Au vu des faits propres aux appelants, tel n’est tout simplement pas le cas ici.

 

[65]        Ni la jurisprudence ni les Commentaires de l’OCDE n’enseignent que l’on doit pas examiner la situation d’un contribuable durant les années en cause d’une manière qui tienne compte de sa situation globale au cours des années antérieures ou postérieures. Ce qu’invite explicitement la troisième phrase du paragraphe 10 des Commentaires de l’OCDE, c’est considérer des périodes d’une durée moindre au cours de l’année en cause lorsque les circonstances particulières le justifient. (Cette réflexion aurait sans doute été justifiée si les années d’imposition 2004 des appelants avaient été l’objet de nouvelles cotisations compte tenu du fait qu’ils avaient résidé au Canada tout au long de 2004 pour y avoir séjourné après avril ou mai).

 

[66]        En l’espèce, chacun des appelants disposait de foyers d’habitation permanents à la fois au Canada et aux États‑Unis tout au long des périodes considérées.

 

D.      Dans quel pays chacun des appelants avait‑il le centre de ses intérêts vitaux?

 

[67]        L’alinéa (2)a) de l’article IV de la Convention dispose que, si l’intéressé dispose d’un foyer d’habitation permanent à la fois au Canada et aux États‑Unis, alors il est considéré comme un résident du pays avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits. Le pays avec lequel les liens personnels et économiques de l’intéressé sont les plus étroits est défini comme le centre des intérêts vitaux du contribuable. Manifestement, le contribuable ne peut avoir à cette fin plus d’un centre de ses intérêts vitaux (compte tenu de l’expression « les plus étroits »), même si, dans tel ou tel cas, ce centre n’est peut‑être pas vérifiable. Comme l’observait la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Trieste c. La Reine[8] :

 

6          […] Le critère qu’il convient d’appliquer sous le régime de la Convention en est un de fait : dans quel pays, le cas échéant, les liens personnels et économiques de la personne sont-ils les plus étroits?

 

Il n’existe pas d’autre moyen déterminant de formuler la question. Dans l’arrêt Trieste rendu par notre Cour, la juge Lamarre n’a pu désigner le pays avec lequel les liens personnels et économiques du contribuable étaient les plus étroits et a donc entrepris de considérer le lieu où il séjournait de façon habituelle. Elle a conclu que le contribuable disposait aussi d’un foyer d’habitation permanent au Canada. Il y a une importante distinction à opérer entre cette affaire et le cas des contribuables eu l’espèce présente affaire : dans l’affaire Trieste, le contribuable avait acheté deux habitations au Canada, son épouse avait vécu périodiquement avec lui au Canada et ils avaient acquis ensemble le premier condominium. La juge Lamarre a estimé que l’acquisition des deux condominiums canadiens appelait une distinction entre l’affaire Trieste et l’affaire Gaudreau sur laquelle elle avait statué antérieurement.

 

[68]        Dans l’affaire Gaudreau, en première instance, la juge Lamarre de la Cour de l’impôt, s’interrogeant sur le pays où se trouvait le centre des intérêts vitaux du contribuable, a examiné le paragraphe 15 des Commentaires de l’OCDE, puis s’est exprimée ainsi :

 

38        Par conséquent, si une personne qui a une habitation dans un État en établit une deuxième dans l’autre État tout en conservant la première, le fait qu’elle conserve cette première habitation dans le milieu où elle a toujours vécu, où elle a travaillé et où elle garde sa famille et ses biens peut, avec d’autres éléments, contribuer à démontrer qu’elle a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier État.

 

39        En l’espèce, il est vrai que l’appelant a affirmé qu’il avait travaillé à l’étranger pendant un certain nombre d’années durant sa carrière, mais d’après ce que je comprends, c’était dans des circonstances similaires à celles qui l’ont emmené en Égypte. Son épouse et lui‑même avaient toujours conservé leur maison et la totalité de leurs biens au Canada. Leur famille avait toujours vécu au Canada. Selon ma perception, ils n’avaient jamais eu l’intention de rompre leurs liens économiques et personnels avec le Canada. De fait, l’appelant n’a pas réellement établi de liens économiques avec l’Égypte hormis ceux qui étaient nécessaires pour satisfaire à tous ses besoins de subsistance quotidiens. Il a loué un appartement à l’année en Égypte, y a ouvert un compte bancaire pour répondre strictement à ses besoins, il n’a pas acheté de voiture et a obtenu son permis de conduire simplement pour pouvoir se déplacer jusqu’à son lieu de travail en Égypte. Le fait que l’appelant ait accepté de travailler en Égypte dans le cadre d’un contrat d’à peu près quatre ans ne modifie aucunement le fait que le centre de ses intérêts vitaux soit demeuré au Canada.

 

40        Je conclus donc, compte tenu de tous les faits, que le centre des intérêts vitaux de l’appelant était davantage lié au Canada qu’à l’Égypte durant les années 1996, 1998 et 1999.

 

La Cour d’appel fédérale a confirmé à l’unanimité, dans de brefs motifs exposés verbalement, la décision rendue par la juge Lamarre, notamment sa manière d’appliquer les règles décisives de la Convention.

 

[69]        Dans l’affaire Wolf, en première instance, la juge Lamarre de la Cour de l’impôt a conclu, comme je l’ai signalé plus haut, que l’appelant disposait de foyers d’habitation permanents dans chacun des deux pays. Elle a poursuivi ainsi, au paragraphe 20 :

 

[20]      Je suis d’avis que l’appelant disposait d’un foyer d’habitation permanent dans les deux pays. En fait, il avait un endroit où habiter au Canada et, avec seulement un mois de préavis, il pouvait retourner dans son condo de la Floride. Je conclus toutefois que le centre des intérêts vitaux de l’appelant était davantage aux États‑Unis qu’au Canada. L’appelant n’est pas marié, mais toute sa famille était aux États‑Unis. Ses comptes bancaires et ses économies étaient aux États‑Unis, tout comme son courtier. Exception faite d’un compte bancaire et d’une carte de crédit qu’il avait au Canada pour ses frais quotidiens de subsistance, l’appelant ne maintenait pas de relations économiques avec le Canada. Il a obtenu son brevet aux États‑Unis et il y envoyait par télégraphe toutes ses économies. Les États‑Unis étaient le pays où il retournait fréquemment et régulièrement. Bien que le lieu de travail de l’appelant ait été au Canada, je ne pense pas que cela l’emporte sur le fait que le centre des intérêts vitaux de l’appelant était demeuré aux États‑Unis. L’appelant était venu au Canada pour travailler temporairement parce que le travail était ici. Son contrat a en fait été prolongé, ce qui ne signifie toutefois pas que ses liens personnels et économiques étaient avec le Canada. Sa source de revenus était au Canada, mais il n’existait aucun autre lien avec le Canada. En fait, la façon dont l’appelant a agi montre plutôt qu’il n’a jamais eu l’intention de rester au Canada de façon permanente ou d’y séjourner de façon habituelle. Il ne s’est jamais réellement établi au Canada. Il passait tout son temps libre avec sa famille aux États‑Unis, souscrivait toutes ses assurances aux États‑Unis, n’était pas assuré au Canada et ne conservait ici qu’un pied‑à‑terre, soit une chambre à Dollard‑des‑Ormeaux (Québec). Il n’a jamais demandé le statut d’immigrant reçu ni la citoyenneté canadienne. Il est citoyen des États‑Unis et n’a qu’un passeport américain. Il a déclaré ses revenus de toutes provenances et payé son impôt sur le revenu aux États‑Unis pour toutes les années en question. C’est suffisant pour que je puisse dire que l’appelant est considéré comme un résident des États‑Unis au sens du paragraphe 2 de l’article IV de la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts.

 

[70]        Comme je l’observais plus haut, la conclusion de la juge Lamarre selon laquelle le contribuable avait le statut de résident des États‑Unis n’a pas été attaquée devant la Cour d’appel fédérale.

 

[71]        La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont également eu l’occasion d’examiner d’une manière approfondie, dans l’affaire Bujnowski c. La Reine, 2005 CCI 90, 2006 CAF 32, l’application de la notion de « centre des intérêts vitaux » figurant dans les règles décisives de la Convention. Les motifs des deux juridictions figurent dans les passages suivants de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale :

 

6          Le juge de la Cour de l’impôt présente les arguments des parties concernant l’application et les effets de la Convention ainsi que les faits qu’il considère pertinents quant à son application. Il expose ses conclusions au paragraphe 8 de ses motifs, reproduit ci‑dessous :

 

[par. 8] Sans égard aux prétentions contraires de l’appelant, la preuve soumise à la Cour amène clairement à conclure que ses liens de résidence avec le Canada étaient très importants. Non seulement l’épouse de l’appelant est‑elle restée au Canada dans une résidence qu’ils y possédaient, il est en outre avéré qu’elle y est demeurée pour trouver un emploi. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve indiquant que l’appelant a, à un moment ou à un autre, envisagé de se départir de l’habitation, ni d’aucune preuve à l’appui de sa déclaration selon laquelle il entendait acheter une résidence au Michigan. De nombreux autres liens de résidence avec le Canada tendent en outre à conduire à la conclusion que l’appelant résidait de fait au Canada tout en occupant un emploi aux États Unis. Il a conservé, comme il a été indiqué plus tôt, des biens meubles, de même que des liens sociaux et économiques au Canada tels qu’un compte bancaire, des comptes de courtage, des comptes de retraite autogérés, etc. Il a également conservé son passeport canadien et a maintenu son adhésion à des organisations professionnelles canadiennes. Au vu de la preuve qui m’a été soumise, j’en ai conclu que l’appelant était un résident de fait du Canada et qu’en conséquence, la cotisation du ministre était exacte.

 

7          Bien que ce paragraphe ne traite que des éléments canadiens de la situation de M. Bujnowski, lorsqu’il est replacé dans son contexte, il apparaît clairement que le juge expose ici ses conclusions concernant les différents éléments dont il a tenu compte pour déterminer dans quel État se situait le centre des intérêts vitaux de M. Bujnowski. L’emploi par le juge du terme « résident de fait » peut donner à penser qu’il applique le critère national pour déterminer la résidence énoncé dans Thomson c. M.N.R., [1944] C.T.C. 63 (Ex. Ct), mais il a employé le même terme autre part dans ses motifs, dans un contexte où il ne pouvait signifier que résident du Canada « au sens de la […] Convention ».

 

8          Je suis convaincu que le juge a reconnu la double résidence de M. Bujnowski durant l’année d’imposition 2001 et qu’il a appliqué les règles permettant de déterminer le lieu de résidence, énoncées au paragraphe 4(2) de la Convention, comme il le devait. Malgré les tentatives de M. Bujnowski visant à nous convaincre que les conclusions du juge sont truffées d’erreurs de faits, je suis convaincu qu’elles sont fondées sur les éléments de preuve portés à sa connaissance et qu’elles ne contiennent aucune erreur manifeste et dominante.

 

[72]        Il est clair que les mots « les liens les plus étroits » ne signifient pas « les liens les plus nombreux ». Il s’agit ici d’une notion relative, et non d’une notion mécanique ou arithmétique. L’étroitesse des liens existants exige qu’une attention particulière soit portée à l’étendue et à la nature des liens personnels et économiques. Cette idée trouve un appui explicite au paragraphe 15 des Commentaires de l’OCDE, en particulier si l’on considère l’exemple donné dans la dernière phrase de ce paragraphe.

 

[73]        Dans la décision Hertel v. Minister of National Revenue, 93 DTC 721, le juge Sobier s’est exprimé ainsi :

 

14        Pour déterminer le centre des intérêts vitaux, il ne suffit pas de soupeser ou de dénombrer les facteurs où les liens dans chaque État. Il faut chercher à savoir, et cela importe plus que le nombre, avec quel État la personne a les liens les plus étroits.

 

Ce passage a été cité et approuvé par le juge O’Connor, de la Cour canadienne de l’impôt, dans la décision Yoon c. La Reine, 2005 CCI 366.

 

[74]        Au vu de cette jurisprudence, il est clair que les liens personnels et économiques de chacun des appelants étaient plus étroits avec les États‑Unis qu’avec le Canada[9]. On peut observer que chacun des appelants :

 

(i)      vivait uniquement aux États‑Unis avant de venir au Canada pour exécuter le contrat conclu avec Syncrude;

 

(ii)     a quitté le Canada après avoir rempli sa mission;

 

(iii)    a préservé la totalité de ses liens préexistants avec les États‑Unis durant toute la période où il était au service de Syncrude au Canada. C’est uniquement sa présence matérielle au Canada qui était à l’origine d’un relâchement de ses liens avec les États‑Unis;

 

(iv)    avait établi avec le Canada les seuls liens qui étaient nécessaires, ou raisonnablement accessoires, à l’obligation qu’il avait d’être physiquement présent au Canada durant la période de son affectation au projet Syncrude.

 

[75]        Puisque je conclus, vu les faits constaté par la Cour, que le centre des intérêts vitaux des appelants se trouvait aux États‑Unis, les liens personnels et économiques de chacun ayant été les plus étroits avec les États‑Unis durant les années en cause, les appelants sont réputés avoir résidé aux États‑Unis et non au Canada pour l’application de la Convention.

 

[76]        Par application du paragraphe 250(5) de la LIR, la conclusion selon laquelle ils résidaient aux États‑Unis pour l’application de la Convention signifie qu’ils ne résidaient pas au Canada durant les années en cause pour l’application de la LIR. Le paragraphe 250(5) joue, nonobstant toute autre disposition de la LIR, y compris l’alinéa 250(1)a) qui concerne les personnes qui ont séjourné au Canada (ou le paragraphe 250(3), qui vise les résidents habituels). Les appels doivent donc être accueillis. Ils n’étaient pas validement assujettis à l’impôt établi aux termes de la partie I de la LIR, auquel sont assujetties les personnes qui résident au Canada.

 

E.      Séjours de façon habituelle

 

[77]        Ce n’est que si je n’avais pas été en mesure, tout comme la juge Lamarre dans l’affaire Trieste, de cerner le pays avec lequel les liens personnels et économiques des appelants étaient les plus étroits, qu’il m’aurait fallu, pour bien appliquer les règles décisives, chercher si les appelants séjournaient de façon habituelle au Canada ou aux États‑Unis, ou dans les deux pays.

 

V.      Conclusion

 

[78]        Les appelants sont au départ, en vertu de l’alinéa 250(1)a) de la LIR, réputés avoir résidé au Canada en 2005 et en 2006, puisqu’ils ont séjourné dans ce pays durant au moins 183 jours. Toutefois, de par le paragraphe 250(5), ils sont réputés néanmoins ne pas avoir résidé au Canada, puisqu’il a été conclu qu’ils étaient des résidents des États‑Unis pour l’application de la Convention.

 

[79]        Les appels des contribuables sont accueillis avec dépens.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2013.

 

 

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 57

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2010-898(IT)G, 2010-899(IT)G,

                                                          2010-900(IT)G

 

INTITULÉS :                                    BRUCE ELLIOTT, LARRY DYSERT,

                                                          TODD PICKETT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Edmonton (Alberta)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Les 12, 13 et 14 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 21 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Kurt G. Wintermute

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Mark Heseltine

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                          Nom :                     Kurt G. Wintermute

 

                          Cabinet :                 MacPherson Leslie & Tyerman LLP

                                                          Avocats

                                                          1500 Saskatoon Square

                                                          410, 22e Rue Est

                                                          Saskatoon (Saskatchewan)  S7K 5T6

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Les années d’imposition 2004 des appelants n’ont pas fait l’objet de nouvelles cotisations.

 

[2] Je voudrais faire deux observations au sujet de la thèse de l’intimée. D’abord, la résidence de fait et la résidence réputée pour cause de séjour sont des thèses qui sont incompatibles et dont l’une constitue la solution de rechange de l’autre. Il semble impossible, au vu de la réponse, des nouvelles cotisations et des confirmations, de voir ce qu’est la thèse principale de l’intimée, et ce qu’est sa thèse subsidiaire. S’il avait fallu trancher cette affaire d’après la charge de la preuve (ce qui n’est pas le cas), cela aurait pu constituer une difficulté pour l’intimée. Deuxièmement, bien que l’intimée soutienne que les appelants étaient assujettis à la LIR en tant que résidents au Canada, l’ARC n’a pas, pour une raison inexpliquée, établi de nouvelles cotisations à leur encontre sur leur revenu de toutes provenances. Cela donne fortement à penser qu’ils ont été assujettis à l’impôt en tant que personnes exploitant une entreprise au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable ou d’une base fixe, et nullement en tant que résidents au Canada – si ce n’est le fait qu’ils ont été imposés sur leurs recettes canadiennes brutes. Cela aurait pu également être un obstacle pour l’intimée s’il avait fallu trancher la présente affaire d’après la charge de la preuve.

 

[3] Eu égard à la preuve considérable présentée à la Cour, il semble que j’aurais été tenu de suivre et d’appliquer la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dudney v. The Queen, 2000 DTC 6169 (CAF), [2000] 2 C.T.C. 56 (CAF).

[4] Tout comme la question de savoir à quel endroit une personne a le centre de ses intérêts vitaux.

[5] Carswell 2009, à la page 87.

 

[6] 2e édition, Jinyan Li, Arthur Cockfield et J. Scott Wilkie, à la page 75.

 

[7] McCarthy Tétrault, Carswell, à la page 250-109.

[8] 2012 CCI 91; 2012 CAF 320.

[9] J’observe que, au cours de son argumentation, l’avocat de l’intimée a admis que, dans les trois affaires soumises à la Cour, les liens des contribuables avec le Canada n’étaient certainement pas aussi profonds ni aussi étendus que leurs liens avec les États-Unis.

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